M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera le présent projet de loi, tel qu’il est issu de nos débats. En effet, l’examen du texte au Sénat a permis, d’une part, de corriger certains excès et, d’autre part, d’introduire des dispositions plus ambitieuses.

Les excès venaient surtout de l’adoption de mesures qui représentaient de nouvelles contraintes pour les entreprises, là où le Gouvernement souhaitait rationaliser et simplifier. Ces mesures ont été dénoncées par Mme la rapporteur, qui s’est attachée à retrouver un équilibre entre les droits des salariés et les exigences économiques des entreprises.

On peut ainsi citer, parmi les mesures retoquées en commission, les administrateurs salariés imposés dans les conseils d’administration de plus de mille salariés, au lieu de cinq mille actuellement ; la présence d’au moins deux salariés dans tous les conseils d’administration, en totale contradiction avec l’accord national interprofessionnel pour la compétitivité et la sécurisation de l’emploi ; la présence des suppléants aux réunions des institutions représentatives du personnel, les IRP ; le caractère obligatoire des vingt heures de formation des représentants du personnel, ou encore les dispositions – d’ailleurs tout à fait inadaptées – adoptées à l’Assemblée nationale pour assurer la parité, avec notamment l’alternance obligatoire entre une femme et un homme sur les listes électorales.

Si je ne veux pas dresser un inventaire à la Prévert, je tiens à souligner que la commission avait également supprimé les pouvoirs de médiation et d’intrusion dans le fonctionnement des petites entreprises accordés par les députés aux commissions paritaires régionales de feu l’article 1er.

Notre groupe se félicite de la suppression de la création de ces commissions, une des mesures principales du projet de loi, introduite sans prendre en considération la volonté des employeurs ou des salariés.

Le coût engendré par ce dispositif pour les entreprises concernées, qui devraient accorder cinq heures de délégation par mois, rémunérées sur le temps de travail, n’est pas négligeable, et pour un résultat incertain. Quelle aide pourront réellement apporter les dix représentants des salariés et les dix représentants des employeurs à l’échelle d’une région, que dis-je, d’une grande région ? Leur intervention est-elle nécessaire, alors que la proximité entre l’employeur d’une petite structure et ses salariés permet déjà des échanges directs ?

Lors de la négociation nationale interprofessionnelle menée entre octobre 2014 et janvier 2015, la représentation des salariés des TPE a été un point d’achoppement majeur. Depuis, le dispositif du projet de loi a suscité l’inquiétude de nombre de nos interlocuteurs. Cela n’a pas empêché la majorité de l’Assemblée nationale de durcir les modalités de fonctionnement de ces commissions.

Il est évident que leur création est la porte ouverte à tous les excès, qui pourront venir, comme aujourd’hui d’ailleurs, du législateur lui-même. Dans ces conditions, nous ne pouvions approuver le maintien de ces structures dans le projet de loi.

D’une manière plus générale, on peut regretter que l’examen par l’Assemblée nationale ait encore accentué les contradictions inhérentes à ce texte. Pourquoi toutes ces mesures contraignantes pour les entreprises alors que, dans le même temps, le Gouvernement reconnaît les difficultés qu’elles rencontrent, en doublant par exemple la possibilité de renouveler le CDD, ou en supprimant le CV anonyme ? Comment les entreprises peuvent-elles retrouver le chemin de la confiance, face à ces signaux contradictoires ?

De plus, le Gouvernement a offert des gages à sa majorité chancelante, sans prendre en considération leur impact économique, avec notamment la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle – disposition qui a heureusement été supprimée au Sénat –, l’augmentation récurrente des contrats aidés pour les seniors – réponse insatisfaisante au chômage de ces publics – ou encore l’élargissement de la prime d’activité aux étudiants et aux apprentis, limitée par la rapporteur aux apprentis sans diplôme. Tout cela, sans aucune étude préalable et sans même pouvoir donner le nombre de personnes concernées !

