Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jackie Pierre, Mme Catherine Tasca.
2. Convocation du Parlement en session extraordinaire
3. Candidatures à deux organismes extraparlementaires
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
6. Communications du Conseil constitutionnel
8. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
9. Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
10. Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015
MM. Jean-Claude Requier, Yves Pozzo di Borgo
11. Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
12. Communication relative à une commission mixte paritaire
13. Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (suite)
MM. Pascal Allizard, François Marc, André Gattolin, Éric Bocquet
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
M. Harlem Désir, secrétaire d'État
14. Élection d’un juge suppléant à la cour de justice de la république
15. Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (suite)
MM. Cyril Pellevat, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Richard Yung, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Michel Billout, Harlem Désir, secrétaire d'État
Mme Colette Mélot, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
Mme Christine Prunaud, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Simon Sutour, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Mathieu Darnaud, Harlem Désir, secrétaire d'État
Mme Laurence Cohen, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Jean-Claude Lenoir, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Didier Marie, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Jean-Pierre Bosino, Harlem Désir, secrétaire d'État
MM. Daniel Raoul, Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
M. Harlem Désir, secrétaire d'État
16. Nomination de membres de deux organismes extraparlementaires
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
17. Malades et personnes en fin de vie – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 54 rectifié de M. Dominique De Legge. – Adoption.
Amendement n° 55 rectifié de M. Dominique De Legge. – Devenu sans objet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Bruno Gilles. – Devenu sans objet.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Bruno Gilles. – Adoption.
Amendement n° 29 de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.
Amendement n° 96 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Amendement n° 57 rectifié de M. Dominique De Legge. – Adoption.
Amendement n° 58 rectifié de M. Dominique De Legge. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 1er
Amendement n° 26 rectifié bis de Mme Nicole Duranton. – Retrait.
Amendement n° 28 rectifié de Mme Nicole Duranton. – Retrait.
Amendement n° 90 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – Rectification.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 90 rectifié bis de M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Bruno Gilles. – Rejet.
Amendement n° 72 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption.
Amendement n° 12 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Adoption.
Amendement n° 48 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 69 rectifié de M. Dominique De Legge. – Retrait.
Amendement n° 101 rectifié de M. Dominique De Legge. – Rectification.
Amendement n° 101 rectifié bis de M. Dominique De Legge. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 9 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 33 rectifié ter de M. Olivier Cadic. – Rejet.
Amendement n° 34 rectifié bis de M. Olivier Cadic. – Rejet.
Amendement n° 44 de Mme Corinne Bouchoux. – Rejet.
Amendement n° 71 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 81 rectifié bis de Mme Annie David. – Rejet.
Amendement n° 82 rectifié bis de Mme Annie David. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
18. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jackie Pierre,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 11 juin a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Convocation du Parlement en session extraordinaire
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 12 juin 2015 portant convocation du Parlement en session extraordinaire.
Je donne lecture de ce décret :
« Le Président de la République,
« Sur le rapport du Premier ministre,
« Vu les articles 29 et 30 de la Constitution,
« Décrète :
« Article 1er - Le Parlement est convoqué en session extraordinaire le mercredi 1er juillet 2015.
« Article 2 - L’ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra :
« 1. Le débat d’orientation des finances publiques ;
« 2. L’examen ou la poursuite de l’examen des projets de loi suivants :
« - Projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ;
« - Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;
« - Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi ;
« - Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
« - Projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ;
« - Projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 ;
« - Projet de loi relatif à la réforme de l’asile ;
« - Projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté ;
« - Projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer ;
« - Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ;
« - Projet de loi relatif au droit des étrangers en France ;
« - Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap.
« 3. L’examen ou la poursuite de l’examen des propositions de loi suivantes :
« - Proposition de loi tendant à faciliter l’inscription sur les listes électorales ;
« - Proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre.
« 4. L’examen ou la poursuite de l’examen des projets de loi autorisant l’approbation des accords internationaux suivants :
« - Projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc ;
« - Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français ;
« - Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et son Protocole de Kyoto concernant la vingt et unième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la onzième session de la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au Protocole de Kyoto et les sessions des organes subsidiaires ;
« - Projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre dans le domaine de l’enseignement ;
« - Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.
« 5. Une séance de questions par semaine.
« Article 3 - Le Premier ministre est responsable de l’application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
« Fait le 12 juin 2015.
« Par le Président de la République :
« Le Premier ministre,
« Manuel Valls »
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, la conférence des présidents, qui se réunira demain à dix-neuf heures trente, permettra d’établir le programme de la session extraordinaire. Il sera donné lecture de ses conclusions demain soir, à la reprise de la séance.
3
Candidatures à deux organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger, respectivement, au sein du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et au comité consultatif constitué au sein du Comité national de l’eau.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Catherine Génisson pour siéger au sein du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
La commission du développement durable propose la candidature de M. Henri Tandonnet pour siéger au comité consultatif constitué au sein du Comité national de l’eau.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Dépôt d’un rapport
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2014.
6
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. Par lettres en date du 11 juin 2015, M. le président du Conseil constitutionnel m’a communiqué : d’une part, les textes de cinq décisions rendues le 11 juin 2015 par lesquelles le Conseil constitutionnel, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en application de l’article L. 52-15 du code électoral, a déclaré MM. François Aubey, sénateur du Calvados, Jean-Patrick Courtois, sénateur de Saône-et-Loire, Pierre Jarlier, sénateur du Cantal, et Aymeri de Montesquiou, sénateur du Gers, inéligibles pour une durée d’un an à compter de ces décisions et démissionnaires d’office de leur mandat de sénateur, et a décidé qu’il n’y avait pas lieu de déclarer M. Marc Laménie inéligible, en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral ; d’autre part, le texte d’une décision rendue le 11 juin 2015 par laquelle le Conseil constitutionnel a rejeté une requête concernant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 28 septembre 2014, pour l’élection de trois sénateurs dans le département du Calvados.
Acte est donné de ces communications.
7
Remplacements de sénateurs
M. le président. Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre de l’intérieur m’a fait connaître que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mmes Corinne Féret et Marie Mercier sont appelées à remplacer respectivement, en qualité de sénatrice du Calvados et de sénatrice de Saône-et-Loire, MM. François Aubey et Jean Patrick Courtois, démissionnaires d’office de leur mandat de sénateur.
Les mandats de ces deux sénatrices ont débuté le vendredi 12 juin à zéro heure.
8
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de députés de l’Assemblée nationale populaire de la République populaire de Chine, conduite par M. Chi Wanshun, membre du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, vice-président de la commission des affaires étrangères et président du groupe d’amitié Chine-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes se lèvent.)
Notre groupe d’amitié « France-Chine », animé par notre collègue Didier Guillaume, reçoit aujourd’hui au Sénat cette délégation, qui est arrivée en France hier.
Cette visite se déroule à Paris autour des thèmes des « positions respectives de nos deux pays sur le changement climatique dans la perspective de la Conférence de Paris de décembre 2015 et des efforts engagés pour parvenir à un accord général à Paris », d’une part, et de la législation sur l’assurance maladie, d’autre part.
Au Sénat, nous attachons une grande importance à la préparation de cette conférence de Paris. À cet égard, dans le cadre de l’union interparlementaire, se tiendra le 6 décembre au Sénat, après l’Assemblée nationale, une journée au cours de laquelle nous accueillerons nos homologues de l’Assemblée nationale populaire de la République populaire de Chine.
Votre visite s’achève demain. Soyez les bienvenus au Sénat, chers collègues chinois ! (Applaudissements.)
9
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement de M. Jean-René Lecerf.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour cette élection.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à votre disposition.
Le juge suppléant nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Jackie Pierre et Mme Catherine Tasca, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote.
Mes chers collègues, je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République. Il sera clos dans une demi-heure.
10
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’organisation de ce débat préalable.
L’ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin sera particulièrement dense. Outre des sujets programmés de longue date et tout à fait essentiels, comme la politique de sécurité et de défense commune ou l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, seront abordées des questions liées à l’évolution de la situation en Europe qui nécessitent des débats et des décisions. Je pense en particulier à la crise des migrations en Méditerranée et aux demandes du Royaume-Uni.
Il s’agira du premier Conseil européen après les élections britanniques. Le Premier ministre du Royaume-Uni a indiqué qu’il présenterait à cette occasion les demandes spécifiques dont il souhaite l’examen en vue du référendum dans son pays. Le Conseil européen devra donc décider de la méthode selon laquelle celles-ci seront traitées.
Il est également possible, même si cela n’est pas inscrit à l’ordre du jour de ce Conseil européen, que la situation de la Grèce soit débattue, soit lors des sessions, soit en marge de ces dernières, compte tenu de l’évolution de la situation au sein de l’Eurogroupe. J’y reviendrai.
Je voudrais principalement centrer mon propos sur trois enjeux essentiels de l’ordre du jour : les questions migratoires, les questions de sécurité et de défense et les questions économiques.
L’Europe est confrontée à une crise d’une ampleur sans précédent sur les questions migratoires.
Au cours des derniers mois, le nombre d’arrivées de migrants en Europe s’est fortement accru, non seulement en Italie, mais aussi en Grèce et dans les Balkans. Cette situation est liée notamment aux guerres en Syrie, en Somalie, au Soudan, mais également à des dictatures, comme en Érythrée, et également à la pauvreté et au sous-développement dans de nombreux pays d’Afrique. À cela s’ajoute la situation d’un État failli, la Libye, devenue le lieu de tous les trafics, y compris le trafic d’êtres humains.
Les répercussions d’une telle situation se font ressentir dans toute l’Europe, y compris en France, et pas seulement dans les pays de premières arrivées. Face à l’urgence dramatique qui résulte des naufrages en Méditerranée, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé, lors d’un Conseil européen extraordinaire le 23 avril dernier, de renforcer les moyens de surveillance des frontières extérieures dont dispose l’agence FRONTEX, ainsi que les opérations Triton et Poséidon, menées en Méditerranée pour sauver des vies humaines.
La France a rapidement répondu à cet appel en mettant des moyens navals et aériens supplémentaires à la disposition de FRONTEX. Toutefois, le Conseil européen a appelé à une réponse globale, qui porte sur la lutte contre les trafiquants, l’appui et la coopération avec les pays de transit et d’origine quand cela est possible, la solidarité et la responsabilité des États européens dans l’accueil des réfugiés et le traitement de l’immigration illégale.
À nos yeux, le respect de ces deux principes, responsabilité et solidarité, est essentiel.
La Commission a, depuis lors, formulé des propositions, dans le cadre de son agenda pour les migrations. Certes, ces propositions doivent être complétées et améliorées ; nous avons besoin d’un dispositif global, avec des dispositions étroitement interdépendantes.
Nous avons adopté avec l’Allemagne une position commune sur le mécanisme de répartition solidaire des personnes relevant d’une protection internationale, que l’on appelle parfois relocalisation. Cette position a été rappelée dans un communiqué conjoint de Bernard Cazeneuve et de son homologue Thomas de Maizière, le 1er juin dernier.
Nous sommes favorables à l’examen de la proposition de la Commission, mais nous souhaitons la renforcer et l’améliorer en la modifiant sur certains points.
Premièrement, le mécanisme de répartition solidaire, qui répond à une situation d’urgence, doit rester exceptionnel et temporaire. Nous ne souhaitons pas que les règles communes de Dublin concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Europe soient remises en cause.
Deuxièmement, la relocalisation ne peut s’envisager qu’à condition que d’autres mesures destinées à encadrer l’afflux actuel de migrants soient également mises en place. Je pense en particulier, et c’est pour nous essentiel, à la création de zones d’attente ou d’accueil à la frontière, que la Commission a baptisées hotspots. Le dispositif doit permettre l’enregistrement de l’identité et de la situation des nouveaux arrivants, la prise d’empreintes digitales et l’identification rapide de ceux des migrants qui sont en « besoin manifeste de protection », à commencer par les Syriens et les Érythréens. Ils pourront être accueillis dans les différents États membres, conformément au mécanisme de répartition. Ces zones d’attente devront aussi permettre l’identification des personnes ne relevant pas de la protection internationale au sens du droit d’asile et devant faire l’objet d’un retour dans leur pays.
Les migrants n’appartenant à aucune de ces catégories verront leur situation traitée dans le cadre des procédures habituelles, notamment les procédures d’examen des demandes d’asile.
Pour mettre en place de telles zones d’attente, le soutien de l’Union européenne est indispensable ; on ne peut pas considérer que ces mesures sont à la charge de l’Italie ou de la Grèce seulement.
Soutien financier d’abord : la Commission a d’ores et déjà décidé une augmentation du budget de l’Union consacré à ces questions, et nous nous en félicitons.
Soutien juridique ensuite : il est essentiel que chaque État membre dispose des procédures pour organiser ces zones d’attente.
Soutien logistique enfin : il faut pleinement mobiliser FRONTEX, le bureau européen d’appui en matière d’asile, ou EASO, et Europol, dont les experts doivent être présents sur place.
Pour sa part, la France est prête à apporter un soutien plein et entier à l’Italie et à la Grèce, en mettant à disposition l’expertise nécessaire au fonctionnement de ces zones d’attente.
Troisièmement, l’effectivité d’une politique de retour est indispensable. Le commissaire Dimítris Avramópoulos a transmis des pistes intéressantes à cet égard.
C’est tout l’enjeu des accords de réadmission. Un dialogue politique à haut niveau en direction des principaux pays d’origine et de transit doit être engagé sans même attendre le sommet entre l’Union européenne et l’Afrique qui se tiendra sur ces sujets à Malte à l’automne prochain.
Le traitement de ces deux questions, mise en place des zones d’attente et effectivité d’un dispositif de retour à partir de celles-ci, devrait permettre l’adoption rapide d’un dispositif d’ensemble cohérent sur la base des propositions de la Commission.
Cela étant, il nous faudra également discuter des critères de répartition proposés par la Commission. En effet, la France souhaite que les efforts d’accueil antérieurs des demandeurs d’asile soient mieux pris en compte.
Vous le savez, à l’heure actuelle, cinq pays accueillent près de 75 % des demandeurs d’asile. Il faut donc que la solidarité s’exerce entre États membres dans ce domaine et que ce critère soit mieux pondéré dans la répartition proposée.
Le dispositif doit être complété par les autres volets de l’action européenne, en particulier la lutte contre le trafic de migrants, avec l’opération EUNAVFOR Med, pour laquelle nous demandons un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de pouvoir intervenir en haute mer et, au besoin, dans les eaux territoriales libyennes.
En outre, et je l’ai indiqué, la coopération doit être renforcée avec les pays d’origine et, plus encore, avec les pays de transit. Le Niger exige une attention particulière. Ce pays est confronté à un afflux massif de migrants. Une grande partie des routes menant, plus au nord, en Libye passent par son territoire, en particulier par la ville d’Agadez. Le Niger a donc besoin d’un appui très fort de la part de l’Union européenne.
Le deuxième grand enjeu de ce Conseil européen est lié à l’emploi, à la croissance et à l’investissement.
Je me réjouis que nous ayons tenu l’objectif fixé par le Conseil européen quant au calendrier d’adoption du plan Juncker pour les investissements. Le règlement sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques a bien été adopté. Il entrera en vigueur avant la fin du mois de juin. C’était l’objectif du Président de la République et du Conseil européen. Le plan d’investissement pourra donc entrer dans une phase opérationnelle dès le second semestre de cette année.
Sans attendre, la Banque européenne d’investissement, ou BEI, a retenu sur ses fonds propres plusieurs projets éligibles au plan Junker. Ce programme comprend en particulier deux projets français : un plan de 420 millions d’euros en faveur de l’innovation dans les PME et les ETI, conçu et proposé par Bpifrance, et un plan de rénovation énergétique de 40 000 logements, soutenu à hauteur de 400 millions d’euros.
M. François Marc. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Le Conseil européen traitera également de la stratégie numérique, et plus particulièrement de sa dimension « marché intérieur », sur la base de la communication de la Commission en date du 6 mai dernier.
En la matière, deux points seront particulièrement importants pour nous. D’une part, il faudra veiller à ce que cette stratégie reste globale. Elle doit porter à la fois sur la régulation des plateformes et sur la fiscalité juste, tout en assurant la protection des droits d’auteur et le financement de la création. D’autre part, cette stratégie doit permettre le soutien à l’investissement numérique en Europe. La croissance et la création d’emplois dans de très nombreux secteurs de l’industrie et des services en dépendent.
Le Conseil européen abordera également l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, avec le rapport des présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, la BCE et de l’Eurogroupe, un cinquième président, celui du Parlement européen, y contribuant désormais également.
Sur ce sujet aussi, une position commune franco-allemande structure aujourd’hui le débat.
L’enjeu, c’est l’avenir de la zone euro. Quelles leçons tirer de la crise ? Au-delà des mécanismes mis en place à la suite de cette dernière – je pense en particulier à l’Union bancaire et au mécanisme européen de stabilité –, comment faire en sorte que la zone euro contribue davantage non seulement à la stabilité, mais aussi à la croissance ?
Cette position franco-allemande, autour de laquelle les débats s’organisent, identifie quatre axes de travail.
Premièrement, il convient de définir une politique macroéconomique agrégée au niveau de la zone euro. À l’avenir, nous souhaiterions que les recommandations par pays, émises dans le cadre du semestre européen, découlent d’une recommandation à l’échelle de la zone euro tout entière. Ainsi, la situation de l’ensemble de cet espace serait analysée et prise en considération. Une stratégie de croissance et de convergence serait définie à ce niveau, puis déclinée pays par pays.
Deuxièmement, nous souhaitons placer un objectif de convergence économique, fiscale et sociale au cœur de la coordination des politiques économiques de la zone euro. Certes, on peut se féliciter de voir de nombreux pays européens sortir de la crise. Mais ce n’est pas le cas de tous les États membres ; j’ai déjà évoqué la situation de la Grèce. Aujourd’hui, nous assistons à une divergence des situations économiques entre États de la zone euro.
Troisièmement, la stabilité financière et les investissements sont une priorité. Le plan Juncker y répond en partie. Mais nous pensons qu’il faut également envisager une capacité budgétaire de la zone euro.
M. François Marc. Eh oui !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Quatrièmement, il faut assurer le renforcement de la gouvernance de la zone euro, pour accroître son efficacité et sa légitimité. À ce titre, la question du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen dans la gouvernance de la zone euro se pose.
Nous sommes d’accord avec l’Allemagne pour que ce programme soit mis en œuvre dans le cadre institutionnel actuel, c’est-à-dire à traités constants. (MM. François Marc et Daniel Raoul acquiescent.) Ne faisons pas d’une hypothétique et, selon nous, improbable réforme des traités le préalable à une amélioration de la gouvernance de la zone euro et de l’efficacité de la coordination des politiques économiques en son sein.
Lors de ce Conseil européen, il sera important d’obtenir une réaffirmation de nos priorités en matière de lutte contre l’évasion fiscale et les stratégies d’optimisation agressives, afin que les travaux s’accélèrent sur la base des propositions de la Commission européenne.
M. le président. Je vous prie de bien vouloir vous diriger vers votre conclusion, monsieur le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. J’évoquerai donc plus rapidement le troisième enjeu, pourtant très important lui aussi, de ce Conseil, c’est-à-dire la mise en œuvre des décisions prises lors du Conseil européen de décembre 2013 en matière de sécurité et de défense.
L’évolution de l’environnement européen, la crise en Ukraine ou la situation en Irak, en Syrie ou en Libye rendent encore plus nécessaires les avancées que nous appelons de nos vœux à cet égard.
Il faut aller vers une stratégie européenne de sécurité intérieure. Les travaux vont se poursuivre sur la base de la proposition de la Commission.
L’élaboration d’une nouvelle stratégie de politique étrangère et de sécurité constitue un autre enjeu. La Haute représentante devrait soumettre une proposition.
La politique de sécurité et de défense commune doit permettre de renforcer le financement des opérations extérieures, notre base industrielle commune et notre capacité à agir ensemble pour assurer la sécurité du continent européen.
Tels sont les principaux sujets à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Je serai évidemment à votre disposition au cours de nos débats pour aborder d’autres points, comme la situation de la Grèce.
Nous voulons que ce Conseil permette d’avancer dans la direction d’une Europe de la croissance, c’est-à-dire une Europe qui protège et qui assume ses intérêts et ses valeurs. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.) Tels sont les axes de la politique européenne de la France ; ils seront évidemment au cœur des travaux du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. Michel Mercier applaudissent également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique.
La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis, pour une durée d’une heure au maximum, nous aurons une série de questions, avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen aura un ordre du jour très chargé.
Une fois encore, l’Ukraine sera parmi les principales préoccupations, car la situation y reste très fragile, malgré les accords de Minsk II. Régulièrement, le cessez-le-feu est menacé de part et d’autre. Force est d’admettre que nous sommes dans une impasse. Ce constat relance le débat sur la stratégie à adopter pour tenter de résoudre cette crise.
Les sanctions à l’égard de Moscou seront évidemment un point important de débat lors du prochain Conseil européen, puisqu’il sera procédé à leur évaluation. Nous le savons, deux lignes, celle du renforcement des sanctions et celle du maintien à leur niveau actuel de toutes les mesures adoptées, s’opposent.
Si l’effet des sanctions était facilement quantifiable, il serait plus aisé de se prononcer sur le principe de leur éventuel renforcement. Or, si l’on observe un net ralentissement de l’économie russe, le pays est d’abord profondément affecté par la baisse des cours du pétrole et du rouble, ainsi que par des problèmes structurels. La pression des sanctions est un fait, mais nous ne sommes pas certains de son ampleur et encore moins de son efficacité véritable.
M. Yvon Collin. C’est sûr !
M. Jean-Claude Requier. Voilà pourquoi il est essentiel de poursuivre le dialogue avec la Russie, comme l’a toujours préconisé le groupe du RDSE.
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. Jean-Claude Requier. En effet, nous souhaitons que l’Union européenne définisse collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre avec la Russie, loin des postures de la guerre froide.
Cette vision suppose une certaine souplesse, dont le Conseil européen devrait, à mon sens, faire preuve pour aborder les sanctions.
Certes, on peut comprendre qu’une certaine fermeté soit affichée par les grands dirigeants à l’issue du G7. Mais l’Union européenne doit également garder une attitude ouverte et indépendante. Elle doit rassembler son camp sur une ligne compatible avec ses intérêts, et non sous la pression des États-Unis. Ces derniers, nous le savons, sont favorables à un durcissement des sanctions plutôt qu’à un statu quo. Mais les intérêts des États-Unis sont-ils systématiquement les nôtres ? Cela demanderait vérification. (M. Yvon Collin acquiesce.)
Aussi, avant d’aller au-delà, il faut tenir compte du délai fixé à la fin de l’année pour tirer le bilan de la bonne application des accords de Minsk II.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que la France défendra cette position mesurée. Comme l’ont rappelé nos collègues de la commission des affaires européennes dans leur rapport d’étape consacré aux relations entre l’Union européenne et la Russie sous le régime des sanctions, il faut « sortir de la méfiance réciproque » et « renouer avec une approche coopérative ».
Il ne s’agit pas de faire plaisir à la Russie. Mais, qu’on le veuille ou non, c’est un pays qui compte et c’est notre allié dans d’autres combats difficiles que nous avons à mener. Je pense en particulier à la lutte contre le terrorisme international, qui sera également à l’ordre du jour du Conseil européen.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Les attaques qui ont eu lieu à Bruxelles, Paris et Copenhague ont accéléré la politique européenne en matière de lutte contre le terrorisme depuis le début de l’année.
Une récente enquête menée au sein de l’Union européenne a démontré que les Européens considéraient de plus en plus le terrorisme et l’extrémisme religieux comme les principaux défis pour la sécurité de l’Union. Afin de répondre à leurs attentes, l’Union européenne a présenté au mois d’avril dernier son programme en matière de sécurité pour les années 2015 à 2020. Ce programme vise le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité.
Quelques-uns de nos collègues du Parlement européen ont jugé la stratégie européenne plutôt sécuritaire. Toutefois, le programme a été, dans l'ensemble, bien accueilli : il présente des avancées intéressantes. Je pense à la création, au sein d’Europol, d’un centre de lutte contre le terrorisme mettant en commun les ressources et l’expertise disponibles des pays membres de l’Union.
On peut également noter la création du pôle européen de connaissances, destiné à traiter la question de la radicalisation et des filières djihadistes qui affectent particulièrement la France.
Ces mesures, et bien d’autres vont dans le sens du décloisonnement des polices et des systèmes judiciaires. Elles sont dans l’esprit de la proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat le 1er avril dernier, un texte que le RDSE a approuvé. Nous sommes pour une approche très coopérative tant que les droits fondamentaux sont respectés et que les libertés publiques sont assurées.
Toutefois, comme je l’avais déjà fait lors du débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février, je rappelle que la politique de lutte contre le terrorisme passe aussi par une approche commune des risques extérieurs. Or la France se trouve souvent esseulée parmi les membres de l’Union européenne quand il s’agit de s’engager fortement sur les théâtres régionaux alors que l’addition des vingt-huit armées de l’Union en ferait la deuxième plus grande armée au monde après la Chine !
L’Europe de la défense est trop incantatoire, alors que les enjeux de sécurité se multiplient sur notre territoire, mais aussi à nos frontières. On ne peut pas à la fois rester inactifs dans les conflits qui se déroulent au Proche-Orient et déplorer la pression migratoire qui s’accentue aux portes de l’Europe.
J’en viens ainsi à un autre point de l’agenda européen, la question des migrants. Si l’Espagne, l’Italie et la Grèce sont les trois pays qui vivent plus particulièrement au quotidien le drame des migrants traversant la Méditerranée, nous sommes tous émus par cette tragédie sans fin, qui a déjà coûté la vie à des milliers de personnes.
Nous sommes surtout tous conscients que la réponse doit venir de l’Europe entière. Pour autant, on ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe comment, et instaurer des quotas de migrants ! Sur quels critères ? De deux choses l’une : soit on a droit à l’asile, soit on doit faire l’objet d’une procédure de reconduite à la frontière !
Sans nier la tradition d’accueil et d’humanisme d’une majorité de pays européens, il serait souhaitable que la Commission fasse de meilleures propositions dans son plan d’action pour l’immigration et l’asile ou mette en avant des mesures compatibles avec les principes fondamentaux du droit d’asile.
Ainsi, il me semblerait préférable de renforcer les moyens de FRONTEX, qu’il s’agisse de ses forces navales ou de l’agence en général, afin de lui permettre, par exemple, de recruter des officiers de liaison dans les pays de départ, comme cela vient d’être fait en Turquie.
Mes chers collègues, dans ce dossier, la solidarité doit être pleine et entière. Quelles que soient les difficultés économiques que traversent les pays de l’Union européenne, chacun d’entre eux représente un « eldorado » pour des milliers de gens poussés hors de chez eux par la guerre et la misère.
J’en viens à l’un des autres grands sujets qui seront débattus la semaine prochaine à Bruxelles : les recommandations du Conseil pour aider les pays de l’Union européenne à surmonter les freins à la croissance.
Bien entendu, les marges de manœuvre restent très réduites dans ce contexte de reprise portée par les vents arrière que sont la baisse des prix du pétrole et un taux de change favorable à l’euro.
Il nous faut donc trouver l’équilibre entre la nécessaire consolidation des finances publiques par un programme de stabilité et le souci de ne pas étouffer ce début de croissance par une politique budgétaire trop restrictive.
Plus que la France, c’est la Grèce qui focalise l’attention du Conseil européen. Comme vous le savez, mes chers collègues, les négociations avec son gouvernement butent en partie sur la réforme des retraites et la hausse de la TVA. L’accord sur un excédent budgétaire primaire de 1 % cette année pourrait peut-être débloquer la situation.
En attendant, à l’instar de la plupart des Européens convaincus, le groupe RDSE ne souhaite pas un Grexit, pour reprendre le jargon en vogue.
Mes chers collègues, tels sont les éléments dont nous souhaitions vous faire part dans un débat qui aurait sans doute mérité plus de temps, compte tenu de l’ordre du jour très chargé du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne traverse une période trouble, entre sortie de crise difficile et montée des tensions internationales à nos frontières.
La volonté de combattre ces troubles domine l’ordre du jour de la réunion des 25 et 26 juin prochains, au détriment, peut-être, d’une réflexion indispensable sur la nécessité d’une stratégie européenne.
Les questions économiques constituant le deuxième point inscrit à l’ordre du jour, je souhaiterais mettre en avant les profondes lignes de faille qui sous-tendent notre économie continentale.
Au-delà même de cette crise, dont notre continent peine encore à sortir, les inégalités se creusent : l’Europe représente 6 % de la population mondiale, dispose de 22 % de la richesse mondiale, et engage 50 % des dépenses sociales du monde.
Le corollaire de ces inégalités est le creusement d’importantes disparités de développement, qui expliquent largement les carences actuelles de l’économie européenne.
Le financement de cet effort est abandonné à la seule charge des États et pèse sur nos entreprises comme sur l’emploi. En France, malgré un taux de chômage élevé, près de 55 % des TPE n’ont pas d’employé. Des réformes de flexibilité, concernant en particulier le SMIC, pourraient peut-être conduire à la création de nombreux emplois.
Nous avons collectivement besoin de réformes sur le continent. Le projet de loi Macron a beau impressionner par le nombre de ses articles, il n’en demeure pas moins un collage de mesures, certes sympathiques à l’occasion, mais dont l’effet d’entraînement économique demeure très faible. La libéralisation des autocars ou la réforme du tarif des notaires ne suffira pas à contrebalancer Apple, Google ou cette « Uberisation » de l’économie en Europe.
Je m’adresse à votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État : afin de mener de nouveau une politique industrielle ambitieuse, la France doit impérativement opérer à court terme trois à quatre grandes réformes structurelles visant à l’adapter à la réalité d’une économie globalisée. Il faut réformer les retraites, l’État, le temps de travail et rendre le code du travail moins obèse !
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous devons impérativement nous libérer des marges de manœuvre, opérer une substitution entre dépenses d’investissement et dépenses de redistribution, afin de préparer notre avenir européen. Avec 57 % du PIB consacré à la dépense publique, dont la moitié, soit plus de 1 000 milliards d’euros pour la seule sécurité sociale, il devient évident que nous gérons plus l’urgence du présent que les enjeux de l’avenir.
Une telle évolution est d’autant plus nécessaire que nos besoins en matière de sécurité et de défense vont s’accroître dans les années à venir. Les tensions aux frontières de l’Union se multiplient, en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Libye, en Méditerranée, sans parler du terrorisme international ! L’effort de défense sera aussi, et surtout, un effort financier, au moins durant les prochaines années.
Le cadre sécuritaire de l’Europe a profondément changé en douze ans. Aussi, il faut aller plus loin qu’une simple actualisation de la stratégie 2003. Nous avons besoin d’un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense. Le document qui vient d’être publié en anglais, aujourd’hui, sur le site de la Commission européenne en tient un peu lieu.
Quand allons-nous construire une défense européenne, si ce n’est aujourd’hui, avec toutes les tensions que traversent le monde et l’Europe ? Pourquoi, alors que la France est la première puissance militaire européenne, ne prenons-nous pas l’initiative d’une coopération structurée permanente avec une dizaine de pays, dont le Royaume-Uni ? Le traité de Lisbonne nous le permet !
Une telle action ne serait pas contradictoire avec l’état d’esprit ayant prévalu lors de l’accord de Saint-Malo entre Jacques Chirac et Tony Blair, qui préconisait une solidarité et une coopération plus étroites entre l’OTAN et l’Union européenne.
Il serait important de bâtir très vite un agenda positif sur la cyberdéfense ou la guerre hybride et de faire reconnaître notre contribution au renforcement de la sécurité des alliés ; je pourrais évoquer la base industrielle et technologique de la défense, la BITDE, et les projets capacitaires européens.
Prenons l’exemple de l’Ukraine, qui constitue un cancer entre l’Europe et la Russie depuis longtemps. Les tensions qui traversent ce pays sont graves, mais les accords de Minsk, et je salue l’action du Président de la République à cet égard, offrent un gage de stabilité en tant qu’ils fixent une ligne rouge à ne pas franchir, du côté tant des rebelles que du gouvernement.
À ce titre, il faut veiller à ce que ces accords soient respectés. Or il est impossible de faire respecter Minsk sans une relation saine et franche avec la Russie. On ne saurait donc faire de la Russie le facteur unique de troubles dans la région sans alimenter à notre tour les tensions à l’Est. Je regrette que le Parlement européen ait voté contre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie mercredi dernier.
Au demeurant, la relation avec la Russie est incontournable dans la gestion des crises syro-irakienne et libyenne. Sans l’appui de la Russie, une intervention sous l’égide du chapitre VII de la Charte des Nations unies est impossible. Nous savons pourtant tous qu’aucun État européen ne prendra le risque d’une intervention solitaire, sans l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU.
Je souhaite également dire un mot sur la crise migratoire en Méditerranée. Au mois de février dernier, monsieur le secrétaire d’État, je vous avais alerté dans ce même hémicycle contre le danger de voir la Libye se changer en bombe migratoire. Cette situation présente également un risque terroriste pour l’Europe. En effet, comme M. le ministre de la défense l’a rappelé devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 200 kilomètres de côtes libyennes sont contrôlés par Daesh !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Eh oui !
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous savons pourtant très bien que l’Italie seule ne pourra pas juguler le flot de l’immigration clandestine et qu’un simple renforcement des patrouilles ou des moyens de FRONTEX sera insuffisant à canaliser ces flux.
Au demeurant, la population africaine pourrait atteindre 2 milliards d’habitants à l’horizon 2050, dont une large majorité de jeunes individus dynamiques et créatifs, qui seront attirés par l’Europe. Nous ne pourrons pas assumer la charge de la maîtrise de tels flux à destination de notre continent sans des solutions innovantes en relation avec les gouvernements africains. Quelles propositions le Président de la République fera-t-il en ce sens au prochain Conseil européen ?
La sortie de la Grèce de la zone euro poserait un véritable problème. Ce Grexit entraînerait l’effondrement de la drachme, une augmentation de la dette, une difficulté d’accès aux marchés extérieurs et une explosion de l’inflation. En plus, ce serait un coup de canif porté à la notion de solidarité, qui est inhérente au projet européen.
Par ailleurs, que font l’Union européenne et la BCE vis-à-vis de Goldman Sachs, qui porte une responsabilité profonde dans la situation ? Cette banque a échangé de la dette grecque à un taux fictif en 2001 et a aidé la Grèce à maquiller ses comptes ! Il s’agit tout de même d’une extraordinaire tricherie ! Les Américains n’ont pas eu les mêmes pudeurs lorsqu’ils ont infligé une amende de plus de 6 milliards d’euros à BNP Paribas, et pour une peccadille par rapport à ce qui s’est passé en Grèce ! Pourquoi l’Europe reste-t-elle inactive ? Est-ce parce que M. Draghi vient de Goldman Sachs ? Lui-même affirme qu’il n’entretient plus de liens avec cette banque ! Les chefs d’États européens devraient prendre une initiative.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il n’est pas admissible que Goldman Sachs puisse poursuivre ses activités en portant une telle responsabilité dans la situation grecque !
Enfin, le projet de référendum sur l’appartenance à l’Union européenne du Royaume-Uni laisse entrevoir les prémices d’un grand détricotage européen, que je ne souhaite pas.
La demande britannique et la tentation du Brexit cachent une interrogation latente : quelle Europe voulons-nous ?
Faut-il, comme le propose l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, reconnaître sans ambiguïté l’existence de deux projets en Europe ? Nous aurions ainsi un projet d’intégration monétaire, budgétaire et fiscale intéressant seulement les États membres de la zone euro – le Royaume-Uni n’en fait pas partie, et personne ne songe à l’y convier – et un projet de remise en état de l’Europe à vingt-huit, grand espace de liberté commerciale ayant un impérieux besoin d’être limité et rénové.
C’est ce deuxième projet qui déterminera la réponse au référendum britannique. Or les mesures à prendre avaient déjà été envisagées dans le projet de Constitution pour l’Europe, un texte approuvé par le Royaume-Uni en 2004 et que le Premier ministre de l’époque, Tony Blair, avait annoncé vouloir soumettre à référendum.
Telles sont les principales observations et questions que le groupe UDI-UC entendait formuler en préparation du prochain Conseil européen, dont nous souhaitons que la France soit un acteur important. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
11
Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures dix ; je déclare clos le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il va être procédé au dépouillement.
12
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renseignement est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
13
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques mois, l’Europe découvre en Méditerranée une situation humanitaire tragique, qui a déjà causé des centaines de victimes.
Je dis : « découvre », mais je devrais plutôt dire : « feint de découvrir ». Depuis des années, ce sont des flots de migrants poussés par les désordres du monde qui arrivent, dans des conditions déplorables, sur les côtes de l’Union européenne.
Plus de 100 000 migrants et réfugiés seraient arrivés en Europe depuis le début de l’année 2015, via la Méditerranée. Cette situation soulève de nombreuses questions.
Tant que leur course désespérée finissait discrètement sur la petite île de Lampedusa, aujourd’hui à saturation, l’Union européenne se contentait de gérer a minima, laissant à l’Italie la plus grande partie de la charge du sauvetage, à travers l’opération Mare Nostrum.
Semblant prendre conscience des enjeux, et sous la pression de l’Italie, l’Union européenne a lancé l’opération Triton, pilotée par l’agence européenne FRONTEX.
Je relève d’emblée le manque d’ambition et de moyens de cette mission, censée être commune. Nous avons déjà évoqué dans cet hémicycle, lors des débats sur la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme, les difficultés et l’insuffisance des moyens de ladite agence, dont le budget global correspond à celui de Mare Nostrum.
Dans le cadre de Triton, notre marine nationale, qui doit par ailleurs faire face à ses propres contraintes opérationnelles, maintient en permanence un patrouilleur de haute mer chargé du contrôle des frontières et du recueil de migrants, qui sont pour le moment dirigés vers des ports italiens.
Le premier navire français, qui a recueilli plusieurs centaines de naufragés au mois de mai dernier, a été relevé par l’aviso Commandant Ducuing. Preuve de la tension sur les matériels et de la multiplication des missions, ce navire est, dans le même temps, mobilisé par le plan de contrôle européen de la pêche au thon rouge en Méditerranée. Malgré le professionnalisme des personnels engagés, est-ce un gage d’efficacité d’avoir deux missions assurées par un seul navire ?
De plus, la France effectue les patrouilles de haute mer avec des bâtiments anciens, qui datent souvent de plus de trente ans. Par conséquent, la moindre avarie risque d’engendrer des « trous capacitaires », alors que la livraison de patrouilleurs hauturiers de dernière génération du programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime, dit programme BATSIMAR, n’est pas attendue avant 2024. Je le rappelle, en plus des missions de souveraineté sur notre zone économique exclusive, la France participe avec ce type de navires aux opérations européennes de surveillance de l’immigration illicite et de lutte contre la piraterie, ainsi qu’à la lutte contre le terrorisme dans l’océan Indien.
Monsieur le secrétaire d’État, face à la multiplication des opérations, souvent décidées dans l’urgence même si elles sont justifiées, et au renouvellement lent des matériels, il existe bien un risque de remise en cause de notre capacité de participation à ces missions internationales. Dès lors, le Gouvernement compte-t-il avancer quelques acquisitions de navires ?
Comme pour le terrorisme, les solutions au trafic de migrants résident largement dans la coopération accrue entre les organisations Europol, FRONTEX et Eurojust. Encore faudra-t-il que celles-ci puissent agir. Les annonces récentes vont dans le bon sens, à condition d’être suivies par des actes. La France doit y veiller.
Par ailleurs, les projets de destruction des bases des trafiquants, peut-être par des opérations spéciales, ne seront d’aucun effet durable sur le trafic, qui nécessite seulement au sol des structures légères et quelques bateaux, sauf à maintenir sur les réseaux une pression constante : action en justice ou saisie des avoirs.
Peu de pays européens sont capables, comme la France, de mener la collecte de renseignement et d’engager de telles actions ciblées, dont le coût est élevé. Cela a été souligné par d’autres orateurs, la charge de la sécurité ne repose que sur quelques États.
Par ailleurs, la Méditerranée doit rester une zone d’attention particulière pour la sécurité en Europe. Chaque jour, que ce soit dans des embarcations go fast ou dans des navires de plaisance ou de commerce, d’importantes quantités de stupéfiants remontent par voie maritime d’Afrique du Nord vers nos côtes et inondent le marché européen. Là aussi, quelques États s’endettent pour renforcer leurs dispositifs de lutte, tandis que les narcotrafiquants s’enrichissent et peuvent réinvestir dans l’économie légale. Une grande partie de cette drogue provient du trafic transméditerranéen.
Monsieur le secrétaire d’État, la Méditerranée a plus que jamais besoin d’une politique européenne renforcée contre le narcotrafic international, qui représente une menace pour les États membres de l’Union européenne.
Au-delà, il y a lieu de mener pour l’avenir une réflexion sur les missions de lutte contre l’immigration illégale, le narcotrafic ou la pollution, qui prennent une importance grandissante. Ces missions devraient conduire à une plus large mutualisation et intégration des moyens. Pourquoi ne pas avancer sur la question d’un corps européen de garde-côtes – il pourrait s’agir d’une nouvelle fonction communautaire – face à ces nouveaux enjeux sécuritaires, dans un contexte budgétaire contraint pour les États membres ?
Dans de nombreux domaines, faute de vision stratégique et politique claire, l’Europe traite les problèmes lorsqu’ils se présentent. Le terrorisme ou la crise des migrants en Méditerranée en constituent de tragiques illustrations. La sécurité est longtemps restée une préoccupation secondaire de l’Union européenne, qui est entièrement tournée vers le développement économique et l’extension à l’Est. Mais le monde a changé dans l’environnement immédiat de l’Europe sans que l’Union prenne toute la mesure de ces nouvelles menaces.
Ce modus operandi reporte de fait l’essentiel de la charge vers ceux des États, dont le nôtre, qui ont fait le choix de maintenir un outil de sécurité à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Que représente alors la contribution financière d’un État dans une opération ponctuelle, rapportée au coût d’acquisition et d’entretien permanent de navires, de satellites, de radars ou de drones, que supportent d’autres États ?
L’exemple français montre combien il demeure important de pouvoir disposer, au profit de tous, d’une armée mobilisable tantôt sur terre et dans les airs pour combattre le terrorisme, tantôt sur mer pour lutter contre la piraterie ou le trafic d’êtres humains.
Il me semble dès lors plus que temps de songer à une autre répartition des rôles et des charges pour protéger l’Europe.
En Méditerranée comme ailleurs, les efforts sécuritaires ne représentent qu’un volet des mesures à envisager. La coopération économique et politique et le dialogue sont autant d’instruments à promouvoir avec les pays du voisinage, bien qu’il s’agisse de dispositifs difficiles à mettre en œuvre, et dont les effets se mesureront sur le long terme.
À mon sens, nous ne pourrons pas non plus faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la politique migratoire de l’Union européenne ; nous voyons bien les interrogations qu’elle suscite dans les opinions publiques des États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, au regard de son expérience et de ses capacités, la France doit être en pointe sur ces sujets et de peser de tout son poids, notamment lors du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste et républicain.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 juin prochains sera l’occasion d’établir un premier bilan de l’action de la nouvelle Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker.
L’actualité qu’elle a dû gérer a été particulièrement lourde, et elle l’est encore ces jours-ci. Quels enseignements majeurs doit-on tirer de ce premier semestre de gouvernance en matière économique et institutionnelle ? Quelles options prioritaires doit-on consolider pour l’avenir ? Ce sera le thème dominant de mon intervention.
J’aborderai d’abord le plan Juncker, qui s’attache, nous le savons, à créer de la relance en Europe.
Cela a été maintes fois rappelé, c’est le manque de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans l’apparition de la crise qui a conduit en 2010 les États membres de la zone euro à décider de se concentrer exclusivement sur la baisse des déficits et des dettes publiques. Le plan Juncker se démarque de cette posture et marque la prévalence de la vision française de la relance européenne, portée par le Président de la République, François Hollande.
Le plan d’investissement est l’un des premiers projets majeurs sur lequel un accord vient d’être conclu, pour la création du Fonds européen d’investissement stratégique, le FEIS.
Assis sur un système de garanties, ce fonds est appelé à monter en puissance sur deux ans. D’ailleurs, ce matin, je lisais dans le Quotidien du Peuple…
M. Simon Sutour. Bonne lecture ! (Sourires.)
M. François Marc. … que la Chine envisageait d’investir des sommes importantes dans ce plan européen.
Nous le savons, il ne sera pas simple d’évaluer l’efficacité du FEIS. Il y aura lieu d’identifier ses effets multiplicateurs réels. Je suis en tout cas de ceux qui souhaitent que cette première étape se poursuive au travers d’un projet d’investissement « 2.0 » – vous y avez fait référence, monsieur le secrétaire d’État –, avec la mise en place d’une capacité budgétaire propre à la zone euro.
La politique européenne doit par ailleurs être à même de répondre à un besoin de renouveau. Je pense en particulier au « triple A social ».
Faut-il le rappeler, 23,5 millions d’Européens, dont 5 millions de jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans, sont actuellement sans emploi ? De ce point de vue, le FEIS doit permettre à l’Union européenne d’atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé en 2012 dans sa stratégie UE 2020, à savoir un taux d’emploi de 75 % au moins.
Il est regrettable que la mise en œuvre du « triple A social » se révèle si laborieuse. Quand on sait que le projet européen est en demande de renouveau, des avancées sociales concrètes seraient pourtant un outil puissant de cohésion sociale, porteur de sens pour les populations.
Nous devons avancer sur la base d’une approche intégrée s’agissant de l’Union économique et monétaire. Pour être forte, l’Europe doit être capable de pouvoir indiquer le cap. Il y a un réel besoin de stratégie européenne. Dans cette perspective, comment rendre optimale la gouvernance économique ?
La question est déterminante. La manière dont sera opéré ce renforcement de l’Union économique et monétaire sera révélatrice de la capacité des États membres à aller vers plus d’intégration en matière institutionnelle, sociale, budgétaire et financière.
Pour une relance de l’Europe, le système a besoin de solidarité. Je suis de ceux qui pensent qu’il existe une corrélation entre l’importance des inégalités et la faiblesse du taux de croissance. La solidarité sera un levier puissant de relance européenne. Pour cela, l’Europe doit désormais faire montre de confiance mutuelle.
Cela doit conduire à une authentique coordination des politiques économiques des États membres. On devrait pouvoir élaborer la politique budgétaire et économique de chaque pays à partir d’une analyse globale européenne, et non l’inverse. Une telle option a été mise en avant depuis l’automne 2014, notamment par la Commission européenne, dans le cadre d’un processus de semestre européen, partiellement rénové par la production d’indicateurs économiques et, surtout, sociaux. Que l’Europe passe d’une logique de bâton à une logique de dialogue peut à tous égards susciter un regain d’optimisme.
À mon sens, cette réorientation du modèle de développement européen doit d’abord se faire à traités constants. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, et nous vous soutenons sur ce point.
Les élans extrémistes sont tels que l’Europe prendrait un risque immense à vouloir remettre à plat son fonctionnement dans ce contexte troublé. Il nous semble que les traités existants renferment de nombreux leviers d’action encore inexploités, comme la possibilité des coopérations renforcées.
Face au risque d’implosion dû à ce que les économistes qualifient de « stagnation séculaire », l’Europe et la zone euro ne disposent que de peu de temps pour agir. Alors, comment améliorer la qualité de la décision économique coordonnée au plan européen ?
Premièrement, à mes yeux, un véritable budget de la zone euro s’impose. La question, aujourd’hui bien connue, des ressources propres devra être arbitrée. Il y va de la force de frappe contracyclique de l’Europe.
Deuxièmement, l’Union bancaire doit être parachevée. Il reste beaucoup à faire sur ce point.
Troisièmement, nos bases d’imposition des sociétés doivent être harmonisées. À cet égard, j’attends beaucoup de la rencontre qui se tient demain. Un signal fort doit être adressé sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne, l’ACCIS. D’ailleurs, cet exemple démontre qu’il est tout à fait possible d’activer le pilier fiscal à traités constants. Dans le même esprit, je souhaite qu’une coopération renforcée opportune permette de faire avancer le dossier de la taxe sur les transactions financières.
Quatrièmement, il faut définir un socle social et une protection de base des travailleurs. Je viens d’évoquer le « triple A social ».
Cinquièmement, le contrôle démocratique de la gouvernance doit être renforcé, en particulier avec une meilleure place aux parlements nationaux.
Sixièmement, nous devons recréer de la simplicité et de la cohérence. Comment la décision économique peut-elle être porteuse de sens et mobilisatrice quand on sait que, parfois, seuls quelques experts maîtrisent l’intégralité des règles ?
Septièmement, il est nécessaire d’intégrer une part de souplesse pour prendre en ligne de compte les aléas du réel.
La zone euro a l’avantage d’être un espace économique relativement stable. Il est maintenant indispensable de doter l’Union économique et monétaire d’un pilier politique. Le temps des solutions bricolées à la dernière minute doit laisser la place à un projet ambitieux et courageux.
Les dossiers « chauds » du moment ne peuvent pas nous laisser indifférents. Sur fond d’un dialogue difficile avec le Royaume-Uni, les avis divergent quant à la capacité de l’Europe à s’engager aujourd’hui dans un renforcement de la zone euro. Les uns souhaitent geler tout projet d’intégration plus poussée de cette zone ; les autres soutiennent au contraire son intégration accrue, selon le principe de l’Europe différenciée.
Quoi qu’il en soit, il me paraît souhaitable d’en finir avec les « sommets de la dernière chance ». Pour cette raison, notre groupe réfute toute idée d’abandon politique. Nous soutenons le message d’un intérêt général européen supérieur qui serait envoyé aux marchés.
Dans le cadre des négociations actuelles, notre gouvernement, fidèle à ses positions, doit défendre la solidarité européenne et promouvoir pour la Grèce une option politique de sortie de crise qui soit à la fois équilibrée dans les exigences manifestées à l’égard du peuple grec et porteuse d’espoir pour le renouveau économique du pays. La Commission européenne estimait ce lundi qu’il y a « de la marge pour discuter d’un package juste et progressif ». C’est le souhait que nous pouvons ici formuler.
En tout état de cause, monsieur le secrétaire d’État, le groupe socialiste et républicain vous suivra dans l’ensemble des actions que vous souhaitez entreprendre et dans la détermination que vous avez manifestée en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le moins qu’on puisse dire est que le prochain Conseil européen ne dérogera pas à la tradition ! Les chefs d’État et de gouvernement n’auront que deux petites journées pour tenter d’abattre un ordre du jour toujours plus long et composite.
Quand on survole le programme d’ores et déjà annoncé, auquel s’ajouteront en urgence quelques sujets majeurs d’actualité, on peut se demander quels points seront sérieusement débattus et feront l’objet de véritables avancées.
Au regard de cet ordre du jour en forme de liste à la Prévert, comment peut-on espérer aboutir à des conclusions audibles et à un message politique suffisamment clair ?
Au cours de ces dernières années, l’Union européenne a pris la fâcheuse habitude d’ultra-sectoriser son travail, multipliant ainsi à outrance les chantiers de réforme. Elle arrive désormais à un point de rupture : le morcellement des dossiers a pris le pas sur la cohérence du projet européen. Cette absence de vision globale des enjeux empêche de traiter ceux-ci avec justesse. Car, aux divergences parfois fortes exprimées par les différents États membres, s’ajoutent de plus en plus des divergences de vue et d’approche assez singulières entre les nombreuses directions générales de la Commission européenne sur des questions pourtant fortement liées entre elles.
Une telle divergence d’orientation intracommunautaire s’illustre parfaitement dans deux domaines : celui de la politique européenne du numérique, qui est inscrite à l’ordre du jour du Conseil européen, et celui de la stratégie arctique de l’Union européenne, qui figurera à l’ordre du jour d’un sommet organisé à la fin de cette année.
Permettez-moi d’évoquer d’abord la politique européenne en matière de numérique.
Le 9 mai dernier, la Commission européenne a dévoilé sa stratégie pour mettre en place un marché unique du numérique en Europe, afin, notamment, d’harmoniser la réglementation, d’améliorer l’accès aux biens et services numériques ou encore de maximiser le potentiel de croissance de notre économie numérique. Au total, ce ne sont pas moins de seize textes législatifs qui devront être adoptés d’ici à la fin de l’année 2016, selon la Commission européenne. Même si l’on peut douter du calendrier, il s’agit indubitablement d’une avancée, car les textes actuels sont insuffisants ou obsolètes.
De plus, la Commission européenne commence à se préoccuper sérieusement de la fiscalité des grandes entreprises du numérique. Enfin ! Le chemin est encore long. Il s’agirait d’une fiscalité fondée sur des éléments rattachables à un territoire.
Il est louable de vouloir enfin freiner l’optimisation fiscale pratiquée en matière d’économie numérique, tout comme il est judicieux de vouloir harmoniser les règles applicables. Cependant, cela ne reviendrait-il pas, une fois encore, à considérer l’Union européenne uniquement sous le prisme d’un marché de consommation, et non pas comme un territoire de production, de création d’emplois et de croissance ?
Au cœur de cette stratégie numérique, il y a, en vérité, deux sujets urgents.
Le premier concerne les moyens à déployer pour établir une industrie numérique et européenne solide, qui est aujourd'hui encore naissante. Actuellement, les règles fixées en matière de concurrence empêchent toujours nos États de jouer un rôle incitatif dans ces filières. Comment promouvoir une industrie numérique si celle-ci n’est pas soutenue par les États membres ?
Penser l’Europe du numérique comme un simple débouché économique, et non pas comme un secteur d’activité d’avenir serait une erreur pour l’Union européenne. Le retard que nous avons à rattraper est grand, mais il n’est pas insurmontable, si l’on y consacre toute l’énergie et la cohérence nécessaires.
Alors que se négocient au même moment des accords commerciaux, la question sensible du numérique semble être éludée. Dans le cadre du Transatlantic Free Trade Area, le TAFTA, la Commission européenne déclare haut et fort que ce volet n’est pas inclus dans les négociations. Pourtant, cela ne rassure ni le Parlement européen ni le Conseil national du numérique.
Par ailleurs, des inquiétudes croissantes s’expriment à propos de l’accord sur le commerce des services, en cours de discussion entre vingt-trois membres de l’Organisation mondiale du commerce, dont l’Union européenne et les États-Unis. En effet, ces derniers souhaitent y intégrer le commerce électronique, ce qui constituerait en réalité une porte ouverte à l’introduction d’un volet numérique déséquilibré pour les Européens.
J’en viens maintenant à un autre sujet urgent : la sécurité informatique.
La cybersécurité est au cœur tant du contre-terrorisme que de l’élaboration d’une politique numérique ambitieuse et offensive. Il faut donc trouver une cohérence entre la sécurité intérieure et informatique et le souci de dynamiser le rôle de l’Union européenne dans le domaine du développement des données en nuage et des objets connectés. Or la multiplication récente des cyberattaques a montré la vulnérabilité de nos systèmes d’information et les limites de nos moyens en matière de protection.
Récemment, une étude présentée au Forum économique mondial de Davos montre que, si l’on ne s’arme pas suffisamment contre les cyberattaques, celles-ci pourraient entraîner une perte pouvant atteindre 2 700 milliards d’euros d’ici à 2020. Dès lors, il apparaît vital de développer une véritable culture de la cybersécurité. Ainsi, la déconnexion injustifiée entre les différentes dimensions du numérique au sein des politiques européennes et le goût perpétuel pour l’urgence renforcent l’incohérence et l’absence de vision globale des enjeux.
Toujours à propos de l’absence de cohérence des politiques développées par la Commission européenne, permettez-moi d’évoquer rapidement ici la politique arctique de l’Union européenne.
Comme vous le savez, l’Union européenne devra, à la fin de l’année et parallèlement à la COP 21, définir sa feuille de route pour cette région de plus en plus stratégique qu’est l’Arctique. En effet, si l’Union européenne conduit déjà une politique de voisinage à l’égard de ses confins orientaux et méridionaux et, d’une certaine manière, avec nos voisins nord-américains au travers de traités commerciaux en cours de négociation, elle pèche encore par un manque de véritable politique à l’endroit des pays situés au nord, même si elle compte en son sein trois des huit pays arctiques de la planète.
