M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après avoir examiné mercredi dernier l’actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2015-2019, nous voici réunis pour voter le texte issu de nos débats.

La rapidité du parcours législatif de ce texte prouve, s’il en était besoin, la nécessité de cette réactualisation et l’importance d’une mise en œuvre rapide.

Au cours des débats, nous avons tous salué l’action quotidienne de nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, ainsi que, de manière plus générale, l’engagement de notre armée.

Hormis des oppositions persistantes – j’y reviendrai dans quelques instants –, la représentation nationale a démontré que, lorsque les conditions l’exigent, elle sait œuvrer collectivement et dans la même direction. En effet, nous nous accordons tous, du moins dans une vision à court terme, sur les principaux objectifs et défis sécuritaires que nous devons relever. C’est sur la question des moyens et de la mise en œuvre de notre politique de défense que nous avons pu connaître des divergences.

Si le groupe écologiste souscrit davantage à une approche « non violente » des relations internationales, je ne reviendrai pas sur les priorités diplomatiques de la France ou sur la multiplication inquiétante des OPEX, ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ces sujets lors de la discussion générale.

Nous reconnaissons les efforts consentis par le Gouvernement dans le cadre de cette actualisation. Les circonstances, nationales comme internationales, imposaient en effet de telles décisions.

L’actualisation a permis une augmentation du budget de 3,8 milliards d’euros, étalée jusqu’en 2019. Le Sénat, par deux amendements, a cherché à sécuriser ces financements en instaurant diverses clauses de sauvegarde.

Si je rejoins certains de vos arguments, monsieur le ministre, je pense que les surcoûts successifs de ces dernières années nous amènent légitimement à nous poser la question d’une sécurisation accrue des ressources, afin, notamment, que la préparation opérationnelle de nos forces ou encore l’entretien du matériel ne pâtisse pas d’une conjoncture trop changeante.

Quant au financement interministériel, si je suis d’accord avec le Gouvernement sur le financement du surcoût des OPEX, je pense que le financement interministériel des missions intérieures, telles que l’opération Sentinelle, est une question sur laquelle nous devons réfléchir.

Sur le plan des effectifs, conformément aux annonces faites à la suite du conseil de défense du 29 avril 2015, l’actualisation ralentit la déflation des effectifs, en préservant quelque 18 750 postes et en prévoyant la création de 15 399 postes dirigés, notamment, vers les forces opérationnelles terrestres et le renseignement.

Si nous saluons bien évidemment cet effort, nous aurions préféré que la tendance soit inversée. En effet, la prévention des conflits et la gestion des crises passent, avant toute chose, par les hommes.

Les difficultés croissantes d’accès aux ressources, dues à des raisons climatiques, mais aussi anthropiques, sont déjà responsables d’une montée des tensions qui s’accélère et elles seront des facteurs de déstabilisation majeurs dans les années à venir. C’est pourquoi les missions des forces armées doivent être repensées.

En outre, monsieur le ministre, mercredi dernier, vous avez réaffirmé devant nous que la dissuasion constituait « l’un des éléments majeurs de notre sécurité, plus encore aujourd’hui qu’hier » et qu’au vu du contexte international vous estimiez qu’il fallait « assurer la sanctuarisation du financement de la dissuasion ».

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Je le maintiens.

Mme Leila Aïchi. Dont acte !

Nous ne nions pas la réalité. Le monde vit, en effet, une séquence de réarmement nucléaire, consacrée par les différents programmes de développement et de modernisation de la Russie, des États-Unis, de la Chine ou encore de l’Inde. Toutefois, face à ce réarmement mondial, monsieur le ministre, je vous pose de nouveau la question : avons-nous les moyens de maintenir et de renouveler nos programmes, de manière automatique et sans débat de fond ?

Face à cette escalade, la réponse la plus appropriée est, selon nous, une relance de l’Europe de la défense, ou plutôt d’une défense européenne, pour être fidèles aux travaux de mes collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat. Nous le savons tous ici : le chemin sera long et se fera par étapes.

La première est celle d’une impulsion politique claire. Or force est de constater que cette volonté politique peine à se faire entendre. Pourtant, une mutualisation de nos moyens pourrait être une réponse aux nombreux défis que nous rencontrons. L’Europe de la défense est mentionnée dans le rapport annexé. Soit ! Il s’agit maintenant de mettre en application les principes que nous formulons.