Enfin, nous attendons encore le résultat des promesses faites par le Gouvernement.

La question des seuils, notamment, était primordiale. Le Président de la République n’avait-il pas parlé de « la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuils » ? Quelques mois plus tard, le Gouvernement évacue rapidement cette question en ne traitant, dans le présent projet de loi, que des points secondaires : le relèvement des seuils pour passer d’une réunion du comité d’entreprise tous les deux mois à une réunion par mois et pour mettre en place plusieurs commissions au sein du comité d’entreprise. Rien de bien révolutionnaire ! Nous pouvons cependant nous féliciter d’avoir voté un dispositif de lissage des seuils adapté à la réalité des entreprises.

Nous reprendrons donc nos propositions sur ce sujet essentiel pour les entreprises cette semaine, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Depuis l’examen du texte en première lecture, les chiffres du chômage ont enregistré une nouvelle hausse. Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire sans aucune activité, vient d’augmenter de 0,5 % pour le mois de mai en France métropolitaine.

Il faut agir, enclencher des réformes de fond. Le présent projet de loi, s’il ne révolutionne ni le dialogue social ni le droit du travail, a été modifié par la Haute Assemblée pour aller vers davantage de simplification et de souplesse pour nos entreprises. Nous ne pouvons que déplorer, encore une fois, son aspect fourre-tout : ses dispositions concernent aussi bien le « 1 % logement » et les biens de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, que les agents de sécurité, et j’en passe.

Aussi souhaitons-nous qu’en commission mixte paritaire, ce soir, chacun prenne ses responsabilités, afin que le présent projet de loi apporte une réelle valeur ajoutée à la vie de nos entreprises. C’est dans cet esprit constructif que notre groupe le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, avant d’en venir au fond, je tiens à saluer le travail que vous avez accompli. Tout au long de l’élaboration du texte, vous avez eu à cœur de maintenir l’équilibre entre les positions des représentants des salariés et des employeurs et celles qui étaient défendues par la Haute Assemblée.

Toutefois, notre commission des affaires sociales a modifié certaines mesures essentielles du texte, bouleversant ainsi l’équilibre auquel vous étiez attaché.

Je pense, par exemple, à l’article 1er. La majorité du Sénat a retiré son caractère obligatoire à la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles, instances souhaitées par le Gouvernement pour représenter les salariés et les employeurs des très petites entreprises.

Une telle création répond à une exigence forte en matière de représentativité et de dialogue social. Cela constitue une avancée non seulement pour les salariés des TPE, qui n’étaient pas représentés jusqu’à présent, mais aussi pour les entreprises elles-mêmes. Au sein du groupe socialiste et républicain du Sénat, nous soutenions ce progrès.

Or les amendements adoptés aboutissent à un véritable recul. Les commissions paritaires régionales interprofessionnelles seront mises en place non plus par la loi, mais au terme de négociations.

Dans ce contexte, le groupe socialiste et républicain ne peut que s’abstenir sur ce texte, qui trahit son objectif initial et réduit la portée du dialogue social dès le premier article !

Je regrette que la majorité du Sénat ait une vision négative du dialogue social, alors que celui-ci permet au contraire d’anticiper les conflits et de régler les problèmes avant qu’ils ne dégénèrent.

Pour preuve, à la suite de l’adoption de la loi de 2013, les plans sociaux présentant un caractère conflictuel sont passés de 30 % à 8 %. Le dialogue social est un levier d’efficacité. C’est ce qu’ont reconnu les branches de l’artisanat, dans un accord du 12 décembre 2001. C’est aussi ce qui ressort de sa mise en œuvre dans l’agriculture ou dans les professions libérales.

