compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Claude Haut,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à trois organismes extraparlementaires

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extra-parlementaires.

La commission des lois a fait connaître qu’elle propose les candidatures de :

- M. Yves Détraigne pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière ;

- M. François Grosdidier pour siéger au conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice ;

- enfin, M. François Grosdidier et M. Philippe Kaltenbach pour siéger comme membres titulaires au sein de la Commission nationale de la vidéoprotection.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

J’informe par ailleurs le Sénat que j’ai écrit à ces différents organismes pour leur signifier que, dans le cadre de la nouvelle organisation de nos travaux, il importe que leurs séances ne soient pas concomitantes à celles que nous consacrerons, à partir du 1er octobre, à des questions d’actualité au Gouvernement, à des explications de vote et des votes solennels, ni à nos réunions de commissions du mercredi matin. Il s’agit de leur permettre d’organiser leurs travaux de manière que nos collègues siégeant en leur sein puissent y participer.

3

Publication du rapport d’une commission d’enquête

M. le président. J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession, créée le 22 janvier 2015, sur l’initiative du groupe Les Républicains, en application de l’article 6 bis du règlement.

En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 590.

4

 
Dossier législatif : projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense
Discussion générale (suite)

Programmation militaire pour les années 2015 à 2019

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (projet n° 494, texte de la commission n° 548, rapport n° 547, avis n° 524).

Je rappelle que, à seize heures quinze, nous interromprons ce débat pour la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la situation de la Grèce et les enjeux européens.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense
Demande de réserve

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au seuil d’une nouvelle échéance majeure pour notre défense, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Le texte qui vous est soumis résulte des travaux de l’Assemblée nationale et de ceux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il revêt une importance de premier ordre pour la sécurité de la France, dans les circonstances où nous sommes.

Certes, cette échéance était prévue par l’article 6 de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Il était ainsi convenu que nous nous retrouvions avant la fin de l’année 2015 pour faire le point sur l’avancement de la programmation. Cependant, les développements internationaux et le très grand engagement de nos forces depuis 2013 ont motivé l’accélération de notre calendrier. Si le Gouvernement a jugé nécessaire de déclarer l’urgence, c’est avant tout parce que nos armées ont besoin de pouvoir disposer sans attendre d’un cadre et d’une perspective à moyen terme rénovés. Le projet de loi de finances pour 2016, en cours de préparation, intégrera ainsi les premiers effets de l’actualisation de la programmation militaire.

Depuis les attentats de janvier 2015 et la décision – très largement consensuelle, je crois – du Président de la République de doter la France d’une capacité de déployer, sur la longue durée, de 7 000 à 10 000 hommes sur son territoire, les missions combinées à l’intérieur et à l’extérieur du pays se déroulent selon un rythme qui menace la qualité de l’entraînement et de la préparation des hommes. Ce risque doit être conjuré le plus rapidement possible, car les tensions actuelles ne peuvent être maintenues plus longtemps sans mettre en péril la qualité et la sécurité dans l’action de notre armée professionnelle. Il fallait donc agir très vite.

J’ajoute que la démarche qui nous rassemble aujourd’hui n’a pas pour objet de redéfinir entièrement une nouvelle programmation. Il s’agit bien d’une actualisation : aucun des fondements stratégiques de la loi relative à la programmation militaire votée en 2013 n’est remis en cause ; j’y reviendrai. Cette actualisation se traduit par un accroissement de nos moyens et de nos ressources par rapport à la prévision initiale. C’était indispensable. Ce projet de loi est crucial pour adapter au mieux notre défense aux défis de sécurité présents et à venir.

Je commencerai par décrire les évolutions de notre environnement stratégique depuis le vote de la loi relative à la programmation militaire en décembre 2013.

Les crises récentes concourent toutes à une dégradation notable de la situation internationale et à l’augmentation durable des risques et des menaces qui pèsent sur l’Europe et sur la France. Les attaques terroristes de janvier 2015 à Paris, les tentatives déjouées, l’acte perpétré dans l’Isère ont montré que la France était, comme d’autres États européens, directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent.