L’Arctique est une région où les enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi géostratégiques sont considérables. Le lien à établir avec nos politiques en matière de climat et d’environnement, notamment dans la perspective de la COP 21, semble évident : le réchauffement climatique y est deux fois et demie plus rapide et plus élevé que sur le reste de la planète. C’est d’ailleurs le sens de la résolution adoptée au printemps dernier par le Parlement européen et des conclusions du Conseil européen, qui s’est tenu peu de temps après. Cette instance a chargé la Commission européenne et le service européen pour l’action extérieure de préparer la feuille de route européenne pour cette région.
Les positions contenues dans ces deux textes sont d’ailleurs de nature très raisonnable et équilibrée : tout en visant à préserver l’environnement arctique, elles ne nient pas les aspirations des populations arctiques à un renforcement de leur économie, en préconisant une approche liée au développement durable.
Toutefois, pour m’être fortement impliqué dans les travaux préparatoires conduits depuis la fin de l’année 2014 par la direction générale des affaires maritimes et de la pêche au sein de la Commission européenne, chargée de ce dossier, j’observe une dérive inquiétante des objectifs préalables vers une volonté de faire financer, surtout et d’abord, par l’Union européenne des projets dont les maîtres mots sont « croissance », « compétitivité », « infrastructures », « partenariat public-privé, » « effet de levier », le tout dans une région où les appétits spéculatifs pour les ressources fossiles sont déjà excessifs.
Bref, au lieu de tenter de rendre notre politique arctique cohérente avec nos objectifs climatiques et environnementaux, j’ai bien peur que la direction générale des affaires maritimes et de la pêche vise à ne faire de celle-ci qu’un succédané, ici totalement inapproprié, du plan Juncker.
Pour clore mon intervention, je voudrais savoir si, à l’instar de nombre de parlementaires nationaux et européens de tout bord politique, le Gouvernement a conscience de ces dérives et des incohérences politiques qui se multiplient au sein des instances européennes. Entend-il agir de concert avec nos autres partenaires pour y remédier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, et du RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on ne peut que se satisfaire que notre Haute Assemblée ait consacré en l’espace d’une semaine deux débats aux affaires européennes. C’est suffisamment rare pour être souligné. Aujourd’hui, nous débattons des points qui seront évoqués lors du prochain Conseil européen.
Compte tenu de l’actualité, on ne saurait faire abstraction – plusieurs de mes collègues l’ont évoqué – de la question des flux migratoires qui concernent l’Europe et, donc, notre pays. C’est un drame humain qui se déroule sous nos yeux ; la mer Méditerranée est transformée en un vaste cimetière. La décision de l’Union européenne de mettre fin au dispositif italien Mare Nostrum – les bateaux allaient jusqu’à l’approche des côtes africaines –, en activant deux simples dispositifs en matière de surveillance des côtes européennes – il s'agit de Triton en Italie et de Poséidon en Grèce, des opérations menées par l’agence FRONTEX – a donné l’illusion que le renforcement des mesures de sécurité était la solution. Or, en dix ans, plus de 22 000 personnes ont perdu la vie, noyées sur des bateaux de fortune.
L’Union européenne ne peut pas continuer d’ignorer ces enfants, ces hommes et ces femmes qui essaient de sauver leur vie, en échappant, pour certains, à la guerre, pour d’autres, aux persécutions, aux crises économiques ou encore aux conséquences du réchauffement climatique, leurs conditions de vie désastreuses étant souvent dues directement ou indirectement à des politiques dont l’Union européenne porte parfois la responsabilité.
La priorité des priorités de l’Europe doit d’abord être de sauver les vies. Il est indispensable de revaloriser les structures et les moyens de recherche, de sauvetage et d’accueil en Méditerranée. L’Union européenne doit aussi redéfinir sa politique des visas dans le respect des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Elle doit être solidaire des pays méditerranéens de premier asile et garantir la juste répartition des charges en matière d’aide économique et d’accueil. C’est pourquoi nous préconisons pour notre part l’abrogation des règlements de Dublin.
Il faut garantir une entrée sécurisée et légale à tous les réfugiés et migrants, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. Les conditions d’accueil des réfugiés sont véritablement indignes de l’Union européenne et de l’esprit qui sous-tend cette union.
La tragédie qui se déroule en Méditerranée est évidemment une tragédie internationale, qui nécessite une réelle mobilisation – pourquoi pas de l’ONU ? – et un véritable engagement des pays membres de l’Union européenne; cela passerait par un changement de politique envers les pays de la Méditerranée.
En 2015, il est plus que temps d’inventer une véritable politique de coopération et de développement. Les pays développés n’ont respecté aucun des engagements pris pour porter à 0,7 % du PIB la part de la coopération et de l’aide au développement. La part de la France est de 0,36 %, et l'on note un recul de 16 % pour l’ensemble des pays bailleurs de fonds !
L’ONU, en tant que cadre multilatéral de décision et d’action, doit être le cœur du processus de résolution de la catastrophe en cours. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit appuyer les actions du secrétaire général et de ses émissaires en vue de parvenir à un règlement pacifique des conflits actuels. Au sein de cet organe, il est impératif de poser clairement le débat quant aux mesures de solidarité réelles qui doivent être mises en place pour réduire les inégalités sociales et économiques, qui explosent. C’est un nouveau plan mondial, avec des objectifs précis, qui doit être mis en œuvre. Il faut des moyens nouveaux et substantiels.
Dans ce cadre, nous demandons que la France, par le biais de sa politique extérieure et européenne, joue un rôle d’impulsion et de conviction. Notre pays doit changer sa politique d’accueil des migrants. À l’instar des autres pays européens, il doit prendre sa part dans la prise en charge des migrants de manière digne et suivie, à l’inverse de ce qu’il fait actuellement à Calais ou, plus récemment, à Paris. La France n’est jamais si grande que lorsqu’elle promeut ses valeurs républicaines !
Nous avons déjà eu ici l’occasion de nous exprimer sur les choix économiques et financiers de l’Union européenne. Toutefois, même si le sujet de la COP 21 ne sera pas directement abordé lors de ce Conseil européen, permettez-moi de faire une digression, car les recommandations à adresser aux États membres pour mener leurs réformes structurelles y seront évoquées.
Je tiens à le faire remarquer, les enjeux environnementaux sont, malheureusement, largement contrariés par la politique d’austérité accrue et le véritable manque de moyens et d’ambitions. Certes, la déclaration finale du G7 traite bien des enjeux du climat dans la perspective de la conférence Paris Climat 2015, mais elle recèle bien peu d’engagements concrets. Les représentants du G7 pensent le monde, mais prennent en général peu d’engagements pour ce qui les concerne alors même qu’ils sont, pour l’essentiel, responsables des émissions de gaz à effet de serre.
S’engager à réduire, à l’horizon de 2050, de 40 % à 70 % les émissions par rapport à 2010, c’est le minimum évalué par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Dans ces conditions, le risque de dépasser les deux degrés est envisagé.
Une nouvelle fois, la promesse de doter le Fonds vert pour le climat à hauteur de 100 milliards de dollars est énoncée, mais le doute subsiste quant à la date à laquelle cette mesure prendra effet. Pourtant, l’échéance avait été fixée à 2020 lors du sommet de Copenhague.
Les dirigeants – et ce n’est pas étonnant ! – en appellent à la finance, au secteur privé et aux assurances, des secteurs qui acceptent de payer s’ils obtiennent un bon retour sur investissement. Nous sommes bien loin d’une vision solidaire du développement durable à l’échelle de la planète. Il n’est pas sûr que cette déclaration modifie le contenu et le rythme des négociations préparatoires à la COP 21. D’ailleurs, au terme d’une dizaine de jours de négociations à Bonn, les délégués européens expriment une certaine frustration face à la lenteur des progrès. Pour qu’il en soit autrement, il est impératif que les pays membres s’engagent concrètement, sans tarder et de manière exemplaire sur les deux volets de leur feuille de route.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous assurer que le gouvernement français s’engage à porter ses ambitions au sein de l’Union européenne et que cette dernière sera, elle aussi, porteuse de grandes ambitions dans ce domaine ?
Rappelons tout de même que, si la COP 21 était un débat citoyen, le climat serait en passe d’être sauvé ! C’est du moins ce que montrent les premiers résultats du débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie, qui s’est tenu le 6 juin dernier dans soixante-quinze pays.
L’intervention des peuples est décidément plus que nécessaire, afin d’infléchir les politiques nationales et internationales. Toutefois, nous constatons que la Commission européenne a parfois de grandes difficultés à accepter les choix démocratiques des peuples. C’est le cas en Grèce, où les citoyens ont confié au gouvernement de M. Tsipras le mandat de sortir le pays du cercle vicieux dans lequel il est depuis cinq ans.
Oui, le gouvernement grec a refusé la proposition d’accord formulée par ses créanciers ! Mais, il faut le rappeler, ce document, qui comptait à peine cinq pages, ne tenait absolument aucun compte de la proposition d’accord global formulée par Athènes, qui en comptait quarante-sept. Pourtant, cette proposition reprenait les termes issus de plusieurs mois de négociations et laissait place aux concessions fiscales et budgétaires qui ont été obtenues. Selon le chef du gouvernement grec, elle constituait d’ailleurs une « base réaliste » permettant de « parvenir à un accord » qui respectait « le mandat populaire du 25 janvier et les règles communes régissant l’Union monétaire ».
Le peuple grec a suffisamment souffert ! Il est normal que le gouvernement de ce pays refuse de nouvelles coupes budgétaires et toute diminution de salaires et de pensions. De telles mesures ne feraient qu’alimenter les inégalités sociales et conduiraient le pays à la récession. En outre, ce gouvernement conditionne tout accord avec ses créanciers à un programme d’investissements, ce qui apparaît indispensable pour permettre au pays de renouer avec la croissance.
Je souhaite le rappeler ici, la Grèce a tenu ses engagements ; elle a remboursé 17 milliards d’euros à ses créanciers depuis le mois de janvier. En revanche, ces derniers n’ont pas effectué les versements de 7,2 milliards d’euros prévus dans le cadre du deuxième plan d’aide, qui s’achève à la fin du mois de juin.
La Grèce ne demande pas un euro de plus. Elle veut simplement qu’on lui accorde les moyens de se sortir de cette crise et que l’Union européenne respecte le choix démocratique de son peuple. C’est la raison pour laquelle cet accord doit inclure une clause sur « la viabilité de la dette » grecque, afin de « donner une solution définitive face l’incertitude » et à la crise en Grèce et en Europe.
Pour terminer, je voudrais revenir sur la question des négociations du traité de libre-échange transatlantique, le TAFTA, dont nous débattions ici même la semaine dernière. Le dixième cycle de négociations sera très certainement l’occasion de revenir sur le chapitre « services » du traité. Quelle est la position actuelle de la France sur ce sujet ? En effet, l’offre sur les services comprend de très nombreux secteurs d’activités, comme ceux de la santé et de la protection sociale, qui, à nos yeux, doivent être exclus du champ des négociations. Or nous avons relevé que les dernières déclarations de la Commission européenne vont plutôt en sens inverse !
Quelles sont les demandes de la France concernant la nouvelle offre d’accès au marché, et plus particulièrement pour l’agriculture, secteur qui risque d’être fortement affecté ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 juin sera particulièrement important et délicat, compte tenu des questions qui y seront abordées.
En effet, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, réunis à cette occasion, devront reconsidérer la méthode à employer s’agissant des relations avec la Russie et de la situation en Ukraine notamment. Ils devront aussi examiner la mise en œuvre des orientations arrêtées face à la situation en mer Méditerranée et celle des mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme.
Par ailleurs, les négociations avec la Grèce devraient de nouveau s’inscrire au cœur des discussions du prochain Conseil européen. Malgré la main tendue par les partenaires de la Grèce, le gouvernement de M. Tsipras peine à formuler les propositions nécessaires au rééquilibrage pérenne des comptes publics. Or cela conditionne la conclusion d’un accord avec la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
Différents facteurs laissent penser que le gouvernement grec espère obtenir une décision qui lui serait favorable lors du prochain Conseil européen, malgré la menace d’un Grexit et de toutes les conséquences qui en résulteraient. Nous constatons déjà les effets d’un tel scénario sur les taux d’intérêt de certains pays de la zone euro et sur les attentes des acteurs économiques. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous exposiez les solutions envisagées par le Gouvernement pour parvenir à un accord avec la Grèce. Jusqu’à quel point les États européens, notamment la France, sont-ils prêts à aller pour éviter un Grexit ?
Forts de précédents historiques, certains commentateurs préconisent un effacement de la dette grecque. Toutefois, au-delà du fait que beaucoup d’efforts ont déjà été consentis pour alléger ce fardeau, on peut s’interroger sur la pertinence du signal qui serait envoyé à des États qui, comme l’Espagne ou le Portugal, ont réalisé d’importants efforts en contrepartie de l’assistance européenne. Si un compromis est souhaitable, il ne doit pas être obtenu à n’importe quel prix du point de vue budgétaire, mais surtout politique ! La cohérence et la cohésion de la zone euro pourraient souffrir du traitement de faveur excessif accordé à l’un de ses membres, qui n'est pourtant pas le plus coopératif !
La situation de la population grecque est, certes, dramatique, mais qui pourrait affirmer qu’elle le serait moins sans l’aide européenne ? Dans le cadre des négociations qui se déroulent actuellement, nous ne devons pas perdre de vue que le coût d’un Grexit serait important pour les États de la zone euro, notamment pour les plus fragiles d’entre eux, mais qu’il le serait sans doute encore plus pour la Grèce !
À supposer qu’un accord soit conclu avec la Grèce lors du prochain Conseil européen, il devra encore être accepté par plusieurs parlements nationaux, dont le parlement allemand. Or la Grèce doit encore rembourser 1,6 milliard d’euros au Fonds monétaire international avant le 30 juin, et sa trésorerie montre des signes d’essoufflement.
Qu’est-il prévu pour que l’aide européenne soit versée à la Grèce dans les délais requis en cas d’accord tardif ?
Quelle que soit l’issue des négociations avec la Grèce, celles-ci montrent l’urgence d’un renforcement de la gouvernance économique et budgétaire de la zone euro. Les participants au sommet de la zone euro le 24 octobre 2014 dernier avaient mandaté le président de la Commission européenne pour qu’il prépare, en étroite collaboration avec le président de la zone euro, ceux de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, auxquels s’est adjoint le président du Parlement européen, « de nouvelles initiatives visant à améliorer la gouvernance économique de la zone euro ». Le rapport qui a été préparé par les cinq présidents, mais qui n’a pas encore été publié à ce jour, devrait donc être présenté à l’occasion du prochain Conseil européen.
Peut-être pourriez-vous nous réserver la primeur de la présentation des principales orientations de ce rapport, monsieur le secrétaire d’État ? Pouvez-nous surtout nous faire connaître les mesures concrètes que le Gouvernement souhaite voir mises en place pour renforcer la gouvernance de la zone euro, qui, il est vrai, repose sur des schémas complexes, peu lisibles et à l’efficacité peu évidente ?
Pour conclure, je reviendrai brièvement sur les recommandations « politiques » relatives aux programmes nationaux de réforme et aux programmes de stabilité des États de l’Union européenne que devrait adopter le Conseil européen.
Au mois de mars dernier, le Conseil de l’Union européenne avait, certes, accordé à la France un report de deux ans, de 2015 à 2017, pour atteindre l’objectif d’une réduction de son déficit excessif. Toutefois, le Conseil a demandé à notre pays d’adopter des mesures d’ajustement complémentaires en 2015, mais aussi en 2016 et en 2017. C’est pourquoi le programme de stabilité transmis au mois d’avril par le Gouvernement précisait qu’un effort supplémentaire de 4 milliards d’euros devrait être engagé. Or le document qui a été envoyé à la Commission européenne le 10 juin dernier et qui détaille cet effort n’a pas été communiqué au Parlement à ce jour !
Pourriez-vous nous exposer le détail des mesures qui sont annoncées, monsieur le secrétaire d’État ? Que pouvez-vous nous dire à ce stade des efforts supplémentaires prévus pour l’année 2016 ? En effet, au mois de février dernier, la Commission européenne estimait que notre pays connaissait des déséquilibres macroéconomiques excessifs. La France risque peut-être de faire l’objet d’une procédure contraignante de correction de ces déséquilibres. Quelles mesures le Gouvernement a-t-il entreprises pour répondre aux observations formulées par la Commission européenne ?
Telles sont les nombreuses questions qui seront au cœur des discussions lors de cet important Conseil européen des 25 et 26 juin prochains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. François Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la conférence des présidents d’avoir accédé à la demande de la commission des affaires européennes et me félicite de la tenue de ce débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin prochains.
Les questions économiques et les défis en matière de sécurité figurant à l’ordre du jour de ce Conseil européen, il me paraissait primordial que le Sénat puisse en débattre avec le Gouvernement. Par conséquent, nous vous remercions de votre présence et de votre disponibilité, monsieur le secrétaire d’État.
Il est vrai – et c’est tant mieux ! – que la situation économique en Europe connaît une éclaircie, dont les causes résultent pour l’essentiel des effets de la réunion de facteurs conjoncturels, comme la baisse des taux d’intérêt, la diminution du prix du pétrole ou encore la politique d’assouplissement quantitatif menée par la Banque centrale européenne. Cependant, cela ne doit pas dispenser les États membres de l’Union européenne de conduire les efforts indispensables.
Tout d’abord, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, s’est clairement exprimé en indiquant que la BCE avait réalisé sa part du travail et qu’il revenait désormais aux États de remplir la leur en conduisant les réformes structurelles nécessaires. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, nous a tenu les mêmes propos lorsque nous l’avons rencontré à Francfort ; vous étiez présent avec un certain nombre de députés, monsieur le secrétaire d’État.
Le commissaire européen Pierre Moscovici, que nous avons reçu au Sénat, a également insisté sur le risque qu’encourent les États qui n’engageraient pas les réformes nécessaires, sous prétexte qu’une reprise du cycle économique est envisageable. On ne peut que souscrire à la conclusion qu’il a formulée : les économies les plus fortes seront celles qui auront réalisé le plus de réformes ! À cet égard, la Commission européenne délivre un triple conseil aux États membres : favoriser l’investissement, mettre en œuvre des réformes structurelles et poursuivre une politique de responsabilité budgétaire.
Or, pour la France, les attentes de la Commission européenne et de nos partenaires sont récurrentes. Il nous est ainsi demandé de renforcer notre stratégie en matière budgétaire, de préciser la nature des mesures de réduction de dépenses prévues jusqu’en 2017 et d’intensifier nos efforts pour améliorer l’examen de nos dépenses. En outre, l’équilibre des régimes de retraite et la réforme du marché du travail sont également en cause, comme l’ont rappelé un certain nombre de nos collègues. Le Gouvernement entendra-t-il ce message ? Quelles réponses y apportera-t-il ?
Les discussions avec la Grèce demeurent complexes ; je dirais même chaotiques ! Les aides de l’Europe doivent aller de pair avec un véritable programme de réformes. Notre collègue Simon Sutour devrait prochainement rendre un rapport à la suite du voyage qu’il vient de réaliser dans ce pays.
Peut-on espérer une issue favorable à cette situation ? Je me doute que vous partagerez ma position, monsieur le secrétaire d’État : malgré ses bravades, son inconscience, voire ses provocations, la Grèce devra bien finir par comprendre que le remboursement de la dette qu’elle a contractée au travers de prêts à la Banque centrale européenne, au FMI et auprès d’un certain nombre d’États membres n’est pas négociable !
Souvenons-nous que la restructuration de la dette accumulée par la Grèce auprès des banques privées s’est soldée en 2012 par l’effacement de près de 35 milliards d’euros ! En l’espèce, il me semble que ce sera extrêmement difficile cette fois-ci.
En outre, la situation de la Grèce ne doit pas nous empêcher de nous montrer particulièrement inventifs, au travers notamment de certificats d’investissement, qui feront l’objet d’une proposition dans le prochain rapport de la commission.
Au-delà de la conjoncture grecque, c’est la compétitivité de nos économies que l’on doit renforcer. Le prochain Conseil européen se prononcera ainsi sur la stratégie numérique que la Commission européenne a présentée le 6 mai dernier.
Nous avons rencontré le vice-président de la Commission, Andrus Ansip, ainsi que le commissaire européen Günther Oettinger. Nous leur avons transmis les messages que le Sénat souhaitait délivrer sur un sujet auquel il a beaucoup contribué. En effet, nos collègues Catherine Morin-Desailly, Gaëtan Gorce, André Gattolin ou Colette Mélot ont tous examiné cette question. L’Europe doit devenir productrice, et non plus seulement consommatrice sur le marché unique du numérique. Elle doit adopter une stratégie efficace en faveur de la gouvernance d’internet, en entreprenant la régulation des plateformes.
Avec le développement du numérique, nous devons saisir l’occasion de mettre en avant le principe d’innovation qui contrebalancera utilement un principe de précaution qui s’est souvent imposé de façon excessive. J’adhère à l’expression qu’a employée tout à l’heure notre collègue Yves Pozzo di Borgo : l’économie du XXIe siècle sera totalement « uberisée ». En effet, notre société doit se préparer à une mutation importante.
Le renforcement de notre compétitivité résultera également du financement adéquat de notre économie. À ce sujet, l’idée d’une union des marchés de capitaux, sur laquelle travaillent nos collègues Jean-Paul Emorine et Richard Yung, nous paraît intéressante. Je salue en particulier le pragmatisme tout britannique du commissaire européen Jonathan Hill, dont l’intention est d’agir vite en la matière, aux différents niveaux de développement des entreprises, car c’est une économie en mouvement qu’il faut accompagner ! L’union des marchés de capitaux doit être entendue comme un complément utile au rôle des banques, qui enrichira les offres de financement existantes.
Vous me permettrez d’évoquer la particularité de certains établissements financiers français, fondés sur le principe mutualiste, à commencer par le Crédit agricole, qui représente 25 % du marché. Il faudra bien trouver une solution sur ce point, en dépit de l’approche que peuvent avoir différents membres du directoire de la Banque centrale européenne.
Par ailleurs, le Conseil européen examinera les défis en matière de sécurité.
Je rappelle que le Sénat a beaucoup travaillé sur la lutte contre le terrorisme, après les attentats de Paris et de Copenhague. En particulier, nous avons adopté une résolution européenne demandant que, à l’échelon de l’Union, la lutte contre le terrorisme soit plus déterminée. Le 30 mars dernier, nous avons aussi adopté, avec les parlements de plusieurs pays qui ont également subi la violence terroriste, et sous votre autorité, monsieur le président, la Déclaration de Paris, qui affirme une volonté commune pour une politique européenne répondant aux attentes légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité.
Or nous déplorons la lenteur et le manque de réactivité qui se manifestent dans ce domaine et qu’atteste un récent rapport du coordinateur européen, M. Gilles de Kerchove, que nous avons rencontré à Bruxelles. Ainsi, le PNR – Passenger Name Record – européen attend toujours le feu vert du Parlement européen, malgré les demandes expresses que nous avons présentées à nos collègues députés européens membres de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Je me souviens d’ailleurs que, lorsque nous les avons vus à Bruxelles en mars dernier, les relations avaient été plutôt tendues...
Quant aux contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union européenne sur le fondement d’une évaluation des risques, ils ne semblent toujours pas progresser ; il y a là une inertie insupportable au regard de la gravité des enjeux et des attentes, mêlées de crainte, de nos concitoyens.
Les drames qui se produisent quasi quotidiennement en Méditerranée nous interpellent. S’ils constituent d’abord une tragédie humaine, ils représentent aussi un défi pour le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, qui met en cause la crédibilité même de l’espace Schengen. Nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte nous ont présenté l’agenda de la Commission européenne pour les migrations. J’approuve la proposition – vous l’avez évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État – de créer dans les États membres situés en première ligne des « points d’accès ».
J’estime aussi qu’il convient avant tout d’éviter de créer des appels d’air, qui ne feraient qu’aggraver la situation. De fait, chaque fois que nous avons mené une politique quelque peu laxiste dans ce domaine, nous avons suscité une augmentation des flux de migrants !
Par ailleurs, on ne peut pas faire l’impasse sur le trop faible taux d’exécution des mesures d’éloignement. Songez, mes chers collègues, que, selon la Cour des comptes, 99 % des déboutés du droit d’asile se maintiennent sur le territoire national,…
M. Jean-Yves Leconte. Ce rapport n’est pas encore paru !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … ce qui coûte à la collectivité nationale 2 milliards d’euros par an !
Enfin, le Conseil européen se prononcera sur la situation en Ukraine, qui demeure préoccupante, et sur les relations avec la Russie.
MM. Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour nous ont présenté un bilan d’étape sur l’application des sanctions. La logique de sanctions peut-elle se poursuivre ? La question se pose, de même que celle du scénario pour l’après-sanctions ? Nos rapporteurs continueront à travailler sur cette question cruciale des relations de l’Union européenne avec la Russie, en lien étroit avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Je remercie les orateurs qui ont pris part à la première partie de ce débat et je tiens à répondre sur certains points qu’ils ont soulevés et que je n’avais pas nécessairement abordés dans mon propos introductif.
MM. Requier et Pozzo di Borgo, ainsi que de nombreux autres orateurs, ont souligné que le Conseil européen des 25 et 26 juin se pencherait sur la reconduction des sanctions infligées à la Russie du fait de la situation en Ukraine.
Nous ne considérons pas que les sanctions individuelles et sectorielles adoptées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie et des séparatistes soient une fin en soi ; nous les concevons comme un moyen indispensable pour garantir le respect des engagements pris dans le cadre des négociations de Minsk, en particulier du protocole de Minsk II, négocié sous l’égide du Président de la République, François Hollande, et de la Chancelière Angela Merkel.
Comme l’a indiqué le Conseil européen des 19 et 20 mars dernier, la décision que les chefs d’État et de gouvernement prendront dans quelques jours au sujet de ces sanctions devra tenir compte de l’évolution de la situation et de la mise en œuvre, complète ou non, des engagements de Minsk. Je rappelle que celle-ci doit se poursuivre selon le calendrier prévu, qui s’étend jusqu’à la fin de cette année.
On peut donc s’attendre à une reconduction au moins partielle des sanctions, conçues comme un moyen de pression pour faire respecter la feuille de route arrêtée à Minsk, qui seule peut ouvrir la voie à une issue politique et négociée du conflit. Le G7 d’Elmau a d’ailleurs pris la même position, conformément au vœu de la France.
M. Pascal Allizard et d’autres orateurs ont souligné l’importance de la politique de défense commune, en insistant sur la nécessité d’une meilleure répartition des charges et des efforts à fournir, en particulier s’agissant des équipements qui doivent être mobilisés.
En ce qui concerne les opérations maritimes, M. Allizard a rappelé à juste titre que la France participait non seulement au secours des migrants en mer, mais aussi à la lutte contre la piraterie, aussi bien dans le golfe de Guinée qu’au large de la corne de l’Afrique.
Nous souhaitons que le prochain Conseil européen soit l’occasion de mettre en exergue l’enjeu que représente un niveau suffisant de dépenses des États membres si l’on veut donner à l’Union européenne les moyens de son autonomie stratégique. Car, si l’on accroît les dépenses et si l’on achète du matériel, c’est avant tout pour que la politique extérieure de l’Union européenne soit étayée par une véritable politique de défense, qui accompagne ses décisions, qui concrétise ses ambitions, qui permette tout simplement d’assurer sa sécurité.
Le Conseil européen de sécurité et de défense commune des 19 et 20 décembre 2013 a défini trois axes prioritaires
Le premier consiste à augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la politique de sécurité et de défense commune. À cet égard, a été notamment soulignée l’importance des groupements tactiques, qui sont le principal outil militaire de réaction rapide de l’Union européenne dans les situations de crise. Ce Conseil européen s’est également prononcé en faveur d’un renforcement du soutien aux États africains, en particulier via l’initiative Train and Equip, qui nécessite des fonds plus importants et qui doit permettre notamment aux États de la zone sahélo-saharienne d’assurer une meilleure gestion intégrée de leurs frontières.
Le deuxième axe prioritaire défini en matière de sécurité consiste à accroître le développement des capacités de défense, en faveur notamment des quatre grands programmes capacitaires : le ravitaillement en vol, les drones, les satellites et la cyberdéfense.
Le troisième axe consiste à renforcer l’industrie européenne de défense, ce qui suppose d’adapter un certain nombre de règles touchant aux appels d’offres et de soutenir non seulement les grandes entreprises, mais aussi les PME de ce secteur.
François Marc a souligné que le débat sur le rapport des quatre présidents relatif à l’Union économique et monétaire, l’UEM, devrait porter non seulement sur le soutien à la croissance et sur le financement de l’investissement, en particulier dans les secteurs d’avenir comme le numérique, mais aussi sur la défense du modèle social que l’UEM doit promouvoir. Vous savez que la France, comme le Luxembourg, qui est à l’origine de la formule de « triple A social », se bat pour le renforcement de la convergence dans ce domaine.
D’abord, nous devons assurer le respect des règles relatives au détachement de travailleurs, qui sont de la plus haute importance pour prévenir le dumping social, notamment dans les secteurs du bâtiment et du transport routier ou encore pour le travail saisonnier dans l’agriculture. Nous sommes fermement attachés à la liberté de circulation et d’établissement dans l’espace européen, mais elle a pour contrepartie le respect des règles sociales du pays dans lequel un citoyen européen travaille. (M. Daniel Raoul opine.) Des dispositions extrêmement claires doivent être prises à cet égard, s’agissant des horaires de travail, du salaire minimum et de la protection sociale, ainsi que des mécanismes de contrôle et de la responsabilité des donneurs d’ordres.
Ensuite, nous voulons promouvoir l’idée d’un salaire minimum dans tous les pays de l’Union européenne. Si l’Allemagne a adopté le sien, ce qui contribuera à assurer un meilleur équilibre au sein de la zone euro, d’autres pays ne disposent pas encore d’un tel dispositif. Nous souhaitons qu’une convergence se réalise sur ce plan, même si les niveaux des salaires dépendront évidemment des niveaux de développement des différents États membres.
Enfin, nous considérons qu’une coopération et des orientations communes sont nécessaires en matière de politiques actives vis-à-vis du marché du travail, de régime de protection sociale et de droits à la formation tout au long de la vie. Tous nos pays réforment leur marché du travail en s’efforçant de le rendre plus fluide et plus favorable aux embauches, mais cette évolution doit avoir pour contrepartie des droits à la formation plus étendus et une protection renforcée pour les personnes privées d’emploi ; certains pays, en particulier dans le nord de l’Europe, ont montré la voie dans ce domaine.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs qui nous guident en ce qui concerne le « triple A social » qui doit accompagner la réforme de la gouvernance et de la coordination des politiques économiques au sein de l’Union économique et monétaire.
La stratégie numérique, qu’a évoquée André Gattolin, est tout à fait essentielle et doit évidemment comporter un aspect relatif à la cybersécurité.
André Gattolin a également abordé la question de l’Arctique, sur laquelle il travaille beaucoup, nous le savons. La France a, avec l’Union européenne, trois objectifs dans ce domaine : protéger et préserver l’Arctique, en coopération avec les populations qui y vivent ; promouvoir l’utilisation durable des ressources ; renforcer la coopération internationale.
En tant qu’observateur au sein du Conseil de l’Arctique depuis 2000, la France participe activement aux travaux des différentes tables rondes qui sont organisées. Nous connaissons, monsieur le sénateur, l’importance du travail que vous accomplissez pour assurer la cohérence entre la politique de protection de l’Arctique et la lutte contre le changement climatique, dont vous avez rappelé qu’il a des conséquences tout à fait considérables dans cette région du monde.
Éric Bocquet m’a demandé où nous en étions dans la préparation de la COP 21.
Une étape de la plus haute importance vient d’être franchie : une session de négociations s’est tenue à Bonn, au cours de laquelle nous avons fait entériner le principe d’un texte en amont de la conférence qui se réunira au mois de décembre à Paris ; ce texte devrait être prêt d’ici au mois d’octobre. De cette manière, nous ne risquerons pas de voir se resurgir les difficultés qui se sont présentées lors du sommet de Copenhague : souvenez-vous que, à l’ouverture de la conférence internationale, il avait fallu appeler les chefs d’État et de gouvernement pour essayer de trouver un accord qui n’avait pas été préparé en amont ; or cela n’avait pas été possible, tant sont grandes, pour chacune des 195 parties aux accords, les implications des décisions qui doivent être prises au sujet des modèles de croissance énergétique, de consommation énergétique des industries et d’organisation des transports.
Comme nous l’avons toujours indiqué, nous tenons à impliquer les ministres avant le sommet de Paris, parce que nous voulons faire tout notre possible pour ne pas attendre le dernier moment. Nous sommes sur les rails pour obtenir d’ici au mois d’octobre un paquet clair, un texte énonçant les grandes lignes d’un accord et des décisions de mise en œuvre. Nous y parviendrons grâce aux réunions des chefs d’État et aux différentes réunions ministérielles. Tous les processus politiques de haut niveau seront mis à profit, comme l’a été le G7.
Ainsi que Laurent Fabius l’a annoncé, deux réunions informelles se tiendront au niveau ministériel : la première aura lieu les 20 et 21 juillet prochain, avant la session formelle de l’ADP – groupe de travail de la plateforme de Durban – qui aura lieu du 31 août au 4 septembre, la seconde le 7 septembre, avant la session formelle de l’ADP qui se tiendra du 19 au 23 octobre.
Par ailleurs, la question sera à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies, puisque M. Ban Ki-moon organisera un sommet consacré aux ultimes préparatifs de la COP 21, en présence des chefs d’État et de gouvernement.
Éric Bocquet a également abordé la question de la négociation commerciale transatlantique.
S’agissant d’abord de l’agriculture, nous abordons cette négociation avec une grande vigilance quant aux intérêts agricoles européens, et notamment français. Les États-Unis sont le premier débouché du secteur agroalimentaire français hors de l’Union européenne : ils absorbent 18 % de l’excédent français dans ce domaine. Or nos exportations vers ce pays sont aujourd’hui entravées par de nombreuses barrières techniques, dont nous souhaitons le démantèlement.
Nous appelons également de nos vœux une protection des indications géographiques, à l’instar de celle que nous avons obtenue dans l’accord conclu avec le Canada.
Nous resterons évidemment attentifs, jusqu’au terme des négociations, à la défense de nos « lignes rouges », que l’Union européenne a totalement reprises à son compte ; je pense en particulier à l’exclusion du bœuf aux hormones, des OGM et du poulet chloré, ainsi qu’aux produits dits sensibles, qui bénéficient d’une protection, et sur la nature desquels il convient de ne pas revenir.
Pour ce qui est des services, nous serons très attentifs à ce que l’accord ne remette pas en cause le droit à réguler de l’Union européenne et de ses États membres, en particulier dans les domaines d’intérêt général, c’est-à-dire pour les services publics.
Le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, comme le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, ont souhaité, à l’instar d’autres orateurs, revenir sur les négociations en cours concernant la Grèce.
La position de la France est extrêmement claire à ce sujet, et le Président de la République l’a rappelée hier : nous ne pouvons plus attendre ; un accord doit impérativement être conclu sans délai.
L’objectif est de trouver une solution qui concilie deux exigences : le respect des engagements pris par la Grèce, notamment en matière de réformes, et le respect du vote du peuple grec, qui a exprimé son refus de l’austérité perpétuelle. À cela s’ajoute un certain nombre de contraintes qui expliquent la complexité des négociations actuellement en cours au sein de l’Eurogroupe, avec le Fonds monétaire international et avec la Banque centrale européenne.
La première contrainte est d’ordre juridique. En effet, afin de débloquer la dernière tranche d’aide financière de 7 milliards d’euros, il est nécessaire que soit signé avec la Grèce un accord comportant des engagements clairs sur les réformes.
Ensuite, nous sommes confrontés à des contraintes de calendrier. Le temps presse puisque l’accord doit être conclu avant le 30 juin, date à laquelle la Grèce doit rembourser 1,6 milliard d’euros de prêt du FMI. De ce point de vue, la réunion de l’Eurogroupe, ce jeudi 18 juin, sera décisive.
Enfin, il faut parvenir à un accord qui assure à la fois la stabilité financière de la zone euro, la poursuite des réformes en Grèce et le retour de la croissance dans ce pays, dès lors que c’est uniquement à ces conditions que le pays pourra sortir de la crise, qui est aussi sociale, dans laquelle il est plongé depuis plusieurs années, et qu’il sera à même de recréer de l’emploi.
Sur ces sujets, la France agit en ayant à l’esprit à la fois un principe de solidarité européenne et un principe de responsabilité, avec une triple préoccupation : l’intérêt de la Grèce, le maintien de l’intégrité de la zone euro et donc le maintien de la Grèce dans la zone euro. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
14
Élection d’un juge suppléant à la cour de justice de la république
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :
Nombre de votants : 231
Nombre de suffrages exprimés : 178
Majorité absolue des suffrages exprimés : 90
Mme Catherine Di Folco a obtenu 178 voix.
Mme Catherine Di Folco ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, elle est proclamée juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Mme Catherine Di Folco, juge suppléant à la Cour de justice de la République, va être appelée à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de Justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.
Je prie Mme Catherine Di Folco, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure », après la lecture de la formule du serment.
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
(Mme Catherine Di Folco, juge suppléant, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.
Je vous adresse toutes mes félicitations, ma chère collègue ! (Applaudissements.)
15
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation en Ukraine ne fait plus la une des médias. Elle est pourtant toujours aussi critique.
Avec 6 400 morts depuis avril 2014 et des tensions quotidiennes, l’Ukraine, désormais amputée de la Crimée, est plongée dans une crise qui n’en finit plus. En dépit des difficiles négociations menées pour en sortir, la guerre n’est pas terminée. Nous savons que, de part et d’autre, le cessez-le-feu n’est pas respecté.
Le 10 juin dernier, s’est tenue à Paris une réunion au format « Normandie », c’est-à-dire entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine. L’objectif était de discuter des perspectives concernant le cessez-le-feu et le processus politique pour mettre en œuvre les accords de Minsk dans leur intégralité.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter le bilan de cette réunion, qui, je l’espère, a abouti à des résultats concrets ?
Il est à craindre que des poches régionales de contestation et de troubles se développent. Des incidents se multiplient d’ailleurs dans d’autres pays de la zone ; je pense, par exemple, à la Géorgie ou à la Moldavie, au moment où la France achève la ratification d’accords d’association entre ces pays et l’Union Européenne.
Les membres de mon groupe ont fait part de leurs inquiétudes pour les Ukrainiens face aux positions russes, mais aussi concernant la stratégie de la Commission européenne. Le président Jean Bizet suit d’ailleurs cette question de près.
Notre collègue Pascal Allizard avait formé le vœu que la Commission européenne puisse agir avec plus de diplomatie, notamment au regard de la politique de partenariat oriental. Quelles ont été les avancées à ce sujet depuis le sommet de Riga des 21 et 22 mai dernier ? Nous le savons, la question ukrainienne est indissociable du partenariat oriental.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures proposera la France à cet égard lors du prochain Conseil européen ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. L’évolution de la situation sécuritaire dans l’Est de l’Ukraine reste très préoccupante. Au cours de ces dernières semaines, des affrontements, notamment autour de la localité de Chirokiné, à l’est de Marioupol, se poursuivent. Nous devons donc rester extrêmement vigilants afin de prévenir toute nouvelle escalade de ce conflit.
La réunion au format « Normandie » du 10 juin a permis d’avancer sur la conclusion d’un plan de désescalade pour Chirokiné, plan qu’il convient désormais de mettre en application.
En outre, notre priorité est de garantir la pleine mise en œuvre de l’ensemble des accords de Minsk. Les quatre groupes de travail qui ont été constitués se sont déjà réunis plusieurs fois. Je rappelle qu’ils portent non seulement sur les échanges de prisonniers, le cessez-le-feu et la surveillance de la frontière, mais aussi sur l’avenir des régions de l’est et l’organisation des élections, ainsi que sur la mise en place de leur futur statut.
Il est également important de soutenir l’action de l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe –, que ce soit sur le plan politique, avec le travail mené dans le cadre du groupe de contact trilatéral, ou sur le terrain, avec la mission spéciale d’observation en Ukraine. En effet, il est essentiel de garantir à cette mission spéciale un accès total au terrain afin qu’elle puisse accomplir son mandat. C’est la raison pour laquelle nous renforçons ses moyens, notamment en termes de communications et d’informations actualisées.
La poursuite du dialogue au format « Normandie » est aussi extrêmement importante. C’était, bien entendu, le sens de la réunion qui s’est tenue le 10 juin dernier à Paris. Nous voulons voir des gestes concrets au cours des prochains jours, en particulier en ce qui concerne l’échange de prisonniers, les questions humanitaires et l’accès aux populations.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Ma question porte sur les demandes formulées récemment par le Premier ministre britannique, David Cameron, au sujet de la place du Royaume-Uni – d’autres pays sont d’ailleurs également concernés – dans l’Union européenne.
Il y a là un paradoxe puisque le Royaume-Uni est déjà le pays bénéficie du plus grand nombre d’exceptions, d’opt out : il n’est pas membre de l’espace Schengen et de l’Union économique et monétaire, il ne participe pas à la coopération judiciaire en matière pénale et il n’est pas signataire de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Et cela ne l’empêche pas, nous le savons tous, de réclamer depuis trente ans son « chèque » à chaque budget européen !
Tout cela donne le sentiment d’un engagement… limité.
Quoi qu'il en soit, à la suite des dernières élections – dont nous ne saurions évidemment remettre en cause le résultat –, M. Cameron demande qu’un certain nombre de points fassent l’objet d’une renégociation. D’où ma première interrogation, monsieur le secrétaire d’État : pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur les points en question ?
Nous avons compris que les Britanniques souhaitaient revoir le système de la libre circulation des travailleurs et des citoyens, et en particulier remettre en cause la possibilité de bénéficier de la protection sociale dans un autre pays de l’Union européenne. Nous avons également compris qu’ils entendaient « rapatrier » vers leur Parlement des compétences qui relèvent actuellement de la Commission européenne, mais aussi, sans doute, du Parlement européen.
À mes yeux, ce sont là de mauvaises actions. Elles vont à l’encontre de notre marche historique qui consiste à rechercher une plus grande intégration européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, où en est la France dans ses discussions avec le gouvernement britannique ? Quelles lignes de négociation vous êtes-vous données ? (MM. Alain Bertrand et Yves Pozzo di Borgo applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Yung, comme l’a indiqué le Président de la République lorsqu’il a reçu le Premier ministre David Cameron à l’occasion de sa visite en France le 28 mai dernier, au lendemain des élections britanniques, la France souhaite que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. Nous considérons que c’est l’intérêt de l’Europe tout autant que l’intérêt du Royaume-Uni.
La question de la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne, comme vous le savez, sera soumise à un référendum d’ici à la fin de l’année 2017. Ce sera donc au peuple britannique qu’il reviendra de se prononcer le moment venu.
Nous pensons que l’obtention d’une large majorité à l’issue des élections doit aider M. Cameron à convaincre le peuple britannique de se prononcer en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.
M. Cameron a annoncé qu’il formulerait un certain nombre de demandes, alors que, comme vous l’avez rappelé, le Royaume-Uni dispose déjà aujourd’hui de dispositions spécifiques. C’est précisément lors du prochain Conseil européen des 25 et 26 juin qu’il précisera aux autres chefs d’État et de gouvernement les éléments sur lesquels il souhaite que des changements interviennent. Il a déjà donné à cet égard certaines indications : elles concernent l’immigration, s’agissant notamment de résidents européens qui souhaitent entrer au Royaume-Uni, et le fonctionnement des institutions européennes. Il a également fait référence à son souhait d’une Union européenne toujours plus étroite… Bien entendu, c’est à lui qu’il revient de dire en quoi consistent exactement les demandes du Royaume-Uni.
Le Président de la République a fait savoir que la France examinerait, tout comme les autres partenaires européens, ces demandes. Nous sommes évidemment tout à fait disposés à étudier toutes les demandes susceptibles de contribuer à une amélioration du fonctionnement de l’Union européenne dans l’intérêt de l’ensemble des États membres et des citoyens européens, à condition, bien sûr, qu’elles ne remettent pas en cause les principes fondamentaux de l’Union européenne, notamment la liberté de circulation, d’autant que nous nous trouvons à un moment où l’unité européenne doit être renforcée, et non affaiblie.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de traité transatlantique suscite ces temps-ci beaucoup de remous.
Ainsi, la semaine dernière, le président du Parlement européen a préféré reporter le vote de la résolution sur le traité transatlantique faute de trouver une majorité. Le dernier rebondissement en date s’est produit vendredi dernier au Congrès américain – certes, il ne concernait pas directement le traité transatlantique, mais il y était très lié. Barack Obama a en effet subi un sérieux revers de la part de son propre camp puisqu’un grand nombre d’élus démocrates ont refusé de voter un projet de loi qui lui aurait accordé des pouvoirs accrus pour conclure l’accord de libre-échange transpacifique avec onze pays. Même si la Chambre des représentants s’est prononcée sur ce point à une courte majorité, elle a rejeté massivement le second volet du projet de loi de Trade Adjustement Assistance, un programme destiné à aider les Américains qui perdent leur emploi à la suite d’accords de libre-échange. Les deux volets étant indissociables, ce rejet bloque le projet de loi dans son ensemble.
Comme l’ont précisé un certain nombre d’observateurs, ce rejet aura forcément des incidences sur les négociations du TTIP, autrement dit le Transatlantic Trade and Investment Partnership.
S’il nous en fallait une preuve, cet épisode nous montre combien les accords de libre-échange soulèvent des questions difficiles, même outre-Atlantique. En Europe comme aux États-Unis, le manque d’informations et de transparence sur les négociations reste extrêmement préjudiciable.
Monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement français compte-t-il faire entendre sa voix afin que la Commission européenne assure enfin une véritable transparence sur ce dossier ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous le savez, nous considérons que la transparence est une nécessité absolue. Du reste, elle est dans l’intérêt même de la poursuite de la négociation et de sa conclusion puisque les parlements nationaux et le Parlement européen seront appelés à ratifier le traité.
C’est pourquoi la France a toujours demandé que le mandat de négociation soit rendu public ; il l’a finalement été. Nous avons également demandé que l’accès à l’ensemble des documents de la négociation soit garanti dans l’ensemble des États membres, ce qui n’était pas le cas. Des solutions ont été trouvées, mais elles ne sont pas toutes entièrement satisfaisantes. Nous avons fait savoir à nos partenaires américains que nous n’utiliserions pas les salles de lecture de leurs ambassades ; un accès sécurisé au texte via un poste informatique dédié dans les administrations nationales nous semble indispensable.
Nous rejoignons tout à fait votre demande d’une transparence qui soit la plus large possible.
En tout état de cause, la Commission agit sur mandat des États membres, elle rend compte régulièrement au Parlement européen et aucune étape de la négociation ne pourra être franchie sans que nous donnions notre accord.
Comme s’y était engagé Laurent Fabius dès le début de cette négociation, nous rendrons compte de chacune de ses principales étapes. Le secrétaire d’État au commerce extérieur et moi-même sommes à la disposition de l’Assemblée nationale et du Sénat et nous organiserons à cette fin, régulièrement, des rencontres avec les députés et les sénateurs, que ce soit au sein des commissions ou dans un autre cadre.
Bien entendu, la France conduit cette négociation avec l’idée que l’ouverture du marché américain présente des opportunités ; j’ai évoqué tout à l’heure l’agriculture, mais on pourrait aussi parler des marchés publics, qui sont très fermés aux États-Unis : alors qu’ils sont ouverts à 90 % en Europe, ils ne le sont qu’à hauteur de 40 % outre-Atlantique. Il s’agit, pour nous, d’un point essentiel de cette négociation.
Nous souhaitons que ce traité ouvre la voie à des gains pour l’économie européenne, et notamment pour l’économie française.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, la stratégie numérique présentée le mois dernier par la Commission européenne témoigne d’une ambition certaine en abordant l’ensemble des problématiques liées au développement de la société et de l’économie numériques : droits d’auteur, blocages géographiques, commerce transfrontières, fiscalité, neutralité de l’internet, libre circulation des données et protection des données personnelles ou encore cybersécurité sont largement évoqués dans cette communication, comme vous l’avez d’ailleurs souligné en préambule.
Il est toutefois un domaine absolument central qui, à ce stade, ne fait l’objet d’aucune orientation ou proposition d’action : celui des plateformes, moteurs de recherche, sites de commerce électronique, boutiques d’applications ou médias sociaux. Or les uns et les autres sont au cœur de nombreuses interrogations fondamentales : d’abord quant à leur rôle de plus en plus structurant sur le marché, que ce soit en termes de concurrence, de répartition de la valeur ou de poids sur les utilisateurs, les fournisseurs et les sous-traitants ; ensuite, bien sûr, en termes de collecte, d’utilisation et de protection des données personnelles ou de lutte contre les contenus illicites.
Au-delà de sa récente communication de griefs à l’encontre de Google, la Commission ne prévoit pour l’instant qu’une analyse détaillée du rôle des plateformes.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle position le Gouvernement entend défendre sur ces différentes questions et quelle stratégie il compte suivre pour que l’Union européenne se dote rapidement d’une politique globale en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Mélot, la régulation des plateformes numériques est, en effet, absolument essentielle. La Commission a annoncé qu’elle procéderait avant la fin de l’année 2015 à une évaluation de leur rôle, y compris dans l’économie du partage, ainsi que des intermédiaires en ligne.
La France demandera que soit précisé le calendrier de cette évaluation et que soit donnée une référence à l’adaptation réglementaire.
Il faut également que cette évaluation prenne en compte les enjeux industriels, notamment en matière de standardisation.
C’est évidemment le sens des demandes et des propositions communes franco-allemandes qui ont été formulées en janvier dernier par Axelle Lemaire et son homologue allemand, Mme Brigitte Zypries, en lien avec les demandes également formulées par Emmanuel Macron et son homologue, M. Sigmar Gabriel.
Nous accordons, comme vous, madame la sénatrice, une grande attention à ce sujet, qui sous-tend plusieurs problèmes essentiels : l’insuffisance des seules règles de concurrence et de transparence, le rôle actif des intermédiaires, la captation d’une part croissante de la valeur par ces plateformes.
Nous attendons avec beaucoup d’intérêt les propositions de la Commission.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le secrétaire d’État, lors du prochain Conseil européen, la question du marché unique numérique sera donc abordée.
La stratégie de l’Union européenne dans ce domaine repose sur trois piliers : l’amélioration de l’accès aux biens et services numériques ; la création d’un environnement propice et de conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et des services numériques innovants ; une augmentation du potentiel de croissance de l’économie numérique.
Nous constatons que la répartition de la valeur sur le sol européen est réellement problématique puisqu’elle se fait au bénéfice des grands acteurs privés américains, les GAFA, et au détriment des créateurs, des fournisseurs de contenus, des petites et moyennes entreprises innovantes européennes.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est indispensable de réfléchir concrètement à une régulation plus forte de la concurrence et à la mise en place d’outils fiscaux spécifiques au numérique.
Nous ne pouvons continuer à voir des entreprises qui dégagent des bénéfices colossaux ne pas payer d’impôts – ou en payer très peu – au sein de l’Union européenne.
S’agissant du marché unique numérique, il nous paraît également essentiel d’insister sur une protection des droits fondamentaux des Européens dans l’espace numérique ainsi que sur la nécessité absolue de se doter d’une véritable ambition industrielle pour le numérique qui aille au-delà de la seule amélioration du marché unique.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les positions que défendra la France dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Prunaud, s’agissant de la fiscalité, pour nous, le principe est clair : les bénéfices doivent être taxés là où ils ont été réalisés.
Vous avez raison de souligner qu’aujourd’hui un certain nombre de multinationales de l’internet, qui ne sont pas européennes, ont établi leurs sièges sociaux dans quelques pays où la taxation des bénéfices est moins élevée et, au moyen de divers mécanismes comptables, rapatrient l’essentiel de leurs profits dans ces pays alors qu’elles réalisent leur chiffre d’affaires dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. La Commission européenne a d’ailleurs engagé des procédures d’infraction à l’encontre de certaines de ces entreprises.
Nous souhaitons que la réglementation du numérique, qui est en cours d’élaboration, permette de clarifier définitivement cette question.
Il y a là, de la part de ces opérateurs, à la fois un détournement sur le plan fiscal et une captation de valeur.
De façon générale, il n’est pas possible de financer nos services publics et nos mécanismes sociaux si les entreprises ne paient pas, de façon équitable, leur impôt là où elles réalisent leurs bénéfices. C’est en outre une distorsion de concurrence vis-à-vis d’entreprises de types différents qui, elles, ne peuvent pas procéder à cette optimisation fiscale.
La lutte contre l’optimisation fiscale, dans le secteur de l’économie numérique comme dans les autres domaines, est une priorité.
Il est tout aussi est essentiel de veiller au respect des règles de la concurrence. Cet enjeu est très important par exemple dans les services de réservation en ligne d’hôtels, certaines entreprises choisissant de référencer certains partenaires plutôt que d’autres.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, je souhaite d’abord vous dire toute ma satisfaction de voir ce débat préalable à la réunion du Conseil européen se dérouler à un horaire convenable : le nombre des présents montre d’ailleurs qu’il a été bien choisi. Je me félicite aussi de ce que, pour la première fois depuis longtemps, il soit présidé par le président du Sénat. Je vous en remercie.
Le bureau de la commission des affaires européennes aura très certainement l’occasion de s’entretenir avec vous des conditions de travail de notre commission et nous aurons un certain nombre de propositions à vous soumettre.
Monsieur le secrétaire d'État, je veux avant tout vous dire que je partage les points de vue exprimés notamment par nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Jean-Claude Requier sur le dialogue avec la Russie. La situation en Ukraine et le conflit à l’Est ne se régleront que par un dialogue apaisé et confiant avec la Russie et non par l’aggravation des sanctions. Telles sont en tout cas les conclusions auxquelles Yves Pozzo di Borgo et moi-même sommes parvenus dans notre rapport.
Ma question porte sur la politique de voisinage.
À la fin du mois de mai s’est tenu à Riga un sommet consacré au partenariat oriental, sommet qui a eu des résultats mitigés. Il est d’ailleurs toujours un peu surprenant de constater que, chaque fois qu’un pays balte assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, systématiquement est organisé un sommet sur le partenariat oriental. Moi, je fais partie de ceux qui trouvent que la politique euro-méditerranéenne est négligée.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que la France se batte pour conserver l’actuelle clé de répartition financière, c’est-à-dire un tiers pour le partenariat oriental et deux tiers pour la politique euro-méditerranéenne. À cet égard, il serait important que la France, en tant que pays riverain de la Méditerranée, prenne une initiative forte en faveur de la politique euro-méditerranéenne. Et pourquoi pas en organisant un sommet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Sutour, le sommet de Riga a été utile. Le partenariat oriental avec six pays a permis malgré tout de contribuer à la stabilisation régionale, de dessiner les contours d’une modernisation et d’un développement du voisinage à l’est de l’Union européenne au bénéfice de tous, en dehors de toute logique conflictuelle.
Ce partenariat est aussi un cadre pour traiter la crise ukrainienne.
Nous avons eu déjà l’occasion d’évoquer ce partenariat à propos des accords d’association signés avec la Moldavie et d’autres pays, selon les modalités qu’ils ont choisies.
Toutefois, vous avez raison de dire que la politique de voisinage de l’Union européenne ne se limite pas au partenariat oriental. Hier et encore ce matin, je me trouvais en Tunisie pour rencontrer plusieurs membres du gouvernement de ce pays et pour participer à un débat sur le soutien à la transition démocratique et économique. Nous avons évoqué la crise migratoire en Méditerranée et la situation en Libye : loin de nous de considérer que ce ne sont pas là des priorités. La Méditerranée ne peut pas être simplement une frontière, une mer synonyme de drames et de morts ; elle est d’abord un espace de civilisation, d’échanges et de coopération entre l’Europe et les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Aujourd’hui, l’Europe doit être aux côtés de pays qui sont en train de réussir une extraordinaire transition démocratique. C’est le cas, en particulier, de la Tunisie, qui a adopté une constitution garantissant la liberté de conscience, l’égalité entre les hommes et les femmes et où ont eu lieu trois élections successives après une révolution sans drames, dans la paix civile et dans la concertation entre les différentes forces politiques.
C’est pourquoi vous avez raison de dire que la révision de la politique européenne de voisinage qui est engagée, et sur laquelle la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité fera des propositions, doit être l’occasion de renforcer ce partenariat euro-méditerranéen.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d’État, le plan d’action pour l’immigration et l’asile proposé par la Commission européenne prévoit de nombreuses mesures, en particulier un système de répartition obligatoire de 40 000 demandeurs d’asile arrivés sur les côtes européennes depuis le 15 avril, mais aussi un second système optionnel qui concerne les 20 000 personnes se trouvant actuellement dans des camps de réfugiés en dehors de l’Europe.