Le dialogue social n’est pas un frein à la compétitivité. Et simplification ne signifie pas régression des droits des salariés ! Comme je l’ai déjà évoqué, chez nos voisins européens – je pense à l’Allemagne ou aux pays d’Europe du Nord –, le dialogue social et la participation des salariés aux instances de décision sont perçus par les employeurs comme une plus-value, et non comme une contrainte. La majorité sénatoriale devrait s’efforcer de faire preuve de modernité sur une telle question. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ce nouvel élan porté par le Gouvernement s’inscrit dans le droit fil des objectifs que s’est fixés la Commission européenne, elle qui a récemment annoncé souhaiter donner une nouvelle impulsion aux relations avec les partenaires sociaux.

Dans les domaines du droit du travail et de la négociation collective, les initiatives prises par la majorité du Sénat dénaturent complètement le texte. Par exemple, le regroupement des institutions représentatives du personnel pourra se faire dès le seuil de cinquante salariés, au lieu de trois cents. Pourtant, le seuil de trois cents salariés, que le Gouvernement avait retenu, permettait un distinguo entre les petites et les moyennes entreprises au regard de la représentation.

De plus, la suppression du monopole syndical de désignation des candidats au premier tour montre un véritable recul, alors que l’objectif de ce texte est de revaloriser l’engagement syndical en suscitant des vocations.

La limitation du recours aux experts par le comité d’entreprise est un autre recul.

Le report de la mise en place complète du compte pénibilité au 1er janvier 2018 n’avait pas lieu d’être.

M. Philippe Dallier. Une usine à gaz !

Mme Patricia Schillinger. La suppression du caractère paritaire des listes de candidats aux conseils de prud’hommes atteste encore l’hostilité de la majorité sénatoriale à toutes mesures allant dans le sens du progrès social.

Nous regrettons aussi que la majorité du Sénat n’ait pas voulu reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, alors que ce mal touche un nombre important de salariés. Il s’agissait d’un véritable progrès.

Ainsi, une partie de la droite sénatoriale s’est obstinée à détricoter le texte en modifiant profondément les dispositions concernant les instances représentatives du personnel.

M. Éric Doligé. Vous feriez mieux de vous occuper de l’emploi !

Mme Patricia Schillinger. En effet, les élus suppléants ne pourront plus siéger aux réunions, les cas d’expertise du comité d’entreprise sont revus à la baisse, la création de la délégation unique du personnel est assouplie et des non-syndiqués pourraient se présenter dès le premier tour.

La droite sénatoriale ne s’est pas montrée soucieuse du respect des équilibres politiques,…

M. Philippe Bas. Quels « équilibres politiques » ?

Mme Patricia Schillinger. … alors que la volonté du Gouvernement était de rendre le dialogue social dans les entreprises plus vivant, plus performant et plus efficace.

Le texte du Gouvernement répondait à deux exigences. La première était d’ordre démocratique : développer notre démocratie sociale avec les commissions paritaires régionales. La seconde avait trait à l’efficacité économique, avec la mise en place d’un cadre favorable à l’emploi, en faisant progresser l’égalité professionnelle au sein des entreprises.

Le texte ici proposé n’est pas porteur des changements nécessaires pour moderniser le dialogue social, et il ne satisfait aux exigences ni de démocratie ni d’efficacité. Nous ne pouvons donc pas aujourd’hui le voter. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Ouverture du scrutin public

Explications de vote sur l'ensemble
Dossier législatif : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi
Proclamation du scrutin public (début)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 1bis de l’Instruction générale du Bureau.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures cinquante, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures cinquante.)

Proclamation du résultat du scrutin public

Ouverture du scrutin public
Dossier législatif : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi
Proclamation du scrutin public (fin)

M. le président. La séance est reprise.

Je tiens tout d’abord à remercier Mme Colette Mélot et Mme Catherine Tasca ainsi que M. Philippe Nachbar, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin. (Applaudissements.)

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 221 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 217
Pour l’adoption 181
Contre 36

Le Sénat a adopté le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi dans le texte de la commission, modifié.

