Sommaire
Présidence de M. Hervé Marseille
Secrétaires :
Mmes Valérie Létard, Colette Mélot, M. Claude Haut.
2. Candidature à un organisme extraparlementaire
3. Publication du rapport d’une commission d’enquête
4. Retrait de deux questions orales
5. Communication du Conseil constitutionnel
6. Programmation militaire pour les années 2015 à 2019. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Explications de vote sur l’ensemble
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
7. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
8. Communication d’un avis sur un projet de nomination
9. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Valérie Létard, Colette Mélot.
10. Accord européen relatif à la Grèce. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat et d’un vote
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances
M. Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes
Adoption, par scrutin public, de la déclaration du Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
11. Coopération transfrontalière avec la Belgique – Adoption définitive en procédure accélérée et en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
12. Mise au point au sujet d’un vote
13. Entraide judiciaire avec le Maroc. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Harlem Désir, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission.
14. Communication relative à une commission mixte paritaire
15. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
16. Saisine du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré
18. Transition énergétique. – Suite de la discussion et adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Adoption, par scrutin public, de l’article.
Amendement n° 172 de M. Jean-Pierre Bosino. – Rejet.
Amendement n° 120 de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Amendement n° 193 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Adoption.
Amendement n° 297 rectifié de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 56 bis B, 56 bis et 57 ter – Adoption.
Amendement n° 77 rectifié de M. François Commeinhes. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 121 de M. Jacques Mézard. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 282 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 62 de M. Roland Courteau. – Devenu sans objet.
Amendement n° 63 de M. Roland Courteau. – Devenu sans objet.
Amendement n° 64 de M. Roland Courteau. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 20 rectifié bis de M. Charles Revet. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 243 rectifié de M. Jacques Cornano. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article 63 quinquies A (suppression maintenue)
Amendement n° 211 de M. Ronan Dantec. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Adoption de l’article modifié.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission modifié.
19. Communication relative à une commission mixte paritaire
20. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Hervé Marseille
vice-président
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Colette Mélot,
M. Claude Haut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 10 juillet 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.
La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Philippe Adnot pour siéger comme membre suppléant au sein de cet organisme.
Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Publication du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, créée le 11 février 2015, à l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 610.
4
Retrait de deux questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que les questions orales n° 1170 de M. Roland Courteau et n° 1172 de M. Jean-Marie Bockel sont retirées de l’ordre du jour de la séance du mardi 21 juillet, ainsi que du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.
Acte est donné de cette communication.
5
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 15 juillet 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 462-5 et L. 464-2 du code de commerce (Attributions de l’Autorité de la concurrence) (2015-489 QPC), et le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure (Interdiction de sortie du territoire) (2015-490 QPC).
Acte est donné de cette communication.
Le texte de cet arrêt de renvoi et le texte de la décision de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.
6
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (projet n° 494, texte de la commission n° 548, rapport n° 547, avis n° 524).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote, étant rappelé que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l’ensemble
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son introduction, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 soulignait : « Face aux risques et aux menaces, la première condition du succès demeure plus que jamais la volonté déterminée d’y faire face en consentant l’effort nécessaire. »
L’effort consenti aujourd'hui à travers l’actualisation de la présente loi de programmation militaire est-il de nature à satisfaire aux exigences de sécurité nationale et internationale, sans cesse alourdies par la menace terroriste ?
Oui, l’effort est bien là ! Le Conseil de défense du 29 avril dernier a validé des arbitrages très attendus, par les parlementaires, bien sûr, mais aussi par la communauté militaire. En effet, monsieur le ministre, le texte procède aux ajustements opportuns pour garantir à la loi de programmation une trajectoire budgétaire sincère et relativement sécurisée entre 2015 et 2019.
Alors que les finances publiques de notre pays sont toujours sous contrainte, une rallonge de 3,8 milliards d’euros est octroyée en faveur de la défense pour les trois prochaines années. Cela mérite d’être souligné et salué.
Ces nouveaux moyens permettront de répondre à quelques-unes des difficultés qui remettaient en cause la bonne exécution de la loi de programmation. Je pense notamment au problème des recettes exceptionnelles : le projet de loi réduit leur part à seulement 0,6 % du budget pour la période 2015-2019 ; c’est une bonne chose, car le caractère aléatoire d’une ressource n’est pas compatible avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un budget empreint de la dimension régalienne.
En revanche, monsieur le ministre, le RDSE est plutôt favorable à la sécurisation de l’évolution du « coût des facteurs » proposée par la commission et sur laquelle vous auriez souhaité revenir. Il faut être cohérent : on ne peut pas lever une incertitude budgétaire grâce à la diminution des REX – recettes exceptionnelles – et, dans le même temps, réintroduire un aléa en misant sur des gains de pouvoir d’achat dépendant d’indices économiques, par nature fluctuants.
Je rappellerai que cette marge, dégagée par une évolution favorable des indices économiques, est estimée à 1 milliard d’euros. Par conséquent, nous devons garantir cette ressource essentielle, qui est affectée à l’équipement des forces et à la régénération des matériels, en plus des 500 millions d’euros de crédits nouveaux prévus par l’actualisation.
Nous regrettons aussi que l’actualisation ne revienne pas sur le problème de la sous-évaluation de la dotation allouée au surcoût des opérations extérieures dans un contexte où la France multiplie les interventions. C’est un sujet qui s’imposera de nouveau lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
J’en viens à la réduction de la déflation des effectifs, qui absorbera 2,8 milliards d’euros de l’abondement budgétaire prévu. Cette orientation est naturellement bienvenue, car elle répond au redimensionnement de notre outil de défense, nécessaire pour accompagner le niveau d’engagement très élevé de nos forces armées.
On en connaît les raisons, mes chers collègues ; je ne les détaillerai pas. Je soulignerai simplement que la mise en œuvre de l’opération Sentinelle, décidée à la suite des attentats du mois de janvier, conjuguée à la poursuite de nos opérations extérieures au sein d’un arc de crises de plus en plus étendu, conduit à une surchauffe opérationnelle.
Plus que jamais, le continuum entre sécurité intérieure et défense extérieure est mis à l’épreuve. Le contrat opérationnel est sous tension, à la limite du tenable pour la sécurité et du supportable pour le moral des hommes et des femmes qui assument cette mission. Le Gouvernement en a pris conscience, et le RDSE se satisfait de l’évolution corrigée des effectifs.
Nous partageons également le souci du Gouvernement d’instituer un droit d’association professionnelle des militaires tant que ce droit est compatible avec les contraintes inhérentes à la fonction militaire. Dans sa sagesse, le Sénat a rétabli l’équilibre du texte initial, rompu par les députés. J’espère que nous en resterons là.
Enfin, le RDSE est favorable à tous les dispositifs qui permettront de conforter les ressources humaines, que ce soit l’assouplissement des conditions de recours à la réserve ou l’expérimentation en métropole du service militaire volontaire.
D’une manière générale, tout ce qui concourt au renforcement du lien entre le citoyen et les institutions recueille notre approbation.
Mes chers collègues, si le texte du Sénat n’est pas tout à fait conforme à celui de l’Assemblée nationale, un relatif consensus se dégage toutefois sur les grands principes. C’est pourquoi le RDSE le votera, et à un triple titre.
Nous le voterons d’abord parce qu’il prend en compte la nouvelle dimension de protection de notre territoire.
Nous le voterons ensuite parce que nous le devons aux milliers de militaires, hommes et femmes, qui mettent en jeu leur destin individuel au service de la France et qui attendent en retour les meilleures conditions pour accomplir leurs missions.
Nous le voterons enfin parce que la France doit maintenir son rang stratégique et militaire, que ce soit pour garantir son indépendance ou ses engagements dans le cadre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 11 janvier 2015, immédiatement après les odieux attentats terroristes qui ont frappé la France, 10 000 militaires ont été affectés à la protection des Français. Je tiens ici à les saluer et à rendre hommage à leur dévouement et à leur courage, que les citoyens mesurent au quotidien.
Notre armée joue un rôle indispensable, non seulement sur le territoire national, mais également partout ailleurs sur la planète. Nous venons de fêter le 14 juillet. Comme lors de la Révolution française, la France défend partout l’universalité des droits de l’homme. C’est son honneur et c’est sa force ! On ne compte plus les opérations extérieures où la France est exposée en première ligne pour défendre nos valeurs face à la barbarie, notamment en Afrique et au Proche-Orient.
Parce que, sans les militaires, nous serions démunis pour défendre la démocratie, je fais partie de ceux qui s’opposent à la réduction des moyens de notre armée depuis plusieurs années.
Longtemps, on m’a objecté les difficultés budgétaires ou les règles européennes en matière de déficits. Mais l’Europe est bien contente d’avoir la France sur tous les théâtres d’opération extérieure ! Il faudra bien que l’on pose un jour les véritables questions, y compris en Europe !
C’est facile d’être pacifiste et de ne pas dépenser pour sa sécurité quand d’autres assument cette responsabilité immense,…
M. Bruno Sido. Exact !
M. Robert Navarro. … et les risques qui vont avec, acceptant de voir couler le sang de leurs militaires !
Le Président de la République et le ministre de la défense, que je salue, ont enfin entendu les nombreux appels visant à mettre un terme à l’austérité drastique qui frappe nos forces armées.
Présenté le 20 mai 2015 en conseil des ministres, le texte actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 prévoit notamment une augmentation de 3,8 milliards d’euros du budget de la défense, pour le porter à 162 milliards d’euros courants sur la période 2015-2019. Ce projet est aussi l’occasion d’expérimenter un service militaire volontaire à destination de jeunes et de mettre un terme à la réduction drastique des effectifs.
Pour toutes ces raisons, je voterai résolument en faveur de ce projet de loi, et j’adresse une nouvelle fois mes plus chaleureuses pensées à ceux qui défendent fièrement le drapeau et les valeurs de la France, sur son territoire et dans le monde. (MM. Jacques Chiron, Philippe Esnol et Michel Mercier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Nous en attestons tous, la révision de la trajectoire financière et budgétaire prévue par ce texte est nécessaire.
Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus ici même mercredi dernier sont rassurants, notamment en ce qui concerne l’augmentation des effectifs et l’efficacité du recrutement. L’attractivité de nos forces armées témoigne de leur rayonnement et de l’image positive qu’en ont les Français, celle d’une armée efficace et respectée.
Les réservistes, opérationnels et citoyens, occupent une place de plus en plus importante dans notre défense ; c’est, bien sûr, nécessaire compte tenu des contraintes budgétaires que nous connaissons. Mais leur intégration parmi les militaires d’active dépasse cette nécessité financière : les réservistes doivent sentir qu’ils font partie intégrante de nos armées. Je suis convaincu que celles-ci sortiront renforcées de cette bonne intégration, garante d’une relation harmonieuse entre les militaires d’active et les réservistes. D’ailleurs, c’est la réalité sur le terrain, en métropole comme dans les opérations extérieures, mais des progrès peuvent encore être accomplis à cet égard.
De ce point de vue, la mise en place du service militaire volontaire ne pourra être que positive, en contribuant au renforcement du lien entre les armées et la Nation, mais aussi, à terme, en favorisant le recrutement.
Néanmoins, j’appelle à rester vigilant sur le financement de cette réforme, qui ne doit pas reposer en totalité sur le ministère de la défense. Nous prenons acte, monsieur le ministre, de l’engagement que vous avez pris la semaine dernière d’une mutualisation de cette dépense après les deux années d’expérimentation. Il s’agit en effet de protéger le budget de la défense, dont l’augmentation est loin d’être un luxe, et c’est une opinion que nous sommes ici nombreux à partager.
À cet égard, le groupe de l’UDI-UC soutient entièrement les clauses de sauvegarde introduites par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La France est une puissance militaire qui assume largement ses responsabilités. Elle est engagée simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Si nous voulons être à la hauteur de notre stratégie d’influence, particulièrement dans le cadre de Conseil de sécurité de l’ONU et dans d’autres instances – nous l’avons encore vu ces derniers jours –, nous devons préserver cette crédibilité, donc nos capacités d’engagement.
Dans cette optique, il est nécessaire que notre budget de défense soit protégé de surcoûts – lorsqu’ils sont légitimes, bien sûr, parce que résultant d’une décision politique – en cours d’exercice. Pour cette raison, nous soutenons la soustraction de la défense au financement interministériel du surcoût des OPEX.
De la même manière, il paraît juste de mutualiser le coût des opérations intérieures entre les ministères. La nature des menaces est diverse et ne permet plus une distinction tranchée entre crises extérieures et sécurité intérieure.
En conséquence, si notre réponse doit intégrer différents acteurs, il en va de même de son financement, qui ne peut pas reposer en totalité sur les épaules de la défense. Nous avons déjà rencontré une telle difficulté dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le renseignement, où les frontières entre menaces intérieures et extérieures se brouillent. Face à ces phénomènes nouveaux, nous ne pouvons pas faire preuve de rigidité ; nous devons nous adapter.
Pour cette raison, nous soutenons l’organisation d’un débat au Parlement sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national au début de l’année 2016. Cela a fait l’objet d’un échange entre le Sénat et vous-même la semaine dernière, monsieur le ministre.
La doctrine d’emploi de notre armée sur le territoire français doit évoluer avec la menace. Il s’agit de définir clairement le rôle spécifique de nos forces armées, en parallèle avec les forces relevant du ministère de l’intérieur.
Cependant, cette complexité ne s’arrête pas à nos frontières ; elle concerne aussi, et surtout, nos opérations extérieures. À l’heure où nous menons des guerres essentiellement asymétriques, l’actualisation de la loi de programmation militaire a également pour objectif d’adapter nos armées à la nature de nos nouveaux ennemis.
Les adversaires d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Ils refusent le combat frontal, auquel les armées occidentales sont habituées, sauf lorsqu’ils se considèrent en situation de force. Ils se mêlent à la population civile, rendant toute action militaire plus risquée et controversée. Ils font fi du droit international.
Au travers de cette actualisation, nous ne devons pas uniquement fournir à nos militaires des moyens supplémentaires. Certes, ces derniers sont nécessaires, mais nous devons également leur donner les moyens d’appliquer une doctrine adaptée à la nature des conflits auxquels nous serons confrontés.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’innovation et d’adaptabilité, sur le plan tant intellectuel que stratégique, tactique et industriel. Je ne doute pas que le ministère de la défense et nos industries sauront se montrer à la hauteur du défi à relever.
Cette adaptation, nous devons la réaliser en lien avec nos partenaires et alliés, au travers de l’OTAN, bien sûr, mais aussi de l’Union européenne. Si cela paraît évident, cela ne sera pour autant pas simple à l’heure où la majorité de nos alliés occidentaux paraissent réticents à s’engager militairement.
Forts de notre engagement et de nos capacités, que l’actualisation de la loi de programmation militaire conforte, nous avons un rôle moteur à jouer et une responsabilité particulière à assumer dans la réponse à ces nouveaux défis transnationaux.
Ainsi, je réitère mon soutien, et celui de la majorité de mes collègues du groupe UDI-UC, au projet de loi du Gouvernement tel qu’il a été modifié par la commission.
Au vu des menaces diverses et nouvelles, il est clair que le budget de la défense ne peut pas et ne doit pas faire figure de variable d’ajustement – mais je sais que nous partageons tous ce point de vue. Je suis convaincu, par ailleurs, que le dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le texte sera constructif, et cela dès ce soir, en commission mixte paritaire. Nous souhaitons ardemment trouver un accord sur ce texte.
Sur un projet aussi important, le débat est sain et nécessaire, mais nous avons tous à l’esprit qu’il est également important dans le contexte actuel, d’aboutir à un consensus : c’est notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Les Républicains.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, au lendemain du 14 juillet, journée au cours de laquelle la nation tout entière a rendu un hommage solennel aux armées, nous devons nous prononcer sur le projet d’actualisation de la loi de programmation militaire, adoptée il a dix-huit mois.
À l’époque, notre groupe avait fait part de ses inquiétudes sur la poursuite excessive de la déflation des effectifs, à un niveau que nous estimions incompatible avec les missions de nos armées ; sur le recours à des ressources exceptionnelles, notamment la vente de fréquences structurellement indisponibles et rendant, de fait, insincère l’équation budgétaire dès 2015 ; sur une sous-dotation des OPEX, les opérations extérieures, compensée, par amendement, par la réserve interministérielle ; sur un report de charges annuel, fragilisant toute l’économie de la défense, dont on sait qu’elle constitue un véritable levier de croissance, dont notre pays a besoin.
À ces griefs originels, que je qualifierai de « législatifs » et que nous avons essayé de corriger, se sont ajoutés des éléments contextuels inhérents à la forte dégradation de la sécurité internationale : l’extension, avec raison, à toute la bande sahélo-saharienne de notre intervention au Mali ; l’intervention en Centre-Afrique ; les chaos irakiens et syriens, avec l’expansion dramatique de Daesh ; la déstabilisation géopolitique du nord de l’Afrique et les attaques contre l’Égypte, la Tunisie ou la Libye ; le terrorisme, à l’étranger et sur le territoire national.
Nous sommes face à une guerre dont la première caractéristique est la permanence dans le temps. Elle impose une adaptation et une révision de nos modes opérationnels et prévisionnels, ainsi que l’obligation de revoir impérativement les moyens consacrés à notre défense. Ceux-ci doivent être non seulement à la mesure des ambitions diplomatiques de la France, mais également proportionnels au besoin de sécurité des Français.
À la lumière de tous ces éléments, l’actualisation de la loi de programmation militaire est fondamentale. Pour le groupe Les Républicains, ce texte correspond plus à une correction qu’à une actualisation. Nous saluons donc les efforts du Gouvernement, tant pour l’augmentation du budget que pour la sanctuarisation de ces crédits.
Au total, la loi de programmation militaire prévoit quelque 3,8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires, dont 2,5 milliards d’euros après 2017. Les REX ont donné lieu à un véritable bras de fer entre la défense et Bercy. Par l’arbitrage du Président de la République, elles ont été transformées en crédits budgétaires. Nous sommes satisfaits et nous pouvons dire que le Parlement, ainsi que notre groupe, a parfaitement assumé son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement. (M. Ladislas Poniatowski applaudit.)
Les seules REX conservées, rebaptisées « recettes de cession », ne représentent que – si je puis dire – 930 millions d’euros et sont constituées de cessions immobilières pour la plus grande partie d’entre elles. Au total, ces ressources nouvelles financeront, pour 2,8 milliards d’euros, la moindre déflation nécessaire des effectifs. Il paraît aussi important de souligner la prise en compte des enjeux relatifs au maintien en condition opérationnelle, ou MCO ; c’est une très bonne chose.
Les OPEX ont clairement démontré que le vieillissement et l’usure des matériels sont fortement accélérés. L’attrition des équipements est telle qu’elle peut nuire aux capacités opérationnelles et qu’elle a un impact sur les conditions d’entraînement.
Ainsi, l’affectation de 500 millions d’euros à la régénération des matériels est plus que bienvenue, de même que le 1,5 milliard d’euros prévus pour la commande d’équipement.
Cette loi de programmation militaire permet d’intégrer officiellement l’opération Sentinelle, dont le coût atteint 1 million d’euros par jour. Grâce aux amendements de notre commission, le Parlement sera associé, afin de tirer les conséquences du dispositif et de l’adapter au mieux aux besoins de sécurité de nos concitoyens.
À cet instant, au nom de notre groupe, je veux remercier le président-rapporteur, Jean-Pierre Raffarin, et le rapporteur pour avis, Dominique de Legge. Leur travail a permis des avancées concrètes, avec un objectif : adopter un texte cohérent et adapté à la réalité de nos armées.
La volonté du groupe Les Républicains du Sénat, ainsi que, je dois le dire, de la quasi-unanimité des groupes de la Haute Assemblée, a été d’alerter le Gouvernement et d’amender son texte, pour obtenir des garanties et être force de propositions.
Premièrement, nous avons sanctuarisé les REX restantes, grâce à des clauses de sauvegarde, qui concernent aussi bien des crédits de substitution, pour le cas où les recettes ne seraient pas au rendez-vous, que l’anticipation des conséquences de la loi Duflot, si la décote s’appliquait, en totalité, à l’ilot Saint-Germain. Nous avons aussi prévu une garantie budgétaire en cas de retournement des indices économiques – inflation, carburant.
Deuxièmement, nous avons partagé les coûts relatifs à la sécurité intérieure : le ministère de la défense ne peut supporter seul le coût des opérations comme Sentinelle, et nous avons voulu un financement interministériel. La sécurité, y compris contre le terrorisme, est un bien commun et elle impose un effort budgétaire collectif.
Troisièmement, nous avons prévu de limiter l’impact du surcoût des OPEX pour le ministère de la défense. Le principe de la solidarité ministérielle est louable, mais il aboutit à une situation paradoxale, car la défense paye une fois sur son budget 450 millions d’euros et une seconde fois, pour 19 %, en interministériel. C’est ce que Dominique de Legge appelle « la double peine ». Nous avons donc exonéré la défense de l’interministériel pour les OPEX.
Quatrièmement, et enfin, nous avons permis la constitution d’associations de militaires sans déstabiliser l’institution.
Sécuriser et pérenniser les ressources du ministère de la défense tout en créant les conditions d’un meilleur contrôle parlementaire, voilà ce qui a motivé les sénateurs lors de l’examen de ce texte. C’est aussi cela la vocation de la Haute Assemblée : améliorer ce qui peut l’être et assumer ses responsabilités.
Monsieur le ministre, nous aurions préféré un effort plus important face à la réalité des menaces et un moindre étalement des crédits dans le temps.
Néanmoins, notre groupe votera ce texte. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing au Gouvernement, car l’exécution de la loi de programmation militaire sera suivie de près. Cependant, ce vote prend en compte des avancées concrètes, complétées par le travail de la Haute Assemblée.
Vous l’avez compris, monsieur le ministre, les sénateurs Les Républicains seront extrêmement vigilants. Nous savons que la loi de programmation militaire n’a pas de valeur normative. De même, nous savons que les avancées de ce projet de loi ne seraient effectives qu’au moyen d’un collectif budgétaire que nous n’aurons pas !
Dès lors, nous serons particulièrement attentifs à la levée anticipée de la réserve de précaution et à la publication d’un décret d’avance dans les derniers jours de 2015.
Notre vrai rendez-vous, nous le savons tous, sera l’examen des crédits budgétaires pour 2016. Ce sera, nous le demandons pour nos armées, « l’occasion positive » de vérifier l’application de cette actualisation. Et là encore, notre groupe assumera ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – Mme Catherine Tasca applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons l’une des dernières étapes de l’actualisation de la loi de programmation militaire de 2013, actualisation prévue par la loi initiale et anticipée de quelques mois pour répondre au contexte sécuritaire du moment.
Le travail en commission a été fructueux. Nous présentons aujourd’hui au vote un texte qui maintient notre vigilance sur l’exécution budgétaire de la loi. Ce texte est un point d’équilibre entre la poursuite de la modernisation de nos armées, la nécessaire adaptation de ces dernières aux opérations que nous menons aujourd’hui, le défi de la contrainte budgétaire et les ambitions de notre pays. Il décline les décisions prises par le Président de la République en conseil de défense, le 29 avril dernier. Ce sera un beau symbole que de l’adopter au lendemain du 14 juillet.
Je le redis, ce n’était pas si simple dans le contexte budgétaire du moment, comme en a témoigné le débat de jeudi dernier relatif à la loi de règlement. La commission des finances le sait bien.
Cette actualisation permet non seulement de compléter les systèmes d’armes qui équipent nos forces et d’accompagner la montée en puissance du renseignement et de la cyberdéfense, mais également de « densifier notre modèle de défense ».
À la suite des attentats des 7 et 9 janvier derniers, nos armées ont montré qu’elles étaient des leviers puissants de résilience face à la déstabilisation que voulaient imposer les terroristes ! Nous le savions, nous l’avons vérifié : nous disposons d’une armée performante servie par des femmes et des hommes d’un professionnalisme remarquable et remarqué par tous nos concitoyens. Il tient à nous de conserver précieusement cette force contre des menaces devenues de plus en plus multiformes et diffuses.
Ce projet de loi prévoit des moyens nouveaux.
En premier lieu, il fournit des moyens supplémentaires grâce à un effort budgétaire exceptionnel de 3,8 milliards d’euros en crédits budgétaires : ceux-ci permettront d’ici à 2019 de préserver 18 750 postes de la déflation prévue. À ce titre, 2,8 milliards d’euros y seront consacrés.
Cette mesure essentielle relative aux effectifs permettra d’honorer les contrats opérationnels demandés aux armées ; en particulier, l’armée de terre pourra porter sa capacité opérationnelle de 66 000 à 77 000 hommes, ce qui lui donnera la possibilité d’assurer sa mission de protection sur le territoire national, mission dont il conviendra de définir plus précisément les contours.
Cette revue permet également de poursuivre la montée en puissance des forces spéciales et de la cyberdéfense, qui sont les réponses aux menaces du moment.
En deuxième lieu, le projet de loi prévoit la suppression des recettes exceptionnelles et leur remplacement par des crédits budgétaires. Nous le souhaitions. Le caractère aléatoire de ces recettes exceptionnelles contrastait trop avec la volonté présidentielle, plusieurs fois affirmée, de sanctuariser le budget de la défense.
Je crois aussi, mais je ne suis pas le seul, que le pari en matière d’export, en particulier sur le Rafale, est en passe d’être gagné. Ces marchés permettent autant de sauvegarder nos emplois que de consolider notre industrie de défense et de réaliser pleinement – ce n’est pas rien – la loi de programmation militaire en matière d’équipements nouveaux.
Enfin, nous accomplissons un effort accru pour combler des carences capacitaires, ainsi qu’en matière d’entretien programmé de nos matériels, deux priorités affichées d’emblée par vous-même, monsieur le ministre, et qui se trouvent ici renforcées.
Outre quelque 500 millions d’euros supplémentaires dans le domaine de l’entretien programmé du matériel, je noterai pour ma part l’acquisition de sept hélicoptères Tigre supplémentaires, une augmentation des cadences de livraison des NH90, ainsi que la commande de quatre avions de transport C-130, dont deux seront équipés pour le ravitaillement en vol des hélicoptères. Cet effort est justifié, car l’aéromobilité est une donnée incontournable de la réussite de l’action de nos forces engagées dans des opérations extérieures, notamment dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons pu le mesurer de nos propres yeux.
Ce texte présente enfin deux nouveautés intéressantes : l’évolution de la représentation professionnelle des militaires, avec la création des associations professionnelles nationales de militaires, ou APNM, mais aussi la création en forme d’expérimentation du service militaire volontaire sur le modèle du service militaire adapté, dont nous avons pu également mesurer l’efficacité outre-mer.
Le projet de loi ainsi modifié sera soumis ce soir à une commission mixte paritaire, dont je ne doute pas de l’issue favorable. Il restera quelques points à discuter. Le premier concerne la clause qui exclut le ministère de la défense du financement des surcoûts en matière d’opérations extérieures, que vient d’évoquer Jacques Gautier.
Comme cela a été rappelé par M. le ministre lors de la discussion sur les articles, les dépassements de la dotation annuelle au titre des opérations extérieures font l’objet d’un financement interministériel. Et pour des raisons évidentes de solidarité avec les autres ministères, le ministère de la défense ne saurait s’en exonérer. Il s’agit d’une tradition fort ancienne que rien ne justifie de modifier aujourd’hui.
En matière de cessions immobilières, s’il n’est pas possible d’exonérer totalement le ministère de la défense de sa participation au dispositif d’aide au logement social, comme le préconisent les auteurs d’un amendement adopté au Sénat, je pense, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, qu’il est possible de trouver un compromis en fixant un plafond à la décote. Nous présenterons d’ailleurs un amendement en ce sens en commission mixte paritaire.
S’agissant des opérations intérieures, nous ne pensons pas utile d’ouvrir cette année Sentinelle à un financement interministériel. Nous estimons en revanche qu’il convient de l’évaluer ; il sera toujours possible de revenir sur son financement ultérieurement. Enfin, nous reparlerons du secret défense opposable aux commissions.
En conclusion, mes chers collègues, au regard de l’effort consenti à l’occasion de cette actualisation – des moyens financiers en hausse qui permettent la revue des effectifs, des équipements supplémentaires et mieux entretenus, le renforcement du lien entre armée et nation – le groupe socialiste et républicain votera résolument cette actualisation de la loi de programmation militaire, dont j’ai déjà dit lors de la discussion générale du 8 juillet dernier combien elle était inédite. N’oublions pas que cette loi de programmation militaire est la première à être revalorisée en cours d’exécution.
Cette actualisation redonne du souffle politique et renforce la légitimité que requiert un effort engageant la nation entière. Ce texte est le meilleur hommage que nous, parlementaires, pouvons rendre à nos militaires, qui se mobilisent en tout lieu et à tout instant sur le territoire national et hors de nos frontières. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après avoir examiné mercredi dernier l’actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2015-2019, nous voici réunis pour voter le texte issu de nos débats.
La rapidité du parcours législatif de ce texte prouve, s’il en était besoin, la nécessité de cette réactualisation et l’importance d’une mise en œuvre rapide.
Au cours des débats, nous avons tous salué l’action quotidienne de nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, ainsi que, de manière plus générale, l’engagement de notre armée.
Hormis des oppositions persistantes – j’y reviendrai dans quelques instants –, la représentation nationale a démontré que, lorsque les conditions l’exigent, elle sait œuvrer collectivement et dans la même direction. En effet, nous nous accordons tous, du moins dans une vision à court terme, sur les principaux objectifs et défis sécuritaires que nous devons relever. C’est sur la question des moyens et de la mise en œuvre de notre politique de défense que nous avons pu connaître des divergences.
Si le groupe écologiste souscrit davantage à une approche « non violente » des relations internationales, je ne reviendrai pas sur les priorités diplomatiques de la France ou sur la multiplication inquiétante des OPEX, ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ces sujets lors de la discussion générale.