Selon la clé de répartition actuelle, la France pourrait être amenée à traiter jusqu’à 9 000 demandes d’asile supplémentaires en deux ans.
Depuis que ces annonces ont été faites, le Gouvernement a entretenu un certain flou sur sa position. Il semblerait toutefois qu’il s’oriente aujourd’hui vers un soutien à ces mécanismes, sous réserve que la pondération des critères de répartition proposée par la Commission soit révisée.
Monsieur le secrétaire d'État, à partir de quel seuil le Gouvernement considérerait-il ces mécanismes comme acceptables pour la France ? Pouvez-vous nous dire si, oui ou non, vous soutiendrez in fine le projet de la Commission, le cas échéant dans une version remaniée ?
Surtout, si la France devait accepter cette initiative, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions qu’elle préconiserait pour répondre aux nombreuses questions posées par la répartition ? Comment empêcher les mouvements migratoires secondaires dans l’espace Schengen, par définition ouvert ? Comment s’assurer que les réseaux criminels de trafiquants ne verront pas dans ce système une incitation à développer leurs activités ? Comment, au-delà de l’assistance des agences européennes, renforcer l’action et la responsabilité des États de première ligne ? Enfin, quels moyens seront effectivement mis en œuvre pour raccompagner les migrants en situation irrégulière, qui ne peuvent prétendre à la protection internationale, alors même que la vaste majorité des déboutés du droit d’asile en France ne font pas l’objet de mesures d’éloignement effectives ?
Sur toutes ces questions, nous avons besoin, monsieur le secrétaire d'État, d’éléments clairs et précis.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Darnaud, je crois l’avoir dit avec la plus grande clarté dans mon propos introductif : nous acceptons le principe de solidarité, mais nous voulons que le principe de responsabilité soit également appliqué.
C’est pourquoi la France souhaite que les dispositifs concernant les futurs centres d’attente qui ont été proposés par la Commission européenne – les hotspots – permettent de garantir le recensement des migrants, de telle sorte que ceux qui ont besoin d’une protection internationale, en particulier parce qu’ils viennent de pays où ils sont menacés, du fait d’une dictature ou d’une guerre civile, comme la Syrie, puissent être distingués des immigrés illégaux, dont le retour doit être organisé, bien sûr après un examen attentif de leurs droits et de leur situation, dans le cadre d’un accord de réadmission avec le pays d’origine.
Je l’ai dit, nous souhaitons également qu’une attention particulière soit portée aux pays de transit, comme le Niger.
Ainsi que je l’ai aussi indiqué et que vous l’avez vous-même rappelé, la France a demandé que soit revue la clé de répartition qu’a proposée la Commission européenne pour ce mécanisme exceptionnel, qui tient compte de la situation d’urgence à laquelle doivent faire face les pays de première arrivée, en particulier l’Italie, puisque les migrants, pour des raisons géographiques, arrivent aujourd'hui sur les côtes italiennes ou y sont amenés après avoir été recueillis par les bateaux de Frontex, alors qu’ils veulent gagner d’autres pays européens.
S’il est normal que nous soyons au côté de l’Italie pour l’aider à faire face à cette situation, les clés de répartition doivent prendre en compte le fait qu’aujourd'hui cinq pays accueillent 75 % des demandeurs et que la solidarité doit être mieux répartie entre les vingt-huit états membres. Certains pays, comme la France, accueillent déjà un grand nombre de réfugiés. Cela doit se traduire davantage dans la pondération des critères !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d'État, en 2008, la Commission européenne avait proposé la révision d’une directive existante afin d’allonger le congé de maternité, pour le porter de quatorze à dix-huit semaines. Le Parlement européen avait alors décidé d’aller plus loin, en proposant un congé de vingt semaines, intégralement payé. Cette proposition est malheureusement bloquée depuis sept ans par le Conseil.
Si les négociations ne sont pas rouvertes très prochainement à ce sujet, il est à craindre que cette proposition ne fasse partie des quatre-vingts directives qui vont être abandonnées.
Comment concevoir que l’Union européenne ne participe pas à l’amélioration des conditions de grossesse des femmes qui choisissent d’avoir un enfant ? Ne pas légiférer au niveau européen sur le congé de maternité pour toutes est vraiment une menace sérieuse, car ce serait contradictoire, notamment, avec l’engagement de l’Union européenne en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
Il est donc particulièrement inadmissible que les gouvernements de l’Union européenne continuent de bloquer – depuis 2008, je le rappelle – les améliorations incontestables au congé de maternité que contient la proposition de directive.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de voir celle-ci avancer concrètement et favorablement ? L’allongement du congé est une mesure juste, qui n’appelle pas une très longue réflexion !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Cohen, la France est évidemment favorable à l’adoption de cette proposition de directive sur le congé de maternité.
Aujourd'hui, la Commission européenne constate qu’elle est bloquée au Conseil, en raison de divergences très importantes entre les États membres sur la longueur de ce congé, mais aussi avec le Parlement européen.
Pour ce qui nous concerne, nous appelons à un esprit de compromis, de telle sorte que toutes les femmes, dans l’Union européenne, puissent se voir garantir un congé de maternité aussi juste que possible.
Une telle évolution nécessitera forcément de passer par une étape intermédiaire, compte tenu des écarts très importants et de l’absence d’accord au sein du Conseil. Je crois toutefois que ce serait préférable à un retrait pur et simple de la proposition de directive et à un retour à la case départ.
Nous allons donc continuer à encourager les États membres à avancer vers une position commune.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d'État, la question de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis a été évoquée tout à l'heure sous l’angle de la transparence.
Dans cette enceinte, nous sommes un certain nombre à travailler sur les projets d’accords avec le Canada et les États-Unis, et je dois dire que nous sommes préoccupés par la question des procédures. En effet, le travail considérable qui est mené dans l’ensemble des pays de l’Union européenne avec nos partenaires canadiens et américains risque d’être entravé, voire annihilé par les hésitations que l’approbation de ces accords ne manquera pas de susciter, comme on l’a déjà vu aux États-Unis et au sein du Parlement européen.
Il faudra bien que l’accord définitif soit entériné à la fois par le Parlement européen et par les parlements nationaux ! Face à ces passages obligés, nous estimons que les gouvernements de l’Union européenne doivent s’engager fortement.
Monsieur le secrétaire d'État, sur cette question de procédure, j’aimerais avoir la confirmation qu’il y aura un vrai engagement du Gouvernement pour que les projets d’accords, auxquels j’adhère complètement, ne restent pas lettre morte.
En ce qui concerne le contenu, à l’instar de mon ami Jean Bizet, je me fais évidemment le relais, en tant que sénateur de Normandie, d’un certain nombre de questions et d’appréhensions formulées aujourd'hui par les éleveurs, lesquels redoutent les conséquences des accords, en particulier de celui avec les États-Unis, sur le commerce de viande.
Monsieur le secrétaire d'État, considérez-vous, pour votre part, cet accord souhaité par certains et bientôt possible comme un cheval de Troie ? Puisque nous sommes aujourd'hui encouragés à utiliser le latin, Mme la ministre de l’éducation nationale ayant levé le tabou à ce sujet, vous inspire-t-il l’appréhension du Troyen qui, voyant arriver dans sa citadelle un merveilleux cheval, aurait déclaré, à en croire Virgile : Timeo Danaos et dona ferentes, autrement dit : Je crains les Grecs, surtout s’ils portent des présents ? Vous apprécierez, au passage, cette petite incursion dans le dossier grec… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Bertrand, Jean-Claude Requier et Simon Sutour applaudissent également.)
M. Jeanny Lorgeoux. Cheval de Troie ou non, c’est une bête curieuse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Lenoir, aucun accord que l’on noue avec des partenaires ne doit nous inspirer de la crainte !
En l’occurrence, il s’agit moins de chevaux que de bœufs, de services et de marchés publics, de produits industriels, pour lesquels des convergences réglementaires pourraient permettre un commerce plus facile.
Rien ne justifie qu’il faille des normes techniques différentes aux États-Unis et en Europe concernant, par exemple, les ceintures de sécurité, pour l’exportation ou la commercialisation des véhicules.
M. Charles Revet. C’est pourtant le cas actuellement !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Incontestablement, sur certains sujets, les économies européenne et française peuvent avoir à gagner à une négociation commerciale transatlantique.
Toutefois, cette négociation doit se mener dans des conditions assurant l’association de l’ensemble des parties prenantes – les parlementaires, les secteurs économiques concernés, les syndicats… –, de telle sorte qu’elle ne soit pas, in fine, bloquée par des peurs ou des réticences.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il s’agit d’éviter ce qui s’est passé aux États-Unis, où le Congrès a refusé d’octroyer au président américain la Trade Promotion Authority, la TPA, cette capacité à négocier en ayant les mains plus libres, ce que l’on appelait auparavant le fast track. Nous le regrettons, car, si cette situation perdurait, nos propres négociateurs seraient soumis, à chaque étape de la négociation, à des accords partiels du Congrès, lesquels remettraient en cause les positions de négociation obtenues de l’administration américaine lors des rounds sur les différents sujets.
Le vote au Parlement européen a été reporté, mais il devrait intervenir dans les prochaines semaines. Il permettra au Parlement européen de clarifier sa position. Quoi qu’il advienne, je ne crois pas qu’il empêchera la Commission de continuer à négocier, sous le contrôle des gouvernements.
Nous jouerons donc notre rôle, en contrôlant cette négociation.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de revenir quelques instants sur la question des migrations, qui s’est installée depuis quelques mois au cœur de l’agenda européen et qui fera l’objet de discussions lors du prochain Conseil.
Le 19 avril dernier, 800 migrants ont péri à la suite du naufrage de leur embarcation en Méditerranée. Depuis, l’Europe est sous le choc.
Ce drame n’était malheureusement pas le premier, même s’il a révélé à l’opinion publique européenne l’ampleur des souffrances vécues par ces milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui veulent échapper à la misère, aux persécutions, aux guerres. Nous ne pouvons accepter que près de 20 000 de ces personnes aient disparu et qu’un tel drame puisse se reproduire.
Devant l’insupportable, les chefs d’État et de gouvernement européens se sont réunis en Conseil extraordinaire, le 23 avril dernier, pour élaborer un plan de lutte contre les naufrages.
Des mesures immédiates ont été prises – vous les avez rappelées, monsieur le secrétaire d'État –, comme le triplement des budgets, les opérations Triton et Poséidon, ainsi que des mesures de moyen terme pour aider l’Italie, la Grèce et Malte à enregistrer les arrivants. Le 13 mai, la Commission a fait connaître son agenda sur la migration et l’Union européenne a lancé, les jours suivants, l’opération militaire navale EUNAVFOR Med.
Cependant, l’afflux de migrants se poursuit et le défi qui nous est posé aujourd'hui est celui du contrôle de nos frontières extérieures.
Avant-hier, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a manifesté fortement son mécontentement à l’égard de l’Union européenne, considérant que les réponses de celles-ci « n’ont pas jusqu’à maintenant été pas suffisamment bonnes », et l’a menacée d’un plan B, non explicité mais qui, selon ses mots, « ferait mal à l’Europe ». Le Premier ministre italien fait état de l’arrivée de 57 000 migrants sur le sol de son pays et de plus de 100 000 sur l’ensemble des côtes européennes depuis le début de l’année. L’Italie ne fait plus face, comme l’attestent les tensions de ces dernières heures.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous poser deux questions.
À court terme, quels risques ce fameux plan B italien comporte-t-il et, surtout, quelles réponses peut-on apporter pour apaiser les tensions existant en Italie ?
À moyen terme, compte tenu des réticences du secrétaire général de l’ONU et du refus de la Libye d’autoriser l’Union européenne à neutraliser les bateaux des passeurs, que va devenir l’opération EUNAVFOR Med ? Quels moyens la France compte-t-elle employer pour obtenir une résolution de l’ONU lui permettant d’engager cette opération indispensable ? Et que se passera-t-il en cas de refus ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, lors du Conseil européen extraordinaire du 23 avril dernier, il a été demandé à la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de préparer une éventuelle opération de l’Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC. La décision relative au lancement de cette opération a été soumise aux ministres des affaires étrangères, qui l’ont adoptée le 18 mai, approuvant le concept de « gestion de crise ».
L’opération navale EUNAVFOR Med comporte trois phases : une première phase de collecte du renseignement sur les bateaux qui participent au trafic illégal de migrants, les informations ainsi recueillies étant partagées entre les participants ; une deuxième phase d’arraisonnement, de fouille, de saisie, de déroutement en haute mer de ces navires et embarcations, en sauvant évidemment les migrants qui peuvent se trouver à bord ; une troisième phase consistant à prendre toutes les mesures nécessaires à la mise hors d’usage de ces bateaux.
Les deuxième et troisième phases nécessitent un cadre juridique international. C’est pourquoi il a été demandé à la fois à la Haute représentante, qui s’est rendue à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi aux pays de l’Union européenne qui sont membres de celui-ci, qu’il s’agisse des membres permanents, la France et la Grande-Bretagne, ou des autres pays qui y siègent actuellement, de négocier une résolution du Conseil de sécurité.
Nous sommes précisément en train de discuter avec les membres, permanents ou non, du Conseil de sécurité – l’un des orateurs a évoqué, tout à l'heure, les questions posées par la Russie – pour obtenir cet aval international, ce soutien à lutte contre des trafiquants qui mènent des personnes à la mort.
Il s’agit donc d’un élément non seulement de la protection de nos frontières et de la lutte générale contre ces migrations illégales, mais aussi du dispositif de protection de la vie de citoyens provenant, pour beaucoup d’entre eux, de pays d’Afrique ou du Moyen-Orient et qui tentent de rallier l’Europe.
Voilà pourquoi nous allons continuer de demander ce soutien international, qui ne constitue qu’une partie de l’ensemble de la politique de migration que j’ai rappelée voilà quelques instants, laquelle consiste aussi, je l’ai dit, à protéger les réfugiés et les personnes en besoin d’asile international.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Depuis avril 2014 et le début du conflit armé en Ukraine, plus de 6 000 personnes sont mortes, 15 000 ont été blessées et 1,8 million ont dû être déplacées.
L’Union européenne a prolongé à plusieurs reprises les sanctions qu’elle a prises à l’encontre de la Russie : le Conseil a ainsi prolongé les sanctions individuelles de six mois, soit jusqu’au 15 septembre 2015, et les sanctions économiques jusqu’à la fin de l’année 2015.
Pour autant, il est légitime de considérer que la logique des sanctions arrive à son terme. En matière de sanctions, la difficulté tient beaucoup moins à les établir qu’à les lever. Pour être efficaces, elles doivent être adossées à un processus de négociation politique.
La semaine dernière, une délégation de la commission des affaires économiques s’est rendue à Saint-Nazaire. Ce fut l’occasion de nous interroger sur l’avenir des deux navires qui ont été construits et qui restent à quai.
De ce point de vue, le Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 a procédé à un utile rééquilibrage politique. Il est parvenu à un accord de principe pour lier le sort des sanctions à la mise en œuvre des accords de Minsk II jusqu’à la fin de l’année. Ces sanctions doivent faire l’objet d’une évaluation en juin 2015.
Toutefois, il semble que les États-Unis soient prêts à entreposer de l’artillerie lourde en Europe de l’est et dans les Balkans. D’après ces révélations – qui demandent à être confirmées –, les matériels en question pourraient servir à armer 5 000 soldats aux portes de la Russie.
Dans ces conditions, comment l’Europe pourrait-elle asseoir des relations solides et sereines avec la Russie ? Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser quelle est la position de la France par rapport à cette problématique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bosino, je l’ai dit, les sanctions sont un levier pour la négociation, elles ne sont pas une fin en soi. L’objectif est de faire en sorte que les négociations menées à Minsk, lesquelles ont tracé une feuille de route pour une solution de paix négociée, puissent être totalement respectées.
Nous souhaitons un retour à des relations normalisées sur les plans politique, sécuritaire et économique entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que la levée des sanctions. Tel doit être l’objectif de l’Ukraine – qui doit respecter totalement les engagements qu’elle a pris à Minsk –, de la Russie – qui doit également respecter ses engagements et ne pas soutenir les séparatistes qui mèneraient des agissements contraires à la feuille de route de Minsk – et de l’Union européenne – qui devra aussi mener une politique de relations nouvelles à l’égard de la Russie. Encore faut-il que cette dernière respecte le droit international, à commencer par l’intégrité et la souveraineté de son voisin ukrainien, ce à quoi elle s’est engagée dans le cadre des accords de Minsk.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Je suis persuadé qu’en marge de l’ordre du jour officiel du prochain Conseil européen seront évoquées les négociations concernant le traité transatlantique.
Au regard des votes intervenus la semaine dernière au Congrès américain, c’est-à-dire le refus du TPA, je me demande à quel horizon on pourra véritablement aboutir.
Par ailleurs, j’entends encore des gens soulever le problème du poulet au chlore ou celui des organismes génétiquement modifiés – j’en passe et des meilleures –, essentiellement dans l’intention de faire peur.
Or ce traité s’inscrit dans une logique gagnant-gagnant pour l’Europe comme pour les États-Unis. Il s’agit d’un problème non de barrières tarifaires – qui sont d’ailleurs relativement faibles – mais de normes entre les États-Unis et la France.
La semaine dernière, j’ai proposé à Mme Axelle Lemaire, qui remplaçait le secrétaire d’État Matthias Fekl dans cet hémicycle, la création d’une cour européenne pour lever le blocage du Parlement européen. Si le vote sur le traité n’a pu avoir lieu et a été retiré de l’ordre du jour de la séance plénière, c’est bien en raison de cet ISDS – Investor-State Dispute Settlement.
La procédure de ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est une procédure mixte, ce qui signifie que cet accord devra être ratifié au niveau européen comme au niveau national. Or je ne vois pas comment le Parlement européen et les parlements nationaux pourraient accepter de ratifier cette négociation ayant prétendument abouti avec nos cousins canadiens, alors qu’elle instaure explicitement un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États analogue à l’ISDS
Hors la création d’une cour européenne laissant aux tribunaux nationaux, dans nos pays démocratiques, le soin de régler les différends, je ne vois pas où nous pourrions aller !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Raoul, concernant le règlement des différends, cela a déjà été dit par Laurent Fabius et Mathias Fekl, la France n’acceptera pas que des juridictions privées, saisies par des entreprises multinationales, puissent remettre en cause les choix démocratiques des peuples qui s’expriment au travers de leurs législations votées par les parlements.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Ce principe nous guide dans l’examen d’une nouvelle proposition visant à remplacer le mécanisme de l’ISDS tel qu’il avait été envisagé par les rédacteurs initiaux du mandat de négociation.
L’idée d’une cour, ou d’un organisme public, nous semble plus adaptée.
Par ailleurs, s’agissant d’un accord de commerce incluant un volet sur les investissements entre les États-Unis et les vingt-huit États membres de l’Union européenne, on peut considérer que les systèmes judiciaires existant d’un côté et de l’autre de l’Atlantique offrent déjà de très importantes garanties en cas de recours des entreprises.
Concernant le suivi de la négociation, je l’ai dit, le TPA fait l’objet d’un blocage au Congrès. Nous espérons qu’il sera levé.
Pour ce qui est du Parlement européen, il est clair que la difficulté se situe autour de cet ISDS. C’est un point qui appelle une clarification.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais revenir sur deux des points soulevés au cours de ce débat.
Notre collègue Richard Yung a posé la seule question concernant la place de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne.
Je dirai que cette place est… singulière – je recours ici à l’humour britannique, afin de ne pas trop me défausser ! (Sourires.)
Je crois que nous aurions raison d’entrer dans le jeu du dialogue et de la prospective auquel nous invite M. Cameron. En tout cas, c’est ce que je veux lire dans les propos qu’il tient sur le sujet. À nous de ne pas nous écarter des valeurs et des idées des pères fondateurs de l’Union européenne.
Depuis quelque temps déjà, David Cameron a engagé des pourparlers avec un certain nombre de pays de l’Europe du nord, ainsi qu’avec l’Allemagne, mais pas encore véritablement avec la France. S’il ne le faisait pas, cela risquerait de nous entraîner vers un certain immobilisme, alors que chacun d’entre nous a envie d’une Europe un peu nouvelle, d’un cercle concentrique plus réactif, d’une Europe de l’essentiel, comme le dit Jean-Claude Juncker.
Le Sénat, sous votre autorité, monsieur le président, a commencé de discuter avec la Chambre des Lords. Notre commission des affaires européennes a eu l’occasion d’échanger avec celle de la Chambre des Lords, et notamment avec son président, lord Boswell.
Il serait pertinent que nous puissions être associés à un certain nombre de mesures en faveur d’une Europe beaucoup plus réactive, celle à laquelle nos concitoyens aspirent.
Par ailleurs, beaucoup de questions ont été posées sur le traité transatlantique. Je tiens à saluer la position très offensive que vous avez adoptée à cet égard, monsieur le secrétaire d’État. C’est une position courageuse.
Courageuse, l’intervention de Daniel Raoul l’était tout autant. La mondialisation fait partie de notre quotidien. Il est beaucoup plus confortable de se rabattre sur ce qu’on avait appelé, à l’époque du traité de Rome – cela remonte déjà à 1957 ! –, la « préférence communautaire ». Or cette préférence n’existe quasiment plus et n’est inscrite qu’en pointillé dans les derniers traités.
Nous disposons aujourd’hui d’un certain nombre d’atouts qu’il faut faire valoir dans ce type de négociations. Si nous n’entrons pas dans ce débat de façon offensive, avec les spécificités, les qualités qui sont les nôtres, ce sont d’autres continents qui écriront à notre place des normes qui s’imposeront sans débat aucun et qui proviendront, pour l’essentiel, de la Chine, de l’Inde ou du Brésil.
C'est la raison pour laquelle je tiens à saluer la position de Mathias Fekl sur le sujet. Il faut défendre les préférences collectives qui font partie de nos singularités à nous, Européens. C’est également ce qui fait l’attrait de l’Union européenne en général et de la France en particulier : si beaucoup d’Américains viennent passer des vacances dans notre pays et en Europe, c’est précisément à cause de nos préférences collectives.
N’adoptons pas une attitude frileuse ou populiste en la matière. Regardons la réalité en face : je l’ai dit, la mondialisation fait partie de notre quotidien. Nous avons plus que notre place à y prendre. En tout cas, je souhaite que nous puissions continuer à débattre de ce sujet.
À mon tour, je remercie le président Larcher d’avoir présidé cette séance. Le nombre de nos collègues aujourd’hui présents témoigne de l’intérêt que nous portons à l’Europe.
Il est vrai qu’un certain nombre de sujets et de préoccupations s’amoncellent sous le ciel non seulement européen, mais aussi mondial. Chaque fois que nous nous détournerons de l’Europe, nous nous éloignerons des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, je veux vous remercier d’avoir organisé ce débat, dans ces conditions et à cette heure, ce qui a permis une large participation des membres de la Haute Assemblée.
Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, nous sommes dans un moment où l’Europe est mise à l’épreuve, où se pose pour elle la question de savoir quelle va être sa place dans l’Histoire future. Son avenir se joue à travers les réponses qu’elle apportera aux crises qui se déroulent à ses frontières, aux enjeux de la croissance, qui doit revenir, ainsi qu’à travers la cohésion dont elle fera preuve face à des situations comme celles de la Grèce ou de la Grande-Bretagne pour sauvegarder un modèle démocratique et social spécifique dans la mondialisation.
Il s’agissait d’un débat important, à la veille d’un Conseil européen dont l’ordre du jour sera, lui aussi, particulièrement important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. Croyez bien, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que je ne manquerai pas de tirer les conséquences, avec la conférence des présidents, de ce qui a été dit concernant l’horaire auquel il est opportun que se tiennent ces débats préalables aux Conseils européens.
Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
16
Nomination de membres de deux organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Catherine Génisson membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
Je rappelle que la commission du développement durable a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Henri Tandonnet membre du Comité consultatif constitué au sein du Comité national de l’eau.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
17
Malades et personnes en fin de vie
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 348, texte de la commission n° 468, rapport n° 467, avis n° 506).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les corapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un sujet sensible qui nous rassemble aujourd’hui.
M. Charles Revet. C’est le moins que l’on puisse dire !
Mme Marisol Touraine, ministre. « Quand la crainte de la vie l’emporte sur la crainte de la mort » : ces mots de Victor Hugo trouvent un écho chez tous ceux qui ont eu à affronter la fin de vie difficile d’un proche, chez tous ceux qui ont entendu parler de ces situations, ne serait-ce qu’à travers tel cas ayant fait l’objet d’une médiatisation, ou tout simplement chez tous ceux qui y pensent comme à une éventualité.
En arriver au point de préférer mourir pour ne plus souffrir, c’est sans doute ce qui peut susciter la plus terrible des appréhensions.
La fin de vie est évidemment un moment intime. Pour autant, on ne peut la résumer à la sphère privée. Nous le savons bien, le rapport à la maladie et à la mort résulte de notre culture, d’un ensemble de règles, de codes, qui évoluent progressivement. Jamais sans doute depuis des siècles les évolutions n’ont été aussi rapides, sous la pression d’aspirations diverses : aspirations à la liberté – en tout cas à une plus grande liberté –, à l’exercice de la responsabilité, à la reconnaissance de l’autonomie.
Nous avons le devoir d’apaiser, sans jamais remettre en cause l’aspiration à l’autonomie. Nous devons poser des limites, mais nous ne saurions ignorer la souffrance. Car la modernité d’une société se mesure, pour beaucoup, à son rapport aux malades et aux souffrants, à sa capacité à faire évoluer des règles, en s’assurant qu’elles seront acceptées de tous.
On ne peut le nier, notre rapport à la maladie et à la mort a changé. Les soins palliatifs, s’ils se sont imposés dans le débat, ne sont pas accessibles à tous dans les mêmes conditions. Depuis quelques années, nos concitoyens ont des droits nouveaux, qu’ils ne connaissent pourtant pas suffisamment.
Les progrès de la science et de la médecine nous permettent de vivre plus longtemps, ce qui est assurément une chance. Dans le même temps, ces traitements peuvent faire durer la maladie parfois trop longtemps et maintenir en vie dans des conditions qui sont sujettes à interrogations, à tel point que, pour certains, la frontière entre la vie et la mort s’estompe.
Il y a donc, dans notre pays, une demande tendant à faire évoluer le cadre législatif.
C’est assurément une exigence : exigence morale pour certains, exigence politique, en tout cas, au sens fort du terme, car ce sujet a trait à la vie de la Cité. Les malades et leurs familles, les associations et les professionnels de santé nous demandent de nous saisir de ce sujet délicat avec responsabilité et d’apporter des réponses à des questions qui, parfois, résonnent dans le vide.
C’est pour répondre à cette attente que le Président de la République a pris l’engagement de mieux accompagner la fin de vie dans le contexte d’une maladie incurable et d’une souffrance insupportable.
Il fallait d’abord – c’était le souhait du Président de la République – permettre à la société de s’exprimer le plus directement et le plus largement possible. C’est ainsi qu’une mission a été confiée au professeur Sicard, et que le Comité consultatif national d’éthique a mené des travaux. À travers ces débats, les Français ont pu s’emparer du sujet ; ils ont également pu s’exprimer dans le cadre d’une conférence citoyenne. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses, tous ont pu faire valoir leur point de vue.
Est ensuite venu le moment d’élaborer un texte. Le Président de la République en a fixé le cadre : parvenir à un consensus aussi large que possible pour proposer une étape législative nouvelle. Une mission a ainsi été confiée aux députés Alain Claeys et Jean Leonetti. Ils ont rendu le résultat de leurs travaux en décembre dernier et rédigé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, même si elle a été en partie modifiée lors de son examen à l’Assemblée nationale.
M. Gilbert Barbier. Elle l’a même beaucoup été !
Mme Marisol Touraine, ministre. Cette proposition de loi marque des avancées importantes.
Première orientation du texte qui vous est proposé : renforcer l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.
Depuis dix ans, les unités de soins palliatifs se sont développées en France ; le nombre de lits a été multiplié par vingt. Pourtant, si les deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs, une grande partie d’entre eux n’y a pas accès, ou alors trop tardivement. Cette injustice – la situation est en tout cas perçue comme injuste – est à la fois sociale et territoriale, ce qu’a montré un rapport de la Cour des comptes paru cette année.
C’est pourquoi, avant même de réfléchir aux évolutions à apporter aux conditions dans lesquelles la fin de vie peut être aménagée, il paraît nécessaire de proposer un nouveau plan de développement des soins palliatifs. Il s’agit de développer la culture palliative dans notre pays en mettant en avant plusieurs priorités.
Il convient d’abord de garantir le développement des soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, partout sur le territoire, car ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Il faut ensuite répondre à la demande très forte, très pressante, de nos concitoyens de pouvoir accéder à des soins palliatifs à domicile. Alors que la majorité des Français, nous le savons, souhaiteraient pouvoir mourir chez eux, l’absence de soins palliatifs, sans que ce soit la seule raison, les amène trop souvent à s’éteindre à l’hôpital.
Nous devons aussi proposer une meilleure formation des personnels soignants, qui se disent eux-mêmes ignorants des démarches à engager, en intégrant un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades dans toutes les formations sanitaires.
Il nous faut enfin proposer des procédures communes aux professionnels de santé pour accompagner la sortie d’hôpital des patients qui ont besoin de soins palliatifs à leur domicile ou dans un EHPAD. La nécessité d’éviter toute rupture doit faire l’objet d’un référentiel commun ; la Haute Autorité de santé y travaille.
Un plan triennal est en voie d’élaboration et sera soumis dès la semaine prochaine à un comité de pilotage composé des acteurs des soins palliatifs. Ce comité éclairera et complétera, si nécessaire, les orientations que je proposerai à cette occasion. Je présenterai ensuite un plan finalisé pour permettre la montée en charge de cette offre de soins palliatifs au cours des trois années à venir.
Deuxième orientation de ce texte : renforcer la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits, que les Français disent ne pas connaître suffisamment. Près de la moitié d’entre eux ignorent en effet que la loi autorise d’ores et déjà le patient à demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seulement 2,5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées ! Or nous savons qu’elles pourraient répondre à nombre de situations difficiles.
La situation, largement médiatisée, de Vincent Lambert, qui n’est pas en fin de vie, il faut le préciser, rappelle la nécessité de tout faire pour que puisse s’exprimer la volonté de chacun. Les difficultés auxquelles le corps médical est confronté dans cette situation viennent en partie du fait que l’expression de sa volonté fait l’objet d’interrogations et de débats.
Nous devons donc renforcer et clarifier le cadre de l’expression personnelle de la volonté de chacun.
Le texte vise ainsi à rendre les directives anticipées contraignantes et à en supprimer la durée de validité. C’est une avancée majeure. Aujourd’hui, ces directives, lorsqu’elles existent, ne constituent que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale. Demain, c’est bien la volonté du patient qui sera déterminante pour l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment ultime, jusqu’au moment où on la quitte, tel est l’enjeu de dignité auquel ce texte s’attache.
Il s’agit également de renforcer l’information sur ces directives : information du patient, qui doit connaître son droit pour pouvoir l’exercer, mais aussi information de l’équipe médicale, qui doit avoir le plus rapidement et le plus clairement possible connaissance des volontés du malade.
Les amendements adoptés par l’Assemblée nationale renforcent ce volet du texte. Concrètement, un formulaire type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé et un registre national automatisé permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit. Ces dispositifs permettront aux médecins d’avoir une vision rapide et immédiate des directives anticipées du malade dont ils ont la charge. Ils pourront facilement consulter ce registre, dont les données seront au demeurant confidentielles, et il conviendra évidemment de garantir le respect de cette confidentialité.
Il nous revient en outre de trouver les moyens d’informer utilement nos concitoyens sur ce droit nouveau.
Enfin, la troisième orientation de ce texte est de consacrer une plus grande autonomie des personnes.
L’encadrement de l’arrêt des traitements, permis par la loi du 22 avril 2005, a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, personne ne le conteste. Toutefois, il nous faut aujourd’hui franchir une étape supplémentaire.
En effet, en l’état actuel de notre droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’entreprendre ou non les traitements, de les interrompre ou non. Si un dialogue a évidemment lieu au sein des équipes soignantes, certains médecins peuvent être désemparés lorsqu’ils sont confrontés à la décision d’interrompre ou non les traitements.
Dans le même temps, nous le savons, trop de patients, trop de familles, estimant que leurs droits sont mal reconnus, ont le sentiment de ne pas être entendus. Les droits des malades en fin de vie doivent donc être renforcés.
Il s’agit aussi d’offrir à la fois aux patients et aux soignants une sécurité telle que la diversité des situations et des prises en charge sur le territoire national soit réduite. On s’aperçoit en effet que, selon l’interprétation qui est faite de la loi, selon les équipes soignantes et les lieux où l’on se trouve sur le territoire, les réponses apportées à des situations identiques ne sont pas les mêmes.
Ce texte vise ainsi à préciser les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la notion d’« obstination déraisonnable » et prévoit d’instaurer un droit à bénéficier, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. À l’heure actuelle, ce traitement relève, je l’ai dit, de la seule appréciation médicale. Son application dépend donc largement du territoire, de l’établissement ou du service. Il s’agira désormais d’un droit concret, reconnu à tous et partout.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la fin de vie est un sujet sensible, qui nous concerne tous, individuellement et collectivement. Par-delà nos croyances, nos engagements, nos parcours et nos points de vue, nous avons une grande mission collective, celle de répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens.
Ce texte permettra de franchir une étape considérable. L’opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, inverse la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin puisque c’est à lui que revient le dernier mot. Il s’agit de redonner, jusqu’au dernier instant, de la force à la volonté et à la liberté de chaque personne.
Ce sujet, nous ne pouvons pas le nier, fait appel à la conscience de chacun. Selon moi, nous devons l’aborder avec la conviction que nul ne détient la vérité absolue et que chacun devant pouvoir exprimer sa conviction profonde. Sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, de même que dans l’ensemble du pays, certains considèrent que ce texte ne va pas assez loin. D’autres estiment que toute évolution du cadre juridique de la fin de vie est inopportune. Du côté de ceux qui voudraient aller plus loin, des démarches différentes sont suggérées : il n’y a pas, de ce côté non plus, de consensus absolu quant à l’étape supplémentaire qu’il convient de franchir.
Le Gouvernement souhaite que le débat s’engage de manière sereine. Il n’appartient à personne de porter un jugement sur des convictions qui sont toutes aussi respectables les unes que les autres. Il s’agit aujourd’hui de définir un texte qui rassemble largement et constitue un point d’équilibre dans la société, conformément à la volonté du Président de la République, lequel a fixé un cap clair : franchir, dans le rassemblement, une étape de liberté pour les malades.
Le Sénat est sans doute le lieu le plus à même de répondre à cette double exigence et d’entendre cet appel. En effet, votre engagement historique sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs, montre bien que des rassemblements peuvent s’opérer par-delà les clivages partisans. En outre, vous avez à cœur de rester attentifs à l’aspiration à la dignité des personnes en fin de vie.
Je ne doute pas que nos débats seront importants, utiles et éclairants pour notre société. Je ne doute pas non plus que des points de vue différents s’exprimeront et que des aspirations différentes se dessineront. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que, au sein même de l’exécutif, des points de vue différents se sont exprimés. Au fond, c’est la question suivante qui nous a rassemblés : comment, aujourd'hui, peut-on faire progresser le débat, sans heurter, en répondant à l’exigence de liberté, d’autonomie et de dignité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen s’inscrit dans des débats déjà anciens, auxquels certains d’entre nous ont eu l’occasion de participer, et qui n’ont rien perdu de leur actualité. L’annonce par le Président de la République, en décembre dernier, d’un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs marque d’ailleurs le besoin d’une meilleure prise en charge des personnes malades dans notre pays, et plus particulièrement des personnes en fin de vie.
Plusieurs lois successives ont consacré des principes clairs et protecteurs : d’abord, l’accès de tous aux soins palliatifs avec la loi du 9 juin 1999 ; ensuite, le consentement libre et éclairé des malades aux soins avec la loi du 4 mars 2002 ; enfin, la possibilité de l’arrêt des traitements en fin de vie avec la loi dite « Leonetti » du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Or, nous le savons tous, la réalité, malgré d’incontestables progrès, ne correspond pas à la volonté du législateur : depuis plus de quinze ans, la persistance du « mal mourir » dans notre pays n’a cessé de peser sur les conditions du débat public. L’inégalité de l’accès aux soins palliatifs est forte, en particulier selon les territoires, comme l’a récemment rappelé la Cour des comptes.
Je souhaite cependant insister d’emblée sur un point : prévoir de nouvelles contraintes législatives pour le déploiement des soins palliatifs n’ajoute rien à la loi de 1999 et n’aura pas plus d’effets, car le véritable enjeu est celui des moyens. Madame la ministre, vous avez hérité, dans le contexte budgétaire que chacun connaît, d’une charge lourde, mais c’est sur vous que repose l’obligation pour l’État de garantir à chacun l’accès effectif aux soins palliatifs, très largement insuffisant à l’heure actuelle, vous venez de le rappeler.
Je souhaite également réaffirmer que la loi dite Leonetti est une bonne loi. Son adoption rapide en 2005 a donné une base à la lutte contre l’acharnement thérapeutique. Cette base est désormais consacrée par la jurisprudence européenne et de plus en plus intégrée aux pratiques.
Il ne faut pas, à l’occasion du débat sur la présente proposition de loi, défaire les principes en place depuis dix ans, qui, chaque jour, permettent aux personnes malades en fin de vie et à leur entourage de trouver des solutions conformes à leur dignité et à la déontologie des soignants, même si, comme chacun le constate, cette loi n’est pas assez connue, tant au sein du corps médical que dans l’ensemble de la société.
La proposition de loi de nos collègues députés Alain Claeys et Jean Leonetti est critiquée par ceux qui craignent que les évolutions successives du droit ne poussent les personnes en fin de vie à considérer que leur existence est une charge pour les autres, mais aussi par ceux pour qui la vie relève du sacré. Elle n’est pas moins critiquée par ceux qui réclament le droit à une assistance médicalisée pour mourir ou au suicide assisté.
La commission des affaires sociales partage pour sa part l’objectif des auteurs, qui est de compléter sans rupture la législation en vigueur depuis plus de quinze ans. À nos yeux, il n’y a dans ce texte aucune ouverture vers l’assistance médicalisée pour mourir ou le suicide assisté. La commission a estimé que la proposition de loi définissait un juste équilibre entre la volonté du patient et le savoir médical, entre l’obligation de préserver la vie humaine et les souhaits de chacun quant aux conditions de sa fin de vie.
Afin de préciser certaines dispositions du texte et de limiter le caractère automatique des décisions concernant la fin de vie, elle a néanmoins adopté douze amendements sur les articles 1er à 14. Mon collègue corapporteur, Michel Amiel, vous présentera les principales modifications adoptées. Je m’en tiendrai pour ma part aux articles 8 et 9, relatifs respectivement aux directives anticipées et à la personne de confiance.
L’article 8 rend opposables aux médecins les directives anticipées. Cette évolution est notable, car, à l’heure actuelle, elles n’ont de valeur qu’indicative et deviennent caduques au bout de trois ans si elles ne sont pas renouvelées.
Le renforcement du statut des directives anticipées est attendu, même si seulement 2 % de la population française en a rédigé. Cela paraît de nature à rééquilibrer la relation entre les droits des malades et le savoir médical. La commission a cependant souhaité préciser les conditions dans lesquelles le médecin ne serait pas tenu de respecter les directives anticipées.
Les auteurs de la proposition de loi avaient en effet défini deux cas dans lesquels le médecin aurait la possibilité de ne pas les appliquer. Le premier cas ne fait pas débat : il s’agit de l’urgence vitale, par exemple la réanimation des personnes accidentées ou ayant fait une tentative de suicide. Le second cas était celui où les directives présentent un caractère « manifestement inapproprié ». La commission a modifié cette formule qu’elle n’a pas jugée pleinement satisfaisante, car elle pouvait aboutir, en pratique, à priver d’effet le caractère opposable des directives.
La commission a également souhaité étendre le recours à la procédure collégiale et renforcer la place de la personne de confiance.
À l’heure actuelle, cette procédure collégiale relève en effet du code de déontologie médicale, qui a valeur réglementaire. Il convient de préciser dans la loi les conditions minimales de son organisation et de prévoir en particulier l’association de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches qui le souhaitent.
À l’article 9, qui concerne la personne de confiance, la commission a jugé utile d’inscrire l’obligation pour celle-ci de cosigner sa désignation. Il s’agit d’éviter les cas où une personne découvre qu’elle a été désignée sans jamais avoir accepté de remplir cette mission. Cette obligation nous a paru le meilleur moyen de sécuriser le dispositif.
Avant que Michel Amiel ne prenne la parole, je souhaite rappeler que ce texte répond aux préoccupations de nos concitoyens, qu’il offre des garanties suffisantes pour les personnes les plus vulnérables sans remettre en cause l’équilibre auquel nous sommes parvenus en 2005. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Gérard Dériot l’a bien montré, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui concerne non les personnes qui veulent mourir, mais celles qui vont mourir. Son objet principal est d’améliorer la prise en compte des souffrances réfractaires en fin de vie, et je ne pense pas seulement à la douleur physique.
Les chiffres ne manquent pas pour illustrer l’écart entre la mort souhaitée – apaisée et à domicile – et les conditions de la mort de la majorité des Français en EHPAD, à l’hôpital, voire aux urgences. Cette situation résulte d’un manque de moyens, bien sûr, mais peut-être aussi et surtout de l’absence d’une véritable culture palliative en France. Oui, pour reprendre les mots du professeur Sicard, « on meurt mal en France ».
Outre le peu de temps consacré aux soins palliatifs dans la formation des professionnels de santé, l’intervention des soins palliatifs reste encore trop souvent associée à un échec des soins curatifs, et donc finalement du corps médical lui-même. Soins palliatifs et traitements curatifs doivent s’intégrer dans une même logique de prise en charge. Nous sommes face à un embarras de la médecine, à qui la société a confié le soin de s’occuper de la mort. Or le temps de l’accompagnement ne peut être exclusivement celui de la médecine.
J’en viens au texte soumis à l’examen de notre assemblée.
La commission des affaires sociales a jugé nécessaire d’apporter plusieurs modifications à la proposition de loi pour préciser ou clarifier certaines dispositions. Il s’est agi de limiter le caractère automatique des décisions qui concernent la fin de vie et d’accroître ainsi la sécurité juridique des dispositifs.
À l’article 2, relatif à l’obstination déraisonnable, l’application stricte des dispositions initialement prévues aurait eu des conséquences qui, à notre sens, ne correspondent pas aux objectifs visés. Nous avons supprimé le caractère automatique de l’arrêt des traitements pour redonner la primauté à la volonté du patient.
La commission a également défini les obligations minimales qui s’attachent à la mise en œuvre de la procédure collégiale. Celle-ci suppose désormais la réunion de l’équipe soignante, mais aussi l’association de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches.
Cette procédure est organisée sur l’initiative du médecin pour les décisions d’arrêt ou de limitation des traitements, de recours à la sédation profonde et continue, et d’application des directives anticipées. La commission a supprimé la mention de l’hydratation et de l’alimentation artificielles afin de s’en tenir à la jurisprudence du Conseil d’État.
À l’article 3, la proposition de loi prévoit un cadre spécifique et encadré pour une pratique qui existe déjà en soins palliatifs : la sédation profonde et continue. Une personne en fin de vie, dont le pronostic vital est engagé à court terme, qui est atteinte d’une souffrance réfractaire, qui demande à ne plus souffrir et, dans ce cadre, souhaite l’arrêt de l’ensemble des traitements, y compris le maintien artificiel en vie, aura le droit d’obtenir une sédation profonde et continue, associée à une analgésie, jusqu’à son décès. Comme le dit le professeur Régis Aubry, le malade n’est pas obligé d’assister au drame tragique de sa mort.
C’est la volonté de la personne qui prime ; c’est elle qui formule la demande. Si elle ne souhaite pas ou n’accepte pas l’arrêt des traitements artificiels de maintien en vie, le texte actuel n’ouvre pas droit à la sédation profonde et continue. L’arrêt des traitements n’est pas imposé par le médecin, il est choisi par la personne malade en toute conscience. Je rappelle que le droit pour une personne malade de refuser les soins, quels qu’ils soient, fait partie intégrante de notre droit depuis la loi de 2002.
La commission a supprimé la mention de la prolongation « inutile » de la vie, jugée source d’ambiguïtés. Elle a précisé que, dans le cas où une personne souhaite l’arrêt tout traitement, engageant ainsi son pronostic vital à court terme, la sédation profonde et continue n’est mise en œuvre qu’en cas de souffrance réfractaire. Cette nouvelle rédaction vise à écarter toute dérive vers le suicide assisté.
Pour mesurer objectivement les améliorations apportées par le texte, il faut cependant garder à l’esprit que la loi ne permet pas de fournir de réponse évidente à toutes les situations, et qu’elle n’a pas vocation à le faire. Je pense, notamment, aux cas dans lesquels une personne hors d’état d’exprimer sa volonté n’a pas rédigé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance, et qu’il n’y a pas de consensus au sein de la famille sur l’arrêt des traitements. Cela nous renvoie à un cas qui a récemment été largement médiatisé…
Dans ces situations dramatiques, la décision d’arrêter les traitements ne pourra être prise que par le médecin, s’il estime que la prolongation des traitements relèverait de l’obstination déraisonnable, ou bien par le juge.
En tout état de cause, il revient au Gouvernement de se saisir de l’occasion offerte par l’adoption de cette proposition de loi pour mener un véritable travail de pédagogie auprès de nos concitoyens, ce qui n’avait sans doute pas suffisamment été fait après le vote de la loi de 2005.
Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales ne marque pas de désaccord avec la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Il constitue une avancée réelle pour les patients dont l’autonomie juridique sera renforcée. Nous en partageons l’esprit, car il établit un juste équilibre entre la volonté des patients et le pouvoir du corps médical, entre l’obligation de préserver la vie humaine et celle de permettre à chacun de décider des conditions dans lesquelles il souhaite qu’elle s’éteigne. Les visions opposées, mais également respectables, qui vont s’exprimer lors de nos débats nous renforcent dans cette conviction.
La commission des affaires sociales vous demande donc d’adopter cette proposition de loi sous réserve des amendements de précision qu’elle vous soumettra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux limites de la souffrance, au bout de la maladie, la vie est-elle un privilège ou une fatalité ?
La proposition de loi qui fait l’objet de notre débat traite d’un sujet difficile et sensible, qui engage à la fois des considérations médicales et juridiques, des questionnements éthiques et philosophiques, et surtout des souffrances humaines.
La fin de vie, les douleurs qui l’accompagnent, l’ultime choix laissé aux patients et le rôle de la médecine au seuil de la mort appellent donc une réflexion prudente, empreinte d’humilité.
Deux principes cardinaux de la législation française ont encadré et déterminé la position de la commission des lois : d'une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d'autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne.
En prévoyant de consacrer dans certains cas un droit pour le patient à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’à son décès, la proposition de loi ne crée pas une nouvelle pratique médicale. En ultime soin, d’ores et déjà, les équipes soignantes y recourent dans un souci d’humanité pour éviter au patient les souffrances de sa maladie ou de son agonie.
En revanche, élever cette possibilité au rang d’un droit garantirait aux patients de pouvoir réclamer le bénéfice de cette sédation contre un médecin qui le lui refuserait, cas fort peu probable au regard des exigences de la déontologie médicale, ou de pouvoir en réclamer le bénéfice contre l’établissement hospitalier ou les services qui le soignent, ce qui est plus plausible compte tenu du retard de notre pays dans le développement des soins palliatifs.
Cependant, des situations différentes changent le sens qui peut être donné à la consécration de ce droit à la sédation.
Le Conseil d’État a énoncé une préoccupation qui n’a cessé d’être à l’esprit de la commission des lois : « La sédation profonde ne peut en aucun cas être un substitut aux soins palliatifs, une solution “de facilité” qui viendrait en quelque sorte pallier leur absence. »
Dans le texte adopté par la commission des affaires sociales, le recours à la sédation profonde est permis lorsque le patient en fin de vie, atteint d’une maladie grave et incurable, éprouve une souffrance réfractaire à tout traitement comprenant la gamme entière des soins palliatifs. Il est également permis lorsque le patient, hors d’état d’exprimer sa volonté, subit un acharnement thérapeutique et qu’une décision d’arrêt du traitement le maintenant en vie est prise au titre du refus de l’obstination déraisonnable.
La commission des lois a marqué son plein accord avec l’approche retenue par la commission des affaires sociales. Mais il lui est apparu qu’un lien systématique entre la sédation profonde et continue et l’arrêt de tous les traitements posait question.
Parce qu’il serait principalement contradictoire de reconnaître un nouveau droit du patient tout en limitant sa liberté dans l’exercice de ce droit, et parce que lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux rend plus indistincte la frontière entre la mort causée par la maladie et une mort causée par autre chose que cette maladie, la commission des lois souhaite redonner toute force à la volonté du patient au seuil de sa vie.
Nous en débattrons lors des échanges concernant un amendement que je présenterai sur ce point au nom de la commission des lois.
Le même souci de respecter le choix personnel a conduit la commission des lois à écarter le recours à la procédure collégiale lorsque le refus de traitement au titre de l’obstination déraisonnable est exprimé clairement et consciemment par le patient lui-même.
Privilégier la volonté de la personne en fin de vie revient à mettre tout en œuvre pour s’assurer de son contenu.
La proposition de loi a opéré un choix : faire des directives anticipées une preuve absolue de la volonté du patient. Les auteurs du texte ont ainsi choisi de renforcer substantiellement la force des directives anticipées, en supprimant leur durée de validité de trois ans et en prévoyant qu’elles s’imposeraient aux médecins.
Le texte établit une hiérarchie entre les différents éléments de preuve en présence. Les directives anticipées l’emporteraient sur tout autre témoignage. À défaut de directives, c’est le témoignage de la personne de confiance qui ferait foi. En dernier lieu seraient pris en compte les éléments recueillis par la famille ou les proches.
Or, pour parfaire notre recherche de la réalité de la volonté du patient, il est nécessaire de bien dissocier deux questions dans notre réflexion.
La première concerne la validité des directives anticipées au regard des souhaits les plus récents exprimés par le patient, avant qu’il n’ait sombré dans l’inconscience, ce indépendamment du contenu de ces directives. La seconde concerne l’effet contraignant des directives l’égard du médecin dès lors que le contenu n’est pas adapté à la situation médicale du patient.
Il existe en effet un risque grave à faire des directives anticipées la preuve irréfragable de la volonté du malade.
Certes, les directives constituent l’élément le plus fiable pour déterminer la volonté d’un patient en état d’inconscience, mais il est dangereux de leur attribuer un caractère trop absolu, au risque qu’elles ne se retournent contre le patient lui-même.
Comme l’a souligné Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors de son intervention au colloque organisé par le Sénat sur la fin de vie en janvier dernier, « lorsque le patient est dans un état d’inconscience, ses directives anticipées expriment une présomption de volonté ; elles sont une approximation, certes très forte, de ce qu’aurait été sa volonté consciente. Mais cette présomption ne saurait être irréfragable : elle doit pouvoir être écartée, lorsqu’un faisceau d’indices probants et circonstanciés démontre qu’elles ne correspondent plus à la volonté du patient. »
Dès lors, les directives anticipées doivent pouvoir être révoquées « par tout moyen » et le médecin doit pouvoir s’assurer de leur validité.
Pour améliorer, autant que faire se peut, la mise à jour des directives anticipées, il vous sera proposé que le décret en Conseil d’État, qui fixe notamment les conditions de conservation de ces directives, prévoie également un rappel régulier de l’existence de celles-ci dans le registre national.
Par ailleurs, la rédaction actuelle du texte précise que la parole de la personne de confiance prévaudra « sur tout autre élément permettant d’établir la volonté du patient à l’exclusion des directives anticipées ». Sans doute est-il sur ce point préférable de revenir au texte de l’Assemblée nationale, qui ne l’a fait prévaloir que sur les autres témoignages.
Sous réserve de quelques autres propositions d’amendements qui viendront en discussion tout à l’heure, dont la portée est plus directement juridique ou rédactionnelle et qui sont issues des débats de la commission des lois, j’ai tenté d’exprimer synthétiquement les priorités de cette commission dans l’examen de ce texte. Vous l’avez compris, mes chers collègues, elle veut assurer une totale protection des décisions du patient, hors celles qui conduiraient à une mort donnée activement.
Avant d’en débattre, je ne puis occulter le malaise ressenti face à un exemple éclatant de notre propre impuissance. Nul d’entre nous ne niera sérieusement que, en son for intérieur, il sait qu’il accepte de légiférer pour corriger l’étendue de droits restés quasiment à l’état de proclamations.
Pourtant, en avril 2005, ces droits avaient été instaurés au Sénat par un vote conforme en première lecture d’un texte voté à l’unanimité de l’Assemblée nationale ! Et ces droits sont cités, enviés, salués.
Si on sait de quoi on parle quand on évoque la notion de soins palliatifs, on ne change pas un mot à la résolution du Conseil de l’Europe du 28 janvier 2009, qui « considère les soins palliatifs comme un élément essentiel des soins de santé appropriés, fondés sur une conception humanitaire de la dignité humaine, sur l’autonomie, sur les droits de l’homme, du citoyen et du patient, ainsi que sur une conception généralement admise de la solidarité et de la cohésion sociale. »
De même, lorsqu’on sait de quoi on parle, on dénonce, avec le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport publié le 21 octobre 2014 « le scandale que constitue depuis quinze ans le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens ».
Mme Laure Copel, responsable d’un service de soins palliatifs, dont les propos sont relatés dans Le Monde du mercredi 17 juin, nous place devant notre responsabilité : « Le danger est extrême de n’avoir que la sédation à apporter comme réponse à une absence de soins de qualité. »
Dans ces circonstances, nous pouvons certainement nous accorder pour légiférer, mais à la condition expresse, fermement et fortement rappelée, que nous ne transigeons pas sur le droit pour tous d’accéder à une médecine palliative dans une unique et indivisible culture du soin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons donc discuter dans les heures à venir de cette proposition de loi Claeys-Leonetti qui, à la demande du Président de la République, conformément au programme de campagne présidentielle de celui-ci, vient compléter la loi Leonetti, reconnue par les professionnels de la santé, du moins ceux qui la connaissent, comme une bonne loi qui a fait progresser la prise en charge de la fin de vie dans notre pays.
Reprendre cette question au travers d’une proposition de loi élaborée après de nombreuses consultations nationales et après un débat populaire est exemplaire de ce qui doit être fait pour toutes les lois sociétales. Je pense à la bioéthique et, en particulier, à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, dont nous reparlerons dans quelques semaines.
Je ne doute pas que le débat qui s’ouvre aujourd’hui constituera un moment particulier dans le cours de notre activité législative habituelle, comme chaque fois que les questions liées à la fin de vie sont venues en discussion devant notre Haute Assemblée.
Ce débat est attendu, car le texte qui nous est présenté, remanié dans une écriture plus conforme au respect de la personne par la commission des affaires sociales du Sénat, nous oblige à renforcer notre vigilance, car, selon une partie de ceux qui ont étudié la fin de vie, il peut menacer ce qui nous paraît essentiel.
L’engagement que nous prendrons en votant le texte définitif, quel qu’il soit, concerne les droits fondamentaux de personnes vulnérabilisées, lourdement handicapées et qui risquent d’être exposées à des renoncements si notre société y consent. Il concerne ces personnes dont la mort semblerait préférable à ce qu’aurait pu être de notre part une sollicitude à leur égard dans leur parcours de vie.
En outre, une même attention doit être portée aux proches, aux familles qui ne lâchent jamais, qui refusent l’abandon et qui, comme le disait Emmanuel Hirsch, « restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité ».
L’examen de ce texte est particulièrement attendu, parce qu’il touche chacun d’entre nous en ce qu’il ressent de plus intime et parce qu’il nous renvoie à ce qui est essentiel à notre condition humaine. Nous en mesurons l’importance et la nature singulière.
Des positions divergentes vont se manifester, mais toutes témoigneront de convictions sincères et profondes comme de la diversité de nos approches personnelles de la vie et de la mort.