La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je souhaite tout d’abord remercier les rapporteurs des différentes commissions pour leur travail et les sénateurs qui ont participé aux débats pour leur implication. J’adresse plus particulièrement mes remerciements à Mme la rapporteur, Mme Procaccia, qui a su, malgré des divergences de fond que nous n’avons pas voulu nier, nourrir un dialogue très constructif et intéressant.

Il est heureux et important d’avoir eu ce cadre positif pour ce projet de loi de réforme du dialogue social et de sécurisation des parcours professionnels. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, il est aujourd’hui inutile, stérile et dépassé d’opposer les intérêts des salariés et ceux des entreprises. Lorsque les deux sont bien compris, ils se complètent, ce qui permet d’avancer pour construire la France de demain.

Les débats ont permis de progresser sur un certain nombre de mesures qui enrichissent le texte. C’est notamment le cas des deux dispositions sur l’apprentissage et le contrat à durée déterminée, qui viennent décliner le plan « TPE-PME » annoncé par le Premier ministre.

Grâce à vos travaux également, mesdames, messieurs les sénateurs, des questions importantes ont été soulevées et débattues : l’accès aux locaux des salariés des commissions des TPE, la présence des suppléants dans les instances, le contrat à durée indéterminée intérimaire, sur lequel je souhaite continuer à travailler dans la suite de la navette.

Cela n’empêche pas des divergences de fond. Sur nombre de sujets, on voit clairement où se situe la différence entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement, ce qui pourra en satisfaire plus d’un. Je pense notamment à quatre points de divergences majeures, sur lesquels le Gouvernement souhaite revenir.

Je citerai évidemment d’abord la suppression de l’article 1er. En effet, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles ne constituent pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, des moyens de s’ingérer dans les entreprises. Si tel avait été le cas, elles n’auraient pas été mises en œuvre par l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, dans toutes les entreprises artisanales !

Mais il y a aussi la parité aux élections professionnelles dans les conseils d’administration. C’est une mesure importante pour le Gouvernement, et nous la rétablirons.

Ensuite, il me faut citer la place des organisations syndicales dans les négociations. À cet égard, l’objectif de ce texte est de renforcer les syndicats, qui sont les acteurs légitimes et incontournables du dialogue social.

Enfin, j’évoquerai la suppression, que je regrette, du compte personnel d’activité, ainsi qu’un certain nombre de modifications qui ont été apportées, qu’il s’agisse de la présence des salariés dans les conseils d’administration, des progrès dans la reconnaissance du burn-out et du dispositif visant à mieux prendre en compte la pénibilité au travail. Tout cela constitue incontestablement un recul.

Le Gouvernement souhaite rétablir ces différentes dispositions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au cours de ces débats, chacun a pu faire valoir ses arguments dans un esprit de dialogue que je tiens encore une fois à souligner. Je vous remercie de la qualité du débat parlementaire que nous avons eu, qui contribue à renforcer la pratique de la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. Je tiens à mon tour à vous remercier,monsieur le ministre, ainsi que nos collègues rapporteurs.

Proclamation du scrutin public (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi
 

6

Nomination d’un membre d’une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Corinne Féret membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de M. François Aubey, démissionnaire d’office de son mandat de sénateur.

Mes chers collègues, avant de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Discussion générale (suite)

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution en nouvelle lecture, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 539, texte de la commission n° 542, rapport n° 541).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui pour la nouvelle lecture d’un texte qui nous a déjà occupés de nombreuses heures, jour et nuit. Vous constaterez que nombre de dispositions ayant été introduites par la Haute Assemblée ont été confirmées par l’Assemblée nationale.

L’élaboration de ce projet de loi repose sur une méthode et des principes simples.

Ce qui la caractérise d’abord, c’est l’absence d’interdit : tout domaine où il est justifié de procéder à des réformes pour rendre l’économie plus efficace doit être étudié. Il n’y a donc pas, dans ce texte, de champs exclus a priori de la réforme. C’est ce qui fait d’ailleurs la transversalité de ce projet de loi, son caractère foisonnant dénoncé par certains, mais que j’assume pleinement.