Face aux menaces transnationales d’aujourd’hui – dérèglement climatique, terrorisme, instabilité régionale, menaces de la faiblesse, menaces de la force –, pourquoi ne pas adopter une défense à la mesure des défis sécuritaires qui se posent à nous ?

En outre, le débat récurrent autour des recettes exceptionnelles doit nous pousser à réfléchir en dehors du cadre national. À ce sujet, vous l’avez réaffirmé, et nous avons largement salué cette décision : « les 6,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver pour la période 2015-2019 sont convertis, pour la plus grande part, en crédits budgétaires de droit commun ».

Cependant, une part de REX persiste, et, face à ces difficultés, nous devons reconsidérer l’opportunité d’une mutualisation au niveau européen. En effet, il serait alors possible de répondre aux besoins des uns et des autres tout en mutualisant les coûts.

Enfin, pour revenir à l’échelon national, l’une des grandes avancées de ce texte est la création des associations professionnelles nationales de militaires, les APNM. Nous préférons, évidemment, le texte issu de l’Assemblée nationale, notamment en matière de droit d’expression et de droit de se porter partie civile. Néanmoins, de manière générale, il s’agit là d’une première étape importante.

Nous comprenons le devoir de réserve des militaires, mais pensons que l’armée ne peut être en dehors de la société et que les APNM sont une passerelle que nous ne devons pas minorer, mais au contraire encourager et soutenir.

Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le ministre, malgré les réserves de fond déjà exprimées et que vous connaissez, le groupe écologiste soutient l’action de nos soldats dans un contexte difficile et s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain d’un 14 juillet placé sous le signe de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité de nos compatriotes, nous sommes amenés à nous prononcer sur l’actualisation de la loi de programmation militaire 2015-2019.

Je voudrais tout d’abord souligner le sérieux et la responsabilité qui ont caractérisé nos débats la semaine dernière. Ce n’est pas seulement dû à une trop faible présence en séance – elle s’est d’ailleurs bien améliorée cet après-midi ! Cela vient plutôt du fait que chacun a pris conscience que permettre à nos armées d’assurer l’intégrité du territoire, de protéger nos compatriotes et de défendre les intérêts vitaux de la nation ne doit pas donner lieu à des querelles et à des calculs politiciens.

Bien entendu, avoir une telle conscience n’exclut pas l’affirmation de convictions divergentes et l’expression de désaccords importants sur la politique de défense menée par le Gouvernement.

C’est pourquoi je rappelle que nous avions pris soin de souligner, dans la discussion générale, que nos appréciations portaient sur des mesures rendues nécessaires par l’évolution du contexte, et non sur les grands principes de la loi de programmation initiale, sur laquelle nous conservons nos désaccords de fond.

Les aspects positifs de cette actualisation viennent essentiellement des leçons que nous avons su tirer de l’engagement intensif de nos forces, de l’évolution des menaces et des besoins nouveaux qui sont apparus depuis le mois de décembre 2013.

Ces enseignements ont trouvé une juste traduction en termes budgétaires – je n’y reviendrai pas – en matière d’effectifs, d’entretien des matériels et de commandes de nouveaux équipements. Pour ce qui concerne les effectifs, nous apprécions particulièrement la pause qui est faite sur la trajectoire d’une déflation inconsidérée.

Il aura malheureusement fallu la multiplication d’attentats sur le territoire national pour que l’on se rende compte que ces suppressions d’emplois, dont la seule justification était de faire des économies au profit des équipements, nous rendraient incapables de faire face à une situation de crise imprévue.

Ces coupes drastiques ne pouvaient d’ailleurs qu’avoir de graves conséquences sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, au risque de l’affaiblir.

En outre, selon le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, cette politique de restructuration, à laquelle se sont ajoutés les effets désastreux des dysfonctionnements du système de paie Louvois, a également eu des répercussions très négatives sur le moral des militaires et de leurs familles, le tout sur fond d’une situation sociale dégradée, qui entame la confiance des personnels dans l’institution.