Dans ce débat s’exprimeront aussi, très certainement, des regrets, des craintes et des doutes.
Des regrets seront exprimés par ceux qui souhaitent voir reconnaître un droit à l’assistance pour mourir et instituer un dispositif assurant l’effectivité d’un tel droit. Toutefois, je pense que nous n’avons pas le droit de compromettre les raisons, même minimes, qui permettent d’espérer encore de la vie.
Des craintes viendront de ceux qui, au contraire, appréhendent, avec la formalisation juridique des protocoles de sédation profonde, un basculement vers une euthanasie qui ne dirait pas son nom, car nous avons le devoir, comme le dit Emmanuel Hirsch, de « préserver l’humanité et ne pas renoncer à reconnaître l’autre en ce qu’il demeure jusqu’au terme de son existence ».
Des doutes, enfin, se feront entendre, car il est légitime de s’interroger sur la nécessité et les limites de l’approche législative en une telle matière. Il faut également s’interroger sur les directives juridiques qui entraînent des protocoles exécutés à la demande et livrés à toutes sortes de dérives, car l’homme est humain.
La loi peut-elle apporter les réponses appropriées à toutes les situations ? Peut-elle prétendre satisfaire les attentes supposées de nos concitoyens, alors que la fin de vie demeure, pour les malades et leur famille, source de sentiments complexes, avec leur part d’ambivalence, de variabilité, d’hésitation et parfois de contradiction ?
Jusqu’où le législateur peut-il, par des procédures codifiées, encadrer la relation particulière entre le patient et son médecin, ce colloque singulier qui reste à la base de notre conception de la médecine ?
Quel substitut donner à la volonté du malade lorsque celui-ci est dans l’impossibilité de l’exprimer ? Quelle autorité reconnaître à la parole de ses proches, pour autant qu’ils ne se contredisent pas ?
Cette proposition de loi ne pourra répondre à toutes ces questions, ce que n’ont pas fait non plus les textes précédents, d'ailleurs. Le Président de la République, le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’ont pas voulu introduire dans notre droit, me semble-t-il, l’euthanasie, le suicide assisté ou toute forme de droit à se faire donner la mort.
À proximité de la mort et face à elle, nul ne détient la vérité.
La commission des affaires sociales du Sénat approuve la position prise par les rapporteurs. J’espère que cette position sera aussi celle de notre Haute Assemblée, car, comme je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises à cette tribune, je ne crois pas qu’il appartienne à notre société d’instaurer, fût-ce dans le contexte dramatique des souffrances et des angoisses d’une fin de vie, un droit d’administrer la mort. N’instrumentalisons pas le concept de dignité en inscrivant dans la loi les éléments favorables à une dépénalisation de l’euthanasie.
Le droit de vivre est-il contestable ? Je ne crois pas qu’une telle mission puisse être assignée à des médecins, des infirmiers ou tout autre personnel soignant. Je ne crois pas davantage que le suicide, qui reste une liberté, puisse devenir un droit, même dans les circonstances spécifiques des phases ultimes de la maladie.
Pour autant, faut-il se satisfaire des conditions actuelles de fin de vie de nos concitoyens ? Certainement pas. Nombre d’orateurs l’ont exprimé avant moi. J’approuve sur ce point ce qui a été dit par nos rapporteurs, par les auteurs de la proposition de loi, lorsque nous les avons reçus devant la commission des affaires sociales, et par les experts les plus qualifiés, qui ont souligné au cours des derniers mois nos carences dans la diffusion des soins palliatifs comme dans la connaissance et dans l’application de toutes les dispositions de la loi de 2005.
Le premier mérite de cette proposition de loi Claeys-Leonetti, à mes yeux, tient justement à ce que sa préparation a de nouveau mis en lumière des faiblesses auxquelles il est indispensable et urgent de remédier.
Son examen est l’occasion de réaffirmer devant le Parlement, mais aussi au-delà, auprès du monde médical et de l’ensemble de la société, la nécessité de donner son plein effet au cadre législatif mis en place en 1999, en 2002, puis en 2005.
L’élaboration d’un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, dont vous venez de nous parler, madame la ministre, va dans ce sens. Je souhaite que ce débat soit l’occasion, pour le Gouvernement, d’en préciser le contenu et les moyens.
Il est à mon sens nécessaire de généraliser une culture palliative aujourd’hui encore trop cantonnée à des équipes spécialisées, en favorisant par la formation initiale et continue la connaissance de ces pratiques soignantes, mais aussi celle des dispositions législatives qui proscrivent l’obstination déraisonnable et définissent ce que doit être l’accompagnement des malades en fin de vie.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Il s’agit aussi, bien entendu, de permettre l’accès effectif aux soins palliatifs pour les patients qui en ont besoin, que ce soit à l’hôpital, en établissement pour personnes âgées dépendantes ou à domicile.
La proposition de loi a pour second mérite de préciser la loi de 2005 et, dans certains cas, d’en renforcer les dispositions. Le texte prend en compte de manière plus affirmée la souffrance du malade en fin de vie et les réponses qui doivent lui être apportées, tout en encadrant précisément la pratique de la sédation profonde, aujourd’hui définie par de simples recommandations de bonnes pratiques.
Nous restons cependant vigilants. L’expérience dans le domaine de l’euthanasie, en particulier celle de la Belgique, prouve que, avec le temps, un renoncement progressif aux critères qui encadrent la loi s’installe et que les pratiques se banalisent. Les rapporteurs ont entendu les médecins qui disent que la privation de la nutrition et l’hydratation entraînent la mort, que la sédation profonde ouvre les portes du décès et peut être considérée, à juste titre, comme un pas de plus vers l’euthanasie.
Le texte vise également à mieux répondre aux situations dans lesquelles le patient n’est plus en situation d’exprimer sa volonté, en renforçant la portée des directives anticipées et le rôle de la personne de confiance. Il faudra aussi témoigner à la personne en fin de vie écoute et respect jusqu’au dernier moment.
La commission des affaires sociales, dans sa majorité, a approuvé la démarche qui sous-tend cette proposition de loi, ainsi que son dispositif, qu’elle juge utile et équilibré. Elle a suivi les conclusions de ses deux rapporteurs en adoptant treize amendements dont les dispositions n’en modifient pas la physionomie générale, prolongent en quelque sorte le travail effectué par Alain Claeys et Jean Leonetti, que je tiens à saluer, et surtout en précisent plusieurs aspects.
Au travers d’améliorations rédactionnelles, la commission a souhaité faire apparaître plus clairement certaines notions, comme l’apaisement de la souffrance ou la manifestation de la volonté du patient avant la suspension des traitements.
Plus substantiellement, elle a jugé nécessaire de préciser les conditions de mise en œuvre de la sédation profonde. Celle-ci nous paraît impérativement devoir répondre aux situations de souffrances réfractaires aux traitements. Nous considérons, mais le temps et l’expérience peuvent nous donner tort, que la rédaction proposée par Gérard Dériot et Michel Amiel garantit qu’elle ne sera pas détournée de son objet.
Enfin, il nous a paru utile de définir la procédure collégiale à laquelle le texte fait une place importante.
Mes chers collègues, même si, en ce début d’examen du texte, nous avons des prises de position différentes, je souhaite que nous convenions que s’il est un droit incontournable, c’est bien celui d’être reconnu dans la dignité de son existence jusqu’au terme de sa vie.
Le débat qui va suivre va être riche et les positions de chacun seront certainement motivées, mais je souhaite que l’équilibre que nous avons recherché recueille finalement votre approbation et vous invite à adopter cette proposition de loi, telle que l’a modifiée notre commission des affaires sociales. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer avec une très grande sincérité l’excellent travail de nos collègues rapporteurs, qui a permis d’améliorer le texte issu de l’Assemblée nationale en clarifiant certains points ambivalents.
Aujourd’hui, nous débattons d’un sujet difficile, entouré d’émotions et de convictions et auquel chaque individu, que ce soit pour lui-même ou pour un être cher, sera fatalement confronté.
La mort est un déchirement, un arrachement à la vie, à ceux que nous aimons ; elle est aussi la tragique disparition de ceux qui nous laissent orphelins de leur présence. Toutefois, elle est une issue fatale. L’appréhension de la mort, dans notre société qui sacralise la performance et le progrès, mais sanctionne l’échec, explique la difficulté que représente la question de la fin de vie. Son évocation renvoie à nos valeurs personnelles, mais aussi à celles de notre société.
La mort aujourd’hui est refoulée et devient cette vérité que nous ne pouvons regarder en face. Un sentiment de peur, de gêne, d’échec d’une médecine curative amène à sa mise à l’écart de la vie publique.
Dans les sociétés antérieures, nos parents et nos grands-parents mouraient chez eux, entourés de leur famille et de leur affection. Aujourd’hui, la mort se cache. Elle est une étrangère qu’il s’agit de ne plus voir, un tabou de société, qui explique d’ailleurs que la plupart des personnes meurent à l’hôpital ou en maison de retraite, souvent dans ce que Norbert Elias appelle « la solitude des mourants ».
Faut-il rappeler que, dans notre pays, près de 8 000 personnes résidant en EPHAD décèdent chaque année dans les heures qui suivent leur admission dans le service d’urgence d’un hôpital ?
Pouvons-nous abandonner ceux qui vont mourir à l’acharnement déraisonnable, à la solitude, à la douleur et à la souffrance, car c’est ainsi que les hommes meurent trop souvent ?
Ce texte pose aussi la question de la finalité de la médecine, une médecine curative faite pour sauver et guérir, alors qu’elle doit aussi prendre soin et soulager. Aujourd’hui, le cantonnement des soins palliatifs à la fin de vie, vous l’avez dit, madame la ministre, est générateur d’angoisse pour le patient et ses proches, qui l’associent à une mort imminente.
Les soins palliatifs sont dans notre pays une indignité, malgré la loi de 1999 qui prône l’accès de tous à ces traitements.
La loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée majeure ; elle a permis d’améliorer la prise en compte de la volonté du patient et de ses souffrances, en faisant progresser les soins palliatifs et en condamnant l’acharnement thérapeutique. Hélas, mal connue et appliquée, elle se révèle insuffisante. La prise en charge des malades en fin de vie souffre ainsi de plusieurs insuffisances.
La première, ce sont les inégalités multiples et scandaleuses en termes d’accessibilité, puisque seuls 20 % des patients qui pourraient en bénéficier ont accès aux soins palliatifs. Il existe ensuite de très fortes disparités territoriales, puisque quelque 70 % des lits de soins palliatifs sont concentrés dans cinq régions. On constate enfin des inégalités au niveau des structures, car si l’offre hospitalière reste notoirement insuffisante, les structures médico-sociales sont très peu développées et la possibilité de mourir à son domicile, dans son cadre familier, auprès de ses proches, quasi inexistante. Ainsi, quelque 70 % des malades meurent en milieu hospitalier, alors que 70 % des Français affirment vouloir mourir chez eux.
La deuxième insuffisance concerne le manque flagrant de formation des médecins aux soins palliatifs. Le déficit de formation des professionnels de santé et des accompagnants rend la situation actuelle inacceptable et même trop souvent indigne.
Les médecins doivent mieux appréhender la limite entre l’efficacité et l’« obstination déraisonnable », car science sans conscience est vaine. Le serment d’Hippocrate engage à sauver et à guérir ; les médecins, trop souvent encore, refusent d’accepter l’impuissance de la science, mais la médecine se doit d’être curative et palliative.
Malgré une amélioration de la formation, le rapport Sicard de 2013 montre l’ampleur des progrès à entreprendre pour sensibiliser les médecins aux soins palliatifs. Comme le souligne ce document, les personnes malades en fin de vie éprouvent, pour la plupart d’entre elles, le sentiment soit d’être soumises à une médecine qui privilégie la performance technique au détriment de l’attention qui devrait leur être portée, soit d’être purement et simplement abandonnées. Il s’agit ici de soulager avec compétence et d’accompagner avec humanité.
L’Observatoire national de la fin de vie estime ainsi que quelque 80 % des médecins n’ont reçu aucune formation à la prise en charge de la douleur.
Madame la ministre, tant que ce type de formation ne sera pas véritablement intégré dans le cursus et valorisé, tant qu’une véritable culture palliative ne sera pas développée dans notre pays, le changement de pratiques en France face aux situations de fin de vie restera pathétique.
La troisième insuffisance concerne le manque de moyens.
Madame la ministre, nous serons extrêmement vigilants, lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, au fait que les crédits nécessaires soient alloués aux soins palliatifs, conformément à la volonté annoncée à la fin de l’année dernière par le Président de la République de combler le retard français en la matière.
La quatrième insuffisance porte sur l’information du grand public. L’ensemble des sondages montre l’ignorance actuelle de nos compatriotes sur le dispositif existant. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, seuls 2,5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées.
Aujourd'hui, les patients et les familles souhaitent être associés aux décisions qui les concernent et attendent un rééquilibrage entre le savoir médical et les attentes des malades.
La proposition de loi va parfaitement dans ce sens. Force est de constater qu’en devenant contraignantes, les directives anticipées faciliteront la prise de décision qui appartient au médecin et la prise en charge de personnes incapables d’exprimer leur volonté. Chacun de nous songe à la situation dramatique et violente récemment médiatisée, au cœur d’une tourmente juridique et familiale si tragique et si inhumaine.
La loi permettra également de sécuriser les médecins. En ce sens, le principe d’une procédure collégiale assure le médecin d’une sécurité juridique accrue, mais aussi la famille et le patient de la prise en compte de leur volonté légitime d’être entendus.
Ce texte, s’il a pour vertu d’éclaircir certains points importants, soulève également son lot de questions, notamment celle, particulièrement délicate et douloureuse, de la néonatologie, ou celle des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté et n’ayant pas rédigé de directive.
De façon plus globale, à partir de quel point peut-on considérer que les traitements n’éviteront pas une issue fatale ? Est-on encore vivant si l'on n’a plus ni conscience ni aucune interaction possible avec le monde autour de soi et que seul le corps subsiste ? Peut-on et doit-on aller plus loin dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les douleurs insupportables ?
Ce texte est critiqué par ceux dont les convictions sont que la vie est sacrée et qu’elle n’appartient pas aux hommes ; il l’est aussi par ceux qui espèrent, au nom de leur liberté individuelle, un droit à mourir.
Toutefois, mes chers collègues, ce texte n’est pas fait pour celles et ceux qui veulent mourir ; il est fait pour ceux qui vont mourir, dont le pronostic vital est engagé. Notre société ne peut laisser mourir dans la souffrance, l’angoisse et la solitude. Apaiser, soulager est un devoir de fraternité. Ce texte engagera notre société, comme il vous engagera, madame la ministre, à respecter vos promesses ; il vous obligera.
La fin de vie pose des questions éthiques, philosophiques, religieuses et morales infiniment personnelles. C’est pourquoi chacun des sénateurs du groupe UDI-UC se prononcera en conscience sur ce texte, un texte équilibré qui permet de répondre à l’exigence d’une fin de vie apaisée, sans pour autant banaliser les actes pouvant conduire à la mort. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – Mme Annie David applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours des dernières décennies, le choix de la fin de vie est devenu l’une des grandes problématiques sociétales.
Oui, c’est la société dans son ensemble qui s’est continuellement saisie de cette question. J’ai dénombré pas moins de vingt-quatre initiatives parlementaires, sans compter les avis du Conseil d’État, du comité consultatif national d’éthique, de la conférence citoyenne, ou les prises de position de grandes associations comme l’association pour le droit à mourir dans la dignité, l’ADMD, dont je salue l’investissement.
Mme la ministre a rappelé l’engagement et la volonté du Président de la République ; je n’y reviens pas. Conformément à sa promesse, le chef de l’État a engagé un large processus de consultation sur la fin de vie. On le sait, la mission confiée au professeur Didier Sicard a été la première étape d’une série de débats publics et de propositions sous formes diverses. Son rapport a éclairé les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat.
En 2011, le Premier ministre, Manuel Valls, évoquait une proposition de loi de sénateurs socialistes, communistes et UMP, discutée alors au Sénat, qui avait su aller par-delà les clivages partisans.
Nous le savons, il s’agit non pas de définir les critères d’une mort digne, mais de permettre à chaque individu d’en être le seul juge. Je crois avec force qu’apporter des réponses à la question du choix de sa propre mort et à celle de la souffrance, c’est affirmer dans quelle société nous voulons vivre. On prête souvent les propos suivants à André Gide : il nous faut « penser la mort pour aimer mieux la vie ». Ils sont riches de sens. Il est des phrases qui nous élèvent.
Nous sommes nombreux à penser qu’il est temps de franchir une étape nouvelle dans cette « longue marche vers une citoyenneté totale », pour reprendre les mots extraits de l’exposé des motifs de la proposition de loi récemment adoptée par les députés. Ce texte reconnaît un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement. Le patient pourra spécifier dans ses directives anticipées sa demande d’accéder à une sédation, dans les circonstances prévues par la loi.
Ce texte affiche des objectifs louables : il se veut un effort en faveur d’une meilleure prise en charge des patients en fin de vie ; il se dit un effort en faveur d’une diffusion de la culture palliative chez les professionnels de santé ; il entend faire en sorte que, à la volonté du patient, corresponde un acte du médecin.
Cependant, après avoir lu ce texte, un certain nombre d’entre nous estime que les choses ont peu avancé eu égard aux nombreux travaux, interventions, consultations menées depuis des années et aux évolutions constatées de la jurisprudence. Malgré de grandes annonces, nous constatons que le texte se limite à autoriser l’accès à la sédation en phase terminale et à renforcer le caractère contraignant des directives anticipées.
Je salue néanmoins le travail des rapporteurs, qui se sont attachés à préciser le texte sur de nombreux points, notamment à l’article 3.
La mention de la prolongation « inutile » de la vie concernant les conditions de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès était, en effet, une réelle source d’ambiguïtés qui méritait d’être supprimée. Il en est de même pour l’expression de directives « manifestement inappropriées » à l’article 8.
Pour autant, le groupe socialiste a déposé une série d’amendements qui visent à aller plus loin – pas trop loin non plus, rassurez-vous, madame la ministre ! Je tiens à remercier sincèrement Jean-Pierre Godefroy et Dominique Gillot de leur travail.
Nous avons ainsi souhaité rétablir la rédaction initiale de l’article 2, en ajoutant la référence à l’article 37 du code de déontologie médicale concernant la procédure collégiale. Au même article, nous avons également rétabli l’inscription explicite dans le texte que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ».
Je salue d’ailleurs la qualité des débats qui ont eu lieu en commission sur ce sujet. Notre travail n’est pas encore terminé. Il convient, selon nous, de tenir compte des apports de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014.
Comme nous estimons – je l’ai dit ici à l’occasion de débats sur les vaccinations – que la carte Vitale est un excellent support, nous souhaiterions qu’y soient inscrites la mention de l’existence de directives anticipées et les informations relatives à la personne de confiance.
Nous sommes très attachés à ce que soit étendue l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie dans des établissements de santé. Notre amendement sur ce sujet a été « retoqué », pour employer un terme du jargon parlementaire, par la commission des finances. C'est la raison pour laquelle nous demandons un rapport pour obtenir une évaluation des coûts d’une telle extension. En effet, près de 58 % des décès se produisent dans des établissements de santé. Cette situation doit changer.
Enfin, nous plaçons la sensibilisation de la population à ces questions au cœur du dispositif, en informant cette dernière de ses droits, notamment à l’occasion de la journée défense et citoyenneté, occasion unique de sensibiliser très tôt l’ensemble de la population.
Par ailleurs, je déplore, comme d’autres orateurs avant moi, une carence du texte sur la formation des étudiants en médecine sur les soins palliatifs. Un temps de formation obligatoire sur ce sujet inclus dans le cursus des étudiants favoriserait l’information des médecins et permettrait le développement d’une culture du palliatif en France. Le rapport de MM. Amiel et Dériot le souligne : les droits des malades en fin de vie sont inégalement respectés sur notre territoire, et ces pratiques hétérogènes accentuent les inégalités face aux conditions de la mort.
Il n’aura échappé à personne que de nombreux sénateurs socialistes ont cosigné un amendement qui a pour objet de reprendre le contenu des nombreuses propositions de loi déposées au Sénat. Cet amendement, qui vise les personnes, qu’elles soient en état ou hors d’état d’exprimer leurs volontés, pour lesquelles l’arrêt du traitement ne suffirait pas à soulager leur douleur, tend à leur donner la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
Il s’agit non pas de donner la mort, mais d’accompagner une mort choisie. Je suis cosignataire de cet amendement, mais comme je m’exprime à cette tribune en tant que chef de file du groupe socialiste, je ne m’étendrai pas sur cette question.
Mes chers collègues, je ne saurais terminer ce propos sans rendre hommage à l’un de nos collègues ici présents, ce qui est inhabituel à cette tribune, Jean-Pierre Godefroy.
Mon cher collègue, vous êtes un homme de justesse et d’équilibre, un homme à qui nous devons le plus profond respect, tant votre combat dans ce domaine marquera l’histoire de notre assemblée. Ce texte ne rend pas suffisamment hommage aux combats dans lesquels vous vous êtes engagé il y a bien longtemps déjà. Léon Blum écrivait : « L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » Monsieur Godefroy, c’est cette réflexion que vos travaux m’inspirent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Pour terminer, je citerai de nouveau Gide qui, dans Le Traité du Narcisse, écrit ces mots que je trouve tout à fait adaptés au sujet qui nous réunit aujourd’hui : « Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Sénat, assez régulièrement critiqué – parfois avec raison, parfois avec excès –, passe pour ses défenseurs, dont nous sommes, pour l’instance qui protège les libertés collectives et individuelles.
En ce qui concerne les droits humains, qu’y a-t-il de plus précieux, de plus intime et de plus symbolique que le droit de pouvoir finir sa vie comme on l’a rêvé ou, à défaut, de ne pas l’achever comme on n’aurait jamais voulu qu’elle se termine ? De nos jours, les patients sont devenus des acteurs de leur maladie et, dès leur plus jeune âge, les citoyens sont invités à construire un projet de vie.
Le Président de la République François Hollande a, durant sa campagne, promis dans son engagement n° 21 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
Sept propositions de loi ont été déposées au Sénat : celles de MM. Jean-Pierre Godefroy, Roland Courteau, Alain Fouché, Gaëtan Gorce, Jacques Mézard, celle de Mme Muguette Dini, ainsi qu’une proposition de loi écologiste. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail effectué par Mme Dini lorsqu’elle présidait la commission des affaires sociales. La majorité de ces textes a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, et une autre proposition de loi sur le sujet a été récemment examinée.
Nous voici donc après la quatrième proposition de loi déposée depuis 2012 à l’Assemblée nationale, dont celle de notre collègue et amie Véronique Massonneau, discutée et renvoyée en commission le 29 janvier 2015.
Le groupe écologiste se sent proche de ce texte, qui vise à donner à chacun le libre choix de sa fin de vie, avec la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir, dans des conditions strictes et avec des directives anticipées contraignantes. À la suite de la lettre de mission du Président de la République, du rapport Sicard, d’une conférence de citoyens sur la fin de vie et d’un rapport du Conseil consultatif national d’éthique, un nouveau texte a été proposé, celui que nous examinons aujourd’hui.
Autant le dire posément, ce texte ne nous donne pas pleine satisfaction. Il ne prévoit pas ce que réclame la majorité de la population, à savoir le choix de bénéficier d’une aide ou d’une assistance active à mourir dans certaines conditions.
Vous l’avez dit, madame la ministre, cette proposition de loi est une sorte de compromis qui constituerait une petite avancée. Elle risque cependant de froisser ceux qui estiment qu’elle va trop loin, sans satisfaire l’immense majorité des Français qui demandent davantage.
Aussi, comment expliquer le sensible décalage entre les demandes de nos concitoyens, attestées dans tous les sondages, et notre timidité ? Nous respectons bien sûr celles et ceux qui n’ont pas la même position que nous. Néanmoins, nous considérons que la version initiale, tout comme celle qui a été modifiée par les rapporteurs, dont nous saluons la recherche de dialogue malgré nos avis divergents, n’est pas assez ambitieuse et ne prend pas en compte la demande de celles et ceux qui ne veulent pas d’acharnement thérapeutique.
Il reste une forme d’hypocrisie, puisque, d’après les statistiques officielles, près de 4 000 personnes meurent chaque année par « quasi-euthanasie ». Pourquoi refuser à toutes celles et tous ceux qui le réclament ce qui est déjà accordé à certains ? Les initiés, qui vivent dans des centres urbains bien dotés en services de soins palliatifs, seraient-ils les seuls à avoir le droit de bien mourir ?
La loi Leonetti de 2005 est peu et mal appliquée, nous avons tous partagé ce diagnostic. Pour remédier à cela, on demande au même de refaire une copie... De plus, sauf erreur de notre part, nous constatons que nos collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales, dont je salue les grandes compétences, sont respectivement médecin et pharmacien. Est-il indispensable de laisser ce débat uniquement aux mains du corps médical ? Ne faut-il pas démédicaliser l’approche que nous avons de la question et considérer que celle-ci concerne chacun d’entre nous ?
Enfin, j’aimerais exprimer un regret. Toutes les statistiques le montrent avec force, la fin de vie comme le care sont majoritairement pris en charge par des femmes. Nous discuterons peut-être à l’avenir d’une nouvelle loi sur cette question, puisque ce texte ne répond pas à toutes les attentes, mais j’estime qu’un tandem mixte serait aussi de nature à favoriser une approche plus ouverte sur le sujet.
Il faut également saluer l’excellent travail des personnels qui travaillent dans les services de soins palliatifs et celui des bénévoles, qui donnent leur temps sans compter pour aider ceux qui n’ont pas de visites. Grâce à eux, ceux qui meurent à l’hôpital – c'est là que l’on meurt aujourd'hui, et non plus chez soi – sont parfois bien accompagnés. Toutefois, on meurt aussi souvent seul, isolé, et pas de la façon dont on l’aurait souhaité.
Cela a été dit à plusieurs reprises, la loi dont nous discutons aujourd'hui concerne ceux qui vont mourir ou ceux dont la médecine pense qu’ils vont mourir, et non ceux qui, à l’issue d’un long parcours, aimeraient mourir mieux ou plus vite. Le Sénat a pourtant une responsabilité, celle de prendre en compte les attentes de la population, qui – je le répète – dépassent ce que nous faisons aujourd'hui avec ce texte.
Les babyboomers d’hier, c'est-à-dire, mes chers collègues, vous et moi, n’accepteront pas demain de ne pas être acteurs de la dernière étape de leur vie, alors qu’ils auront connu des évolutions majeures des droits individuels fondamentaux : droit de vote des femmes, reconnaissance du droit à l’interruption de grossesse, droit des personnes transgenres – même s’ils sont encore insuffisamment pris en compte, leurs droits sont en construction –, droit pour tous de se marier ou de ne pas le faire, de se pacser ou de vivre célibataire, de divorcer et de recommencer, ou non, une vie en couple.
Nous souhaitons avoir ici, aujourd'hui et demain, des débats à l’image du Sénat, des échanges sereins et sincères, argument pour argument. Nous aimerions qu’au-delà des clivages habituels se dessine une majorité humaniste et fraternelle, qui entende les demandes qui nous sont formulées et qui vont plus loin que vos propositions, madame la ministre. Je comprends votre prudence politique, mais je ne la partage pas.
Nous ne sommes pas, hélas, égaux face aux risques, aux aléas de la vie, aux souffrances et aux épreuves. J’espère que cette loi nous donnera l’occasion de montrer l’utilité du Sénat et de ses élus expérimentés, qui ont tous eu à connaître, dans leur mandat, leur vie antérieure ou leur vie familiale, les effroyables inégalités face à la mort.
Je rappelle que quelque 96 % des Françaises et des Français souhaitent que « la loi française autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». Ils sont 93 % à vouloir « que le Président de la République tienne sa promesse de campagne en autorisant, dans le cadre d’une loi votée par le Parlement, le recours à l’euthanasie active pour les personnes en fin de vie qui en feraient la demande ». Nous ne forçons personne, mais nous demandons que ceux qui le souhaitent puissent choisir leur mort.
Si les Françaises et Français se déclarent, dans leur très grande majorité, favorables à l’euthanasie, ils plébiscitent également – à 94 % selon une enquête de décembre 2014 – le recours aux soins palliatifs, qu’ils connaissent d’ailleurs trop peu. Néanmoins, j’en conviens, la loi n’est pas faite pour répondre aux sondages.
Notre philosophie a consisté à enrichir le présent texte en y apportant tout d’abord un amendement issu d’une réflexion collective et transpartisane, car, sur ces questions, la sensibilité personnelle compte peut-être beaucoup plus que toute autre considération. Ensuite, d’autres amendements ont été déposés au nom du groupe écologiste, à l’exception de l’une de ses membres.
En premier lieu, nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir dans des conditions strictes, afin d’élargir le champ des possibilités figurant dans la version actuelle du texte. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la sédation profonde et continue jusqu’à la mort ne saurait en effet constituer le seul moyen d’assurer le droit à une fin de vie digne. C’est d’ailleurs le point qui fait le plus débat entre nous aujourd'hui.
En deuxième lieu, il convient, selon nous, de laisser à chacun la possibilité de décider, pour sa mort, du moment et de la manière, puis de respecter ce choix. L’assistance médicalisée active à mourir est définie conjointement par la personne malade et – nous dit-on – par l’équipe médicale qui l’entoure. Ici aussi, un débat serein est nécessaire. Certains d’entre nous considèrent effectivement qu’une évolution est nécessaire et que ce texte ne va pas assez loin au regard des attentes de nos concitoyens.
En troisième lieu, nous proposons un amendement visant à élargir le contenu des directives anticipées, qui sont, selon nous, extrêmement importantes ; nous souhaitons en élargir et en préciser le périmètre.
En quatrième lieu, un amendement aura pour objet le développement, particulièrement nécessaire selon nous, des soins palliatifs. Nous promouvons les soins palliatifs pour tout le monde ! Il s’agirait du principal progrès de ce texte, car c’est là que réside l’échec de la première loi Leonetti.
Pour conclure, je réaffirme que le combat contre le « mal mourir » en France passe par le développement des soins palliatifs, mais aussi par la liberté de choix et la possibilité de recourir à une assistance médicalisée active à mourir. N’ayons pas peur de réclamer, pour ceux qui le souhaitent, le droit à l’euthanasie et au suicide assisté !
Mes chers collègues, je tiens à rendre hommage à Jean-Luc Romero et à l’association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD ; et je veux aussi remercier les sénateurs écologistes Jean Desessard et Marie-Christine Blandin, les premiers qui ont porté ce combat au Sénat.
Pour finir, je rendrai hommage à un collègue avec qui nous avions discuté de ces sujets et auquel nous pensons à cet instant : le sénateur Guy Fischer. Il s’agissait pour lui d’un sujet très important et il me semble qu’il aurait aimé un texte un peu moins timide. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie est un sujet sensible et particulier.
Si elle constitue par essence une composante de la vie, si elle fait partie pleinement de notre existence, nous ne pouvons nier nos difficultés à aborder cette question. Culturellement, nous n’avons en effet pas l’habitude de faire face à la mort, de l’accepter ou même d’en parler. Surtout, ce sujet renvoie, pour chacune et chacun d’entre nous, à des expériences personnelles, professionnelles ou familiales souvent marquantes, en tout cas douloureuses.
Les personnes en fin de vie et la mort elle-même sont trop souvent rejetées dans notre société. On administre et on technicise la mort en s’abritant derrière l’hôpital ou les EHPAD, dont ce n’est pourtant pas la vocation.
Notre premier rôle comme parlementaires est donc de nous pencher sur cette question et d’engager une réflexion collective et citoyenne sur la mort dans notre société, afin d’esquisser les contours d’un « mieux mourir ». Il est en effet nécessaire d’encadrer les questions délicates et importantes que suscite la fin de vie, et cela en visant trois grands objectifs prioritaires.
Tout d’abord, le développement des soins palliatifs pour toutes et tous, avec les moyens y afférents, est une nécessité.
Ensuite, il faut œuvrer à la meilleure application et la clarification de la loi Leonetti ; en effet, ce texte, s’il a représenté une avancée, a aussi montré ses limites au regard tant des directives anticipées, mal connues et trop rarement utilisées, que des solutions apportées au malade en fin de vie, qui sont encore insuffisantes.
Enfin, nous devons veiller au respect de la volonté du patient ou de la patiente en fin de vie, et de sa dignité ; en effet le groupe communiste, républicain et citoyen se bat chaque jour, dans cet hémicycle, pour le « bien vivre », pour construire une société plus juste, garantissant à toutes et à tous l’accès aux droits fondamentaux que sont la santé, le logement, le travail, l’éducation, la culture ou encore la sécurité.
Or la lutte pour le « bien vivre » doit intégrer une lutte pour le « bien mourir », car le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. C’est d’autant plus vrai que, dans les moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important ; il est lié à l’image que chacune et chacun a de soi-même, de sa dégradation dans la maladie et de son incapacité à accomplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.
Il existe d’ailleurs autant de modalités de cette perception que d’individus, car celle-ci dépend de nos croyances et de notre vécu, mais aussi de notre personnalité et de nos relations familiales et sociales. Il est difficile, dans ce contexte, d’élaborer une loi qui laisse suffisamment de libertés, mais également de garanties, pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie correspondant à leur propre définition de la dignité !
C’était l’ambition de cette proposition de loi ; malheureusement, il nous semble que, bien qu’il laisse une certaine souplesse pour traduire les volontés individuelles, le présent texte a pour défaut de laisser de côté un grand nombre de situations de fin de vie, donc de solutions pouvant être proposées.
La garantie du droit à mourir dans la dignité est d’abord mise en œuvre par le développement des soins palliatifs, qui doivent constituer la première grande priorité. Or tant la Cour des comptes que l’Observatoire national de la fin de vie soulignent l’insuffisance de moyens accordés aux soins palliatifs en France. Ainsi, seulement 20 % des personnes qui ont besoin de soins palliatifs peuvent en bénéficier ; par ailleurs, alors qu’une grande majorité de citoyennes et de citoyens aimerait mourir chez eux, entourés de leurs proches, environ 60 % des décès ont lieu à l’hôpital.
L’offre moyenne de soins palliatifs est de 2,2 lits pour 100 000 habitants en France, mais elle est très inégale sur le territoire : ce ratio passe en effet de 0,36 dans les Pays de la Loire à 5,45 dans le Nord-Pas-de-Calais et il varie au sein d’une même région.
En outre, l’offre de soins palliatifs reste trop concentrée dans les services hospitaliers. Ainsi, près des trois quarts des lits de soins palliatifs se trouvent dans les services de médecine, chirurgie, obstétrique des hôpitaux, tandis que l’offre est quasi inexistante dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, et dans les autres établissements médico-sociaux, notamment ceux qui accueillent les personnes handicapées.
Enfin, la médecine palliative peine à être reconnue par la culture médicale, qui privilégie le curatif plutôt que l’accompagnement vers la mort. En ce sens, l’article 1er de la proposition de loi, qui, pour la première fois dans un texte sur la fin de vie, prévoit une formation des professionnels de santé aux soins palliatifs, constitue une avancée. Nous aurions pu aller plus loin en proposant l’introduction d’un module d’humanité médicale transdisciplinaire, qui serait commun au personnel soignant et technique en fin d’études, mais aussi ouvert à des citoyennes et des citoyens auditeurs libres, pouvant être un jour confrontés, comme bénévoles par exemple, à l’accompagnement à la fin de vie d’une personne.
Au-delà de cette suggestion et des mesures législatives portées par cette proposition de loi, il revient bien au Gouvernement d’allouer les moyens nécessaires au développement des soins palliatifs. Il s’agit en effet de développer une offre pérenne sur l’ensemble du territoire et de proposer des solutions qui répondent aux besoins des patients, en soutenant les équipes mobiles, qui peuvent accompagner le patient à son domicile, ou en accompagnant le développement des soins palliatifs en EHPAD.
Les soins palliatifs, qui ont pour vocation de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort, notamment en permettant de soulager la douleur, ont cependant leur limite.
Ainsi, dans le cas où le patient présente une souffrance réfractaire à tout traitement, il pourra lui être proposé de mettre fin à celle-ci par la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; c’est l’objet de l’article 3. Cette mesure figurant dans la présente proposition de loi ne constitue pas une avancée majeure par rapport à l’existant et concernera un nombre limité de patients : ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.
En revanche, de nombreux cas de patients atteints d’une maladie grave et incurable, mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, ne pourront être traités. De même, ce texte n’apportera pas de réponse aux patients placés dans un état de dépendance qu’ils jugent incompatible avec leur dignité, ou qui font face à une souffrance physique et psychique grave. Malheureusement, l’actualité porte régulièrement à notre connaissance des cas particuliers, toujours douloureux, auxquels ce texte ne permettra pas d’apporter un soulagement.
Je rappelle les mots du docteur Danièle Lecomte : « Il y a peut-être une confusion entre douleur et souffrance. La douleur est effectivement le plus souvent maîtrisable. Mais on ne peut pas réduire le vécu douloureux de la personne en fin de vie à une composante physique accessible aux médicaments. La question est plus complexe. C’est celle de la souffrance, qui inclut des dimensions psychiques, émotionnelles, existentielles. La souffrance, on peut l’écouter, l’accompagner, mais on ne peut pas véritablement la traiter. »
C’est en réfléchissant à cette analyse que nous pouvons juger de la pertinence de la proposition portée par ce texte, et de ses limites. C’est également à partir de cette définition que nous pourrions poser la question de l’assistance médicalisée pour mourir, qui pourrait constituer une solution digne pour des patients en souffrance. C’est en tout cas le sens d’un amendement que certains de mes collègues et moi-même avons déposé pour en débattre en séance publique.
Ainsi, le principal changement apporté par le texte au regard du corpus législatif existant porte davantage sur les directives anticipées que sur les dispositions relatives à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. En effet, la proposition de loi clarifie et renforce l’aspect contraignant de ces directives. À l’heure actuelle, peu de personnes ont rédigé les leurs ou même connaissent cette possibilité. En outre, lorsque celles-ci sont rédigées, elles ne sont pas considérées par la loi comme l’expression de souhaits et les médecins demeurent seuls décideurs.
L’apport de cette proposition de loi est donc de clarifier la manière dont ces directives doivent être rédigées, en proposant un modèle. Par ailleurs, ces directives figureront dans un registre national, afin d’être facilement accessibles aux équipes médicales accompagnant le patient en fin de vie.
Surtout, le présent texte tend à ce que les directives s’imposent aux médecins. Cette disposition est primordiale : il s’agit de permettre au patient d’être maître des décisions qui le concernent.
Néanmoins, un amendement adopté par la commission des affaires sociales limite sa portée. En effet, il vise à permettre au médecin de ne pas appliquer les directives dans les cas où la situation médicale du patient « ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ». Si cette exception peut être entendue, nous ne souhaitons pas qu’elle réduise la possibilité pour un patient – ou pour ses proches – de décider de son sort.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement afin de rappeler que, lors de la procédure collégiale qui décidera de l’applicabilité des directives au regard de la situation médicale du patient, les éléments apportés par la personne de confiance primeront tout autre élément.
Toujours dans la logique de réappropriation par le patient ou par ses proches des décisions concernant la fin de sa vie, nous saluons l’affirmation, dans l’article 5, du droit du patient à refuser tout traitement.
C’est également dans cette logique que nous saluons l’apport de l’article 9, relatif à la personne de confiance, qui prévoit notamment que le témoignage de celle-ci, qui rend compte de la volonté du patient, prévale sur tout autre élément, à l’exception bien sûr des directives anticipées rédigées par le patient lui-même.
Toutefois, nous déplorons que la commission des affaires sociales ait supprimé la possibilité pour la personne de confiance d’accéder au dossier médical du patient. Il nous semble que c’est nécessaire pour qu’elle puisse participer activement et en toute connaissance de cause aux décisions concernant la fin de vie du patient.
De même, nous déplorons la suppression par la commission des affaires sociales de l’article 14, qui prévoyait que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le développement de l’offre de soins palliatifs.
En effet, nous l’avons évoqué, cette question est suffisamment cruciale pour être mise à l’ordre du jour des discussions entre le Parlement et le Gouvernement. La remise d’un rapport constituerait à ce titre un moment annuel privilégié à même de ranimer et de faire perdurer le débat et permettrait que, enfin, certaines mesures soient prises et des moyens alloués à la médecine palliative. Malgré les lacunes de ce texte concernant certaines situations, le groupe communiste républicain et citoyen salue donc les avancées qu’il prévoit.
Mobilisés sur ce débat, nous présenterons un certain nombre d’amendements à même d’élargir la portée du texte, de renforcer le rôle des directives anticipées et de la personne de confiance, ou encore d’adapter le texte au cas particulier des polyhandicapés ou des personnes très vulnérables. De plus, nous resterons vigilants sur la politique mise en œuvre par le Gouvernement en matière de soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la fin de vie n’est pas, à proprement parler, au cœur des préoccupations quotidiennes des Français. Pourtant, cette question est universelle ; elle concerne chacun d’entre nous. À un moment ou à un autre, nous y sommes tous confrontés pour un parent, un ami, un proche.
Parfois, on refuse catégoriquement d’imaginer sa propre fin de vie ; parfois, on se prend à rêver de pouvoir disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment, que l’on aurait alors choisi. Certains préfèrent une mort brutale et rapide, d’autres souhaitent mourir dans leur sommeil, apaisés, mais personne n’imagine mourir dans d’atroces souffrances ; or c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Ce qui inquiète, ce qui fait peur, n’est pas tant la mort que la peur de souffrir.
Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ont permis de développer les soins palliatifs et d’améliorer la prise en charge de la douleur et de la souffrance, même si l’on reconnaît régulièrement qu’il nous faut encore progresser en vue de mettre en œuvre, sur l’ensemble du territoire, une véritable culture du soin palliatif.
Dès 2005, cette loi a permis de poursuivre le processus d’autonomisation des malades en condamnant l’obstination dite « déraisonnable ». Elle a aussi autorisé la rédaction par la personne en fin de vie de directives anticipées et prévu une procédure collégiale d’arrêt des traitements, y compris lorsque la souffrance du patient en fin de vie ne pouvait être évaluée.
Néanmoins, ce texte initial m’apparaissait, déjà à l’époque, plutôt perfectible. Il semblait ne pas répondre à toutes les attentes de nos concitoyens sur ce sujet, qui nous concerne toutes et tous.
Je remercie très sincèrement le député Jean Leonetti d’avoir accepté de reprendre et de poursuivre le travail avec son collègue Alain Claeys. Leur audition, dans le cadre de la commission des affaires sociales, fut non seulement très intéressante, mais aussi constructive, pour nous permettre d’avancer dans la réflexion sur la proposition que nous examinons en séance aujourd’hui. Ce texte constitue une réelle avancée dans le traitement de la douleur et de la souffrance des personnes en fin de vie.
Pour certains d’entre nous, l’accompagnement médical de la fin de vie jusqu’à la mort, tel qu’il est proposé dans le cadre de cette proposition de loi, va trop loin. Pour d’autres, on ne va ni assez loin ni assez vite.
C’est pourquoi je salue le travail des corapporteurs, MM. Michel Amiel et Gérard Dériot, et l’équilibre qu’ils ont su trouver. Ce texte semble en effet répondre davantage aux attentes de chacune et de chacun d’entre nous ; il tend à atteindre cet équilibre, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, n’était pas évident sur un tel sujet.
Je le rappelle et j’y insiste, la loi s’adresse exclusivement aux personnes qui vont mourir, et non à celles qui le souhaitent, quelle qu’en soit la raison. Cette dernière question continuera, j’en suis certaine, de faire l’objet d’un débat profond au sein de notre société, mais elle ne concerne en rien le texte d’aujourd’hui. En effet, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner, mes chers collègues, vise à accompagner toutes celles et tous ceux pour qui les jours et les heures sont malheureusement comptés.
Nous avons tous des exemples et des témoignages en tête, celui d’une personne malade en soins intensifs dont on dit qu’elle risque de ne pas s’en sortir et qui, à la suite d’un accompagnement à la fois médical, familial et amical, donc psychologique, retrouve la force de vivre encore douze ans, ou au contraire, celui d’une personne malade qui chaque jour semble souffrir un peu plus et qui, même si elle ne peut plus parler, exprime par le regard ou les comportements, sa volonté de ne pas poursuivre plus longtemps ce que l’on appelle parfois l’« acharnement thérapeutique », ou encore « obstination déraisonnable ».
Les exemples, les témoignages et les ressentis sont importants pour travailler ce texte de loi, mais il nous faut aussi et surtout objectiver et penser la fin de vie en termes de droit.
C’est pourquoi ce texte ouvre l’accès à la sédation en phase terminale et affirme le caractère contraignant des directives anticipées. Ainsi, il est prévu qu’un personnel médical qualifié puisse administrer à tout malade en fin de vie une sédation profonde et continue, qui lui permette de partir avec le plus de sérénité possible, et sans souffrance.
Ce texte comporte de nombreuses autres mesures visant à garantir les droits des personnes malades en fin de vie, qui constituent selon moi de réels progrès par rapport à la situation actuelle.
Je pense notamment à l’accès, pour les étudiants et professionnels médicaux et paramédicaux, à une formation plus approfondie aux soins palliatifs, au statut du témoignage de la personne de confiance, qui est dans ce texte explicité juridiquement, au renforcement et à une meilleure opérationnalité des directives anticipées énoncées par la personne en fin de vie, auxquelles le médecin ne pourra déroger et qu’il devra consulter en premier, sauf cas exceptionnel, à la réaffirmation du droit du malade au refus de son traitement.
Si les droits des personnes malades en fin de vie sont mieux pris en compte, l’autre grande satisfaction de ce texte est la garantie apportée au personnel médical en matière de sécurité juridique.
Il est primordial, pour des raisons que tout le monde comprendra aisément, de mettre les professionnels de santé à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires lorsqu’ils mettent fin à la souffrance d’un malade qui en a exprimé la demande, tout en définissant de manière très précise le cadre de cette intervention.
Il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment sur l’aide médicalisée à mourir. Mes collègues du groupe RDSE et moi-même avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens, reprenant en partie une proposition de loi de 2012 émanant de notre groupe. Je me félicite que nous ayons trouvé dans le présent texte un consensus pour améliorer les droits des malades en fin de vie, toujours dans le respect de la dignité humaine.
Je crois que la manière d’appréhender la fin de vie, donc la mort, en dit beaucoup sur nous-mêmes et sur l’état de civilisation de notre société. Je me félicite que, au travers de ce texte, nous contribuions, certes modestement, à son élévation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les travaux réalisés au sein de la commission des affaires sociales ont été passionnants. Je salue à cet égard le travail effectué, sous la présidence de M. Milon, par MM. les corapporteurs et M. le rapporteur pour avis.
Pour une première intervention, je souhaitais m’exprimer sur cette proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Il faut dire que ce texte ne laisse personne indifférent : l’effet qu’il produit sur chacun d’entre nous est fort. Partout, dans nos départements, dans nos familles, ce sujet anime les conversations et alimente nos échanges. Les points de vue sont différents ; ils font souvent référence à notre propre histoire, à notre ressenti personnel, à notre perception des choses.
Je dois l’avouer, aujourd’hui, c’est davantage une femme qui s’exprime devant vous, plutôt que le « législateur ». Néanmoins, qui peut prétendre sur ces travées, du fait de sa position de législateur, faire totalement abstraction de sa culture, de sa religion ou de son origine ?
Ce texte présente l’avantage de poser le débat, d’aider à la prise de conscience, de faire évoluer les mentalités. Cette proposition de loi permet aussi de préciser les termes de la loi du 22 avril 2005, dite « Leonetti », qui reste un texte essentiel, mais qui doit aujourd’hui évoluer.
En effet, nos concitoyens attendent que leurs parlementaires se saisissent des questions de société et y apportent des réponses conformes à leurs aspirations.
Alors que la France traverse une grave crise et que le climat y est anxiogène, je mesure le poids de notre responsabilité individuelle et collective dans un débat de cette nature. Même si, dans notre pays, il est difficile d’aborder cette question sans passion, comme chez certains de nos voisins européens, nous devons nous efforcer d’en établir la synthèse et de tendre vers ce qui nous paraît être le plus juste et le plus équitable.
Pour autant, ce sujet n’est pas anodin, puisqu’il est question de la fin de vie et, comment ne pas l’avouer, de notre propre mort.
Au fronton de la République, il est écrit : « Liberté, égalité, fraternité ». Mes chers collègues, si nous avions la possibilité d’interroger chaque Français à l’heure du grand départ, êtes-vous certains qu’il dirait que ces trois principes fondamentaux se sont vérifiés tout au long de sa vie ? Il s’agit donc de l’ultime requête de nos concitoyens, afin de garantir à tous les Français des conditions de fin de vie égalitaires, sans souffrance qui ne puisse être apaisée.
Comment concevoir en effet que certains seraient soulagés parce qu’ils auraient les moyens financiers de le faire, contrairement à d’autres ? N’est-ce pas là le minimum que la République puisse garantir ?
Depuis notre naissance nous avons, pour la majorité d’entre nous, le souci de préserver notre capital santé et nous cherchons à maîtriser la douleur, aidés par les médecins et les soins hospitaliers. Comment imaginer que, dans une société ayant réalisé des progrès considérables en science, en médecine, avec pour conséquence l’allongement de l’espérance de vie, on ne soit pas en mesure de calmer la douleur intense d’un patient dans la phase terminale d’une maladie incurable ?
Pour ma part, je crois qu’il est essentiel que la médecine accompagne la vie, y compris dans ses derniers instants. C’est pourtant là que survient une difficulté majeure. En effet, notre parcours d’administré est jalonné de formulaires, de déclarations administratives, notamment en matière de succession : testament, convention obsèques, etc. Pour autant, ces actes interviennent lorsque la personne est décédée, alors que, à travers les directives anticipées, il s’agit des derniers instants de la vie.
Dans ces circonstances très particulières de l’extrême limite de la fragilité, le plus grand geste d’amour n’est-il pas de laisser partir la personne que l’on aime ? Je suis convaincue que ce processus ne peut s’enclencher unilatéralement. Les soins palliatifs doivent faire l’objet d’un plan à grande échelle, qui garantisse à chaque Français une sédation profonde et continue à proximité de son domicile, voire à son domicile, où la famille sera aussi prise en charge !
Le développement des unités de soins palliatifs ne doit pas être réservé aux seuls grands centres hospitaliers. Il est important qu’il soit équitablement réparti sur le territoire national, notamment en zone rurale où la désertification médicale est une réalité.
La formation des professionnels de santé doit garantir une meilleure prise en charge des patients en fin de vie, par exemple dans les établissements pour personnes âgées. Vous le savez tous, mes chers collègues, les Français aspirent à mourir à leur domicile, sans souffrance et en dormant. Au regard du nombre de décès qui surviennent aux urgences, nous sommes bien loin de répondre aux attentes de nos concitoyens, et j’espère que nous pourrons aussi avancer dans cette direction ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, avec cette proposition de loi relative à la fin de vie, le Sénat aborde aujourd’hui un sujet extrêmement sensible et délicat – madame la ministre, vous l’avez indiqué en ouvrant nos travaux.
Nous ne saurions nous contenter de réduire cette discussion à une simple prise de position ou à un débat sociétal sur l’euthanasie. Demeurent encore, dans notre société, trop de tabous et un déni évident autour de la mort. La proposition de loi Claeys-Leonetti ne répond pas à cette question, mais elle apporte des solutions pratiques à la fin de vie, dans le cas de maladies incurables. Tous, nous sommes, ou serons un jour, confrontés à ce problème.
Ayant longtemps été impliqué professionnellement dans le domaine de la pharmacie cancérologique, en tant que responsable d’un centre de lutte contre la douleur, et dans le secteur de l’organisation de soins et de réseaux palliatifs, je bénéficie d’une bonne expérience de terrain. À mon sens, il est nécessaire, avant d’aller plus loin, de dresser un état des lieux de ces structures dans notre pays.
Le premier problème auquel nous nous heurtons est, hélas, un cruel manque de lits de soins palliatifs dans nos établissements de santé. Cette carence n’est que partiellement compensée par les lits d’hospitalisation à domicile et par les réseaux de soins palliatifs, lesquels interviennent également au chevet du malade.
Ces réseaux regroupent des équipes pluridisciplinaires spécialement formées à l’accompagnement de fin de vie. Le but est d’assurer une organisation coordonnée entre, d’une part, l’hôpital ou la clinique, et, de l’autre, le domicile du malade. Les équipes hospitalières doivent s’assurer de la continuité des soins lors du retour du patient à son domicile.
Or, à l’heure actuelle, on estime à 60 % la proportion de patients qui, notamment dans le monde rural, voire dans « l’hyperuralité » – j’emprunte une expression chère à l’un de nos collègues –, ne peuvent bénéficier de ces soins faute de prise en charge.
Le deuxième problème découle du manque de formation évident des praticiens libéraux, qu’il s’agisse des médecins, des infirmiers, des kinésithérapeutes ou des pharmaciens. Ces professionnels prennent en charge une grande partie des malades en question, hors du cadre hospitalier. Or on voit trop souvent les équipes de soins et les familles désemparées face à des cas très lourds.
À mon sens, la fin de vie, en particulier le maniement des antalgiques et des morphiniques, doit désormais figurer obligatoirement au programme de toutes les spécialités médicales et paramédicales susceptibles d’être employées dans ce domaine.
En assurant la couverture de notre territoire par des maisons de santé ou des pôles de santé pluridisciplinaire, on pourra rassembler les professionnels concernés au sein de mêmes structures. Ainsi, l’on facilitera leur formation et l’on favorisera l’interdisciplinarité, indispensable quand ces praticiens interviendront dans des cas de palliatifs non recensés.
Le troisième et dernier problème est d’ordre juridique et éthique. La médecine palliative est devenue la médecine de fin de vie. Dès lors, ce geste d’interrompre ou d’abréger la vie est très délicat à appréhender et à envisager. (M. Michel Amiel, corapporteur, acquiesce.)
Rappelons-nous la devise des anciens généralistes : « Guérir parfois, soulager le plus souvent possible, aider et rassurer toujours. »
Il est nécessaire de trouver un juste milieu entre, d’une part, les intégristes de l’acharnement thérapeutique, qui dispensent jusqu’à la dernière extrémité des actes souvent inutiles, onéreux et qui, parfois, loin de soulager, infligent des souffrances supplémentaires aux patients, et, de l’autre, les anges de la mort, qui pourraient avoir tendance à presser avec un peu trop de précipitation une seringue fatale.
M. Gilbert Barbier. Bravo !
M. Pierre Médevielle. Ces problèmes juridiques en viennent à polluer tous les actes médicaux, même en médecine, et plus particulièrement en oncologie : dans cette spécialité, on se borne de plus en plus souvent à une classification de maladies selon des critères français ou anglo-saxon. Puis, une fois cette classification établie, on se contente d’appliquer le protocole correspondant.
En effet, même si le praticien a l’intime conviction qu’une meilleure solution existe, il sera couvert juridiquement quoi qu’il en soit, même en cas d’accident médicamenteux, dans la mesure où il est resté dans le cadre du protocole. Vive la dictature du sanitaire et du juridique ! On est tout de même en droit de se poser quelques questions au sujet de la médecine de demain…
Ce constat étant dressé, il existe, manifestement, une inégalité flagrante entre nos concitoyens en matière d’offre de soins palliatifs de proximité et de qualité. La proposition de loi Claeys-Leonetti est de nature à gommer une grande partie de ces inégalités.
Je le répète, il ne s’agit pas d’un débat sur l’euthanasie ou sur une quelconque forme d’assistance au suicide. Je pose cette question au passage : combien dénombre-t-on, chaque année, de suicides non recensés, chez les patients atteints de maladies incurables ? Combien de patients décident, quand ils en ont la possibilité, de se supprimer par leurs propres moyens ?
Ne nous laissons pas influencer par l’actualité. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut raccourcir, abréger, diminuer ou réduire la période de fin de vie. Le présent texte a pour but d’offrir à chaque malade atteint d’une pathologie incurable en phase terminale, dans un cadre très réglementé, la possibilité de s’éteindre dans la dignité, sans souffrance et de manière apaisée.
Cet objectif semble évident à atteindre, grâce à l’arsenal thérapeutique dont nous disposons aujourd’hui. Encore faudrait-il pouvoir l’utiliser plus largement. Dans les faits, les choses se passent bien différemment. On voit encore trop de patients souffrir des semaines durant, parce qu’ils n’ont pas eu accès à des soins adaptés ou parce que le dialogue avec la famille n’a pu aboutir.