Cette menace se joue des frontières. L’imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur de ses frontières s’est brutalement matérialisée. Face à des groupes terroristes d’inspiration djihadiste qui sont militairement armés, qui conquièrent des territoires, qui disposent de ressources puissantes, nos forces sont engagées depuis 2013 à grande échelle dans des opérations militaires de contre-terrorisme particulièrement exigeantes, sur terre, dans les airs et sur mer. À dire vrai, c’est une bonne part de notre appareil de défense qui est mobilisée autour de cet enjeu ; il s’agit d’une nouveauté dans notre histoire militaire.

Au même moment, la crise ukrainienne a reposé, d’une façon inédite depuis de nombreuses années, la question de la sécurité internationale et de la stabilité des frontières sur le continent européen lui-même. Elle ravive le spectre de conflits interétatiques en Europe. C’est pourquoi les forces françaises doivent maintenir à un haut niveau leurs capacités à faire face à la résurgence de « menaces de la force », quelles qu’en soient les formes, y compris en Europe même. C’est pour cette raison aussi que les choix fondamentaux de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 doivent être confortés.

Par leur soudaineté, leur simultanéité et leur gravité, les évolutions récentes ont mobilisé à un degré très élevé les moyens tant de connaissance et d’anticipation que d’action de notre pays. Elles ont mis sous tension notre système de forces, souvent au-delà des contrats opérationnels retenus en 2013 : nous avons régulièrement jusqu’à plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures et notre engagement sur le territoire national va bien au-delà des « 10 000 hommes pour un temps court » prévus par le contrat Protection de 2013, comme par celui de 2008. Des ajustements sont donc indispensables. C’est tout le sens de la clause de rendez-vous qui avait été fixée, très sagement, par la loi relative à la programmation militaire, la LPM.

J’observe que les transformations en cours ne concernent pas seulement la France : douze autres pays de l’Union européenne ont engagé une augmentation de leur budget de défense. Dans ce domaine, la France demeure au premier rang européen.

Cependant, je le redis, pour importantes qu’elles soient, ces évolutions ne remettent pas en cause les grands principes de la stratégie de défense et de sécurité nationale énoncés dans le Livre blanc. Par voie de conséquence, les grands équilibres définis par la loi relative à la programmation militaire sont confortés par le présent projet de loi. Le triptyque permanent « protection-dissuasion-intervention » doit impérativement continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces armées. Il ne peut être question d’abandonner l’une de ses composantes, comme certains le suggèrent, ouvertement ou de façon subreptice.

Cette exigence de maintenir le triptyque dans les conditions actuelles, que je crois partagée par une grande majorité d’entre nous, a un coût. Le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de l’assumer pleinement, malgré le contexte très contraint de nos finances publiques, car la défense du pays doit primer lorsque sa sécurité est clairement en jeu.

L’analyse de notre situation de sécurité appelait un accroissement de notre dépense de défense ; c’est ce qui a été décidé.

Je voudrais maintenant mettre en relief les neuf orientations majeures qui caractérisent l’actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019.

Premièrement, dans le contexte que je viens de rappeler, le Président de la République a fait le choix de définir un nouveau contrat de protection sur le territoire. L’objectif est que nos armées soient capables de déployer sur la durée – donc en intégrant les relèves – 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter presque instantanément jusqu’à 10 000 hommes pour un mois, comme nous l’avons fait en trois jours après les attentats de janvier.

À cet effet, les effectifs de la force opérationnelle terrestre, la FOT, seront portés à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 prévus initialement par la LPM. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente bien un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Elle profitera à l’ensemble de notre armée professionnelle et de nos missions.

Vous l’aurez en effet observé, dans la foulée des attentats de janvier et au regard de l’analyse des menaces qui a suivi, nous n’avons pas retenu les idées de « garde nationale » ni de réserve territoriale massive, qui avaient pourtant leurs mérites. Il s’agit bien d’un renforcement de nos unités de combat professionnelles. En effet, pour ce genre de mission, il faut des professionnels, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées.