Le deuxième principe, c’est la transparence.

Les objectifs ont été clairement annoncés dès le début des travaux devant la Haute Assemblée : concevoir une loi ayant un impact rapide, concret et puissant, pour accélérer notre croissance et l’enrichir en emplois, ce qui suppose la transparence. Ainsi, toutes les situations de rente qui ne sont pas justifiées doivent être mises en question. La transparence contribue à un meilleur fonctionnement de notre économie.

Par ailleurs, ce texte procède d’éléments d’équilibre. Partout où mettre en œuvre la réforme était possible sans dégrader les droits, sans porter atteinte à l’équilibre qui fonde notre République, nous l’avons fait. Lorsque cela risquait de mettre à mal des droits fondamentaux sur les plans social et économique, nous nous sommes abstenus.

Je reviendrai sur les différentes dispositions de ce texte qui, je le sais, demeurent pour certains d’entre vous des pierres d’achoppement. Nous avons tenu constamment un chemin de crête pour moderniser notre économie, améliorer son fonctionnement, sans pour autant sombrer dans la caricature qui est parfois faite de ce projet de loi. Pour les uns, nous allons beaucoup trop loin ; pour les autres, nous n’en faisons pas assez. Sans doute faisons-nous bien (Sourires.), soit dit sans vouloir provoquer personne ; en tout cas, nous visons le juste milieu et nous avons fait au mieux pour tenir un équilibre et permettre un meilleur fonctionnement de notre économie.

La co-construction législative a été un autre principe retenu pour l’élaboration de ce texte, comme en témoigne la durée totale des débats dans les deux chambres : plus de 400 heures. Ils ont permis un enrichissement constant, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, puisque, sur plus de 8 000 amendements discutés, plus de 2 000 ont été intégrés au texte.

Ce projet de loi répond à cinq engagements indispensables en vue de l’amélioration du fonctionnement de notre économie : c’est un texte pour l’activité, pour l’emploi, pour l’investissement, pour les TPE et les PME, pour l’égalité des chances économiques.

C’est d’abord un projet de loi tendant à promouvoir l’activité et l’entrepreneuriat. En effet, nous allons ouvrir des secteurs de notre vie économique où l’activité était jusqu’alors entravée. Ainsi, en permettant l’ouverture de lignes de transport par autocar sur l’ensemble de notre territoire, ce texte contribuera à faciliter la mobilité et à développer un secteur d’activité économique. Cette mesure d’ouverture a souvent été jugée anecdotique, voire traitée par la dérision : si l’on parvient à créer par ce biais, comme l’indiquent les études, plusieurs dizaines de milliers d’emplois, je défie quiconque de la dire encore anecdotique, surtout dans la période que nous vivons. Je souhaite que l’on puisse mettre en œuvre rapidement cette mesure après la promulgation de la loi : c’est une des priorités fortes du Gouvernement.

Ce texte va aussi faciliter le travail et l’ouverture des commerces de détail le dimanche. La création des zones touristiques internationales engendrera mécaniquement de l’activité, compte tenu de leur conception et de leur localisation mêmes.

Ce texte permettra également aux maires qui le souhaiteront, dans les territoires qui en éprouveront le besoin, d’autoriser les commerces de leur commune à ouvrir jusqu’à douze dimanches par an. L’équilibre entre les territoires sera préservé grâce au mécanisme de consultation de l’intercommunalité que prévoit le projet de loi, dans un esprit de justice puisqu’il ne pourra y avoir d’ouverture dominicale sans accord, lequel fixera les termes d’une compensation qui, aujourd’hui, n’existe pas toujours.

Parce qu’il a pour objectif de stimuler l’activité, ce texte fait le choix du risque contre la rente : c’est l’un des éléments constitutifs de sa philosophie même.