Parallèlement, la présente proposition de loi permet à un plus grand nombre d’équipes de pratiquer la médecine de fin de vie en toute sérénité. Le cadre des actes médicaux est, bien entendu, un élément très important, et même un facteur essentiel.
Les directives anticipées doivent avoir été signées. Le ou les médecins doivent, après un diagnostic de mort imminente, avoir décrété une limitation d’actes thérapeutiques. Le dialogue avec le patient et la famille doit avoir lieu sans tabous. Quand toutes ces conditions sont réunies, le praticien responsable peut administrer les médicaments nécessaires pour plonger le patient dans un état de sédation profonde et se limiter à une simple hydratation. Il pourra ainsi doser ces sédatifs, de sorte à ne pas prolonger inutilement la fin de vie de son patient.
La reconnaissance de cet acte est de nature à aider et à conforter le médecin dans sa pratique. Il rassurera également le patient, qu’angoissent très souvent les ultimes souffrances qu’il devra endurer, notamment dans les cas de détresse respiratoire ou d’apparitions d’états réfractaires aux antalgiques.
Ne nous voilons pas la face. La sédation profonde est un endormissement définitif du patient. Il est impératif d’assurer une réelle préparation et une prise de conscience de l’entourage du malade quant à la situation transitoire et finale de ce dernier.
Nous l’avons vu, le présent texte est nécessaire au patient, à la famille, à l’entourage et à toute l’équipe médicale. Il doit permettre de faciliter et de généraliser les prises en charge à domicile, en permettant l’approvisionnement en médicaments souvent réservés à l’usage hospitalier.
Mes chers collègues, si le Sénat est souvent un lieu de consensus, de sagesse et de tempérance, il doit également être une instance de progrès et de justice. Nous devons voter ce texte, pour encadrer des gestes couramment dispensés et ainsi, en les légitimant, rétablir l’égalité de tous lors de notre fin de vie. Je compte sur vous pour que cette proposition de loi, qui constitue, à mon sens, une réelle avancée, connaisse une issue positive ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le texte qui nous occupe aujourd’hui n’est pas de ceux que l’on traite, en séance publique, sur les seuls plans du droit et de l’usage, au nom du seul intérêt général, qu’il soit économique ou social. Cette proposition de loi est d’une portée infiniment plus délicate, plus subtile et plus grave.
En effet, en la matière, l’établissement d’une norme est éminemment complexe, et pour cause ! Chaque situation constitue un cas particulier, puisque chaque être humain est unique, qui plus est au moment précis où il est confronté à l’imminence de sa mort, avec, parfois, l’ensemble de sa conscience, de son vécu, de ses convictions personnelles, philosophiques, religieuses ou même politiques.
En un mot, ce texte appelle toute notre attention juridique, en tant que législateur, et toute notre perception éthique, en tant que citoyens.
Pour ma part, ma perception est conditionnée par la qualité de sénateur, et surtout par celle de médecin. J’ai, tout au long de ma carrière, côtoyé la mort de près. De ce fait, je ne suis a priori guère favorable aux idées par trop réductrices qu’il m’arrive d’entendre ici ou là, quant au sort réservé aux malades en fin de vie. Fort de mon expérience personnelle de praticien, je pourrais, exemples à l’appui, les contester facilement.
En préambule, et pour résumer mon propos, je tiens à dresser ce constat : contrairement aux appréhensions émises par certains ou aux désirs exprimés par d’autres, la présente proposition de loi n’a pas pour but d’instaurer l’euthanasie ou le suicide assisté. (M. Michel Amiel, corapporteur, le confirme.) Il ne s’agit nullement de faire mourir les patients, mais d’accompagner les malades en fin de vie vers la mort, dans la dignité et le respect.
À cet égard, cette proposition de loi relève de l’esprit de loi Leonetti du 22 avril 2005, qu’elle tente d’améliorer.
En tout premier lieu – il convient de le rappeler –, sur l’ensemble de ces travées, nous sommes naturellement tous d’accord pour épargner des souffrances inutiles aux malades en fin de vie.
À cet égard, il paraît tout aussi évident que la mort, dès lors qu’elle se révèle inéluctable, doit être accompagnée par la médecine. Le médecin a précisément pour but d’assurer, jusqu’au dernier instant, le confort de sa pratique.
La présente proposition de loi s’inscrit, je le répète, dans le droit fil de la loi Leonetti, qu’elle permettra avant tout de mieux mettre en lumière. Il faut le souligner : ce texte demeure trop mal connu et, partant, trop mal appliqué. Les actions qu’il préconise sont surtout mises en œuvre en milieu hospitalier. Elles le sont moins dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et moins encore à domicile, même si l’on observe des améliorations sensibles dans certains départements, notamment celui dont je suis l’élu.
Nombreux sont ceux qui parlent de la loi Leonetti, mais, à l’évidence, fort peu l’ont lu. Quelles en sont les dispositions exactes ? Mes chers collègues, permettez-moi de citer l’extrait de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, dont la rédaction résulte de ce texte.
« Ces actes – c’est-à-dire les soins prodigués en fin de vie – ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. […]
« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
« Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, […] qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade […], la personne de confiance […], la famille ou, à défaut, un des proches. »
L’article L. 1110-10, précédemment mentionné, précise la nature des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »
Ces dispositions l’illustrent clairement : si la loi Leonetti était intégralement appliquée, et ce sur l’ensemble du territoire national, y compris l’outre-mer, elle suffirait amplement, dans l’immense majorité des cas, à résoudre le problème de la fin de vie.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Daniel Chasseing. Il y a quelques instants, Mme Bouchoux a déclaré que cette loi était un échec. À mes yeux, tel n’est pas le cas. La mise en œuvre des soins palliatifs manque tout simplement de financements ! (M. Yves Détraigne acquiesce.)
Mme Dominique Gillot. Oui !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Daniel Chasseing. Cela étant, quelques points précis, que l’on ne saurait réduire à des détails, exigent d’être améliorés. Tel est précisément le but du texte que nous étudions aujourd’hui.
Pour ma part, je pourrais être favorable à cette proposition de loi, à condition que soient modifiées diverses dispositions, au sujet desquelles j’ai déposé un certain nombre d’amendements.
Je songe en particulier à la nécessité d’associer les personnes de confiance et la famille aux prises de décision, en les informant quant au protocole de la sédation profonde et continue, à son application, aux garanties qui y sont liées et à ses conséquences. On ne saurait procéder à une sédation trop profonde, entraînant des troubles respiratoires, voire le décès. Au contraire, il faut pratiquer une sédation adaptée au malade, destinée à calmer la souffrance.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Daniel Chasseing. De plus, il est nécessaire de poursuivre l’hydratation du patient, laquelle ne saurait être considérée comme un traitement.
M. Charles Revet. C’est très important !
M. Daniel Chasseing. Je souhaite que ce texte garantisse au malade les conditions de l’application intégrale de la loi Leonetti actuelle, qui est satisfaisante et qui précise les conditions de mise en œuvre et le protocole de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; je précise que cela concerne des situations dans lesquelles le décès est prévu à très court terme, soit, à mon sens, dans lesquelles l’espérance de vie se compte en heures, voire en jours.
Cette application doit se faire à la demande du malade lui-même, lorsque la souffrance n’est plus gérée malgré un traitement adapté, défini à l’article L. 110-10 relatif aux soins palliatifs. Il faut alors renforcer la sédation, sans pour autant en venir à l’euthanasie.
Si le malade ne peut pas exprimer sa volonté ou s’il n’a pas laissé de directives, ce protocole sera mis en œuvre avec l’accord de la famille ou de la personne de confiance. Tout cela ne pourra intervenir qu’après une décision collégiale garantissant absolument les valeurs éthiques les plus élémentaires.
Je le répète, ce texte ne doit aucunement être une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Il doit essentiellement garantir une offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire de la République. Cela nécessitera inévitablement, il convient de le dire, une augmentation significative des moyens alloués à ce secteur.
Comme vous l’avez dit, madame la ministre, les médecins, notamment dans les départements ruraux, doivent pouvoir consulter les services de soins palliatifs pour leur demander d’intervenir avec des équipes médicales, à domicile ou en EHPAD, ou pour obtenir des avis. De même, les équipes soignantes locales doivent également avoir la possibilité de se former auprès de ces services. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder un sujet de société, un thème sensible qui concerne chacune et chacun d’entre nous, individuellement et collectivement.
La question de la fin de vie est trop souvent abordée à travers le prisme d’affaires judiciaires, nous montrant des personnes qui souffrent, des familles qui se déchirent, des médecins face à leur conscience dans un encadrement législatif qui est encore trop imprécis et qui reste sujet à interprétations.
Au-delà de ces rebondissements médiatiques, des centaines, voire des milliers de familles accompagnent un proche en fin de vie. Les situations sont variées, comme les manières de réagir. Le droit doit prévoir, préciser et accompagner les évolutions de la société.
Depuis 2012, le débat public a été engagé par le Président de la République : un large processus de consultation sur la fin de vie a été mis en place autour de la commission Sicard, du Conseil national de l’ordre des médecins et du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, notamment.
Comme à son habitude, le Comité consultatif national d’éthique, dont j’ai l’honneur de faire partie, a souhaité dépassionner le débat en se donnant le temps de la réflexion par des échanges et des rencontres, en prenant de la hauteur et du recul, évitant ainsi l’emballement médiatique, la précipitation ou les dogmatismes.
Remis à l’automne 2014, son rapport identifie les principaux points de convergence et de blocage, relevés au travers du débat public. Les convergences s’attachent au fait de rendre contraignantes les directives anticipées et de permettre l’accès, en phase terminale, à une sédation profonde jusqu’au décès ; les divergences touchent aux questions de l’assistance au suicide et de l’euthanasie.
Ces lignes de force sont également au cœur du rapport des députés Claeys et Leonetti comme de la proposition de loi qui en découle. Le texte que nous examinons aujourd’hui est consensuel, équilibré et transpartisan. Il porte, surtout, des dispositions utiles susceptibles d’améliorer concrètement les conditions de fin de vie des patients en phase terminale. Il contribue, en outre, à l’apaisement des souffrances et corrige les travers et les failles de la loi de 2005. Citons, notamment, l’accès inégal des patients aux soins palliatifs et l’absence de contrainte, comme de clarté, dans l’application de leurs volontés.
La proposition de loi des députés Claeys et Leonetti a pour objectif de remettre la volonté du patient au cœur des débats. Elle impose le respect des directives anticipées au corps médical ; elle crée un droit à la sédation profonde et continue, accompagnant l’arrêt du traitement du malade en phase terminale ; elle renforce la pratique des soins palliatifs, qui ne concernent aujourd’hui que 20 % des malades devant en bénéficier.
Certes, comme de nombreuses associations et plusieurs de nos collègues, on peut souhaiter aller plus loin. Dans le prolongement d’une proposition de loi déposée par Jean-Pierre Godefroy en janvier 2012, j’ai l’intime conviction qu’il faut permettre aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable entraînant une souffrance physique ou psychique insupportable, de mourir dans la dignité.
Il s’agit, dès lors, de passer du « laisser mourir » à l’aide à mourir, dans des cas de figure précis, stricts et encadrés. C’est tout le sens de l’amendement créant un article additionnel à l’article 2, que j’ai cosigné avec notre collègue Godefroy.
Cet amendement vise à permettre aux personnes dont l’état de santé ne laisse plus aucun espoir de guérison de ne pas finir leurs jours dans la souffrance et d’avoir le droit de choisir le moment de leur mort. Il tend à renforcer la proposition de loi et à lui donner encore plus de sens et de cohérence. Il s’agit pour nous de lancer le débat dans cet hémicycle, où nous avons l’habitude, s’agissant de ce genre de sujets sociétaux, de dépasser nos clivages politiques et partisans.
Au-delà de cette question, il faut dire sans ambiguïté que cette proposition de loi est un bon texte. Dans sa version issue des débats de l’Assemblée nationale, elle est nécessaire et attendue. Elle crée de nouveaux droits pour les malades et leurs familles et elle corrige le système actuel. Équilibrée et consensuelle, elle marque une étape – d’autres seront assurément franchies, car il faudra aller encore plus loin et continuer d’avancer, pas à pas, pour apaiser les souffrances, pour accompagner les familles et les proches, pour préserver les dignités.
Aujourd’hui, même si le chemin est encore long, nous avançons en votant cette proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, on sait depuis la nuit des temps que la mort, c’est pour l’autre, c’est toujours celle de l’autre.
Il n’y a pas, et il ne peut y avoir d’expérience personnelle de sa propre mort. Ainsi que le rappelait malicieusement Wladimir Jankélévitch lors d’un entretien en 1966 : « L’homme triche perpétuellement avec lui-même concernant la perspective de la mort. C’est d’ailleurs pour cela que la mort est vivable et pensable. On n’approfondit pas la question. Il y a comme une appropriation protectrice. Et finalement on affecte de l’appliquer au voisin. »
Cette tricherie existentielle rend la tâche du législateur extrêmement difficile. Au demeurant, cette question concerne chacun, quel que soit son statut : les médecins, les parents et les amis de la personne atteinte d’une maladie grave et incurable, ainsi que, bien évidemment, le législateur, amené à traiter ainsi d’un sujet abyssal et vertigineux. Face à la fin de vie, ultime étape, l’humilité doit donc prévaloir.
Pour peu que l’on y souscrive, il me semble important de placer la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui dans son environnement sociétal. Chacun se nourrissant de l’idée de maîtriser sa propre vie, la demande sociale en la matière est de plus en plus forte, dans tous les aspects de sa vie, y compris sa fin. Par un paradoxe apparent, la banalisation de la mort, familière au Moyen Âge, a fait place, à l’âge moderne, à l’angoisse métaphysique, avec une gravité plus grande encore.
La conduite de l’homme face à cette perspective a changé. L’homme moderne, sûr du progrès de la technoscience, presse l’homme de loi et l’homme de science, le législateur et le médecin d’apaiser l’inquiétude morale qui touche à cette question.
Nous sommes donc directement interpelés. L’espoir d’une mort médicalisée, et sans doute même excessivement médicalisée, peut se comprendre : la mort de l’autre, comme la sienne, est insupportable dans nos sociétés. C’est ainsi !
Dans le même temps, l’espérance fondamentale qui anime tout homme face à la mort demeure. Elle s’accroît même aujourd’hui. Elle est le propre de l’homme.
J’écoutais ce matin même Jean d’Ormesson, qui fête ses quatre-vingt-dix ans, se réjouir d’entrer dans la Bibliothèque de La Pléiade. C’est le plus sûr moyen, pour un écrivain, d’espérer atteindre l’éternité, ou tout au moins une illusion d’éternité. Il rappelait avec espièglerie, dans son style cabotin, qu’il y a quelque chose de plus insupportable que la mort : l’absence de la mort.
À la lumière de tous ces préalables, il nous faut exercer notre sagacité face à cette proposition de loi.
La mort est désormais presque totalement médicalisée. On demande logiquement à la médecine de l’adoucir comme elle a adouci la vie, tout en craignant l’acharnement thérapeutique et en se méfiant d’une médecine trop technique et, au fond, déshumanisée. C’est la raison pour laquelle il nous faut avancer, en particulier en encourageant la culture palliative.
La fin de vie ne peut être abordée de manière binaire, car cela aboutirait à nier la complexité et la diversité des situations humaines rencontrées. La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée à l’unanimité il a dix ans maintenant, est, certes, une loi imparfaite, comme beaucoup d’autres. Pour autant, aucune loi, aussi parfaite soit-elle, n’apportera une réponse parfaite à nos fins de vie.
Cette loi a été modifiée en 2008 et en 2010. Depuis lors, le candidat François Hollande a proposé de manière équivoque une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Inévitablement, certains y ont vu une incitation à la légalisation de l’euthanasie, d’autres un appel à l’intensification des soins palliatifs. Une fois élu, François Hollande a chargé Didier Sicard de présider une mission et d’aller à la rencontre des Français. Le rapport issu de ce travail souligne « l’exigence d’appliquer résolument les lois actuelles plutôt que d’en imaginer sans cesse de nouvelles » et réaffirme « le danger de franchir la barrière de l’interdit. »
Dans cette période de grande fragilité, la parole du malade est peu entendue, comme l’indique le rapport Ferrand, qui souligne également que 30 % des Français meurent dans les hôpitaux, dans des conditions physiques et morales ressenties comme atroces.
Mme Catherine Génisson. Non, c’est 60 % !
M. François Bonhomme. Cette proposition de loi reprend largement le rapport Sicard, en particulier avec la création d’un droit à une « sédation profonde et continue » et la mise en place de « directives anticipées opposables ».
Des critiques, souvent modérées, et plus souvent des questions ont été émises à propos de cette initiative. En particulier, certains se sont demandé pourquoi elle n’allait pas jusqu’à l’euthanasie. Une réponse aisée et circonstancielle consisterait à rappeler que le Président de la République s’y est déclaré hostile et que le rapport Sicard la rejette.
On pourrait toutefois ajouter qu’il ressort de l’étude conjointe de l’Institut national des études démographiques et de l’Observatoire de la fin de vie que la légalisation de l’euthanasie augmente paradoxalement les pratiques clandestines. Le rapport Sicard rappelle d’ailleurs que les pays qui ont légiféré en la matière ces dernières années se sont inspirés de la loi française plutôt que des lois hollandaise ou belge.
Concernant l’idée de suicide assisté, notre prudence n’est pas une frilosité, mais traduit une humilité fondamentale. En effet, une telle évolution ouvrirait sans doute la voie à des dérives, similaires à celles que l’on peut observer en Suisse, par exemple, où une partie des personnes qui en ont bénéficié n’était pas atteinte de maladies graves et incurables. On peut, tout au moins, nourrir les craintes les plus vives dès lors qu’il s’agirait de faire du suicide un droit-créance, ce qui reviendrait alors à proposer un « droit à la mort ».
Enfin, plus largement, nous touchons à la métapolitique et nous ne devons pas nous affronter sur ce sujet. Ne créons pas un « droit à la mort pour tous » qui risquerait de fracturer un peu plus notre société.
C’est donc d’une main tremblante que nous devons aborder ce texte et, en tout cas, en nous dépouillant de toute arrogance. Méfions-nous de celui qui, en l’espèce, affirme et assène, car, sur ces sujets sensibles, c’est sans doute lui qui fait fausse route.
Méfions-nous de la prétention prométhéenne à l’immortalité et de la volonté de maîtriser totalement la mort. Soyons assez sages pour préférer un minimalisme législatif et opter pour une certaine mélancolie face au donné et, plus largement, face aux limites de l’homme, qui nous échappent. En effet, il y aura toujours, si vous me permettez cette expression, un angle mort de la réponse législative, en dépit de l’attente forte de la société. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », adoptée à l’unanimité, avait permis de rassembler les opinions et les consciences autour d’un texte sage et équilibré sur la fin de vie.
Protectrice des malades et respectueuse des familles et des soignants, cette loi mettait l’accent sur les soins palliatifs, autorisait la sédation sous certaines conditions et reconnaissait déjà les directives anticipées. Dix ans après, méconnue et insuffisamment appliquée faute de moyens, elle n’a malheureusement pas donné sa pleine mesure.
Dans ces conditions, pourquoi légiférer à nouveau ? N’aurait-il pas mieux valu, avant tout, commencer par appliquer cette loi, en donnant priorité aux soins palliatifs et en engageant un véritable déploiement pédagogique, géographique et financier pour atteindre cet objectif ?
Aujourd’hui, quelque 80 % de nos concitoyens qui en auraient besoin ne peuvent pas avoir accès à ces soins et vivent leurs derniers instants dans des structures inadaptées à leur situation.
De l’aveu même de ses auteurs, cette proposition de loi répond à une promesse faite par le Président de la République lorsqu’il était candidat. On peut alors s’interroger : essaie-t-on vraiment de combler des lacunes ou ne cherche-t-on pas plutôt à donner une réponse législative à une promesse politique ?
M. Charles Revet. Eh oui ! Comme d’habitude.
M. Dominique de Legge. Faute de moyens pour soulager la souffrance, le texte laisse entrevoir l’abrègement de la vie comme une solution de rechange.
Quoi qu’il en soit, je souhaite rendre hommage au travail effectué par la commission des affaires sociales et par les rapporteurs Gérard Dériot et François Pillet. Je soulignerai en particulier deux avancées qui clarifient le texte et rassurent partiellement quant à ses objectifs.
Tout d’abord, la formation, tant initiale que continue, aux soins palliatifs n’est plus pour les professionnels de santé un droit optionnel, mais une obligation vis-à-vis des malades ; c’est une bonne nouvelle.
Ensuite, la mention d’un prolongement « inutile » de la vie a été salutairement supprimée, l’expression pouvant trahir des intentions en rupture avec les principes érigés par la loi Leonetti.
Pour autant, une ambiguïté demeure à l’article 3, et nous sommes un certain nombre à penser ainsi : soulager la souffrance par des protocoles médicaux susceptibles d’abréger la vie est une chose ; mettre en œuvre en raison d’une souffrance réfractaire un traitement dont la finalité est d’abréger la vie en est une autre. L’intention n’est pas la même !
Ce n’est pas la sédation en soi qui nous choque – elle est actuellement pratiquée avec les précautions qui s’imposent –, ni même que, dans la pratique, elle soit présente jusqu’au décès, mais le fait que le texte de cette proposition de loi prescrive qu’elle soit « continue jusqu’au décès », c’est-à-dire irréversible.
Nous aurons un débat sur la nutrition, l’hydratation et l’assistance respiratoire. Participent-elles d’un acharnement thérapeutique ou constituent-elles un accompagnement du malade, destiné à lui épargner déshydratation et étouffement, alors que tout autre traitement a été interrompu ?
C’est pourquoi, avec de nombreux collègues, j’ai déposé des amendements visant à rééquilibrer les politiques entre le curatif et le palliatif, à encadrer la sédation, afin qu’elle ne puisse pas s’inscrire dans une intention de donner la mort, et à permettre au médecin, en toute conscience, de prendre en compte les directives anticipées sans que celles-ci n’entravent sa mission.
On a beaucoup parlé dans ce débat d’une « mort digne ». Qu’y a-t-il d’indigne dans la mort ? L’indignité, n’est-ce pas de laisser le proche seul face à l’issue fatale ? En demandant à la médecine d’accélérer la fin, protège-t-on la dignité du malade ou répond-on à une demande sociale ? Comme le rappelait François Mitterrand, « jamais […] le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps […] où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère […] ».
On ne peut abandonner un malade en fin de vie au marbre de dispositions législatives ou à la froideur désincarnée de décisions de justice. Il faut nous y résoudre : la loi ne peut tout dire sur la réalité de la mort, qui reste un mystère, comme elle ne peut régir les actes médicaux qui entourent la fin de vie.
Légiférer sur la mort, c’est prendre le risque de la judiciariser et d’en faire un objet de contentieux. Je ne suis pas sûr que les objectifs visés de dignité et d’apaisement s’en trouveraient satisfaits.
La mort n’est pas un sujet de droit, elle reste une réalité à la fois universelle et singulière, inéluctable et intime. Elle n’appartient à personne d’autre qu’à celui ou celle qui traverse cette épreuve.
Il n'y a nul angélisme dans mes propos : je sais que la souffrance est aussi difficile à évaluer qu’à soulager et je refuse l’acharnement thérapeutique déraisonnable. Les soins palliatifs, qui reposent sur un dialogue confiant et lucide entre le patient, ses proches et le corps médical, ne sauraient se limiter à de simples dispositions du code de la santé publique. Notre société a un devoir de solidarité et une obligation de moyens envers les plus vulnérables. Ce n’est pas d’abord et seulement un problème de droit. C’est avant tout une question de conscience.
Nous savons tous ici, en tant que législateurs, que nous ne pouvons aborder le sujet de la fin de vie, qui engage nos convictions éthiques, philosophiques et spirituelles, qu’avec d’infinies précautions. Donner un cadre législatif approprié aux derniers moments relève du défi.
C’est pourquoi, dans l’examen de ce texte, nous devons faire preuve à la fois d’humilité et d’humanité : d’humilité, car nous ne nous sentons pas le droit de porter un jugement sur l’utilité de la vie, fût-elle dans sa phase ultime ; d’humanité, car, face à la solitude de la mort, la réponse se situe dans une approche globale de l’individu, approche tant physique que psychique, quand une main serrée et un sourire donné permettent au mourant d’affronter le dernier passage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le vote de la loi Leonetti, la question de la fin de vie a régulièrement été débattue par notre assemblée.
Le 8 avril 2008, sous la forme d’une question orale avec débat, nous avons abordé les insuffisances de la loi Leonetti promulguée trois ans plus tôt. Puis, en janvier 2011, la commission des affaires sociales a adopté une proposition de loi commune de sénateurs membres des groupes socialiste, UMP et communiste visant à instaurer une véritable aide active à mourir, qui a été rejetée en séance publique. En 2012, cinq propositions de loi allant dans le même sens ont été déposées au Sénat. Le président du Sénat a soumis pour avis ces cinq textes au Conseil d’État, qui a rendu ses conclusions le 7 février 2013 : il a estimé qu’aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle ne pourrait empêcher l’adoption d’une telle disposition.
Mes chers collègues, cela fait dix ans que j’interviens sur ce sujet tant en commission qu’en séance publique. Aussi, je suis aujourd'hui contraint de « recycler » des arguments maintes fois répétés dans cet hémicycle.
Dans La Comédie humaine, Balzac posait la question suivante : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? »
Traiter par la loi de l’assistance pour mourir, c’est légiférer sur ce qui nous échappe le plus : la mort. C’est ce qui rend notre débat si délicat et si grave, en faisant appel à notre vécu, à nos convictions les plus intimes. Mais la fin de notre vie n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux opérateurs des machines destinées à maintenir artificiellement en vie les patients. Dans ce moment qu’est la fin de l’existence, la considération la plus grande doit être accordée à l’individu. C’est pourquoi notre préoccupation première doit être de le respecter dans sa dignité, ses choix, ses valeurs, en lui offrant, autant que possible, le droit de décider pour lui-même au moment où vient la fin de son existence.
Il n’est question que d’un droit. D’une liberté. D’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser psychologiquement certains malades et ne s’imposerait à personne.
Nous devons aussi considérer la question de la souffrance, la souffrance mentale, la souffrance physique. Cette souffrance doit pouvoir être enrayée, car on ne doit pas mourir dans ces conditions. Les soins palliatifs existent à cet effet, et ils doivent d’ailleurs être développés afin que tous y aient effectivement accès, ce qui est actuellement loin d’être le cas. Mais opposer les soins palliatifs à une aide active à mourir est tout à fait déraisonnable ! Ce sont des choses complètement différentes. Les soins palliatifs ont un temps ; décider des conditions dans lesquelles on met fin à son existence, c’est autre chose.
Toutefois, lorsque les soins palliatifs sont insuffisants pour soulager la douleur ou lorsqu’ils ne conviennent pas à la personne, ne faut-il pas aller plus loin ? La loi doit être là pour laisser à chacun, de façon très encadrée, la possibilité de décider d’échapper à ses dernières souffrances.
Concernant la question de l’aide médicalisée pour mourir, les principes s’opposent, les avis sont divergents et le resteront. Laissons donc aux individus la liberté de décider pour eux-mêmes ! Ils sont le juge suprême de leur propre volonté.
Le texte qui nous est proposé instaure une sédation profonde. La sédation endort, elle ne sert qu’à faire perdre au patient ses perceptions.
M. Gilbert Barbier. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Pour moi, il s’agit bien là d’une assistance médicale pour mourir, mais passive, qui n’admet pas complètement ce qu’elle est. D’ailleurs, la distinction morale entre une assistance médicale active pour mourir et une sédation profonde et définitive passive menant à la mort me paraît bien ambiguë.
L’aide active à mourir s’effectuerait par un acte délibéré et exécuté à la demande du patient. Elle serait un acte de compassion, un acte de solidarité, un acte de fraternité ! Elle permettrait aussi à la personne qui le souhaite de quitter la vie en pleine conscience, entourée par ses proches, comme le souhaitait le philosophe Paul Ricœur qui avait écrit souhaiter « mourir en tenant la main d’un ami ».
Par ailleurs, reconnaître un droit à une assistance médicalisée pour mourir dans des conditions strictement encadrées répondrait, à mon avis, à certains problèmes qui se posent et que la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée ne règle pas. Avec un cadre juridique clair, au sein duquel ils pourraient exercer leur clause de conscience, les médecins seraient protégés. Il en serait de même pour les proches, à qui les malades réclament parfois ce geste ultime, qui les expose à des sanctions pénales ; une situation que nous rencontrons souvent chez les personnes très âgées. Cela satisferait aussi les juges qui ont parfois à trancher des cas bien délicats et qui, finalement, n’appliquent pas la loi dans une lecture stricte et font preuve de compassion.
Madame la ministre, si le texte qui nous est proposé est adopté, je souhaite attirer votre attention sur un point, évoqué précédemment par notre collègue Georges Labazée.
La loi du 2 mars 2010 a créé une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie. Cette allocation n’est ouverte que lorsque la personne accompagnée se trouve à domicile, dans une maison de retraite ou un EHPAD, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Pourtant, en France, près de 60 % des décès ont lieu dans des établissements de santé, et ces personnes ont tout autant besoin d’être accompagnées par leurs proches ; et elles en auront encore plus besoin si la présente proposition de loi est adoptée. J’avais déposé un amendement visant à étendre le champ d’application de cette allocation aux personnes qui accompagnent des malades en milieu hospitalier, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Aussi, dans l’esprit de cette proposition de loi, ne serait-il pas légitime et cohérent que le Gouvernement prenne des mesures permettant aux personnes en fin de vie d’être accompagnées dans leurs tout derniers moments quel que soit l’établissement dans lequel elles se trouvent ?
Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort, c’est un choix entre deux façons de mourir !
Nous considérons que cette proposition de loi ne va pas assez loin dans la mesure où elle n’ouvre pas de droit à une aide active pour mourir. Les avancées de ce texte sont très limitées. On note une évolution positive concernant les directives anticipées les rendant contraignantes – c’est une très bonne chose ! –, mais avec des exceptions qui risquent de les vider partiellement de leur sens. Nous le savons bien, la sédation profonde ne fait que formaliser légalement des pratiques courantes. Elle est protectrice pour les médecins, mais change peu la condition des patients.
À cet égard, il est regrettable que l’avis de la conférence citoyenne remis en décembre 2013 au Comité consultatif national d’éthique ne soit pas entendu. J’aurais souhaité un texte plus audacieux et plus conforme aux souhaits de nos concitoyens. Cette loi aurait pu marquer la reconnaissance de la primauté du respect de la volonté de la personne dans la mise en œuvre des soins, l’aide active à mourir étant considérée comme l’ultime soin à prodiguer à la personne qui va mourir. Mais nous aurons bien sûr l’occasion d’engager ce débat lors de l’examen des amendements déposés sur ce sujet, comme l’a souligné mon collègue Georges Labazée.
En conclusion, permettez-moi de saluer, à mon tour, la qualité du travail réalisé par les rapporteurs ainsi que leur sens de l’écoute, et de remercier le président de la commission des affaires sociales de l’écoute dont il fait traditionnellement preuve. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Enfin, je demande à mon collègue Georges Labazée de me prévenir avant de prononcer mon oraison funèbre ! (Sourires.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, fallait-il légiférer à nouveau sur un sujet aussi sensible que la fin de vie ? Fallait-il exacerber de nouveau les antagonismes manifestes entre des conceptions bien différentes et très éloignées de la perception de l’être humain telles qu’elles existent au sein des différents courants de pensée de notre pays ?
Pour ma part, je n’en suis pas persuadé, dans la mesure où les lois en vigueur, et notamment la loi de 2005, ont contribué à l’établissement d’un équilibre relativement consensuel, qui est certes fragile, mais dont l’insuffisante application – pour diverses raisons, mais essentiellement par manque de moyens financiers – constitue le seul défaut.
La création des unités de soins palliatifs dans les grands hôpitaux et dans certains établissements ainsi que la mise en place de quelques unités ambulatoires avec des personnels consciencieux et admirables – auxquels il faut rendre hommage, car il s’agit là d’un domaine du soin particulièrement stressant et pesant pour les professionnels – ont démontré leur efficacité. Malheureusement, une couverture territoriale très insuffisante conduit à des situations inacceptables, qui sont encore beaucoup trop nombreuses.
À ce sujet, madame le ministre, il serait intéressant de connaître le montant des crédits dédiés aux soins palliatifs dans le nouveau plan triennal que vous avez lancé. La commission de réflexion sur la fin de vie avait été particulièrement sévère sur ce point, en estimant que « les moyens financiers des réseaux à domicile sont soumis à des changements incessants de modalité de répartition de crédits, ce qui entraîne souvent une baisse de leurs ressources » et que « tout se passe comme si l’encouragement répété en faveur des soins palliatifs n’était qu’incantatoire ».
Certes, il est intolérable qu’à l’hôpital, en EHPAD ou à son domicile, le malade en fin de vie imminente et inéluctable à bref délai ne soit pas pris en charge, de sorte qu’il trouve, en ses derniers instants, le calme, la sérénité et les conditions d’une fin de vie digne et apaisée, entouré de ses proches. Cependant, plutôt que de légiférer, ne serait-il pas préférable de rechercher les moyens financiers, matériels et humains nécessaires à la couverture de l’ensemble du territoire par ces unités spécialisées, qu’elles soient fixes ou ambulatoires ? En effet, comme le rappelait notre collègue député Jean Leonetti, « la loi ne peut pas être le verbe législatif incantatoire de l’impuissance publique qui dit la règle, le droit, la loi et ne les met pas en application ».
Pourtant, il en a été décidé autrement puisque nous allons légiférer : nouvelle loi, nouveaux débats, nouvelles confrontations.
Nos rapporteurs, qui ont réalisé un travail important, ont rappelé la réflexion menée sur ce thème par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et par les auteurs de la proposition de loi. À l’aune de ces rapports ainsi que des travaux de la commission de réflexion animée par le professeur Didier Sicard, du Comité consultatif national d’éthique, de la conférence des citoyens, et de nombreuses contributions de toutes tendances – je ne saurai toutes les citer, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou médicales –, un consensus existe sur la condamnation de l’acharnement thérapeutique, sur la nécessité de la formation des personnels et sur l’obligation de prendre en compte les directives anticipées du malade.
Toutefois, nous retrouvons très rapidement le clivage sociétal entre ceux qui considèrent – et j’en suis – que le rôle de la société n’est pas de provoquer la mort et ceux qui, au nom d’une prééminence décisionnelle de l’individu, appellent à l’euthanasie ou au suicide assisté. Notons d’ailleurs que le clivage ne s’établit pas uniquement sur le postulat du caractère sacré ou non de la vie humaine.
Comme l’écrit Axel Kahn, on peut aussi considérer que « lorsque la loi de notre République maintient qu’il est interdit de tuer, il n’apparaît pas satisfaisant qu’elle prévoie les conditions dans lesquelles ce principe – excellent – peut être battu en brèche en toute légalité » et que « les lois doivent se placer en amont des histoires individuelles et définir les principes dans lesquels se reconnaît une société ».
Or c’est bien souvent en se référant à un vécu personnel, dans sa famille ou parmi ses proches, que chacun d’entre nous aborde cette réflexion et se forge un jugement dans lequel l’aspect émotionnel domine inévitablement. C’est aussi, malheureusement, au travers de l’abominable médiatisation d’un certain nombre de cas douloureux à laquelle l’actualité nous confronte d’une manière lancinante. Le rôle de l’affectif dans notre relation avec les mourants ne fait du reste que nous renvoyer inconsciemment à notre propre mort. Dans un livre tout à fait remarquable intitulé La mort peut attendre, le professeur Maurice Mimoun raconte comment la mort de l’un de ses amis l’a fait changer de ton, alors qu’il s’apprêtait à écrire un livre en faveur de l’euthanasie, s’appuyant sur de belles théories et des principes solides. Il termine son livre en affirmant nettement qu’« il ne faut pas légaliser la mort ».
Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur un certain nombre de points concernant le texte dont nous débattons ici. J’estime qu’ils méritent d’engager une réflexion, même si je me contenterai de les citer, car nous y reviendrons ultérieurement.
Tout d’abord, je soulignerai l’absence totale de reconnaissance et de place donnée à l’accompagnement affectif, qu’il soit réalisé par des bénévoles ou par des membres de la famille : il n’y a donc aucune place pour « parler et même simplement toucher », comme l’a si bien écrit Marie de Hennezel dans son livre La mort intime.
Ensuite, je signalerai le flou que représente l’utilisation des mots « court terme » lorsqu’il est question de l’engagement du pronostic vital.
Enfin, à mes yeux, le point crucial de ce texte, qui le fait quitter cette ligne de crête qui faisait consensus pour le faire pencher – n’ayons pas peur des mots – vers une euthanasie masquée, ce sont les termes de « sédation profonde et continue ».
Nous examinerons les conditions dans lesquelles le texte a été dévié de son sens initial, par l’introduction, à l’Assemblée nationale, de l’adjectif « profonde » derrière le mot « sédation », ce qui signifie que nous atteignons les niveaux 5 et 6 dans l’échelle de « score de Ramsey », conduisant inévitablement à un encombrement bronchique immédiat, à une hypotension, voire à une apnée fatale, en quelques instants, à défaut d’une assistance respiratoire. L’intention des auteurs de la proposition de loi n’était certainement pas d’en arriver là, de même qu’un certain nombre de parlementaires ayant contribué aux débats sur ce texte n’ont probablement pas vu non plus la portée et la gravité d’une sédation « profonde et continue ».
En réalité, les protocoles de recours à la sédation pour détresse en phase terminale sont au point dans les établissements de soins palliatifs. N’en rajoutons pas, ne prenons pas le risque de basculer là où je crois beaucoup de personnes ne veulent pas aller !
Sans ce malheureux amendement n° 76 déposé et adopté en séance publique à l’Assemblée nationale, je pense que nous aurions pu parvenir à un très large consensus sur ce texte, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, écrire ses directives anticipées, les concevoir, les formuler, indiquer clairement la manière dont on souhaite finir sa vie, ou plutôt la façon dont on ne veut pas mourir : être maintenu artificiellement en vie alors que le diagnostic vital a été établi, ou rêver de mourir en dormant ? Quels sont ceux qui n’ont pas évoqué ce sujet, notamment ces derniers temps, alors que l’actualité nous fait de nouveau entrer dans l’intimité tragique d’un homme jeune, enfermé dans son corps, sans aucun espoir de retour à une relation lui permettant de communiquer avec le monde qui l’entoure, d’un homme jeune dont la famille se déchire et le donne en spectacle, et alors que toutes les procédures collégiales, médicales et expertes prévues par la loi dite Leonetti ont été menées, conclues et avalisées ?
Si Vincent Lambert ne peut pas sortir de cette vie qui n’en est plus une, tranquillement, avec l’assistance de ses soignants, sous l’affectueuse attention de ses proches, c’est parce qu’il n’a pas exprimé clairement quelle était sa volonté en pareil cas, lorsqu’il était capable de le faire. Seule son épouse, soignante comme lui, témoigne aujourd’hui de son expression orale, issue de conversations intimes qui sont, en revanche, contestées par les parents. D’autres proches, parents ou amis, décrivent à leur tour l’état d’esprit de Vincent Lambert face à une vie végétative.
Les médecins peuvent attester être allés au bout de ce que la médecine pouvait faire pour le ramener à une conscience qui pourrait peut-être donner un sens au maintien d’une vie artificielle.
La délivrance de cet homme jeune fait désormais partie du débat public et, de fait, reste difficile à atteindre dans un délai raisonnable. Que n’a-t-il rédigé ses directives anticipées, déjà prévues dans la loi de 2005 et préconisées dans le texte examiné aujourd’hui ! Il aurait ainsi clairement indiqué, et de manière incontestable, qu’il refusait d’être maintenu en vie artificiellement en pareille situation.
Qui a déjà rédigé ses directives, exprimant ainsi de façon indiscutable ce qu’il souhaite et ce qu’il refuse ?
En 2009 et en 2010, l’équipe du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin a questionné 186 personnes de plus de soixante-quinze ans sur leurs connaissances et leur perception des directives anticipées : neuf personnes sur dix n’en avait jamais été informée. Ciblant un public concerné par le vieillissement, cette étude indique bien la méconnaissance d’une telle possibilité.
Le texte dont nous débattons prévoit de modifier le statut des directives anticipées et de les rendre contraignantes. Cette nouvelle disposition qui concrétise le principe selon lequel « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée » doit donc mettre réellement en œuvre le renforcement du droit des personnes à rester maîtres de leur vie jusqu’à son terme, sans être contraints d’abandonner leur corps malade, souffrant, agonisant à la décision d’autres individus, fussent-ils médecins !
Pour ce faire, une très forte évolution culturelle sera nécessaire au sein de la société tout d’abord, parmi les personnes qui seront les futurs sujets de ce nouveau droit ensuite, ou encore parmi les familles, les proches qui devront admettre la volonté du malade et ne pas faire de demandes de soins extravagantes, et enfin chez les soignants qui devront respecter la volonté du patient, exprimée dans une forme qui leur sera opposable.
Ce sera difficile, alors qu’existe un profond hiatus entre les attentes de nos concitoyens à l’égard de la médecine en matière d’accompagnement jusqu’à la mort et l’aide que la médecine se sent capable de fournir aux mourants.
C’est pourquoi l’article 8 de la proposition de loi est aussi important lorsqu’il dispose que « toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté », que « les directives anticipées s'imposent au médecin » et qu’« elles sont révisables et révocables à tout moment ».
Il a été établi que 2,5 % des personnes décédées en 2009 avaient formalisé leurs directives, et que seulement 1,8 % des patients n’avaient plus été en mesure d’exprimer leurs attentes.
Si nous voulons que ce droit soit exercé et qu’il s’impose, il faudra l’expliquer, le populariser, le socialiser ; mais pour qu’il devienne un droit actif, vivant et connu, la route sera longue – souvenons-nous du temps qu’il a fallu au don d’organe pour faire son chemin. Raison de plus pour inscrire dans la proposition de loi des éléments explicites, comme le signalement sur la carte Vitale du signataire de l’existence de ces directives, par ailleurs consignées dans un registre national, et l’inscription sur cette même carte du nom de la personne de confiance. Raison de plus aussi pour insister sur la sensibilisation et l’information, afin que toute personne majeure soit mise au courant, et pas seulement par son médecin traitant, de la possibilité de prendre des dispositions anticipées et des conditions de leur rédaction.
Enfin, pour bien faire entrer cette pratique de précaution dans nos mœurs, je défendrai un amendement tendant à assurer la sensibilisation des jeunes au moment de la Journée défense et citoyenneté. Cette circonstance est l’occasion d’un grand rassemblement de toute une classe d’âge, au cours duquel les jeunes sont informés de leurs droits et de leurs devoirs citoyens. Des informations leur sont déjà communiquées relativement à l’éducation à la santé, à la prévention, à l’intérêt du don du sang et au don d’organe ; je souhaite que, de la même façon, ils soient sensibilisés à leurs droits d’éventuels malades, et préparés à rédiger, lorsqu’ils seront majeurs, leurs directives anticipées.
En rompant avec l’idée que les directives anticipées concernent uniquement des personnes malades, âgées ou en fin de vie, voire en phase terminale, et en dédramatisant, à un âge où l’on se croit invincible, un acte de responsabilité susceptible d’être renouvelé et actualisé tout au long de la vie, nous inscrirons véritablement ce nouveau droit dans le quotidien du dialogue avec la médecine et dans l’évolution de notre société.
Mes chers collègues, comme nombre d’orateurs l’ont déjà fait observer, la question est universelle : tous nous serons confrontés un jour à la fin de vie, celle d’un proche ou la nôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par présenter deux observations, qui, peut-être, seront partagées par tous.
En premier lieu, ce débat intervient dans un contexte particulier, non seulement sur le plan juridique, puisque la Cour européenne des droits de l’homme a rendu ses conclusions dans l’affaire Lambert, mais aussi sur le plan émotionnel, tant chacun s’est senti interpelé ; des images, malheureusement, ont même été données en spectacle. Or nous savons, au Sénat, que, pour faire de bonnes lois, l’émotion est très souvent mauvaise conseillère. Comme François Bonhomme l’a souligné, si nous devons toucher à la législation sur la fin de vie d’une main tremblante, selon la formule de Montesquieu, notre raison, elle, ne doit pas trembler.
En second lieu, je constate un paradoxe français en ce qui concerne la façon de légiférer. Alors que pas une semaine ne passe sans que, sur toutes les travées, nous dénoncions le trop-plein de lois et l’habitude très française de les modifier incessamment sous l’effet d’une bougeotte législative, on nous propose de modifier une loi qui, en 2005, a été adoptée à l’unanimité, chose si rare, et dont chacun reconnaît qu’elle est mal connue, et peut-être mal appliquée. Pour qu’un texte soit bien connu et bien appliqué, il faut qu’il s’inscrive dans la durée. Or voilà qu’on veut modifier la loi Leonetti, qui a réalisé ce dont M. Barbier a parlé tout à l’heure : le consensus !
Pourquoi donc veut-on la modifier ? Sans doute pour cocher une case dans un programme présidentiel. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Certainement aussi pour franchir une nouvelle étape…
Mme Michelle Meunier. Oui !
M. Bruno Retailleau. … dans ce que certains appellent le droit à mourir dans la dignité.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. C’est plutôt cela !
M. Bruno Retailleau. Comme si la dignité n’était pas une qualité ontologique ! La dignité, mes chers collègues, c’est à Paul Ricœur que nous en devons l’une des plus simples et des plus belles définitions : « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain ».
Pour comprendre le pas supplémentaire qu’on nous propose de franchir, il faut, je crois, revenir au point de départ, c’est-à-dire à la déclaration que le Président de la République a faite lorsque, voilà à peu près six mois, Alain Claeys et Jean Leonetti lui ont remis leur rapport : il a employé l’expression, sans doute juste, de « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Mes chers collègues, c’est de ce droit qu’il nous faut débattre, car il est la pièce centrale de la proposition de loi, celle qui détermine son économie générale.
Nous devons, plus précisément, nous poser deux questions : pourquoi ce droit et quelles seront son application, sa portée, sa signification ?
À propos de la première question, je tiens à insister sur des chiffres qui ont déjà été mentionnés à cette tribune, mais qui me paraissent de la plus haute importance. Madame la ministre, vous nous avez annoncé un plan pour les soins palliatifs. Tant de plans ont été annoncés qui sont restés des incantations que c’en est devenu une habitude ! Songez bien, mes chers collègues, que seulement 20 % de la population française a accès à des soins palliatifs, et que 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Au Sénat, nous parlons souvent de la fracture territoriale ; s’il y a bien une injustice territoriale, c’est celle qui tient à la politique palliative ! Ainsi, les régions de l’ouest, dont je suis issu, sont parmi les moins bien dotées.
Pourquoi ce nouveau droit ? Parce que 80 % des médecins n’ont pas reçu de véritable formation à la prise en charge de la douleur. Parce que, en définitive, nous avons échoué à garantir un droit pourtant inscrit dans la loi depuis 1999, et réaffirmé en 2002 puis en 2005. Par facilité, par fatalité, par incapacité à garantir ce droit, nous voilà sur le point d’instaurer un droit nouveau. Cette fuite en avant, cet engrenage, cette étape qui en prépare d’autres ne doivent pas nous conduire à une dérive éthique.
De là la seconde question que nous devons nous poser : celle des modalités du nouveau droit. Sera-t-il un droit à dormir avant de mourir ou un droit à endormir pour faire mourir ? Sera-t-il un moyen de soulager ou un moyen d’euthanasie qui ne dit pas son nom ? Ces questions sont troublantes, dérangeantes, brutales, mais il est légitime, je crois, de se les poser, quelque opinion qu’on ait.
Si les conditions de mise en œuvre de ce que j’appelle « la sédation terminale » sont importantes, c’est parce que cette sédation sera beaucoup plus qu’un geste palliatif : elle ne sera pas intermittente, mais sans doute définitive ; il s’agira d’un endormissement sans retour, conduisant à une mort certaine, d’autant plus que les traitements n’ont pas été séparés des soins. À cet égard, je tiens à remercier les rapporteurs et la commission des affaires sociales d’avoir dissocié la nutrition et l’hydratation des traitements.
Mes chers collègues, je vous invite tous, quelles que soient vos conceptions, à lire le très beau texte que Jean Clair a publié ce matin, dans lequel il cite l’injonction que Victor Hugo met dans la bouche de son père, sur un champ de bataille, à la vue d’un Espagnol qui se meurt : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé ». Ce mot est, en somme, une injonction universelle faite à l’humanité bien portante d’avoir souci de l’humanité souffrante.
Certains ont présenté la présente proposition de loi comme un texte de prolongement et de clarification de la loi Leonetti. Je pense, au contraire, qu’elle marque une rupture. En effet, la loi du 22 avril 2005 repose sur la notion, centrale, du double effet, bien connue de ceux qui s’intéressent à la question de la fin de vie. Je pense qu’il suffit tout simplement de revenir aux sources, par exemple en lisant Alain Claeys, qui le 17 novembre dernier, dans Libération, a écrit ceci : « Nous parlons d’une sédation forte dans le but d’aider à mourir ». Point n’est besoin d’en rajouter, tout est dit. (M. Gilbert Barbier opine.)
Encore faut-il parler de l’opposabilité des directives anticipées, qui potentialisent, si je puis dire, les dérives euthanasiques. Pouvons-nous concevoir à l’avance, par anticipation, ces instants ultimes, ces instants extrêmes après lesquels les instants ne comptent plus ? Je n’apporte pas de réponse définitive à cette question, mais nous devons nous la poser.
En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que la présente proposition de loi est porteuse d’un risque : un risque de dérive euthanasique, que nous devons tenter d’éliminer en pesant chaque terme et en fixant un certain nombre de limites. Des précisions juridiques suffiront-elles pourtant à réduire la terrible complexité d’un texte qui a la prétention de protocolariser la fin de vie, comme pour essayer de régler une fois pour toutes la question de la mort, pour les autres et pour soi-même ? Telle est la grande question.
La mort, cette « monstruosité solitaire », cet événement « inclassable », selon Jankélévitch, mort il y a trente ans presque jour pour jour, nous effraie évidemment, qui que nous soyons. Face à elle, la loi ne peut pas tout, mais une chose est sûre : elle ne doit pas conduire à donner la mort ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Article 1er
I. – L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) à la première phrase, après le mot : « soins », sont ajoutés les mots : « curatifs et palliatifs » ;
b) (Supprimé)
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l’application du titre II du présent livre Ier. » ;
2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
II. – La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.
M. le président. L'amendement n° 54 rectifié, présenté par MM. de Legge, Sido, Reichardt, Morisset, Mandelli, Revet, de Nicolaÿ, D. Laurent, G. Bailly, B. Fournier, Pierre et Leleux, Mme Imbert, M. Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, MM. Trillard, Raison, Portelli et Savary, Mme di Folco, MM. Huré et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mmes Deromedi et Troendlé, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest, Saugey et Mouiller, Mme Mélot, MM. Retailleau, Mayet et Charon, Mmes Deroche et Duranton, MM. Husson, Houel, Fouché et Gournac, Mme Debré, M. Lemoyne, Mme Lamure et MM. Kern, Cardoux, Gremillet et Guerriau, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...) À la première phrase, après les mots : « de recevoir », sont insérés les mots : « , sur l'ensemble du territoire, » ;
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Tous les orateurs qui se sont succédé à la tribune dans la discussion générale se sont attachés à dire que la loi du 22 avril 2005 n’avait pas été bien appliquée, pour une raison simple : les soins palliatifs n’ont pas été mis en place ; chacun s’est accordé à reconnaître que 80 % environ de la population en fin de vie n’y a pas accès.
L’un de nos rapporteurs a dit très clairement – je le cite de mémoire, mais je ne crois pas trahir sa pensée – que la difficulté tenait aux moyens et à l’accès effectif aux soins palliatifs. Mme Bouchoux, quant à elle, a dit : il faut des soins palliatifs pour tous. Je pourrais rappeler les propos d’autres collègues ; qu’ils ne m’en veuillent pas de ne pas les citer.
Sur cet amendement au moins, mes chers collègues, nous devrions pouvoir nous retrouver, car il vise tout simplement à tirer les conséquences dans la loi des manquements de la loi de 2005. Vraiment, nous devrions tous tomber d’accord au moins sur ceci : il est nécessaire de développer les soins palliatifs, non pas seulement en quelques endroits, mais sur l’ensemble du territoire national !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Sur le fond, on ne peut qu’être d’accord avec le constat de l’inégalité d’accès aux soins palliatifs. Seulement, la loi ayant une portée générale, elle s’applique à l’ensemble du territoire. Par ailleurs, et même si ses auteurs dénoncent l’insuffisance des soins palliatifs, cet amendement n’entre pas directement dans le cadre de la loi. L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Nous reconnaissons tous, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, l’existence d’une injustice territoriale flagrante qui dure et ne date pas de ce gouvernement. Il ne s’agit pas de faire de la politique politicienne.
Simplement, la Cour des comptes déclarait, il y a quelques mois, que seul un tiers des patients décédés lors d’un court séjour hospitalier, susceptibles de nécessiter des soins palliatifs en ont effectivement bénéficiés. En 2010, seuls 11,25 % des patients décédés aux urgences susceptibles de bénéficier des soins palliatifs en ont effectivement bénéficié, 89 % n’en ont donc pas bénéficié. Selon le palmarès international établi par l’organisme international The Economist Intelligence Unit en 2010, la France se situe au 23e rang sur 40 des pays offrant le plus de soins de fin de vie.
Mes chers collègues, pouvons-nous donner corps à une volonté politique dans un texte ? Ne sommes-nous pas d’abord les représentants de la France territoriale ? Cette injustice territoriale ne nous touche-t-elle pas, quelles que soient nos convictions, au plus profond de nous-mêmes ?
Il me semble que ceux qui sont favorables à cette proposition de loi et qui la portent ne peuvent pas ne pas entendre le cri des territoires injustement traités avec cette kyrielle de malades qui ne peuvent pas avoir accès aux soins palliatifs alors que leur état devrait le leur permettre et qu’ils en souffrent. Merci de considérer qu’au Sénat les territoires, notamment lorsqu’ils prennent le visage de souffrants, peuvent encore compter ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Dès lors qu’une loi – quelle qu’elle soit – est votée, elle s’applique obligatoirement sur l’ensemble du territoire, que cela soit précisé ou non dans le texte même.
Le problème ne réside pas dans l’affirmation de la nécessité de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, car, dès lors que l’on précise dans la loi qu’il faut des soins palliatifs, cela s’applique sur l’ensemble du territoire. Le problème est de trouver la possibilité de financer la mise en application de la loi sur l’ensemble du territoire. Or la question des moyens financiers dépasse le cadre de cette proposition de loi, elle relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS.
C’est peut-être le travail du Gouvernement ou des gouvernements de trouver le moyen de donner satisfaction à l’ensemble des territoires. Comme cela a été souligné par tous ceux qui sont intervenus dans cet hémicycle, l’examen de cette proposition de loi a mis en évidence que la loi Leonetti n’était pas suffisamment connue et que la mise en application des soins palliatifs sur les territoires était insuffisante. Cependant, cette mise en application n’est pas un problème d’ordre législatif, c’est un problème d’ordre financier, qui relève du PLFSS.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. Cet amendement me paraît important, dans la mesure où nous allons bientôt inscrire dans la loi la notion de sédation profonde et continue.
M. Gérard Dériot, corapporteur. Nous n’y sommes pas encore !
M. Jean-Pierre Leleux. Certes, cette notion n’est pas encore inscrite, mais il est probable qu’elle le soit.
La sédation profonde et continue sera sans doute plus simple à mettre en œuvre que les soins palliatifs, même si nous avons considéré qu’elle ne sera appliquée qu’une fois l’ensemble des soins palliatifs possibles de prolongation de la vie mis en œuvre. Cependant, je crains que la sédation profonde ne devienne une alternative aux soins palliatifs, plutôt qu’une continuité aux soins palliatifs, et donc qu’au lieu d’augmenter l’offre de soins palliatifs nous prenions le risque de les diminuer.