J’entends d’ailleurs conduire une ample réflexion – je le dis en particulier au président Raffarin, qui m’avait interrogé sur ce point –, avec le chef d’état-major des armées et le général Bosser, sur le concept d’emploi, sur les capacités adaptées et les moyens de nos unités lorsqu’elles ont à être ainsi engagées sur le territoire national.

Ces forces ne sont pas des auxiliaires supplétifs de l’ordre public. Elles ont une mission de protection exigeante. Un tel déploiement doit permettre de contribuer, en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, à la protection non seulement de points d’importance vitale, mais aussi, le cas échéant, des flux essentiels pour la vie du pays, ainsi qu’au contrôle des accès terrestres, maritimes et aériens du territoire et à la sauvegarde des populations face à des menaces de tous ordres. Ces forces devront s’articuler avec la cyberdéfense, en pleine expansion.

Bien entendu, il sera rendu compte au Parlement. C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à la remise d’un rapport sur les conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, comme le prévoit l’article 4 ter inséré par votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je vous proposerai simplement, tout à l’heure, de décaler au 31 mars 2016 la livraison du premier rapport, afin de disposer d’un recul suffisant pour effectuer un retour d’expérience complet.

Deuxièmement, le Président de la République a décidé un allégement des déflations d’effectifs, dans le but, principalement, de renforcer nos capacités opérationnelles, ainsi que nos services de renseignement et de cyberdéfense.

Considérée globalement, cette réduction de la déflation permettra de gager les postes nécessaires pour la force opérationnelle terrestre, d’accompagner cette montée en puissance par les soutiens indispensables, de gager les besoins de créations de postes additionnels dans le domaine du renseignement – 650 postes de plus pour les services par rapport aux engagements de la LPM votée en 2013 – et de la cyberdéfense – au moins 500 postes de plus, pour un total supérieur à 1 000 postes sur la durée de la programmation –, enfin de poursuivre la transformation des armées et des services à l’horizon 2020. Je précise que ces postes permettront également d’accompagner les exportations d’armement. En effet, il ne suffit pas de signer des contrats : il faut accompagner la montée en puissance de leur exécution, ce qui nécessite que nos armées mobilisent et mettent à disposition des ressources à cette fin.

Troisièmement, le Président de la République a décidé d’accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale de la LPM.

Ces crédits additionnels profiteront tout d’abord au nouveau contrat Protection, avec 2,8 milliards d’euros affectés. En parallèle, des ressources supplémentaires seront consacrées à l’équipement des forces.

À cet égard, je pense d’abord à la régénération des matériels. L’effort financier en faveur de l’entretien des équipements était déjà inscrit dans la loi votée en 2013. Ainsi, l’entretien programmé des matériels bénéficiait d’une augmentation de 4,3 % par an en moyenne. Cet effort sera accru au profit des matériels les plus sollicités en opération, avec une dotation supplémentaire de 500 millions d’euros sur la période, soit à peu près 100 millions d’euros par an.

Je pense aussi à l’accentuation de notre effort sur les équipements critiques : 500 millions d’euros en crédits budgétaires nouveaux y seront consacrés, ainsi que 1 milliard d’euros issus de redéploiements internes, rendus possibles par la réaffectation des gains de pouvoir d’achat qui découlent de l’évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la LPM en décembre 2013.