C’est pourquoi, même si cela ne fait pas partie, stricto sensu, de l’actualisation de la loi de programmation, notre groupe accorde une grande importance à la reconnaissance du droit d’association des militaires, qui auront désormais la possibilité de créer des associations nationales professionnelles. Sur ce point, nous préférons nous aussi le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale à celui qui a été retenu par le Sénat. Dans un tel contexte, nous ne pouvons que souhaiter que ces associations trouvent rapidement leur place et qu’elles jouent leur rôle avec efficacité.

Toujours sur la question des effectifs, je voudrais souligner que les difficultés apparues dans la mise en œuvre de l’opération Sentinelle montrent combien il est maintenant nécessaire de mener une réflexion sur la doctrine d’emploi de nos armées sur le terrain intérieur.

Il s’agit en effet d’une conception nouvelle de la protection du territoire, puisqu’elle est fortement recentrée sur le territoire national.

À cet égard, un récent vol de munitions a révélé, par les défaillances mises en lumière dans la protection de certaines installations militaires, une utilisation des forces terrestres pour protéger la population et les lieux de culte contre les menaces terroristes qui a porté préjudice à la sécurité des installations militaires. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous prendrez rapidement les mesures qui s’imposent, à la suite du rapport qui doit vous être remis sur ce sujet.

Pour juger de la programmation militaire, il faut savoir si son actualisation nous donnera, à la fois, les moyens d’assurer la protection de notre territoire national et de nos compatriotes et ceux d’intervenir simultanément sur plusieurs théâtres extérieurs. Heureusement, vous ne prétendez plus mieux dépenser en réduisant de façon drastique le format de nos armées.

L’un des effets de ces économies est surtout d’avoir permis de payer fort cher des technologies qui ne correspondent pas au type de conflits ou d’opérations dans lesquels nos armées sont engagées. C’est pourquoi nous persistons à croire que, pour adapter nos forces à la stratégie définie dans la programmation militaire que vous proposez, il est nécessaire de réduire le coût de nos forces nucléaires.

Ce n’est pas de notre part, comme voudraient le faire croire ceux qui caricaturent nos positions, une opposition purement idéologique, de principe, aux armes nucléaires. C’est seulement considérer que l’apparition de nouveaux acteurs stratégiques au comportement irrationnel crée maintenant une source d’instabilité qui menace la planète tout entière. Il serait donc logique de réduire nos armements nucléaires à leur niveau de « stricte suffisance », sans entamer leur crédibilité ni provoquer une perte de compétences.

Par ailleurs, même si ce n’est pas le sujet aujourd'hui, il conviendrait de réfléchir à notre politique de commerce des armes. Certains pays destinataires se trouvent directement ou indirectement impliqués dans le soutien de ceux que nous combattons au Sahel ou en Irak et qui commettent tant d’atrocités, également, en Syrie, en Libye, en Tunisie ou sur notre sol.

En conclusion, monsieur le ministre, les aspects positifs de ce projet de loi d’actualisation ne nous semblent pas suffisants pour modifier une programmation qui donnerait à notre pays les moyens de mettre en œuvre un modèle d’armée à même de répondre efficacement à l’évolution des enjeux internationaux, ainsi qu’aux besoins de sécurisation du territoire national.

En outre, la stratégie arrêtée dans le cadre de la loi de programmation militaire initiale, notamment concernant la dissuasion nucléaire, étant maintenue, le groupe CRC ne pourra voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Bruno Sido. Dommage !

Ouverture du scrutin public

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à quinze heures quarante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public

M. le président. Je tiens tout d’abord à remercier Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 225 sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, dans le texte de la commission, modifié :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l’adoption 302
Contre 19

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne dirai que quelques mots, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant vous à de nombreuses reprises lors de la préparation de ce projet de loi d’actualisation, que ce soit en séance publique, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ou devant la commission des finances ; je ne reviendrai donc pas sur le fond de ce texte.

Je veux d’abord vous remercier, monsieur Raffarin, de votre travail et de celui de la commission que vous présidez, aux séances de laquelle j’essaie d’être le plus assidu possible. Nous y menons un important travail d’explication, dans un climat de confiance, pour notre pays et nos forces armées.

Je veux aussi remercier M. de Legge, rapporteur pour avis, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant la commission des finances.

Je souhaite enfin vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’apprécie l’ampleur de votre soutien, toutes tendances politiques confondues. En effet, nos armées méritent que l’on dépasse les clivages partisans.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En voyant défiler hier nos forces depuis la tribune des Champs-Élysées, j’ai éprouvé de la fierté d’être le ministre de ces armées-là. Par la suite, en écoutant les uns et les autres, j’ai aussi constaté – comme vous, probablement – que les Français éprouvaient à la fois confiance et respect à l’égard de nos forces armées. Ce sont cette confiance et ce respect que je ressens face au vote que vient d’émettre la Haute Assemblée.

De cette discussion sur l’actualisation de la programmation militaire, je garde donc ces deux mots : confiance et respect à l’égard de nos forces armées, qui œuvrent à la sécurité de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense
Discussion générale (début)

7

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

M. le président. La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Adnot membre suppléant du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

8

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, le 15 juillet 2015, un vote défavorable – quatre voix pour, dix voix contre, un bulletin blanc – à la nomination de M. Christian Dubreuil aux fonctions de directeur général de l’Office national des forêts.

Acte est donné de cette communication.

9

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015.

Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Valérie Létard,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est reprise.

10

Accord européen relatif à la Grèce

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat et d’un vote

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l’accord européen relatif à la Grèce, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50–1 de la Constitution.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je vais vous donner lecture du discours que M. le Premier ministre prononce en ce moment même devant l’Assemblée nationale. Vous verrez que cet exercice me posera une petite difficulté, que je me permettrai de vous signaler le moment venu.

« L’Union européenne vient de vivre des moments difficiles et même historiques.

« Il y a toujours des esprits résignés, qui pensent que l’on ne peut plus écrire l’histoire, que nos vieilles nations, fatiguées par le fardeau des siècles, devraient renoncer, que nos destins se décident ailleurs, indépendamment de nos volontés. Et il y a bien sûr ceux qui souhaitent voir l’Europe se disloquer.

« Nos compatriotes, qui ont suivi les évolutions de la situation grecque au jour le jour, ont bien senti que quelque chose de fondamental se jouait et que notre destin pouvait basculer. En effet, au-delà de l’avenir de la Grèce, c’est aussi, d’une certaine façon, l’avenir de la construction européenne qui était en cause.

« Or, une fois encore, il faut constater que l’Europe, au moment où nous nous exprimons, est en train de surmonter une crise qui aurait pu lui être fatale.

« Sans un accord, en effet, nous aurions laissé un pays et abandonné un peuple à un sort extrêmement difficile sur le plan économique, fait de dévaluation, d’inflation, d’effondrement des salaires, de faillite des banques et des entreprises, de risques de divisions, de déstabilisations, mais devant aussi subir des conséquences géopolitiques et géostratégiques » – nous en avons parlé l’autre jour – « que personne ne peut nier. Sans un accord, nous aurions donné une image inquiétante de l’Europe vis-à-vis du monde, c'est-à-dire de tous nos partenaires, des États-Unis, de la Chine et des autres grands pays, et nous aurions, en quelque sorte, tiré un trait sur une certaine conception de la solidarité européenne.

« La France ne pouvait pas l’accepter. » Je l’ai dit ici même, au nom du Gouvernement, il y a quelques jours.

« Notre pays a su faire entendre sa voix, peser de tout son poids, grâce, en particulier, au Président de la République. Nous avons estimé que l’on ne faisait pas sortir un pays de l’Union européenne comme cela, au gré des aléas, et que le fatalisme, les égoïsmes, le chacun pour soi, quelles que soient les difficultés, ne pouvaient pas être le langage de l’Europe.

« La semaine dernière, vous avez tous souhaité que nous débattions ici, pour que la parole de la représentation nationale se fasse entendre ». Le président Larcher était intervenu en ce sens. « De fait, l’Europe doit toujours se construire avec le peuple et ses représentants.

« C’est dans cette même logique que le Président de la République a souhaité que le Parlement se prononce, par un vote, sur le contenu de l’accord.

« Quelques mots sur cet accord.

« D’abord, il constitue la réaffirmation que la place de la Grèce est dans la zone euro et pleinement dans l’Union européenne.

« Il n’y a donc pas de “Grexit”, pour reprendre un mot que je ne trouve pas très joli, « ni de “Grexit temporaire”, idée dangereuse et, en réalité, compte tenu des mécanismes, assez impraticable, qui reviendrait sans doute au même.

« Nous entendons parler d’“humiliation”, mais, même si les choses sont très difficiles, l’humiliation aurait sans doute été, pour ce pays, d’être chassé de la monnaie unique, alors que l’immense majorité des Grecs souhaitent la conserver.

« Cet accord est aussi la réaffirmation de la volonté de dix-neuf États souverains de préserver l’intégrité et la stabilité de la zone euro.

« Quand on l’examine en détail, on constate que l’accord qui va faire l’objet de votre vote comporte trois dispositions principales.

« Première mesure : la Grèce va pouvoir disposer de financements importants, en contrepartie d’engagements sur un certain nombre de réformes.

« Un nouveau programme d’aide financière, sur trois ans, dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, comprendra entre 82 et 86 milliards d’euros, en complément de deux précédents programmes. C’est malheureusement indispensable au regard de la situation financière et économique d’un pays qui ne peut aujourd’hui absolument pas se financer sur les marchés.

« La négociation de ce programme prendra nécessairement plusieurs semaines. Il y a donc urgence à mettre en place un financement-relais dans les tout prochains jours. La Grèce a devant elle d’importantes échéances de remboursement, notamment à l’égard de la Banque centrale européenne, qui a joué et continue de jouer un rôle majeur pour apporter des liquidités. C’est pourquoi la France est pleinement mobilisée pour définir, avec ses partenaires, les modalités de ce financement.

« Le nouveau programme d’aide financière sur trois ans exige, et c’est normal, le respect de conditions strictes. En liant leurs destins, les pays de l’Union se donnent des règles qui doivent valoir pour tous.

« Dès ce soir, la Grèce devrait voter des réformes importantes sur la TVA, de manière à dégager plus de recettes, et sur le système de retraites, sujet très délicat, pour en garantir la viabilité.

« La semaine prochaine, la Grèce doit faire adopter le code de procédure civile, car il faut accélérer les procédures judiciaires et réduire les coûts. Elle devra ensuite mener d’importantes réformes pour améliorer le fonctionnement de son économie, notamment le marché des biens de consommation, le marché de l’énergie ou encore le marché du travail.

« Un programme de privatisations est également prévu. Un fonds indépendant, localisé en Grèce et placé sous l’autorité du gouvernement grec – la France y a insisté, pour que la souveraineté de la Grèce soit respectée – gérera la vente d’un certain nombre d’actifs. Les produits générés permettront à la Grèce de disposer progressivement d’une somme d’un montant total de 50 milliards d’euros » – c’est beaucoup d’argent ! – « pour rembourser la recapitalisation des banques, diminuer la dette et soutenir l’investissement, et donc la croissance.

« Enfin, la Grèce s’engage à moderniser en profondeur son administration publique et va notamment créer une agence des statistiques indépendante. » Vous vous rappelez sans doute que, par le passé, des travestissements de la réalité avaient donné lieu à des controverses.

« Les choix faits par le gouvernement de M. Tsipras ne sont certainement pas faciles. Alors qu’ils ont déjà subi les effets d’une crise économique et sociale sans précédent, les Grecs devront faire des efforts supplémentaires. Ces efforts sont indispensables – c’est tout le problème – et, il faut y insister, sans commune mesure avec l’appauvrissement de la population grecque qu’aurait provoqué un Grexit. » Les deux solutions doivent toujours être comparées, même si chacune a ses inconvénients.

« Il faut saluer le courage du Premier ministre grec (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), qui, prend, ici, des décisions difficiles, mais nécessaires, dans l’intérêt supérieur de son pays. Et, quand on veut soutenir la Grèce et M. Tsipras, il est préférable de ne pas faire le jeu de ceux qui voudraient la sortie du pays de la zone euro. Certains, essentiellement par idéologie, militent aujourd’hui pour un refus de l’accord. En réalité, les suivre pourrait faire le malheur des Grecs malgré eux !

« Le chemin choisi est davantage celui de la vérité et de la responsabilité. Le gouvernement grec doit aussi rétablir la confiance avec les partenaires européens, car, assurément, beaucoup de temps a été perdu depuis le mois de février. Mais il faut penser que c’est le seul chemin qui puisse sortir durablement le pays de la crise et donc lui rendre sa souveraineté et sa fierté, à laquelle les Grecs tiennent beaucoup, à raison. En effet, se réformer, moderniser son économie, rebâtir un État moderne qui fonctionne, mettre en place une vraie fiscalité sont des nécessités pour un pays qui veut renouer avec la compétitivité, qui est nécessaire. La Grèce le sait bien !

« Et il ne faut pas oublier, mesdames, messieurs les parlementaires, que la plupart des réformes figurant dans le texte de l’accord sont reprises des propositions du gouvernement du Premier ministre Alexis Tsipras qui ont été approuvées par le parlement grec dans la nuit du 10 au 11 juillet dernier.

« Une deuxième mesure importante de l’accord est le traitement de la dette. C’était vital pour la Grèce, pour qu’elle puisse commencer à envisager un avenir qui ne se limite pas au seul remboursement.

« En ce moment, l’Eurogroupe réfléchit à des mesures permettant à la Grèce de retrouver un peu d’oxygène et de garantir la soutenabilité de la dette, qui s’élève aujourd’hui à 180 % de sa richesse. Ce point était capital pour le Premier ministre Alexis Tsipras, qui a obtenu satisfaction. Le Fonds monétaire international a encore répété, ce matin, qu’il fallait alléger la dette grecque, et c’est bien ce que nous allons faire, en reprofilant la dette, ce qui pourrait passer » – mais ce n’est pas encore décidé – « par un allongement de la durée de remboursement, ou encore par une réduction des taux d’intérêt.

« La troisième mesure de l’accord est elle aussi importante, même si l’on y a peu insisté : les Grecs disposeront d’un programme d’investissement de 35 milliards d’euros, au service de la relance de la croissance.

« Cette somme proviendra à la fois des fonds structurels et des différents programmes de l’Union européenne, mais aussi de ce que l’on appelle le “plan Juncker”. Ce que nous défendons à l’échelle européenne, s’agissant de la stratégie économique à mener, vaut aussi pour la Grèce : il ne peut pas y avoir de réformes efficaces s’il n'y a pas des investissements et de la croissance.

« Nous avons ici un accord difficile, mais, nous semble-t-il, responsable et qui doit s’inscrire dans la durée. Je veux saluer l’implication du ministre des finances, Michel Sapin, qui a œuvré sans relâche pour rapprocher les points de vue.

« Bien sûr, nous n’ignorons pas les difficultés, et il y aura encore, assurément, des rendez-vous compliqués pour la Grèce et pour l’Europe. Toutefois, la Grèce va recevoir » – je viens de l’indiquer – plus de 80 milliards d’euros d’aide financière, 35 milliards d’euros au service de la croissance et voir sa dette rééchelonnée. Il y a des réformes à mener, mais, sans ces deux mesures, des difficultés lourdes réapparaîtront. Au reste, si les réformes sont très exigeantes, c’est aussi – il faut le dire – parce qu’elles n’avaient jamais été menées.

« Cet accord, ce n’est pas un “chèque en blanc”, parce que nous demandons beaucoup à la Grèce, bien évidemment pas pour la punir, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là – cela n’aurait pas de sens –, mais pour l’accompagner dans un redressement économique qui est absolument indispensable.

« Ayons à l’esprit que l’absence d’accord » – là encore, il faut comparer les deux solutions – « aurait abouti avec certitude à ce que les 40 milliards d’euros de prêts que les contribuables français ont consentis aux Grecs disparaissent à jamais.

« Ceux qui ont tout fait pour le Grexit, qui ont appelé à punir les Grecs, appelaient en fait à nous punir nous-mêmes. (M. Roland Courteau s’exclame.) Grâce à l’action de la France et d’autres pays, ce sont finalement aussi les intérêts des contribuables français qui sont protégés. (M. Francis Delattre s’exclame.)

« Quel a été le rôle de la France ?

« La France a agi » – je crois que personne ne le conteste – «, et singulièrement le Président de la République, pour cet accord. C’était notre rôle, c’était son rôle ; c’était ce que l’on attendait de notre pays. Il s’agissait de privilégier l’intérêt général, celui de l’Europe.

« Nous avions aussi une responsabilité envers la Grèce et le peuple grec. Des liens singuliers – vous l’avez tous souligné – de nature historique, intellectuelle et autres nous unissent à ce pays, peut-être parce que – sans vouloir entrer dans une philosophie facile – nos nations partagent une même ambition, un peu plus large que nous-mêmes, voire parfois universelle. La Grèce et la France – voilà longtemps pour la Grèce, plus récemment pour la France – ont voulu que leur voix porte au-delà de nos frontières, qu’elle ait un écho beaucoup plus large. Sans vouloir utiliser de trop grands mots, il n’est pas possible à la France d’abandonner la Grèce, car, d’une certaine manière, ce serait renoncer à ce que nous portons.

« Si notre voix a pesé, c’est aussi parce que nous avons fait preuve de beaucoup de constance. Nous ne nous sommes pas laissés voguer au gré des calculs d’appareil, des atermoiements ou de certains contre-pieds tactiques du moment. Nous avons préféré avoir une ligne et nous y tenir.

« Si la France est au rendez-vous, c’est parce que cette cohérence a été assurée. C’est ce que nous avons essayé de porter jusqu’au bout.

« La question de la France et de l’Allemagne a été souvent posée. » À titre personnel, j’ajoute en avoir beaucoup discuté avec mon collègue et ami M. Steinmeier, lors des longues journées et des non moins longues nuits de la négociation iranienne. Il a pu y avoir, à certains moments, tel ou tel aspect différent. Mais au final « l’Europe et la France ont pu compter sur la solidité du couple franco-allemand, en allant puiser à la source de ce qui fait cette relation particulière. Nous savons bien que l’Allemagne et la France ont non seulement dépassé les haines, mais que la réconciliation est au-delà des ressentiments, des souffrances ou de tel aspect du moment. Nous avons vu cette dimension prévaloir.

« La France et l’Allemagne, représentées par le Président de la République et la Chancelière, ont agi, nous semble-t-il, avec la conscience d’être les héritiers de la nécessité historique.

« Il faut condamner avec beaucoup de force l’excès, et même parfois l’indignité, de certains propos aux relents nationalistes et de phrases qui, en cherchant inutilement à atteindre l’Allemagne, font aussi du mal à l’Europe et à la France.

« Former un couple ne veut pas dire être d’accord sur tout, mais c’est savoir se retrouver sur l’essentiel, le moment venu. Il peut y avoir des divergences, des désaccords, des sensibilités différentes qui sont aussi celles des peuples.

« L’Allemagne a sa voix, la France a la sienne, c’est celle d’une Europe solidaire et responsable qui n’exclut personne et qui sait rassembler. Mais la solidité d’une amitié s’éprouve aussi au moment des difficultés. Au final, la France et l’Allemagne ont fait preuve, au moment des décisions, d’une grande unité.

« Nous savions que nous devions agir de concert pour trouver une solution. Le couple franco-allemand doit être décidé, ambitieux, équilibré. S’il ne peut pas tout – il ne dirige pas l’Europe –, il faut convenir que, sans lui, l’Europe ne peut pas grand-chose.

« Mesdames, messieurs les parlementaires, la France conçoit son destin au cœur de l’Europe. C’est notre fierté, notre vocation. Nous avons l’intention de la défendre. Nous voulons une certaine Europe » – les mots sont peut-être trop généraux – « forte, volontaire, généreuse. C’est nécessaire en raison de l’époque.

« Notre monde est fait de bouleversements, de menaces, d’instabilités. Nous essayons d’être à l’initiative. Nous jouons tout notre rôle. Ici pour l’Europe, partout où il le faut et où nous le pouvons : au Sahel et en Irak contre le terrorisme ; au Moyen-Orient, avec la question du nucléaire iranien. » Et c’est là où j’éprouve une difficulté, puisque mon obligation gouvernementale nécessite que je lise la phrase qui m’est proposée : « Je veux saluer l’action déterminée, le talent de négociateur de Laurent Fabius. » (Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)