C’est la raison pour laquelle il me semble important que nous nous imposions à nous-mêmes de faire en sorte que partout sur notre territoire les soins palliatifs soient offerts avant de procéder à une sédation profonde et continue jusqu’à la mort. (MM. Charles Revet et Louis-Jean de Nicolaÿ applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Monsieur le rapporteur, c’est merveilleux et je vous en remercie, vous êtes d’accord sur le fond ; aussi, sont avancées des arguties. En effet, on nous explique que cet amendement ne relève pas du domaine de la loi. Seulement, cela fait dix ans que la loi de 2005 n’est pas appliquée ! Or vous êtes en train de nous expliquer qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire une telle disposition dans la loi. Où serait alors le progrès ?
Monsieur le président Milon, je vous remercie de vos propos. Vous affirmez qu’un accès égal aux soins palliatifs sur tous les territoires relève du PLFSS. À ce sujet, j’ai lu avec intérêt le compte rendu de la commission des affaires sociales où j’ai déposé un amendement pour que le Gouvernement présente au Parlement un état des unités de soins palliatifs lors de l’examen du PLFSS. J’ai cru comprendre que même un tel amendement n’avait pas été accepté par la commission.
Mes chers collègues, les choses doivent être claires et nous devons sortir de l’ambiguïté. Je comprends les personnes qui souhaitent s’en tenir au texte de la commission, mais en refusant cet amendement, vous adressez un signal simple : les doutes que nous pourrions avoir sur ce texte et sur les intentions d’un certain nombre d’entre nous se trouveraient totalement confirmés.
Combien de textes de loi n’avons-nous pas voté avec des dispositions qui ne relevaient pas nécessairement du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire ! Or, en l’occurrence, comme par hasard, ça gênerait, parce que ce serait reconnaître, tous ensemble, que le préalable de la présente loi c’est la mise en place des soins palliatifs.
Permettez-moi d’invoquer un dernier argument. Chacun d’entre nous sur toutes les travées a particulièrement à cœur de le rappeler, nous sommes – c’est la prérogative du Sénat – l’émanation des territoires et la République doit proposer un accès aux services publics de façon égale sur l’ensemble du territoire. Cet amendement vise justement à le réaffirmer. Refuser cet amendement en avançant de telles arguties, ce n’est digne ni du raisonnement, ni de notre objectif commun, ni même du Sénat ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Suite aux propos du président Milon, je rappelle que sur le terrain l’égalité territoriale n’existe malheureusement pas, tout particulièrement en matière sanitaire. En effet, l’ouverture de services spécialisés de soins palliatifs dépend très largement des orientations données par les agences régionales de santé, les ARS. Or, manifestement, entre les régions les orientations sont totalement différentes, même si, pour ma part, je suis assez satisfait des orientations mises en application dans ma région. Nous devons faire face à cette inégalité territoriale due à la relative autonomie dont dispose les ARS en matière de mise en place de soins palliatifs.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Je voulais déjà intervenir il y a trois minutes en ayant à l’esprit une volonté d’apaisement. Au risque de surprendre, cet amendement me paraît tout à fait pertinent, et pourtant il est rare que je soutienne un amendement du groupe Les Républicains. Cependant, en tant qu’élue de l’ouest de la France, il me semble relever d’une sorte d’évidence.
Je ne suis parlementaire que depuis 2011, mais je constate qu’il nous arrive tout de même très souvent d’inscrire dans la loi des mesures d’ordre réglementaire, je dirai même que cela représente les trois quarts de notre activité. De ce fait, je ne comprends pas pourquoi nous n’adopterions pas cet amendement, qui même s’il n’est que symbolique, envoie un message à tous les non Parisiens. Malgré le fait que je défende une position différente sur le reste de la proposition de loi, et je me sentais d’ailleurs un peu isolé tout à l’heure, il me semble qu’assurer un accès général aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire est un préalable, ensuite il est possible de discuter des exceptions.
Je m’apprêtais à soutenir cet amendement.
M. André Trillard. C’est le bon sens !
MM. Bruno Gilles et Daniel Laurent. Très bien !
Mme Corinne Bouchoux. Cependant, je m’aperçois avec stupéfaction que son adoption pose un problème. Or, pour le moment, inscrire une telle disposition dans la loi ne coûte rien, alors que le faire au moment du PLFSS coûtera cher. Cette disposition me semblait évidente et je pensais que nous pourrions tous voter en sa faveur. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Au risque de vous étonner à mon tour, je soutiens cet amendement et ma position est par conséquent la même que celle qui vient d’être défendue par ma collègue Corinne Bouchoux. (Ah ! Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Jean Desessard applaudissent également.)
Il me semblait aussi que cet amendement reprenait le souhait de l’ensemble des parlementaires présents dans cet hémicycle de généraliser les soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. En ce début de soirée, je pensais que cet amendement nous permettrait justement de commencer les débats par un consensus, puisque certains ont beaucoup parlé de consensus, d’autant que nous aurons vraisemblablement l’occasion de nous affronter sur d’autres sujets sans doute un peu plus délicats que celui-ci.
Nous aurions pu avoir un consensus et voter tous ensemble cet amendement qui vise à assurer un accès aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Cette question relève bien sûr du PLFSS, mais lorsque nous examinerons ce texte nous disposerons du temps nécessaire pour chiffrer le coût de cet amendement. En attendant, la déclaration d’intention est là et elle est ferme : des soins palliatifs pour tous sur l’ensemble du territoire !
M. André Trillard. Bravo !
Mme Annie David. Je voterai donc avec mes collègues en faveur de cet amendement.
M. André Trillard. Nous sommes d’accord !
Mme Annie David. Peut-être que la suite de la discussion fera évoluer les positions des uns et des autres, mais je regretterais que nous ne parvenions pas à un consensus sur cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains. – Mmes Corinne Bouchoux et Françoise Gatel ainsi que M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Je rappelle l’intitulé du texte : « proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Ainsi, cette proposition de loi vise à aborder des questions précises pour essayer d’accompagner dans les meilleures conditions possibles la fin de vie.
Tout le monde s’accorde, bien entendu, pour pointer l’insuffisance des soins palliatifs sur le territoire. Cependant, contrairement à ce que vient de dire notre collègue, la généralisation des soins palliatifs coûte cher (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) et pose un problème de financement,…
M. André Trillard. Et l’égalité, monsieur ?
M. Michel Amiel, corapporteur. … qui ne relève pas de cette proposition de loi !
M. André Trillard. Cynique !
M. Michel Amiel, corapporteur. J’ajoute que, contrairement à ce que certains semblent penser, la sédation profonde et continue n’a pas vocation à devenir un substitut expéditif aux soins palliatifs sous prétexte que ceux-ci ne seraient pas assez développés. Nous reviendrons tout à l’heure sur cette question de la sédation profonde et continue, telle que les associations de soins palliatifs la préconisent et, surtout, sur les conditions dans lesquelles elle est censée être mise en œuvre.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur Jean-Pierre Leleux, la sédation profonde, dont nous aurons l’occasion de reparler par la suite, n’a pas été inscrite dans cette proposition de loi pour éviter d’installer des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, ce serait inadmissible et intolérable, d’autant que ce n’est pas l’intention qui a animé les rapporteurs.
Je rappelle l’alinéa de l’article 3, réécrit par les rapporteurs et voté par la commission des affaires sociales, selon lequel la sédation profonde et continue n’est mise en place que « lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire à tout autre traitement – donc, les soins palliatifs –, exprime la volonté d’éviter toute souffrance ». Cet alinéa est la preuve que la volonté première c’est de mettre en place les soins palliatifs, de soigner les patients, d’essayer de guérir,…
Mme Françoise Férat. Eh bien alors ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … et de ne proposer la sédation profonde qu’en fin de vie lorsque plus aucun traitement n’est efficace.
Par conséquent, ce texte ne vise en aucun cas à remplacer les soins palliatifs par la sédation profonde ; nous devons être très clairs sur ce point, sinon on ne pourra pas s’entendre. Si on part de cette idée fausse, nous allons à l’évidence passer une très mauvaise soirée.
Enfin, concernant l’amendement de Dominique de Legge par lequel notre collègue demande que, dans le cadre de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement présente au Parlement un bilan de la formation et un état des unités de soins palliatifs, j’indique que la commission a émis un avis non pas défavorable, mais favorable.
M. Dominique de Legge. Mon dieu !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Le président la commission des affaires sociales a peu ou prou dit ce que je voulais dire.
L’un de nos collègues, tout à l’heure, a commencé son intervention en laissant supposer que des médecins pourraient se retrancher derrière l’absence de soins palliatifs pour procéder à une sédation terminale ; ces propos, je m’excuse de le lui dire ainsi, me semblent assez légers et sont une très mauvaise façon d’aborder ce débat.
En commission, le groupe socialiste et républicain a suivi le rapporteur parce qu’il nous a paru tout à fait évident qu’une loi s’appliquait sur l’ensemble du territoire national. Cela étant, sincèrement, si la mention à l’article 1er des mots « sur l’ensemble du territoire » permet de mettre fin à cette crispation à laquelle nous assistons en ce début de débat, je n’y vois pas d’inconvénient à titre personnel, même si cela est redondant.
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. On ne va tout de même pas faire tout le débat sur cette question !
M. Pierre Médevielle. Je m’étonne aussi que nous nous accrochions, au début de l’examen de ce texte, au sujet du mot « territoire ». Au cours de la discussion générale, nous avons dressé le constat des inégalités en matière de soins palliatifs. Nous savons également – soyons pragmatiques – que, en raison de la politique de concentration des établissements hospitaliers menée par les agences régionales de santé, nous n’avons pas les moyens de créer partout des lits de soins palliatifs. En revanche, il existe d’autres solutions comme les services d’hospitalisation à domicile autour des hôpitaux et d’autres encore, moins coûteuses, que nous pourrons mettre en place si nous parvenons à former de nouvelles équipes de médecins libéraux qui pourront intervenir dans les territoires ruraux.
Dispenser des soins palliatifs et recourir à la sédation profonde sur tout le territoire grâce à des équipes différenciées ne me paraît pas être un objectif impossible à atteindre.
De même, ajouter les mots « sur l’ensemble du territoire » à l’article 1er ne me gêne pas du tout.
M. Georges Labazée. On ne va pas passer toute la soirée sur ce point !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Nous examinons un texte difficile qui peut nous diviser et nous opposer et qui, en même temps, doit nous rassembler autour de nos valeurs républicaines de liberté et d’égalité.
Au cours de la discussion générale, nous avons mis en évidence les inégalités territoriales en matière d’accès aux soins palliatifs : 70 % des lits de soins palliatifs sont aujourd’hui concentrés dans cinq régions.
Tout en ayant beaucoup de respect pour M. le président de la commission des affaires sociales et MM. les rapporteurs, il me semble important, dès lors que nous décidons que les soins palliatifs sont essentiels et prioritaires, que la loi oblige le Gouvernement à consacrer les moyens nécessaires pour satisfaire à cet objectif d’égalité entre les territoires. À défaut, ce seront encore les habitants des territoires ruraux qui seront les plus pénalisés.
Je soutiens avec une ferveur toute républicaine l’amendement de notre collègue. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, pour explication de vote.
Mme Caroline Cayeux. À mon tour aussi de m’étonner de l’émotion qui semble saisir ceux de nos collègues qui ne souhaitent pas l’adoption de cet amendement.
Je m’étonne également des arguments financiers qui sont plus ou moins mis en avant. Or je considère que, dans la société moderne dans laquelle nous vivons, il est urgent que la loi consacre et même sacralise le principe de l’égalité des territoires en matière de soins, de soins palliatifs, et abolisse les inégalités dues à l’éloignement, source de difficultés pour le monde rural. Disant cela, je pense à mon département, à ma région.
Même si, comme je l’ai entendu en commission cet après-midi, telle disposition visée à tel amendement est du domaine réglementaire et non pas législatif, eh bien prenons date et faisons en sorte que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale dégage des moyens pour assurer l’égalité des territoires !
Si ce n’est pas au Sénat que nous réclamons que soit assurée cette égalité, je me demande bien dans quelle autre assemblée cette requête pourra être défendue !
Moi aussi je voterai cet amendement. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour explication de vote.
M. Benoît Huré. Faisons preuve un instant d’humilité et d’humanité. Opposer à cet amendement des arguments de procédure et des arguties législatives, c’est vraiment être en décalage avec les réalités douloureuses telles qu’elles sont vécues.
Qu’on se départe de ces postures législatives, car c’est un texte d’humanité qu’il s’agit, un texte qui rassemble, qui nous touche tous.
Affirmer cela dans le cadre d’un texte de loi me paraît nécessaire.
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
M. André Trillard. Depuis quelque temps, on assiste à un décalage entre le monde rural et le monde urbain (M. Roland Courteau s’exclame.), entre les régions. J’invite chacun ici présent à lire, s’il en a le temps, un ouvrage d’Emmanuel Vigneron, professeur à l’université de Montpellier, consacré aux inégalités de santé en fonction des territoires et paru voilà près de dix ans. Depuis lors, rien n’a changé et, pire que cela, tout s’aggrave. Et nous ne voudrions pas affirmer que nous avons conscience de ce problème ? Ce n’est pas possible ! (MM. Dominique de Legge et Yves Pozzo di Borgo ainsi que Mmes Anne-Catherine Loisier et Françoise Gatel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur. Je me permets de prendre la parole après le président de la commission des affaires sociales tout simplement pour recadrer un peu les choses.
Nous sommes tenus, dans notre travail de rédaction des lois, quelles qu’elles soient, à faire preuve d’une certaine rigueur ; à défaut, le Conseil constitutionnel, la plupart du temps, les retoque. Dans le cas présent, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Pour ce qui me concerne, j’ai été rapporteur ici même, voilà dix ans, de la loi Leonetti, qui, déjà, demandait que soient développés les soins palliatifs. Chaque fois, cette demande a été reformulée.
Je ne suis pas juriste, je suis simplement pharmacien et biologiste. Néanmoins, j’ai appris que certaines lois traitent de sujets et mettent en place des mesures dont le financement est par la suite assuré par les lois de finances et les lois de financement la sécurité sociale. Nous avons tenu à nous conformer à ce principe.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Nous avons pris soin, dans notre travail de réécriture du texte, de préciser qu’il était indispensable que des soins palliatifs soient assurés sur l’ensemble du territoire puisque, nous en convenons tous, tout le monde doit être traité de la même manière.
Je veux juste vous poser une simple question : dans vos territoires, disposez-vous d’autant d’appareils d’imagerie par résonance magnétique, l’IRM, que vous le souhaiteriez ? Sûrement pas !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas pareil !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Monsieur Hyest, c’est exactement la même chose !
Un appareil IRM est aujourd’hui indispensable avec le développement des techniques ; tout le monde est prêt à en installer un chez soi, mais encore faut-il que son financement soit prévu par la loi de financement de la sécurité sociale. Or il n’est pas encore prévu d’en installer sur l’ensemble du territoire.
Il en va de même pour les soins palliatifs. En ce moment, nous examinons une proposition de loi visant à créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ; lorsque nous sera soumis le projet de loi de financement la sécurité sociale, nous réclamerons les moyens financiers nécessaires pour assurer le développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire.
Maintenant, s’il s’agit simplement d’inscrire dans ce texte le souhait que les services de soins palliatifs soient présents sur l’ensemble du territoire – dans une collectivité, ce souhait aurait fait l’objet d’une motion qui aurait été votée à l’unanimité –, eh bien pourquoi pas !
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Monsieur Hyest, vous qui êtes un spécialiste de la rédaction des lois, dites-moi si, dans cette affaire, j’ai tort ou raison ?... Vous ne me répondez pas. (Sourires.)
Je le répète, si l’objectif des auteurs de cet amendement est d’inscrire dans la loi le souhait de voir se développer les services de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, tout le monde est d’accord !
Mme Françoise Férat. Alors, il faut l’inscrire dans le texte !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Inscrivons-le dans la loi, même si cela ne sert à rien, chacun sera content et l’on pourra enfin discuter du fond de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Nous abordons là une question extrêmement profonde et importante, à savoir la fin de vie.
Le premier problème est d’ordre philosophique et touche nos convictions profondes : lorsqu’il sera question de la sédation profonde, parlera-t-on d’euthanasie ou d’accompagnement de la fin de vie, qui doit s’imposer ? Voilà le fond du débat qui doit nous occuper aujourd’hui. (Mme Caroline Cayeux opine.)
Si nous passons cette première étape, philosophique et idéologique, un deuxième débat nous occupera : comment seront formées les équipes qui accompagneront les médecins, le personnel paramédical et notamment les infirmiers ? L’accompagnement de la fin de vie est un travail d’équipe et il existe des réseaux PAD – présence à domicile – à cet effet.
Dans un troisième temps, il faudra harmoniser sur l’ensemble du territoire les conditions d’accès à cette fin de vie.
Cette dernière étape se réglera de préférence dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, la deuxième dans le projet de loi de santé, tandis que la première étape fait l’objet du présent texte.
Ce qui m’ennuie un peu, c’est que nous trébuchions dès le premier amendement, alors que le troisième point aurait dû être examiné en fin de discussion, avant même d’aborder le problème idéologique et philosophique que soulève la fin de vie. C’est ce débat qui fera la grandeur de notre assemblée. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. À dire vrai, si l’on m’avait dit qu’il y aurait un débat aussi long sur cette question, je ne l’aurais pas cru. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
J’ai écouté attentivement les interventions des uns et des autres en discussion générale et plusieurs d’entre vous ont souhaité une plus grande efficacité législative, que la loi soit moins bavarde, plus précise.
Nous sommes là en présence d’un sujet qui n’a pas de contenu politique ; on n’a pas, d’un côté, ceux qui sont favorables à ce qu’il y ait des soins palliatifs partout et, de l’autre côté, ceux qui ne le seraient pas. La question – et je ne vais pas rouvrir le débat – est de savoir s’il faut l’inscrire dans la loi.
Quelqu’un parmi vous, de façon inutilement désagréable, a reproché au président de la commission des affaires sociales de recourir à des arguties. C’est inexact : la question porte sur les principes de l’égalité républicaine ; or la loi s’applique pour tous.
S’il suffisait d’inscrire dans la loi ce qui va de soi pour que les choses se réalisent, ce serait tellement simple ! J’ai annoncé tout à l’heure que je proposerai la semaine prochaine à un comité de pilotage un plan triennal de développement des soins palliatifs et des unités de soins palliatifs, dont un des axes majeurs sera la réduction des inégalités sur les territoires, et non pas simplement entre les territoires.
Le débat ne porte pas tant sur les différences entre les territoires que sur les différences au sein d’un même territoire selon l’endroit où l’on est malade. Ainsi donc, au sein d’un même territoire, les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés dans les maisons de retraite,…
M. René-Paul Savary. C’est vrai !
Mme Marisol Touraine, ministre. … ils n’existent pas à domicile, cependant qu’ils sont plus présents dans les hôpitaux.
Par conséquent, le simple fait de faire référence à la question des territoires ne suffit pas.
Il s’agit non pas d’opposer ceux qui veulent qu’on puisse partout bénéficier de soins palliatifs aux autres, mais tout simplement d’apprécier ce qui doit être inscrit dans la loi et ce qui n’a pas besoin de l’être. (M. André Trillard s’exclame.)
On n’imagine pas écrire dans la loi que les soins palliatifs ne seront pas assurés sur tout le territoire.
Au-delà du débat juridique, qui vous paraît justifié, mais qui vous permet, au fond, de marquer une volonté politique, il semble que certains veuillent, par l’ajout de ces termes, prendre position contre l’évolution législative proposée, en opposant les soins palliatifs à une démarche d’accompagnement de la fin de vie. Cela me paraît préoccupant. Il s’agit là d’une vraie différence d’appréciation, d’une divergence de fond, comme l’a très clairement souligné M. le président Milon.
Cette proposition de loi ne marque pas notre volonté d’empêcher le développement des soins palliatifs. Bien au contraire, ceux-ci sont un des piliers du texte ! N’opposons donc pas les soins palliatifs à la sédation profonde et à l’accompagnement de la fin de vie.
Aussi, je maintiens mon avis défavorable sur cet amendement, pour des raisons juridiques.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 54 rectifié.
(L'amendement est adopté.) – (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. Les amendements nos 103 et 113 ne sont pas soutenus.
Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 55 rectifié, présenté par MM. de Legge, Sido, Reichardt, Morisset, Mandelli, Revet, de Nicolaÿ, D. Laurent, G. Bailly, B. Fournier, Pierre et Leleux, Mme Imbert, M. Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, MM. Trillard, Raison, Portelli et Savary, Mme di Folco, MM. Huré et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mmes Deromedi et Troendlé, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest, Saugey et Mouiller, Mme Mélot, MM. Retailleau, Mayet, Charon, Husson, Houel et Gournac, Mmes Debré et Lamure et MM. Kern, Cardoux, Gremillet et Guerriau, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à toute personne une fin de vie entourée et apaisée. »
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Mes chers collègues, je veux d'abord vous remercier pour la conclusion heureuse du débat ouvert par l’amendement n° 54 rectifié.
L’amendement n° 55 rectifié porte sur un sujet plus sensible. Son objet est de rappeler que la proposition de loi doit être abordée avec énormément d’humilité, comme beaucoup l’ont déjà dit.
Le texte consacre une obligation de moyens : les professionnels de santé doivent tout mettre en œuvre pour assurer une fin de vie accompagnée, entourée et apaisée. J’aimerais que nous puissions aller plus loin et consacrer une obligation de résultat.
Cependant, si, compte tenu de la discussion que nous venons d’avoir, la loi ne doit pas être bavarde, à un moment donné, elle doit permettre de sanctionner. Aussi, la consécration d’un droit à une fin de vie digne et apaisée m’incite à poser deux questions.
Premièrement, qui apprécie la dignité ou l’indignité de la fin de vie ?
Mme Annie David. La personne elle-même !
M. Dominique de Legge. Deuxièmement, qui prononce la sanction ? En effet, si le droit n’a pas été respecté, il ne suffit pas d’en faire le constat : il faut aussi sanctionner ceux et celles qui l’ont enfreint.
C’est la raison pour laquelle, au travers de cet amendement, nous proposons une formulation un peu différente du texte de la commission, qui ne change rien au fond ni au fait que nous souhaitons promouvoir une fin de vie entourée et apaisée.
L’amendement n° 56 rectifié, que je défends dès à présent, monsieur le président, est un amendement de repli. Sa rédaction reprend l’expression d’« une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », qui figure actuellement dans le texte de la commission.
Par cet amendement, nous voulons rappeler que la question qui nous est posée est bien celle des moyens et que créer un droit qui ne serait pas assorti de sanctions n’aurait sans doute pas beaucoup d’effets.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, cela renvoie à la discussion que nous venons d’avoir. La loi ne peut pas être bavarde : elle doit être précise et tirer les conséquences de ses dispositions.
M. le président. L'amendement n° 56 rectifié, présenté par MM. de Legge, Sido, Reichardt, Morisset, Mandelli, Revet, de Nicolaÿ, D. Laurent, G. Bailly, B. Fournier, Pierre et Leleux, Mme Imbert, M. Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, MM. Trillard, Raison, Portelli et Savary, Mmes di Folco et Duranton, MM. Huré et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mme Deromedi, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest et Mouiller, Mme Mélot, MM. Retailleau, Mayet, Charon, Husson, Houel et Gournac, Mmes Debré et Lamure et MM. Kern, Cardoux, Gremillet et Guerriau, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à toute personne une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance.
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 104 n'est pas soutenu.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Gilles et Vasselle, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Grand, Dufaut, de Legge, Lefèvre et Saugey, Mmes Cayeux et Deroche, M. Husson, Mme Mélot et MM. Houel et Lemoyne, est ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
Remplacer le mot :
digne
par le mot :
sereine
La parole est à M. Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. Madame la ministre, messieurs les rapporteurs, dans la lignée de ce qui vient d’être dit par notre collègue, nous sommes plusieurs à souhaiter remplacer le mot « digne » par le mot « sereine ».
En fait, l’expression de mort « digne » pour les uns pourrait faire penser que la mort peut être « indigne » pour les autres et renvoie donc à la vision que va laisser la personne en fin de vie.
Mais la mort d’un être souffrant serait-elle moins digne que celle d’un être dont les souffrances, les tourments sont apaisés dans cette phase ultime ?
C’est pourquoi on préférera l’expression « une fin de vie sereine ». Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Les amendements nos 99 rectifié et 105 ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 55 rectifié, 56 rectifié et 1 rectifié ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Comme cela a été dit il y a quelques instants, la « dignité » est une notion ontologique, attachée à la qualification d’être humain.
Pour ce qui est de la « sérénité », l’expérience clinique montre qu’il est bien difficile, en cas de douleur ou d’angoisse, de mourir dans la sérénité. Toute l’architecture du texte vise d'ailleurs à permettre d’apaiser les souffrances physiques et les douleurs psychologiques, par des solutions que nous développerons tout à l'heure.
Concernant l’obligation de moyens qui s’impose aux professionnels de santé, elle n’est pas modifiée par la proposition de loi. La formulation du texte est cohérente avec ses objectifs.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne vois pas en quoi la référence à la « dignité » présenterait en elle-même un risque de judiciarisation. On pourrait considérer que la référence à la « sérénité » comporte, elle aussi, une part d’appréciation et donc un risque de judiciarisation. L’enjeu n’est pas là.
La « dignité » renvoie également à la conception que chacun se fait de la manière dont doit se dérouler la fin de sa vie. De ce point de vue, la proposition de loi part de la personne malade, et pas seulement du regard extérieur que l’équipe médicale peut porter sur celle-ci. À cet égard, la « dignité », notion ontologique qui renvoie à une conception individuelle, est un terme important, qui doit figurer dans le texte.
Le Gouvernement est donc défavorable aux trois amendements.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Avec l’article 1er, qui porte sur le droit des malades et le devoir des médecins, on touche véritablement au cœur du problème.
Lors de leur soutenance de thèse de doctorat, les médecins prêtent le serment d’Hippocrate. Par celui-ci, ils s’engagent en ces termes : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ». Cela montre bien que les devoirs des médecins doivent pouvoir être maintenus par rapport aux droits des malades !
Tout le monde constate qu’il y a un certain nombre d’inégalités sur les territoires et que les personnes très âgées entrent désormais dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, ce qui n’est pas sans poser problème.
Dans mon département, les personnes entrant en EHPAD sont, en moyenne, âgées de 86 ans.
M. André Trillard. Dans le mien, la moyenne est de 87 ans !
M. René-Paul Savary. La durée moyenne de séjour y est de 3,4 ans. Elle peut être légèrement inférieure ou supérieure dans d’autres départements.
On sait que les personnes sortent des EHPAD quand l’heure fatale est venue, mais qu’elles n’y passent malheureusement pas leurs tout derniers moments, puisque, pour différentes raisons – faute de soins palliatifs, faute de personnel ou de formation de celui-ci, peut-être, parfois, par habitude ou par peur –, elles sont alors transférées dans les services d’urgence des hôpitaux et finissent malheureusement leur vie à l’hôpital.
On voit bien qu’il s’agit d’une question de moyens et de formation.
C'est la raison pour laquelle les amendements nos 55 rectifié et 56 rectifié visent à préciser les droits et les devoirs que consacrent les dispositions de l’article 1er, et c’est pourquoi je les ai cosignés.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux soutenir l’amendement n° 55 rectifié de M. de Legge.
Aux termes de l’article L. 1110–10 du code de la santé publique en vigueur, « les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. » Cette rédaction permet à un médecin généraliste d’assumer les conséquences de l’absence de soins palliatifs.
En revanche, si on demande à ce médecin d’appliquer le présent texte, qui consacre la possibilité d’une « sédation profonde et continue », il se heurtera sûrement à des difficultés. En effet, il devra vraisemblablement recourir à l’avis ou à l’aide d’un professionnel, puisque la sédation profonde et continue doit être adaptée et dosée de manière à n’entraîner ni trouble respiratoire ni, a fortiori, le décès de la personne qui en bénéficie, ce qui est assez difficile pour un médecin qui n’y est pas entraîné.
Je pense donc qu’il convient de privilégier la rédaction proposée par M. de Legge. Les professionnels de santé mettent en œuvre les moyens à leur disposition non pas pour respecter un droit, mais pour assurer à toute personne une fin de vie entourée et apaisée. Sinon, il faudrait que tous les départements, tous les CHR, même en milieu rural, soient équipés de services de soins palliatifs à même d’intervenir ou de conseiller le médecin qui pourra rencontrer des difficultés pour appliquer ce droit.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, mes chers collègues, soyez assurés que j’ai bien lu les textes et bien écouté les professionnels de santé.
Aux termes des amendements de M. de Legge, « les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à toute personne » ou « une fin de vie entourée et apaisée », ou « une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ».
D'abord, je veux rappeler que les professionnels de santé ont une obligation de moyens, et non de résultat. Heureusement, d'ailleurs ! J’espère qu’il ne viendra jamais à un parlementaire l’idée de consacrer une obligation de résultat pour les professionnels de santé… Sinon, nous risquons d’avoir des problèmes ! (Mme la ministre sourit.)
Ensuite, pour mettre en œuvre « tous » les moyens à sa disposition, quand le patient est en fin de vie et continue de souffrir et quand il n'y a, au bout du compte, plus rien à faire, le professionnel devra recourir à la sédation profonde. Sinon, il risquera de se faire attaquer en justice. Je tenais à souligner ce point de manière très claire.
J’ajoute, monsieur le président, que la commission demande le vote par priorité de l’amendement n° 56 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable, étant précisé qu’il maintient son avis défavorable sur ces amendements. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Amiel, corapporteur. La notion de domicile a été abordée à deux reprises, notamment au travers du sujet des EHPAD.
Dans ses travaux, la commission a particulièrement insisté sur la nécessité que la prise en charge en matière de soins palliatifs dépasse le seul cadre des structures hospitalières. C’est là qu’intervient la formation des médecins, en particulier des médecins généralistes, prévue à l’alinéa 9 de l’article 1er.
Pour autant, comme l’a dit Daniel Chasseing, la sédation profonde ne pose pas que des problèmes de formation : elle suscite également des questionnements sur la façon dont les médecins pourront se procurer les substances adéquates.
À cet égard, l’intervention d'unités mobiles, dont on n’a peut-être pas suffisamment parlé, a au moins autant d’importance que la création de lits de soins palliatifs (M. Daniel Chasseing opine.), ne serait-ce que pour répondre à la possibilité, pour ceux qui le souhaitent, de terminer leurs jours à domicile, qui est demandée par tous de manière unanime.
M. le président. Je mets aux voix, par priorité, l'amendement n° 56 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 55 rectifié et 1 rectifié n’ont plus d’objet.
L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Gilles, Vasselle, Cardoux, Karoutchi, D. Laurent, Grand, Dufaut, de Legge, Lefèvre et Saugey, Mmes Cayeux et Debré, MM. Leleux, Chasseing et Mayet, Mmes Gruny, Deroche et Mélot et MM. Houel, Lemoyne et Revet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ces moyens consistent en particulier en des unités de soins palliatifs équitablement réparties sur le territoire national. Ces soins nécessitent le développement du nombre de lits dans les services hospitaliers et des unités mobiles destinées à œuvrer dans le cas d’hospitalisation à domicile ou dans les établissements visés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles. »
La parole est à M. Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. Je vous prie de m’excuser de relancer presque immédiatement le débat sur les moyens et les territoires.
Toutefois, cela permet d’en débattre un peu, et de prévoir déjà le futur PLFSS ; j’ai bien compris.
Comme l’ont souligné les rapporteurs en commission, la grande misère des soins palliatifs est l’une des failles majeures de notre système de santé.
Il est urgent d’aller plus loin, car aujourd’hui on parle d’environ 20 000 lits nouveaux qui seraient nécessaires, et des unités mobiles dont on vient effectivement de parler.
Selon les derniers chiffres, ceux de 2008, environ 60 % des décès se produisent à l’hôpital, contre seulement 27 % à domicile et 11 % en maison de retraite. Pourtant, tous les sondages, et même toutes les questions posées, montrent bien que les Français souhaiteraient très majoritairement finir leur vie dans le lieu qui leur est le plus familier, c’est-à-dire leur domicile.
Afin que le développement des soins palliatifs soit mieux réparti sur le territoire national et que l’on prenne en charge l’évolution des unités mobiles, nous proposons cet amendement, qui tend à insérer un alinéa supplémentaire après l’alinéa 8.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Nous n’allons pas rouvrir le débat qui nous a longuement opposés voilà quelques instants. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par MM. Gorce, Godefroy et Labazée, Mme Emery-Dumas, MM. Madec et Poher, Mme Riocreux, M. Berson, Mmes Bonnefoy et Campion, MM. Cabanel, Vergoz, Delebarre et Desplan, Mmes Monier et D. Gillot, M. Frécon, Mme Durrieu et MM. Filleul et Courteau, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 8
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
...° Sont ajoutés cinq alinéas ainsi rédigés :
« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée et non terminale d’une affection grave et incurable, qui exprime le souhait d’une mort médicalement assistée, il peut saisir une commission ad hoc afin d’obtenir un avis éthique médical et juridique sur la situation à laquelle il est confronté.
« Cette commission ad hoc est constituée à l’échelon régional. Elle est composée de médecins, de psychologues, de juristes praticiens et de représentants de la société civile. Les modalités de désignation des membres de la commission ad hoc sont définies par décret en Conseil d’État.
« L’avis rendu par la commission ad hoc doit permettre de caractériser la maladie dont souffre le patient, le caractère libre et réitéré de sa demande, l’absence de l’issue juridique à cette demande. Le rapport de la commission est inscrit dans le dossier médical à toutes fins utiles.
« Si la commission ad hoc considère qu'il n'existe en l'état du droit aucune solution satisfaisante pour répondre à la demande du malade fondée sur le caractère incurable de la maladie et la perspective prochaine de souffrances psychologiques ou physiques insupportables reconnus par la commission, le médecin qui l'a saisie peut apporter son assistance à mourir au malade.
« Dans ce cas, il en informe sans délai la commission dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Cet amendement, qui aurait pu être déposé à un autre endroit du texte, vise à faire le point sur l’état du droit des malades et ses évolutions possibles.
La loi de 1999 puis celle de 2002 ont posé le principe du droit des malades. Il s’agissait d’une avancée considérable. En 2005, la loi dite Leonetti a précisé que ce droit des malades s’appliquait y compris lorsque l’interruption du traitement que le malade peut demander pouvait entraîner la mort.
Ce texte a précisé non seulement les conditions et les cas très particuliers dans lesquels ce droit pouvait presque être opposable aux médecins – évidemment, si le malade n’était pas inconscient –, mais aussi, ce qui relativise beaucoup le débat sur la sédation profonde, que le médecin était alors appelé à prendre toutes les mesures nécessaires pour soulager le malade et assurer sa qualité de vie au moment de son agonie.
Cette loi a constitué un progrès. J’étais président de la commission spéciale, dont Jean Leonetti était le rapporteur. Nous l’avons votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Elle constituait, de mon point de vue, une étape. Pourquoi ? Parce que la question qui nous est posée n’est pas tant de savoir si les uns ou les autres ont raison d’un point de vue idéologique ou philosophique sur le fait de savoir si l’on a le droit ou non de disposer de sa vie. C’est une question qui intéresse chacun d’entre nous, mais qui ne relève pas, à mon sens, du législateur.
La question qui nous est posée est celle de savoir si nous pouvons accepter qu’une personne en fin de vie, qui souffre, soit laissée sans solution.
La loi Leonetti a essayé de répondre à cette question pour un très grand nombre de cas, à savoir ceux qui sont en fin de vie et qui dépendent d’un traitement. Elle ne l’a pas fait pour ceux qui n’entrent pas dans ce cadre. Il s’agit de personnes qui, sans dépendre d’un traitement, souffrent d’une manière atroce, insupportable. Il s’agit de malades auxquels ne peut être apportée aucune solution, ni juridique ni médicale.
Le professeur Sicard avait souligné, notamment en tant que président du Comité consultatif national d’éthique, la nécessité dans ce contexte, pour éviter tout débat idéologique, de réfléchir à une exception d’euthanasie. Autrement dit, il s’agissait d’offrir au malade, auquel l’équipe médicale la famille et les proches ne pouvaient apporter aucune solution, une alternative, une opportunité face à la souffrance.
Pour les auteurs de cet amendement, sans rien trancher du débat sur le droit à mourir ou sur le refus de ce droit, la souffrance est la seule solution qui soit insupportable. C'est la raison pour laquelle ils préconisent qu’une commission nationale ou régionale puisse constater la volonté du malade, ainsi que l’absence d’issue médicale favorable et de solution juridique.
Cela me rappelle le cas de Chantal Sébire, femme atteinte d’une maladie d’une extrême gravité qui n’a pas souhaité affronter les souffrances qui l’attendaient, tout du moins cette déchéance, cette perte de dignité, et qui n’a eu d’autre solution que le suicide. On imagine ce qu’ont pu être la solitude et la souffrance de cette personne.
Cet amendement tend donc à créer une situation exceptionnelle pour faire face à des demandes exceptionnelles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. La sédation profonde et continue nous paraît apporter la meilleure solution au cas que vous avez évoqué. Au travers de cet amendement, nous sommes là clairement dans l’exception d’euthanasie, chose que la commission n’a pas souhaité retenir.
Je voudrais non pas ouvrir le débat, mais apporter une précision concernant la sédation profonde et continue versus euthanasie. Comme j’ai pu le développer en commission, deux concepts permettent de les distinguer : la notion de temporalité et la notion d’intentionnalité.
Concernant l’intentionnalité, en aucun cas – nous en parlerons peut-être dans quelques instants – la sédation profonde ne cherche à provoquer la mort ; elle cherche simplement à apaiser les douleurs et souffrances qui accompagnent les derniers instants de la vie.
S’agissant de la temporalité, elle est tout à fait différente en matière de sédation et d’exception d’euthanasie. Ce n’est pas du tout la même chose, ni sur un plan juridique ni sur un plan émotionnel : une sédation profonde et continue va durer quelques heures, voire quelques jours, au moyen d’une perfusion ; l’exception d’euthanasie va s’opérer par le biais d’un geste létal, telles une injection ou l’absorption d’une substance dans le cas d’un suicide assisté.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui ne s’inscrit pas du tout dans le cadre qu’il a retenu en soutien de cette proposition de loi.
Vous défendez cette position de manière constante, monsieur le sénateur. Vous la défendiez déjà voilà quelques années dans un autre hémicycle.
Cette proposition de loi a choisi une autre option, celle de la sédation continue et terminale pour les situations dans lesquelles il n’y a pas de solution satisfaisante avec les moyens dont on disposait jusqu’à présent.
Si l’on veut aller au-delà, on ouvre alors le débat – il le sera d’ailleurs à travers d’autres amendements – non pas d’un choix plus radical, mais d’une évolution plus forte. Il n’est plus ici question d’exception d’euthanasie, mais de choix entre euthanasie et suicide assisté, c’est-à-dire d’une aide active à mourir, proposée de manière plus volontaire.
La voie médiane que vous proposez, qui avait un sens extrêmement fort voilà quelques années, est aujourd’hui quelque peu vidée de son contenu par la sédation continue. Nonobstant le fait que l’exception d’euthanasie va à l’encontre des choix du Gouvernement, il me semble qu’elle n’a pas sa place dans le texte tel qu’il est désormais élaboré.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Évitons de mélanger tous les problèmes qui peuvent se poser.
Le cas de Chantal Sébire, mon cher collègue, n’entre pas du tout dans le cadre de cette proposition de loi. Il ne s’agissait pas d’une question de fin de vie, mais de malaise, de souffrance. Cela n’a rien à voir.
Par ailleurs, va-t-on discuter dès à présent, comme l’a fait M. le rapporteur, de la sédation profonde et continue ? Je remercie Mme la ministre de ne pas avoir, dans son intervention, employé l’adjectif « profonde » – c’est tout de même un bon point.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. On ne peut dire que cet amendement n’entre pas dans le cadre de la loi.
Le problème n’est pas d’entrer ou non dans le cadre de la loi, mais de savoir si l’on entre ou non dans le cadre des situations que vivent les familles, les malades, les équipes médicales.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Gaëtan Gorce. Une loi qui s’arrête à la frontière des problèmes posés aux hôpitaux, aux familles et aux patients n’a pas beaucoup de sens et ne peut prétendre apporter de réponses. Je ne dis pas que c’est le cas de cette proposition de loi ; je dis simplement que la discussion doit pouvoir s’étendre à ces interrogations.
Madame la ministre, s’il est vrai que la sédation profonde et continue peut apporter une réponse aux situations nouvelles évoquées dans ce texte, il est toutefois précisé qu’il n’y est recouru que si le pronostic vital est engagé à court terme. On est donc là tout à fait à la fin d’une existence marquée par la maladie et qui va se terminer de la manière qu’on imagine.
La situation de Chantal Sébire était différente. Je crois qu’il faut s’appuyer sur des exemples précis, concrets. Je redoute les prises de position abstraites sur ce sujet. On peut même dire qu’elles m’effraient.
Chantal Sébire souffrait d’un cancer des sinus qui avait évolué de manière très grave, en partie parce qu’elle avait refusé certains traitements – peut-être avait-elle été mal conseillée.
Elle n’était pas hospitalisée, ne dépendait pas d’un traitement et son pronostic vital n’était pas engagé à court terme. Toutefois, elle savait qu’elle allait subir une dégradation de son état physique, et par conséquent de sa situation psychologique, d’une particulière gravité, qu’elle serait contrainte à l’hospitalisation, à la perte d’autonomie, à la prise en charge médicale d’une manière de plus en plus contraignante et étroite.
Elle a donc demandé au Président de la République de l’époque de trouver une solution pour la soulager. Il ne pouvait naturellement rien faire, faute d’une législation adaptée.
Elle s’est alors tournée vers son médecin, lequel n’avait pas non plus de solution légale à lui proposer. Accompagnée de sa famille, quelle solution a-t-elle dû mettre en œuvre ? Le suicide, en pleine nuit, seule, chez elle, dans des conditions terribles.
Personne ne peut encourager ou favoriser ce type de fin de vie. J’entends les uns et les autres dirent qu’il faut faire preuve d’humanité, de sérénité, d’attention… Or il s’agit d’une situation qui peut se reproduire,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. … et qui, d’ailleurs, se reproduit.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Gaëtan Gorce. On peut y répondre d’une façon beaucoup plus directe. Certains de mes collègues défendront l’idée qu’il faut reconnaître le droit de demander une injection létale, la personne ayant le droit de décider. Philosophiquement, je suis assez d’accord avec cette idée.
Toutefois, j’entends aussi les réticences qui peuvent exister dans notre société. Je vois aussi les risques que cela peut représenter dans le fonctionnement de nos hôpitaux, où, nous le savons, tout ne se passe dans des conditions telles qu’on pourrait le souhaiter. Lisez le rapport remis au Président de la République en 2012 par le professeur Sicard. Celui-ci montre qu’en dépit de la loi Leonetti toute une série d’équipes médicales en hôpitaux continuent de pratiquer des euthanasies sans le consentement des personnes, sans même en avoir informé les malades ou leur famille. Telle est la réalité !
M. Roland Courteau. Oui !
M. Gaëtan Gorce. Je veux bien que l’on emploie les adjectifs « digne » ou « sereine », je veux bien que l’on nous dise plein de choses, mais, encore une fois, telle est la réalité !
Notre devoir est de soulager ceux qui sont confrontés à ces situations. Dans le cas de Chantal Sébire, il n’y aurait pas eu d’autre solution que celle que je préconise, c’est-à-dire de lui permettre de se tourner vers une commission à même d’évaluer la situation médicale sans issue dans laquelle elle se trouvait – tout du moins la perte d’autonomie et les souffrances terribles qui l’attendaient – , ainsi que l’absence de solution juridique, faute d’entrer dans le cadre de la loi – pour reprendre la formule de mon collègue Barbier.
Que faire ? La laisser souffrir ? La condamner au suicide isolé, dans la nuit, comme elle l’a connu ? Puisqu’il est question de dignité, cette solution vous paraît-elle digne et acceptable ? Non, c’est insupportable !
Nous devons mettre de côté nos a priori juridiques, philosophiques, idéologiques pour considérer la situation des personnes telle qu’elle est réellement. C'est pourquoi je défends cet amendement et je continuerai à le défendre.
J’entends vos arguments, madame la ministre. Toutefois, je ne crois pas que cet amendement soit rendu obsolète par ce texte, précisément parce que celui-ci ne s’adresse qu’à des personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.
Je pense que nous devons progresser par étapes. La situation qui me paraîtrait la plus satisfaisante serait celle où la personne en fin de vie, qui va mourir ou qui veut mourir, peut choisir la solution qui lui convient le mieux parmi toutes celles que peut offrir une société avancée comme la nôtre.
Elle peut vouloir des soins palliatifs pour prolonger sa vie dans des conditions décentes afin de connaître, par exemple, les résultats de son petit-fils au baccalauréat – très bien !
Au contraire, elle peut vouloir mettre fin à ses jours pour des raisons philosophiques ou pratiques par l’interruption du traitement, accompagnée d’une sédation profonde et continue pour éviter de souffrir. Toute la question est là : il s’agit de faire en sorte que la personne ne souffre pas, que l’agonie ne soit pas trop longue et insupportable. Là encore, si tel est le choix de la personne et que la société le lui permet, fort bien !
Si cette personne souhaite, par une injection létale, en finir plus tôt, cela ne me poserait pas de problème à terme, à supposer, bien évidemment, que la culture des hôpitaux ait évolué et que nous soyons prêts à assumer ce type de responsabilité. Je doute en effet que tel soit le cas aujourd'hui en observant la pratique médicale, le rapport à la mort et la façon dont nous abordons encore ces questions dans la réalité de nos établissements.
Progressons par étapes ! La loi Leonetti en a été une, la sédation profonde et continue en est une autre, complémentaire. Avant d’aller peut-être plus loin un jour, je propose que nous franchissions une étape nouvelle, qui nous fasse progresser dans ce débat. (MM. Jean-Jacques Filleul et Éric Jeansannetas ainsi que Mme Corinne Bouchoux applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je serai très bref, monsieur le président.
Nous avons déposé d’autres amendements qui viendront bientôt en discussion. Pour autant, nous soutiendrons l’amendement défendu par notre collègue Gaëtan Gorce, qui a le mérite de bien poser le problème.
Nous allons discuter tout à l’heure de la sédation profonde, à l’ultime moment de la vie. Mais le cas absolument dramatique de Chantal Sébire, qui a fait la une des journaux, n’est pas isolé. Il existe en effet un grand nombre de cas identiques dont on ne parle pas. Face à de telles situations, nous sommes sans réponse. Or M. Gorce propose une réponse appropriée.
Pour ma part, je ne suis pas très favorable à l’expression « exception d’euthanasie », même si M. Sicard et le Conseil national de l’ordre des médecins l’ont utilisée voilà déjà une dizaine d’années, car elle peut se heurter à certains problèmes juridiques. Toutefois, je pense qu’il n’est pas possible de laisser sans solution les personnes confrontées aux situations que vient de décrire notre collègue.
Je le rappelle, on y reviendra tout à l’heure, certaines personnes savent très bien que leur fin de vie se fera dans une souffrance intense, qu’elles ne sont pas sûres de pouvoir supporter. Sachant qu’il n’existe pour elles aucune solution, elles préfèrent anticiper. N’attendons donc pas qu’elles soient à l’article de la mort ! Nous devons leur apporter une réponse, laquelle, pour le moment, n’existe pas.
M. le président. L'amendement n° 96 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam et MM. Grand et Guerriau, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
et en médecine de la douleur
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Si tout médecin doit pouvoir soulager la douleur aiguë, la prise en charge des douleurs chroniques nécessite des compétences spécifiques.
Aussi serait-il à nos yeux utile de créer un diplôme d’études spécialisées complémentaires – DESC – « douleur », qui offrirait une formation spécifique de qualité et permettrait une régulation de la filière et une meilleure adéquation de l’offre aux besoins.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Actuellement, la prise en charge de la douleur chronique et l’apprentissage de cette prise en charge s’effectuent dans le cadre des diplômes universitaires de soins palliatifs.
Par ailleurs, à l’article 1er du texte, nous rappelons la nécessité d’une formation en la matière pour les professions médicales et les psychologues cliniciens.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, non pas sur l’objectif visé, mais parce que l’article 1er, que nous examinons, comporte déjà un alinéa prévoyant la formation non seulement des médecins, mais aussi des professionnels de santé à la prise en charge de la douleur et aux soins palliatifs.
Je vous ai par ailleurs indiqué tout à l’heure que, dans le cadre du plan qui sera présenté, des dispositions seront prises pour ce qui concerne la formation de l’ensemble des professionnels de santé.
Par conséquent, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Grand, dans la mesure où il n’existe pas de désaccord sur le fond. Simplement, le Gouvernement estime qu’il est soit déjà satisfait, soit redondant par rapport à ce qui existe.
M. le président. L’amendement n° 96 rectifié est-il maintenu, monsieur Grand ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 96 rectifié est retiré.
L'amendement n° 57 rectifié, présenté par MM. de Legge, Sido, Reichardt, Morisset, Mandelli, Revet, de Nicolaÿ, D. Laurent, G. Bailly, B. Fournier, Pierre et Leleux, Mme Imbert, M. Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet, Gilles et Buffet, Mme Cayeux, MM. Trillard, Raison et Portelli, Mme di Folco, MM. Huré, Kennel et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mmes Deromedi et Troendlé, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest, Saugey et Mouiller, Mme Mélot, MM. Retailleau, Mayet, Charon, Husson, Houel et Gournac, Mme Debré, M. Lemoyne, Mme Lamure et MM. Kern, Cardoux, Gremillet et Guerriau, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Dans le cadre de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement présente au Parlement un bilan de cette formation et un état des unités de soins palliatifs.
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Cet amendement se situe dans le prolongement de l’amendement n° 54 rectifié, qui a retenu notre attention en début de soirée en posant le principe d’un développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Or vous avez fait valoir au cours de la discussion que le développement des soins palliatifs nécessitait des moyens.
Par conséquent, au travers de cet amendement, nous proposons que, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement présente le bilan du développement des soins palliatifs. J’ai cru comprendre tout à l’heure que le président Milon n’était pas hostile à cette suggestion et qu’il voyait même une certaine cohérence entre l’amendement n° 54 rectifié et l’amendement n° 57 rectifié que je suis en train de présenter.
M. le président. L'amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. de Legge, Sido, Reichardt, Morisset, Mandelli, Revet, de Nicolaÿ, D. Laurent, G. Bailly, B. Fournier, Pierre, Leleux et Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, MM. Trillard, Raison et Portelli, Mmes di Folco et Duranton, MM. Huré et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mme Deromedi, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest et Mouiller, Mme Mélot, MM. Retailleau, Mayet et Charon, Mme Deroche, MM. Husson, Houel et Gournac, Mme Debré, M. Lemoyne, Mme Lamure et MM. Kern, Cardoux, Gremillet et Guerriau, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Tout établissement d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes est tenu de mettre en place un plan de formation spécifique de son personnel à l'accompagnement de la fin de vie.
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Nous avons tous insisté au cours du débat sur la nécessité de développer une « culture palliative ». Au travers de cet amendement, nous proposons donc que les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes mettent en place un plan de formation spécifique de leur personnel à l’accompagnement à la fin de vie.
Je formulerai deux observations.
Premièrement, il s’agit bien d’une formation à l’accompagnement à la fin de vie visant l’ensemble des personnels, et non d’une formation aux soins palliatifs, qui concernerait plus particulièrement le personnel soignant.
Deuxièmement, ce plan de formation s’inscrivant dans le plan de formation auquel est tenu tout établissement accueillant des personnes âgées dépendantes, il ne prévoit donc pas une dépense supplémentaire. Il s’agit simplement de veiller à ce que ces plans prennent en compte la dimension de l’accompagnement à la fin de vie, toujours dans la logique du développement des soins palliatifs, de l’accompagnement à la fin de vie et, d’une façon plus générale, de la culture des soins palliatifs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Michel Amiel, corapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 57 rectifié. J’entends avec plaisir que cela entre dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (M. Dominique de Legge s’exclame.) J’insiste : par rapport au débat qui s’est tenu tout à l’heure, c’est assez étonnant !
En revanche, la commission est défavorable à l’amendement n° 58 rectifié, qui paraît redondant. En effet, nous avons déjà précisé l’importance des formations des praticiens, des professions paramédicales, qu’ils exercent à l’hôpital, en EHPAD ou à domicile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote sur l'amendement n° 57 rectifié.
M. Jean-Pierre Leleux. Je souhaite simplement apporter certaines précisions, à la suite d’un malentendu intervenu tout à l’heure.
Monsieur le rapporteur, madame la ministre, je n’ai certainement pas voulu dire que les auteurs de la proposition de loi auraient comme intention que la sédation profonde devienne une alternative aux soins palliatifs. Je souhaitais simplement souligner le fait que, si on n’adopte pas une attitude très volontariste, sur tout le territoire, pour développer la culture palliative, on court en effet un tel risque. D’où mon soutien particulier au développement massif de la culture palliative et de la formation en la matière.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’entends mieux ce que dit maintenant M. Jean-Pierre Leleux. Au demeurant, je ne reviendrai pas sur les propos intervenus tout à l’heure.
En effet, il faut à tout prix développer les soins palliatifs, nous sommes tous d’accord sur ce point. À cet égard, je vous rappelle que vous avez adopté tout à l’heure, mes chers collègues, un amendement prévoyant la création de 20 000 lits en soins palliatifs.
Puisque c’est voté, il faudra que les gouvernements qui suivront mettent cette disposition en place. Toutefois, je vous mets au défi de créer, dans les trois, quatre ou cinq ans qui viennent, ces 20 000 lits !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote sur l'amendement n° 58 rectifié.
M. Dominique de Legge. J’ai bien entendu votre réponse, monsieur le rapporteur, dont je vous remercie. S’agissant des plans de formation, je pourrais vous rejoindre, mais à un détail près qui a tout de même son importance.
Dans le texte actuel, il est question d’une formation initiale et continue s’intégrant au plan de formation des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens. Elle ne concerne pas l’ensemble des personnels des EHPAD.
Or il me semble dangereux d’instaurer une telle dichotomie entre les personnels appartenant aux équipes soignantes, qui recevraient une formation aux soins palliatifs, et les personnels ayant vocation non pas à donner des soins, mais à être présents auprès des personnes âgées, y compris en fin de vie.
Il me semble donc qu’il y a là une petite incompréhension. J’aurais en effet souhaité que l’ensemble des personnels bénéficient de ce plan de formation à l’accompagnement à la fin de vie.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Je vais m’efforcer de lever cette incompréhension. Aujourd'hui, en matière de soins palliatifs, il existe un diplôme universitaire et un diplôme interuniversitaire de niveau II. Que les équipes qui travaillent dans les endroits dédiés aux soins palliatifs – je pense aux unités de soins palliatifs et aux EHPAD – aient une sensibilité à ces questions, cela me semble tout à fait normal. En revanche, la formation, c’est autre chose : elle doit déboucher sur des questions d’ordre technique et décisionnaire.
Or, si des personnes appartenant à une unité de soins palliatifs en tant que personnels administratifs ou techniques peuvent être sensibilités à ces questions, il ne leur est pas possible d’intervenir dans les décisions qui sont prises. C’est la raison pour laquelle la formation doit être réservée, selon moi, aux personnels dédiés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. À titre personnel, je soutiendrai l’amendement de notre collègue Dominique de Legge. Il me semble en effet que, dans les EHPAD, dont certains résidents sont en fin de vie, il est nécessaire que l’ensemble du personnel soit formé. Il n’est pas suffisant de former aux soins palliatifs le personnel médical, qui a suivi des études universitaires. Car c’est tout un processus d’accompagner les personnes ! Cela concerne également l’aide-soignante et la personne qui fait la toilette.
Ayant présidé un hôpital auquel était rattaché un EHPAD, j’ai souvent constaté que les jeunes gens affectés à l’EHPAD, qui se retrouvaient dans des positions un peu compliquées, rencontraient des difficultés. Ils ne savaient pas comment s’y prendre dans ces situations, qui demandent une formation, de l’expérience et des contacts particuliers. Ainsi, une formation spécifique, qui ne soit pas obligatoirement médicale, pour les personnes amenées à accompagner des personnes âgées en fin de vie me semble une bonne chose.
Plus on formera les personnels, quel que soit leur niveau, à l’accompagnement, mieux ces établissements se porteront.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je reviens sur les termes « ensemble du personnel », M. le rapporteur ayant fait preuve de délicatesse dans sa réponse.