Demain, les entrepreneurs qui se lancent pourront recruter très vite les meilleurs talents en les associant à leur capital, grâce aux bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, les BSPCE. Les entreprises pourront attirer ou conserver les salariés les plus méritants ou les plus indispensables grâce à l’alignement du système des actions de performance sur les standards européens.

C’est ainsi que nous entendons encourager la prise de risque, tandis que, pour lutter contre la rente, nous rénovons le dispositif des retraites chapeaux en introduisant plus de contraintes et de contrôle, afin qu’elles ne puissent plus se constituer trop rapidement ou sans lien aucun avec la performance de leurs bénéficiaires.

Deuxièmement, il s’agira d’une loi pour l’emploi.

Pour embaucher, il faut de la visibilité, de la stabilité et de l’agilité. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a enrichi ce texte, lors de son examen par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, des mesures annoncées par le Premier ministre le 9 juin dernier.

Le souci de visibilité nous a conduits à parachever la réforme des prud’hommes contenue dans ce projet de loi au travers de dispositions additionnelles. Nous avons longuement discuté de cette réforme en première lecture ; je n’y reviendrai pas. Ce texte doit permettre de raccourcir les délais, en les encadrant et en empêchant les manœuvres dilatoires qui sont le lot commun de ces procédures. M. Pillet, qui a longuement travaillé avec nous sur ce texte, le sait : je suis prêt à avoir un débat sincère et dépassionné sur ce sujet, afin que nous nous assurions collectivement que toutes les garanties procédurales figurent bien dans la loi. Je suis d’ailleurs disposé à accepter que certaines procédures qui devraient figurer dans les textes réglementaires soient inscrites dans le présent projet de loi, si cela vous paraît plus simple et plus efficace. En effet, notre objectif est que la justice prud’homale fonctionne mieux, plus rapidement et de manière plus satisfaisante à la fois pour les salariés, en particulier les plus fragiles, et pour les employeurs, notamment les plus petits d’entre eux.

En outre, concernant les indemnités prud’homales, nous avons introduit, par rapport à la première lecture au Sénat, qui avait prévu un plafond unique s’appliquant à l’ensemble des entreprises, un plancher et un plafond en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. À la lumière des expériences allemande ou italienne, entre autres, il apparaît qu’un tel système est plus efficace, plus sécurisé. Le plafond étant fixé au-dessus de la moyenne observée, la volatilité du montant des indemnités versées se trouvera réduite, mais pas les droits des salariés. Ce plafond ne s’appliquera pas dans les cas les plus graves de licenciement sans justification, qu’il s’agisse de harcèlement ou d’autres circonstances ; nous aurons l’occasion d’y revenir.

Pour embaucher, il faut aussi de la stabilité, pour les salariés comme pour les entreprises. Apporter de la stabilité est l’objectif des dispositions majeures concernant la sécurisation des licenciements collectifs.

Enfin, l’agilité est également nécessaire, de manière que le licenciement et la destruction d’emplois soient uniquement un dernier recours pour l’entreprise. Nous avons trop souvent eu l’occasion de l’observer, la rigidité qui existe parfois dans le fonctionnement de notre économie, l’impossibilité, pour les acteurs et les partenaires sociaux, sur le terrain, de s’adapter aux circonstances, est l’une des explications des plus fortes destructions d’emplois survenant en cas de difficultés économiques. En 2009, alors que la France a connu une récession deux fois moins grave que l’Allemagne, nous avons détruit sept fois plus d’emplois ! Alors, tout va bien ? Non ! L’une des forces de l’économie allemande tient à sa faculté, par le dialogue social, et non au travers d’une dérégulation échevelée, d’adapter l’organisation du travail au sein de l’entreprise pendant un temps donné afin d’éviter de détruire des emplois et des capacités productives.