C’est donc au total 1,5 milliard d’euros – 500 millions d’euros de crédits budgétaires nouveaux et 1 milliard d’euros de gain de pouvoir d’achat – qui vont être dégagés et affectés à l’équipement des forces. Cela permettra en particulier d’adapter notre composante « hélicoptères » aux exigences des opérations sur tous les théâtres par l’acquisition de sept Tigre et de six NH 90 supplémentaires, de renforcer nos capacités de transport aérien tactique, très sollicitées – nous étudions et avons provisionné à cette fin la mise à disposition de quatre nouveaux appareils C 130 –, de confirmer, monsieur de Legge, les livraisons de frégates multimissions FREMM sur la période de programmation, malgré le prélèvement d’un bâtiment pour l’exportation vers l’Égypte, et d’avancer le lancement du programme des futures frégates de taille intermédiaire, lesquelles assureront le relais des FREMM à moyenne échéance. Par ailleurs, grâce à ces capacités budgétaires nouvelles, nous pourrons équiper nos drones de surveillance d’une charge d’écoute électromagnétique, ce qui est tout à fait indispensable. Enfin, j’y insiste particulièrement, nous allons pouvoir boucler le financement du troisième satellite CSO, réalisé en coopération avec l’Allemagne, qui devrait assumer la majeure partie de son coût.

S’agissant de ces satellites, je rappelle qu’ils sont appelés à prendre progressivement la relève d’Hélios II à partir de 2018. Deux satellites ont été commandés par la France ; les discussions avec l’Allemagne portaient sur la commande d’un troisième satellite, pour un lancement prévu en 2021, ce qui permettra une complémentarité de l’ensemble de la constellation. Je vous informe que le Parlement allemand a donné un avis favorable à cette coopération voilà trois jours. Je pense que nous serons en mesure de conclure un accord définitif dès la rentrée.

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il s’agit d’un progrès important pour notre sécurité.

Quatrièmement, les décisions prises par le Président de la République sécurisent et simplifient la structure financière de la programmation militaire.

En effet, le Président de la République a décidé de mettre un terme, pour l’essentiel, à la pratique délicate et souvent critiquée des ressources extrabudgétaires, à l’exception du recours aux ressources issues des ventes de patrimoine immobilier.

Aussi les 6,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver pour la période 2015-2019 sont-elles converties, pour la plus grande part, en crédits budgétaires de droit commun, dès l’année 2015 en collectif à hauteur de 2,14 milliards d’euros, puis, pour le reste, dans les prochaines lois de finances initiales à partir de 2016.

Les 3,8 milliards d’euros supplémentaires qui viennent d’être décidés seront, de même, affectés à la mission « Défense » sous forme de crédits budgétaires. Il s’agit d’un effort considérable pour le budget de l’État par rapport aux prévisions, effort à la hauteur de la situation que j’ai décrite rapidement en commençant.

Au total, l’effort de la France en faveur de sa défense s’élèvera ainsi à 162,41 milliards d’euros pour la période 2015-2019, contre 158,61 milliards d’euros inscrits dans la LPM en 2013.

Je voudrais préciser ici, à l’intention en particulier de M. de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances, la manière dont ces évolutions, éminemment positives pour notre défense, vont être prises en compte dans la perspective de la prochaine loi de finances rectificative.

Pour 2015, la mise à disposition des 2,14 milliards d’euros interviendra dans le cadre du collectif budgétaire de fin de gestion. Toutefois, l’ouverture de ces crédits en fin d’année, combinée au besoin de financement au titre des surcoûts liés notamment aux opérations extérieurs, pourrait provoquer des tensions de trésorerie, en particulier pour les programmes 146 et 178. Pour y remédier, le ministère de la défense examine en ce moment même, avec le ministère du budget, la possibilité d’actionner différents leviers, en particulier une levée anticipée de la réserve de précaution, ainsi qu’un décret d’avance, qui devraient intervenir bien plus tôt qu’habituellement. Ces mesures permettront au ministère de la défense de disposer pleinement en 2015 des 31,4 milliards d’euros de crédits que j’ai annoncés à plusieurs reprises et que le Président de la République a décidé de sanctuariser.

Lors du débat à l’Assemblée nationale, vos collègues députés avaient introduit par amendements trois dispositions : d’une part, l’inscription dans les articles de loi, et non plus dans le rapport annexé, de la clause de sauvegarde relative à la couverture des volumes de carburant nécessaires à l’activité des armées en cas de hausse des cours ; d’autre part, la remise, d’ici à la fin de 2015, de deux rapports du Gouvernement sur l’opportunité d’introduire dans la loi de programmation des clauses de sauvegarde financières dans le cas d’un retournement des indices économiques et dans le cas où les cessions immobilières et de matériels ne seraient pas au rendez-vous.