On peut imaginer qu’une équipe médicale, à la rigueur de l’aide-soignante jusqu’au médecin, puisse participer à des soins palliatifs. Mais M. le rapporteur a évoqué les personnels techniques : il s’agit, notamment, des cuisiniers et des femmes de ménage. Doivent-ils être formés aux soins palliatifs ?
M. Dominique de Legge. À l’accompagnement de la fin de vie !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. À un moment donné, il faut tout de même avoir certaines compétences pour exercer ce genre d’activités.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je voudrais revenir sur les propos de Mme la ministre, qui me semblent assez exacts. Elle rappelait en effet que, sur un territoire, il peut y avoir d’énormes différences en termes de traitement et d’offre de soins palliatifs entre les maisons de retraite, les EHPAD, les hôpitaux et le domicile.
À cet égard, permettez-moi de vous faire part d’une expérience que j’ai menée en tant que président d’un conseil général. Découvrant l’étude publiée en 2013 par l’Observatoire national de la fin de vie, j’avais été absolument effaré par les chiffres donnés.
J’ai alors commandé une étude précise, qui donne la moyenne, EHPAD par EHPAD, des résidents qui décédaient dans leur établissement plutôt qu’à l’hôpital. J’ai été stupéfait de voir que cette moyenne variait de 6 % à plus de 60 %.
J’ai donc demandé que l’on recherche les critères objectifs pouvant expliquer cet écart énorme. Cela dépendait-il de la localisation – à la mer ou dans le bocage, à la campagne ou dans la ville –, du statut – public ou non –, du taux de dépendance, lourd ou non ?
Même si la présence d’infirmiers de nuit peut jouer, je n’ai finalement trouvé qu’un critère explicatif, celui de la culture d’établissement et de la formation.
Avec Marie de Hennezel, nous avons donc mis en place un plan de formation spécifique destiné aux médecins coordonnateurs, aux infirmiers, bref – sur ce point, je rejoins la remarque formulée par M. le président de la commission – au personnel qui encadre les résidents. Je vous assure, mes chers collègues, que tout n’est pas qu’une question de moyens financiers. La culture, l’environnement, l’ambiance, la pratique, cela compte aussi.
Mieux nous formerons le personnel, mieux nous l’accompagnerons, mieux cela ira. Je le dis d’expérience ; je ne vous livre pas là un point de vue idéologique. Nous devrions donc accorder un peu de crédit à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Les membres du groupe écologiste vont soutenir cet amendement, pour des raisons qui ne sont pas très éloignées de celles qui ont été mobilisées à l’instant par Bruno Retailleau, et qui ont trait à l’expertise d’usage. Peut-être existe-t-il un tropisme dans l’ouest de la France (Sourires.), territoire de culture catholique.
Nous tenons en tout cas à ce que tout le monde soit formé. Peut-être avons-nous des expériences très différentes les uns les autres, mais je tiens à dire que, dans certaines régions, la pénurie de personnes formées explique que des bénévoles, évoluant au sein d’associations, suivent des formations pour accompagner les personnes en fin de vie.
Il nous semble donc extrêmement important que le gardien, l’aide-soignant, le cuisinier des établissements dont nous discutons puissent être sensibilisés de manière systématique à cette culture.
Dès lors, il est fondamental, pour nous aussi, que la notion de soins palliatifs soit partagée par tous. Cela n’enlève rien aux divergences de vue que nous aurons peut-être lors de nos prochains échanges.
Nous soutiendrons donc cet amendement, qui va dans le bon sens. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Je voudrais réagir aux propos de M. Retailleau sur les EHPAD. On peut faire tout ce que l’on veut en matière de formation, former les médecins et les infirmiers coordonnateurs des EHPAD, par exemple ; mais il se peut très bien que ces derniers ne soient pas présents quand les choses tournent mal. Tout le problème est là.
Pour prendre un exemple caricatural, une détresse respiratoire, une insuffisance cardiaque à un stade terminal peut très bien requérir leur présence à la veille d’un week-end, vers vingt heures-vingt heures trente. Dans ce cas, une formation en soins palliatifs permettrait peut-être d’assumer la fin de vie sur place.
Dans la réalité, cela ne va pas se passer ainsi. Émotionnellement, les choses ne sont pas faciles à gérer, sans compter que le personnel présent peut avoir des arrière-pensées d’ordre juridique, motivées par des dispositions médicolégales. Dès lors, dans ces conditions, la personne âgée sera hospitalisée. Les textes ne prévoient pas, en effet, qu’un médecin ou un infirmier, formés ou non, soient présents et permettent le maintien du patient sur place.
Le problème n’est donc pas lié à la ruralité ou à la formation – l’expérience que j’en ai montre que c’est exactement la même chose dans un département qui n’a rien de rural – ; il est lié à la présence de personnels qualifiés.
M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Une confusion est faite. L’alinéa 9 de l’article 1er prévoit que « la formation initiale et continue […] comporte un enseignement sur les soins palliatifs ». Le dispositif de l’amendement dont nous discutons tend quant à lui à introduire un « plan de formation spécifique […] à l’accompagnement de la fin de vie », ce qui est un autre problème.
On ne peut pas mélanger ces deux types de formation. Qu’une formation soit prodiguée aux personnels des EHPAD, d’accord. Mais il est totalement différent d’administrer des soins palliatifs.
Dès lors, pour une fois, monsieur de Legge, je ne soutiendrai pas l’amendement que vous présentez, qui tend à autoriser le personnel non seulement à accompagner la fin de la vie, mais encore à pratiquer des soins palliatifs, dont il faut réserver la mise en œuvre à certaines catégories d’acteurs.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je partirai du même constat que Gilbert Barbier mais je n’arriverai pas tout à fait à la même conclusion. Je pense en effet que les deux formations qu’il a évoquées sont complémentaires.
L’article 1er mentionne « la formation initiale et continue » pour l’« enseignement sur les soins palliatifs », qu’il faut davantage, j’en suis tout à fait d’accord, diriger vers le personnel soignant.
Le dispositif de l’amendement traite, en revanche, de la « formation spécifique » à « l’accompagnement de la fin de vie », à laquelle, pour le coup, l’ensemble du personnel intervenant dans un EHPAD doit pouvoir accéder.
Nous l’avons vu lors de l’examen du premier amendement présenté par M. Dominique de Legge, plus les personnels formés à l’accompagnement de la fin de vie et aux soins palliatifs seront nombreux, plus cette culture pourra se diffuser sur tout le territoire et dans l’ensemble des établissements, des EHPAD, des hôpitaux, et même au domicile des personnes âgées.
Pour la deuxième fois ce soir, nous soutiendrons donc un amendement déposé par Dominique de Legge, dont le dispositif semble complémentaire avec les dispositions du présent texte. Nous voulons vraiment que cette culture des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie se généralise.
M. André Trillard. Elle a raison !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Je suis intervenu en ce sens tout à l’heure : il est sûr que les EHPAD deviendront – certains le sont déjà – des hôpitaux de fin de vie.
M. Jean Desessard. Évidemment !
M. Gérard Roche. Les soins palliatifs qui y sont prodigués s’inscrivent donc totalement dans cette logique. C’est leur vocation. On entre en EHPAD à 85 ans et, touché par la maladie, la vieillesse, on y achève sa vie.
Cette évolution est inéluctable. Mais former des personnels à l’accompagnement de fin de vie implique de former non seulement les médecins coordonnateurs, les infirmiers, mais également le personnel paramédical, qui peut relever du tarif dépendance, et tous ceux qui travaillent dans l’EHPAD, afin qu’ils acquièrent une culture palliative.
Tout cela coûte de l’argent. Or je rappelle que le reste à charge, pour les patients des EHPAD, est trop lourd. Il y a urgence à traiter cette question : les personnes, une fois qu’elles ont touché l’aide personnalisée au logement et mangé une partie de leur bien, ne peuvent plus payer. En Haute-Loire, département rural, la moyenne des retraites s’établit à 883 euros par mois, quand le tarif d’un EHPAD est de 1 800 euros par mois. Comment font les résidents dont les enfants touchent le SMIC ?
On ne peut pas imposer aux EHPAD la prise en charge d’un coût de formation supplémentaire, notamment pour le personnel non soignant.
J’adhère tout à fait à l’esprit du présent texte, qui correspond à la vocation des EHPAD, mais nous discutons actuellement de la mise en œuvre de dispositions alors que celle-ci doit relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et il reviendra alors à Mme la ministre de nous présenter le détail de l’application sur plusieurs années, eu égard aux contraintes budgétaires. Ce faisant, nous déplaçons le débat, car nous discutons des modalités de mise en œuvre d’une loi dont nous n’avons pas encore abordé le fondement essentiel, idéologique, ce que nous allons faire dans les heures qui viennent.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. L’objet de cet amendement mentionne la « culture palliative ». Pallier quoi ? La question est importante. Il faut pallier, me semble-t-il, l’absence de parole. Il faut donc des lieux de parole.
En tant que médecin, je peux vous dire que les personnes en fin de vie ont besoin de dire au revoir à leurs proches, à ceux qui les aiment. Il faut des lieux de parole pour entendre la douleur, la souffrance.
Je suis donc très heureux que l’on parle, dans cet hémicycle, de « culture palliative ».
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je suis d’accord avec Mme David : la formation du personnel n’est pas nécessairement lourde ; elle peut avoir lieu en cours d’emploi.
Il est totalement différent de prodiguer des soins palliatifs en maison de retraite, qui incombent au médecin coordonnateur, au médecin généraliste ou à l’infirmier. Un amendement dont nous discuterons bientôt tend également à prévoir l’intervention d’une équipe de soins palliatifs pour la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue.
Je voudrais évoquer la question des résidents en EHPAD, dont certains peuvent avoir besoin d’une intervention urgente. Les pathologies étant très nombreuses, on est alors obligé de les hospitaliser. On ne peut pas tout faire dans un EHPAD ! Malheureusement, il peut donc arriver que certains résidents décèdent à l’hôpital.
Les résidents qui doivent rester en EHPAD et s’y voir prodiguer des soins palliatifs sont ceux dont le diagnostic fait état d’une maladie grave, pour laquelle un transfert à l’hôpital n’apportera rien de mieux. En cela, la loi Leonetti était bonne. Aller plus loin et autoriser les familles à demander la sédation profonde et continue est plus complexe : il faudrait absolument que des équipes de soins palliatifs mobiles se rendent dans les EHPAD pour ce faire.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Nous avons un peu de difficultés à nous entendre, mes chers collègues, car nous ne parlons pas tout à fait de la même chose.
Il faut avant toutes choses saluer ce qu’a permis la loi adoptée sur l’initiative de Paulette Guinchard-Kunstler : le maintien à domicile via l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Tout le monde s’accorde sur ce point, grâce à ce dispositif, nous avons gagné dix ans de maintien à domicile. En effet, en 1993, lorsque j’ai ouvert un EHPAD dans la commune dont je suis l’élu, l’entrée dans ces établissements se faisait plutôt vers 75 ans ; elle se fait désormais à 85 ans environ.
Quand les personnes âgées entrent en EHPAD, c’est parce qu’elles sont dans un état de dépendance qui ne leur permet plus de rester à domicile et qui requiert un accompagnement particulier. Malheureusement, il faut regarder la vérité en face, ces personnes ne quittent pas l’EHPAD pour retourner chez elles, sauf cas vraiment exceptionnel. L’EHPAD est donc l’endroit où l’on finit sa vie.
Dès lors, je partage tout à fait l’avis exprimé par Daniel Chasseing : il faut permettre aux résidents des EHPAD d’y terminer leur vie, et ne les conduire qu’exceptionnellement à l’hôpital, lorsqu’ils sont atteints d’une affection que l’on ne peut pas prendre en charge sur place.
Les EHPAD emploient des personnels de qualité, dont certains seulement ont déjà été formés aux soins palliatifs. Il faut donc renforcer les équipes en leur offrant une telle formation.
Il ne faut pas confondre les soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie. Le personnel de service et le personnel aide-soignant n’ont pas nécessairement les compétences techniques qu’ont le médecin ou l’infirmier, mais ils jouent un rôle social d’accompagnement irremplaçable. Ils doivent donc recevoir une formation qui leur permette de jouer pleinement leur rôle et d’apporter à ces personnes âgées une présence affective et leur compréhension.
Les EHPAD de la Haute-Loire, cher Gérard Roche, comme le mien dans le Puy-de-Dôme, ont certainement une enveloppe réservée à la formation. C’est sur cette enveloppe qu’il faut prélever les crédits nécessaires pour former à l’accompagnement en fin de vie l’ensemble du personnel, y compris le personnel de service.
M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit au sujet de la formation. En tout état de cause, la formation initiale ou continue ne peut être dispensée qu’à des personnels qui bénéficient déjà d’une certaine spécialisation dans les métiers de la santé. Elle ne peut être accordée à tous les types de personnels. On pourrait à la rigueur admettre que les autres personnels, dans le cadre des EHPAD, soient sensibilisés à la question, mais il serait quelque peu compliqué de leur dispenser une formation spécifique.
Par ailleurs, j’alerte l’ensemble de nos collègues sur un point. Nous venons d’aborder et de voter un ensemble d’amendements qui sont passés à travers les griffes de l’article 40 et de la commission des finances. Si d’aventure nous en faisions autant au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, comment ferions-nous pour boucler le budget ?
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Effectivement, ne confondons pas formation et sensibilisation, qui ne relèvent pas de la même logique ni de la même approche et qui ne dépendent pas du même financement. La formation doit concerner le personnel médical ou paramédical, et la sensibilisation le reste du personnel intervenant dans les EHPAD.
J’ajoute que je ne suis pas certain que le sens du contact humain puisse s’apprendre par quelque formation que ce soit…
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l'article 1er
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 26 rectifié bis est présenté par Mme Duranton, M. Laufoaulu, Mme Deromedi, M. Kennel, Mmes Mélot et Deroche et MM. Chasseing, Husson, G. Bailly, Houel et Lemoyne.
L'amendement n° 107 est présenté par MM. Rachline et Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes conclut une convention avec une unité mobile de soins palliatifs afin d’organiser les modalités de son intervention dans l’établissement.
La parole est à Mme Nicole Duranton, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié bis.
Mme Nicole Duranton. Le développement des soins palliatifs en maisons de retraite constitue un réel défi et doit être encouragé.
Cet amendement vise à mettre en place des partenariats entre les EHPAD et les unités mobiles de soins palliatifs existantes. En se généralisant, ces partenariats auront pour vertu de favoriser le développement encore trop faible de ces unités mobiles de soins palliatifs, de coordonner leur action et de permettre leur déploiement sur le territoire.
M. le président. L'amendement n° 107 n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 26 rectifié bis ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Bien évidemment, les EHPAD ont besoin des unités de soins palliatifs. Pour autant, cela doit-il figurer dans un texte de loi ? Je ne le pense pas, d’autant qu’une convention spécifique existe déjà. La commission a donc émis un avis défavorable, non sur le principe – puisque, je le répète, ces conventions spécifiques entre EHPAD et unités de soins palliatifs se pratiquent déjà –, mais sur un plan strictement juridique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable, non sur le principe, mais parce que de telles conventions existent déjà. Je vous demande donc, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer cet amendement.
Le code de l’action sociale et des familles prévoit déjà une convention pluriannuelle entre l’EHPAD, l’Agence régionale de santé et le conseil départemental qui doit identifier les services au sein desquels sont dispensés les soins palliatifs. Il est prévu que cette convention définisse le nombre de référents en soins palliatifs qu’il convient de former, ainsi que le nombre de lits.
M. le président. Madame Duranton, l'amendement n° 26 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nicole Duranton. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 26 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 28 rectifié est présenté par Mme Duranton, M. Laufoaulu, Mmes Deromedi et Morhet-Richaud et MM. Husson, G. Bailly, Houel et Lemoyne.
L'amendement n° 110 est présenté par MM. Rachline et Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport détaillant les modalités de la mise en place d’une filière universitaire de médecine palliative.
La parole est à Mme Nicole Duranton, pour présenter l’amendement n° 28 rectifié.
Mme Nicole Duranton. En l’état actuel, l’offre en matière de formation universitaire concernant les soins palliatifs est hétérogène et insuffisante, comme le dénonce la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2015. C’est pourquoi la Cour propose la mise en place d’une filière dédiée aux soins palliatifs. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 110 n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 28 rectifié ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Pour les mêmes raisons que précédemment, la commission demande le retrait de cet amendement. La mise en place de réseaux de soins palliatifs départementaux tombe sous le sens.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Duranton, l'amendement n° 28 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nicole Duranton. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 28 rectifié est retiré.
Les amendements nos 108 et 109 ainsi que les amendements identiques nos 93 et 106 ne sont pas soutenus.
Article 2
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et à l’issue d’une procédure collégiale. Cette procédure collégiale réunit l’ensemble de l’équipe soignante et associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches qui le souhaitent. Ses modalités sont définies par voie réglementaire. »
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 90 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Labazée et Bérit-Débat, Mme Bricq, M. Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas et Génisson, M. Jeansannetas, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet, MM. Frécon et Gorce, Mme D. Gillot, M. Kaltenbach, Mme D. Michel, MM. Madec, Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l'article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. - Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent être ni mis en œuvre, ni poursuivis au titre du refus d'une obstination déraisonnable lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés. Dans ce cadre, lorsque les traitements n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, alors et sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient, conformément à l'article L. 1111-12 et selon la procédure collégiale définie par l’article 37 du code de déontologie médicale, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10.
« La nutrition et l'hydratation artificielles constituent un traitement. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s’agit de rétablir le texte voté à l’Assemblée nationale. La commission des affaires sociales a en effet modifié cet article en réécrivant à sa façon le code de déontologie médicale et en supprimant la notion de traitement en ce qui concerne la nutrition et l’hydratation.
La rédaction actuelle de l’article 37 du code de déontologie médicale donne toute satisfaction : « Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l’un des détenteurs de celles-ci mentionnés à l’article R. 1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. » Par ailleurs, il est prévu que « la décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins ».
Cette rédaction me paraît plus adaptée que celle de la commission, qui prévoit d’étendre le nombre de personnes consultées. Cela risque, à mon sens, de créer plus de problèmes que d’en régler. Quant à l’hydratation et à la nutrition, il s’agit de reprendre une décision du Conseil d’État.
M. le président. L'amendement n° 111 n'est pas soutenu.
L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Gilles, Vasselle, Grand et Lefèvre, Mme Cayeux, M. Chasseing, Mmes Gruny, Deroche et Mélot et MM. Houel, Lemoyne et Revet, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
actes
par les mots :
soins curatifs
La parole est à M. Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. Le deuxième alinéa de cet article précise que « les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable ».
Nous avons débattu de cet amendement en commission. Il s’agit ici de remplacer le mot « actes » par les mots « soins curatifs ». On me dit qu’« actes » est plus large que « soins curatifs », qui pourraient être trop restrictifs.
Je rappelle que, en l’absence de la précision contenue dans cet amendement, le risque est grand que des traitements tels que la nutrition et l’hydratation artificielles soient inclus dans les actes qui « n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » et soient de ce fait supprimés.
Outre les souffrances supplémentaires que provoquerait leur arrêt, il est clair que des soins tels que la nutrition et l’hydratation artificielles maintiennent le patient en vie. Les supprimer signifie donc le faire mourir.
Enfin, la rédaction proposée peut être grave de conséquences, car des patients qui ne sont pas en fin de vie pourraient cesser d’être nourris et/ou hydratés, et donc décéder. Or il y a des personnes très lourdement handicapées dont la vie est jugée comme une obstination à vouloir vivre.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 112 n'est pas soutenu.
L'amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collombat et Esnol, Mme Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer le mot :
inutiles
par le mot :
inefficaces
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Dire qu’un traitement est inutile revient en quelque sorte à mettre en doute l’équipe médicale qui le propose. En général, les médecins évitent de prescrire des traitements inutiles. En revanche, des médicaments peuvent cesser d’être efficaces dans le cadre d’un certain nombre de maladies. Voilà pourquoi l’utilisation du terme « inefficaces » me paraît plus adaptée.
Ce problème de vocabulaire peut sembler sans grande importance, mais les personnels soignants pourraient trouver difficile de s’entendre dire qu’ils administrent un traitement inutile.
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Après le mot :
et
insérer les mots :
, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté,
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Un patient a toujours le droit de refuser un traitement, mais la rédaction actuelle de l’article 2 soumet dans tous les cas cette décision, lorsqu’elle est fondée sur le refus d’un acharnement thérapeutique, à une procédure collégiale où d’autres s’exprimeront pour ce qu’ils jugent conforme à l’intérêt du patient.
Si bien entendu une telle procédure se justifie lorsque le patient est inconscient ou hors d’état de manifester sa volonté, tel n’est pas le cas lorsque ce patient est conscient et en mesure de faire un choix éclairé. Dans cette dernière circonstance, le médecin doit se conformer au refus exprimé par son patient, sans bien sûr avoir à déférer la volonté de celui-ci au collège médical. C’est la raison pour laquelle l’amendement de la commission des lois prévoit de limiter la procédure collégiale aux seuls cas où le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté.
M. le président. L'amendement n° 48 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Barbier et Commeinhes, Mme Lamure, MM. Vogel, César, de Legge et Chaize et Mme Imbert, est ainsi libellé :
Alinéa 2, troisième phrase
Supprimer les mots :
ou, à défaut
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. La procédure collégiale doit non seulement réunir l'équipe de soins, la personne de confiance, mais également les membres de la famille et les proches qui le souhaitent.
La rédaction actuelle laisse entendre qu'est associée à l'équipe de soins la personne de confiance, mais pas forcément les membres de la famille et les proches. Or il est indispensable que les membres de la famille qui le souhaitent puissent participer à cette procédure.
M. le président. L'amendement n° 69 rectifié, présenté par MM. de Legge, Morisset, Mandelli, de Nicolaÿ, D. Laurent, B. Fournier, Pierre, Leleux, Chaize et de Raincourt, Mme Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, M. Trillard, Mmes di Folco et Duranton, MM. Huré, Kennel et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mme Deromedi, MM. Bignon, Pointereau, Vaspart, Hyest et Mouiller, Mmes Mélot et Gruny, M. Mayet, Mme Canayer, M. Charon, Mme Deroche et MM. Cardoux et Guerriau, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La nutrition, l’hydratation artificielles et l’assistance respiratoire ne constituent pas un traitement. »
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. L’Assemblée nationale a posé le principe que la nutrition, l’hydratation et l’assistance respiratoire constituent un traitement pouvant être assimilé à une sorte d’acharnement thérapeutique, en écho à la jurisprudence du Conseil d’État.
La commission des affaires sociales a souhaité supprimer cette précision. J’aimerais cependant ouvrir le débat, tout particulièrement au sujet de la nutrition, de l’hydratation et de l’assistance respiratoire. Ces soins participent-ils de l’acharnement thérapeutique ? Certes, cela peut y participer dans une certaine mesure, mais si l’on fait le choix de cesser tout traitement thérapeutique, cela signifie-t-il pour autant que l’on doit s’interdire le recours à l’hydratation et à la respiration artificielles ? Devons-nous prendre le risque de faire mourir le patient déshydraté ou étouffé ?
Le débat, ici, est nettement plus « clivant » qu’à l’article 1er, mais il me semble difficile de considérer l’assistance respiratoire et l’hydratation d’une personne en fin de vie comme de l’acharnement thérapeutique.
M. le président. L'amendement n° 101 rectifié, présenté par MM. de Legge, Retailleau, Morisset, Reichardt, Mandelli, de Nicolaÿ, D. Laurent, B. Fournier, Pierre, Leleux et Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, M. Trillard, Mmes di Folco et Duranton, MM. Huré, Kennel et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mme Deromedi, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart et Mouiller, Mme Mélot, MM. Mayet et Charon, Mme Deroche, MM. Houel et Gournac, Mme Debré, M. Lemoyne, Mme Lamure et MM. Cardoux, Gremillet et Guerriau, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La nutrition et l'hydratation artificielles ne constituent pas un traitement. »
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Cet amendement de repli participe de la même logique, sauf qu’il ne fait pas état de l’assistance respiratoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. En ce qui concerne l'amendement n° 90 rectifié, la commission a préféré inclure dans la loi les dispositions d’ordre réglementaire figurant à l’article 37 du code de déontologie médicale.
Il est précisé, au dernier alinéa, que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. » Nous avons considéré que la confirmation de cette phrase par l’arrêt du Conseil d’État suffisait. Les discussions ont d'ailleurs montré que l’hydratation, et non la nutrition, posait effectivement des problèmes en fin de vie, ne serait-ce que par le maintien d’une voie veineuse. Nous reviendrons sur ce dernier point à propos des amendements nos 69 rectifié et 101 rectifié. La commission a par conséquent émis un avis défavorable sur cet amendement.
Pour ce qui est de l’amendement n° 3 rectifié bis, les termes « soins curatifs » sont assez restrictifs, même si l’on comprend l’objectif recherché. Outre les soins curatifs, il faut également prendre en compte les actes, en particulier lorsque ceux-ci deviennent invasifs. Si l’on ne mentionne que les soins curatifs ou palliatifs, on omet les actes de prévention ou d’investigation, qui peuvent constituer un acharnement thérapeutique ou une obstination déraisonnable. L’avis de la commission est donc défavorable.
La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 72 rectifié, qui vise à remplacer le mot « inutiles » par le mot « inefficaces ». À titre personnel, cependant, je préfère qualifier les actes d’inutiles, pour marquer le coût de certaines pratiques dans ces périodes de traitement et de fin de vie.
La commission est tout à fait favorable à l’amendement n° 12 de la commission des lois ayant pour objet de spécifier « si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté ». Cette précision nous paraît être de nature à bien clarifier les choses.
L’amendement n° 48 rectifié, défendu par M. Chasseing, concerne la possibilité pour la famille de participer à la procédure collégiale conjointement avec la personne de confiance. Nous considérons bien sûr que les directives anticipées priment, nous y reviendrons ultérieurement, ensuite la personne de confiance. Si la famille ne doit pas être écartée de l’accompagnement en fin de vie, c’est l’avis de la personne de confiance qui doit l’emporter. Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable.
Pour ce qui est des amendements nos 69 rectifié et 101 rectifié, il convient de souligner qu’il s’agit bien de nutrition et d’hydratation « artificielles ». La nutrition artificielle se traduit par une alimentation parentérale, c'est-à-dire par voie veineuse, ou entérale, autrement dit par sonde de gastrostomie. La situation est analogue pour l’hydratation et l’assistance respiratoire.
Pour les personnes souffrant d’une maladie de Charcot, par exemple, l’alimentation par sonde de gastrostomie et l’assistance respiratoire constituent bien un traitement. Nous sommes donc bien dans un cas où les patients peuvent demander l’arrêt du traitement et, par voie de conséquence, bénéficier de la sédation profonde et continue.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 90 rectifié. La rédaction résultant des débats à l’Assemblée nationale nous paraît mieux correspondre à l’objectif recherché que celle de votre commission, qui étend de manière excessive la procédure collégiale. Il est des situations dans lesquelles cette procédure n’est pas utile.
Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié bis. La rédaction proposée par les auteurs de cet amendement constitue une restriction par rapport à la formulation initiale, en restreignant le nombre d’actes médicaux qui peuvent être considérés comme étant constitutifs d’une obstination déraisonnable.
Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 72 rectifié, dans la mesure où l’obstination déraisonnable repose aujourd’hui sur trois critères, aux termes de la définition retenue par l’arrêt du Conseil d’État. Une obstination déraisonnable renvoie à des traitements disproportionnés, inutiles ou qui n’ont pour seule fin que le maintien artificiel de la vie. Cette définition a été analysée et validée par le Conseil d’État dans l’affaire Lambert. Il ne paraît pas souhaitable de revenir sur cette définition, qui a été posée dans un cadre juridique précis et clair.
L’amendement n° 12 tend à limiter le recours à la procédure collégiale aux seules situations où les patients sont hors état d’exprimer leur volonté. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement, qui lui semble renvoyer à la même logique de primauté de la volonté du patient en état de s’exprimer que la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale et reprise par l’amendement n° 90 rectifié.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 48 rectifié. Au fond, il s’agit d’introduire une hiérarchisation des modalités de recherche de la volonté du patient. Votre amendement, monsieur Chasseing, vise à élargir le cercle des personnes consultées dans le cadre de la procédure collégiale, à ne pas exclure la famille lorsqu’une personne de confiance a été désignée. Dès lors qu’une personne de confiance a été désignée, il ne nous semble pas bienvenu de contester cette démarche émanant du patient lui-même.
L’avis du Gouvernement est défavorable sur l’amendement n° 69 rectifié ayant pour objet de préciser que la nutrition, l’hydratation artificielles et l’assistance respiratoire ne constituent pas un traitement. L’arrêt du Conseil d’État, validé sur ce point par la Cour européenne des droits de l’homme, affirme bien que tel est le cas.
Enfin, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 101 rectifié, qui est de même nature que l’amendement précédent.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'amendement n° 90 rectifié.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais vraiment appeler l’attention de nos collègues sur l’article 37 du code de déontologie médicale, dans la mesure où la rédaction adoptée par la commission en change considérablement le sens.
Le texte de la commission prévoit que « cette procédure collégiale réunit l’ensemble de l’équipe soignante et associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches qui le souhaitent ». Il y va tout à fait différemment dans le code de déontologie médicale, dans lequel est spécifié que « le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative ». Il est très important de maintenir cette possibilité. Le code de déontologie poursuit : « Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l’un des détenteurs de celles-ci […] ou à la demande de la personne de confiance ». Or, dans la rédaction de la commission, la personne de confiance est simplement associée et perd le droit de solliciter la procédure collégiale. La procédure collégiale « associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches », indique le texte de la commission, alors que le code de déontologie médicale prévoit la mise en œuvre d’une telle procédure « à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches ».
Le fait de réécrire le code de déontologie médicale constitue selon moi une erreur de nature à créer beaucoup d’ambiguïté. En outre, la rédaction retenue par la commission élargit le spectre des personnes réunies à l’ensemble de l’équipe soignante, qui est simplement consultée dans le cadre du code de déontologie médicale, alors qu’elle participe à l’initiative dans la proposition de loi. Il me paraît bien plus sage de nous en tenir à la rédaction actuelle du code de déontologie médicale.
Pour ce qui est de la nutrition et de l’hydratation, n’étant pas médecin et ne maîtrisant pas bien le sujet, je me réfère aux débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale. Ma référence, en la matière, est M. Jean Leonetti, dont je vous cite les propos : « Le débat sur l’hydratation et la nutrition, en 2005, a abouti à un consensus pour reconnaître qu’il s’agissait d’un traitement. » Le Conseil d’État a validé cette option. Il poursuit : « Une hydratation et une nutrition artificielles représentent une intervention sur le corps de l’autre. Cet acte consiste à ouvrir l’estomac pour y poser une sonde gastrique, c’est mettre une perfusion dans une veine. Selon la loi du 4 mars 2002, cela nécessite l’accord du patient. Il ne s’agit donc pas d’un soin simple mais d’une thérapeutique. La preuve en est que, passé un certain temps, on est conduit à remplacer la sonde gastrique par un tube placé dans l’estomac, c’est une gastrostomie, un geste chirurgical. Sauf à considérer que l’intervention chirurgicale n’est pas un traitement, il y a un problème. »
Nous ne pouvons pas trouver de meilleure explication sur la nécessité de maintenir l’hydratation et la nutrition comme traitement que ces propos tenus par M. Leonetti.
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Lors de son intervention cet après-midi, le président Milon a indiqué que certains d’entre nous se demandaient si le texte n’autorisait pas une forme d’euthanasie. Si je reprends les différents points sur lesquels nous avons travaillé ce soir, à savoir si une personne n’est plus alimentée, hydratée, si on lui retire son assistance respiratoire, si de surcroît des soins palliatifs lui sont appliqués avec, le cas échéant, une sédation profonde et continue, cela la mène obligatoirement à la mort ; il ne peut pas en être autrement ! Dès lors que l’on accepte ces différents dispositifs, on admet une forme d’euthanasie. Une personne qui n’est pas alimentée, qui est endormie par la sédation va obligatoirement mourir, même si des soins palliatifs atténuent la douleur.
J’entends bien que le Conseil d’État a rendu un arrêt. Pour ma part, je voterai les amendements nos 69 rectifié et 101 rectifié. Je ne vois pas en quoi le fait de nourrir et d’hydrater une personne s’apparente à l’administration d’un médicament. Je pense effectivement que la proposition de loi, si elle était adoptée en l’état, autoriserait une forme d’euthanasie.
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il est minuit, et il nous reste 109 amendements à examiner sur ce texte avant demain soir. Je vous propose donc de prolonger cette séance jusqu’à une heure.
Il n’y a pas d’observation ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale est intitulé « proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». J’ai entendu M. Gorce évoquer le cas de Chantal Sébire, qui n’était pas en fin de vie ; Mme le ministre vient de citer le cas de Vincent Lambert, qui n’est pas non plus en fin de vie. Il faut, me semble-t-il, rester dans le cadre de la proposition de loi.
L’autre point que je souhaite aborder est celui de la nutrition et de l’hydratation. On ne peut pas mettre sur le même pied la nutrition, qu’elle soit parentérale ou gastrique – mon cher collègue, la gastrostomie n’est plus très employée, on préfère poser une sonde gastrique –, et l’hydratation, qui est une mesure de confort. Nous avons discuté longuement de cette question en commission. Selon moi, la pose d’une perfusion de sérum physiologique à un patient peut être considérée comme un soin qui peut être dissocié de la nutrition et de la ventilation artificielles.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Lorsque les rapporteurs nous ont proposé en commission de modifier cet article, mon groupe s’y est opposé. La rédaction proposée par l’amendement n° 90 rectifié correspond véritablement à ce que le législateur, en tout cas les députés et une partie d’entre nous ici, souhaite en matière de droit des personnes en fin de vie. Néanmoins, je ne suis pas favorable à l’alinéa qui prévoit que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ». Je suis d’accord avec M. Revet, l’arrêt de tout traitement – car c’est bien de cela qu’il s’agit ! – conduira inévitablement à la mort. J’estime qu’il est assez hypocrite, et même quelque peu barbare, de faire cette sédation profonde et continue qui doit entraîner la mort sans aller jusqu’au bout de la démarche, car on laissera finalement mourir le patient de soif, en tout cas de déshydratation.
Ma position, que vous ne partagerez pas forcément, mes chers collègues, est qu’il faut faire cette sédation profonde et continue qui conduira à la mort, mais la faire en toute connaissance de cause, avec le patient, la famille et l’équipe médicale. On sait comment les choses finiront, et on doit accompagner le patient avec une hydratation, mais en intervenant de manière suffisamment forte et rapide pour que le patient ne décède pas dans des conditions de souffrance.
Pour ma part, je serais assez favorable à l’amendement de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, mais en maintenant l’hydratation du patient jusqu’au bout de la sédation profonde. Je ne sais pas si notre collègue acceptera de rectifier son amendement, mais je souhaiterais qu’on ôte le mot « hydratation » du dernier alinéa, pour ne laisser que la phrase « la nutrition artificielle constitue un traitement ». Ainsi, on pourrait arrêter la nutrition artificielle du patient tout en maintenant son hydratation, laquelle se fait, me semble-t-il – mais je ne suis pas médecin –, par perfusion intraveineuse, c'est-à-dire dans des conditions différentes de la nutrition.
Je ne fais pas partie des médecins de la commission des affaires sociales, mais j’estime que l’hydratation doit continuer jusqu’à la fin. Je le redis, il serait hypocrite, et même barbare, de laisser mourir des patients dans de telles conditions. Même si nous n’en sommes pas certains, on peut se douter que ces malades souffrent. La première chose que demande un patient qui se réveille après une anesthésie, c’est de boire, parce qu’il a soif. On peut donc bien imaginer que l’hydratation est nécessaire au patient, même en fin de vie.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Madame David, bien qu’ayant la lourde tare d’être médecin, je suis tout à fait d’accord avec votre argumentation.
L’hydratation est un sujet particulier. Contrairement à la nutrition, elle ne nécessite pas – loin s’en faut ! – de geste médical excessivement sophistiqué.
Malgré les recherches récentes menées sur la conscience, nous ne savons pas quel est le ressenti de l’être humain soumis à une sédation très profonde. En tout état de cause, être déshydraté est une situation parfaitement indigne que nous n’avons pas le droit de faire supporter à un être humain.
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Catherine Génisson. Une sédation très profonde aboutira à l’arrêt de la vie ; continuer à hydrater le patient n’en changera pas l’issue. Il est évident que la suppression de la nutrition et de l’hydratation sans sédation serait excessivement barbare et ferait mourir le patient dans des conditions horribles.
En revanche, je le répète, assurer une sédation très profonde et progressive tout en maintenant l’hydratation n’empêchera pas le malade de mourir. Pour respecter la dignité de la personne humaine, il faut absolument maintenir l’hydratation.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Nous avons choisi de modifier l’article 2, car la rédaction issue de l’Assemblée nationale contenait une ambiguïté. En effet, cet article semblait prévoir un arrêt obligatoire des traitements jugés inutiles ou disproportionnés, sans que la volonté du patient soit recherchée ni qu’une procédure collégiale soit mise en œuvre.
Par ailleurs, l’alimentation et l’hydratation sont considérées comme des traitements. Si un patient demande, dans des circonstances très particulières, l’arrêt des traitements – nutrition et hydratation artificielles, respiration artificielle –, ce n’est pas de l’euthanasie. On considère, à un moment donné, que les souffrances sont insupportables et qu’il est en droit de demander l’arrêt de ces trois fonctions pour éviter toute obstination déraisonnable. Par voie de conséquence, il peut aussi demander la mise en place d’une sédation profonde et continue. Mourir par asphyxie est absolument inconcevable.
Pour ce qui concerne l’hydratation, nous avons longuement évoqué cette question en commission. Madame David, l’hydratation se fait soit par voie veineuse, soit, lorsque ce n’est pas possible, par voie sous-cutanée. On peut considérer que c’est une mesure de confort pour les derniers moments de la vie. Nous y reviendrons ultérieurement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je rappelle que c’est la loi Leonetti, qui a été votée à l’unanimité, qui prévoit l’arrêt de tout traitement. Cette décision doit être prise par le juge. Le Conseil d’État, saisi par des médecins et des familles, a considéré que la nutrition et l’hydratation faisaient partie des traitements.
Si je rejoins le rapporteur et mes collègues médecins sur la question de l’hydratation, indiquer que l’hydratation, la nutrition artificielles et l’assistance respiratoire ne constituent pas des traitements – pour moi, l’assistance respiratoire en est un –, comme le prévoit l’amendement présenté par notre ami de Legge, reviendrait à mettre à bas la loi Leonetti.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Comme l’a dit le président Milon, l’association de la respiration artificielle, de l’hydratation et de la nutrition me paraît aller au-delà de ce qu’on peut appeler le soin et donc relever du traitement – notamment la ventilation, qui suppose un outillage extrêmement lourd. Dans ces conditions, il me semblerait préférable que l’amendement n° 69 rectifié soit retiré et que l'amendement n° 101 rectifié, que j’ai cosigné, soit corrigé pour prévoir que l’hydratation est un soin, en tout cas qu’elle ne constitue pas un traitement.
Mes chers collègues, je tiens à faire trois remarques.
Comme certains d’entre vous, j’étais sénateur en 2005. À l’époque, certains avaient évoqué ces sujets – le compte rendu de nos débats peut l’attester –, mais la question n’avait pas été définitivement tranchée. On ne peut donc pas dire que la nutrition et l’hydratation étaient considérées comme des traitements dans la loi Leonetti.
Certes, le Conseil d’État a rendu un arrêt, mais nous ne sommes pas encore dans le gouvernement des juges. La méthode prétorienne est une chose, mais c’est à nous qu’il revient de voter la loi. Ce n’est pas au Conseil d’État d’établir des prescriptions législatives. N’inversons pas les rôles !
Enfin, j’ai écouté le docteur Génisson et Annie David, qui n’est pas médecin. Pour moi qui ne le suis pas non plus, il me semble que ce qui sépare le soin du traitement, c’est le fait que le soin vise des besoins fondamentaux de l’homme, alors que le traitement a une finalité thérapeutique. C’est la raison pour laquelle si on ne dissocie pas les deux, si on n’indique pas que l’hydratation relève du soin et non du traitement, alors le texte prendra une bien mauvaise tournure et s’orientera vers l’euthanasie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. Je voudrais compléter sur un point les propos de M. Retailleau.
Intuitivement – car je ne suis pas médecin –, l’hydratation et la nutrition me semblent répondre à des besoins naturels, contrairement aux traitements. On serait coupable de ne pas satisfaire ces besoins du malade, fut-il en fin de vie, même si je comprends bien qu’il s’agit d’une nutrition et d’une hydratation artificielles, puisque le patient n’est pas capable de déglutir.
Le Conseil d’État a considéré que l’hydratation et la nutrition étaient des traitements et que, par voie de conséquence, elles pouvaient être arrêtées pour éviter tout acharnement thérapeutique. Pendant le débat sur la loi de 2005, la question n’avait pas été tranchée, mais il me semble que Jean Leonetti estimait plutôt qu’il s’agissait de traitements. Pour moi, je le redis, l’hydratation et la nutrition permettent de répondre à des besoins naturels qu’on serait coupable de ne pas satisfaire, y compris pour des patients en fin de vie.
Dans le débat très douloureux sur la situation de M. Vincent Lambert, qui est, depuis six ans, dans la situation que nous connaissons tous, la décision de la CEDH est venue confirmer l’orientation des médecins, qui est d’arrêter l’hydratation et la nutrition de ce patient. Dans ce cas, il mourra dans les cinq à six jours suivants. Si ce n’est pas l’achever, dites-moi ce que c’est !
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, à la suite de la suggestion de Mme David, nous rectifions l’amendement n° 90 rectifié en modifiant la dernière phrase pour distinguer le dispositif de l’hydratation de celui de la nutrition. La rédaction est désormais la suivante : « La nutrition artificielle constitue un traitement. »
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 90 rectifié bis, présenté par MM. Godefroy, Labazée et Bérit-Débat, Mme Bricq, M. Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas et Génisson, M. Jeansannetas, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet, MM. Frécon et Gorce, Mme D. Gillot, M. Kaltenbach, Mme D. Michel, MM. Madec, Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l'article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. - Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent être ni mis en œuvre, ni poursuivis au titre du refus d'une obstination déraisonnable lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés. Dans ce cadre, lorsque les traitements n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, alors et sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient, conformément à l'article L. 1111-12 et selon la procédure collégiale définie par l’article 37 du code de déontologie médicale, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10.
« La nutrition artificielle constitue un traitement. »
La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote sur cet amendement ainsi rectifié.
M. Daniel Chasseing. Je rappelle que l’article L. 1110-10 du code de la santé publique dispose que « les soins palliatifs […] visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ». Je considère à cet égard que l’arrêt de l’hydratation ne sauvegarde pas la dignité du patient. En effet, ce n’est pas l’hydratation qui changera quoi que ce soit, puisqu’il ne s’agit pas d’un traitement. Il faut donc absolument maintenir l’hydratation des patients en fin de vie.
La sédation profonde et continue doit être proposée quand le pronostic vital est engagé à très court terme – de l’ordre de quelques heures ou de quelques jours. Or, j’y insiste, ce n’est pas l’hydratation qui prolongera la vie du patient, alors que, au contraire, les souffrances qu’occasionnera la déshydratation, bien que difficiles à évaluer, plaident pour son maintien.
M. Georges Labazée. On est d’accord !
M. Daniel Chasseing. Par ailleurs, je retire l’amendement n° 48 rectifié même s’il me paraîtrait normal que les familles soient associées à la procédure collégiale statuant sur le sort du patient.
M. le président. L’amendement n° 48 rectifié est retiré.
La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote sur l’amendement n° 90 rectifié bis.
M. Gérard Roche. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit par Mmes David et Génisson, par M. Retailleau et par tous les autres intervenants ; il semble donc se dégager un consensus.
L’amendement n° 90 rectifié bis me convient parfaitement. Il faut absolument dissocier l’arrêt de l’hydratation de celui de l’alimentation et de l’assistance respiratoire. Certes, comme cela a été dit précédemment, le Conseil d’État a eu à se prononcer sur l’excellente loi Leonetti, mais, pour ma part, ce n’est pas le Conseil d'État qui m’intéresse, ce sont les personnes qui sont en train de mourir dans leur lit ; j’ai en effet été médecin pendant quarante ans. C’est en fonction de cette réalité que nous devons légiférer.
En ce qui me concerne, je suis favorable au maintien de l’hydratation des patients en fin de vie pour plusieurs raisons.
Premièrement, comme l’ont dit M. Chasseing et d’autres, ce n’est pas l’hydratation, qui sera d’ailleurs le vecteur du sédatif, qui changera grand-chose. La vie sera peut-être prolongée d’une heure ou deux mais pas plus ; il s’agit bien là de soins palliatifs.
Deuxièmement, Mme Génisson l’a très bien dit, on ne sait pas quelle est la sensation de soif d’une personne dans le coma. Des recherches sont actuellement menées qui démontrent l’existence vraisemblable d’un manque de confort au cours des dernières heures de la vie en cas de déshydratation. Cet état est donc ressenti comme une souffrance, même en cas de sédation. Par conséquent, tant que persiste un doute à ce sujet, on n’a pas le droit d’arrêter l’hydratation.
Troisièmement, il convient de tenir compte de l’entourage familial. Quelqu’un qui se déshydrate subit une déchéance physique très douloureuse à vivre pour l’entourage. Il faut éviter que les proches gardent cette image avant le grand départ.
Enfin, quatrièmement, considérons le symbole : dès lors que l’on cesse l’hydratation, M. Retailleau l’a très bien exprimé, on passe du soin palliatif et de la sédation profonde à l’euthanasie. Je crois donc que l’hydratation constitue un barrage : si on continue d’hydrater, on peut affirmer qu’il s’agit toujours de soins palliatifs et non d’euthanasie.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Compte tenu des échanges qui viennent d’avoir lieu, je vous propose la rédaction suivante pour l’amendement n° 101 rectifié : « L'hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu'en fin de vie ».
Pourquoi « qui peut être maintenu jusqu’en fin de vie » et non « qui est maintenu jusqu’en fin de vie » ? Tout simplement parce que, dans les tout derniers moments de la vie, il existe ce qu’on appelle le râle agonique. Dans ce cas, le maintien de l’hydratation jusqu’au « bout du bout » aggraverait ce râle ; il est d’ailleurs bien connu que, pour cette raison, les unités de soins palliatifs arrêtent cet acte au dernier moment. On utilise même des produits, comme la scopolamine, pour « assécher », si vous me passez l’expression.
Enfin, comme ce sujet revient souvent dans notre débat, je veux rappeler que Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Son cas n’entre donc pas dans le cadre de la proposition de loi que nous sommes en train d’examiner.
M. le président. Mes chers collègues, toutes ces rectifications en séance étant malaisées, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mercredi 17 juin 2015, à zéro heure vingt, est reprise à zéro heure vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Comme un certain nombre de mes collègues, je ne suis pas un éminent médecin, et la science peut donc m’échapper.
Cela étant dit, j’ai été frappée ce matin en commission des affaires sociales par la tenue d’un vrai débat entre médecins destiné à déterminer si l’absence d’hydratation engendre ou non des souffrances. En l’absence d’une conclusion qui aurait fait l’unanimité au sein des sénateurs médecins, je pense pour ma part qu’il faut considérer l’hydratation non comme un traitement mais comme un soin, tandis qu’au contraire la nutrition semble relever d’une autre qualification.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. J’entends qu’un consensus est en train de se dégager au sein de cet hémicycle. Je n’entrerai pas dans un débat de fond. Je rappellerai simplement que, de l’avis de tous les médecins qui ont été consultés lors de la réflexion qui a été engagée en vue de l’élaboration du texte, aucune raison médicale ne justifie d’établir une différence entre l’hydratation, qui serait renvoyée du côté du confort, et d’autres supports artificiels extérieurs, qui, eux, constitueraient des traitements.
Il est inhumain, je n’hésite pas à employer ce mot, d’arrêter l’hydratation sans mesures d’accompagnement et de confort, mais ce n’est pas plus inhumain que d’arrêter la ventilation artificielle ou la dialyse. L’hydratation est un traitement, au même titre que l’alimentation, la ventilation artificielle ou la dialyse. J’entends que l’hydratation suscite une charge émotionnelle plus forte, mais le maintien de l’hydratation sans autre traitement peut aboutir à une surhydratation artificielle qui pose d’autres types de difficultés.
Le Gouvernement ne souhaite pas établir de différence entre l’hydratation et les autres traitements extérieurs qui représentent un support artificiel à la vie. J’émets donc un avis défavorable sur tous les amendements qui tendent à introduire cette différence, y compris sur l’amendement n° 90 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Avec l’amendement n° 90 rectifié bis, nous pensions pouvoir obtenir un consensus. Pour ce faire, nous avions maintenu la première partie concernant le code de déontologie médicale, qui avait reçu un avis favorable du Gouvernement, et nous avions modifié la seconde partie après le débat à l’issue duquel semblait se dégager un accord au sujet de l’hydratation.
M. Georges Labazée. Voilà !
M. Jean-Pierre Godefroy. Or, si j’en crois l’accueil qui est réservé à notre proposition, le consensus ne sera pas atteint. Nous devrions pourtant essayer de trouver des points d’accord.
Je m’interroge sur les raisons qui ont incité la commission des affaires sociales à modifier la rédaction du code de déontologie médicale.
M. Georges Labazée. Ce n’est pas la commission, c’est le rapporteur !
M. Jean-Pierre Godefroy. Outre que ce n’est ni le lieu ni le moment, je ne comprends pas l’objectif visé.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote sur l’amendement n° 69 rectifié.
M. Dominique de Legge. Je retire cet amendement, et je rectifie l’amendement n° 101 rectifié pour écrire « l’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’en fin de vie ». Les mots « qui peut être maintenu » indiquent qu’il ne s’agit pas d’une obligation, sinon cela pourrait créer un contentieux.
Comme l’ont dit Mmes David et Génisson, il s’agit de permettre, en dépit de l’arrêt de tous les autres traitements, que le patient puisse être hydraté, sans que cela contrevienne à la jurisprudence du Conseil d’État ou remette en cause la position au fond de la commission des affaires sociales.
M. le président. L’amendement n° 69 rectifié est retiré.
Je suis par ailleurs saisi d’un amendement n° 101 rectifié bis, présenté par MM. de Legge, Retailleau, Morisset, Reichardt, Mandelli, de Nicolaÿ, D. Laurent, B. Fournier, Pierre, Leleux et Chaize, Mme Gruny, M. de Raincourt, Mmes Canayer et Duchêne, MM. Bizet et Buffet, Mme Cayeux, M. Trillard, Mmes di Folco et Duranton, MM. Huré, Kennel et Pozzo di Borgo, Mme Des Esgaulx, M. J.P. Fournier, Mme Deromedi, MM. Vasselle, Bignon, Pointereau, Vaspart et Mouiller, Mme Mélot, MM. Mayet et Charon, Mme Deroche, MM. Houel et Gournac, Mme Debré, M. Lemoyne, Mme Lamure et MM. Cardoux, Gremillet et Guerriau, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« L'hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu'en fin de vie. »
Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Cet amendement n’est pas si neutre… Nous ne sommes pas naïfs : il s’agit de revenir au texte de la commission, qui modifie le code de déontologie médicale.
M. Georges Labazée. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Cette démarche est totalement différente de celle de notre amendement, qui tendait, lui, à revenir au texte initial de l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, comme je ne suis pas médecin, j’aimerais bien savoir à cette heure tardive ce que provoque réellement l’arrêt de l’hydratation sur le patient. Mme la ministre nous déclare que c’est un traitement comme un autre. Or, d’après les propos des différents intervenants professionnels, il s’agirait plus d’un soin de confort dont l’objectif n’est en aucun cas de prolonger la vie ni de l’arrêter.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Il n’est nullement question de modifier le code de déontologie médicale.
M. Georges Labazée. Mais si !
M. Michel Amiel. Il s’agit seulement de préciser la notion de collégialité.
En outre, l’arrêt des traitements n’est pas automatique, contrairement à ce que pouvait laisser penser la première rédaction.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Ce n’est pas aussi simple, monsieur le rapporteur. En commission, vous aviez proposé un premier jet dans lequel vous mainteniez le fait que l’hydratation et la nutrition constituaient un traitement.
M. Michel Amiel, corapporteur. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous aviez inséré cette formulation dans le corps du texte, qui a intégré le code de déontologie médicale.
M. Michel Amiel, corapporteur. Nous parlons juste de collégialité !
M. Jean-Pierre Godefroy. Il y avait un seul paragraphe au sein duquel l’hydratation et la nutrition étaient intégrées.
M. Michel Amiel, corapporteur. Non, il y en avait deux !
M. Jean-Pierre Godefroy. En réalité, vous avez changé d’avis en commission. Dans ces conditions et sous le bénéfice des explications de nos collègues, nous pourrions être tentés de voter l’amendement n° 101 rectifié bis. À titre personnel, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Sur ce dernier point peut-être ai-je manqué de clarté. Néanmoins, l’hydratation et la nutrition artificielles ne figurent pas dans le code de déontologie médicale. Je le répète, nous évoquons le code de déontologie médicale seulement en ce qui concerne la collégialité, aspect qui relève du domaine réglementaire. Dans le texte de la commission, la notion de collégialité est beaucoup plus détaillée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Labazée et Courteau, Mme Riocreux, MM. Chiron et Frécon, Mme Lepage, MM. Raoul et Lorgeoux, Mmes Tasca et Campion, M. Filleul, Mme Bataille, MM. Vaugrenard, Yung, Leconte, Néri, Daudigny, Rome, Berson et Kaltenbach, Mme Tocqueville, M. Durain, Mme Durrieu, MM. S. Larcher et Poher, Mmes Meunier, Schillinger et D. Gillot, MM. Bigot, Madec, Reiner, Cazeau, M. Bourquin, Sutour et Duran et Mmes Bricq, Monier, Emery-Dumas, Blondin, Lienemann et Conway-Mouret, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1-… – Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, qui s'est vue proposer l'ensemble des soins palliatifs auxquels elle a droit, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu'elle a choisi. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est totalement libre, éclairée, réfléchie et qu'il n'existe aucune solution acceptable par elle-même dans sa situation. » ;
2° Après l’article L. 1111-12 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-12-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12-... – Toute personne, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, qui se trouve de manière définitive dans l'incapacité d'exprimer une demande libre et éclairée, peut bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément et de façon univoque dans ses directives anticipées. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement tend à instaurer, pour les personnes majeures en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable leur infligeant une souffrance qui ne peut être apaisée et qu’elles jugent insupportable, un droit à bénéficier d’une véritable aide active pour mourir. Cette aide permet, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. L’amendement ouvre également ce droit aux personnes qui se trouvent hors d’état d’exprimer leur volonté, à condition qu’elles aient expressément mentionné cette volonté de façon univoque dans leurs directives anticipées.
J’y insiste, si ce dispositif doit être très strictement encadré, il s’agit bien évidemment d’un droit, d’une liberté, d’une faculté, et en aucun cas d’une obligation. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est totalement libre, éclairée, réfléchie et qu’il n’existe aucune autre solution acceptable par elle-même dans sa situation. Bien entendu, les médecins auront toujours la faculté d’exercer leur clause de conscience.
Mes chers collègues, cet amendement ne constitue en fait que la répétition, à quelques mots près, de ce que moi-même et bien d’autres avions proposé il y a plusieurs années au Sénat. Il est quasiment identique à une proposition de loi qu’avait déposée le groupe socialiste de l’Assemblée nationale en 2009, dont le premier signataire était le président du groupe de l’époque. Sur quatorze membres de l’actuel gouvernement, alors députés, dix d’entre eux avaient formellement cosigné cette proposition de loi. Vous me pardonnerez cette remarque, mais j’aimerais ne pas en déduire que nous serions moins convaincus en 2015 que nous ne l’étions en 2009.
Cet amendement est également identique à celui qui avait été déposé en 2011 par des membres du groupe socialiste, du groupe communiste républicain et citoyen et de l’UMP. Nous étions parvenus à rédiger un texte commun, qui avait été adopté par la commission des affaires sociales avant d’être rejeté en séance. Dois-je en déduire que la commission des affaires sociales de 2011 était plus progressiste en ce domaine qu’elle ne l’est aujourd’hui ?