C’est dans cet esprit qu’il est proposé d’aménager les accords de maintien dans l’emploi dits « défensifs » au travers de l’ensemble des mesures que le Gouvernement a annoncées le 9 juin dernier. Il s’agit notamment d’étendre la durée de ces accords, d’en permettre l’aménagement selon l’évolution de la situation de l’entreprise et de revenir au texte même de l’accord des partenaires sociaux de janvier 2013 concernant les modalités du licenciement de qui refuserait l’accord de maintien dans l’emploi défensif, défini, je le rappelle, par un accord majoritaire dans l’entreprise.

Visibilité, stabilité et agilité : voilà les moyens de traiter vraiment au fond les problèmes qui rendent notre marché du travail si injuste et si peu efficace.

Troisièmement, il s’agira d’une loi pour l’investissement.

Vous le savez, notre croissance a redémarré, mais elle reste trop faible et, surtout, insuffisamment riche en investissements. Or ce sont les investissements productifs, en particulier, qui feront les emplois de demain.

Il importe de rallumer les moteurs de l’investissement privé. C’est pourquoi la mesure annoncée par le Premier ministre le 8 avril dernier a été intégrée dans le texte, grâce au soutien de l’ensemble des groupes de votre assemblée lors de la première lecture, ce dont je veux de nouveau vous remercier. Cette mesure offre aux entreprises la possibilité d’opérer un suramortissement de leurs investissements productifs. Je le précise de nouveau, toutes les entreprises pourront en bénéficier. Il s’agit d’une avancée extrêmement importante.

Rallumer les moteurs de l’investissement privé, c'est redonner, secteur par secteur, les moyens aux acteurs économiques d’engager plus rapidement des investissements productifs. C’est ainsi pour stimuler l’investissement privé que cette loi contient les mesures indispensables au déploiement à marche forcée du très haut débit sur l’ensemble de notre territoire. Il y va de l’efficacité de l’investissement et de l’égalité entre nos régions et nos départements. C'est l’un des apports substantiels de la première lecture à la Haute Assemblée : le débat nourri que nous avons eu sur les moyens d’assurer la meilleure couverture en matière de téléphonie mobile comme de très haut débit a débouché sur l’octroi de davantage de pouvoirs à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, en cas de non-respect par les opérateurs de leurs obligations. Deux réunions organisées après la première lecture au Sénat ont permis d’obtenir, pour la première fois, la conclusion d’une convention signée de l’ensemble des opérateurs, par laquelle ils s’engagent à couvrir en termes d’internet mobile, au-delà des centres-bourgs, les 800 zones prioritaires que nous définirons.

C’est également pour stimuler l’investissement privé que le texte permettra d’abaisser les seuils de mise en concurrence pour les marchés de travaux autoroutiers et de rééquilibrer les contrats passés avec l’État. Là aussi, ce sont des dispositions qui ont été introduites à la Haute Assemblée en première lecture.

Stimuler l’investissement privé, c'est encore intégrer dans le texte les dispositions nécessaires à l’augmentation de la production de logements intermédiaires. Le Sénat avait renforcé ce dispositif important en première lecture.

C’est toujours pour stimuler l’investissement privé que le projet de loi reprend les conclusions des travaux menés par le préfet Duport et celles de la mission du sénateur Richard. Il s’agira de réformer la consultation du public et de favoriser une meilleure articulation des différentes procédures pour réduire significativement le temps nécessaire à la mise en œuvre d’un projet, d’un plan ou d’un programme.

Enfin, dans la même perspective, ce texte permettra un arbitrage plus simple dans les participations de l’État, dont celui-ci pourra se défaire à un prix plus favorable tout en préservant ses intérêts. Nous avons, sur ce point aussi, eu des débats nourris en première lecture. L’Assemblée nationale a d’ailleurs conservé les ajouts introduits par le Sénat : je pense notamment aux dispositions relatives aux privatisations des sociétés de gestion aéroportuaire.

Les TPE et les PME constituent le quatrième axe prioritaire du projet de loi. Ce volet revêt une importance toute particulière en cette période de redémarrage économique et industriel : il s’agit là des entreprises les plus fragiles, mais aussi de celles qui créent le plus d’emplois.

Le texte leur donne plus de visibilité : les TPE et les PME seront les premières bénéficiaires de la réforme de la justice prud’homale. Il tend aussi à leur simplifier la vie avec deux mesures phares : l’absence d’obligation de publication des comptes de résultat pour les entreprises de moins de 50 salariés et l’aménagement des modalités de recouvrement des petites créances. Enfin, il ouvre la voie à un meilleur financement, en permettant aux entreprises de se prêter entre elles directement, sans recourir à une banque. Cette mesure de simplification est utile pour les PME et les TPE, qui sont souvent, surtout en matière de financement de court terme, entravées par certaines contraintes régulatoires du système bancaire. Dans un espace encadré et sécurisé, nous offrons ici d’autres perspectives de financement, ce qui constitue l’un des apports importants de ce texte.

Enfin, c’est une loi pour l’égalité des chances économiques, faite pour celles et ceux qui sont les plus éloignés de l’activité ou les plus fragilisés par les rigidités de notre droit ou de nos systèmes. Il n’y a pas de bonne réforme économique qui se fasse aux dépens des uns ou des autres.

C'est donc d’abord une loi pour les jeunes, qui leur permettra en particulier d’accéder plus simplement, demain, aux professions réglementées du droit. Sans doute peut-on faire encore mieux, mais nous levons, me semble-t-il, des barrières.

De manière plus générale, la réforme du permis de conduire profitera à tous les jeunes. La commission spéciale de l’Assemblée nationale a rétabli cette réforme avec l’accord du Gouvernement, car nous estimons que toutes dispositions doivent être prises pour que le temps séparant les deux examens ne dépasse pas quarante-cinq jours, en aucun point du territoire, d’ici à deux ans. Plusieurs mesures ont déjà été mises en œuvre, mais cette loi permettra d’aller beaucoup plus vite et de prendre des dispositions très concrètes en matière d’organisation de l’examen du code et de l’examen pratique. Ces mesures sont attendues par les jeunes.

Par ailleurs, l’extension, d’ici à la fin de 2016, de la couverture en téléphonie mobile, en 2G mais surtout en 3G, est aussi un élément absolument décisif pour les jeunes et, plus largement, pour l’égalité des chances économiques entre les territoires, qui attendaient cette mesure.

Ce texte introduit de la justice là où il en manquait. Il établit un nouveau principe fondamental pour le travail dominical : celui de la compensation. On n’a pas suffisamment dit qu’il faudrait un accord, ou un référendum pour les entreprises de moins de onze salariés, et que la compensation serait discutée et prévue dans toutes les entreprises ; c'est un apport important du projet de loi en termes de justice.

C’est enfin un texte qui rétablit l’égalité des chances économiques, par le biais d’une lutte féroce contre le travail détaché illégal. Les mesures qui avaient été débattues lors de la première lecture ont été amplement enrichies à la suite des annonces faites au début du mois par le Premier ministre. Le projet de loi prévoit, par exemple, que les lieux d’hébergement puissent désormais être inspectés. Surtout, il vise à rendre les donneurs d’ordres responsables des pratiques de leurs sous-traitants.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’ensemble des éléments que je souhaitais mettre en exergue. J’ai rappelé plusieurs des apports du Sénat en première lecture qui ont été confirmés par les députés. Le texte a été enrichi, à l'Assemblée nationale, essentiellement sur les points que j’ai mentionnés en matière d’emploi.

Il demeure sans doute des désaccords entre nous : je fais confiance aux rapporteurs pour me les rappeler ! J’espère en tout cas que nos débats seront d’aussi bonne tenue qu’en première lecture. C’est grâce à vos propositions d’amélioration que ce projet de loi sortira encore enrichi de cette nouvelle lecture, afin de pouvoir être mis en œuvre dans les toutes prochaines semaines. Nous devons travailler collectivement pour que les mesures attendues et utiles qu’il contient puissent devenir une réalité pour notre économie, pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
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