La commission des finances du Sénat a souhaité modifier ce texte en insérant directement trois nouvelles clauses de sauvegarde complémentaires, qui amplifient les premières clauses inscrites par l’Assemblée nationale : les deux clauses relatives l’une aux gains liés aux indices économiques, l’autre aux ressources issues de cessions, sur l’opportunité desquelles un rapport était demandé, ainsi qu’une nouvelle clause relative au financement des opérations intérieures. Par ailleurs, la commission des finances a souhaité modifier la clause existante sur le financement des opérations extérieures et exonérer de la décote prévue par la loi relative à la mobilisation du foncier de l’État en faveur du logement social les cessions de terrains occupés par le ministère.

Je reviendrai tout à l’heure sur les raisons qui m’amènent à vous proposer de supprimer ces nouvelles dispositions, qui risquent de modifier substantiellement, à mon sens, l’équilibre du texte. Néanmoins, j’ai bien compris les intentions qui vous animent… (M. Robert del Picchia rit.)

Cinquièmement, vous le savez, la LPM porte une véritable ambition pour notre industrie de défense, et son actualisation, que j’ai retracée rapidement, prolonge cette orientation de base.

À cet égard, je veux d’abord rappeler que l’actualisation apporte des réponses claires, avec des succès majeurs qui viennent conforter notre programmation, aux interrogations, en partie justifiées, quant à la soutenabilité des paris faits sur nos exportations que suscitait, notamment dans cette enceinte, la LPM votée en 2013. La concrétisation récente, tant attendue, de l’exportation du Rafale au profit de l’Égypte et du Qatar, en attendant celle de l’engagement du Premier ministre indien Modi portant sur trente-six appareils, permet de lever ces interrogations. Comme vous le savez, d’autres prospects sont en cours, qui pourront peut-être aboutir rapidement.

En tout cas, plus que jamais, l’« équipe France » des exportations de défense doit être mobilisée, et je ne doute pas, pour ma part, que nous puissions enregistrer d’autres succès en faisant de nouveau preuve de cohésion et de cohérence.

L’État favorisera notre industrie par sa politique d’acquisition, qui profitera à plusieurs secteurs du fait du surcroît d’investissement que j’ai décrit précédemment : en moyenne annuelle, jusqu’en 2019, le ministère dépensera 17,6 milliards d’euros pour ses acquisitions d’équipements.

L’État poursuivra aussi, par son implication d’actionnaire, tous les mouvements permettant la création de leaders européens compétitifs.

Dans cet esprit, en coopération avec l’Allemagne et l’Italie, un projet de drone d’observation de reconnaissance de type MALE, qui pourrait équiper nos armées à partir de 2025, est en cours d’élaboration. C’est une avancée considérable, qui a été confirmée par les acteurs industriels lors du salon du Bourget.

Par ailleurs, la consolidation industrielle se poursuit dans le secteur terrestre. Le rapprochement entre Nexter et KMW devrait être finalisé très prochainement. Sans aller jusqu’à dire qu’elle débouchera sur l’émergence de l’« Airbus du terrestre », la concrétisation de cet accord n’en marquera pas moins une avancée majeure.

Dans le secteur des lanceurs spatiaux, la création de la coentreprise Airbus-Safran sera pleinement opérationnelle d’ici à la fin de 2015.

Je suis très heureux de l’aboutissement de ces trois dossiers sensibles, pour lequel les acteurs ont su se projeter dans une coopération porteuse de développements très positifs.

Sixièmement, ce projet de loi marquera la création des associations professionnelles nationales de militaires, les APNM, qui contribuera notamment à la rénovation de la concertation militaire. Il s’agit là, à n’en pas douter, d’une innovation majeure, qui fera date dans l’histoire de notre défense.

Vous le savez, le droit français a interdit traditionnellement aux militaires de créer des groupements professionnels ou d’y adhérer. Par deux arrêts prononcés le 2 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, estimant que cette interdiction générale et absolue figurant dans notre loi était contraire à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le chapitre II de ce projet de loi d’actualisation de la programmation militaire instaure donc le droit, pour les militaires, de créer librement des associations professionnelles nationales de militaires et d’y adhérer, et seulement à elles : en effet, la création de groupements à caractère syndical, au sens du droit commun du travail, reste proscrite.

Les « restrictions légitimes » à l’application de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme citées dans les deux arrêts que j’ai évoqués concernent plus particulièrement les droits de grève, de manifestation ou de retrait, ou encore les actions collectives de la part des militaires engagés dans des opérations.

Il importe que cette avancée majeure soit accompagnée et acceptée par toute la communauté militaire. C’est la raison pour laquelle elle ne doit ni heurter, ni précipiter les choses, mais au contraire rassurer sur le fait qu’elle ne remet en cause ni les obligations fondamentales de nos armées ni l’unicité du statut militaire.

La création des APNM résulte d’un équilibre entre les règles de valeur constitutionnelle et les engagements conventionnels de la France. Les travaux du président Bernard Pêcheur ont abouti à une proposition de texte. Les députés ont souhaité élargir le champ de certaines dispositions, ouvrir un peu plus certaines options, dans le respect des équilibres. Vous avez pour votre part, mesdames, messieurs les sénateurs, sur certains points, souhaité revenir à la rédaction initiale du Gouvernement. Il appartiendra au dialogue en commission mixte paritaire de déterminer un compromis ; je ne doute pas qu’il sera équilibré.

Septièmement, je souhaite attirer votre attention sur la nouvelle politique des réserves que ce projet de loi vise à lancer. Il s’agit notamment d’associer davantage les réserves opérationnelles au renforcement de la posture de « protection » de nos armées, qu’il s’agisse des déploiements ou de la cyberdéfense. C’est pourquoi le texte qui vous est soumis prévoit un effort sans précédent au profit de la réserve opérationnelle.

Le projet de loi fixe pour objectif de faire passer de 28 000 à 40 000 le nombre de réservistes, en favorisant un élargissement des recrutements vers la société civile. Cette ambition est forte, tout en demeurant réaliste. Je puis vous assurer que les chefs d’état-major sont résolus à obtenir ce résultat ! Outre une augmentation du budget dédié à la réserve de 75 millions d’euros sur la période 2016-2019, des partenariats avec les entreprises sont engagés. Tout cela devrait permettre d’atteindre cet objectif ; j’y suis personnellement très attaché.

Huitièmement, au titre du lien entre l’armée et la nation, l’expérimentation en métropole d’un service militaire volontaire sera lancée. Il s’inspirera du service militaire adapté, dont vous savez qu’il a fait ses preuves dans les outre-mer.

Je souligne qu’il s’agit d’un dispositif militaire, porté par l’armée de terre, en partenariat avec des entreprises et des acteurs régionaux de l’emploi et de la formation. Deux centres, situés à Montigny-lès-Metz en Moselle et à Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne, accueilleront des jeunes en service militaire volontaire à compter de la rentrée de 2015. Un troisième centre, qui sera établi dans un premier temps à La Rochelle, complètera l’expérimentation en 2016.

Le financement de cette expérimentation est intégré dans le projet d’actualisation de la programmation militaire. Il serait en revanche prématuré de définir dès aujourd’hui les modalités de financement du service militaire volontaire s’il devait être pérennisé à l’issue de cette phase d’expérimentation, comme le propose la commission de la défense du Sénat. C’est le sens de l’amendement gouvernemental que nous étudierons tout à l’heure. L’expérimentation est au compte du ministère de la défense. Lorsqu’elle sera parvenue à son terme, si elle se révèle assez forte et convaincante pour être poursuivie, je pense que les financements nécessaires devront être trouvés ailleurs.