Dans sa lettre posthume, mon amie Nicole Boucheton nous alerte. Se rendre en Suisse, dit-elle, demande beaucoup d’argent : la prise en charge elle-même, le voyage, l’hébergement sur place lorsque l’on vient de loin. Encore faut-il être capable physiquement de se déplacer. Elle révèle aussi une inégalité sociale insupportable que l’on a connue à propos d’autres problèmes de société : certains ont la possibilité de se rendre à l’étranger pour pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir, tandis que d’autres n’en ont pas les moyens. Nicole Boucheton conclut sa lettre posthume en évoquant l’engagement 21 du candidat François Hollande : « J’aurais aimé en profiter et ne pas avoir à m’exiler en Suisse ».
Nous avons déposé cet amendement, car de multiples cas sont en attente dans notre pays. Certaines personnes, lorsqu’elles apprennent l’issue inéluctable de leur maladie, qui s’accompagnera en fin de parcours d’atroces souffrances et aboutira certainement à la sédation terminale dans les tout derniers jours, préféreraient pouvoir tout arrêter lorsqu’elles sont encore conscientes, dire au revoir à leur famille les yeux ouverts et partir en leur présence. Tel est l’objet de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Annie David applaudit également.)
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 33 rectifié ter est présenté par M. Cadic, Mme Jouanno et MM. Canevet, Cantegrit, Fouché, Guerriau, Longeot, Médevielle et Namy.
L'amendement n° 98 rectifié bis est présenté par Mme Garriaud-Maylam.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2
Après l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-5-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1-… – Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier d’une aide active à mourir. »
La parole est à M. Olivier Cadic, pour présenter l’amendement n° 33 rectifié ter.
M. Olivier Cadic. Je présenterai en même temps l’amendement n° 34 rectifié bis.
« Mon corps m’appartient », chacun d’entre vous se souvient de cette phrase. En écho à cet appel, voilà quarante ans, fut votée la loi Veil, qui a marqué notre pays et ma famille politique.
Ma mort m’appartient est le titre du livre de Jean-Luc Romero, président de l’association pour le droit de mourir dans la dignité. En écho, des sénatrices et des sénateurs de toutes tendances réunies – j’en ai compté soixante-dix-neuf – ont déposé ou cosigné des amendements pour élargir le champ des possibilités offertes aux patients en fin de vie et légaliser une aide active à mourir.
En 2015, on meurt toujours mal en France. Notre législation se limite au « laisser mourir », alors que, d’après un sondage datant d’octobre 2014, 96 % des personnes interrogées approuvent le recours aux médecins pour mettre fin sans souffrance à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables, si elles le demandent.
Un rapport publié par The Economist classe la France, parmi les trente-trois pays de l’OCDE étudiés, au douzième rang des États dans lesquels on meurt le mieux, notamment derrière les pays qui, les premiers, ont légalisé l’euthanasie : les Pays-Bas et la Belgique.
Par ailleurs, selon l’étude « Mort à l’hôpital », ou MAHO, publiée en 2008, les soignants estiment que seuls 35 % des décès enregistrés en milieu hospitalier se déroulent dans des conditions acceptables.
En réponse au souhait lucide et responsable de nos concitoyens, il convient de modifier la loi actuelle et d’autoriser, par le droit français, dans un cadre rigoureux et humain, une aide active à mourir, dans le cas de pathologies avérées à tendances invalidantes telles que définies dans le code de la santé publique. Chacun doit se voir ainsi reconnaître le droit d’aborder sa fin de vie dans le respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre République.
Les amendements que nous défendons au Sénat ne visent pas à retrancher quoi que ce soit au dispositif voté par l’Assemblée nationale. Ils tendent simplement à ouvrir, à des malades, le droit de mourir dans la dignité, sous assistance médicale. Dès lors, les Français bénéficieront pleinement de leur ultime liberté, dont disposent déjà les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois et les Suisses dans leur propre pays. Ainsi, cette possibilité ne sera pas réservée à nos seuls compatriotes qui ont les moyens de s’expatrier pour en bénéficier.
Les dispositions du présent amendement constituent une proposition respectueuse de l’humanisme et de la liberté individuelle, lorsqu’elle est exprimée de manière éclairée et réfléchie.
Mes chers collègues, je souhaite que, ce soir, nous ne soyons pas seulement soixante-dix-neuf à nous exprimer en faveur de ces dispositions : j’espère que la majorité du Sénat fera progresser, en la matière, la législation de notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 98 rectifié bis n’est pas soutenu.
L'amendement n° 34 rectifié bis, présenté par M. Cadic, Mmes Garriaud-Maylam et Jouanno et MM. Canevet, Cantegrit, Fouché, Guerriau, Longeot, Maurey et Médevielle, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 1111-10 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-10-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-… – Lorsqu’une personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable, demande à son médecin le bénéfice d’une aide active à mourir, celui-ci doit s’assurer de la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée. Après examen du patient, étude de son dossier et, s’il y a lieu, consultation de l’équipe soignante, le médecin doit faire appel, pour l’éclairer, dans un délai maximum de quarante-huit heures, à un autre praticien de son choix. Les médecins vérifient le caractère libre, éclairé, réfléchi et constant de la demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent l’intéressé des possibilités thérapeutiques, ainsi que des solutions alternatives en matière d’accompagnement de fin de vie. Les médecins peuvent, s’ils le jugent souhaitable, renouveler l’entretien dans les quarante-huit heures. Les médecins rendent leurs conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai de quatre jours au plus à compter de la demande initiale du patient. Lorsque les médecins constatent au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou que la personne juge insupportable, et donc la situation d’impasse thérapeutique dans laquelle se trouve la personne ainsi que le caractère libre, éclairé, réfléchi et réitéré de sa demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté, le cas échéant, en présence de la ou des personnes de confiance qu’il a désignées. Le médecin respecte cette volonté. L’acte d’aide active à mourir, pratiqué sous le contrôle du médecin, en milieu hospitalier ou au domicile du patient ou dans les locaux d’une association agréée à cet effet, ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci telle qu’il la conçoit pour lui-même. L’intéressé peut, à tout moment et par tout moyen, révoquer sa demande. Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical. Dans un délai de huit jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la commission régionale de contrôle prévue à la présente section un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article ; la commission contrôle la validité du protocole. Le cas échéant, elle transmet à l’autorité judiciaire compétente. »
Cet amendement a été précédemment défendu.
L'amendement n° 44, présenté par Mmes Bouchoux, Archimbaud, Benbassa et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le même article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-1-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1-... – Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir.
« La demande du patient est immédiatement étudiée par un collège de trois médecins afin d’en vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite et de s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve l’intéressé.
« Si le patient confirme sa volonté de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir au moins quarante-huit heures après sa demande initiale, alors sa volonté doit être respectée.
« Dans un délai maximal de quatre jours après la confirmation de la demande par le patient, l’assistance médicalisée active à mourir est pratiquée, selon la volonté du patient, soit par le patient lui-même en présence du médecin, soit par le médecin. L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite dans le dossier médical du patient. »
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cette proposition s’inscrit dans la même ligne que celles défendues, à l’instant, par MM. Godefroy et Cadic, et elle s’appuie sur les mêmes motifs.
Cet amendement tend à répondre à une très forte demande de la population française : il vise à instaurer dans des conditions strictes l’assistance médicalisée active à mourir, en plus de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, à laquelle se limite, pour l’heure, le présent texte. Le but est d’élargir le champ des possibilités offertes aux patients en fin de vie. Nul n’est obligé d’y recourir : nous ne cherchons à exercer de contrainte sur personne !
Ce que nous réclamons, c’est que notre vie nous appartienne jusqu’à la fin. Aussi, celles et ceux qui souhaitent bénéficier de ce dispositif et qui répondent aux conditions prévues doivent disposer de la fin de vie qu’ils souhaitent. Ils ne doivent pas faire l’objet d’acharnement. Ils ne doivent pas en être réduits à partir pour la Suisse ou bien à recourir à des connivences, à des complicités leur permettant d’obtenir, hors la loi, un acte que nous souhaitons au contraire sécuriser dans un cadre juridique. Une nouvelle fois, nous espérons que le Sénat saura entendre ce message.
Il y a moins de dix ans, un grand nombre de ceux qui composent actuellement le Gouvernement considéraient cette option comme positive. À l’époque, je n’étais pas encore parlementaire. Que l’on m’explique pourquoi ce que l’on jugeait bon il y a une décennie serait, aujourd’hui, devenu caduc. Je vous l’avoue, je peine à m’expliquer ce revirement, sinon par des logiques de politique électorale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L'amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Mézard, Bertrand, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde, M. Requier et Mme Malherbe, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l'article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-1-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1-.... – Toute personne majeure non protégée, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une douleur physique ou une souffrance psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier d'une assistance médicalisée à mourir.
« La demande du patient est étudiée sans délai par un collège de trois médecins afin d'en vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite et de s'assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve l'intéressé. Dans un délai maximal de huit jours, les médecins remettent leurs conclusions au patient.
« Si les conclusions des médecins attestent que l'état de santé de la personne malade est incurable, que sa douleur physique ou sa souffrance psychique ne peut être apaisée ou qu'elle la juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée, réfléchie et explicite et s'ils constatent qu'elle confirme sa demande de bénéficier d'une assistance médicalisée active à mourir, sa volonté doit être respectée.
« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.
« L'acte d'assistance médicalisée à mourir est pratiqué sous le contrôle et en présence du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d'accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée.
« L'ensemble de la procédure suivie est inscrite dans le dossier médical du patient. »
II. – Après l'article L. 1111-12 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1111-12-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12-.... - Toute personne, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, qui se trouve de manière définitive dans l'incapacité d'exprimer une demande libre et éclairée, peut bénéficier d'une assistance médicalisée à mourir, à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l'article L. 1111-11. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Chacun devrait pouvoir finir sa vie comme il l’entend et rester maître de son destin. Toutefois, ce droit, revendiqué dès 1978 par les sénateurs Henri Caillavet et Jean Mézard, le père de Jacques Mézard, est souvent refusé aux patients en phase avancée ou terminale.
Durant la campagne présidentielle de 2012, le futur Président de la République s’était engagé à ce que toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. Même si elle comporte des dispositions nouvelles, la proposition de loi Claeys-Leonetti ne répond que très partiellement et imparfaitement à cet enjeu. En effet, ce texte propose une sédation profonde et continue jusqu’au décès, mais n’autorise pas une assistance médicale à mourir.
Aussi, le présent amendement tend à reprendre le dispositif d’une proposition de loi déposée par plusieurs membres du RDSE en juillet 2012. Il vise à permettre à des malades très gravement touchés, dont le cas est dramatique et qui ne peuvent espérer d’autre issue qu’une mort particulièrement pénible, d’opter pour le droit de mourir dans la dignité à l’aide d’une assistance médicale et dans les meilleures conditions possibles. Il ne s’agit en aucun cas de banaliser cette pratique, mais de reconnaître, au nom de la solidarité, de la compassion et de l’humanisme, l’exception d’euthanasie, notion introduite par le Comité consultatif national d’éthique dans un avis du 27 janvier 2000.
Bien entendu, l’assistance médicalisée à mourir doit être fortement encadrée. Lorsqu’une personne se trouve placée dans un état de dépendance telle qu’il ne lui semble plus vivre que pour « en finir », qu’elle prend la décision de céder face à une vie de souffrance et sans aucun espoir, il est important de lui permettre de ne pas se suicider dans la clandestinité et de lui reconnaître ce droit de mourir dans la dignité. Le respect de la liberté individuelle doit nous conduire à accepter que des patients décident de bénéficier d’une aide à mourir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. L'amendement n° 81 rectifié bis, présenté par Mmes David, Assassi et Beaufils, MM. Billout et Bosino et Mmes Prunaud, Cohen et Gonthier-Maurin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1-… – Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique, ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu’elle a choisi. » ;
2° Après l’article L. 1111-10, il est inséré un article L. 1111-10-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-… – Le médecin, saisi d’une demande d’assistance médicalisée pour mourir, saisit dans les meilleurs délais un confrère indépendant pour s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve la personne concernée. Ils vérifient, à l’occasion d’un entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande.
« Ils informent la personne malade des possibilités qui lui sont offertes de bénéficier des dispositifs de soins palliatifs compatibles avec sa situation.
« Dans un délai maximum de huit jours suivant la première rencontre commune de la personne malade, les médecins lui remettent, en présence de sa personne de confiance, un rapport faisant état de leurs conclusions sur l’état de santé de l’intéressé.
« Si les conclusions des médecins attestent, au regard des données acquises de la science, que l’état de santé de la personne malade est incurable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et qu’ils constatent à l’occasion de la remise de leurs conclusions que l’intéressé persiste, en présence de sa personne de confiance, dans sa demande, alors, le médecin doit respecter la volonté de la personne malade.
« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’acte d’assistance médicalisée pour mourir est réalisé sous le contrôle du médecin choisi ou de premier recours qui a reçu la demande de l’intéressé et a accepté de l’accompagner dans sa démarche et ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de sa demande.
« Toutefois, si la personne malade en fait la demande, et que les médecins précités estiment que la dégradation de l’état de santé de la personne intéressée le justifie, ce délai peut être abrégé ; la personne peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical de la personne. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’acte d’euthanasie, adresse à la commission régionale de contrôle prévue dans le présent titre, un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. » ;
3° Après l’article L. 1111-4, il est inséré un article L. 1111-4-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-4-… – Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir.
« Le refus du professionnel de santé est notifié sans délai à l’auteur de cette demande ou, le cas échéant, à sa personne de confiance. Afin d’éviter que son refus n’ait pour conséquence de priver d’effet cette demande, il est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible d’y déférer. » ;
4° La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie est complétée par un article L. 1111-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-...- Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir, mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites par le présent code. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Les dispositions de cet amendement sont issues d’une proposition de loi élaborée par notre ancien collègue Guy Fischer, que j’avais cosignée, et des travaux menés au Sénat par le groupe de travail de la commission des affaires sociales entre 2010 et 2012.
S’inspirant de propositions de loi émanant de divers groupes parlementaires – le groupe communiste, républicain et citoyen, le groupe socialiste ou le groupe UMP –, ce groupe de travail avait formulé des propositions pour permettre et encadrer le recours à l’assistance médicalisée pour mourir. Le texte issu de ses travaux, adopté en commission, avait été rejeté en séance publique. Il portait pourtant sur un problème crucial et traitait d’un sujet qui fait consensus auprès de nos concitoyennes et de nos concitoyens. En effet, 90 % d’entre elles et d’entre eux se disent favorables à l’euthanasie et 86 % souhaitent que la prochaine loi relative à la fin de vie légalise l’euthanasie active.
Il s’agit là d’une évolution naturelle, prolongeant celle des pratiques médicales à laquelle nous avons assisté ces dernières années. En effet, rares sont ceux qui, parmi nous, contestent encore le recours à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, instituée grâce à la loi Veil, ou à la procréation médicalement assistée. Dans cette mouvance, il convient de conquérir un nouveau droit : celui de mourir sans souffrance, dignement et quand on le souhaite. Il s’agit de pouvoir demander, lorsqu’on est placé dans un état de dépendance que l’on juge incompatible avec sa propre dignité, une assistance médicalisée pour mourir. Bien entendu, ce recours est encadré. Il se limite aux personnes majeures qui en ont fait la demande de manière libre et éclairée.
De plus, nous proposons d’introduire une clause de conscience, par laquelle le médecin peut refuser de pratiquer l’acte d’assistance pour mourir. Dans le cas d’un semblable refus et afin que les droits du patient à mourir soient garantis, il est prévu que le praticien oriente son patient vers un confrère ou une consœur à même de pratiquer l’acte.
Les dispositions de cet amendement ont le mérite d’offrir davantage de solutions aux personnes atteintes de maladies graves et incurables et, ainsi, de garantir une plus grande liberté pour être acteur de sa mort. Nous les avons assorties de garde-fous suffisants pour empêcher les dérives : informations quant aux soins palliatifs, délais de réflexion, vérification du caractère libre et éclairé du choix du patient, etc.
Enfin, ce dispositif s’appuie sur l’exemple des États étrangers où l’euthanasie active est autorisée. Dans ces pays, on a pu redouter que cette évolution ne s’accompagne d’une baisse des moyens alloués aux soins palliatifs ; ces craintes ne se sont pas vérifiées. Surtout, ces États n’ont pas assisté à une extension des pratiques d’euthanasie active. C’est bien la preuve que, en encadrant ce droit, il est possible d’éviter les dérives naturelles.
M. le président. L'amendement n° 82 rectifié bis, présenté par Mmes David, Assassi et Beaufils, MM. Billout et Bosino et Mmes Prunaud, Cohen et Gonthier-Maurin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1111-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-… – Lorsqu’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable se trouve de manière définitive dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11.
« Sa personne de confiance en fait la demande à son médecin qui la transmet à un autre praticien. Après avoir consulté l’équipe médicale, les personnes qui assistent quotidiennement l’intéressé et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus et à l’unanimité, un rapport déterminant si elle remplit les conditions pour bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir, la personne de confiance doit confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L’assistance médicalisée pour mourir est alors apportée après l’expiration d’un délai d’au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.
« Le rapport des médecins est versé au dossier médical de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée au présent titre un rapport exposant les conditions dans lesquelles le décès s’est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement tend à ce que tous les patients, même s’ils ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté, puissent accéder à une assistance médicale pour mourir. Bien entendu, il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à d’éventuelles dérives, notamment la proposition d’une assistance médicale pour mourir faute de moyens alloués à un véritable accompagnement en soins palliatifs.
Non seulement le dispositif que nous proposons est équilibré, mais il va également dans le sens de l’évolution de la médecine. Au surplus, il répond à la volonté de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Surtout, il permettrait d’apporter des solutions, face à des drames familiaux dont certains ont été malheureusement jetés sous les feux de l’actualité. Je songe à l’affaire Vincent Humbert ou, plus récemment, à l’affaire Vincent Lambert.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Il est difficile d’aborder ce sujet en faisant abstraction de considérations philosophiques, religieuses, voire politiques. Pourtant, j’ai eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, en particulier en commission, cette proposition de loi n’est pas faite pour ceux qui veulent mourir mais pour ceux qui vont mourir.
La commission a rejeté ces amendements pour deux raisons.
Premièrement, il convient de savoir s’il faut médicaliser la mort, en demandant à un médecin ou à un soignant, dans un cadre législatif, de la donner.
Deuxièmement, ouvrir le droit à l’euthanasie ne reviendrait-il pas à instaurer une solution expéditive, pour occulter la question de la fin de vie ? Mes chers collègues, je vous le rappelle, notre société a une fâcheuse tendance à reléguer tous les problèmes liés à la vieillesse, à la maladie ou à la mort.
Pour ces raisons, la commission a rejeté cette série d’amendements, qui tendent à ouvrir un droit à l’euthanasie. Dans le cadre d’un accompagnement à la fin de vie, que nous aurons l’occasion de présenter plus en détail dans la suite de nos débats, nous avons privilégié la possibilité d’accompagner, par un acte non instantané, la fin de vie, via une sédation continue. Ce choix ménage la sensibilité émotionnelle de la famille et de l’entourage. Il respecte également la volonté, exprimée par le médecin, de ne pas donner la mort.
Cette proposition de loi a pour objet de protéger les patients, les soignants, l’entourage, en particulier, je le répète, sur le plan émotionnel, et la société.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je comprends très bien la démarche poursuivie par les auteurs de ces amendements et la réflexion qui est la leur. Je l’ai dit au cours de la discussion générale, on ne saurait écarter d’un revers de la main la préoccupation ainsi exprimée. Il faut entendre cette demande, que formulent un grand nombre de nos concitoyens et dont divers intervenants viennent de se faire l’écho, sur diverses travées : aller au-delà des dispositions figurant dans le présent texte.
À cet égard, certains ont relevé, pour s’en étonner, que plusieurs membres de l’actuel gouvernement avaient, il y a quelques années, signé des textes allant dans le sens du dispositif proposé via ces amendements. Je tiens à leur répondre en deux points.
Premièrement, on peut être constant dans ses positions et, parallèlement, laisser sa réflexion évoluer.
Deuxièmement, ce soir, comme à d’autres moments, nous n’avons pas poussé suffisamment loin la distinction entre l’euthanasie au sens strict et le suicide assisté. Ces deux démarches ne sauraient être placées sur le même plan. Elles sont très différentes. On peut se retrouver dans l’une sans adhérer à l’autre. Or diverses propositions de loi, rédigées il y a quelques années, ne faisaient pas la différence entre ces deux réalités. À mon sens, il ne va donc pas de soi que l’étape suivante relève indifféremment de l’une ou de l’autre des deux options.
À titre personnel, je vous le dis très simplement, je me retrouve assez bien dans ces amendements.
Mme Corinne Bouchoux. C’est bien de le dire !
Mme Marisol Touraine, ministre. Néanmoins, la question n’est pas là. Si le Président de la République a souhaité que le texte s’en tienne à la sédation profonde et définitive, c’est en réponse à l’interrogation suivante : quel est l’état d’esprit dans notre pays, non pas il y a trois, quatre ou cinq ans, mais aujourd’hui ?
Au terme de ses débats, la conférence citoyenne a abouti à la même conclusion que le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport : on observe, semble-t-il, un consensus dans notre pays pour aller vers le dispositif figurant dans le présent texte. En revanche, les conditions ne semblent pas réunies pour aller plus loin. Le Gouvernement, avec le Président de la République, a donc fait le choix d’aller aussi loin que le permet la société française.
Certains prétendent que cette proposition de loi ne répond pas aux engagements présidentiels, pour autant que ceux-ci les concernent. Je conçois que ces engagements ne lient pas l’ensemble des travées de cet hémicycle, mais ce texte s’y inscrit bien. Il est certes possible de considérer qu’il ne va pas assez loin, mais non de prétendre qu’il n’est pas conforme à la promesse exprimée pendant la campagne.
D’autres à ma place l’auraient peut-être dit autrement, mais je n’ai pas de difficulté à assumer ma position personnelle, que j’ai expliquée à de nombreuses reprises. Celle-ci s’efface toutefois derrière l’appréciation par le Gouvernement des évolutions envisageables, aujourd’hui, dans la société française. Je souhaite donc le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis sera défavorable. (Mmes Dominique Gillot et Michelle Meunier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite corriger certains propos erronés.
Monsieur Godefroy, si la commission des affaires sociales a voté la proposition de loi présentée par votre groupe en 2011, c’est parce qu’il y a eu un accord entre l’opposition et la majorité visant à ce que le texte puisse être débattu en séance publique. Une fois que le débat a eu lieu, la proposition de loi a été rejetée par la majorité de l’époque. Il faut raconter toute l’histoire et pas seulement la partie qui vous arrange.
Monsieur Cadic, vous avez cité des pays européens qui pratiquent l’euthanasie, mais vous avez oublié d’évoquer les bilans qui en sont actuellement tirés. J’ai rappelé dans mon intervention que, en Belgique, en particulier, comme dans un autre pays plus au nord, ces bilans indiquent que la loi, bien que particulièrement stricte, n’est plus respectée et que se produisent dérives et débordements, au point que l’un de ces pays envisage de revenir sur cette autorisation. Attendons les conclusions de ces bilans, analysons la situation, nous déciderons ensuite. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Sur ce sujet, chacun votera en conscience.
J’ai entendu Mme la ministre affirmer que l’opinion publique ne serait pas prête. Or certains sondages montrent qu’une majorité de nos concitoyens serait d’accord avec les propositions portées par ces amendements. Au demeurant, la responsabilité des parlementaires n’est-elle pas d’être parfois en avance ? S’il avait écouté l’opinion publique, François Mitterrand n’aurait jamais obtenu l’abolition de la peine de mort !
Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
M. Alain Néri. Ces amendements visent à offrir la possibilité de choisir une assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans douleur. Choisir, c’est être libre, comme nous le souhaitons tous !
Je vous annonce très tranquillement que je vais voter ces amendements, parce que je souhaite que mes compatriotes jouissent de leur liberté, qui est l’un des fondements de notre République. Parmi ceux qui voteront le texte, certains refuseront peut-être, au moment décisif de la mort, d’en bénéficier. Mais là n’est pas la question : il s’agit d’offrir à nos concitoyens la possibilité de choisir librement. Nous proposons ainsi que la décision soit prise lorsque la personne est parfaitement lucide et capable de se déterminer en conscience. Nous insistons également sur la nécessité de respecter les directives anticipées, lesquelles doivent pouvoir être confirmées par une personne de confiance.
Ces amendements tendent également à garantir l’égalité, notion que chacun répétait à l’envi au début de la séance. Rejeter ces amendements reviendrait donc à aller contre cette nécessité, puisque ceux qui auront les moyens pourront dépenser 10 000 ou 15 000 euros pour aller finir leur vie en Suisse ou ailleurs, alors que les autres en seront réduits à subir.
Le troisième pilier de notre République est la fraternité, l’humanité. Dans ce moment douloureux, il sera ainsi possible d’abréger les souffrances et de faire en sorte de mourir dans la dignité, sinon dans la sérénité, sans doute difficile à atteindre lorsque l’on passe de vie à trépas. Comme il a été indiqué précédemment au sujet de l’hydratation, cette dernière offre un confort qui permet de finir ses jours sans tomber dans la déchéance, qui me semble plus terrible encore que la mort elle-même.
Ce soir, mes chers collègues, j’en appelle à votre réflexion individuelle. Au-delà des opinions des uns et des autres, nous sommes des citoyens, des parlementaires, des élus, nous avons réfléchi longuement à cette question. Je vous engage à voter en conscience, car il nous appartient, à travers le vote du Sénat, de faire un pas vers la modernité et vers la liberté pour chacun de choisir sa mort dans la dignité et dans le respect de ses préférences, consignées dans les directives anticipées. En cet instant important, le Sénat se grandirait en votant ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Roger Madec, pour explication de vote.
M. Roger Madec. Je voterai sans état d’âme l’amendement déposé par mon collègue Jean-Pierre Godefroy ainsi que les amendements du même ordre. J’ai voté en ce sens il y a quatre ans ici même, et je ne vois aucune raison de me déjuger aujourd’hui.
En principe, tout le monde est égal en droit. Les Français sont pourtant inégaux devant la mort, comme l’a rappelé Jean-Pierre Godefroy. Ceux qui sont un peu plus fortunés et qui, souffrant d’une maladie incurable, font le choix de mourir dignement peuvent se rendre en Suisse ou ailleurs. Les plus modestes, que je connais bien pour avoir été longtemps élu d’un arrondissement populaire, n’ont pas cette possibilité, à moins d’avoir des relations, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Par conséquent, le Sénat se glorifierait en adoptant ces amendements de façon sobre et sereine.
Madame la ministre, je vous respecte. Vous avez fait preuve de courage en rappelant votre position personnelle et les éléments qui vous conduisent aujourd’hui à nous demander de voter contre ces amendements. Je ne partage toutefois pas votre point de vue : le législateur ne légifère pas sous la pression de l’opinion publique !
L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque Simone Veil a courageusement porté la loi sur l’IVG ? L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque Robert Badinter a fait voter la loi abolissant la peine de mort ? L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque le général de Gaulle a accordé le droit de vote aux femmes ? L’opinion publique nous était-elle majoritairement favorable lorsque, l’année dernière, nous avons voté le mariage pour tous ? Cet argument ne me semble donc pas recevable.
Le candidat François Hollande a pris un engagement clair. Il nous appartient aujourd’hui de le tenir.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je souhaite expliquer pourquoi je vais voter l’amendement n° 9 rectifié, que j’ai cosigné.
Madame la ministre, je ne partage pas votre analyse de l’état de l’opinion publique française, laquelle me semble consciente que le libre choix doit revenir aux individus, dans le cadre de la loi. Les consciences ont beaucoup progressé sur ce sujet, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les expériences étrangères y ont contribué. Certes, comme toujours, des dérapages se sont produits ici ou là. Notre système actuel en est-il vraiment exempt ? La sédation n’en connaîtra-t-elle pas ? Les lois humaines ont toujours, hélas ! emporté des conséquences non souhaitées. Il faut continuellement améliorer les dispositifs afin que les dérapages se raréfient plutôt qu’ils ne se généralisent. Rien de cela ne disqualifie ces expériences.
Ensuite, l’espérance de vie ayant augmenté, les Français sont de plus en plus confrontés à des proches en fin de vie qui souffrent. Sans moyens financiers, sans quelqu’un de compréhensif, nos compatriotes se retrouvent dans une situation personnelle difficile à gérer.
Les consciences ont évolué dans notre société, en même temps que les libertés. Nous luttons continuellement pour gagner notre liberté face aux aléas de l’existence et face à la mort, l’aléa ultime.
Les propos de nos collègues Néri et Madec rappelant le courage qu’il a fallu pour voter contre la peine de mort sont doublement significatifs. J’ai toujours été frappée par les discours de ceux qui considèrent, au nom du caractère sacré de la vie – au sens laïque –, qu’il ne faut jamais donner la mort et qui n’ont pourtant pas beaucoup d’états d’âme quand il s’agit de condamner à mort des individus au nom de la justice des hommes. À mes yeux, les individus sont libres de leur mort, de la même manière que nous essayons de les rendre libres dans leur vie.
Je pense qu’il est courageux, vis-à-vis de l’opinion, d’ouvrir de temps en temps des champs nouveaux. Et pourquoi fais-je cette comparaison avec d’autres lois ? On doit en effet toujours se poser la question suivante : la liberté individuelle donnée à quelqu’un est-elle de nature à nuire à l’intérêt général ? Notre rôle de législateur est de trouver un équilibre propice à l’intérêt général. Mais quelle est la personne qui va voir ses droits ou ses libertés réduits par le fait de donner à chacun le libre choix de pouvoir, de manière encadrée, organiser la fin de sa vie ? Comme on ne fait reculer en rien les droits des autres, l’intérêt général n’est pas affecté par l’accroissement de la liberté individuelle qui est proposé dans cet amendement.
Je ne vois donc aucun argument qui s’y oppose, sauf à penser qu’une transcendance, qui ne serait pas humaine, définit ce qu’est la vie. Or ceux-là même qui ont cette croyance reconnaissent qu’il y a toujours un équilibre entre la conscience de la personne et ces transcendances que certains peuvent juger réelles et que leurs convictions religieuses peuvent considérer comme importantes.
Pour ma part, je ne vois pas au nom de quoi la société, dont l’intérêt général doit être défendu au regard de l’état actuel de l’opinion et du progrès permanent des libertés qui doivent être données à chacun, devrait s’opposer à l’amendement que nous avons présenté ; je pense que son adoption serait un grand progrès pour notre République.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, vous vous êtes montrée très courageuse en nous laissant entendre que vous n’êtes pas en désaccord avec la série d’amendements que nous défendons, mais que, compte tenu de votre poste ministériel et de l’analyse politique extrêmement subtile réalisée par le pouvoir exécutif, il ne serait pas possible dans l’état actuel de l’opinion de voter ces amendements sans provoquer un séisme.
Mes chers collègues, je comprends très bien les réticences que certains d’entre vous peuvent avoir pour des raisons philosophiques, religieuses ou personnelles sur les amendements que nous avons déposés. Je regrette que nous n’ayons pas ce soir parmi nous des orateurs qui aient l’éloquence d’un Robert Badinter ou la force de persuasion d’une Simone Veil pour parvenir à tous vous convaincre que la liberté que nous réclamons pour quelques-uns n’enlève rien aux droits de tous les autres.
La position que vous avez défendue, madame la ministre, est éminemment respectable. Pour autant, nous restons extrêmement attachés à ces amendements et nous pensons que l’avenir nous donnera raison. Élue d’un département plutôt traditionnel et catholique, issue d’un milieu lui aussi plutôt catholique, je peux vous assurer que la réalité de la France n’est pas celle que vous avez décrite ce soir : 95 % de nos concitoyens sont d’accord avec les amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Roger Madec et Olivier Cadic applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, je voudrais vous remercier et vous féliciter, car nous n’avons pas toujours bénéficié d’un dialogue aussi direct, aussi compréhensif, ni même aussi sincère.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, il faut faire très attention aux mots que l’on emploie : la loi belge est appliquée depuis suffisamment longtemps pour qu’on puisse en faire le bilan ; elle fonctionne bien, à telle enseigne que la Belgique vient de l’étendre aux mineurs.
Je me rappelle que le Comité consultatif national d’éthique avait reçu une lettre assez désagréable quand il avait mis en cause les résultats de cette loi. Des médecins belges de confession catholique avaient écrit que, malgré leurs réticences initiales, ils continueraient à pratiquer l’euthanasie. Fidèles à leurs croyances, ils considéraient qu’ils apportaient ainsi une aide, et ils ne voulaient pas revenir en arrière. Un médecin belge a d’ailleurs publié un livre qui illustre parfaitement ce que je viens de dire.
Par ailleurs, le nombre d’euthanasies n’a pas augmenté en Belgique par rapport à ce qui se faisait auparavant dans la clandestinité ; aucun recours n’a été déposé, depuis que la loi existe, devant le procureur du Roi. La loi belge ne doit donc pas être si mauvaise… D’ailleurs, des lois similaires existent dans d’autres pays.
Nous devons garder à l’esprit que l’opinion publique est loin d’être hostile à cette disposition. Les sondages successifs le montrent. Je vous invite à assister aux réunions tenues par l'association pour le droit de mourir dans la dignité, vous verrez le nombre de personnes qui y participent. Si je puis me permettre ce trait d’humour, certains partis politiques aimeraient avoir autant de monde à leurs réunions…
Pour en revenir au fond du problème, notre amendement, comme il a été rappelé, ne supprime aucun droit et n’ajoute aucune obligation ; il vise simplement à offrir une liberté, celle de mettre fin à son existence dans des conditions bien précises et encadrées.
Vous avez tous en tête, mes chers collègues, des cas très douloureux, tels ceux que j’ai évoqués dans la discussion générale : des personnes âgées qui supplient leur conjoint de mettre fin à leurs souffrances. La seule solution pour le juge est de faire preuve de compréhension et de ne pas appliquer la loi. Dans ma région, il y a encore peu de temps, un monsieur de quatre-vingt-cinq ans s’est retrouvé devant le tribunal parce que son épouse l’avait supplié de mettre fin à ses jours. Nous devons prendre en compte ces drames et permettre que la loi encadre ces pratiques.
Nous en reparlerons certainement en abordant l’examen de l’article 3, mais quand votre médecin vous informe que votre pronostic vital est engagé dans les deux à trois mois qui viennent et que, de toute façon, vous finirez vos jours à l’hôpital parce que des soins de confort seront nécessaires, vous savez que la fin approche inéluctablement et qu’elle sera précédée, peut-être, d’une sédation terminale profonde. Dès lors, pourquoi ne pas accepter que vous puissiez anticiper ce dénouement final en disant : « Je préfère arrêter maintenant, ne pas en passer par là, pour moi-même et pour ma famille ; je souhaite partir les yeux ouverts et accomplir ainsi ce passage. » Le passage, comme l’on dit lors de certaines obsèques religieuses, cela peut être de dire au revoir de son vivant, tirer un bilan de sa vie avec sa famille et ses proches, avec ceux qu’on aime. Pourquoi le refuser à ceux qui le souhaitent ?
Nous nous grandirions et nous ferions un grand pas pour notre démocratie et pour la République si nous ouvrions ce droit. Il s’agit d’une possibilité qui ne s’imposera à personne, qui sera encadrée et qui, à mon avis, constituera une mesure législative aussi forte que l’abolition de la peine de mort, la loi relative à l’IVG ou le droit de vote pour les femmes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Ce débat fait appelle à la conscience de chacun d’entre nous et il est lourd de conséquences.
J’ai beaucoup de respect pour le but visé par mon ami Cadic dans son amendement et pour les arguments de mon ami Néri, avec qui j’ai parcouru toute l’Asie. J’ai également écouté avec attention, comme je le fais souvent, les intéressants propos de Mme Lienemann, celui exprimé par M. Godefroy et d’autres encore. Je peux donc dire que je suis en complet désaccord sur le fond : je ne considère pas être libre de faire ce que je veux de ma vie. Certains de nos collègues ne partagent sans doute pas cet avis personnel, mais beaucoup d’autres Français le partagent peut-être. Pour ma part, j’appartiens à une génération, celle de 1968, qui a été très marquée par le marxisme et qui considère que l’histoire voit le progrès du modernisme. Or je crois qu’il y a aussi des régressions dans l’histoire.
Je voudrais surtout insister sur un autre point. En 1981, quand j’étais encore un jeune militant giscardien – à chacun ses défauts (Sourires.) –, j’ai voté contre François Mitterrand. Je militais alors avec Bernard Stasi. J’ai néanmoins apprécié son courage lorsqu’il s’est déclaré contre la peine de mort, car il allait à contre-courant de 80 % de l’opinion publique. Robert Badinter a ensuite porté le texte de loi devant le Parlement.
Dans le même ordre d’idée, il fut difficile pour le parti démocrate-chrétien auquel j’appartenais de défendre l’IVG, dont je reconnais à présent qu’il s’agissait d’une avancée.
Ces deux débats ont été importants. Il faut pourtant remarquer que, quoiqu’ils aient duré plusieurs nuits, ils n’ont pas été conclus à une heure du matin, devant les quelques parlementaires qui restaient alors en séance ; au contraire, tout le monde était présent, par deux fois, pour faire un choix personnel. Lors du vote de l’abolition de la peine de mort, des parlementaires de gauche, de droite et du centre ont voté pour : le vote sur ce sujet de fond, comme sur l’IVG, était personnel. Or, ce soir, pour un débat qui est tout de même aussi important que ceux relatifs à la peine de mort ou à l’IVG, nous ne sommes que quelques-uns, quoique nombreux encore compte tenu de l’heure tardive ; si un scrutin public devait avoir lieu, nous ignorons complètement comment nos amis absents de l’hémicycle auraient voté.
Voilà ce qui me choque, non pas que le débat soit engagé, non pas les arguments de mes amis Cadic et Néri, mais le fait que, sur une question aussi forte, nous ne serons que quelques-uns à devoir trancher pour le reste du pays. Je regrette franchement que nous ne puissions avoir ce débat en présence des 348 sénateurs, afin que chacun d’entre eux puisse savoir ce qu’il vote en toute connaissance de cause.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Comme l’heure avance, je serai très bref. Deux termes permettent de transcender ce débat : « droit » et « obligation ».
Au fil de nos débats de ce soir et durant leur long travail préparatoire, nos collègues signataires de ces amendements n’ont jamais voulu instaurer une obligation, mais bien plutôt prendre en compte un concept majeur de notre société : le droit. C’est finalement au regard de ce droit que je me suis engagé derrière mon ami Jean-Pierre Godefroy et tous les cosignataires de l’amendement n° 9 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Je serai extrêmement bref, tant il est vrai que chacun a ses certitudes et ses convictions. En revanche, je suis persuadé que ceux qui voteront ce soir le feront en toute conscience et non pour des raisons électoralistes, comme cela a pu parfois être évoqué. Je voudrais cependant rappeler deux choses.
Tout d’abord, un argument bat en brèche, peut-être, certaines statistiques. On dit que 85 %, voire 95 % des Français seraient en faveur de l’euthanasie. Or une ambivalence existe par rapport à la mort. Ainsi, la plupart des personnes qui ont fait l’objet de sondage sont en bonne santé. Mais lorsque le terme approche, les opinions changent. Nous le constaterons encore quand nous discuterons demain des directives anticipées : du fait de ce changement, il en existe deux types.
Les praticiens qui mettent en œuvre les soins palliatifs ou, du moins, accompagnent leurs patients jusqu’à la fin de leur vie, observent que très rares sont ces derniers qui ont demandé avec une certaine force, en faisant abstraction de toute considération philosophique, un acte d’euthanasie ou un suicide assisté.
Par ailleurs, Mme la ministre a fait une distinction entre euthanasie et suicide assisté. Corinne Bouchoux a regretté que M. Badinter, avec son éloquence bien connue, ne soit plus dans cet hémicycle pour parler de cette question. Là n’est pas le sujet, mais, au demeurant, je ne suis pas certain qu’il soit favorable à l’euthanasie. En tout état de cause, concernant le suicide assisté, je l’ai entendu opposer les droits-libertés aux droits-créances.
Le suicide n’est plus un délit ; c’est un droit. Certes, me direz-vous, le suicide assisté, le suicide médicalisé éviterait une certaine violence dans le geste. Cela reste à voir. Si la violence n’est pas physique, elle reste, en tout cas, au moins symbolique.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Comme l’a indiqué Georges Labazée, l’heure avance… Aussi, je serai brève.
Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, que, par la proposition qu’il formule, le groupe CRC souhaite encadrer un droit. Nous ne voulons pas imposer ce droit à tous. D’ailleurs, je ne suis pas certaine que les membres de mon groupe ainsi que les signataires de ces amendements appliqueraient ce droit. Moi-même, je ne suis pas sûre de prendre une telle décision. Mais ce droit doit exister pour celles et ceux qui veulent aller jusqu’au bout.
Selon M. le rapporteur, plus on approche du terme de sa vie, moins on a envie de passer à l’acte. Peut-être ! Vous portez ce jugement en tant que médecin, mon cher collègue. Vous vous autorisez, si je puis dire – ce n’est pas une critique ! –, à tenir ces propos au vu de votre expérience ; vous parlez en connaissance de cause, car vous avez eu affaire à certains cas. Il n’empêche que ce droit doit être donné à tous ; chacun est libre ensuite d’y recourir ou non. En avançant dans l’âge, on peut choisir de se rétracter, de revenir sur les directives anticipées qu’on avait prises, pour vivre sa vie jusqu’au dernier moment, même dans la souffrance, alors qu’on estimait, plus jeune, que cette situation était indigne. Il n’en demeure pas moins qu’il faut instaurer ce droit pour tous.
Je partage le sentiment de M. Pozzo di Borgo, qui regrette que ce débat ait lieu à une heure et demie du matin, dans un hémicycle clairsemé. Je déplore moi aussi que nous ne soyons pas plus nombreux pour débattre de cette question qui nous concerne tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons et que nous ayons des croyances ou pas. Nous serons tous, à un moment ou à un autre, confrontés à la fin de vie. Je souhaite que chacun d’entre nous ne soit pas obligé de recourir à ce droit et puisse mourir paisiblement, après avoir vécu une vie bien remplie.
Quoi qu’il en soit, même si nous ne sommes pas nombreux dans l’hémicycle, les membres du groupe CRC ont, pour leur part, pris la précaution de débattre de cette question au cours de plusieurs réunions, car nous savons que ce sujet est délicat et sensible, comme cela a été rappelé. Aussi, chacun doit pouvoir voter en conscience.
Tous les membres du groupe CRC ne sont pas signataires des amendements nos 81 rectifié bis et 82 rectifié bis ; je sais pertinemment qui y est favorable et qui ne l’est pas. Mais nous avons débattu de ce sujet, et c’est ce qui importe. Le débat a lieu maintenant ici, dans cet hémicycle, et dans la société, lors de rencontres publiques. Il suffit de discuter avec nos concitoyens pour prendre conscience du fait que la grande majorité d’entre eux ont acquis la certitude que ce droit doit être instauré, non pas pour créer une obligation, mais pour l’établir. Ils ont franchi ce pas. À nous de le franchir également ! En tant que législateurs, nous avons cette responsabilité.
Sincèrement, nous ne pouvons pas refuser cette avancée pour l’ensemble de la société, telle que nous la concevons les uns et les autres, au motif que le pas serait trop grand. Les valeurs d’humanité et de solidarité sont, me semble-t-il, ancrées en nous, quelles que soient nos positions. Si nous nous sommes engagés dans la vie publique et politique pour les autres, c’est pour défendre des idées fortes. Allons donc au bout de cet engagement, en instaurant ce droit ! Chacun l’utilisera comme bon lui semble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je ne sais pas si de nos débats tardifs sortira la vérité…
Même si je partage l’intérêt de cette question et nombre d’arguments avancés, je tiens à rappeler – cela a été souligné lors de la discussion générale – que le présent texte concerne non pas ceux qui voudraient mourir, mais ceux qui vont mourir. Sur un sujet éminemment grave et ô combien essentiel, faut-il, à une heure et demie du matin, répondre à la question de savoir – c’est une vraie question, que je respecte – si l’on peut satisfaire à la liberté de chacun de vouloir mourir ?
Certes, nous pourrions être plus nombreux pour en débattre, mais ce n’est pas la question qui est posée ce soir. Il s’agit d’un véritable débat de société, un sujet personnel, qui nous engage bien au-delà de nos convictions. Aussi, ce serait plus que dommage, je dirai même que ce serait grave de traiter cette question, eu égard à l’importance qu’elle revêt pour la société, au détour de l’examen d’une proposition de loi qui a le grand mérite d’apaiser la mort de ceux qui vont mourir et de ne pas avoir pour ambition d’aborder la question essentielle qui est soulevée.
Je le répète, je partage les questionnements, mais je ne comprendrai pas que nous nous prononcions à une heure et demie du matin en faveur de l’euthanasie ou du suicide assisté dans des conditions que nous n’aurions même pas définies. On ne saurait prendre cette décision en cinq minutes à cette heure tardive… ou matinale !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Même si je n’ai pas cosigné l’amendement de Jean-Pierre Godefroy, je suis bouleversée par ce débat, qui a toute sa légitimité. À cet égard, je remercie très sincèrement Mme la ministre de ses propos.
Les revendications exprimées par les uns et les autres, à savoir la liberté de disposer de sa vie et de sa mort, sont parfaitement légitimes. Mais n’oublions pas – ce point n’a pas été soulevé, alors que c’est l’un des nœuds de la question ! – qu’il faut un tiers pour disposer de sa mort. Disposer de sa vie et de sa mort est effectivement un droit absolu si l’on peut exercer ce droit soi-même. Mais on sait très bien qu’on l’exerce grâce à un tiers.
Bon nombre de médecins ici présents ont répondu à cette demande dans l’intimité du colloque singulier qui unit deux êtres humains face à l’impuissance médicale et à l’impuissance du patient en fin de vie.
J’estime qu’il faut poursuivre le débat et le faire évoluer, comme l’a souligné M. le rapporteur.
C’est un acte que j’ai effectué, même s’il ne fut pas fréquent. Il ne faut pas le nier, cela se produit. Toutefois, comme l’a relevé M. le rapporteur, la situation est très différente selon que l’on est en bonne santé ou pas : dans le premier cas de figure, chacun veut mourir dans la dignité, mais il peut en être autrement dans les derniers instants précédant la mort.
Pour ma part, je n’arrive pas aujourd'hui – c’est peut-être un constat négatif – à m’imaginer inscrire dans une loi un droit à donner activement la mort. C’est aussi un constat d’impuissance, car, je le reconnais, la situation actuelle crée une inégalité entre celles et ceux qui rencontrent le médecin susceptible de pratiquer l’acte et les autres.
Sans vouloir m’appesantir sur ce point, je tiens également à souligner – on ne le dit pas ! – qu’il existe malheureusement, on le sait, des euthanasies qui ne sont pas voulues ni souhaitées. Une loi pourrait donc protéger à cet égard.
Par ailleurs, même si le médecin qui pratique cet acte ne fait que suivre des directives anticipées et a pris toutes les précautions nécessaires, il pourra être renvoyé devant les assises par la famille du défunt et condamné au motif d’avoir donné la mort de façon illégale. C’est un constat. Une loi pourrait aussi protéger sur ce point. C’est pourquoi je ne ferme pas du tout la porte au débat.
Cependant, je tiens à vous répéter, à vous, chers collègues qui avez parlé de l’exigence de liberté de disposer de sa vie et de sa mort, que, en l’espèce, il faut avoir recours à un tiers. C’est sur ce point qu’il faut faire évoluer le débat. Il est difficile de parler de ce sujet, non pas à cause de l’horaire tardif, mais parce qu’il n’a pas été totalement débattu sur la place publique. Nous n’avons pas encore traité le fond de la question, qui mérite d’être approfondie. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Nous avons cette discussion depuis longtemps au Sénat, en commission. Peut-être que nos débats auraient dû être organisés différemment par la présidence, mais nous avons accepté de prolonger nos travaux jusqu’à une heure du matin. On ne peut donc pas arguer du fait qu’il est une heure et demie pour ne pas examiner ces amendements.
Ces derniers posent la question de savoir si l’on aide une personne atteinte d’une maladie incurable à mourir ou si on la laisse mourir par manque de soins – voilà où se situe le débat – et ne sont pas à des années-lumière de la proposition de loi.
Ce texte n’assume pas clairement son objet : certaines personnes, au moyen de directives anticipées, souhaitent être aidées à mourir dignement ou sereinement – peu importe la formule !
Par ces amendements, nous voulons donner la possibilité à celles et ceux qui sont atteints d’une maladie incurable, qui souffrent et qui le veulent d’avoir une assistance à mourir. Donnons-leur cette liberté ! Que le Parlement permette, ce soir, à celles et ceux qui le souhaitent d’user de ce droit ! On ne force personne.
Peu importe l’heure, tel est le débat qui nous occupe, et dont nous sommes tous conscients de l’importance. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Alain Néri applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je rejoins les propos de M. le rapporteur et de Mme Génisson. Au cours de ma carrière, j’ai rencontré nombre de personnes qui voulaient mourir, puis qui ont changé d’avis lorsqu’elles ont été atteintes d’un cancer et se sont même battues pour vivre.
L’un d’entre vous, mes chers collègues, a affirmé qu’on laissait souffrir des personnes. Mais les médecins font leur travail ! Aujourd’hui, nous disposons de médicaments qui peuvent soulager les souffrances des patients. Lorsque certaines maladies s’aggravent ou s’étendent, il est alors nécessaire de mettre en place des soins palliatifs – c’était l’une des dispositions de la loi Leonetti et de l’article L. 1110-10 du code de la santé publique – et d’augmenter les traitements thérapeutiques qui peuvent parfois entraîner des effets secondaires.
Nous proposons, en ce qui nous concerne, que la mise en œuvre de la sédation, qui intervient au moment où le pronostic vital est engagé à très court terme, soit très encadrée. Il ne faut cependant pas oublier que cette pratique permet de continuer à soulager les malades et que, dans la très grande majorité des cas, nous parvenons à apaiser leurs souffrances.
Il est certes possible d’affirmer que l’assistance médicalisée pour mourir constitue un droit, une mesure de solidarité et une avancée. Cependant, je souhaite rappeler que le médecin est avant tout là pour aider les malades à vivre. Par conséquent, voter une proposition de loi telle que celle-ci ne me convient pas ! Notre société n’est pas encore prête à accepter une telle démarche. Si nous devons évidemment nous efforcer au maximum de soulager les malades et de les réconforter, nous ne devons pas, en revanche, aboutir à des actes d’euthanasie.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Tout d’abord, je veux vous apporter une réponse, monsieur le rapporteur. Dire que vous protégez la société en étant défavorable à ces amendements, c’est un peu fort ! Nous ne portons pas du tout atteinte à la société en l’espèce.
Ensuite, madame Génisson, faire appel à un tiers permet d’éviter la violence du suicide. Certaines personnes souhaitent mourir en conscience et éprouvent le besoin d’être accompagnées. Nous cherchons non pas à leur donner la mort, mais à les aider à partir sereinement, ce qui ne serait pas possible si on ne leur laissait d’autre choix que la violence du suicide.
Pour répondre aux propos qui ont été tenus sur l’horaire tardif auquel nous débattons de ce sujet, je souhaite vous rappeler, mes chers collègues, que, en ce moment même, à une heure quarante-cinq du matin, des patients sont étendus sur leur lit d’hôpital, et que certains d’entre eux vont expirer. Or ces malades seront seuls cette nuit, eux ! Ils ne se posent donc pas la question de l’heure qu’il est. En revanche, s’ils avaient pu choisir le moment de leur mort, ils auraient pu être accompagnés par une personne qui leur aurait tenu la main à ce moment-là, plutôt que de rester seuls, comme c’est le cas actuellement.
Mme Catherine Génisson. Mais non, il y a les aides-soignants !
M. Olivier Cadic. Je ne crois pas que ce soit le moment de se plaindre de l’heure tardive. Pour ma part, c’est à ces patients que je pense à cet instant…
Mme Catherine Génisson. Mais c’est démagogique d’affirmer qu’ils sont seuls alors que le personnel soignant est présent !
M. Olivier Cadic. Enfin, voilà peu de temps, une patiente que j’ai rencontrée et qui voulait se rendre en Suisse afin d’y mourir ne m’a parlé que d’amour, que de partir entourée de l’amour des siens, à un moment déterminé et choisi. C’est ce que je souhaite retenir ! En effet, je préfère penser à ces malades qui veulent simplement partir tranquillement, entourés des leurs, plutôt que d’écouter certaines remarques parfois empreintes d’un peu d’arrogance, et d’avoir l’impression d’avoir affaire à des personnes qui savent tout sur tout. J’aurais aimé davantage de compassion et de tolérance. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Je serai bref. Si l’heure n’est pas un problème, je me dois tout de même de réfuter un certain nombre d’arguments qui ont été exposés lors des nombreuses interventions en faveur de ce texte.
Tout d’abord, il faut savoir que les résultats d’un sondage dépendent essentiellement de la façon dont la question est posée. Ainsi, mes chers collègues, si l’on vous demandait si vous souhaiteriez mourir au fond de votre lit dans d’atroces souffrances et sans secours, vous répondriez que vous préféreriez être exécutés !
Privilège de l’âge, j’ai soutenu Mme Simone Veil en 1979, en tant que jeune député, afin de faire adopter définitivement la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. Je vous l’assure, à cette époque, appartenir à la majorité ne rendait pas très facile le soutien à la ministre sur ce dossier. J’ai ainsi été menacé, entre autres, d’excommunication. Néanmoins, j’ai soutenu ce texte parce que j’avais vu de mes propres yeux pendant mes études de médecine le calvaire que vivaient un certain nombre de femmes qui mouraient du tétanos à la suite d’avortements clandestins – ces avortements ont été à l’origine de centaines de décès dans des conditions atroces.
Aujourd’hui, je suis défavorable à la présente proposition de loi et répéterai ce que j’ai dit lors de mon intervention initiale en me référant aux écrits d’un homme qui a beaucoup réfléchi sur cette question, Axel Kahn : « Lorsque la loi de notre République maintient qu’il est interdit de tuer, il n’apparaît pas satisfaisant qu’elle prévoie les conditions dans lesquelles ce principe – excellent – peut être battu en brèche en toute légalité ». Cette réflexion est fondamentale : dans la loi de notre République, après que la peine de mort a été abolie, il n’est pas souhaitable de rétablir une autre forme de peine de mort ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Ce n’est pas une peine !
M. Gilbert Barbier. Si, il s’agit d’une peine de mort qui sera imposée !
Par ailleurs, je reviens sur le fait, madame Génisson, que chacun dispose de sa liberté, mais qu’un tiers est obligatoire. À qui va-t-on s’adresser pour jouer le rôle de tierce personne ? Le demandera-t-on à certains médecins qui risquent d’être accusés d’être favorables au suicide assisté ou à l’euthanasie – peu importent les mots ?
Il s’agit d’un problème grave à trancher. J’admire le courage de Mme la ministre, car elle n’a d’autre choix que de faire respecter l’un des engagements du Président de la République sur ce point. Personnellement, je considère qu’il s’agit plutôt d’un problème de société. Toutefois, on peut faire dire ce que l’on veut à la société française au travers des sondages, quels qu’ils soient.
Au fond – même si certains diront que ce sont toujours les médecins qui s’expriment et font part de leur expérience –, on trouvera toujours des personnes qui, vivant une période euphorique de jeunesse, souhaiteront une assistance pour mourir dans un cas extrême. En revanche, le problème se posera d’une façon tout à fait différente au moment décisif de la maladie puis de la mort. De ce point de vue, je rejoins M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Je répondrai très brièvement sur la nécessaire protection de la société. En effet, monsieur Cadic il faut protéger notre société, car l’euthanasie qui, dans un premier temps, s’appliquera à la marge à des cas extrêmement rares et précis, finira par s’élargir. Les marges ont vocation à se déplacer et aboutiront fatalement à la banalisation de l’euthanasie pour des gens dont les souffrances sont de moins en moins importantes. Cet argument a été largement développé, y compris par des personnes tout à fait modérées sur ce sujet.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :
Nombre de votants | 233 |
Nombre de suffrages exprimés | 231 |
Pour l’adoption | 75 |
Contre | 156 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 33 rectifié ter.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 39 amendements au cours de la soirée ; il en reste 94.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
18
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 17 juin 2015, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 348, 2014-2015) ;
Rapport de MM. Michel Amiel et Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 467, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 468, 2014-2015) ;
Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 506, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 17 juin 2015, à deux heures.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART