Mme Annie David. Le groupe CRC considère comme une bonne chose le concours réservé pour les agents contrôleurs du travail.
Cependant, nous ne pouvons que regretter que de nouveaux moyens ne soient pas mis en œuvre afin de permettre un recrutement massif d’inspecteurs. De plus, il convient de rappeler ici notre attachement à ce métier essentiel. Autant que les moyens financiers et le nombre d’inspecteurs, ce sont aussi leurs conditions d’exercice qu’il est urgent d’améliorer.
Or le sentiment qui prédomine à la lecture de cet article 85 est la gêne face à un gouvernement qui semble dire : « Le code du travail est une bonne chose en théorie, mais constitue un frein à l’emploi dans la pratique ».
L’inspection du travail a aujourd’hui de plus en plus de mal à fonctionner efficacement. Le « plan Sapin », adopté dans le cadre de la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, visait à renforcer les pouvoirs de l’inspection du travail. Si nous ne pouvons que souscrire à cette philosophie, nous sommes néanmoins perplexes. Comment renforcer une institution en diminuant de 10 % ses effectifs ?
Pour rappel, on comptabilisait avant cette réforme un peu plus de 2 000 agents d’inspection pour 18 millions de salariés, autant dire que le pays ne connaissait pas de sureffectif en la matière...
Pourtant, de par ses missions et son organisation, l’inspection du travail est une vraie protection pour les salariés. Chargée de faire appliquer le code du travail, elle peut, sans préavis, de jour comme de nuit, venir dans les entreprises. Alors que les conditions d’exercice sont de plus en plus difficiles et les effectifs réduits, vous décidez de remettre un coup sur la tête de cette institution de protection des salariés. Pourtant, les sombres et dramatiques affaires d’agressions, de menaces, de pressions, ou pire devraient encourager le Gouvernement à sécuriser la situation des inspecteurs plutôt qu’à les fragiliser...
La méthode que l’on nous demande aujourd’hui d’approuver – le recours à l’ordonnance – est particulièrement problématique. En effet, vous demandez au Parlement de se bâillonner lui-même et de vous laisser un blanc-seing sur un champ tout à la fois essentiel à la protection des travailleurs, mais aussi objet d’un débat idéologique important.
Ce procédé législatif, excluant tout débat démocratique au sein de l’une ou de l’autre des chambres, est malheureusement surutilisé aujourd’hui. Notre groupe ne peut que s’inquiéter de cette dérive, que rien ne justifie de bonne foi.
Peut-être le Gouvernement estime-t-il urgente cette réforme... Pourtant, une proposition de loi avait été étudiée et amendée à l’Assemblée nationale, mais son inscription à l’ordre du jour par le Gouvernement se fait toujours attendre.
Peut-être le Gouvernement a-t-il conscience qu’il marche sur des œufs avec cette réforme, dont même une partie de son camp ne veut pas. Quelles que soient les raisons invoquées, nous ne pouvons nous satisfaire du recours à l’ordonnance.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Dans sa version adoptée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, l’article 85 prévoyait d’autoriser le Gouvernement à réformer par ordonnances l’inspection du travail et à prévoir les modalités d’un concours d’accès aux corps des inspecteurs du travail pour les agents relevant du corps des contrôleurs.
La commission spéciale a supprimé l’habilitation à réformer l’inspection du travail – je ne développerai pas de nouveau les raisons pour lesquelles nous l’avions fait dès la première lecture. En revanche, nous avons souhaité maintenir l’habilitation concernant l’organisation d’un concours interne, les mesures envisagées étant essentiellement techniques.
La commission souhaite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame David, l'amendement n° 148 est-il maintenu ?
Mme Annie David. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 85.
(L'article 85 est adopté.)
Article 85 bis
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 2316-1 est ainsi modifié :
a) Les mots : « ou à l’exercice régulier de leurs fonctions » sont supprimés ;
a bis) Les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés ;
b) À la fin, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 15 000 € » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de porter ou de tenter de porter atteinte à l’exercice régulier de leurs fonctions est puni d’une amende de 7 500 €. » ;
2° Les articles L. 2328-1, L. 2346-1, L. 2355-1, L. 2365-1 et L. 2375-1 sont ainsi modifiés :
a) Les mots : «, soit à leur fonctionnement régulier » sont supprimés ;
a bis) Les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés ;
b) À la fin, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 15 000 € » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait d’apporter une entrave à leur fonctionnement régulier est puni d’une amende de 7 500 €. » ;
3° À l’article L. 2328-2, les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés et, à la fin, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 7 500 € » ;
4° L’article L. 2335-1 est ainsi modifié :
a) La première occurrence du mot : « soit » est supprimée ;
b) Les mots : «, soit au fonctionnement régulier de ce comité, » sont supprimés ;
b bis) Les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés ;
c) À la fin, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 15 000 € » ;
d) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait d’apporter une entrave au fonctionnement régulier de ce comité est puni d’une amende de 7 500 €. » ;
5° L’article L. 4742-1 est ainsi modifié :
a) Les mots : «, soit au fonctionnement régulier » sont supprimés ;
a bis) Les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés ;
b) À la fin, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 15 000 € » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de porter atteinte au fonctionnement régulier du comité est puni d’une amende de 7 500 €. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 27, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 4 et 10
Supprimer ces alinéas.
II. - Alinéa 14
Supprimer les mots :
les mots : « d’un emprisonnement d’un an et » sont supprimés et, à la fin,
III. - Alinéas 18 et 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. L’article 85 bis dépénalise le délit d’entrave au fonctionnement des institutions du personnel. Il s’agit là d’un engagement du Président de la République, qui souhaitait que les employeurs ne puissent plus être menacés de peines de prison pour ce type d’infractions, afin de ne pas effrayer les étrangers tentés d’investir dans notre pays.
Comme en première lecture, la commission spéciale du Sénat en a profité pour dépénaliser, dans la foulée et dans le même élan, le délit d’entrave à la constitution des institutions du personnel. On le sait, les peines de prison ne sont jamais prononcées en cas d’entrave. Néanmoins, en passant d’un délit à une simple contravention, on adresse un message aux employeurs, aux patrons : ne pas respecter les convocations, mal informer les salariés, empêcher le bon fonctionnement des comités d’entreprise, tout cela n’est pas si grave, et une amende suffira à sanctionner ces comportements !
Il n’est pas possible de soutenir à la fois que les peines d’emprisonnement effraient les investisseurs et qu’elles sont inutiles. Si elles font peur, elles ont des résultats, et alors il faut les conserver. Quels sont les investisseurs qui pourraient craindre de venir en France à cause de ces sanctions ? Certainement pas les plus respectueux du code du travail et les plus bénéfiques pour notre pays !
Certes, l’article 85 bis prévoit de doubler, et même de quadrupler, les sanctions financières, aux termes de la rédaction adoptée par la commission spéciale du Sénat. Mais ce n’est pas uniquement d’argent qu’il s’agit ici. Nous croyons en la dissuasion de la sanction pénale. Voilà pourquoi notre amendement a pour objet de la rétablir.
Mme la présidente. L'amendement n° 149, présenté par Mmes Assassi, David et Cohen, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 4, 10, 18 et 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. La dépénalisation du délit d’entrave prévue dans cet article limitera les droits, mais aussi la marge de manœuvre des représentants du personnel. La suppression des peines d’incarcération est notamment justifiée par leur faible utilisation, mais le recours très limité des juges à de telles sanctions ne doit pas être obligatoirement considéré comme un échec de la politique pénale. C'est bien plutôt une réussite, puisque ces sanctions ont eu un effet dissuasif.
L’étude d’impact précise que l’abandon de ces peines de prison permettrait d’envoyer « un signal rassurant aux investisseurs étrangers, qui seront plus incités à s’implanter sur le territoire national ». Autrement dit, la dépénalisation du délit d’entrave faciliterait l’installation des entreprises internationales sur le sol français. C'est curieux ! Il est important de rappeler que ces institutions garantissent l’effectivité même du droit à la représentation et à l’expression collective des salariés.
Enfin, le projet de loi s’inscrirait dans une démarche d’adaptation des sanctions à la réalité des situations. Cet argument est, lui aussi, extrêmement curieux. C’est le rôle même d’un juge que d’apprécier et d’interpréter la loi et, par conséquent, de proportionner les peines à l’atteinte occasionnée. Il ne fera pas nécessairement n’importe quoi ! Je sais que certaines entreprises ont considéré qu’il était intolérable d’être condamnées par des juges, mais tout de même !
Au-delà de l’attractivité du territoire, la préservation des institutions représentatives reste l’enjeu principal ici. C’est pourquoi nous voterons contre cet article 85 bis en l’état.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. L’avis est défavorable, puisque ces deux amendements reviennent sur le texte de la commission.
L’article 85 bis a pour objet de réviser les peines applicables au délit d’entrave à la constitution et au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Il n’est pas question ici de « dépénalisation », puisqu’il s’agit toujours d’un délit et la peine prononcée est inscrite au casier judiciaire. Nous avons simplement supprimé les peines d’emprisonnement, qui nous semblent disproportionnées et qui, de plus, ne sont pratiquement jamais prononcées.
En revanche, nous avons souhaité augmenter le montant des amendes correspondantes. Ces amendes alourdies seront plus dissuasives que des peines d’emprisonnement, qui – je le redis – ne sont jamais prononcées. L’article 85 bis est donc de nature à permettre une lutte plus efficace contre les délits d’entrave.
Je rappelle que cette mesure correspond à un vœu du Président de la République, qui avait souhaité que les peines de prison soient supprimées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cette mesure est extrêmement négative et elle donne de surcroît une très mauvaise image de notre pays. Ainsi, pour accroître l’attractivité de la France, il faudrait dire aux grands patrons que ne pas respecter la loi n’est pas bien grave, qu’ils ne seront pas sanctionnés pénalement et qu’ils devront simplement payer une amende. On imagine que ces amendes feront bien rire les multinationales ! En réalité, la peine d’emprisonnement était une épée de Damoclès, qui n’a certes été que très peu prononcée, parce que, justement, elle a dissuadé les délinquants potentiels.
Si les entreprises peuvent s’en sortir en payant une simple amende, elles n’hésiteront pas à prendre de nombreuses mesures défavorables aux organisations représentatives du personnel !
Je citerai ici Pierre Joxe, qui a été membre du Conseil constitutionnel, ministre de l’intérieur, parlementaire, soit une personnalité que l’on ne peut suspecter de gauchisme…
M. Éric Doligé. Mais il est de gauche !
M. Michel Raison. Et respectez les gauchistes, tout de même ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … ou d’irresponsabilité s’agissant de l’avenir de notre pays. Eh bien, notre ami Pierre Joxe, qui est aujourd’hui avocat et qui plaide devant les chambres sociales, considère que cette mesure constitue un recul majeur du droit dans notre pays. Pour moi, il est une référence, car il a toujours cherché à promouvoir l’équilibre.
Avec cette affaire, nous entrons dans une logique qui a sans doute tout pour vous plaire, chers collègues de la majorité sénatoriale. M. Sarkozy n’estimait-il pas qu’il fallait dépénaliser les sanctions patronales…
M. Rémy Pointereau. C'est un raccourci, il n’a pas dit cela !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … parce qu’elles empêchaient l’esprit d’entreprise et nuisaient à l’attractivité du pays ? Pendant des années, nous nous sommes opposés à ce discours en prenant l’exemple du délit d’entrave, qui n’a jamais été appliqué, alors qu’il aurait pu l’être dans le cas de l’usine Molex. Néanmoins, cela a permis de faire changer certaines pratiques du patronat à l’époque de la fermeture de Molex.
Alors, non, monsieur le ministre, ce que j’ai contesté, condamné et combattu hier, je ne l’accepterai pas aujourd’hui, même venant d’un gouvernement de gauche !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la sénatrice, votre intervention m’oblige à préciser ce dont il est question ici, sans faire usage d’argument d’autorité. Quand on fait la loi et qu’on essaie d’avoir une discussion rationnelle, il n’est pas nécessaire de se réfugier derrière quelque autorité que ce soit,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si, cela sert, et Pierre Joxe est une autorité morale !
M. Emmanuel Macron, ministre. … quand bien même ce serait une autorité morale !
Il s’agit ici non pas de dépénaliser, mais de revenir sur les peines de prison. Le texte du Gouvernement tend à supprimer ces peines lorsqu’il n’y a aucune intentionnalité. Ainsi, il nous semble qu’il n’y a pas lieu de prévoir des peines de prison pour entrave au fonctionnement des organisations représentatives du personnel si les faits se résument à un oubli ou à un simple défaut d’appréciation. Ce n’est que dans ce type de cas que le Gouvernement propose de supprimer la peine de prison.
Alors, certes, on pourrait se faire plaisir et considérer qu’une disposition extrêmement brutale et jamais appliquée a son utilité. Mais telle n’est pas notre perception des choses. Nous estimons, à raison, qu’il est disproportionné que des investisseurs étrangers opérant sur notre territoire sans volonté d’enfreindre le droit puissent, en vertu de la loi, se retrouver en prison parce qu’ils ont oublié, dans le cadre des règles de fonctionnement des instances représentatives, d’organiser une réunion, par exemple.
En revanche, le Gouvernement ne propose en aucun cas de revenir sur les peines d’emprisonnement d’un an pour entrave à la constitution d’une institution représentative du personnel, qui suppose un comportement intentionnel.
La mesure que nous prévoyons est donc extrêmement proportionnée, limitée et encadrée.
Madame la sénatrice, notre raisonnement repose sur une hypothèse ontologique qui nous sépare : pour nous, une personne qui investit et qui embauche ne veut pas forcément le mal ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai pas dit cela !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je remercie M. le ministre pour sa conclusion, qui m’a fait très plaisir. Qu’il soit en permanence sous-entendu que les patrons sont potentiellement des voyous ou des délinquants, c’est pour moi insupportable ! Or l’idée est sous-jacente à de nombreux propos.
Mme Évelyne Didier. C'est exactement la même chose pour les citoyens !
M. Éric Doligé. Heureusement que nous avons en France des patrons qui ont envie de monter des entreprises, de créer des emplois et de développer de l’activité ! Bien sûr, comme partout ailleurs, il peut y avoir des difficultés dans tel ou tel secteur d’activité.
Madame Lienemann, vous évoquiez le délit d’entrave. Mais je m’interroge : déployer des piquets de grève devant une usine alors que les employés veulent travailler, n’est-ce pas un délit d’entrave au travail ? Ce comportement est-il sanctionné par des peines de prison ? De tels cas ont-ils déjà eu lieu ? Il faudrait examiner la question.
Enfin, puisque vous avez cité Pierre Joxe, permettez-moi de faire état d’un souvenir personnel.
Lorsque j’étais jeune député, naturellement très intimidé, c'est à lui, ministre de l’intérieur, que j’ai posé ma première question d’actualité, laquelle était assez sèche – c'est ainsi que les choses se passent. M. Joxe m’avait répondu qu’une fois sorti de l’hémicycle, il irait consulter ma fiche... On pourrait retrouver ses paroles exactes dans le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale de 1989.
Alors, l’autorité morale...
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. La loi pénale n’est pas faite pour ceux qui respectent le bon fonctionnement des institutions. Si l’on évoque des patrons voyous ou qui font du code du travail une application limite, c'est parce qu’ils existent ! Nous n’avons pas dit qu’ils l’étaient tous, voyous, et que chaque patron était passible de prison. Ce sont seulement ceux qui abusent, qui instaurent un climat social inadéquat, qui doivent, en application de la loi, soit payer une amende soit être punis pour n’avoir pas respecté leurs salariés.
De la même façon, nous ne disons pas que tous les salariés sont formidables ! Dans chaque catégorie sociale, il y a des personnes qui ne respectent pas les règles.
Mais si on laisse faire les patrons qui ont tendance à ne pas respecter le code du travail, ceux qui respectent la loi vont se demander pourquoi ! C'est comme pour les salariés détachés : lorsque l’on recourt à des entreprises qui ne respectent pas le code du travail pour moins payer les employés, les patrons qui, eux, respectent la loi vous demandent d’intervenir. Et vous êtes nombreux, chers collègues de la majorité, à réclamer que la loi soit la même pour tous, afin d’assurer une égalité de traitement.
Nous ne disons pas que tous les patrons sont susceptibles d’être sanctionnés, mais ceux qui abusent, qui ne respectent pas le code du travail, doivent l’être. Il en va de même pour tout salarié et pour tout citoyen.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Le débat devrait en réalité être bien plus large. En matière économique, la véritable question est de savoir quel est le mode de sanction le plus pertinent. On peut constater, notamment dans le domaine de la concurrence, que les sanctions économiques qui sont prononcées en France sont bien plus légères que celles qui sont pratiquées par d’autres pays, notamment les États-Unis.
Mme Évelyne Didier. Évidemment !
M. Jacques Bigot. Le problème de fond ici est de savoir si la menace de l’emprisonnement est la solution dans le domaine économique. Ne faudrait-il pas plutôt travailler sur d’autres formes de sanctions ?
Ici, nous discutons d’une disposition particulière, le délit d’entrave. Personnellement, j’ai toujours été convaincu que l’emprisonnement n’était pas la meilleure réponse pénale pour les employeurs, qui – il faut bien le dire – sont souvent dans un monde à part, en prison.
Je pense qu’il faudrait plutôt, de manière plus générale, réfléchir à un autre type de sanctions, en incluant le domaine de la concurrence.
C’est la raison pour laquelle je voterai personnellement la suppression de l’emprisonnement pour délit d’entrave. Il me semble en effet qu’il ne faut pas avoir d’a priori absolu en la matière et que, si cette sanction n’est pas prononcée par les juridictions, c’est précisément parce qu’elle est inadaptée. Référons-nous donc à la pratique quotidienne des tribunaux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. J’aurai deux remarques à formuler.