En tout état de cause, ce dispositif s’intègre naturellement dans un ministère dont la tradition et l’exemplarité en matière de lien entre armées et jeunesse ne sont plus à démontrer, avec près de 20 000 jeunes recrutés par an, 6 000 stagiaires au titre du service militaire adapté outre-mer, 750 000 participants chaque année à la Journée défense citoyenneté, 10 000 stagiaires de tous niveaux et 30 000 jeunes accueillis dans le cadre du plan « égalité des chances ».

En plus de ce service militaire volontaire que nous créons et des missions que je viens d’évoquer, le ministère de la défense diversifiera et augmentera le nombre de missions de service civique qu’il propose, conformément à la décision du Président de la République de porter à 70 000 dès 2015 et à 150 000 en 2016 le nombre de jeunes volontaires du service civique, désormais universel.

Dans ce cadre, le Gouvernement a présenté, lors de la discussion à l’Assemblée nationale, un amendement au projet de loi d’actualisation qui a été adopté par les députés et qui permettra à l’Agence du service civique d’assurer la montée en charge du dispositif de service civique et de mettre en œuvre le volet jeunesse du programme européen « Erasmus + ».

Enfin, je voudrais souligner devant vous, pour éviter tout malentendu ou erreur d’interprétation, que la transformation en cours du ministère, engagée dans pratiquement toutes ses composantes, ne va pas s’arrêter, au contraire. Il y aura des mouvements de flux, avec des suppressions de postes destinées à gager des créations ou à accompagner des restructurations dans le cadre des plans stratégiques de chaque armée ou grand service : « Au contact ! » pour l’armée de terre – ce plan tout à fait remarquable a été établi par le général Bosser au terme d’un travail accéléré et très efficace –, « Horizon marine 2025 » pour la marine, « Unis pour faire face » pour l’armée de l’air, « SSA 2020 » pour le service de santé des armées, « SCA 2021 » pour le service du commissariat des armées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai ouvert mon propos en insistant sur la gravité des menaces que nous devons affronter aujourd’hui et, malheureusement, dans la durée.

Face aux urgences opérationnelles, les armées ont répondu présentes à la mobilisation sans précédent par son ampleur, par sa rapidité, souhaitée par le Président de la République à la suite des attentats de janvier. Elles l’ont fait en dépit de toutes les difficultés qui ont pu se présenter, en faisant preuve, au-delà du courage et du professionnalisme que nous leur connaissons, d’une abnégation à toute épreuve.

Aujourd’hui, nos soldats ont besoin de votre soutien, au travers de l’approbation d’un effort détaillé dans cette actualisation de la programmation militaire. Ce soutien est nécessaire pour que nos armées continuent de remplir les missions qui leur sont confiées. Je souhaite vivement une mobilisation de tous, du Gouvernement comme du Parlement, c’est-à-dire de la nation dans toutes ses composantes, qui sait se rassembler lorsque l’essentiel est en jeu.

Je mesure le travail constructif accompli sur ce texte par la Haute Assemblée. Pour fréquenter régulièrement vos commissions, je mesure aussi combien les sénateurs ont à cœur d’assurer à nos armées les moyens de remplir leurs missions. Soyez d’ores et déjà remerciés de cette vigilance !

Cette actualisation est, me semble-t-il, à la hauteur des enjeux. Jamais une telle inflexion, en termes de ressources humaines et de finances, n’avait été décidée en cours de programmation : nécessité fait loi.

Jamais non plus la place des militaires au sein de la société, dans leur spécificité mais aussi dans la plénitude de leur citoyenneté, n’avait été reconnue au point où elle l’est aujourd’hui, au travers de la création des associations professionnelles nationales de militaires.

Je suis assez frappé du fait que jamais le niveau de confiance des Français à l’égard de nos forces armées n’avait été aussi élevé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est une image très forte qu’ont aujourd’hui nos armées auprès de la population.

Ma conviction est que les propositions que je vous soumets sont appelées à renforcer la qualité de nos forces et la confiance que nous plaçons en elles, ainsi que la confiance de nos forces en la représentation nationale et en la nation. Il y va de la sécurité du pays, notre bien commun ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)