Premièrement, notre ami Jean Desessard l’a dit, quand on prévoit des sanctions dans une loi, c’est pour le très petit nombre de personnes qui ne respectent pas la loi. Or la grande majorité de nos concitoyens la respectent, et heureusement ! Mais certains ne la respectent pas, dans tel ou tel domaine, d’où les sanctions pénales, y compris des peines d’emprisonnement ! (M. Éric Doligé proteste.)
Monsieur Doligé, écoutez au moins ce que j’ai à dire, je vous ai écouté !
Mme Annie David. Nous vous avons écouté, monsieur Doligé, ayez un peu de correction !
Mme Évelyne Didier. Les sanctions prévues par une loi sont donc faites pour ceux qui ne la respectent pas.
M. André Trillard. Comme à Notre-Dame des Landes ?
Mme Évelyne Didier. Deuxièmement, s’il faut trouver une autre sanction qui soit juste, pourquoi pas ? Mais, ce que vous voudriez, c’est qu’une partie de l’activité, une partie du monde soit dispensée de toute sanction !
Qui vient investir chez nous ? La plupart du temps, il s’agit de grands groupes, qui ont des batteries de juristes à leur service. Ne me dites pas qu’ils « oublient » de tenir les réunions obligatoires ! Ils ont simplement l’habitude d’un droit peut-être plus laxiste à certains égards.
D’ailleurs, M. Bigot vient de le dire : cela peut aussi être beaucoup plus dur dans certains pays ! Considérez à cet égard ce qui est arrivé aux banques, ou encore la question des dégazages en haute mer ! Si la société Total n’avait pas été sanctionnée comme elle l’a été, croyez-vous qu’elle ferait attention comme aujourd'hui ?
Allons, le monde de l’entreprise n’est pas celui des Bisounours, et encore moins un monde parfait !
C’est pourquoi, comme dans les autres mondes, il faut envisager qu’il y aura bien des contrevenants, minoritaires sans doute, mais pour lesquels nous faisons la loi !
MM. Éric Doligé et André Trillard. Et Notre-Dame des Landes !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 85 bis.
(L'article 85 bis est adopté.)
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Article 86 bis A
Hormis les cas de congé de longue maladie, de congé de longue durée ou si la maladie provient de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, les agents publics civils et militaires en congé de maladie, ainsi que les salariés dont l’indemnisation du congé de maladie n’est pas assurée par un régime obligatoire de sécurité sociale, ne perçoivent pas leur rémunération au titre des trois premiers jours de ce congé.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 30 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 150 est présenté par Mmes Assassi, David et Cohen, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 30.
M. Jean Desessard. Cet article fait partie de la série de mesures d’inspiration libérale que la majorité sénatoriale a insérées dans le texte. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'instaurer trois jours de carence dans la fonction publique en cas de maladie.
Déjà, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, la même majorité avait profité du texte pour faire voter un amendement instaurant trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière. Aujourd'hui, elle va au bout de sa logique.
Quelles sont les raisons qui ont présidé à l'adoption de cet amendement en commission ? La raison principale est budgétaire : il est ainsi prévu que cette mesure permette de réaliser une économie d’au moins 180 millions d'euros. Il s'agit aussi d'améliorer la performance du service public et de faire converger les règles applicables au secteur public et au secteur privé.
Si l’on traduit cela en bon français, cela reviendrait à dire que les fonctionnaires abusent des congés maladies, qu’ils sont donc les premiers responsables des dysfonctionnements du service public et qu’il est tout à fait normal de réaliser des économies sur ces personnels, peu motivés et anormalement protégés par rapport aux salariés du privé.
Cette vision est aux antipodes de celle que défendent les écologistes. Si les fonctionnaires ont plus recours que d’autres aux congés maladie – il n’est pas question de le nier –, peut-être faut-il s’interroger sur leurs conditions de travail et sur les finalités du service public, auquel on demande de faire toujours plus avec de moins en moins d'argent. Une simple visite dans un service des urgences de l'hôpital public permet en effet de se rendre compte du niveau de tension auquel sont soumis de très nombreux agents de la fonction publique.
La révision générale des politiques publiques, ou RGPP, les coupes franches dans les dépenses et les nouvelles méthodes de management importées du secteur privé : voilà les véritables raisons du mal-être des agents de la fonction publique ! Rogner sur leurs indemnités en cas de congé maladie stigmatise ces agents et ne résout en rien leur détresse.
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de cet article, que nous qualifions d’injuste.