Nous reconnaissons les efforts consentis par le Gouvernement dans le cadre de cette actualisation. Les circonstances, nationales comme internationales, imposaient en effet de telles décisions.
L’actualisation a permis une augmentation du budget de 3,8 milliards d’euros, étalée jusqu’en 2019. Le Sénat, par deux amendements, a cherché à sécuriser ces financements en instaurant diverses clauses de sauvegarde.
Si je rejoins certains de vos arguments, monsieur le ministre, je pense que les surcoûts successifs de ces dernières années nous amènent légitimement à nous poser la question d’une sécurisation accrue des ressources, afin, notamment, que la préparation opérationnelle de nos forces ou encore l’entretien du matériel ne pâtisse pas d’une conjoncture trop changeante.
Quant au financement interministériel, si je suis d’accord avec le Gouvernement sur le financement du surcoût des OPEX, je pense que le financement interministériel des missions intérieures, telles que l’opération Sentinelle, est une question sur laquelle nous devons réfléchir.
Sur le plan des effectifs, conformément aux annonces faites à la suite du conseil de défense du 29 avril 2015, l’actualisation ralentit la déflation des effectifs, en préservant quelque 18 750 postes et en prévoyant la création de 15 399 postes dirigés, notamment, vers les forces opérationnelles terrestres et le renseignement.
Si nous saluons bien évidemment cet effort, nous aurions préféré que la tendance soit inversée. En effet, la prévention des conflits et la gestion des crises passent, avant toute chose, par les hommes.
Les difficultés croissantes d’accès aux ressources, dues à des raisons climatiques, mais aussi anthropiques, sont déjà responsables d’une montée des tensions qui s’accélère et elles seront des facteurs de déstabilisation majeurs dans les années à venir. C’est pourquoi les missions des forces armées doivent être repensées.
En outre, monsieur le ministre, mercredi dernier, vous avez réaffirmé devant nous que la dissuasion constituait « l’un des éléments majeurs de notre sécurité, plus encore aujourd’hui qu’hier » et qu’au vu du contexte international vous estimiez qu’il fallait « assurer la sanctuarisation du financement de la dissuasion ».
Mme Leila Aïchi. Dont acte !
Nous ne nions pas la réalité. Le monde vit, en effet, une séquence de réarmement nucléaire, consacrée par les différents programmes de développement et de modernisation de la Russie, des États-Unis, de la Chine ou encore de l’Inde. Toutefois, face à ce réarmement mondial, monsieur le ministre, je vous pose de nouveau la question : avons-nous les moyens de maintenir et de renouveler nos programmes, de manière automatique et sans débat de fond ?
Face à cette escalade, la réponse la plus appropriée est, selon nous, une relance de l’Europe de la défense, ou plutôt d’une défense européenne, pour être fidèles aux travaux de mes collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat. Nous le savons tous ici : le chemin sera long et se fera par étapes.
La première est celle d’une impulsion politique claire. Or force est de constater que cette volonté politique peine à se faire entendre. Pourtant, une mutualisation de nos moyens pourrait être une réponse aux nombreux défis que nous rencontrons. L’Europe de la défense est mentionnée dans le rapport annexé. Soit ! Il s’agit maintenant de mettre en application les principes que nous formulons.
Face aux menaces transnationales d’aujourd’hui – dérèglement climatique, terrorisme, instabilité régionale, menaces de la faiblesse, menaces de la force –, pourquoi ne pas adopter une défense à la mesure des défis sécuritaires qui se posent à nous ?
En outre, le débat récurrent autour des recettes exceptionnelles doit nous pousser à réfléchir en dehors du cadre national. À ce sujet, vous l’avez réaffirmé, et nous avons largement salué cette décision : « les 6,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver pour la période 2015-2019 sont convertis, pour la plus grande part, en crédits budgétaires de droit commun ».
Cependant, une part de REX persiste, et, face à ces difficultés, nous devons reconsidérer l’opportunité d’une mutualisation au niveau européen. En effet, il serait alors possible de répondre aux besoins des uns et des autres tout en mutualisant les coûts.
Enfin, pour revenir à l’échelon national, l’une des grandes avancées de ce texte est la création des associations professionnelles nationales de militaires, les APNM. Nous préférons, évidemment, le texte issu de l’Assemblée nationale, notamment en matière de droit d’expression et de droit de se porter partie civile. Néanmoins, de manière générale, il s’agit là d’une première étape importante.
Nous comprenons le devoir de réserve des militaires, mais pensons que l’armée ne peut être en dehors de la société et que les APNM sont une passerelle que nous ne devons pas minorer, mais au contraire encourager et soutenir.
Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le ministre, malgré les réserves de fond déjà exprimées et que vous connaissez, le groupe écologiste soutient l’action de nos soldats dans un contexte difficile et s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain d’un 14 juillet placé sous le signe de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité de nos compatriotes, nous sommes amenés à nous prononcer sur l’actualisation de la loi de programmation militaire 2015-2019.
Je voudrais tout d’abord souligner le sérieux et la responsabilité qui ont caractérisé nos débats la semaine dernière. Ce n’est pas seulement dû à une trop faible présence en séance – elle s’est d’ailleurs bien améliorée cet après-midi ! Cela vient plutôt du fait que chacun a pris conscience que permettre à nos armées d’assurer l’intégrité du territoire, de protéger nos compatriotes et de défendre les intérêts vitaux de la nation ne doit pas donner lieu à des querelles et à des calculs politiciens.
Bien entendu, avoir une telle conscience n’exclut pas l’affirmation de convictions divergentes et l’expression de désaccords importants sur la politique de défense menée par le Gouvernement.
C’est pourquoi je rappelle que nous avions pris soin de souligner, dans la discussion générale, que nos appréciations portaient sur des mesures rendues nécessaires par l’évolution du contexte, et non sur les grands principes de la loi de programmation initiale, sur laquelle nous conservons nos désaccords de fond.
Les aspects positifs de cette actualisation viennent essentiellement des leçons que nous avons su tirer de l’engagement intensif de nos forces, de l’évolution des menaces et des besoins nouveaux qui sont apparus depuis le mois de décembre 2013.
Ces enseignements ont trouvé une juste traduction en termes budgétaires – je n’y reviendrai pas – en matière d’effectifs, d’entretien des matériels et de commandes de nouveaux équipements. Pour ce qui concerne les effectifs, nous apprécions particulièrement la pause qui est faite sur la trajectoire d’une déflation inconsidérée.
Il aura malheureusement fallu la multiplication d’attentats sur le territoire national pour que l’on se rende compte que ces suppressions d’emplois, dont la seule justification était de faire des économies au profit des équipements, nous rendraient incapables de faire face à une situation de crise imprévue.
Ces coupes drastiques ne pouvaient d’ailleurs qu’avoir de graves conséquences sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, au risque de l’affaiblir.
En outre, selon le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, cette politique de restructuration, à laquelle se sont ajoutés les effets désastreux des dysfonctionnements du système de paie Louvois, a également eu des répercussions très négatives sur le moral des militaires et de leurs familles, le tout sur fond d’une situation sociale dégradée, qui entame la confiance des personnels dans l’institution.
C’est pourquoi, même si cela ne fait pas partie, stricto sensu, de l’actualisation de la loi de programmation, notre groupe accorde une grande importance à la reconnaissance du droit d’association des militaires, qui auront désormais la possibilité de créer des associations nationales professionnelles. Sur ce point, nous préférons nous aussi le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale à celui qui a été retenu par le Sénat. Dans un tel contexte, nous ne pouvons que souhaiter que ces associations trouvent rapidement leur place et qu’elles jouent leur rôle avec efficacité.
Toujours sur la question des effectifs, je voudrais souligner que les difficultés apparues dans la mise en œuvre de l’opération Sentinelle montrent combien il est maintenant nécessaire de mener une réflexion sur la doctrine d’emploi de nos armées sur le terrain intérieur.
Il s’agit en effet d’une conception nouvelle de la protection du territoire, puisqu’elle est fortement recentrée sur le territoire national.
À cet égard, un récent vol de munitions a révélé, par les défaillances mises en lumière dans la protection de certaines installations militaires, une utilisation des forces terrestres pour protéger la population et les lieux de culte contre les menaces terroristes qui a porté préjudice à la sécurité des installations militaires. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous prendrez rapidement les mesures qui s’imposent, à la suite du rapport qui doit vous être remis sur ce sujet.
Pour juger de la programmation militaire, il faut savoir si son actualisation nous donnera, à la fois, les moyens d’assurer la protection de notre territoire national et de nos compatriotes et ceux d’intervenir simultanément sur plusieurs théâtres extérieurs. Heureusement, vous ne prétendez plus mieux dépenser en réduisant de façon drastique le format de nos armées.
L’un des effets de ces économies est surtout d’avoir permis de payer fort cher des technologies qui ne correspondent pas au type de conflits ou d’opérations dans lesquels nos armées sont engagées. C’est pourquoi nous persistons à croire que, pour adapter nos forces à la stratégie définie dans la programmation militaire que vous proposez, il est nécessaire de réduire le coût de nos forces nucléaires.
Ce n’est pas de notre part, comme voudraient le faire croire ceux qui caricaturent nos positions, une opposition purement idéologique, de principe, aux armes nucléaires. C’est seulement considérer que l’apparition de nouveaux acteurs stratégiques au comportement irrationnel crée maintenant une source d’instabilité qui menace la planète tout entière. Il serait donc logique de réduire nos armements nucléaires à leur niveau de « stricte suffisance », sans entamer leur crédibilité ni provoquer une perte de compétences.
Par ailleurs, même si ce n’est pas le sujet aujourd'hui, il conviendrait de réfléchir à notre politique de commerce des armes. Certains pays destinataires se trouvent directement ou indirectement impliqués dans le soutien de ceux que nous combattons au Sahel ou en Irak et qui commettent tant d’atrocités, également, en Syrie, en Libye, en Tunisie ou sur notre sol.
En conclusion, monsieur le ministre, les aspects positifs de ce projet de loi d’actualisation ne nous semblent pas suffisants pour modifier une programmation qui donnerait à notre pays les moyens de mettre en œuvre un modèle d’armée à même de répondre efficacement à l’évolution des enjeux internationaux, ainsi qu’aux besoins de sécurisation du territoire national.
En outre, la stratégie arrêtée dans le cadre de la loi de programmation militaire initiale, notamment concernant la dissuasion nucléaire, étant maintenue, le groupe CRC ne pourra voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à quinze heures quarante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures cinquante.)
M. le président. Je tiens tout d’abord à remercier Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 225 sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, dans le texte de la commission, modifié :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 302 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne dirai que quelques mots, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant vous à de nombreuses reprises lors de la préparation de ce projet de loi d’actualisation, que ce soit en séance publique, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ou devant la commission des finances ; je ne reviendrai donc pas sur le fond de ce texte.
Je veux d’abord vous remercier, monsieur Raffarin, de votre travail et de celui de la commission que vous présidez, aux séances de laquelle j’essaie d’être le plus assidu possible. Nous y menons un important travail d’explication, dans un climat de confiance, pour notre pays et nos forces armées.
Je veux aussi remercier M. de Legge, rapporteur pour avis, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant la commission des finances.
Je souhaite enfin vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’apprécie l’ampleur de votre soutien, toutes tendances politiques confondues. En effet, nos armées méritent que l’on dépasse les clivages partisans.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En voyant défiler hier nos forces depuis la tribune des Champs-Élysées, j’ai éprouvé de la fierté d’être le ministre de ces armées-là. Par la suite, en écoutant les uns et les autres, j’ai aussi constaté – comme vous, probablement – que les Français éprouvaient à la fois confiance et respect à l’égard de nos forces armées. Ce sont cette confiance et ce respect que je ressens face au vote que vient d’émettre la Haute Assemblée.
De cette discussion sur l’actualisation de la programmation militaire, je garde donc ces deux mots : confiance et respect à l’égard de nos forces armées, qui œuvrent à la sécurité de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
7
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
M. le président. La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Adnot membre suppléant du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
8
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, le 15 juillet 2015, un vote défavorable – quatre voix pour, dix voix contre, un bulletin blanc – à la nomination de M. Christian Dubreuil aux fonctions de directeur général de l’Office national des forêts.
Acte est donné de cette communication.
9
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Colette Mélot.
M. le président. La séance est reprise.
10
Accord européen relatif à la Grèce
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat et d’un vote
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l’accord européen relatif à la Grèce, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50–1 de la Constitution.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je vais vous donner lecture du discours que M. le Premier ministre prononce en ce moment même devant l’Assemblée nationale. Vous verrez que cet exercice me posera une petite difficulté, que je me permettrai de vous signaler le moment venu.
« L’Union européenne vient de vivre des moments difficiles et même historiques.
« Il y a toujours des esprits résignés, qui pensent que l’on ne peut plus écrire l’histoire, que nos vieilles nations, fatiguées par le fardeau des siècles, devraient renoncer, que nos destins se décident ailleurs, indépendamment de nos volontés. Et il y a bien sûr ceux qui souhaitent voir l’Europe se disloquer.
« Nos compatriotes, qui ont suivi les évolutions de la situation grecque au jour le jour, ont bien senti que quelque chose de fondamental se jouait et que notre destin pouvait basculer. En effet, au-delà de l’avenir de la Grèce, c’est aussi, d’une certaine façon, l’avenir de la construction européenne qui était en cause.
« Or, une fois encore, il faut constater que l’Europe, au moment où nous nous exprimons, est en train de surmonter une crise qui aurait pu lui être fatale.
« Sans un accord, en effet, nous aurions laissé un pays et abandonné un peuple à un sort extrêmement difficile sur le plan économique, fait de dévaluation, d’inflation, d’effondrement des salaires, de faillite des banques et des entreprises, de risques de divisions, de déstabilisations, mais devant aussi subir des conséquences géopolitiques et géostratégiques » – nous en avons parlé l’autre jour – « que personne ne peut nier. Sans un accord, nous aurions donné une image inquiétante de l’Europe vis-à-vis du monde, c'est-à-dire de tous nos partenaires, des États-Unis, de la Chine et des autres grands pays, et nous aurions, en quelque sorte, tiré un trait sur une certaine conception de la solidarité européenne.
« La France ne pouvait pas l’accepter. » Je l’ai dit ici même, au nom du Gouvernement, il y a quelques jours.
« Notre pays a su faire entendre sa voix, peser de tout son poids, grâce, en particulier, au Président de la République. Nous avons estimé que l’on ne faisait pas sortir un pays de l’Union européenne comme cela, au gré des aléas, et que le fatalisme, les égoïsmes, le chacun pour soi, quelles que soient les difficultés, ne pouvaient pas être le langage de l’Europe.
« La semaine dernière, vous avez tous souhaité que nous débattions ici, pour que la parole de la représentation nationale se fasse entendre ». Le président Larcher était intervenu en ce sens. « De fait, l’Europe doit toujours se construire avec le peuple et ses représentants.
« C’est dans cette même logique que le Président de la République a souhaité que le Parlement se prononce, par un vote, sur le contenu de l’accord.
« Quelques mots sur cet accord.
« D’abord, il constitue la réaffirmation que la place de la Grèce est dans la zone euro et pleinement dans l’Union européenne.
« Il n’y a donc pas de “Grexit”, pour reprendre un mot que je ne trouve pas très joli, « ni de “Grexit temporaire”, idée dangereuse et, en réalité, compte tenu des mécanismes, assez impraticable, qui reviendrait sans doute au même.
« Nous entendons parler d’“humiliation”, mais, même si les choses sont très difficiles, l’humiliation aurait sans doute été, pour ce pays, d’être chassé de la monnaie unique, alors que l’immense majorité des Grecs souhaitent la conserver.
« Cet accord est aussi la réaffirmation de la volonté de dix-neuf États souverains de préserver l’intégrité et la stabilité de la zone euro.
« Quand on l’examine en détail, on constate que l’accord qui va faire l’objet de votre vote comporte trois dispositions principales.
« Première mesure : la Grèce va pouvoir disposer de financements importants, en contrepartie d’engagements sur un certain nombre de réformes.
« Un nouveau programme d’aide financière, sur trois ans, dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, comprendra entre 82 et 86 milliards d’euros, en complément de deux précédents programmes. C’est malheureusement indispensable au regard de la situation financière et économique d’un pays qui ne peut aujourd’hui absolument pas se financer sur les marchés.
« La négociation de ce programme prendra nécessairement plusieurs semaines. Il y a donc urgence à mettre en place un financement-relais dans les tout prochains jours. La Grèce a devant elle d’importantes échéances de remboursement, notamment à l’égard de la Banque centrale européenne, qui a joué et continue de jouer un rôle majeur pour apporter des liquidités. C’est pourquoi la France est pleinement mobilisée pour définir, avec ses partenaires, les modalités de ce financement.
« Le nouveau programme d’aide financière sur trois ans exige, et c’est normal, le respect de conditions strictes. En liant leurs destins, les pays de l’Union se donnent des règles qui doivent valoir pour tous.
« Dès ce soir, la Grèce devrait voter des réformes importantes sur la TVA, de manière à dégager plus de recettes, et sur le système de retraites, sujet très délicat, pour en garantir la viabilité.
« La semaine prochaine, la Grèce doit faire adopter le code de procédure civile, car il faut accélérer les procédures judiciaires et réduire les coûts. Elle devra ensuite mener d’importantes réformes pour améliorer le fonctionnement de son économie, notamment le marché des biens de consommation, le marché de l’énergie ou encore le marché du travail.
« Un programme de privatisations est également prévu. Un fonds indépendant, localisé en Grèce et placé sous l’autorité du gouvernement grec – la France y a insisté, pour que la souveraineté de la Grèce soit respectée – gérera la vente d’un certain nombre d’actifs. Les produits générés permettront à la Grèce de disposer progressivement d’une somme d’un montant total de 50 milliards d’euros » – c’est beaucoup d’argent ! – « pour rembourser la recapitalisation des banques, diminuer la dette et soutenir l’investissement, et donc la croissance.
« Enfin, la Grèce s’engage à moderniser en profondeur son administration publique et va notamment créer une agence des statistiques indépendante. » Vous vous rappelez sans doute que, par le passé, des travestissements de la réalité avaient donné lieu à des controverses.
« Les choix faits par le gouvernement de M. Tsipras ne sont certainement pas faciles. Alors qu’ils ont déjà subi les effets d’une crise économique et sociale sans précédent, les Grecs devront faire des efforts supplémentaires. Ces efforts sont indispensables – c’est tout le problème – et, il faut y insister, sans commune mesure avec l’appauvrissement de la population grecque qu’aurait provoqué un Grexit. » Les deux solutions doivent toujours être comparées, même si chacune a ses inconvénients.
« Il faut saluer le courage du Premier ministre grec (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), qui, prend, ici, des décisions difficiles, mais nécessaires, dans l’intérêt supérieur de son pays. Et, quand on veut soutenir la Grèce et M. Tsipras, il est préférable de ne pas faire le jeu de ceux qui voudraient la sortie du pays de la zone euro. Certains, essentiellement par idéologie, militent aujourd’hui pour un refus de l’accord. En réalité, les suivre pourrait faire le malheur des Grecs malgré eux !
« Le chemin choisi est davantage celui de la vérité et de la responsabilité. Le gouvernement grec doit aussi rétablir la confiance avec les partenaires européens, car, assurément, beaucoup de temps a été perdu depuis le mois de février. Mais il faut penser que c’est le seul chemin qui puisse sortir durablement le pays de la crise et donc lui rendre sa souveraineté et sa fierté, à laquelle les Grecs tiennent beaucoup, à raison. En effet, se réformer, moderniser son économie, rebâtir un État moderne qui fonctionne, mettre en place une vraie fiscalité sont des nécessités pour un pays qui veut renouer avec la compétitivité, qui est nécessaire. La Grèce le sait bien !
« Et il ne faut pas oublier, mesdames, messieurs les parlementaires, que la plupart des réformes figurant dans le texte de l’accord sont reprises des propositions du gouvernement du Premier ministre Alexis Tsipras qui ont été approuvées par le parlement grec dans la nuit du 10 au 11 juillet dernier.
« Une deuxième mesure importante de l’accord est le traitement de la dette. C’était vital pour la Grèce, pour qu’elle puisse commencer à envisager un avenir qui ne se limite pas au seul remboursement.
« En ce moment, l’Eurogroupe réfléchit à des mesures permettant à la Grèce de retrouver un peu d’oxygène et de garantir la soutenabilité de la dette, qui s’élève aujourd’hui à 180 % de sa richesse. Ce point était capital pour le Premier ministre Alexis Tsipras, qui a obtenu satisfaction. Le Fonds monétaire international a encore répété, ce matin, qu’il fallait alléger la dette grecque, et c’est bien ce que nous allons faire, en reprofilant la dette, ce qui pourrait passer » – mais ce n’est pas encore décidé – « par un allongement de la durée de remboursement, ou encore par une réduction des taux d’intérêt.
« La troisième mesure de l’accord est elle aussi importante, même si l’on y a peu insisté : les Grecs disposeront d’un programme d’investissement de 35 milliards d’euros, au service de la relance de la croissance.
« Cette somme proviendra à la fois des fonds structurels et des différents programmes de l’Union européenne, mais aussi de ce que l’on appelle le “plan Juncker”. Ce que nous défendons à l’échelle européenne, s’agissant de la stratégie économique à mener, vaut aussi pour la Grèce : il ne peut pas y avoir de réformes efficaces s’il n'y a pas des investissements et de la croissance.
« Nous avons ici un accord difficile, mais, nous semble-t-il, responsable et qui doit s’inscrire dans la durée. Je veux saluer l’implication du ministre des finances, Michel Sapin, qui a œuvré sans relâche pour rapprocher les points de vue.
« Bien sûr, nous n’ignorons pas les difficultés, et il y aura encore, assurément, des rendez-vous compliqués pour la Grèce et pour l’Europe. Toutefois, la Grèce va recevoir » – je viens de l’indiquer – plus de 80 milliards d’euros d’aide financière, 35 milliards d’euros au service de la croissance et voir sa dette rééchelonnée. Il y a des réformes à mener, mais, sans ces deux mesures, des difficultés lourdes réapparaîtront. Au reste, si les réformes sont très exigeantes, c’est aussi – il faut le dire – parce qu’elles n’avaient jamais été menées.
« Cet accord, ce n’est pas un “chèque en blanc”, parce que nous demandons beaucoup à la Grèce, bien évidemment pas pour la punir, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là – cela n’aurait pas de sens –, mais pour l’accompagner dans un redressement économique qui est absolument indispensable.
« Ayons à l’esprit que l’absence d’accord » – là encore, il faut comparer les deux solutions – « aurait abouti avec certitude à ce que les 40 milliards d’euros de prêts que les contribuables français ont consentis aux Grecs disparaissent à jamais.
« Ceux qui ont tout fait pour le Grexit, qui ont appelé à punir les Grecs, appelaient en fait à nous punir nous-mêmes. (M. Roland Courteau s’exclame.) Grâce à l’action de la France et d’autres pays, ce sont finalement aussi les intérêts des contribuables français qui sont protégés. (M. Francis Delattre s’exclame.)
« Quel a été le rôle de la France ?
« La France a agi » – je crois que personne ne le conteste – «, et singulièrement le Président de la République, pour cet accord. C’était notre rôle, c’était son rôle ; c’était ce que l’on attendait de notre pays. Il s’agissait de privilégier l’intérêt général, celui de l’Europe.
« Nous avions aussi une responsabilité envers la Grèce et le peuple grec. Des liens singuliers – vous l’avez tous souligné – de nature historique, intellectuelle et autres nous unissent à ce pays, peut-être parce que – sans vouloir entrer dans une philosophie facile – nos nations partagent une même ambition, un peu plus large que nous-mêmes, voire parfois universelle. La Grèce et la France – voilà longtemps pour la Grèce, plus récemment pour la France – ont voulu que leur voix porte au-delà de nos frontières, qu’elle ait un écho beaucoup plus large. Sans vouloir utiliser de trop grands mots, il n’est pas possible à la France d’abandonner la Grèce, car, d’une certaine manière, ce serait renoncer à ce que nous portons.
« Si notre voix a pesé, c’est aussi parce que nous avons fait preuve de beaucoup de constance. Nous ne nous sommes pas laissés voguer au gré des calculs d’appareil, des atermoiements ou de certains contre-pieds tactiques du moment. Nous avons préféré avoir une ligne et nous y tenir.
« Si la France est au rendez-vous, c’est parce que cette cohérence a été assurée. C’est ce que nous avons essayé de porter jusqu’au bout.
« La question de la France et de l’Allemagne a été souvent posée. » À titre personnel, j’ajoute en avoir beaucoup discuté avec mon collègue et ami M. Steinmeier, lors des longues journées et des non moins longues nuits de la négociation iranienne. Il a pu y avoir, à certains moments, tel ou tel aspect différent. Mais au final « l’Europe et la France ont pu compter sur la solidité du couple franco-allemand, en allant puiser à la source de ce qui fait cette relation particulière. Nous savons bien que l’Allemagne et la France ont non seulement dépassé les haines, mais que la réconciliation est au-delà des ressentiments, des souffrances ou de tel aspect du moment. Nous avons vu cette dimension prévaloir.
« La France et l’Allemagne, représentées par le Président de la République et la Chancelière, ont agi, nous semble-t-il, avec la conscience d’être les héritiers de la nécessité historique.
« Il faut condamner avec beaucoup de force l’excès, et même parfois l’indignité, de certains propos aux relents nationalistes et de phrases qui, en cherchant inutilement à atteindre l’Allemagne, font aussi du mal à l’Europe et à la France.
« Former un couple ne veut pas dire être d’accord sur tout, mais c’est savoir se retrouver sur l’essentiel, le moment venu. Il peut y avoir des divergences, des désaccords, des sensibilités différentes qui sont aussi celles des peuples.
« L’Allemagne a sa voix, la France a la sienne, c’est celle d’une Europe solidaire et responsable qui n’exclut personne et qui sait rassembler. Mais la solidité d’une amitié s’éprouve aussi au moment des difficultés. Au final, la France et l’Allemagne ont fait preuve, au moment des décisions, d’une grande unité.
« Nous savions que nous devions agir de concert pour trouver une solution. Le couple franco-allemand doit être décidé, ambitieux, équilibré. S’il ne peut pas tout – il ne dirige pas l’Europe –, il faut convenir que, sans lui, l’Europe ne peut pas grand-chose.
« Mesdames, messieurs les parlementaires, la France conçoit son destin au cœur de l’Europe. C’est notre fierté, notre vocation. Nous avons l’intention de la défendre. Nous voulons une certaine Europe » – les mots sont peut-être trop généraux – « forte, volontaire, généreuse. C’est nécessaire en raison de l’époque.
« Notre monde est fait de bouleversements, de menaces, d’instabilités. Nous essayons d’être à l’initiative. Nous jouons tout notre rôle. Ici pour l’Europe, partout où il le faut et où nous le pouvons : au Sahel et en Irak contre le terrorisme ; au Moyen-Orient, avec la question du nucléaire iranien. » Et c’est là où j’éprouve une difficulté, puisque mon obligation gouvernementale nécessite que je lise la phrase qui m’est proposée : « Je veux saluer l’action déterminée, le talent de négociateur de Laurent Fabius. » (Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. Philippe Dallier. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !
M. Laurent Fabius, ministre. Je veux donc vous présenter mes excuses. Quand je m’en suis ouvert au Premier ministre, tout à l’heure à l’Assemblée nationale, il m’a répondu que ce n’était pas la première fois que je me retrouvais dans une telle situation et que j’avais déjà dû lire un de ses discours dans lequel je disais : Fils d’Espagnol… (Nouveaux sourires.) Il me semble toutefois que j’avais contourné la difficulté en trouvant une formule, un exemple de plus de ma modestie connue. (Rires.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe dans la situation où nous nous trouvons, dans le monde troublé qui est le nôtre, doit choisir : si nous voulons pouvoir avoir la force de nos choix, il nous faut absolument être unis ; et si, par malheur, nous étions désunis, nous porterions alors un coup très fort à l’Europe et donc, par contrecoup, à la France.
« Un travail important reste à faire pour mettre concrètement en œuvre l’accord. Le Parlement grec doit se prononcer ce soir, d’autres vont le faire dans les prochains jours. Il faudra toutefois aller au-delà. Nous devrons avoir la force politique de tirer toutes les leçons de cette crise pour en faire – si cela est possible – une opportunité.
« Nous avions déjà tracé quelques lignes, quelques pistes, la semaine dernière. Le Président de la République a formulé, hier, des propositions en ce sens.
« Nous avons d’abord besoin d’un véritable gouvernement économique de la zone euro au service de la croissance et de l’emploi. Nous avons progressé avec l’Union bancaire, avec ce qu’on appelle – dans un terrible jargon – le « semestre européen », mais ce n’est pas assez. Il faut une coordination accrue des politiques économiques qui donne sa pleine place à une analyse globale de la zone euro avec ses forces, ses vulnérabilités, ses besoins. » Le Gouvernement français aura l’occasion, dans les semaines qui viennent, de préciser ses propositions.
« Il faut aussi plus de convergence. Cela fait très longtemps que nous disons qu’il faut regarder les choses en face : une même monnaie n’a pas permis à nos économies de converger spontanément et suffisamment. C’est même le contraire qui s’est parfois produit. Ce n’est pas bon, ce n’est pas sain. Nous devons donc avancer – par le haut – dans les domaines économique, social et fiscal. À cet effet, il faut utiliser tous les instruments à notre disposition : la politique de cohésion, pour accélérer le rattrapage économique et social entre États ; le plan Juncker ; les rapprochements dans le domaine social avec les pays qui y sont prêts – je pense, en particulier, à la question des rémunérations ; l’harmonisation et la lutte contre les stratégies d’optimisation fiscale.
« Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, ni techniquement ni politiquement, mais les différences qui existent nuisent à l’unité et à la stabilité de la zone euro.
« Nous avons également besoin de nous doter de moyens budgétaires. Nous avons réussi à mettre en place le plan Juncker en moins de six mois – ce qui est court, s’agissant d’un projet européen ! Mais nous devrons aller plus loin en mettant en place, dans un second temps, un véritable budget de la zone euro permettant de financer des investissements spécifiques en matière d’infrastructures, d’innovation ou encore de capital humain, avec les ressources correspondantes. » Encore une fois, nous préciserons ces pistes dans les semaines à venir.
« On ne réalisera pas ces avancées, on ne pourra pas engager de nouvelles étapes en matière d’intégration sans les peuples et leurs représentants. C’est pourquoi il faut, là aussi, renforcer la légitimité démocratique de la zone euro.
« Cela concerne l’Europe, bien sûr, car aujourd’hui – tout le monde le constate – le Parlement européen n’est pas suffisamment associé aux travaux du “semestre européen”. Concrètement, la recommandation “zone euro” élaborée chaque année pourrait être transmise au Parlement européen et faire l’objet d’un débat démocratique.
« En outre, – ce qui est plus complexe et donc beaucoup plus novateur –, nous devons pouvoir l’inviter à s’organiser pour que les sujets propres à la zone euro soient davantage pris en considération en tant que tels. Ce n’est pas le cas et c’est le sens de l’appel du Président de la République à mettre en place une sorte de Parlement de la zone euro. Il faudra bien sûr associer à cette action les Parlements nationaux.
« Si nous prenons encore davantage de hauteur ou de recul, cette crise montre combien nous devons reprendre le chantier du projet européen dans sa globalité, avec vision, avec ambition, avec audace. Car si la défiance s’installe ou croît, si les populismes grondent, c’est aussi parce que l’Europe, depuis beaucoup de temps, a perdu de son élan et qu’elle ne dit pas clairement où elle va ou que l’on ne comprend pas ce qu’elle dit lorsqu’elle s’exprime.
« Nous avons besoin de plus d’intégration, de plus de solidarité, pour la protection et la prospérité des peuples. C’est vrai sur les questions économiques et monétaires, qui sont absolument essentielles. C’est vrai aussi sur d’autres enjeux – vous pensez comme moi aux questions migratoires, où seule une politique vraiment commune et efficace pourra nous permettre d’avancer.
« Et puis l’Europe, c’est plus que notre continent et c’est plus, sans doute, que la somme des intérêts spécifiques de nos nations. C’est un certain nombre de messages, un certain nombre de valeurs qui peuvent résonner dans le monde entier.
« Les Européens, je le constate, ne le savent pas toujours et ne savent pas toujours non plus défendre au mieux leurs propres intérêts. Nous devons donc nous appuyer sur nos forces, sur nos talents pour peser davantage sur l’ordre du monde : que ce soit dans le domaine commercial, où l’Union européenne fait figure de géant ; dans le domaine de la culture, où nos industries sont puissantes ; dans le domaine environnemental, où nous faisons la course en tête depuis déjà plusieurs décennies. » Je l’ai vu encore lors de la négociation iranienne, où il y avait la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Haute Représentante, qui coordonnait un certain nombre de travaux.
« L’Europe ne doit pas avoir peur d’être pleinement elle-même. Elle doit assumer qui elle est, ce qu’elle fait et le porter.
« Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez être les premiers en Europe à voter. La responsabilité est donc d’indiquer le chemin. Et vous serez associés aux prochaines étapes de mise en œuvre de l’accord.
Face à une crise, ce qu’on pourrait appeler le dépit ne peut être une option. Il faut aller vers le rebond.
Comme tout bon discours, celui-ci se termine par une citation. « Le poète allemand Hölderlin, rendant hommage à l’île grecque de Patmos, écrivait : “ Là où est le péril, là aussi, croît ce qui sauve ”. » C’est ce que je vous disais la semaine dernière, me rappelant mes humanités grecques, en soulignant que le même mot κίνδυνος [kíndunos] signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance.
« La crise que nous venons de connaître est aussi ce qui peut et doit nous permettre, si nous le voulons, de faire aujourd’hui preuve d’ambition pour l’Europe.
« Alors, essayons par nos votes d’avancer. Essayons de continuer à écrire l’histoire de l’Europe, c’est-à-dire l’histoire de nos peuples. C’est aujourd’hui, mesdames, messieurs les parlementaires, par votre vote, votre responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du RDSE. – M. Michel Mercier applaudit également.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, la Grèce reste dans la zone euro et cela demeure une bonne nouvelle, même si des rebondissements ne sont pas à exclure.
Toutefois, les dirigeants européens ont imposé un véritable traité de Versailles au peuple grec, une punition et une humiliation d’une violence inouïe.
Je suis un ardent défenseur de l’Europe depuis le début de mon engagement politique. Mais force est de constater que l’Union européenne a changé de nature le week-end dernier.
Premièrement, j’ai appris que l’euro n’était pas qu’une monnaie, qu’il était aussi une politique économique particulière.
L’euro devait rapprocher les peuples, être la monnaie de tous les Européens. Or cette crise a prouvé que tel n’était pas le cas : on peut priver certains habitants de la zone euro de l’accès à leur propre monnaie.
Jusqu’à ce week-end, l’Europe, c’était la convergence progressive de nations égales en une « union sans cesse plus étroite ». Chaque État membre choisissait librement de confier à l’Union une part de sa souveraineté dans son propre intérêt.
Chaque pas vers l’Europe était « irréversible » et « irrévocable ».
Enfin, l’accord tacite était que l’Allemagne devait se retenir de toutes tentations impérialistes en échange de la seconde chance donnée.
Depuis lundi matin, cela n’est plus. La Grèce n’est plus souveraine. L’irréversibilité de l’euro est morte. Tous les irréversibles du projet européen sont devenus réversibles. Tous les irrévocables sont devenus révocables.
La zone euro n’est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous par des compromis équilibrés. Ce week-end, elle est devenue un lieu de domination des forts sur les faibles, des créanciers sur les débiteurs.
La cruauté de ce week-end est un avertissement pour les pays latins, dont la France.
Droite comme gauche devraient chercher la parade plutôt que de se renvoyer la balle, car ils n’ont jamais mené une politique économique qui convienne à l’Allemagne. Tôt ou tard, au rythme où avance notre dette, nous connaîtrons le même sort si nous ne réorientons pas vraiment – j’insiste sur le « vraiment » – l’Union européenne. D’ailleurs, il s’agit non plus de réorienter, mais de refonder.
Ce week-end, les dirigeants européens ont ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l’Europe et offre un boulevard aux extrêmes.
C’est de cela que les politiques devraient s’occuper. Au lieu de cela, Sarkozystes et Hollandais débattent entre eux pour savoir qui a sauvé l’intégrité de la zone euro. Car, en réalité, tous sont responsables de la tournure prise par l’Union européenne depuis la crise de 2008. Une crise de spéculateurs, née aux États-Unis, il faut s’en souvenir – on a trop tendance à l’oublier – à l’heure de l’addition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Premier ministre avait annoncé vouloir revenir devant le Parlement pour soumettre aux représentants du peuple l’approbation d’un éventuel accord. Dont acte !
Disons-le d’emblée, notre groupe se félicite de la conclusion de cet accord. J’ai bien dit « de cet accord » en ce sens qu’il est bien précis et qu’il ne s’agit pas de n’importe quel accord.
Nous ne pouvions évidemment pas abandonner les Grecs à leur sort, ni pour eux-mêmes ni pour l’Europe. Nous ne pouvions pas nous satisfaire d’un « Grexit de lassitude ». Nous ne pouvions pas non plus lâcher des dizaines de milliards d’euros d’argent public par-dessus l’épaule du contribuable sans perspectives de redressement durable pour la Grèce.
En l’état, cet accord a le mérite de garder la Grèce dans la zone euro sans discréditer l’Union. Néanmoins que de temps perdu !
Entre la révélation, en décembre 2009, du trucage des comptes publics grecs et la conclusion de ce troisième plan d’aide financière, la Grèce a perdu six années.
Six années de réformes inabouties, six années de souffrances pour les Grecs, et tout cela pour quoi ? Pour aboutir, enfin, à une conclusion déjà écrite depuis longtemps : la Grèce, pour rester dans la zone euro, doit se mettre en conformité avec les exigences imposées par la monnaie unique.
Cela n’a rien d’extraordinaire : l’Europe exige, bien sûr, entre tous ses membres un devoir de solidarité. Cette solidarité impose, en retour, un devoir de responsabilité pour chacun. J’espère que M. Tsipras et ses amis ont enfin compris la portée de ce principe. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Arrêtez !
M. François Zocchetto. En effet, cet accord met le gouvernement grec devant ses obligations.
J’ai déjà évoqué ici à cette tribune voilà une semaine les réformes à entreprendre, que nous connaissons tous : restauration de l’autorité de l’État grec, réforme fiscale, lutte contre la corruption, lutte contre la fraude, démantèlement des oligopoles, instauration d’un cadastre et soumission de tous à l’impôt – armateurs et église orthodoxe compris. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste également.)
M. Pierre Laurent. Le FMI les défend, les armateurs !
M. François Zocchetto. Pour que la confiance soit rétablie entre la Grèce et ses partenaires, il faudra que M. Tsipras aille au bout des réformes promises.
Évidemment, cela ne sera pas facile. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Appliquer l’accord à la lettre demandera des efforts considérables aux Grecs.
Je ne songe pas seulement à des efforts financiers, je songe aussi à un véritable et profond changement d’attitude des citoyens grecs. Un changement des mentalités s’impose pour construire un État fort, le respecter et mettre au pas les profiteurs d’une société viciée par les rentes et le népotisme. La Grèce ne peut plus jouer au passager clandestin de la construction européenne. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
C’est un moment de vérité pour la Grèce, qui, en pleine souveraineté, est désormais face à son destin.
Mme Éliane Assassi. Arrêtez de dire cela !
M. François Zocchetto. C’est donc à son peuple de s’en montrer digne…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quel mépris !
M. François Zocchetto. … et d’affronter cette épreuve en toute responsabilité sans dénoncer ceux qui l’aident depuis tant d’années, l’Allemagne au premier chef. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Et là, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire avec tristesse, au lendemain du 14 juillet, que je me suis senti plus en phase avec l’approche allemande de la solidarité (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC.)…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est un classique à droite !
M. François Zocchetto. … qu’avec celle du gouvernement français. Les Allemands – conservateurs et sociaux-démocrates – voulaient un bon accord.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il y a toujours les nostalgiques de la grandeur allemande !
M. François Zocchetto. Le Président de la République française, de son côté, déclarait vouloir un accord à tout prix.
Quelle différence ? Eh bien, du côté français, on pouvait comprendre que nous étions prêts à lâcher à nouveau l’argent public pour éteindre un incendie qui aurait probablement repris très vite.
Du côté de l’Allemagne et de nombreux autres pays, il s’agissait d’abord de jeter les bases d’une croissance saine en Grèce, à laquelle nous aurons, à défaut de l’envie – que je continue d’espérer – en tout cas, j’en suis certain, l’obligation d’associer un nécessaire rééchelonnement – voire une remise – de la dette grecque.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. François Zocchetto. On parle beaucoup de la Grèce ! On peut aussi parler un peu de la France ! (Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Nous devons aussi regarder la réalité. Je ne citerai pas beaucoup de chiffres. Qu’il me suffise de dire qu’en France la dette par habitant s’établit à 31 000 euros.
M. Dominique Bailly. Pas de leçons !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Grâce à vous !
M. François Zocchetto. En Grèce, elle est de 29 000 euros. La vérité, c’est qu’un pays n’est pas souverain quand il est surendetté.
M. Bruno Sido. Oui !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous en savez quelque chose !
M. François Zocchetto. Et la Grèce nous le démontre !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. François Zocchetto. Je ne peux donc que m’inquiéter de ce soulagement qui semble gagner le Gouvernement et le Président de la République. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Dominique Bailly. C’est faux !
M. François Zocchetto. En France, nous connaissons nous aussi tous les réformes à mener et que nous voulons imposer aux autres :…
M. Didier Guillaume. Nous ne sommes pas d’accord sur les réponses !
M. Dominique Bailly. La Grèce !
M. François Zocchetto. … réforme fiscale, flexibilité du marché du travail,…
M. Dominique Bailly. La Grèce !
M. François Zocchetto. … réforme de la retraite à points (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.), réforme des statuts de la fonction publique et allégement des normes.
Mme Cécile Cukierman. La taxation des plus-values !
M. François Zocchetto. Si peu a été réalisé chez nous, monsieur le ministre.
M. Bruno Sido. Ça, c’est clair !
M. François Zocchetto. Si, dans les négociations, notre voix n’a pas tant compté que l’on voudrait nous le faire croire, c’est tout simplement parce que nos partenaires ne sont pas dupes.
M. Dominique Bailly. Démago !
M. François Zocchetto. Notre crédibilité s’amenuise malheureusement au fur et à mesure que nous confondons – cela dure depuis des années, il faut bien le dire – réforme et affichage.
Nous devons également apprendre et tirer des leçons de ce lourd épisode. Une monnaie orpheline à la fois d’État et de dimension politique n’existe pas.
L’euro, pour ne pas s’effondrer, doit être enfin soutenu par un véritable gouvernement économique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vos amis l’ont toujours refusé !
M. François Zocchetto. La zone euro ne peut plus continuer de se construire avec une architecture qui ressemble plus à un règlement de copropriété bien usé ! Il faut se rendre compte que l’Eurogroupe n’est qu’une structure virtuelle. Rien dans les traités n’est prévu…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si ! Le pacte de stabilité !
M. François Zocchetto. … pour donner des orientations politiques à notre monnaie.
Avoir un ministre à temps partiel pour gérer l’Eurogroupe, ce n’est plus possible ! Nous ne pouvons plus donner dans la politique de l’expédient, de l’accord de dernière minute et du rafistolage.
L’Europe ne doit pas fonctionner ainsi. L’Europe ne peut plus avancer ainsi. Il faut donner du corps et un visage à l’euro.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On a vu ce que cela donne !
M. François Zocchetto. Monsieur le ministre des affaires étrangères, nous sommes en parfaite harmonie avec vos propos tenus il y a quelques minutes sur ce point. Nous devons donner à l’Europe une voix pour répondre à celle des peuples. Nous devons lui donner des bras pour agir. On ne peut pas non plus laisser les peuples européens croire qu’une intervention de la troïka est une ingérence anti-démocratique. (Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Marie-Noëlle Lienemann s’exclament.) Il faut passer à un autre système.
Nous avons donc besoin d’une nouvelle gouvernance de la zone euro pour assurer la convergence de nos politiques publiques. Nous avons besoin d’un sursaut démocratique et fédéral en permettant la désignation d’un responsable européen de l’euro – d’un ministre des finances, si l’on veut – qui détiendra l’autorité suffisante pour imposer le respect de la règle commune.
Et là, la France à un rôle à jouer. Nous ne pouvons, nous Français, laisser la zone euro sans clef de voûte. J’ai entendu les propositions faites hier par le Président de la République. Il semble enfin nous rejoindre (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain s’esclaffent.) sur la nécessité de faire un pas en avant dans la marche vers le fédéralisme budgétaire européen. Enfin ! Bravo ! Mais, monsieur le ministre, nous avons besoin de garanties, d’être assurés que vous joindrez très rapidement le geste à la parole !
M. le président. Il va falloir conclure, mon cher collègue.
M. François Zocchetto. Tout le monde a bien compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le débat est loin – très loin – d’être terminé.
Parce que nous croyons en l’Europe, parce que nous voulons construire l’Europe de demain, une Europe solidaire et exigeante, nous voterons en faveur de la validation de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au terme d’une nouvelle nuit de négociations dont seule l’Europe a le secret, l’accord trouvé par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro éloigne – pour un temps au moins, peut-être – le spectre d’une sortie chaotique de la Grèce de la monnaie unique. Cependant, cet accord a, me semble-t-il, comme un air de déjà-vu !
Voilà en effet plus de cinq ans que, périodiquement, l’Europe et la Grèce semblent condamnées à rejouer encore et toujours la même scène. Depuis 2010, deux plans d’aide d’un montant total de 240 milliards d’euros ont été mis en œuvre pour aider les Grecs à surmonter les difficultés auxquelles ils devaient faire face.
Dans la tourmente économique et financière que connaissait alors notre continent, la solidarité européenne a joué à plein. Elle était indispensable. D’autres pays que la Grèce en ont d’ailleurs également profité. Ils sont désormais en voie de rétablissement car, eux, ont fait les réformes qui s’imposaient.
Pourtant, aujourd’hui, la dette grecque atteint des records – à 180 % du PIB. Elle serait, au demeurant, encore plus élevée si, en 2012, les États européens n’avaient pas contraint les créanciers privés à assumer leur part de risque et à effacer l’équivalent de 107 milliards d’euros qu’ils détenaient en obligations et en bons du Trésor.
La BCE a également contribué à l’expression de la solidarité européenne. Cela fait maintenant cinq mois qu’elle porte à bout de bras le système bancaire grec et, donc, l’économie du pays. Elle lui a ainsi fourni près de 90 milliards d’euros de liquidités d’urgence, alors que, parallèlement, les déposants ont retiré depuis décembre 2014 plus de 40 milliards d’euros, ce qui équivaut à près de 25 % du produit intérieur brut.
La réouverture des banques, dont la date exacte reste à ce jour incertaine à la suite des récentes déclarations du Premier ministre grec, devra toutefois être accompagnée d’une recapitalisation importante, pouvant aller, selon l’Eurogroupe, jusqu’à 25 milliards d’euros.
Dans la conception de chaque plan d’aide, la responsabilité grecque devait répondre à cette solidarité européenne et se manifester par des réformes structurelles ambitieuses destinées à assainir les finances publiques du pays et à remettre sur les rails une économie qui – c’est désormais admis – ne disposait absolument pas des prérequis fondamentaux pour prétendre faire partie de la zone euro. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Or, aujourd’hui, quelle est la nature de l’accord qui nous est soumis ?
Tout d’abord, un engagement pour un nouveau plan d’aide – le troisième, je le rappelle – dont les contours précis sont encore inconnus mais qui sera doté d’une enveloppe d’environ 85 milliards d’euros sur trois ans, avec une participation européenne qui serait évaluée, à ce stade, à 50 milliards d’euros.
Si l’on se base sur la quote-part de notre pays au sein du Mécanisme européen de stabilité, le MES, cette nouvelle étape représenterait pour la France plus de 10 milliards d’euros, qui s’ajouteront donc aux 42 milliards déjà engagés dans le cadre des plans antérieurs, soit une contribution directe globale qui avoisinerait les 55 milliards d’euros.
Un prêt-relais devra par ailleurs être consenti dans les jours qui viennent pour que la Grèce puisse régulariser sa situation de défaut vis-à-vis du FMI et faire face à ses échéances de remboursement à très court terme, estimés par l’Eurogroupe à 12 milliards d’euros d’ici à la fin du mois d’août.
Le Fonds pour les privatisations, nouvellement créé, devra, quant à lui, impérativement atteindre son objectif de 50 milliards d’euros pour sécuriser les nouveaux prêts consentis par les Européens.
Enfin, si des aménagements de la dette grecque sont aujourd’hui envisagés, ils ne pourront intervenir qu’après la mise en œuvre par le gouvernement grec de ses engagements. Conformément aux principes de l’accord conclu en novembre 2012 et confirmés par l’accord du 13 juillet, – j’insiste sur ce point, que j’ai déjà évoqué voilà huit jours – ils ne pourront en aucun cas porter sur une décote ou un effacement de la dette nominale de la Grèce.
Une fois ce programme mis en œuvre, ce seront donc au total plus de 500 milliards d’euros qui auront été mobilisés, d’une manière ou d’une autre, en faveur de la Grèce depuis 2010. Dans ces conditions, parler de « coup d’État financier » ou de « dictature de la finance », comme le font certains, est grotesque. Nous avons déjà donné 500 milliards d’euros à la Grèce. Ne tombons pas dans le piège de M. Tsipras ! L’Europe a été plus que solidaire, et c’est la Grèce qui ne s’est pas réformée. N’inversons pas les responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
J’observe à ce titre que, si le gouvernement Tsipras n’a finalement pas obtenu le chèque en blanc qu’il escomptait, c’est en grande partie grâce à la fermeté qu’ont su démontrer nombre de pays européens, emmenés notamment par la chancelière allemande (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean Bizet. … et je ne peux que me réjouir. N’oublions pas en effet que l’Allemagne est le premier financeur du Mécanisme européen de stabilité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous aussi, nous payons !
M. Jean Bizet. Quoi qu’on en dise, c’est bel et bien cette position qui se reflète dans le résultat final des négociations. Je regrette, je le dis très clairement, que la France ait prêté une oreille que je qualifierai de sélective,…
M. Ladislas Poniatowski. … de groupie !
M. Jean Bizet. … plus attentive aux voix de l’extrême gauche qu’à celle des réformateurs. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Elle a trop longtemps laissé entendre à M. Tsipras qu’il pourrait bénéficier une nouvelle fois de la solidarité européenne, sans accepter la responsabilité qui va avec.
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !
M. Jean Bizet. C’est un affront fait aux contribuables français.
La France et l’Europe ne peuvent pas continuer à payer sans contrepartie, sans exigence. Nous ne pouvons donc que saluer le travail de la Chancelière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Il est vrai, je le dis très clairement, que l’Europe de l’orthodoxie budgétaire ne fait pas rêver. Toutefois, elle a au moins un mérite : celle d’assurer les fins de mois des pays en difficulté. C’est un message que je me permets d’adresser personnellement à M. Mélenchon.
Mais quel paradoxe de voir aujourd'hui le Président de la République approuver pour la Grèce ce qu’il refuse précisément à notre pays. Il serait bon qu’il s’inspire aujourd’hui des réformes qu’il a finalement soutenues, et dont il ne paraît pas vouloir pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Mais si !
M. Jean Bizet. Les réformes structurelles engagées ces dernières années avaient permis à la Grèce d’enregistrer des résultats économiques positifs à partir de 2014 et d’entrevoir enfin une sortie de crise. Elle dégageait ainsi un premier excédent budgétaire primaire, la croissance commençait à repartir après six années de récession et elle avait même fait un premier retour encourageant sur les marchés financiers.
Mais l’incertitude politique qui règne depuis plusieurs mois et le coup d’arrêt donné aux réformes par M. Tsipras ont réduit à néant ces avancées.
M. Patrick Abate. C’est de la mauvaise foi !
M. Jean Bizet. Les exigences de l’accord du 13 juillet doivent donc permettre à la Grèce de réenclencher la dynamique vertueuse sur laquelle elle était engagée il y a encore moins d’un an.
Mais le pays devra avant tout régler ce qui fait encore aujourd’hui sa faiblesse structurelle fondamentale. Chacun ne connaît désormais que trop bien ces défaillances : un État et une administration inefficaces, minés par la corruption et le clientélisme ; un système social totalement inadapté ; un système fiscal d’un autre temps ou encore une culture de la fraude et de l’évasion fiscales mortifère.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chez nous, cela n’existerait pas !
M. Jean Bizet. Pour ne pas craindre d’avoir à discuter demain d’un éventuel quatrième plan d’aide, la confiance dans la volonté et la capacité du gouvernement grec à transformer réellement le pays pour le mettre au niveau des standards européens est donc fondamentale.
Or cette confiance est aujourd’hui considérablement érodée. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Pour un certain nombre d’Européens, elle est même irrémédiablement brisée.
La défiance qui s’est installée est bien évidemment le fruit des errements et des compromissions des gouvernements grecs qui se sont succédé depuis plusieurs décennies, mais elle est surtout le résultat de l’attitude de M. Tsipras et de ses amis depuis six mois. (Plusieurs sénateurs du groupe CRC s’esclaffent.)
Mme Éliane Assassi. Quelle mauvaise foi !
M. Jean Bizet. Depuis leur arrivée au pouvoir, qu’ont-ils entrepris pour redresser véritablement le pays ? Aucune action d’envergure n’a été menée depuis l’élection du 25 janvier, alors même que Syriza avait reçu un mandat fort pour s’attaquer fermement à la corruption ou aux privilèges fiscaux injustifiés, qui font d’ailleurs peser sur une base bien trop étroite le poids des ajustements structurels indispensables. C’est tout le malheur de la Grèce ou, plus exactement, de ses habitants.
Au lieu de cela, le Gouvernement Tsipras a préféré se concentrer uniquement sur la question de la dette et le versement d’une dernière tranche d’aide, dont il disait pourtant, durant sa campagne électorale, ne pas vouloir. Ce faisant, il s’est enferré dans une logique d’affrontement stérile et démagogique avec ses partenaires européens. En cinq mois de négociations, jamais il ne s’est engagé dans une discussion sérieuse et concrète, pas une fois il n’a formulé la moindre proposition crédible,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mais si !
M. Jean Bizet. … se contentant d’instrumentaliser la menace d’un échec des négociations et d’une sortie de la Grèce de la zone euro.
Mme Éliane Assassi. Arrêtez de dire n’importe quoi !
M. Jean Bizet. Pire, il a régulièrement fait usage de la provocation, voire de l’insulte. Le ministre des finances s’est par exemple permis de traiter ouvertement ses interlocuteurs de « terroristes » ou de « criminels ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce qui n’est pas faux !
M. Jean Bizet. Enfin, la décision soudaine et unilatérale de M. Tsipras de se retirer de discussions pourtant devenues enfin constructives, pour mettre en œuvre un référendum et faire campagne pour le « non », a fini de convaincre la plupart de ses partenaires qu’ils ne pouvaient voir en lui un interlocuteur fiable. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Ladislas Poniatowski. C’est du cinéma, tout ça !
M. Jean Bizet. J’ajoute que, malgré l’engagement pris par les chefs d’État et de gouvernement de négocier un troisième plan d’aide important, les mesures que devra mettre en œuvre le gouvernement grec sont semblables, voire plus exigeantes, que celles que sa majorité avait appelé à rejeter dans le cadre du référendum du 5 juillet dernier.
Alexis Tsipras est donc mis aujourd’hui face à ses contradictions. Le mythe s’effondre pour ceux qui, au matin du 26 janvier dernier, voyaient en lui l’alpha et l’oméga d’une réorientation de l’Europe. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe CRC.)
Dans ces conditions, on peut légitimement s’interroger sur les marges de manœuvre politiques dont son gouvernement pourra bénéficier dans les semaines et les mois à venir, d’autant que le Premier ministre lui-même a affirmé hier ne pas croire au plan de réformes qu’il doit désormais mettre en œuvre... (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Même si plusieurs partis semblent aujourd’hui prêts à soutenir l’agenda de réformes proposé, comme l’a d’ailleurs démontré le vote de la Vouli vendredi dernier, les premières voix discordantes se sont déjà fait entendre au sein de la plateforme majoritaire.
Or ce dont la Grèce a aujourd’hui besoin par-dessus tout, c’est bien de stabilité. Après six mois d’incertitude, d’inconstance et d’inaction,…
Une sénatrice du groupe CRC. Et avant ?
M. Jean Bizet. … seule la stabilité permettra au pays de s’engager dès maintenant sur des actes forts. Le vote prévu aujourd’hui concernant un certain nombre de réformes clefs est un premier test de la capacité des Grecs à emprunter cette voie.
Mais ne nous y trompons pas : les actions nécessaires à la remise en route pérenne du pays prendront du temps. C’est donc seulement dans la durée que nous pourrons véritablement mesurer la volonté politique des Grecs à se doter d’un État et d’une économie modernes (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), capables de se passer de la surveillance et de l’assistance de ses partenaires européens (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Lundi, l’Europe a donné dans la douleur une ultime chance à la Grèce de démontrer qu’elle était capable de demeurer membre de la monnaie unique. Néanmoins, cette crise laissera à n’en pas douter des marques profondes et durables dans les relations entre les Grecs et le reste des Européens, mais aussi entre les Européens eux-mêmes, et en particulier entre la France et l’Allemagne – je suis désolé, monsieur le ministre, de vous contredire sur ce point, mais telle est mon analyse –,…
M. Didier Guillaume. Non, c’est une erreur !
M. Jean Bizet. … dont les divergences d’appréciation dans la phase finale des négociations ont éclaté au grand jour.
L’Europe a certes évité, et il fallait le faire, le saut dans l’inconnu qu’aurait constitué une sortie incontrôlée de la Grèce de la zone euro, mais elle ressort toutefois politiquement affaiblie et divisée de cet interminable psychodrame. Fort heureusement, elle n’a pas cédé au chantage de M. Tsipras. C’est, au-delà de la Grèce, un avertissement à tous les populistes d’un certain nombre de pays.
M. Pierre Laurent. On a encouragé les populismes !
M. Jean Bizet. Espérons que cette énième crise aura au moins servi à faire prendre conscience aux Grecs non seulement de l’ampleur des défis qui se posent à eux, mais aussi et surtout de l’impossibilité, pour l’Europe, de revivre ce genre d’épisodes. Une discussion sur un quatrième plan d’aide à la Grèce ou un effacement de sa dette signifierait la perspective d’un Grexit. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Enfin, cette séquence a démontré une fois de plus à quel point la zone euro pâtissait de ses déficiences structurelles. La convergence de nos modèles économiques, en particulier dans les domaines fiscal et social, dans lesquels la France est en retard, ainsi qu’un réel pilotage politique de la zone euro ne peuvent plus aujourd’hui rester des débats théoriques ou des vœux pieux. Ils sont tout simplement une urgence politique et économique pour la zone euro.
Lorsque le traité de Maastricht mettant en place l’Union économique et monétaire fut signé en 1992, le tandem Mitterrand-Delors était convaincu que l’Europe conduirait à une convergence naturelle des économies européennes et que l’union économique suivrait l’union monétaire dans les trois ans.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les Allemands n’en voulaient pas !
M. Jean Bizet. Nous sommes aujourd’hui loin de cette prédiction, et les retards pris en la matière relèvent d’une faute collective que nous devons assumer. Si la France a de l’audace – il paraît qu’elle en a désormais (Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) –, elle doit prendre l’initiative et faire des propositions concrètes et ambitieuses à ses partenaires.
M. Didier Guillaume. C’est fait !
M. Jean Bizet. Dans sa grande majorité, le groupe des Républicains validera la proposition d’accord négociée par les dix-neuf États de la zone euro et, donc, la signature de la France. Il faut en effet savoir respecter la parole de son pays. J’invite nos collègues exaspérés par le comportement de M. Tsipras à dépasser le ressentiment qui peut être le leur, pour, encore une fois, faire respecter la parole de la France en votant cet accord européen.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Très bien !
M. Jean Bizet. Toutefois, ce vote positif ne peut s’appréhender sans un contrôle régulier et précis du respect de la totalité de l’accord européen. En d’autres termes, il ne peut y avoir de versements d’aides échelonnés dans le temps sans respect strict de ses engagements par la Grèce. Le gouvernement français doit s’engager, messieurs les ministres, sur cette exigence de contrôle. Le Sénat, quant à lui, au travers de sa commission des finances et de sa commission des affaires européennes, n’y manquera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le ministre des affaires étrangères, je suis au regret, une fois de plus, de mettre à mal votre modestie. Je voudrais en effet saluer le travail de la France, du chef de l’État, du Gouvernement et de vous-même pour l’accord historique obtenu avec l’Iran (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.), qu’il convient selon moi de reconnaître à sa juste valeur. C’est la fin de la prolifération et le début de nouveaux accords. À cet égard, recevez donc, monsieur le ministre, toutes les félicitations du groupe socialiste et républicain.
M. Didier Guillaume. J’en viens au dossier grec. Que de chemin parcouru depuis la semaine dernière !
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Ah oui !
M. Didier Guillaume. Relisons, comme je m’y suis amusé tout à l’heure, les discours des uns et des autres. Que n’avons-nous pas entendu ! Certains souhaitaient le Grexit, c'est-à-dire la sortie de la Grèce de la zone euro, au prétexte que, trop dépensière, elle n’avait rien à y faire, ou tout simplement qu’elle ne parlait pas le même langage que le reste des États européens.
M. André Reichardt. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Didier Guillaume. Quelle réussite pour la Grèce et les Grecs, qui s’efforcent aujourd'hui, dans la zone euro, dans l’Europe, de s’en sortir, avec leur gouvernement !
Quelle réussite aussi pour l’Europe ! Car lorsqu’on travaille dans un espace politique et économique européen, on ne laisse pas au bord du chemin ceux qui ont du mal à suivre, bien au contraire. On s’efforce de les faire rentrer dans le peloton, afin que tout le monde puisse atteindre le col.
Quelle réussite pour la zone euro !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oh ! là ! là !
M. Didier Guillaume. Qu’aurions-nous dit à la suite de la sortie de la Grèce de la zone euro, que ce serait-il passé ?
Quelle réussite pour le couple franco-allemand ! N’en déplaise à certains, ce couple a bien fonctionné.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Attention à ce que vous allez dire, ce sera répété !
M. Didier Guillaume. À certains moments, plutôt que de faire preuve de cynisme ou d’ironie mal placée, il vaut mieux encourager le travail de la France et de l’Allemagne à contribuer, comme ils l’ont fait depuis des années, à la construction européenne.
La semaine derrière, notre groupe et d’autres affirmaient que la sortie de la Grèce de la zone euro serait un échec pour l’Europe. Nous appelions à ce que la Grèce reste en son sein ; c’est ainsi qu’un avenir meilleur se présentera à l’Europe ; la Grèce, en immense difficulté, pourra enfin se réformer et connaître une amélioration de sa situation, d’un point de vue historique, mais surtout d’un point de vue concret, pour ses habitants.
Le point d’équilibre trouvé lundi dernier par l’ensemble des chefs d’État doit tous nous rassembler, et nous conduire à approuver la déclaration qui nous est soumise aujourd’hui par le Gouvernement.
Il s’agit d’un acte fort pour l’Europe. Au moment où l’Europe est fragilisée, secouée, alors qu’elle a subi des soubresauts terribles à la suite de l’épisode grec, nous, parce que nous sommes optimistes, parce que nous faisons confiance aux chefs d’État et de gouvernement qui signent les traités, parce que nous faisons confiance aux dirigeants européens, nous pensons que cette signature peut être un nouveau départ pour la construction européenne. La signature de cet accord a changé le mouvement européen. Voilà une dizaine de jours, une grande majorité des États européens, sous l’impulsion de la droite européenne, était favorable à la sortie de la Grèce de la zone euro. Aujourd’hui la Grèce reste dans la zone euro ; des mesures ont été prises et d’autres seront prises, avec fermeté. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Il faut cesser, chers collègues, de stigmatiser le premier ministre grec, M. Tsipras. Il faut arrêter de se faire plaisir, de parler de chantage. J’ai entendu les mots « Pas de chèque en blanc ! » Or c’est faux ! (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) Jamais M. Tsipras n’a demandé de chèque en blanc ! (Marques de dénégation sur les travées du groupe Les Républicains.) Si c’est le cas, j’accepterai que soient inscrits au compte rendu les mots de M. Tsipras demandant un chèque en blanc. Je vous mets au défi de les retrouver ! C’est une interprétation fallacieuse des faits. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Le référendum de la semaine dernière a été organisé – nous l’avons dit et j’assume ces mots ici – pour redonner de la dignité au peuple grec. Évidemment, la question n’est pas de dire telle mesure sera prise, mais si nous voulons que la Grèce, demain, ait encore un avenir.
Je ne partage pas la vision politique qui a fait élire M. Tsipras. Toutefois, je partage avec lui la volonté de dire que, pour des raisons politiques, géostratégiques, géopolitiques et historiques, la Grèce doit faire partie de la zone euro et doit être dans l’Europe. Voilà notre histoire, voilà l’Europe sur laquelle nous voulons encore travailler ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.)
Le mépris envers M. Tsipras, envers les Grecs et la Grèce doit prendre fin. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous n’en sommes pas là aujourd’hui. Ce que nous devons bâtir, c’est un dispositif pour que la Grèce et l’Europe s’en sortent. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Oui, l’Europe est notre avenir. Cependant, nous le savons, cette Europe-là ne fonctionne pas très bien. Ce constat peut être fait sur toutes les travées, avec des propositions totalement différentes.
Le vote demandé aujourd’hui par le Gouvernement concerne l’approbation d’un accord validé par M. Tsipras – ne cherchons pas d’autres exégèses. Au moment précis où le parlement grec va voter cet accord, à la demande du premier ministre grec, nous autres, nous hésiterions à le signer ?
Voici l’enjeu de cet accord, de ce moment politique : nous sommes les premiers parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à valider cet accord. Des clauses de revoyure sont prévues. Nous verrons comment les choses avanceront. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.)
J’exposerai quelques motifs évidents en faveur de cet accord. Tout d’abord – je vous le dis très tranquillement –, il faut, dans un tel moment politique, refuser toute récupération politique. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais qui donc fait de la récupération politique ?
M. Roger Karoutchi. C’est audacieux…
M. Didier Guillaume. M. le ministre l’a dit, il ne s’agit pas de faire de récupération politique. Je le dis très sereinement, chers collègues, je refuse les dénigrements politiciens.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il s’agit d’argent public !
M. Didier Guillaume. L’Europe est en grande difficulté, elle a failli se noyer, et la Grèce a failli sortir de la zone euro. La France et le Président de la République jouent leur rôle. Aussi, le rôle de l’opposition est de soutenir la France, la patrie, et non d’afficher un cynisme amusé. Ce n’est pas ainsi que nous bâtirons en Europe la confiance en la France. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Si nous comprenons les débats et polémiques internes de la politique française, l’enjeu européen, au regard de ce qu’a connu ce continent pendant la guerre et la reconstruction, vaut bien plus que les dénigrements politiciens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Ladislas Poniatowski. Quel enthousiasme !
M. Didier Guillaume. Ce qui compte, ce n’est pas l’enthousiasme, c’est la vérité de nos convictions, monsieur Poniatowski !
Dans cet accord d’urgence sont demandées des réformes indispensables, et, en le signant, M. Tsipras s’est engagé à faire des réformes. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) C’est ce que nous demandions, nous aussi, la semaine dernière.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la méthode Coué !
M. Didier Guillaume. Non, ce n’est pas la méthode Coué ! M. Tsipras n’était pas obligé d’accepter cet accord et les mesures qu’il contient. Je vous invite à lire l’accord qui a été signé : vous verrez que les Grecs connaîtront des moments difficiles.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. M. Tsipras n’y croit pas lui-même.
M. Francis Delattre. Il dit que c’est un mauvais accord !
M. Didier Guillaume. Nous devons profiter de cet accord pour que s’ouvre un nouveau chapitre pour l’Europe. Voilà ce qui est important : il faut de nouvelles perspectives – le chef de l’État l’a encore dit hier –, il faut une gouvernance économique européenne forte, plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Le maintien de la Grèce dans la zone euro et dans l’Union européenne est une victoire pour tous les défenseurs de l’Europe.
Cette gouvernance économique européenne doit être mise en place. Pour ce faire, le couple franco-allemand doit continuer à jouer un rôle fort, un rôle qu’il joue depuis soixante-dix ans. Tantôt la France a eu besoin de l’Allemagne, tantôt l’Allemagne a eu besoin de la France. Mais jamais ce couple ne fonctionne aussi bien que quand ces deux membres fonctionnent ensemble, et non quand l’un écrase l’autre. Nous sommes là non pas pour nous mettre sous la coupe d’un diktat de la chancelière allemande, mais pour que ce couple franco-allemand travaille ensemble, comme il l’a fait ces derniers temps.
Je vous invite, mes chers collègues, à regarder la télévision et à lire les journaux allemands, pour vous rendre compte que l’idée que vous avez du point de vue allemand sur la France est erronée. Zappez ce soir sur les chaînes allemandes, et vous verrez ce qui est dit outre-Rhin de cet accord et du couple franco-allemand.
Cet accord conforte la France. Sa position, non dogmatique, a pu tenir bon. La volonté du chef de l’État, du Gouvernement et de la République française était la suivante : premièrement, tout faire pour que la Grèce reste dans l’euro et dans l’Europe ; deuxièmement, que la Grèce fasse des réformes structurelles indispensables – elle les avait engagées, mais elle ne les avait jamais bien faites ; troisièmement, que les discussions s’engagent sur le rééchelonnement de la dette et les relations futures entre les pays impliqués.
Soutenir cet accord, c’est soutenir l’Europe, c’est soutenir la Grèce, c’est soutenir la zone euro, et c’est aussi, d’une certaine manière, soutenir le couple franco-allemand et la République française.
Pour ces raisons, ce soir, alors que le parlement grec va voter pour cet accord, au moment où, je l’espère, beaucoup de parlements européens voteront en sa faveur, le parlement français se doit de dire oui à la question posée par le Gouvernement. Ainsi, la position de la France dans l’Europe sera confortée, l’avenir de l’Europe préparé, et demain les Grecs vivront un peu mieux qu’ils ne vivent aujourd’hui. Voter en faveur de cet accord, c’est aussi préparer la suite. Mes chers collègues, je vous engage tous à préparer la suite de l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le ministre de l’économie, mes chers collègues, une semaine après notre récent débat, nous voici de nouveau réunis pour discuter du sort de la Grèce.
Il s’agit aujourd’hui de nous prononcer sur un accord trouvé à l’arraché en début de semaine, à la suite d’une longue et pénible nuit de négociations à Bruxelles.
Le moment de débat que nous avons ici est particulièrement solennel, car plusieurs parlements nationaux de l’Union sont amenés à s’exprimer. Le hasard veut que nous procédions à ce vote, en France et au parlement grec, quasi simultanément.
Il ne s’agit plus ici de s’interroger sur les responsabilités respectives des uns et des autres. Le temps est à présent venu, en âme et conscience, d’acter ou de rejeter l’accord trouvé. Disons-le clairement, c’est sur des formes exacerbées de cynisme, d’égoïsme et d’humiliation que l’Eurogroupe a procédé à cette négociation, perdant ainsi de vue la solidarité et la cohésion qui auraient dû guider ses pas.
Pourtant, c’est bel et bien un précipice que l’Europe vient de frôler. Sans que sa conduite soit particulièrement louable, elle a cependant su – pour le moment – ne pas y tomber. Elle n’a pas sombré dans l’abîme, car même si le peuple grec est aujourd’hui soumis à de terribles contraintes, l’accord proposé évite un scénario bien pire : celui du Grexit, même provisoire, soutenu un temps par l’Allemagne.
Comme j’ai eu l’occasion de le souligner la semaine dernière, c’eût été une totale aberration politique et géopolitique – géostratégique, comme l’a souligné M. le ministre – mais surtout économique, à cause de son coût bien plus élevé que le maintien de la Grèce dans la zone euro.
Nous avons échappé au pire, mais au prix d’un accord extrêmement brutal – il faut le dire – pour la Grèce. Parmi les réformes demandées et obtenues par les créanciers de la Grèce, certaines me semblent dangereuses, et suscitent de très légitimes interrogations.
Tout d’abord, il est demandé au gouvernement Tsipras de consulter en permanence et au préalable la « troïka » sur tout nouveau projet de loi qu’il serait amené à proposer.
Cette mise sous tutelle systématique est inacceptable, et constitue – c’est un fédéraliste européen qui le dit – une véritable atteinte à sa souveraineté.
M. Dominique Watrin. Très bien !
M. André Gattolin. De plus, sont mis sous tutelle financière 50 milliards d’euros de ses biens, dont la gestion reviendra à un fonds basé en Grèce.
Sur ce point, je tiens à saluer l’action d’Alexis Tsipras qui a réussi, bien heureusement, à empêcher que ledit fonds ne soit basé à Luxembourg. (Mme Christine Prunaud applaudit et Mme Évelyne Didier s’exclame.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’eût été le comble !
M. André Gattolin. Cela reste, hélas, une bien maigre victoire, car ce fonds de privatisation n’est en réalité rien de plus qu’une version réactualisée de la société fiduciaire, la Treuhandanstalt, qui fut chargée de la privatisation d’entreprises en RDA, lors de la réunification allemande. C’est loin d’être une bonne nouvelle.
Personne d’autre que M. Schäuble, l’actuel ministre des finances allemand, ne sait mieux à quel point l’action de cette société fiduciaire fut dure et effroyable pour les Allemands de l’Est. À cette époque, il était en effet ministre de l’intérieur du gouvernement Kohl.
À la fin de sa période d’action, seuls 1,5 million d’Allemands de l’Est avaient réussi à trouver un travail, et les caisses de l’État se retrouvaient avec 120 milliards d’euros de dettes, alors que l’on s’attendait à obtenir 300 milliards d’euros de recettes !
Mme Évelyne Didier. Des experts !
M. André Gattolin. Comment alors être optimiste quant à cette mise sous tutelle financière ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
D’autres mesures risquent aussi de pousser la Grèce vers une asphyxie économique et sociale, comme la réforme des retraites et la hausse notable de la TVA.
Prévoir de telles mesures sans instaurer en parallèle – à l’instar de ce qui existe en France ou en Allemagne – un revenu minimum de solidarité me paraît socialement insoutenable.
L’accord très discutable accepté lundi comporte cependant quelques avancées pertinentes. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.) Je pense ainsi à l’indépendance de l’office grec des statistiques, à la mise en place de réformes en faveur d’un système fiscal enfin viable, à la volonté de mettre fin au clientélisme au sein de l’administration grecque, et à l’affectation de 12,5 milliards d’euros du fonds de privatisation en faveur de l’investissement.
On nous demande aujourd’hui, à nous, parlementaires français, de nous prononcer sur cet accord. C’est à un choix assez cornélien que nous sommes confrontés. Si nous nous trouvons aujourd’hui dans une telle situation, c’est d’abord parce que nous n’avons pas su doter l’Europe d’instances composant un fédéralisme européen. En commettant cette erreur, nous avons poussé l’Europe sur une trajectoire déviante ayant abouti à une forme de fédéralisme financier guidé par des instances financières qui ne sont pas plus politiques que démocratiques. Une Europe dans laquelle les figures de l’hérésie ont pour noms « cohésion » et « solidarité » n’est pas non plus l’Europe que nous souhaitons ériger.
Quant au vote à émettre sur cet accord, un non, qui, sur le fond, pourrait être justifiable, reviendrait à ignorer l’appel à l’aide du gouvernement grec, et, surtout, à renier tous les efforts qu’il a mis en œuvre (M. Roger Karoutchi s’exclame.) ; il équivaudrait à donner un accord tacite à la sortie de la Grèce de la zone euro. (Mais non ! sur les travées du groupe CRC.) C’est pourquoi une très large majorité du groupe écologiste estime que notre responsabilité historique est d’approuver cet accord imparfait…
M. Bruno Sido. Très bien !
M. André Gattolin. … – de l’approuver faute de mieux, afin de maintenir aujourd’hui la tête de la Grèce hors de l’eau et d’engager demain les actions nécessaires pour aider les Grecs à desserrer l’étau dans lequel ils sont pris. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Pierre Laurent. Nous abordons le vote crucial d’aujourd’hui, conscients que le week-end écoulé et le coup qu’il a porté à l’idée européenne marqueront durablement les esprits.
Trois sentiments animent notre groupe. Le premier est la volonté de défendre l’intérêt du peuple grec, qui a eu le courage de se dresser – le 25 janvier et lors du référendum – pour crier à la face de l’Europe sa souffrance et son exigence de voir se lever le pilon qui l’écrase.
M. Bruno Sido. Ah !
M. Pierre Laurent. Nous redisons ce soir : « Vive ce peuple grec digne et libre ! », et nous saluons Alexis Tsipras, dont le courage et la responsabilité politique sont exemplaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Bruno Sido. Ah oui ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Laurent. Notre deuxième sentiment, c’est la colère contre la violence de nombre des dirigeants de l’Union européenne, au premier rang desquels Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. Ils viennent de montrer quels intérêts ils défendent. Qu’un peuple se lève contre l’ordre libéral et l’oligarchie financière, et leur seule préoccupation est de le soumettre et de le punir. Depuis le premier jour, ils n’ont jamais recherché un accord viable avec la Grèce et ont organisé, dès le lendemain du 25 janvier, son asphyxie financière. Ils voulaient la tête d’Alexis Tsipras.
Le référendum a douché leur tentative de coup de force. Ils se sont alors acharnés jusqu’à la dernière minute à provoquer un « Grexit » de fait. Alexis Tsipras, porteur du mandat que lui avait confié son peuple de rester dans la zone euro et de faire respecter la souveraineté de la Grèce, dans l’Union européenne, s’y est refusé à juste raison. Dès lors, leur choix a été l’humiliation et le chantage pour imposer, le couteau sous la gorge, un nouveau plan drastique à la Grèce. Ces dirigeants et leur méthode sont la honte de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.) Des millions d’Européens ne l’oublieront pas.
Notre troisième sentiment est une très grande inquiétude quant à l’avenir de l’Europe. Elle saignera dans les cœurs et dans les têtes de millions d’Européens si elle continue ainsi. Tous ceux qui persistent à soutenir de telles méthodes prennent une très grave responsabilité devant l’histoire ! Des frustrations et humiliations engendrées par une telle arrogance et la seule loi du plus fort naîtront des monstres politiques, qui grandissent déjà au cœur de l’Europe ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Patrick Abate. C’est déjà arrivé !
M. Pierre Laurent. La première leçon à tirer des événements est l’impérieuse nécessité de la refondation sociale, politique et démocratique de l’Union européenne et son émancipation urgente des logiques financières qui l’étouffent.
L’accord qui nous est soumis écarte à première vue le Grexit, qui était, et qui reste, l’objectif des dirigeants allemands. Alexis Tsipras a dit hier, avec une grande loyauté à l’égard de son peuple, dans quelles conditions il a assumé un accord, contraint et forcé, pour éviter ce cauchemar.
Je sais que, devant la brutalité de l’accord, certains en viennent à penser que le Grexit ne serait plus qu’un moindre mal. Je ne le crois pas, et les Grecs ne le croient pas non plus. Une sortie de la zone euro ferait passer la Grèce de la crise humanitaire à l’hécatombe. Regardez comment, dans le dos de M. Schäuble, Marine Le Pen et les siens attendent le Grexit comme la victoire enfin remportée pour sonner le glas de la solidarité européenne !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Pierre Laurent. Cependant, l’accord n’a pas réellement écarté ce risque, car on a choisi d’imposer à la Grèce une mise sous tutelle insupportable et de nouvelles mesures d’austérité draconiennes. Joseph Stiglitz a déclaré que les efforts demandés à Athènes « dépassaient la sévérité », qu’ils « recelaient un esprit de vengeance ». Si les exigences des créanciers sont respectées jusqu’au bout, elles s’avéreront une nouvelle fois injustes socialement et contre-productives économiquement.
Alexis Tsipras a redit sa volonté de protéger les plus faibles et d’aller chercher les nouvelles recettes fiscales contre ceux qui s’enrichissent, il a redit la nécessité de réaliser des investissements productifs et d’alléger le fardeau de la dette, mais, en réalité, tout est fait, y compris dans le cadre de l’accord, pour l’en empêcher. Ainsi en va-t-il du programme démentiel de privatisations qui figure dans l’accord. Les rapaces sont déjà à l’œuvre. Vinci est paraît-il déjà sur place pour racheter les aéroports. (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Vautours !
M. Pierre Laurent. Plusieurs engagements financiers, mentionnés à la demande de la Grèce dans l’accord, sont envisagés : un programme de refinancement, un rééchelonnement partiel de la dette et un plan d’investissement. Sans ces engagements, il n’y aura pas de relance. Or, sous la pression de l’Allemagne, tous ces engagements sont rendus hypothétiques et seront soumis au chantage permanent des créanciers ! C’est le supplice de Tantale qui continue.
Quant à la France, si le Président de la République a joué tardivement un rôle positif pour éviter le Grexit, elle a accepté au cours de la dernière nuit que le prix exorbitant à payer soit fixé par Angela Merkel, qui a finalement dicté ses conditions. La France n’est donc pas quitte. Après cela, nous pouvons encore moins nous remettre à célébrer, comme si de rien n’était, le couple franco-allemand « indestructible ».
Il faut poursuivre le débat et la bataille. Certains voudraient refermer la parenthèse grecque. Notre intérêt commun est au contraire de pousser au changement dans toute l’Europe pour libérer le continent des forces libérales.
La France doit agir sans attendre pour obtenir le déblocage immédiat – il n’est toujours pas acquis – des liquidités de la Banque centrale européenne, sans que ce déblocage soit soumis à de nouvelles conditions. Elle doit également agir pour mobiliser le plus vite possible les 35 milliards d’euros d’investissements prévus, en engageant sans tarder la contribution de la France et en proposant à d’autres pays de se joindre à la création d’un fonds de développement pour la Grèce adossé à la Banque centrale européenne.
M. Jean Bizet. Il n’y a plus d’argent !
M. Roger Karoutchi. Avec quel argent ?
M. Pierre Laurent. La France doit enfin travailler à concrétiser le rééchelonnement de la dette.
Notre vote d’aujourd’hui est un acte de lutte et de solidarité aux côtés du peuple grec, d’Alexis Tsipras et de Syriza.
M. Bruno Sido. Qui va payer ?
M. Pierre Laurent. Nous sommes solidaires de leurs choix et nous assumons leur difficile et courageux combat. Nous sommes à leurs côtés pour dire non à l’expulsion de la Grèce, mais nous disons d’un même mouvement, au nom de la France et du rôle qu’elle doit jouer, que l’accord scandaleux imposé à Bruxelles n’est pas digne de l’Europe et qu’aucun maintien dans l’euro ne peut le légitimer. Voilà pourquoi le groupe CRC votera majoritairement contre cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Bruno Sido. Vous êtes courageux !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question soumise à la Haute Assemblée consiste à donner ou non quitus à la signature d’un accord dont on peut dire qu’il est une étape nécessaire, à défaut d’être historique, terme dont l’Histoire elle-même démontre qu’il convient d’user avec précaution.
Cet accord est une étape nécessaire pour éviter un saut dans l’inconnu, une sortie de la Grèce de l’euro, procédure inédite, non prévue institutionnellement et dont l’analyse des conséquences tant économiques que politiques ne saurait être réellement effectuée que postérieurement. D'ailleurs, ceux qui s’opposent à l’accord – leur opinion est respectable – ont des difficultés à exposer une solution concrète et réaliste permettant de résoudre le problème.
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Jacques Mézard. À défaut d’être historique, l’accord a une nouvelle fois démontré que le couple franco-allemand était le socle de la construction européenne et que tout ce qui contribuait à le fragiliser était dangereux pour l’Europe.
Le rôle du Président de la République dans l’obtention de l’accord a été important, et salué comme tel ; vous voyez que je le reconnais, monsieur Guillaume. Nous nous en réjouissons. On peut d'ailleurs considérer que, loin du conflit franco-allemand que certains ont décrit, c’est une complémentarité qui est à retenir : une profonde expérience de l’art de la synthèse entre des propositions diamétralement opposées a sans nul doute facilité l’issue de la négociation.
Passé le « ouf » de soulagement poussé par les bourses européennes, le réveil est néanmoins difficile, et la surmédiatisation de la crise, en grande partie propagée par le Premier ministre grec lui-même, n’a rien arrangé. Les premières réactions de ce dernier, dès son retour à Athènes, attestent que l’accord n’est qu’une étape et que la crise grecque n’est pas terminée. La maladie n’a pas tué le patient, le médicament ne l’a pas encore sauvé.
M. Tsipras demande à son parlement de voter un accord auquel il ne croit pas, autrement dit une signature sous la contrainte, mais il n’est pas François Ier face à Charles Quint. Des années ont été perdues, tant par la Grèce que par l’Europe. Les pays qui respectent leurs engagements n’accepteront pas demain de contribuer une nouvelle fois.
M. Bruno Sido. C’est sûr !
M. Jacques Mézard. Cela étant, on ne saurait rester sourd aux interpellations du Fonds monétaire international, le FMI, qui conditionne sa participation au nouveau plan à un allégement, voire un effacement partiel de la dette grecque. Il faudra y parvenir, comme l’a justement relevé M. le ministre des affaires étrangères. C’est inéluctable. Mes chers collègues, l’Allemagne ne pourra ni ne devra oublier que, après chaque guerre mondiale, elle a bénéficié de la sollicitude forcée ou amicale de ses créanciers. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Jacques Mézard. Comment éluder le fait que le FMI constate une détérioration spectaculaire de la solvabilité de la dette grecque, qui approchera les 200 % de son PIB dans les deux ans, alors que l’accord prévoit simplement des mesures additionnelles d’allégement de la dette si Athènes tient ses engagements ? Or le FMI devrait participer au nouveau plan de financement de secours à la Grèce, qui s’élève à plus de 80 milliards d’euros, et ne peut normalement prêter de l’argent à un pays qui lui en doit.
Tout concourt à mettre en évidence que la dette grecque va encore engendrer bien des soubresauts politiques et économiques,…
M. Bruno Sido. Oh oui !
M. Jacques Mézard. … ainsi que des drames humains, conséquences tant des promesses démagogiques des gouvernements que de l’impéritie des banques, qui ont facilité ces promesses dans un objectif spéculatif, en passant ensuite l’ardoise de leurs errements non sanctionnés aux États et aux citoyens européens.
Mes chers collègues, je tiens à souligner, au moment où nous allons émettre un vote majoritairement favorable à l’accord, qu’il faut au moins que cette crise ait une vertu, que des leçons en soient tirées : sur les institutions européennes, avec un Parlement à vingt-huit sans aucun poids dans un débat concernant les dix-neuf de la zone euro, sur la gouvernance économique, qui ne se gère pas en un jour mais en direction de laquelle des pas peuvent et doivent être faits, et enfin sur le système bancaire.
Il est plus facile de gagner un référendum contre l’austérité que d’appeler ses concitoyens à la rigueur,…
M. Bruno Sido. Oh oui !
M. Jacques Mézard. … mais cela n’est aucunement une spécialité grecque ; nous pouvons y réfléchir sérieusement et, je l’espère, sereinement. En tout cas, dans l’instant et dans l’attente, notre groupe, à l’exception de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat, votera en faveur de l’accord présenté à nos suffrages. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’issue d’une période au cours de laquelle chacun a pu douter, à un moment où à un autre, de l’avenir de la Grèce au sein de la zone euro, une solution semble enfin se dessiner. Le temps est maintenant venu pour les représentations nationales des États membres de la zone euro de se prononcer, à leur tour, sur le principe de ce troisième plan d’aide.
Bien qu’aucun texte constitutionnel, organique ou législatif ne l’impose, le parlement français est consulté. Aussi, je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir demandé un vote à l’issue de sa déclaration, sur un sujet d’une importance essentielle du fait de ses implications non seulement financières, mais surtout politiques.
En effet, si une posture seulement économique avait dominé le projet européen voilà maintenant plus de vingt ans, la zone euro ne serait pas. Cette dernière ne présentait alors pas, et ne présente d’ailleurs toujours pas, les caractéristiques économiques propres à une zone monétaire. Elle est « autre chose » qu’une construction économique.
La dimension politique a été négligée tant par les tenants d’une sortie de la Grèce de la zone euro que par les opposants au programme d’assistance soumis à la République hellénique par l’Eurogroupe. Elle a pourtant conduit à la déclaration de l’Eurogroupe du 12 juillet, qui marque le souhait unanime des membres de la zone euro de continuer de compter la Grèce parmi ses membres.
Cette dimension politique, et même géopolitique, voire géostratégique, sur laquelle vous avez insisté à juste titre, monsieur le ministre, s’illustre également dans les conditions entourant la préparation du lancement du troisième « soutien à la stabilité » octroyé par le Mécanisme européen de stabilité, le MES. Aucune des interventions précédentes du mécanisme, en faveur des banques espagnoles puis de Chypre, n’aura présenté une dimension politique aussi forte.
Le traité instituant le MES prévoit que celui-ci peut accorder un soutien « si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres » et « sur la base d’une stricte conditionnalité ».
Il prévoit aussi que des États n’appartenant pas à la zone euro peuvent également participer au plan d’aide, ce qui ne serait pas illégitime, compte tenu des enjeux pour l’ensemble de l’Union européenne.
La décision d’octroyer une aide est prise d’un commun accord par le Conseil des gouverneurs, constitué des ministres des finances, sauf lorsque la Commission européenne et la Banque centrale considèrent qu’il faut agir d’urgence, car il existe une menace sur « la soutenabilité économique et financière de la zone euro ».
Dans ce cas, la décision peut être prise à la majorité qualifiée, mais les États disposant de plus de 15 % des voix disposent d’un droit de veto.
L’article 33 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012 ne prévoit pas de vote du Parlement, mais une information des commissions des finances, lorsqu’une telle décision est prise. Cependant, nous voyons aujourd’hui que le Gouvernement peut décider de son propre chef d’aller au-delà de sa stricte obligation légale.
Dans le cas de la Grèce, la déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet fixe les conditions politiques du déclenchement de la procédure de soutien du MES.
Des mesures d’urgence sont demandées à la Grèce : elle doit modifier sa gouvernance budgétaire en instituant l’équivalent de notre Haut Conseil des finances publiques et en créant son mécanisme de correction automatique des dérapages par rapport à la trajectoire de solde structurel ; elle doit aussi transposer les règles de la directive dite BRRD en matière de résolution bancaire.
La sévérité des réformes économiques et fiscales a fait l’objet de nombreuses critiques. Il est vrai que ces réformes sont exigeantes, d’autant qu’elles devraient être accompagnées d’une trajectoire de finances publiques rigoureuse.
Mais n’est-ce pas légitime ? Les États de la zone euro s’apprêtent à concéder une assistance financière supplémentaire de plus de 80 milliards d’euros, venant s’ajouter aux 180 milliards d’euros d’aides qu’ils ont déjà consenties à la Grèce depuis 2010. Or une telle concession ne pouvait être acceptée sans que la Grèce montre sa détermination à redresser ses comptes publics et son économie, en particulier pour des pays qui se sont eux-mêmes imposé d’importants efforts d’ajustement, comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou les États baltes.
Par conséquent, les conditionnalités soumises à la Grèce constituent une exigence politique déterminant l’acceptation du programme d’assistance par les populations européennes et leurs dirigeants.
La France a pesé de tout son poids lors des négociations, de manière à préserver la place de la Grèce au sein de la zone euro. En cela, elle a fait son devoir. En effet, notre pays a pleinement contribué à préserver la stabilité de la zone euro et, par extension, la pérennité du projet européen.
Nos intérêts budgétaires et patrimoniaux sont protégés, puisque l’Eurogroupe a écarté une réduction du montant nominal de la dette grecque, même s’il envisage, de nouveau, d’allonger la période de grâce, ainsi que la maturité des prêts accordés à la Grèce. Surtout, l’essentiel du programme d’assistance financière serait porté par le MES, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à de nouveaux apports des États de la zone euro et sans accroître la dette des États participants.
Je veux terminer en insistant sur le fait qu’il faut tirer les leçons des deux premiers plans d’assistance. La Grèce ne sera pas livrée à elle-même pour mettre en œuvre la conditionnalité. L’accord du 12 juillet rappelle qu’elle va formuler une demande d’assistance technique. Ce point est essentiel, surtout pour la France, qui a fait le choix d’accompagner la Grèce plutôt que de la stigmatiser. Notre assistance doit être partenariale et non punitive.
Lorsque je constate que l’accord du 12 juillet prévoit que la Commission européenne dégage 35 milliards d’euros sur son budget et tend à augmenter le montant des préfinancements pour les investissements en Grèce, ou que le plan Juncker va être mobilisé, je veux croire que les Européens ont compris que l’objectif essentiel est la cohésion et la stabilité de la zone euro, qui doit être plus qu’une simple zone de changes fixes. Elle doit pleinement demeurer un projet politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je remercie le Gouvernement d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui sera suivi d’un vote. Il était essentiel que le Sénat puisse se prononcer. Il y a dans ce dossier un enjeu financier important.
Au-delà, c’est la conception même de l’Union européenne qui est en cause.
Cet accord était indispensable pour éviter à la Grèce un saut dans l’inconnu. Il permet de maintenir l’intégrité de la zone euro et signe l’échec du populisme et de la démagogie. Six mois ont malheureusement été perdus !
Nous devons nous réjouir qu’en dépit de l’épreuve qu’elle a traversée l’Europe ait su réagir. Les procédures européennes ont fonctionné. L’Union européenne étant une construction démocratique, nous disions depuis le début que le dossier grec ne pouvait se résoudre à une confrontation stérile entre la Grèce et ses créanciers.
Les premiers créanciers de la Grèce sont les contribuables européens, qui n’ont jamais failli dans leur solidarité à l’égard des Grecs. Notre pays est lui-même fortement engagé.
Deux programmes d’aide ont déjà été adoptés. Les besoins de financement d’un nouveau programme sont évalués entre 82 milliards et 86 milliards d’euros, mais ce ne peut être que sous la condition expresse que la Grèce mette enfin en œuvre les indispensables réformes structurelles trop longtemps différées. Nous l’avions dit ici même lors de notre débat du 8 juillet dernier : oui à la solidarité, mais pas de solidarité sans responsabilité !
Que nous montre la crise grecque ? Un État qui vit au-dessus de ses moyens, qui accumule les déficits et les dettes, est toujours rattrapé par les réalités.
M. Bruno Sido. Vous parlez de la France ?
M. Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes. Disons-le clairement : c’est bien la dette qui signe la vraie perte de souveraineté ! Respecter des règles de bonne gestion, c’est assurer la viabilité de nos États, de nos économies et de notre modèle social !
Gardons-nous, à ce stade, de tout enthousiasme excessif. Nous avons entendu hier le premier ministre grec dire que l’accord qu’il avait lui-même négocié et conclu était un mauvais accord ! Le parlement grec doit voter aujourd’hui sur une série de mesures demandées par le sommet de la zone euro, et d’autres parlements sont aussi appelés à se prononcer.
La déclaration du 12 juillet indique clairement que les engagements demandés correspondent « au minimum exigé pour entamer les négociations avec les autorités grecques ». Nous le voyons bien, nous sommes encore au début d’un processus, qui comporte plusieurs étapes à franchir avec succès pour qu’une dynamique enfin positive puisse réellement s’enclencher.
L’enjeu immédiat, c’est de « rétablir la confiance avec les autorités grecques ». Ce sont bien d’importantes réformes structurelles qui sont demandées. Un calendrier précis est fixé. L’administration grecque doit être modernisée et dépolitisée. La création d’un fonds indépendant d’un montant de 50 milliards d’euros doit être relevée. Il garantira le remboursement du nouveau prêt du Mécanisme européen de stabilité. Il servira aussi à diminuer le ratio d’endettement et soutiendra l’investissement.
Parallèlement, l’Union mobilisera jusqu’à 35 milliards d’euros pour financer l’investissement et l’activité économique. Dans le cadre d’un nouveau programme d’aide, des mesures pourront être envisagées pour assurer la soutenabilité de la dette grecque, comme l’Eurogroupe l’avait déjà évoqué en 2012.
Nous avons là l’opportunité d’inventer un nouveau modèle de solidarité responsable. Les États créanciers qui le souhaitent pourraient convertir une partie de la dette grecque en certificats d’investissement permettant de développer l’économie grecque.
Au total, nous saluons un accord qui permet d’éviter le pire et ouvre des perspectives concrètes. Cependant, le Sénat sera très vigilant. Messieurs les ministres, nous demandons au Gouvernement de veiller à la bonne information de notre assemblée concernant la mise en œuvre des mesures qui ont été annoncées.
Avec la commission des finances, la commission des affaires européennes restera mobilisée, dans la continuité du travail que notre collègue Simon Sutour a déjà effectué, et dont je salue la qualité.
M. Didier Guillaume. Bravo !
M. Jean-Paul Emorine, vice-président de la commission des affaires européennes. Au-delà, la crise grecque pose la question du fonctionnement de la zone euro. Une zone monétaire unifiée ne peut fonctionner sans le respect des règles communes. Il ne peut pas y avoir d’union monétaire sans union économique.
Nous avons besoin d’un véritable gouvernement économique. Nous voulons une capacité budgétaire pour la zone euro. Il faut un contrôle démocratique dans lequel les parlements nationaux doivent pouvoir jouer tout leur rôle. Le couple franco-allemand doit être à l’initiative.
C’est à lui que revient la responsabilité première pour franchir ce nouveau pas incontournable. La crise grecque aura alors au moins permis à l’Union européenne d’identifier ses faiblesses et de travailler à les résorber. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’interviens pour éviter de laisser sans réponse, ne serait-ce qu’au nom de la courtoisie, les interventions très fouillées qui ont été prononcées. Je serai bref puisque votre ordre du jour est chargé.
Mme la présidente de la commission des finances et M. le vice-président de la commission des affaires européennes ont été dans leur rôle, à la fois technique et politique, en démontant les mécanismes à l’œuvre.
J’ai noté, en particulier de la part de M. Emorine, des remarques très justes sur la solidarité et la responsabilité, qui sont vraiment au cœur de la question. Par ailleurs, l’analyse de Mme Michèle André sur les conditions de la cohésion m’a paru extrêmement juste.
Dans les deux cas, vous avez souhaité que le Sénat soit tenu informé du suivi : il le sera.
Monsieur Navarro, j’ai été surpris par votre thèse, qui, si j’ai bien compris, postule que le vote proposé, et ce, j’y insiste, par M. Tsipras lui-même, aboutirait à des conséquences extrêmement difficiles, voire insupportables.
J’ai bien sûr analysé le sujet, avec mes collègues du Gouvernement, et je pense que de tous les choix à faire, car il y a toujours des choix politiques à faire entre plusieurs options, c’est le Grexit – le nom est horrible ! – qui aurait eu le pire effet. J’y reviendrai, car il s’agit quand même du fond de l’argumentation.
M. Zocchetto a bien voulu dire « oui » à cet accord,…
M. Bruno Sido. Du bout des lèvres !
M. Laurent Fabius, ministre. ... mais, pour reprendre une métaphore juridique, j’ai préféré le dispositif aux motifs. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Le dispositif, c’est l’accord pour voter, mais je ne peux pas partager certains des motifs.
M. Zocchetto comme d’autres orateurs qui sont intervenus ont présenté les choses d’une façon qui n’est pas conforme avec la réalité quand ils disent que les Allemands voulaient un bon accord, tandis que la France voulait un accord à tout prix.
Non ! Par rapport à vous, j’ai la faiblesse, de par ma position institutionnelle, d’avoir participé à la négociation, donc je suis au courant de ce qui s’est passé.
Lors des discussions au sein de l’Eurogroupe – ce n’est pas la même chose que lorsque les chefs d’État ou de gouvernement sont intervenus –, le représentant de l’Allemagne était pour la sortie de la Grèce – beaucoup d’autres ministres étaient de cet avis –, alors que les institutions européennes invitaient au contraire à adopter le plan de sauvetage. Cette sortie était qualifiée de « provisoire ». Or, à mon avis, une sortie provisoire, ce n’est pas possible ; j’y reviendrai.
Voilà ce qui s’est passé lors de la réunion des ministres. Cela ne signifie pas que les ministres ont eu une position différente de celle des chefs d’État ou de gouvernement, même si cette situation peut arriver… de temps en temps. (Sourires.)
Le grand apport de la réunion, qui a duré toute la nuit – Bruxelles n’est pas le seul endroit où l’on se réunit toute la nuit, je peux en témoigner –, a été de changer les termes de l’équation : la Chancelière allemande et le Président de la République français se sont rejoints pour refuser ce qu’on appelle le « Grexit » et aboutir à une solution. Voilà comment les choses se sont passées !
Cela étant, je remercie M. Zocchetto d’apporter, au nom de son groupe, son soutien à cet accord.
M. Bizet est intervenu un peu dans le même sens. Beaucoup de ses observations sont particulièrement justes, mais dire bravo à l’Allemagne pour tout ce qu’elle a fait et mettre zéro à la France – je caricature – n’est pas conforme à la réalité. Comme l’écrit la presse internationale, que vous lisez certainement, monsieur le sénateur, il n’y aurait qu’en France qu’on critiquerait la position prise par la France… Cependant, je remercie beaucoup M. Bizet du soutien de son groupe.
M. Guillaume m’a félicité de l’accord avec l’Iran.
M. Francis Delattre. Quel encenseur !
M. Laurent Fabius, ministre. Il a surtout souligné que le point d’équilibre trouvé au sujet de la Grèce devrait rassembler le plus grand nombre. Il a également insisté, et à mon sens il a eu tout à fait raison de le faire, non seulement sur l’aspect économique, mais aussi sur la dimension géopolitique. Cet accord porte bien entendu sur les conditions économiques et financières, mais – nous avons déjà eu l’occasion de le dire la dernière fois – il ne s’agit pas uniquement d’une décision économico-financière, même si, je le répète, une sortie de la Grèce coûterait plus cher au contribuable que son maintien. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Francis Delattre. Pour l’instant !
M. Laurent Fabius, ministre. Attention, il n’a jamais été dit que le maintien de la Grèce dans la zone euro ne coûtera rien – il ne faut pas présenter la position de la France comme étant un chèque en blanc –, mais, mécaniquement, il est évident que, avec une dette importante contractée en euros, la sortie de la Grèce impliquerait la création d’une nouvelle monnaie, ce qui entraînerait une dévaluation massive. Le club de Paris n’aurait alors pas d’autres solutions que de rabattre une partie de la dette. Et par qui celle-ci serait-elle payée ? Par les contribuables français ! Il n’existe donc pas, d’un côté, une solution qui éviterait au contribuable français de payer et, de l’autre, une solution pénalisante.
Je note que M. Didier Guillaume a exprimé le soutien de son groupe à cet accord.
M. Gattolin a pesé les inconvénients et les avantages de cet accord, ce qui est le sens de toute décision politique. Si j’ai bien compris, son groupe apportera majoritairement son soutien à l’accord.
M. Pierre Laurent a dit, comme toujours, des choses très justes sur la frustration et l’humiliation subies par les Grecs. Je dois dire cependant – il me le permettra puisque nous avons des relations amicales – que j’ai ressenti une légère contradiction dans son propos. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’avais en tête une maxime de Kant – « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle » –, mais je ne me souvenais plus du numéro ; je me suis donc tourné vers mon collègue philosophe, M. Macron. (Rires.) Il m’a indiqué, après avoir cherché sur son Ipad (Nouveaux rires.), ce qui a mis fin à un suspens difficilement soutenable, qu’il s’agissait de la première maxime de l’impératif catégorique, que vous trouverez tous facilement chez votre libraire dans Critique de la raison pratique.
Cher ami Pierre Laurent, il est paradoxal d’appeler à la solidarité avec M. Tsipras tout en demandant au Sénat français de voter contre la recommandation qu’il adresse à son Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Oui, le plan proposé est dur, difficile pour la population grecque ! Vous avez eu raison de dire que les Grecs ne sont pas responsables individuellement, même s’il ne faut pas oublier que, collectivement, les réformes nécessaires n’ont pas été réalisées et qu’il y a eu toute une série d’excès. De ce fait, on comprend leur sentiment de révolte et d’humiliation. Seulement, aujourd’hui, nous sommes dans un moment politique. Le Premier ministre Tsipras s’exprimant d’une façon forte et qui doit énormément lui coûter a dit à son propre Parlement : malgré mes difficultés, je vous demande de voter pour l’accord. C’est donc faire preuve d’une solidarité un peu particulière que de dire : je comprends tes difficultés – puisque vous vous tutoyez –,…
M. Pierre Laurent. On se comprend très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. … mais, moi, je vais voter contre. Nous aurons sans doute l’occasion d’en rediscuter.
M. Mézard a rendu hommage au Président de la République, ce qui est fréquent chez lui… (Sourires.) Il a voulu, et il a eu raison de le faire, tirer les leçons de cette crise grecque du point de vue institutionnel et de la gouvernance économique. C’est bien la question qui est posée.
Pour terminer cette réponse rapide, je rapprocherai l’accord avec l’Iran et celui avec la Grèce, même s’ils sont très différents. Lorsque l’on est amené à se prononcer sur un accord – vous n’aurez pas à vous prononcer sur l’accord iranien, celui-ci étant politique, et non juridique –, il ne faut pas commettre l’erreur de juger dans l’absolu. En effet, dans l’absolu, les Grecs souhaiteraient que le sacrifice demandé soit moins dur et les Français aimeraient que cela leur coûte moins cher. Seulement, l’affaire ne se présente pas ainsi.
Vous avez deux solutions, au moins : soit voter l’accord, et il n’y aura pas de sortie de la Grèce, soit voter contre, et il y aura un Grexit. Or, je le répète, une sortie provisoire, cela n’existe pas. Pourquoi ? Parce que le fait d’admettre qu’un pays qui connaît des difficultés considérables puisse sortir de l’euro pour jouer sur la parité monétaire au lieu de faire des réformes structurelles, c’est tout à fait contraire à la logique de l’euro. L’euro est une monnaie unique. On peut jouer sur la parité par rapport au dollar ou au yen pour que l’euro ne soit pas trop cher, mais si l’on accepte de faire jouer la parité à l'intérieur du système monétaire européen, alors il n'y aura plus de réforme de fond et d’autres pays – je ne parle pas de la France – se diront pourquoi faire des « sacrifices » si je peux manipuler ma parité monétaire. Dans ces conditions, il n’y aura plus de fonctionnement possible de l’euro.
Les Grecs ont à faire un choix très compliqué ; nous aussi d’ailleurs : ou bien ils optent pour une solution qui permettra à leur pays, au prix de réformes difficiles, de s’en sortir et de rester dans l’euro et dans l’Europe – nous l’espérons tous – ou bien ils décident de sortir de la zone euro. Outre que les deux solutions seront coûteuses du point de vue humain pour la population grecque comme pour la nôtre, le Grexit, qu’on le veuille ou non, aura des conséquences géopolitiques, compte tenu de ce qui se passe notamment en matière migratoire dans ce pays géographiquement clé.
Il ne faut donc pas raisonner dans l’absolu, mais choisir entre deux solutions qui sont toutes les deux exigeantes. Je pense que celle retenue, dans des conditions très difficiles, par le Premier ministre Tsipras permet de préserver – je dis bien de « préserver » – le maximum de possibilités pour la Grèce et pour les autres pays d’Europe.
Enfin, plusieurs intervenants, dont M. Mézard, ayant parlé d’histoire, je voudrais terminer mon propos par une citation de Jean Jaurès (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) – c’est apparemment le meilleur moyen de rassembler tout le monde (Sourires.) – extraite de Discours à la jeunesse : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir ». C’est la leçon que nous devons tirer de ce débat. Cette belle phrase pourrait d’ailleurs être la devise de toute diplomatie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur cette déclaration.
Aucune explication de vote n’est admise.
Conformément à l’article 39, alinéa 3 bis, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 226 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 283 |
Pour l’adoption | 260 |
Contre | 23 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement sur l’accord européen relatif à la Grèce. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Coopération transfrontalière avec la Belgique
Adoption définitive en procédure accélérée et en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (projet n° 562, texte de la commission n° 603, rapport n° 602).
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Je vais donc le mettre aux voix.
accord france-belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 18 mars 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
12
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, j’ai été empêché de participer au vote sur l’ensemble du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019. Je demande qu’il soit noté que je souhaitais voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
13
Entraide judiciaire avec le Maroc
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc (projet n° 543, texte de la commission n° 583, rapport n° 582).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, signé le 6 février 2015.
Vous le savez, le Maroc est l’un des États avec lequel la France a le plus d’échanges en matière d’entraide pénale, notamment dans la lutte contre le trafic international de stupéfiants et contre le terrorisme. Le Maroc a souhaité suspendre cette relation pendant un an, pour des raisons que vous connaissez tous, avec des conséquences préjudiciables.
Le dialogue étroit et constant que nous avons maintenu avec les autorités marocaines a fort heureusement abouti, le 31 janvier dernier, à un accord entre nos deux ministres de la justice. Sous l’impulsion du Président de la République et du roi Mohammed VI, le partenariat d’exception qui nous unit au Maroc a retrouvé sa pleine vigueur.
J’en profite pour saluer le rôle précieux joué par la diplomatie parlementaire dans cette dynamique…
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … et le travail exemplaire accompli par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que par le groupe interparlementaire d’amitié présidé par M. Christian Cambon, dont je salue l’action. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Un calendrier dense de contacts politiques a permis, durant les six derniers mois, de renouveler et d’approfondir notre coopération dans tous les domaines.
Les visites en France des ministres marocains de la justice et des libertés, de la communication, des finances, de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, ainsi que de l’environnement, se sont succédé.
De leur côté, les ministres français des affaires étrangères, de l’intérieur et des finances se sont rendus au Maroc. La rencontre de haut niveau, présidée par le Premier ministre Manuel Valls et le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane, a réuni à la fin du mois de mai, à Paris, vingt-deux ministres français et marocains. Cette rencontre, au cours de laquelle une vingtaine d’accords a été signée, a illustré la densité du partenariat franco-marocain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec l’approbation du texte qui vous est soumis aujourd’hui, il s’agit de confirmer et de renforcer les liens de confiance et d’amitié qui unissent la France et le Maroc. C’est particulièrement indispensable dans le contexte sécuritaire que nous connaissons actuellement.
Je connais les interrogations soulevées à l’occasion de l’examen de cet accord par la commission des affaires étrangères. Je rappellerai, pour y répondre, les clarifications apportées par le ministre des affaires étrangères et du développement international lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 11 juin dernier, puis par la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, lors du débat en séance publique à l’Assemblée nationale.
Le principal objectif de ce texte est de mettre en place un nouveau mécanisme d’information immédiate et de recueil d’informations. Il sera ainsi possible d’assurer une meilleure administration de la justice, ainsi qu’une conduite efficace et diligente des procédures, au regard notamment du principe de territorialité des poursuites. Ce texte vise donc à favoriser et à fluidifier les échanges entre les autorités françaises et marocaines, élément essentiel pour un travail efficace de la justice.
Ce texte est évidemment conforme aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de l’autorité judiciaire, consacrés par la Constitution. Il ne prévoit aucun mécanisme de dessaisissement du juge français au profit du juge marocain ou du juge marocain au profit du juge français. Le juge initialement saisi recueille, par le biais des autorités centrales, des observations et des informations auprès du juge de l’autre pays et, au vu des éléments éventuellement transmis, détermine les suites à donner à la procédure.
Si le texte prévoit que la clôture ou le renvoi doivent être prioritairement envisagés, c’est en raison des éléments d’extranéité de la procédure, pour une meilleure administration de la justice.
Sauf si le juge français décide de clore la procédure, celui-ci reste saisi du dossier, puisque le renvoi éventuel est effectué par une dénonciation officielle des faits, qui ne dessaisit pas le juge. Néanmoins, l’autorité judiciaire conserve en toutes hypothèses la possibilité de poursuivre la procédure, notamment pour garantir l'efficacité des investigations à mener ou pour éviter toute impunité. Contrairement à ce qui a pu être allégué, la poursuite de la procédure n’est donc pas limitée par l’absence de réponse ou l’inertie de l’autre partie.
Ce texte est également conforme à nos engagements internationaux, notamment aux règles applicables en matière de compétence quasi universelle. Il ne crée pas de mécanisme de dessaisissement ou de subsidiarité. Le juge initialement saisi demeure toujours libre de décider des suites qu’il entend donner à la procédure. L’article 23 bis de l’accord rappelle d’ailleurs que le dispositif de coopération et d’échanges s’inscrit dans le cadre des engagements respectifs de la France et du Maroc, pour contribuer à la bonne mise en œuvre des conventions internationales qui les lient.
Le nouvel article ne porte aucune atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc. Bien au contraire, l’objectif de ce nouveau dispositif est de permettre une meilleure administration de la justice et la conduite efficace et diligente des procédures. En effet, la pratique démontre que les procédures menées en France pour des faits commis à l’étranger sont souvent longues et complexes, dans la mesure où les éléments de preuve se trouvent majoritairement hors du territoire national et nécessitent des demandes d’entraide. Le nouveau mécanisme introduit par l’article 23 bis, qui facilite l’échange d’informations entre les parties, contribuera à l’efficacité de la conduite des procédures, tout en préservant les critères de compétence des autorités judiciaires initialement saisies.
Enfin, et je sais que c’est un sujet d’interrogation, le texte s’applique aux ressortissants binationaux, comme l’a clairement indiqué Laurent Fabius. Si une procédure est engagée en France par un ressortissant marocain, franco-marocain ou d’une nationalité autre que française et marocaine contre un ressortissant marocain ou franco-marocain pour des faits commis au Maroc, l’accord prévoit que l’autorité judiciaire française recueille dès que possible auprès de l’autorité judiciaire marocaine ses observations ou informations.
Le juge marocain pourra prendre les mesures qu’il juge appropriées, y compris l’ouverture d’une procédure.
Le juge français, au vu des observations ou informations éventuellement reçues de son homologue marocain, déterminera, pour sa part, les suites qu’il donne à cette procédure : il peut s’agir d’un renvoi au juge marocain sous la forme d’une dénonciation officielle des faits, de la clôture ou de la poursuite de la procédure.
La réciproque vaut bien sûr pour les cas de procédures engagées au Maroc pour des faits commis en France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Maroc est un pays ami de la France, un partenaire stratégique avec lequel nous entretenons une relation d’amitié profonde et historique. Il est notre allié dans la lutte contre le terrorisme. Face aux enjeux régionaux de sécurité, de stabilité et de développement en Méditerranée et au-delà, la France et le Maroc ont plus que jamais besoin l’un de l’autre.
Garantir une circulation plus rapide et plus efficace de l’information en matière pénale, assurer une meilleure administration de la justice, renforcer la coopération judiciaire avec notre premier partenaire en Afrique : voilà autant de raisons d’approuver ce texte, dans le respect le plus total de notre Constitution et de nos engagements internationaux.
Par son vote décisif d’aujourd’hui, le Sénat va nous permettre de tourner définitivement la page d’une brouille regrettable, mais surmontable et surmontée, pour replacer les relations entre la France et le Maroc au bon niveau, celui de l’amitié indéfectible entre nos deux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous remercier des paroles bienveillantes que vous avez tenues à l’endroit de la commission des affaires étrangères et à mon égard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, adopté par l’Assemblée nationale le mardi 23 juin.
Comme vous le savez, la signature de ce protocole est intervenue dans un contexte difficile, la coopération judiciaire entre la France et le Maroc ayant été totalement gelée entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015, à la suite d’une série d’incidents malheureux sur lesquels il est inutile de revenir. La signature de ce protocole a permis la reprise de relations normales et celui-ci revêt donc une importance particulière, puisque, s’il est voté ce soir, le dispositif d’entraide judiciaire sera achevé et tous les nuages auront été dissipés.
J’aborderai très rapidement le cadre et les modalités de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc.
La première convention relative à la coopération judiciaire entre la France et le Maroc remonte au 5 octobre 1957. Les dispositions de cette convention ont été modernisées par la signature, le 18 avril 2008, d’une convention d’entraide judiciaire. C’est cette convention que le protocole qui nous est aujourd’hui présenté vient compléter.
La coopération judiciaire entre nos deux pays était très active avant sa suspension unilatérale par le Maroc. Depuis 1998, la France avait adressé au Maroc 952 demandes d’entraide, contre 77 demandes adressées par le Maroc à la France. Le délai moyen constaté pour l’exécution des demandes françaises au Maroc était d’environ six mois, ce qui prouve que le dispositif était particulièrement performant.
Enfin, la création, en 2002, d’un binôme de magistrats de liaison a permis d’obtenir, dans la plupart des cas, que l’entraide soit accordée aux autorités judiciaires françaises, y compris dans des situations d’urgence.
Dans ce contexte, quelles ont été les conséquences de la suspension de la coopération à partir de février 2014 ?
Cette suspension a empêché pendant environ un an l’exécution de l’ensemble des actes judiciaires nécessitant un dialogue avec le Maroc. Ainsi, entre février 2014 et janvier 2015, la Chancellerie n’a plus reçu aucune demande d’entraide, d’extradition ou de transfèrement du Maroc. De même, le total des demandes françaises en attente a atteint le nombre de 150 avant la reprise effective de la relation. La coopération en matière de justice civile a aussi été très affectée.
Les conséquences ont également été très graves en matière de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée. En effet, la coopération entre nos deux pays est d’abord essentielle en ce qui concerne la répression des filières djihadistes qui œuvrent sur notre territoire et sur le territoire marocain.
Par ailleurs, nos forces engagées au Sahel ne pouvaient plus bénéficier des informations recueillies par les services de renseignement marocains, particulièrement performants, et transmises à nos propres services. Ainsi, alors même que la menace terroriste grandissait au Sahel, en Syrie et en Irak, et que le phénomène des combattants étrangers touchait chaque jour davantage aussi bien la France que le Maroc, le gel des échanges d’informations a porté un grave préjudice à nos deux pays.
Par chance, cette crise est dépassée depuis janvier dernier. La coopération judiciaire a repris dès le lendemain de la signature, en février 2015, du protocole additionnel que nous examinons aujourd’hui. Les magistrats de liaison ont également été réinstallés.
Les rencontres à haut niveau ont repris rapidement après la signature du protocole : dès le 9 février 2015, le Président de la République, et le roi du Maroc se sont entretenus à Paris et d’autres rencontres officielles ont eu lieu depuis lors.
Les relations franco-marocaines vont en outre revêtir une nouvelle dimension au cours des mois et des années à venir grâce à la montée en puissance de certains dossiers, comme le dialogue 5+5 ou encore les négociations sur le climat, avec la tenue de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, dite aussi COP 21, à Paris en décembre 2015, le Maroc étant chargé, quant à lui, de l’organisation de la COP 22 qui aura lieu à Marrakech en 2016.
Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il faut souligner que la « diplomatie parlementaire » n’a jamais cessé d’être active tout au long de la suspension de la coopération judiciaire.
Venons-en à présent au protocole additionnel.
S’il faut bien reconnaître que la rédaction de ce protocole peut paraître imparfaite sur plusieurs points, son sens général est toutefois très clair : il vise à développer les échanges d’informations en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans le cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. En effet, les procédures sont souvent longues et complexes quand les éléments de preuve se trouvent sur un autre territoire que celui où la plainte a été déposée.
Comme vous le savez, plusieurs associations – l’ACAT, Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, et la Ligue des droits de l’homme, la LDH – ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, ont émis un certain nombre de protestations contre ce protocole, en estimant que les imprécisions rédactionnelles qu’il contenait constituaient autant de zones d’ombre qui pourraient favoriser le non-respect de certains de nos principes fondamentaux. J’ai personnellement reçu l’ensemble de ces organisations pour écouter et prendre connaissance de manière approfondie de leur argumentation, certes intéressante, mais qui me semble inexacte sur deux points essentiels que je souhaite évoquer.
Revenons au texte du protocole.
Tout d’abord, le titre du nouvel article 23 bis qu’il introduit, « Application des conventions internationales », permet de souligner que les parties ont souhaité inscrire strictement le dispositif d’information et d’échanges créé par le protocole, à la fois, dans le cadre des obligations internationales incombant à chacune des parties au titre des conventions internationales qu’elles ont chacune signées et dans le cadre des conventions internationales signées par les deux parties. Ni la France ni le Maroc n’ont aucunement entendu modifier la portée de ces engagements internationaux.
Concrètement, le dispositif créé à l’article 23 bis s’applique, par exemple, au titre de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 – convention signée aussi bien par la France que par le Maroc –, et dans le strict respect de cette convention.
Ensuite, le deuxième paragraphe de l’article 23 bis prévoit une obligation d’information immédiate entre les parties dans le cas où les faits ont été commis sur le territoire de l’autre partie par un de ses ressortissants. La CNCDH ainsi que le collectif d’associations que j’ai auditionnés ont regretté que cette obligation d’information ne soit pas davantage encadrée, craignant un risque de disparition des preuves ou de pression sur les témoins dans certaines affaires sensibles. Toutefois, si ce risque ne peut jamais être totalement écarté, je souhaite insister sur le fait que l’information dont il est ici question ne concerne que l’existence des procédures, et non le contenu ou le détail de celles-ci. Cette précision est d’une importance fondamentale.
Le troisième paragraphe constitue le cœur du protocole additionnel. Il concerne notamment le cas dans lequel une procédure est engagée auprès d’un juge français par un Marocain ou une personne d’une autre nationalité que française ou marocaine, pour des faits commis au Maroc par un Marocain. Dans ce cas, l’autorité judiciaire française devra recueillir dès que possible auprès de l’autorité judiciaire de l’autre partie ses observations ou informations. Une fois informée, l’autorité marocaine « prend toutes les mesures qu’elle juge appropriées y compris le cas échéant l’ouverture d’une procédure ». Puis l’autorité judiciaire française, au vu des informations reçues, « détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ».
La CNCDH et le collectif d’associations ont fait valoir que ce qui est visé ici, s’agissant de faits commis à l’étranger par un étranger et sur une victime étrangère, pour lesquels une procédure serait ouverte en France, est ce qu’on appelle la « compétence universelle ou quasi universelle ». Selon les associations, en prévoyant le renvoi ou la clôture de l’affaire, le protocole remettrait en cause cette compétence universelle que la France s’efforce pourtant par ailleurs de promouvoir, pour lutter contre l’impunité. En outre, inciter au « renvoi » de l’affaire équivaudrait, selon elles, à renoncer à l’application effective de la justice en raison d’un risque d’inertie de la justice marocaine dans certaines affaires sensibles.
À la suite de l’ensemble des auditions que j’ai menées, je ne partage cependant pas cette appréciation. En effet, le protocole ne va en réalité nullement à l’encontre de la compétence universelle. Il organise certes une forme de priorité de l’exercice de la compétence territoriale du juge du pays où se sont produits les faits, pour des raisons évidentes de disponibilité des preuves, mais il ne crée en aucun cas une procédure de subsidiarité obligatoire devant nécessairement aboutir au dessaisissement du juge français et à une renonciation à la mise en œuvre de la compétence universelle. En d’autres termes, le juge français conserve l’intégralité de ses droits d’investigation tout au long de la procédure.
Premier élément : ce sera bien le juge – en l’occurrence le juge français – qui décidera en dernier ressort s’il va clôturer l’affaire ou la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie. Je souhaite tout particulièrement insister sur ce point dans la mesure où la plupart des critiques faites à l’encontre du protocole ne vaudraient, en réalité, que si le magistrat devait automatiquement renvoyer ou clôturer l’affaire, ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs, il est également précisé que, « en l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre partie, » – donc de la partie supposée marocaine – « l’autorité judiciaire saisie poursuit la procédure ». Le juge français conserve donc bien la totalité de ses droits. C’est du reste ce que le Conseil d’État a repris et souligné dans son avis favorable.
Second élément important : même si le juge choisit le « renvoi », celui-ci ne constitue pas un dessaisissement. Il consiste en réalité en l’application de la procédure de « dénonciation aux fins de poursuite » définie par l’article 23 de la convention de 2008. Cette procédure, tout à fait courante dans l’entraide judiciaire franco-marocaine, permet au juge français de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, tout en ne renonçant pas à sa compétence.
Dans cette procédure, il y a en effet des garanties. Ainsi, la Chancellerie réexamine tous les quatre à six mois les procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle. Nous tenons ces informations de la Chancellerie elle-même, notamment du directeur des affaires criminelles et des grâces.
En outre, les autorités de l’État requis doivent informer régulièrement les autorités requérantes des suites réservées à leur demande. L’autorité judiciaire française peut ainsi apprécier les suites qu’elle donnera, dans la mesure où elle reste toujours saisie de la procédure.
Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime dispose des recours juridictionnels habituels liés à la procédure engagée en France.
Mes chers collègues, le vote que vous allez émettre aujourd’hui est très important, car il va définitivement mettre un terme à une séquence négative et très préjudiciable à nos deux pays.
Le Maroc est l’un de nos plus sûrs alliés au Maghreb et dans une Afrique martyrisée par le terrorisme. La sécurité même de nos soldats engagés dans l’opération Barkhane repose sur la coopération sans faille du Maroc dans la lutte contre le djihadisme.
Une longue histoire commune, des relations économiques et culturelles exemplaires sont déjà des motifs précieux pour tirer un trait sur cet épisode. Mais plus encore, vous le savez, le Maroc poursuit une expérience de modernisation que nous nous devons d’encourager, alors que tant de pays de la région se sont abîmés dans des « printemps » qui n’ont guère fait progresser la démocratie.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur. Certes, tout n’est pas parfait... Pourtant, comme nous l’avons fait pour la Grèce, nous devons être aux côtés du Maroc, non pour le condamner, mais pour l’accompagner sur le chemin menant vers davantage de justice, de démocratie et de sécurité dans cette région du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, finalement, on ne mesure la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues. Ainsi ne s’est-on jamais autant rendu compte de l’importance de la coopération avec le Maroc que lorsque celle-ci s’est arrêtée.
On l’a compris à l’écoute des interventions de M. le secrétaire d’État et de M. le rapporteur, la présente convention vient clore une brouille diplomatique assez sérieuse entre la France et le Maroc, laquelle a beaucoup pénalisé les relations entre nos deux pays et, au-delà, la sécurité globale de ce pourtour de la Méditerranée si touché par le terrorisme.
La Tunisie connaît une transition démocratique difficile, la Libye est plongée dans le chaos et, dans le Sahel et plus au sud encore, le terrorisme prolifère. Lorsque nous avons coprésidé, avec André Reichardt, la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, nous avons pu constater combien nous étions concernés par les problèmes du pourtour de la Méditerranée, notamment ceux liés au terrorisme.
Trois organisations terroristes majeures sévissent au sud de l’Europe : l’État islamique en Libye, AQMI dans le Maghreb et Boko Haram au Nigeria. Que faire sans le soutien des services marocains ? Cette situation, nous l’avons connue pendant plus d’un an.
Les attentats de Paris nous ont rappelé la nécessité de ces coopérations. Il est indéniable que nous avons besoin du Maroc pour parvenir à assurer la sécurité de nos concitoyens. Nous ne pouvons donc que regretter et déplorer les incidents, sur lesquels personne n’a envie de revenir, qui ont altéré nos relations dans le passé, des relations dont nous tournons une nouvelle page avec cette convention.
La France et le Maroc entretiennent des relations étroites depuis plusieurs décennies, et notre pays semble être le principal bénéficiaire du régime existant d’entraide judiciaire. En effet, depuis 1998, plus de 990 demandes d’entraides ont été adressées au Maroc par la France. Du côté marocain, sur la même période, nous en avons enregistré seulement 77.
Au-delà du péril terroriste, qui est une réalité, il existe entre la France et le Maroc des flux criminels alimentés par des trafics en tous genres, notamment celui de produits stupéfiants. Il est fondamental de lutter contre ces flux qui sévissent du côté français, et il est tout aussi fondamental pour le Maroc de lutter contre ces trafics. L’échange d’informations à tous les niveaux est une nécessité absolue, comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises.
Je souscris aux félicitations adressées par M. le rapporteur, également président du groupe d’amitié France-Maroc. Nous avons bien compris à l’écoute de son exposé toute l’affection qu’il porte à ce pays, une affection constructive puisqu’elle a permis de maintenir des relations entre nos deux nations. C’est le moment de rappeler le rôle de la diplomatie parlementaire, si importante pour maintenir un lien lorsque plus rien ne fonctionne. Elle continue en effet à exister dans des conditions diplomatiquement difficiles et il convient de lui en rendre hommage.
Au demeurant, l’échange d’informations est encore le meilleur moyen de parvenir à une collaboration effective. Certes, ce texte est sûrement perfectible, mais il a le mérite d’exister. Il illustre également la bonne santé de nos relations bilatérales.
Parfois, nous hésitons entre nos valeurs et nos intérêts. De ce point de vue, ce texte assure un parfait équilibre et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, les inquiétudes des associations des droits de l’homme n’ont pas lieu d’être : nos principes étant respectés, tout comme nos valeurs, nos intérêts le sont tout autant. Cette convention semble donc excellente. C’est pourquoi le groupe UDI-UC la votera.
Je conclurai en insistant sur le caractère exemplaire du délai de ratification de cette convention. Très modestement, je souhaite encourager vos services, monsieur le secrétaire d’État, à profiter de l’été, que j’espère paisible, pour se pencher sur les conventions qui se trouvent encore dans vos tiroirs et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une ratification. Il s’agit de leur éviter le classement vertical auquel la saison se prête. (Sourires.)
Je pense notamment à une convention d’entraide sur le terrorisme avec la Turquie en matière de sécurité, signée voilà fort longtemps, sur laquelle un rapporteur a été désigné à l'Assemblée nationale en 2012 – j’ai moi-même été nommée rapporteur la même année au Sénat. Ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour des travaux du Parlement. Pourtant, en ce moment, les questions de sécurité avec la Turquie sont au moins aussi essentielles que celles avec le Maroc. Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée pour vous rappeler que cette convention est actuellement en panne sèche à l'Assemblée nationale. Je compte beaucoup sur votre diligence pour la réactiver avant la rentrée parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis vise à ajouter un article 23 bis à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale qui lie la France et le Maroc. La première version de cette convention date de 1957 et couvre la coopération aussi bien civile que pénale. Renouvelée en 2008, la convention comporte non seulement des éléments assez traditionnels, mais également des dispositifs spécifiques sur lesquels je reviendrai.
L’article 23 bis vient apporter une réponse diplomatique, politique et juridique, mettant un terme à une année entière de fortes crispations entre la France et le Maroc. M. le rapporteur ayant rappelé les faits à l’origine de cette situation, je me contenterai de souligner que, au Maroc, la stupeur fut d’autant plus aiguë que Rabat, partenaire stratégique dans la région, apportait un soutien sans faille à notre intervention militaire au Mali. Ces faits ont été vécus par les autorités marocaines comme un outrage. Je veux souligner que l’indignation marocaine, à mon sens parfaitement légitime, a néanmoins été mesurée et maîtrisée. Elle a pris la forme d’une suspension unilatérale et immédiate de toute forme de coopération judiciaire, en matière tant pénale que civile.
À titre d’exemple, pendant une année entière, des Français détenus au Maroc n’ont pu être extradés, provoquant le désarroi des familles. La coopération civile a également été enrayée. C’est d’autant plus problématique que la communauté française au Maroc comme la communauté marocaine en France sont importantes. Enfin, le Maroc n’a plus fourni d’informations à nos services de renseignement. Je ne précise pas davantage le préjudice que cela a pu représenter dans le contexte actuel. Le rétablissement de cette coopération est donc stratégique pour la France.
S’il fallait retenir un aspect positif de cette mésaventure, c’est que nous avons pu mesurer très concrètement tous les enjeux de la coopération franco-marocaine, en réaliser la richesse, l’importance stratégique, la dimension humaine. L’année de brouille a été paradoxalement l’occasion de très nombreux échanges. Je pense notamment à la tenue du premier forum parlementaire franco-marocain. La coopération culturelle en a été galvanisée avec l’organisation de deux événements majeurs, l’un à l’Institut du monde arabe, l’autre au musée du Louvre. Je tiens aussi à signaler le rôle tenu par la diplomatie parlementaire durant ces longs mois et saluer l’action d’Élisabeth Guigou et de Luc Chatel à l’Assemblée nationale et celle du président du groupe d’amitié du Sénat, Christian Cambon, rapporteur de ce texte, qui n’a pas ménagé ses efforts.
La crise s’est enfin dénouée à la fin du mois de janvier 2015, les deux ministres de la justice s’accordant sur le protocole additionnel soumis aujourd’hui à notre ratification. À l’occasion de l’examen de ce texte, je souhaite adresser deux messages.
Le premier s’adresse au Maroc. Sans faire repentance, nous regrettons ces maladresses qui ont été à l’origine de cette brouille. Notre mobilisation aujourd'hui est une preuve réelle d’amitié.
Le second message s’adresse à toutes les organisations de défense des droits de l’homme qui ont bien voulu attirer notre attention sur les éventuelles imperfections du texte.
Nous ne méconnaissons pas l’extraordinaire énergie qu’il faut déployer pour attirer l’attention de l’opinion sur un texte aussi aride que ce protocole. Les grandes associations de défense des droits de l’homme ont une histoire riche en belles batailles. Il ne faudrait pas que cette histoire, qui est dans l’ADN même et dans la mémoire de ces associations, altère l’acuité de leur regard sur les avancées considérables opérées par le Maroc depuis plus d’une décennie.
J’observe parfois des réactions, qui dépassent le strict cadre juridique, qui se nourrissent davantage des blessures du passé que des avancées du présent et qui, surtout, ne tiennent pas compte des promesses de l’avenir. Au rang de ces avancées considérables se trouvent les comités de réconciliation, qui ont permis aux Marocains de tourner la page des années de plomb. Citons aussi le nouveau code de la famille, la Moudawana, beaucoup plus favorable aux femmes. Ces réformes ont été engagées bien avant ce qu’on appelle les « printemps arabes ». Je n’oublie pas non plus la réforme constitutionnelle de 2011, tournant politique et démocratique considérable dans l’histoire de la monarchie marocaine, qui inscrit notamment l’objectif de parité dans la Loi fondamentale.
Très récemment, certains faits divers ayant trait aux mœurs ont fait réagir la société civile marocaine. Cette société civile est aujourd’hui vigilante et mobilisée. Comme partout, des marges de progression existent, mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître les évolutions positives en matière de protection des droits. Il nous faut réellement mesurer et saluer la rapidité des avancées dans une région qui doit faire face à de nombreux défis. Il y a un Maroc nouveau. Ce protocole doit être lu non avec les lunettes d’un passé révolu, mais à l’aune de toutes les promesses marocaines.
L’article 23 bis a un cadre bien défini. Le paragraphe 2 crée une obligation d’information dans le cas d’une plainte concernant des faits commis dans le territoire de l’une des parties par un ressortissant de l’autre partie. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, je relève une fragilité dans la rédaction du paragraphe 4, lequel vise ceux qui ont la nationalité de l’une et de l’autre partie. Vous venez d’en préciser les modalités d’application. Il faut donc rappeler, comme l’a fait M. le rapporteur en commission, que cet accord ne s’inscrit que dans le cadre des conventions internationales. Cela permettra d’en rassurer plus d’un.
Mes chers collègues, nous soutenons cet accord pour de nombreuses raisons.
Ce texte ne contient pas de procédure de subsidiarité. Il est conforme aux engagements internationaux de la France. Il est fidèle au principe de la compétence universelle, auquel nous sommes tous attachés. Il facilite l’information du juge initialement saisi. Il est respectueux des principes d’indépendance et de pleine souveraineté du juge français. Le juge français n’est pas dessaisi au profit du juge marocain, contrairement à ce qui a été dit. Il peut désormais recueillir des observations auprès du juge de l’autre partie. Le droit à un recours effectif des victimes est assuré. Le juge pourra s’appuyer sur des éléments d’information supplémentaires, souvent difficiles à obtenir pour des faits commis à l’étranger.
Vous l’aurez compris, je vous invite à voter cette convention et à ouvrir ainsi une nouvelle ère, faite de respect mutuel, entre la France et le Maroc. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc que nous sommes amenés à ratifier ce soir a pour vocation de réconcilier nos deux pays après une année de brouille diplomatique. Notre collègue Christian Cambon a rappelé le contexte particulier et l’origine de cette crise. Le fait qui l’a provoquée n’est en effet pas anodin.
Au mois de février 2014, une juge d’instruction française a souhaité auditionner le principal responsable des services de renseignement marocains, de passage en France, qui était sous le coup de plusieurs plaintes pour torture. Elle a ainsi fait directement remettre cette convocation à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Cet acte de justice, sans doute maladroit, mais qui est une preuve de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs en France, a provoqué une très vive réaction au Maroc.
La suspension de la coopération judiciaire a entraîné un gel de toutes les procédures : le transfèrement de prisonniers, les affaires familiales ainsi que les échanges d’informations entre nos services de renseignement. Les dirigeants marocains ont en outre exigé une remise à plat des règles régissant notre entraide judiciaire.
Cette affaire est en quelque sorte exemplaire de ce que peut être la confrontation entre le respect des grands principes qui régissent notre régime républicain, son système judiciaire et la réalité concrète des relations que nous entretenons avec d’autres pays.
Cet arrêt complet de la coopération judiciaire a avant tout porté un préjudice très grave à nos deux populations, qui ont été les premières à en souffrir, mais nos relations ont aussi été gravement affectées avec un pays qui est l’un de nos alliés dans cette région et avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels très étroits.
Dès lors, comment sortir de ce blocage ? C’est là que se pose la question de l’équilibre à trouver entre le respect des principes de notre droit national et de nos engagements internationaux. À cet égard, le groupe CRC a été très attentif aux critiques émises par un ensemble d’associations – Amnesty International, l’ACAT, la Ligue des droits de l’homme – et la Commission nationale consultative des droits de l’homme à la suite des ambiguïtés qu’elles ont relevées dans le texte.
Est ainsi dénoncée l’obligation d’information réciproque entre nos services judiciaires qu’instaure le protocole additionnel. Cette disposition semble contradictoire avec notre principe du secret de l’enquête et de l’instruction.
Est également critiqué le fait que « l’autorité judiciaire saisie détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ». C’est précisément sur ce point que les réticences du groupe CRC sur ce texte sont les plus fortes.
Nous pensons que, sur le fond, cet accord favoriserait de facto l’impunité des responsables marocains suspectés de graves violations des droits humains. D’une certaine façon, on abandonne ainsi les intérêts des victimes à la raison d’État d’un pays ami.
Aussi, compte tenu des risques liés à la rédaction de ce protocole d’accord et du fait que les progrès du régime marocain en matière de respect des droits de l’homme et des droits de la défense demeurent insuffisants, le groupe CRC ne peut approuver le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale.
Approuver ce protocole reviendrait à envoyer un bien triste message : cela signifierait que la France renonce à poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves.
Enfin, voter contre ce projet de loi, c’est soutenir nos amis marocains qui se battent pour le respect des droits humains, des droits sociaux et politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Maroc fait partie de ces pays avec lesquels nous entretenons une relation particulière et fidèle, parce que l’histoire nous a un temps rassemblés. Tous les orateurs l’ont rappelé, nous entretenons des liens d’amitié très denses avec ce pays, et le choix du roi Mohammed VI d’effectuer en France sa première visite d’État à l’étranger en mars 2000 témoigne d’un attachement réciproque entre nos deux pays.
Depuis les années quatre-vingt-dix, le dialogue politique entre la France et le Maroc est constant et du même niveau que celui qui existe avec nos partenaires européens. Le regrettable incident qui s’est produit en 2014 ne pouvait pas remettre en cause les relations bilatérales entre nos deux pays, lesquelles ont d’ailleurs repris dans les meilleures conditions depuis le début de l’année.
Au-delà des initiatives diplomatiques, cette entente est naturellement fondée sur des échanges concrets, dans les domaines tant économiques que culturels. Sans détailler l’ensemble de nos intérêts communs, je rappelle que la France est le premier partenaire commercial du Maroc. Quant à nos échanges culturels, ils reposent en partie sur un réseau très actif d’enseignement du français au Maroc.
C’est dans ce contexte que la France et le Maroc ont décidé d’approfondir leur coopération judiciaire en signant un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire du 18 avril 2008. Ce protocole, signé le 6 février 2015, marque la reprise de notre coopération judiciaire, laquelle constitue un volet fondamental de nos relations bilatérales au regard de la question terroriste, même si, bien sûr, le protocole concerne la criminalité dans un sens plus large. Malheureusement, le Maroc, comme la France, fait face à la menace terroriste. Plusieurs attentats sanglants ont en effet frappé ce pays, en 2003 à Casablanca, puis en 2011 au cœur de Marrakech, sur la célèbre place Djemaa El-Fna.
Les récents et dramatiques événements survenus en Tunisie invitent plus que jamais à des contacts rapprochés et à une coopération exemplaire avec tous les pays du Maghreb afin de tenter d’endiguer le fléau du terrorisme.
En outre, le phénomène de radicalisation s’intensifie des deux côtés de la Méditerranée. Ainsi, 1 500 personnes auraient quitté la France pour rejoindre des groupes terroristes en Syrie et en Irak, tandis qu’elles seraient environ 2 000 à avoir fait la même démarche depuis le Maroc.
Parce que la communauté française au Maroc compte près de 48 000 personnes établies de façon permanente et la communauté marocaine en France pas moins d’un million et demi de personnes, l’entraide judiciaire est une nécessité évidente. Elle est d’ailleurs très ancienne puisque la première convention d’entraide judiciaire date de 1957. Son volet pénal, vous le savez, a été modernisé dans la convention du 18 avril 2008.
Le protocole additionnel, comme cela a été dit, prévoit de favoriser les échanges d’information en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans les cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. Comme l’a indiqué M. le rapporteur, ce texte n’est pas parfait, mais il a le mérite de répondre à l’évolution dynamique des demandes d’entraide judiciaire, celles de la France étant bien plus nombreuses.
Il n’a échappé à personne que des associations se sont émues de plusieurs imprécisions rédactionnelles de ce protocole susceptibles d’entraîner des abus. Ces associations s’inquiètent notamment de l’obligation d’information immédiate entre les parties, de la remise en cause de la compétence universelle, ou quasi universelle, ou encore du fait que la convention s’applique « aux individus possédant la nationalité de l’une ou l’autre partie ». Vous l’avez démontré minutieusement, monsieur le rapporteur, certains engagements internationaux signés par les deux parties peuvent constituer des verrous dans la mesure où le dispositif d’information et d’échange s’inscrit dans le cadre de ces conventions internationales.
Quant à la crainte du dessaisissement, elle n’est pas fondée dans la mesure où le juge initialement saisi d’une affaire a la possibilité de poursuivre son enquête.
Enfin, vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, que le texte s’appliquait bien aux binationaux, ce qui devrait aussi rassurer les associations.
Au-delà du contenu technique du texte, il faut aborder de façon plus globale cette coopération judiciaire. Il nous faut notamment l’appréhender sous l’angle des réformes que le Maroc a récemment entreprises pour rénover son cadre institutionnel et le rendre plus démocratique et plus transparent. Je pense à la nouvelle Constitution de 2011, laquelle prévoit que le Royaume s’engage à « protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ».
Si le Maroc peut certes encore accomplir des progrès, force est de constater qu’il a depuis longtemps atteint une maturité politique au sein du monde arabe qui en fait un partenaire incontournable dans le contexte de multiplication des crises et des menaces pesant au sud de la Méditerranée. Nous devons donc poursuivre avec ce pays un dialogue ouvert et fondé sur la confiance.
Notre groupe votera en très grande majorité cette convention, en espérant, en cette période estivale, que le soleil continuera à briller sur nos relations comme dans le ciel bleu du Maroc ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc s’inscrit dans un contexte particulier, ainsi que notre rapporteur Christian Cambon l’a bien expliqué.
Pour ma part, je rappellerai quelques éléments importants qui doivent nous inciter à regarder sereinement l’avenir.
Nos deux pays entretiennent une relation d’amitié privilégiée, qui se traduit par une coopération très active dans les domaines économique, culturel et sécuritaire. L’importance historique des communautés française au Maroc et marocaine en France renforce ces liens précieux.
Une série d’incidents diplomatiques a abouti à la suspension de notre coopération en matière pénale et judiciaire, comme cela a été rappelé. Cette situation était dommageable et paradoxale à un moment où la géopolitique expose nos deux pays aux mêmes défis, chacun cherchant à atteindre, à son niveau, un objectif commun. Chacun sait que la paix est une priorité, dans une région qui paie chèrement sa transition démocratique. Dans ce contexte, nos deux pays œuvrent pour le rétablissement de l’équilibre politique régional.
Au moment où les soldats français se battent dans la bande sahélo-saharienne, la diplomatie marocaine redouble d’efforts pour réunir les parlements libyens rivaux et tenter de former un gouvernement d’union nationale.
Le Maroc, comme la France, a fait la dramatique expérience du terrorisme. À Paris ou à Rabat, on fait le même constat : des jeunes s’engagent dans le djihad, en Syrie et en Irak. De part et d’autre, les responsables politiques sont confrontés au retour des djihadistes sur leur territoire.
En mars dernier, le roi du Maroc a inauguré le premier institut de formation des imams. C’est un signal important pour la communauté musulmane, qui pâtit de l’imposture – je n’hésite pas à le dire – de faux prédicateurs, mais c’est aussi un signe très fort en faveur de la laïcité adressé aux terroristes qui détournent l’islam. Former des imams, c’est rappeler que les religions ne peuvent pas se soustraire aux lois des États.
Nos deux pays ont une stratégie globale consistant à contrôler, à surveiller les réseaux terroristes, à réprimer les auteurs des attentats et à lutter contre l’embrigadement des personnes, notamment par le biais d’internet.
En 2013, a été créé le « G4 ». Il réunit les ministres de l’intérieur français, espagnol, marocain et portugais sur les questions de sécurité, l’objectif étant de renforcer la coopération technique et opérationnelle entre les services de renseignement.
De fait, alors que nos deux pays sont fortement engagés dans la lutte contre le terrorisme, nos relations diplomatiques ne pouvaient rester en l’état. Les services de renseignement et les services judiciaires doivent et veulent de nouveau travailler ensemble et échanger de façon permanente et sereine. Ce protocole est un premier pas vers une coopération judiciaire et pénale renforcée et modernisée. Le premier objectif est de parvenir à un traitement plus efficace et plus rapide des affaires pénales mettant en cause des ressortissants, grâce à un meilleur échange d’informations entre les deux justices.
Les ONG et d’autres défenseurs de droits ont émis des réserves sur les modifications prévues par ce protocole. Ils étaient sans doute dans leur rôle. Leur audition par le rapporteur, M. Cambon, a permis de lever les points d’inquiétudes.
Le protocole prévoit l’insertion dans la convention de 2008 d’un nouvel article qui ne remet pas en cause la compétence universelle. S’il fait primer l’exercice de la compétence territoriale sur la compétence universelle, il ne crée pas une procédure de subsidiarité obligatoire. Il n’y aura donc pas de dessaisissement automatique du juge français ni de renonciation à la compétence universelle. En dernier ressort, le magistrat saisi décidera souverainement soit de clôturer l’affaire, soit de la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie, soit de continuer les poursuites. Mais rien n’obligera le juge à se dessaisir.
De la même façon, le mécanisme de « renvoi » évoqué dans le protocole ne constitue pas un transfert de compétence dès lors que l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuivre.
Par ailleurs, le réexamen régulier par le ministère de la justice des procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle est un gage d’assurance.
Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime continuera de disposer des recours juridictionnels habituels, liés à la procédure engagée en France.
Certes, le protocole permet au juge français, dans un souci d’efficacité, de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, mais pensez-vous que nos magistrats renonceront à leur compétence ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Avant de conclure, mes chers collègues, permettez-moi de partager avec vous mon sentiment. Le Royaume du Maroc et la France ont des relations que nous devons protéger, sans que cela nous exempte de faire preuve d’esprit critique, à condition, toutefois, de nous montrer constructifs. La diplomatie, comme l’amitié, doit reposer sur la confiance. Nous devons être solidaires de ce qu’a accompli le Maroc, notamment de ses progrès en matière de défense des droits de l’homme. Le processus issu de la révision constitutionnelle de 2011, dont nous avons parlé, est un acte symbolique et une promesse qui acte les printemps arabes. Alors plutôt que de camper dans l’impatience, sachons, par notre présence vigilante, plus que par des exigences péremptoires, encourager les évolutions positives.
La majorité de notre groupe votera ce texte, car il permettra à deux pays non seulement de renforcer une amitié privilégiée, mais aussi de renouer avec la sincérité et la confiance.
Je tiens enfin à saluer ici les efforts et le travail de longue haleine de Christian Cambon et du président du Sénat. Si les sénateurs ne sont pas des ambassadeurs, leur connaissance des dossiers et leur finesse d’approche peuvent être précieuses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en avril dernier, une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est rendue au Maroc sous la conduite de sa présidente, Catherine Morin-Desailly. Nous avons pu constater sur place que l’amitié entre la France et le Maroc est une réalité, dont l’origine est enracinée dans l’histoire.
L’amitié entre nos deux peuples repose surtout sur des relations bilatérales dans les domaines économique, éducatif et culturel. La France accueille actuellement 35 000 étudiants marocains, lesquels constituent le premier contingent d’étudiants étrangers. Au Maroc, l’Institut français compte douze sites et abrite trois espaces Campus France. Plus de 31 000 élèves marocains fréquentent les écoles françaises implantées au Maroc. Les échanges sont également très riches en matière culturelle, la saison culturelle France-Maroc 2015 ayant compté plus de 300 événements.
Il y a plus important encore : face aux enjeux de sécurité, la France a besoin du Maroc. Celui-ci est notre partenaire incontournable au Sahel. Il est aux côtés de la France dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, qui se développent chez nous.
On rappellera utilement que le Maroc réserve cinquante places à des imams français dans son institut de formation Mohammed VI, car il partage avec nous la volonté de développer une religion privilégiant la tolérance.
En conséquence, nous ne pouvons que déplorer l’incident du 20 février 2014, qui a conduit le roi du Maroc à suspendre la coopération judiciaire entre nos deux pays. Je rappelle qu’un juge d’instruction français a envoyé six policiers à la porte de l’ambassade du Maroc pour porter une convocation dudit juge adressée à M. Abdellatif Hammouchi, patron du contre-espionnage marocain. Celui-ci était spécialement venu à Paris pour participer avec les services français à une réunion consacrée à la lutte contre le terrorisme. L’indépendance de la justice française a ainsi été prouvée. Son manque de discernement aussi !
Cet incident a entraîné la suspension par le roi de la convention franco-marocaine de coopération judiciaire de 2008, qui remplaçait celle de 1957 – ce qui montre bien l’ancienneté de cette coopération. On précisera utilement que l’entraide judiciaire entre la France et le Maroc est très forte et que les demandes françaises sont près de dix fois plus nombreuses que les demandes marocaines. Il est donc heureux que nos deux pays aient négocié le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale, dont nous débattons aujourd’hui.
Des esprits sourcilleux ont immédiatement lancé l’alerte en interprétant tel ou tel mot de la convention dans un sens alarmiste. Personnellement, je pense que l’argumentaire développé par les détracteurs de cette convention révèle une certaine condescendance à l’égard de l’État marocain. On ne veut pas voir l’évolution de la justice et du droit marocains. On rappellera que le Maroc a signé la convention internationale contre la torture. Il s’est également doté d’une commission de défense des droits de l’homme, qui a présenté ses premières recommandations en 2014.
L’excellent rapport de notre collègue Christian Cambon démontre juridiquement que le protocole respecte bien le principe de compétence universelle, l’indépendance du juge et le secret de l’instruction. Ce protocole ne bouleverse donc en rien ce qui existe déjà. Il n’implique d’ailleurs aucune adaptation des dispositions législatives et réglementaires nationales. Cette convention respecte aussi un pays ami qu’il faut enfin traiter sur un pied d’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser ma diction, mais j’ai une rage de dents.
Notre relation avec le Royaume du Maroc est, certes, une relation d’État à État, mais aussi une intense relation humaine, une connaissance intime, une sympathie inextinguible. Les décennies passées ont tissé entre nos deux peuples des liens si étroits que l’on peut, à bien des égards, parler de fraternité franco-marocaine.
Le Maroc est pour nous un allié, un ami précieux au Sahel, en Méditerranée, mais aussi en Europe. Ne dit-on pas que « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe » ? Aujourd’hui, si le Maroc a besoin de respirer, l’Europe et la France doivent pouvoir compter sur cet enracinement africain.
Le fait est que, entre février 2014 et janvier 2015, ces relations bilatérales ont connu une crise à la suite du grave incident diplomatique survenu à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Le 25 février 2014, en effet, le ministre de la justice marocain a suspendu l’application de toutes les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et civile entre nos deux pays. Le magistrat de liaison marocain en poste à Paris a été rappelé en attendant « de convenir de solutions adéquates ».
À la fin du mois de janvier 2015, notre garde des sceaux, Christiane Taubira, et son alter ego marocain, Mustapha Ramid, ont signé un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire franco-marocaine, que nous examinons actuellement.
C’est peu dire que le Maroc, ulcéré, a mal vécu ce malheureux épisode, comme en témoigne la suspension de la coopération dès le lendemain : une conséquence somme toute assez logique. Cette suspension a gravement entravé notre travail commun. Ainsi, quelque 230 dossiers, dont 119 commissions rogatoires internationales, restent aujourd’hui en suspens, des décisions n’ont pas été transmises et des demandes d’extradition ou de transfèrement de prisonniers français condamnés au Maroc n’ont pas été communiquées.
Plus délicates encore, à nos yeux, sont les conséquences en matière sécuritaire, alors que la lutte contre le terrorisme bat son plein et que notre coopération avec le Maroc revêt une dimension stratégique.
Le Maroc, comme la France, connaît l’expérience cruelle des attentats qui ont endeuillé de nombreuses familles. Celui de la place Jemaa El-Fna en 2011 et ses dix-sept victimes et, précédemment, celui de mai 2003 à Casablanca et ses quarante et une victimes font tragiquement écho aux atrocités commises par Mohamed Merah, aux attentats de Paris en janvier dernier et à celui, plus récent, du 26 juin, qui s’est déroulé à Saint-Quentin-Fallavier.
Le Maroc, comme la France, voit des jeunes partir vers les mirages ensanglantés du djihad, en Syrie et en Irak, après des parcours de radicalisation similaires. Ils partent s’enchaîner dans des cohortes obscurantistes et fanatiques, détruisant le message de paix du Coran.
Chacun comprend que, pour réduire les filières transnationales qui alimentent des réseaux terroristes structurés en rhizome, la coopération internationale est un impératif incontournable. Qui plus est, la présence de 48 800 Français établis de façon permanente au Maroc et celle de 1,5 million de ressortissants marocains sur le territoire national français rend cruciaux les échanges entre nos services de renseignement et nos services judiciaires. Qui peut réellement le contester ?
Quant au protocole proprement dit, je livrerai quelques remarques.
Cela a déjà été dit, il faut faire litière des trois reproches adressés au protocole.
Il porterait atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc ? S’il établit des procédures d’échange et de recueil d’observations, ce protocole ne prévoit aucunement le dessaisissement du juge français au profit du juge marocain, ou inversement. C’est au juge saisi, et à lui seul, qu’il revient de décider des suites à donner à la procédure dont il a été saisi.
Cet accord donnerait la priorité à la justice marocaine sur la justice française ? Le mécanisme matérialisé par l’accord est avant tout un dispositif de recueil d’observations et, en aucun cas, ce n’est un mécanisme de transfert de la compétence des juridictions.
Ce protocole additionnel instituerait un régime dérogatoire contraire aux obligations pesant sur la France de traduire en justice des auteurs présumés de crimes internationaux ? Le texte ne contient aucune clause de compétence. Dès lors qu’il n’y a aucune obligation à se dessaisir, il n’y a aucune atteinte aux dispositions du code pénal français, qui prévoient la compétence du juge français pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement dont seraient victimes les ressortissants français.
Enfin, la convention de 2008 comporte déjà des dispositions permettant les échanges d’informations et la coopération entre les juges, notamment, aux articles 23, pour les informations relatives à la dénonciation à des fins de poursuites, et 24, s’agissant des échanges spontanés d’informations. L’article 23 bis vient finalement apporter des précisions sur une partie de ces procédures.
En conclusion, je dirai que ce protocole renforce l’efficacité d’une coopération judiciaire ancienne : le premier accord du genre avait été signé un an à peine après l’indépendance du Maroc, le 5 octobre 1957. Il s’agit donc d’une coopération judiciaire éprouvée, et ce n’en déplaise aux spécialistes du byzantinisme textuel, dans le respect de nos législations, de nos institutions judiciaires et de nos engagements internationaux.
L’article 23 bis ne modifie en rien l’esprit ou l’équilibre de la convention d’entraide. Il vient mettre un point final à une irruption intempestive, une maladresse, un malentendu qui sont les nôtres et qui n’auraient jamais dû survenir. Cela se produit – monsieur le rapporteur, vous le savez bien – dans toutes les familles. La page est tournée. Allons de l’avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je vous préviens tout de suite : je vais sortir de tout ce que je viens d’entendre, et si Jeanny Lorgeoux a une rage de dents, moi, j’ai la rage tout court !
Nous connaissons les raisons de ce protocole additionnel qui nous est proposé, « imposé » allais-je dire. J’en citerai deux.
La première, c’est pour mettre fin à la brouille avec le Maroc survenue à la suite de l’enquête judiciaire engagée en France mettant en cause M. Abdelatif Hammouchi, chef du contre-espionnage marocain. Était-ce une maladresse ? Je ne le pense pas. Quand les Marocains arrêtent des Français pour des motifs futiles, nous ne parlons pas de maladresse.
La deuxième raison, c’est pour renouer avec une source potentielle d’informations sur le terrorisme.
Pour ma part, je voterai sans hésitation contre cet accord de quelques lignes, qui est loin d’être aussi anodin que vous cherchez à nous le faire croire, monsieur le secrétaire d’État. J’ai prévenu votre hiérarchie de mon intervention et du contenu de mon propos. Contrairement à vos affirmations, le protocole qui nous est soumis porte bien atteinte au droit de recours des victimes de crimes et délits commis au Maroc. Je ne reprendrai pas les critiques, elles ont été bien décrites par Mme Prunaud du groupe CRC. Les ONG, le syndicat de la magistrature, la CNCDH ne peuvent pas tous se tromper...
Pour essayer de vous convaincre de ne pas continuer à forcer la main du Parlement, je vais vous décrire les tortures pratiquées dans les prisons marocaines. Vous ne saurez me contredire, car vous ne pouvez les ignorer. Nos services diplomatiques et de renseignement sont assez performants pour vous renseigner. Vous savez également qui supervise ces tortures.
J’ai rencontré nombre de Français brisés dans les geôles marocaines et abandonnés par la France, aussi bien au Maroc qu’en France. J’ai signalé, il y a plus d’un an, au ministre des affaires étrangères une incarcération dramatique. Il m’a été répondu par le conseiller parlementaire de l’époque qu’il « gérait ». C’était un pur mensonge. J’ai pu faire sortir la personne concernée après vingt et un mois passés dans les geôles marocaines. J’ai pu, à cette occasion, recevoir son témoignage sur les tortures et violences subies.
J’ai connaissance de plus de cent cas de Français emprisonnés et maltraités. Bien sûr, je ne citerai pas de noms ici pour ne pas mettre de vies en danger, mais, si vous vous intéressez au sujet, je pourrai vous en dire plus dans la confidentialité. Voilà plus d’un mois, j’ai demandé un rendez-vous à Mme Girardin, et je n’ai toujours pas la réponse. Je vous précise que cette demande a été faite par écrit.
Je vais vous décrire les tortures de base qui m’ont été détaillées par des personnes qui ont eu à les subir. Je parle de citoyens français. Il ne s’agit pas de « mésaventures » !
La première phase dure deux jours. Le prisonnier est placé en cellule individuelle, face au mur, les yeux et la bouche bandés pour ne pas voir et ne pas être entendu. Menotté dans le dos et pieds enchaînés, il est privé de ses vêtements et de toute nourriture. Dans cette situation, il est soumis quatre fois par jour à la torture : violences sexuelles, pénétration avec bâton et autres objets ; plantes des pieds fracturées ; suspension au plafond par les bras pendant vingt-quatre heures. Durant cette mise au secret, aucune question n’est posée.
La deuxième phase dure huit jours. C’est la phase de l’interrogatoire. Elle ne commence qu’après que le prisonnier a été humilié au maximum et brisé. L’objectif est d’obtenir des aveux forcés, voire des avantages financiers – car tout s’achète ! Le prisonnier est toujours yeux bandés et nu. Il subit le supplice de la noyade – pas besoin de dessin sur la technique ; l’électrocution sur des parties choisies – nul besoin de dessin non plus. Il est mis à genoux plusieurs heures sur une barre de fer. En général, on casse un pouce au passage, en menaçant de casser le second.
Ces deux phases se déroulent à la prison tristement connue de Témara, au siège de la DGST, la Direction générale de la surveillance du territoire.
La dernière phase, quant à elle, peut durer des mois, voire des années. Elle se déroule dans la prison de Salé 2 où l’on vous enferme à plus de cinquante dans une cellule de 50 mètres carrés – bien sûr, sans aucune hygiène ni aucun confort.
Vos services savent fort bien qui est le superviseur de ce système. C’est le directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire, que j’ai cité au début de mon propos. Il y a un an, il était à l’origine de la brouille maroco-française. Il est vrai que c’était un crime de lèse-majesté…
Les tortures que je viens de décrire sont recensées par le comité des Nations unies contre la torture. Allons-nous aujourd’hui encourager ces méthodes barbares ?
J’ai écouté l’intervention de Mme Girardin à l’Assemblée nationale. Quel lyrisme pour cacher la réalité de ces drames honteux et la soumission de la France ! Le protocole que vous défendez va permettre au Maroc de continuer à pratiquer des actes odieux, à torturer et à spolier des Français trop naïfs, victimes de la corruption locale.
Le système judiciaire marocain ne permet pas de traitement équitable pour les victimes alléguant avoir subi des tortures. Contrairement à ce que vous soutenez, le présent texte n’apportera aucun plus à nos ressortissants. Vous tentez de nous faire croire, à l’article 3 du protocole additionnel, que ce texte contribue à la bonne mise en œuvre des conventions internationales. À ma connaissance, ces conventions bannissent la torture.
Non content de ce blanc-seing que vous offrez aux grands amis de la France, comme chacun aime à les décrire, vous y ajoutez une prime inadmissible.
En visite à Rabat le 14 février 2015, le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, aurait annoncé que le patron du contre-espionnage marocain allait être prochainement élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur à la suite d’une décision du grand maître de l’Ordre. Cette promotion, qui devait avoir lieu hier, le 14 juillet, serait reportée à un prochain voyage du Président de la République. J’espère que ce « légionnaire » et ses faits d’armes interpellent tous ceux qui, dans cet hémicycle, portent cette haute distinction.
J’espère aussi que, avant de voter, certains d’entre vous, mes chers collègues, vont se poser de vraies questions : faut-il couvrir par notre silence ces atrocités ? Faut-il sacrifier des Français à l’opacité de la justice marocaine et aux prisons marocaines ? Pour ma part, je ne le ferai pas. Si certains d’entre vous me suivaient, ce serait rendre un grand service à nos amis marocains.
J’ajoute que nos services diplomatiques ne réagissent pas comme ils devraient aux retraits de passeports, qui sont nombreux au Maroc, de même que pour défendre nos ressortissants maltraités en prison. Leur mission première est pourtant de protéger les biens et les personnes. Interrogez tous ceux qui ont été privés de leurs papiers : les réponses que leur apportent nos services sont édifiantes.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Éric Doligé. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de me préciser si vous réfutez les tortures que je vous ai décrites et si vous jugez normal qu’une personne poursuivie – par maladresse, si j’ai bien compris – pour torture en France puisse être promue dans l’ordre de la Légion d’honneur.
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste partage bien évidemment le but affiché de ce protocole : reprendre et approfondir les relations en matière d’entraide judiciaire avec le partenaire marocain. Il est en effet malheureux que nos relations en matière d’entraide judiciaire avec le Maroc aient été suspendues durant un an. En revanche, la majorité d’entre nous se trouve être en opposition avec le contenu de ce protocole. Les mécanismes qu’il insère au sein de la convention d’entraide judiciaire avec le Maroc, par l’ajout d’un article 23 bis, portent de graves risques d’atteinte à la compétence universelle du juge français et à son indépendance.
En réalité, ce texte s’apparente à un accord de circonstance, répondant à la procédure en cours devant la justice française contre M. Hammouchi pour actes présumés de torture au Maroc, procédure qui est à l’origine de la crise diplomatique entre nos deux pays.
Je tiens ici à rappeler que la Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu, le 21 mai 2015, après s’être saisie d’office du sujet, un avis extrêmement critique sur ce protocole, au demeurant adopté à l’unanimité. De nombreuses ONG ont également dénoncé un accord dangereux, contraire à plusieurs principes essentiels du fonctionnement de notre justice, soucieuse des droits de l’homme et du droit de chaque citoyen à un procès équitable. En effet, ce texte, par son contexte et son économie, amènera nécessairement le juge à prendre en compte des considérations diplomatiques. Il est donc très difficile d’anticiper sur l’interprétation qui en sera retenue.
Plus encore, la possibilité de divergences d’interprétation tient au caractère flou, imprécis et ambigu du texte, ce qui est problématique au regard de l’exigence de clarté de la norme. Or retenir des formulations vagues et imprécises, a fortiori dans un domaine aussi sensible pour les droits fondamentaux que le droit pénal, laisse la porte ouverte à de nombreuses dérives. Ainsi, le mécanisme instauré par ce protocole, à savoir l’obligation d’informer l’autre partie des procédures en cours pour des faits commis sur son territoire par l’un de ses ressortissants, ne définit pas précisément le périmètre des informations transmises. Malgré l’assurance apportée que les données visées ne porteront pas atteinte au secret de l’instruction et ne concerneront que l’existence d’une procédure, on ne peut qu’exprimer de fortes réserves à ce sujet.
Compte tenu du caractère sensible des affaires concernées et des considérations diplomatiques entrant en ligne de compte, l’absence de cadre textuel clair laisse planer la menace de pressions politiques sur la nature des données transmises et, in fine, sur la procédure elle-même.
Dans le cas de plainte pour des faits commis par un ressortissant marocain au Maroc, le protocole enjoint à l’autorité judiciaire de déterminer les suites à donner à la procédure, prioritairement le renvoi à l’autorité judiciaire marocaine ou sa clôture. Je prends acte de l’interprétation défendue selon laquelle l’adverbe « prioritairement » signifie une priorité d’examen et ne lie pas le juge quant au choix de la solution qu’il retiendra. Il n’en reste pas moins que la rédaction de ce paragraphe corsète le travail du juge : comme le souligne la CNCDH dans son avis, le magistrat pourrait en pratique s’estimer lié. De plus, le texte prévoit la poursuite de la procédure en l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre partie, ce qui veut bien dire, en creux, que le renvoi ou la clôture est le principe et la possibilité de poursuivre la procédure en France de la poudre aux yeux.
L’emploi du terme « renvoi » est également problématique. Le code de procédure pénale ne prévoit aucun mécanisme de renvoi à un juge étranger, puisque – faut-il le rappeler ? – nos juges sont indépendants, de notre État, et a fortiori d’un État étranger. Cela laisse donc à penser qu’il s’agit d’un mécanisme sui generis entraînant un dessaisissement du juge français. On nous oppose qu’il faut comprendre ce terme comme l’institution d’un mécanisme classique de dénonciation officielle aux fins de poursuite et donc comme l’organisation d’une simple délégation de poursuite qui ne dessaisit pas le juge français. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir utilisé ce terme dans le protocole lui-même ? En droit, les mots ont un sens ! Là encore, l’imprécision du texte nous laisse dans l’incertitude la plus totale.
Ainsi, ce paragraphe laisse le sentiment qu’il vise à démanteler la compétence universelle du juge français pour les crimes où cette compétence est retenue, au profit de la compétence territoriale du juge marocain. En outre, ce paragraphe heurte la compétence personnelle active et passive du juge français, puisqu’il semble qu’il trouve également à s’appliquer lorsque l’auteur ou la victime est binational, et pas seulement lorsque l’auteur est marocain et la victime non française. Quelle que soit l’interprétation alors retenue de ce mécanisme, il est évident que nos compatriotes franco-marocains se voient placés dans une situation différente de celle de leurs concitoyens ne possédant pas cette double nationalité. Au regard du principe d’égalité entre citoyens français, cette disposition contrevient à nos textes de loi.
Enfin se pose la question des standards de la justice marocaine. Des progrès importants ont certes été accomplis ; il faut le reconnaître et encourager ce mouvement. Toutefois, l’indépendance de la justice y reste encore mal assurée, ce qui laisse craindre que les enquêtes mettant en cause des dignitaires n’y soient pas conduites de manière diligente. Pareillement, la situation des droits humains et des droits de la défense, si elle a connu de nettes améliorations, reste encore insuffisante.
L’État de droit est une construction lente et difficile : l’histoire française, y compris récente, en témoigne. Il appartient donc à la France d’accompagner le Maroc sur ce chemin, tout en restant fidèle à ses principes et consciente de ses propres insuffisances en la matière.
Pour ces raisons, la majorité du groupe écologiste votera contre l’approbation de ce protocole. (M. Éric Doligé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier pour ce débat. Les orateurs ont placé ces échanges au niveau requis en évoquant l’intensité et la qualité des relations exceptionnelles entre la France et le Maroc, un pays ami, un pays allié, un pays avec lequel nous entretenons des liens de fraternité.
Au cours de cette discussion générale, vous avez soulevé des questions importantes et légitimes.
Des questions importantes, car le Maroc est un pôle de stabilité dans un monde arabe déchiré par les conflits, un pays qui a fait des choix courageux pour se moderniser et qu’il est essentiel d’encourager dans cette voie. C’est aussi un partenaire de premier plan pour la France non seulement dans la lutte contre le terrorisme et les dérives radicales, mais aussi sur le plan économique et culturel.
Des questions légitimes, car l’accord qui nous occupe aujourd’hui traite de points fondamentaux pour notre démocratie tels que la séparation des pouvoirs, l’accès des citoyens à la justice, l’égalité de tous devant la loi ou encore la vocation universelle des droits de l’homme.
Nous devons donc traiter ces sujets avec la gravité qui convient et prendre le temps d’aller au fond des choses. C’est pourquoi je reprends la parole pour vous apporter les éclaircissements nécessaires, notamment à la suite de vos remarques sur une possible imprécision rédactionnelle de l’accord, à laquelle je ne souscris pas.
Tout d’abord, sur les aspects juridiques de l’accord et la nature des informations transmises, les autorités se transmettront les informations que l’autorité judiciaire aura portées à leur connaissance à cette fin. C’est donc bien à l’autorité judiciaire, dont notre Constitution garantit l’indépendance et la vocation de gardienne des libertés individuelles, qu’il reviendra d’apprécier le contenu exact des informations transmises.
Ensuite, comme je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, le texte s’appliquera bien aux binationaux. Le juge français, au vu des observations ou informations éventuellement reçues du juge marocain, déterminera les suites de la procédure. Sa décision sera guidée par le souci d’assurer la meilleure administration de la justice, ce qui comprend, dans notre conception, la place de la victime dans la procédure.
En ce qui concerne l’indépendance des juges, le texte est strictement conforme aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire consacrés par la Constitution. L’autorité judiciaire conservera donc, en toute hypothèse, le dernier mot sur les suites à donner.
Le texte est également conforme à nos engagements internationaux, notamment ceux qui créent une compétence quasi universelle des autorités françaises. Il ne crée aucun mécanisme de dessaisissement – j’insiste sur ce point –, et l’article 23 bis rappelle que le dispositif de coopération et d’échange s’inscrit dans le cadre des engagements internationaux de la France et du Maroc – Jean-Claude Requier est lui-même revenu sur ce point.
Ce texte respecte par ailleurs pleinement le droit des victimes d’avoir accès à un tribunal en France. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante : le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit.
Sur le respect du secret de l’enquête, ce protocole ne porte pas atteinte aux exigences de notre droit interne telles que l’indépendance de l’autorité judiciaire ou le secret de l’enquête et de l’instruction. Il permet au contraire d’assurer une meilleure administration de la justice et la conduite efficace et diligente des procédures, au regard notamment du principe de territorialité des poursuites.
Enfin, sur la question plus générale de la démocratie et des droits de l’homme au Maroc, soulevée notamment par Bariza Khiari, de façon positive, mais aussi par Mme Prunaud ou par M. Doligé, je rappelle que le Maroc est engagé depuis quinze ans dans un processus important de modernisation politique et sociale. La réforme constitutionnelle de 2011, approuvée par référendum, a marqué une accélération de ce processus en clarifiant les relations entre les pouvoirs et en renforçant les rôles du chef du gouvernement et du Parlement. Le Maroc est un pays qui connaît des alternances démocratiques, un pluralisme politique et une liberté d’expression des citoyens et de la presse reconnus et remarquables.
M. Éric Doligé. Il ne faut pas en rajouter non plus !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Sur la persistance de la torture, telle qu’évoquée par Éric Doligé, le Maroc a accompli d’importants efforts en matière de droits de l’homme ces dernières années, en souscrivant à des engagements internationaux contraignants, en particulier le protocole facultatif à la convention internationale contre la torture. Il a également mis en place des institutions et des mécanismes autonomes de contrôle des droits de l’homme. Il existe ainsi un Conseil national des droits de l’homme, dont le travail a été salué sur le plan international. Nous ne pouvons qu’encourager le Maroc dans cette voie.
En conclusion, je souhaite encore, mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier, au nom du Gouvernement, pour la qualité de ces échanges. Ils ont été à la hauteur des enjeux, envisageant, d’une part, la place de la justice, des victimes et des droits de l’homme dans notre société et dans les relations internationales et, d’autre part, la relation bilatérale avec un partenaire essentiel pour la France, dans un contexte où nous faisons face aux mêmes défis et où notre partenariat nous offre de formidables opportunités. La mer Méditerranée ne peut pas être seulement une frontière, un lieu de désespoir et de naufrage. Elle doit être une mer commune, un espace de coopération et d’amitié, en particulier entre la France et le Maroc.
Le texte soumis à votre approbation aujourd’hui répond à ces enjeux, en créant les conditions d’une coopération judiciaire plus efficace entre nos deux pays, dans le plein respect de nos principes constitutionnels et de nos engagements internationaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la france et le maroc
Article unique
Est autorisée l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, signé à Rabat le 6 février 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je m’abstiendrai sur ce projet de loi, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues. Je souhaite m’en expliquer.
Je suis évidemment favorable au développement de la coopération en matière judiciaire entre la France et le Maroc.
Si je ne puis voter le présent texte, c’est en raison des dispositions juridiques précises qui figurent dans le protocole qu’il nous est demandé d’adopter.
Un certain nombre de critiques ont été formulées. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de celles-ci. Je m’en tiendrai à une seule, qui est pour moi dirimante.
J’ai été le premier signataire de la proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale.
Cette proposition de loi, qui a été déposée le 6 septembre 2012, a été adoptée à l’unanimité – j’insiste sur ce point – le 26 février 2013 par le Sénat, sur le rapport d’Alain Anziani. Elle donne une pleine et totale compétence, sans aucune restriction, aux juges français pour poursuivre et juger les auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’étranger, conformément aux termes de la convention de Rome et du traité du 18 juillet 1998, ratifié par la France.
Or le protocole qu’il nous est proposé de ratifier va à l’encontre non seulement de l’engagement de la France à traduire en justice les personnes accusées des crimes les plus graves sur la base de cette compétence universelle, mais aussi des termes de la proposition de loi précitée. Son adoption constituerait à cet égard un précédent dont les conséquences méritent réflexion.
Telles sont les raisons de mon abstention.
Au demeurant, monsieur le secrétaire d'État, il me paraît profondément anormal que la proposition de loi susvisée, appelée de leurs vœux par Robert Badinter, Mireille Delmas-Marty et un très grand nombre de juristes, adoptée, j’y insiste, à l’unanimité par le Sénat le 26 février 2013 et transmise le même jour à l’Assemblée nationale, n’ait toujours pas été inscrite à l’ordre du jour des travaux de nos collègues députés.
C’est pourquoi je demande au Gouvernement de bien vouloir m’indiquer à quelle date il compte inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je partage les interrogations de mon collègue Jean-Pierre Sueur sur la proposition de loi en question.
À l’instar de la plupart des intervenants précédents, je souhaite souligner la nécessité de tourner définitivement la page d’une année 2014 particulièrement préoccupante pour les relations entre la France et le Maroc.
Cet accord, qui organise un échange d’informations entre nos deux justices pour les cas de crimes particulièrement graves, est un signe de confiance de la France vis-à-vis de la justice marocaine et du Maroc à l’égard de la justice française. Le risque est que de nombreux États demandent le même type d’accord. Cela provoquerait alors un ralentissement réel de la capacité de la justice française, dans les cas de crimes particulièrement graves, à engager et poursuivre une instruction.
Certes, après analyse, il apparaît effectivement que l’échange d’informations prévu par le protocole, s’il peut retarder une instruction, ne limite pas la souveraineté de la justice française.
Toutefois, je ne pourrai pas voter le protocole, car il est très imprécis. L’interprétation qui lui est donnée est même contraire à sa lecture ! Ainsi, l’alinéa 3 de l’article 2 relatif à des « procédures engagées auprès de l’autorité judiciaire d’une partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité et pour des faits commis sur le territoire de l’autre partie par un de ses ressortissants » mérite quelques remarques.
D’une part, le texte n’indique pas clairement si le ressortissant qui fait office de défendeur a la nationalité de la partie où sont engagées les poursuites ou celle du pays où l’acte a été commis. Il faut consulter l’étude d’impact pour le savoir.
D’autre part, il est écrit que le demandeur ne possède pas la nationalité du pays qui reçoit la plainte. Cela exclut clairement les binationaux, malgré l’alinéa 4. Pourtant, le Gouvernement a donné une interprétation différente du texte devant le Parlement.
Je ne peux pas accepter qu’un Français soit traité différemment par notre pays selon qu’il a ou non une seconde nationalité. La binationalité est une question très sensible entre la France et le Maroc. Les binationaux franco-marocains vivant au Maroc vous parleraient probablement, mes chers collègues, de la contribution libératoire, qui limite leurs droits financiers en France.
C’est pourquoi je m’abstiendrai. En conclusion, vive l’amitié entre la France et le Maroc !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n°227 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 309 |
Contre | 29 |
Le Sénat a adopté le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.
14
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
15
Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 8 juillet dernier prennent effet.
16
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le mercredi 15 juillet 2015, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Les textes des saisines du Conseil constitutionnel sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
17
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le neuvième rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)
PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
18
Transition énergétique
Suite de la discussion et adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (projet n° 466, texte de la commission n° 530, rapport n° 529, avis nos 505 et 491).
Nous poursuivons la discussion du texte de la commission.
TITRE VIII (suite)
DONNER AUX CITOYENS, AUX ENTREPRISES, AUX TERRITOIRES ET À L’ÉTAT LE POUVOIR D’AGIR ENSEMBLE
Chapitre II
Le pilotage de la production d’électricité
Mme la présidente. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 55.
Article 55
Le chapitre Ier du titre Ier du livre III du code de l’énergie est ainsi modifié :
1° L’article L. 311-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 311-1. – Sous réserve de l’article L. 311-6, l’exploitation de toute nouvelle installation de production d’électricité est subordonnée à l’obtention d’une autorisation administrative.
« Sont également considérées comme de nouvelles installations de production, au sens du présent article, les installations dont la puissance installée est augmentée d’au moins 20 % ainsi que celles dont la source d’énergie primaire est modifiée. » ;
2° L’article L. 311-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 311-5. – L’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité est délivrée par l’autorité administrative en tenant compte des critères suivants :
« 1° L’impact de l’installation sur l’équilibre entre l’offre et la demande et sur la sécurité d’approvisionnement, évalués au regard de l’objectif fixé à l’article L. 100-1 ;
« 2° La nature et l’origine des sources d’énergie primaire au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 ;
« 3° L’efficacité énergétique de l’installation, comparée aux meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;
« 4° Les capacités techniques, économiques et financières du candidat ou du demandeur ;
« 5° L’impact de l’installation sur les objectifs de lutte contre l’aggravation de l’effet de serre.
« L’autorisation d’exploiter est compatible avec la programmation pluriannuelle de l’énergie. » ;
3° Après le même article L. 311-5, sont insérés des articles L. 311-5-1 à L. 311-5-7 ainsi rédigés :
« Art. L. 311-5-1. – Lorsque plusieurs installations proches ou connexes utilisent la même source d’énergie primaire et ont le même exploitant, l’autorité administrative peut, à son initiative, délivrer une autorisation d’exploiter unique regroupant toutes les installations du site de production.
« Art. L. 311-5-2. – Lorsqu’une installation de production regroupe plusieurs unités de production dont la puissance unitaire dépasse 800 mégawatts, l’autorité administrative délivre une autorisation d’exploiter par unité de production.
« Art. L. 311-5-3. – Lorsque l’installation émet des gaz à effet de serre, l’autorisation d’exploiter mentionnée à l’article L. 311-5 peut restreindre le nombre maximal d’heures de fonctionnement par an, afin de respecter les valeurs limites d’émissions fixées par voie réglementaire.
« Art. L. 311-5-4. – L’autorisation d’exploiter est nominative. En cas de changement d’exploitant et lorsque la puissance autorisée est supérieure au seuil mentionné à l’article L. 311-6, l’autorisation est transférée au nouvel exploitant par décision de l’autorité administrative.
« Art. L. 311-5-5. – L’autorisation mentionnée à l’article L. 311-1 ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 64,85 gigawatts.
« L’autorité administrative, pour apprécier la capacité totale autorisée, prend en compte les abrogations prononcées par décret à la demande du titulaire d’une autorisation, y compris si celle-ci résulte de l’application du second alinéa de l’article L. 311-6.
« Art. L. 311-5-6. – Lorsqu’une installation de production d’électricité est soumise au régime des installations nucléaires de base, la demande d’autorisation d’exploiter mentionnée à l’article L. 311-5 du présent code doit être déposée au plus tard dix-huit mois avant la date de mise en service mentionnée à l’article L. 593-11 du code de l’environnement.
« Art. L. 311-5-7. – Tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité établit un plan stratégique, qui présente les actions qu’il s’engage à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de sécurité d’approvisionnement et de diversification de la production d’électricité fixés dans la première période de la programmation pluriannuelle de l’énergie en application de l’article L. 141-3.
« Ce plan propose, si besoin, les évolutions des installations de production d’électricité, en particulier d’origine nucléaire, nécessaires pour atteindre les objectifs de la première période de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Il est élaboré dans l’objectif d’optimiser les conséquences économiques et financières de ces évolutions, ainsi que leurs impacts sur la sécurité d’approvisionnement et l’exploitation du réseau public de transport d’électricité. Il s’appuie sur les hypothèses retenues par le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité dans le bilan prévisionnel le plus récent mentionné à l’article L. 141-8.
« Le plan est soumis au ministre chargé de l’énergie dans un délai maximal de six mois après l’approbation mentionnée au dernier alinéa du III de l’article L. 141-4.
« La compatibilité du plan stratégique avec la programmation pluriannuelle de l’énergie définie aux articles L. 141-1 à L. 141-3 est soumise à l’approbation de l’autorité administrative. Si la compatibilité n’est pas constatée, l’exploitant élabore un nouveau plan stratégique selon les mêmes modalités.
« L’exploitant rend compte chaque année, devant les commissions permanentes du Parlement chargées de l’énergie, du développement durable et des finances, de la mise en œuvre de son plan stratégique et de la façon dont il contribue aux objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
« Un commissaire du Gouvernement, placé auprès de tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité, est informé des décisions d’investissement et peut s’opposer à une décision dont la réalisation serait incompatible avec les objectifs du plan stratégique ou avec la programmation pluriannuelle de l’énergie en l’absence de plan stratégique compatible avec celle-ci.
« Si cette opposition est confirmée par le ministre chargé de l’énergie, la décision ne peut être appliquée sans révision du plan stratégique dans les mêmes conditions que pour son élaboration initiale. » ;
4° Le dernier alinéa de l’article L. 311-6 est supprimé.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, mes chers collègues, comme l’on pouvait s’y attendre, les députés ont rétabli, en nouvelle lecture, le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts, ce qui obligera mécaniquement à fermer une centrale au moins, très probablement celle de Fessenheim, à la mise en service de l’EPR de Flamanville.
Tout autant que de ce rétablissement, personne n’aura été surpris de constater que nous avons, comme en première lecture, choisi de relever de nouveau ce plafond pour éviter un tel couperet, alors même que l’autorisation de création de l’EPR de Flamanville date de 2007.
En revanche, deux dispositions introduites par les députés nous ont davantage étonnés et je souhaiterais vraiment avoir l’avis du Gouvernement sur ces deux points. Je ne doute pas, madame la ministre, que vous saurez nous éclairer.
En adoptant un premier amendement, les députés ont ajouté un nouveau délai maximal de dix-huit mois entre le dépôt de la demande d’autorisation d’exploiter une centrale et le délai fixé par le décret d’autorisation de création de cette centrale pour sa mise en service.
Or, en pratique, cette disposition, qui n’a pourtant fait l’objet d’aucune explication ni d’aucun débat, aurait pour effet, combinée au plafonnement de la capacité de production, d’anticiper de plusieurs mois le processus de fermeture de la centrale de Fessenheim et de l’engager dès octobre prochain.
Par cette mesure, le calendrier de fermeture de cette centrale serait donc avancé de façon totalement artificielle dès avant la mise en service effective de l’EPR – celle-ci risque même d’intervenir après 2017 –, et alors même que le seul effet du plafonnement à 63,2 gigawatts, s’il est maintenu par les députés en lecture définitive, conduira mécaniquement au même résultat. Cette anticipation n’aura pour effet que d’augmenter encore les pertes de l’exploitant et le montant de l’indemnisation qu’il serait en droit d’exiger, sans parler du choc au plan local pour les populations concernées.
C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a supprimé cette disposition. Si les députés la maintenaient, pouvez-vous, madame la ministre, confirmer aujourd’hui devant la représentation nationale que la fermeture de la centrale de Fessenheim sera engagée dès le mois d’octobre prochain ? Le couperet tombe très vite…
La seconde disposition, que la commission des affaires économiques a également supprimée, consistait à prévoir la consultation de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, par EDF pour s’assurer de la compatibilité du plan stratégique d’entreprise avec les autorisations et demandes d’autorisation en cours.
Or, comme vous le savez, en France, l’autorisation d’exploiter une installation nucléaire est délivrée sans limitation de durée, mais est réexaminée tous les dix ans à l’occasion d’un réexamen de sûreté. Les centrales du parc actuel ayant été dimensionnées, à la conception, en postulant une durée d’exploitation de quarante ans, la prolongation d’exploitation des réacteurs au-delà de la quatrième visite décennale fera l’objet d’un examen très approfondi de l’ASN dont la réponse générique, attendue pour 2018 ou 2019, ne peut, par définition, être considérée comme acquise avant cette date.
Madame la ministre, je serais ravi de connaître votre avis sur ces deux problèmes et sur ces deux modifications apportées par nos collègues députés.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Je me réjouis tout d’abord de reprendre nos travaux, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous devrions d’ailleurs achever l’examen de ce texte dans la nuit.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Qui sait ? Ça peut durer plus longtemps ! (Sourires.)
Mme Ségolène Royal, ministre. Nous abordons ce soir le titre VIII, qui porte sur le pilotage du mix énergétique et sur la façon dont la future loi donnera aux citoyens, aux entreprises, aux territoires et à l’État le pouvoir d’agir ensemble. Il est important que les règles du jeu soient claires.
Bien évidemment, monsieur le rapporteur, le plafonnement ayant été supprimé par la commission des affaires économiques, je serai favorable à l’amendement déposé tendant à le rétablir. Tout cela est conforme à la cohérence du texte. Nous devons rééquilibrer le mix énergétique pour monter en puissance en matière d’énergies renouvelables et plafonner à 63,2 gigawatts, c'est-à-dire à son niveau actuel, notre capacité de production nucléaire.
Pour ce qui concerne le délai de dix-huit mois, il s’agit d’une clarification rédactionnelle. La demande d’autorisation d’exploiter une centrale doit être déposée dix-huit mois avant la mise en service de celle-ci et avant l’échéance du décret de création. L’amendement adopté par l’Assemblée nationale n’implique pas du tout la fermeture de la centrale de Fessenheim dans quelques mois. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il importe de rétablir le plafonnement : c’est en ouvrant l’EPR de Flamanville que, pour respecter le plafonnement, nous fermerons la centrale de Fessenheim.
Le texte est donc cohérent, ce qui me permet de répondre concomitamment à vos deux questions.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 61 rectifié est présenté par MM. Montaugé, Courteau, Cabanel et S. Larcher, Mme Lienemann, MM. Filleul, Cornano, Miquel, Poher, M. Bourquin, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Rome et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Roux, Mme Claireaux, MM. Lalande et Manable, Mme Monier, M. Percheron, Mme Riocreux et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 208 est présenté par MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 18
Remplacer le nombre :
64,85
par le nombre :
63,2
La parole est à M. Franck Montaugé, pour présenter l’amendement n° 61 rectifié.
M. Franck Montaugé. De nombreux arguments ont été échangés, jusqu’en commission mixte paritaire, pour justifier le seuil de 64,85 gigawatts au lieu de celui de 63,2 gigawatts. Il va donc m’être difficile d’être original, mais je vous propose ce soir, madame la ministre, mes chers collègues, de regarder le problème sous un autre angle : celui de la nécessité pour notre pays de faire évoluer son mix énergétique.
Ce point est au cœur du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, et nous partageons tous, dans cet hémicycle, cet objectif, qui est en même temps une nécessité.
Si nous sommes d’accord tant sur le plafonnement à 50 % du nucléaire dans la production d’électricité que sur l’évolution structurelle du mix énergétique au profit des énergies renouvelables, qui représenteront 40 % de la production d’électricité en 2040 – ces objectifs ont été très largement approuvés sur ces travées –, alors, sauf à camper sur une position dogmatique, nous devons convenir que la puissance nucléaire installée doit logiquement diminuer !
Entre 64,85 gigawatts et 63,2 gigawatts, l’écart est de 2,5 % en puissance installée. Si l’on regarde l’incidence sur la consommation globale d’électricité, elle est en réalité de l’ordre de 0,4 %, puisque le nucléaire représente dans notre pays 16 % de la consommation d’énergie finale.
Parce qu’il remet à sa juste place et en perspective le nucléaire dans le mix énergétique français, ce petit raisonnement simple permet de relativiser objectivement le différend qui nous oppose. Celui-ci porte donc en fait sur 0,4 % de la consommation d’énergie. Ce taux sera bien moindre dans les années à venir, en raison de l’évolution que nous voulons tous du mix énergétique. La sagesse de la Haute Assemblée doit nous amener à le reconnaître unanimement, en retenant dès maintenant le seuil de 63,2 gigawatts.
C’est un plafond qui a tout son sens par rapport aux intentions de la France, et qui ne remet pas en question l’excellence et l’avenir, en particulier à l’échelon international, de la filière nucléaire française.
Mme la présidente. La parole est à Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 208.
M. Joël Labbé. La logique du plafonnement de la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire s’inscrit en lien avec l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2025, dont les écologistes ont proposé le rétablissement par le biais d’un amendement déposé à l’article 1er du présent projet de loi. Cela implique donc d’amorcer la baisse de la capacité totale autorisée.
Ce relèvement du plafond introduit par la commission des affaires économiques, en prenant en compte la capacité de l’EPR sans prévoir la fermeture de centrales plus anciennes, va à l’encontre de l’engagement pris par le Président de la République de fermer la centrale de Fessenheim.
L’amendement n° 208 vise donc à rétablir le plafonnement de la capacité nucléaire à 63,2 gigawatts, comme cela figurait dans le projet de loi initial du Gouvernement. Nous espérons vivement que la mesure sera maintenue dans la future loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Je ne rouvrirai pas le débat, mes chers collègues, car nous nous sommes bien expliqués lors de la première lecture ainsi qu’en commission mixte paritaire. Je dirai simplement que cette question est le point sur lequel majorité et opposition divergent. La commission des affaires économiques ne changera pas de position.
M. Roland Courteau. Nous non plus !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est une erreur de vouloir fermer vingt-trois réacteurs sur cinquante-huit en moins de dix ans !
Par ailleurs, depuis le début de nos débats, madame la ministre, jamais vous ne nous avez dit quelles centrales vous envisagiez de fermer. Les populations concernées sont pourtant en droit de le savoir !
De surcroît, nous avons besoin du nucléaire tant pour préserver notre indépendance énergétique que pour garantir un prix de l’électricité convenable aux usagers.
Enfin, la majorité sénatoriale n’est pas opposée à un mix énergétique dans lequel progressivement le nucléaire baissera et l’ensemble des énergies renouvelables augmentera. Mais nous ne voulons pas que soient inscrites dans le marbre des dates qui fragiliseront notre économie et l’industrie française par rapport à ses concurrents.
C’est la raison pour laquelle, à l’article 1er, nous sommes revenus à ce que nous avions décidé en première lecture. C’est aussi la raison pour laquelle, en commission, nous avons prévu une capacité globale de production de 64,85 gigawatts, et non de 63,2 gigawatts, car nul ne sait, madame la ministre, quand l’EPR de Flamanville démarrera.
Vous avez tous pu prendre connaissance dans la presse, mes chers collègues, des aléas que suscitent certains problèmes sur la cuve de la centrale. Un doute subsiste donc. Dès lors, plutôt que d’y toucher, protégeons cet instrument, cet avantage que nous avons.
Bien évidemment, la commission des affaires économiques émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 61 rectifié et 208.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement est favorable à ces deux amendements.
En effet, la cohérence du nouveau mix énergétique implique que nous rétablissions le plafond de la capacité nucléaire à 63,2 gigawatts présent dans le texte initial.
Sans un tel repère, les opérateurs de l’énergie n’ont pas de visibilité. En revanche, s’ils peuvent, grâce à ce plafond, dont ils sont eux-mêmes demandeurs, estimer la part future de l’électricité nucléaire, ils pourront alors calibrer leurs investissements, notamment en matière d’énergies renouvelables. Au-delà, la société française tout entière en bénéficiera.
Il s’agit, je le répète, non pas de faire disparaître l’énergie nucléaire, mais de la consolider en lui donnant sa juste place. En parallèle, nous ferons en sorte qu’une montée en puissance des énergies renouvelables puisse avoir lieu sans que le nucléaire continue d’absorber l’essentiel des ressources en matière de transition énergétique.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Je demande, au nom de la commission des affaires économiques, un scrutin public sur ces deux amendements identiques, madame la présidente. En effet, je considère qu’il est important de savoir qui est pour et qui est contre la fermeture de centrales nucléaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. De fait, nous sommes cohérents avec nous-mêmes. Souhaitant ramener la part du nucléaire dans le mix énergétique à 50 %, nous proposons, par voie de conséquence, d’amorcer cette réduction en ramenant la capacité maximale de production d’électricité d’origine nucléaire à 63,2 gigawatts.
En clair, voici ce qu’implique le plafond que nous suggérons : lorsque sera mis en fonctionnement l’EPR de Flamanville, il faudra alors fermer deux réacteurs équivalents. On constate bien là l’amorce d’une diminution. En revanche, en portant la capacité totale autorisée à 64,85 gigawatts, comme le fait le texte de la commission, on ne sera pas obligé de fermer ces deux réacteurs lors de l’ouverture de l’EPR. Telle est la signification de ce plafond supérieur.
Pour ce qui nous concerne, nous préférons esquisser la décroissance de la production nucléaire, afin de parvenir aussi rapidement que possible au rééquilibrage du bouquet énergétique que nous souhaitons. Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement tendant à revenir au seuil de 63,2 gigawatts du texte initial.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Bosino. Les membres de mon groupe partagent sans aucun doute l’objectif de diminuer la part de la production d’électricité d’origine nucléaire dans le mix énergétique, ce qui passe par le développement des énergies renouvelables, ainsi que par des économies d’énergie.
Cependant, nous sommes en l’espèce face au même débat qu’autour de l’échéance de 2025…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bosino. Nous considérons qu’il n’est pas raisonnable d’inscrire aujourd’hui dans la loi que plusieurs dizaines de tranches nucléaires seront fermées dans les prochaines années.
En effet, sans vouloir forcément parler de croissance dans l’absolu, nous espérons tous dans cet hémicycle que l’activité économique redémarrera. Or, si tel est le cas, les entreprises dont la production augmentera auront bien besoin d’être alimentées en électricité.
Par ailleurs, pour effectuer la fermeture d’une centrale ou d’une tranche nucléaires, il ne suffit pas de fermer la grille du site, d’y poser une chaîne munie d’un cadenas et de dire : « C’est fermé, n’en parlons plus ! » Un tel démantèlement représente bien des années de travail et énormément d’argent. Or, à ma connaissance, on ne dispose pas du moindre financement pour le démantèlement de ces centrales nucléaires !
Pour toutes ces raisons, autant, je le répète, nous reconnaissons la nécessité de réduire la production d’électricité d’origine nucléaire, autant nous considérons que nous devons le faire de façon raisonnable et raisonnée.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je voudrais faire quelques observations complémentaires aux excellents propos de M. le rapporteur.
L’une des questions qui se posent est de savoir quels seront les besoins en électricité dans les trente années qui viennent. Il faut être franc : personne ne peut y répondre de façon très claire. Sur ce point, le débat est ouvert. On constate bien pourtant aujourd’hui de nouveaux usages de l’électricité : toutes les activités liées de près ou de loin à l’informatique, le secteur automobile, avec le véhicule électrique, etc. Pour ma part, je fais le pari que la consommation domestique d’électricité diminuera, ainsi que celle des industriels actuellement présents sur le territoire, mais que la consommation globale augmentera. Cette augmentation sera certes faible, mais tout de même significative sur trente ans.
Dès lors, que faire ? L’amendement qui a été adopté par la commission des affaires économiques est essentiel. Il va d’ailleurs dans le sens de ce que disait M. Didier Guillaume la semaine dernière : il faut évidemment non pas arrêter le nucléaire, mais au contraire le continuer.
On voit bien d’ailleurs que le creux relevé en matière d’évaluation des capacités de production correspond tout simplement à une période électorale : il faut donner satisfaction à des alliés un peu turbulents, parfois infidèles, mais qui comptent le moment venu. (Sourires.) Il faut sacrifier la centrale de Fessenheim. Pourtant, comme vient de l’indiquer avec raison Jean-Pierre Bosino, il ne suffit pas d’arrêter une centrale pour la fermer. Un démantèlement représente une procédure très longue. La cible actuelle est la centrale de Fessenheim : l’amendement précité vise donc à épargner une centrale parmi d’autres.
Cela étant, je souhaite au Gouvernement bien du plaisir pour la fermeture des vingt-trois autres centrales nucléaires qu’il faudrait effectuer d’ici à 2025. C’est impossible ! Pendant l’élaboration du présent texte, pas une seule des personnes qualifiées que nous avons entendues ne nous a dit qu’il était possible de fermer autant de centrales en si peu de temps.
Nous campons donc sur notre position, convaincus que des temps meilleurs permettront à la raison de l’emporter. Et chaque jour qui passe nous rapproche de ce moment…
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je n’avais pas prévu de reprendre la parole, mais je me suis senti quelque peu interpellé. On a parlé de croissance. Or les énergies renouvelables sont source d’une énorme croissance et d’emploi : l’avenir est véritablement là ! À mon avis, le groupe socialiste et le Gouvernement les défendent non pas pour faire plaisir aux écologistes – cela se saurait ! –, mais parce qu’ils y croient, eux aussi, comme à une évolution d’avenir ! (M. Jean-Claude Requier fait un signe dubitatif.)
Pour ce qui est du démantèlement des centrales nucléaires, il ne suffit pas, en effet, de les fermer. Pour autant, toute une activité économique liée à l’organisation du démantèlement est possible. Mais nous sommes encore loin du compte dans ce domaine : ainsi, la toute petite centrale de Brennilis, située en Bretagne, attend toujours la suite de son démantèlement. Le savoir-faire français en la matière pourra être exporté. Le démantèlement est porteur d’avenir.
Bien évidemment, je souscris à l’idée de rééquilibrage entre le nucléaire et les énergies renouvelables. Le nucléaire a vécu ; il est désormais temps de regarder vers l’avenir, c’est-à-dire vers de telles énergies !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Emorine, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Emorine. Je vous le rappelle, mes chers collègues, lors de la discussion du Grenelle de l’environnement, nous avons eu un débat sur les émissions de CO2. Si nos propres émissions, par comparaison à celles de nos amis allemands, sont trois fois moins élevées, c’est grâce, justement, à l’énergie nucléaire.
Je suis sénateur de Bourgogne, où se trouve un pôle nucléaire. Aujourd’hui, malgré la problématique de l’EPR de Flamanville – à cet égard, des experts donneront, à mon avis, gain de cause au fabricant eu égard au cahier des charges initial –, le nucléaire est encore une énergie d’avenir. On le constate dans le monde entier.
S’agissant du démantèlement des centrales, la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et déchets radioactifs, dont je fus membre, a enquêté auprès de tous les utilisateurs de ces centrales, qu’il s’agisse d’EDF ou d’Areva, pour savoir si les coûts considérables de démantèlement étaient tous intégrés dans le coût global de l’énergie.
Cela dit, nous espérons que la croissance reviendra dans notre pays et que nous aurons toujours besoin d’énergie. Supprimer une ou plusieurs centrales nucléaires à l’horizon 2025 n’est pas envisageable. C’est pourquoi les membres du groupe Les Républicains voteront contre ces amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. Nous adoptons en l’espèce quelque peu des postures. Qui peut dire aujourd’hui que nous sommes incapables, en dix ans, de nous lancer dans le démantèlement d’une ou deux centrales nucléaires ? Personne !
En outre, si nous conservons toutes nos centrales, nous handicaperons la performance de nos grandes entreprises qui, partout dans le monde, construisent des centrales nucléaires ; leur technologie est en avance sur celle de nombre de leurs concurrents. Nous avons toutefois besoin de travailler à la mise en place de centrales de nouvelle génération. Or si nous ne fermons pas certains réacteurs existants, nous ne pourrons pas réaliser ces nouvelles centrales.
Qui peut donc dire si, à l’horizon 2025, nous aurons besoin de 64,85 ou de 63,2 gigawatts ? Pour ma part, j’en suis incapable !
Il est dommage que, sur un tel sujet, nous ne parvenions pas à trouver une position consensuelle qui permettrait un vote presque unanime.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 61 rectifié et 208.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 228 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 120 |
Contre | 219 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, au nom de la commission des affaires économiques, je demande un scrutin public sur l’article 55.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 55.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 229 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 202 |
Contre | 119 |
Le Sénat a adopté.
Chapitre III
La transition énergétique dans les territoires
Article 56
I. – (Non modifié) La région constitue l’échelon pertinent pour coordonner les études, diffuser l’information et promouvoir les actions en matière d’efficacité énergétique. Elle favorise, à l’échelon des établissements publics de coopération intercommunale, l’implantation de plateformes territoriales de la rénovation énergétique mentionnées à l’article L. 232-2 du code de l’énergie et le développement d’actions visant à lutter contre la précarité énergétique en matière de logement, en application de l’article L. 232-1 du même code. Elle est garante de la bonne adéquation entre l’offre de formation des établissements de formation initiale et les besoins des entreprises pour répondre aux défis techniques de construction en matière de transition énergétique.
I bis. – Le I de l’article L. 222-1 du code de l’environnement est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Un programme régional pour l’efficacité énergétique, qui définit les modalités de l’action publique en matière d’orientation et d’accompagnement des propriétaires privés, des bailleurs et des occupants pour la réalisation des travaux de rénovation énergétique de leurs logements ou de leurs locaux privés à usage tertiaire.
« Le programme régional pour l’efficacité énergétique s’attache plus particulièrement à :
« a) Définir, en concertation avec l’ensemble des établissements publics de coopération intercommunale situés dans le territoire régional, un plan de déploiement des plateformes territoriales de la rénovation énergétique, mentionnées à l’article L. 232-2 du code de l’énergie ;
« b) Promouvoir la mise en réseau de ces plateformes en vue de la réalisation d’un guichet unique ;
« c) Définir un socle minimal en matière de conseils et de préconisations relatifs aux travaux concernés fournis par les plateformes territoriales, en fonction des spécificités du territoire régional ;
« d) Arrêter les modulations régionales du cahier des charges du “passeport énergétique” ;
« e) Proposer des actions pour la convergence des initiatives publiques et privées en matière de formation des professionnels du bâtiment, en vue d’assurer la présence, en nombre suffisant, de professionnels qualifiés sur l’ensemble du territoire régional ;
« f) Définir, en lien avec les plateformes territoriales de la rénovation énergétique, les modalités d’accompagnement nécessaires à la prise en main, par les consommateurs, des données de consommation d’énergie mises à leur disposition conformément à l’article L. 124-5 du code de l’énergie.
« Le programme régional pour l’efficacité énergétique prévoit un volet dédié au financement des opérations de rénovation énergétique. Celui-ci vise à :
« – favoriser la meilleure articulation possible entre les différentes aides publiques ;
« – encourager le développement d’outils de financement adaptés par les acteurs bancaires du territoire ;
« – mettre en place un réseau d’opérateurs de tiers-financement.
« Le président du conseil régional soumet pour approbation une proposition de programme régional pour l’efficacité énergétique au représentant de l’État dans la région. Une concertation est menée en amont avec les collectivités territoriales et leurs groupements.
« La mise en œuvre du programme régional pour l’efficacité énergétique s’appuie sur le réseau des plateformes territoriales de la rénovation énergétique et, dans leurs domaines de compétences respectifs, sur l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, sur l’Agence nationale de l’habitat, sur les agences départementales d’information sur le logement, sur les agences locales de l’énergie et du climat, sur les agences d’urbanisme, sur les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, sur les agences régionales de l’énergie et, plus généralement, sur le tissu associatif partenaire.
« Le président du conseil régional associe également l’ensemble des acteurs concernés, notamment les professionnels du secteur du bâtiment, les établissements de crédit et les associations représentant ou accompagnant les propriétaires et les locataires. »
II. – La section 4 du chapitre IX du titre II du livre II du code de l’environnement est ainsi modifiée :
1° À l’intitulé, le mot : « climat-énergie » est remplacé par le mot : « climat-air-énergie » ;
2° L’article L. 229-26 est ainsi modifié :
a) Le I est ainsi rédigé :
« I. – La métropole de Lyon et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 1er janvier 2015 et regroupant plus de 50 000 habitants adoptent un plan climat-air-énergie territorial au plus tard le 31 décembre 2016.
« Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 1er janvier 2017 et regroupant plus de 20 000 habitants adoptent un plan climat-air-énergie territorial au plus tard le 31 décembre 2018.
« Le plan climat-air-énergie territorial peut être élaboré à l’échelle du territoire couvert par un schéma de cohérence territoriale dès lors que tous les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés transfèrent leur compétence d’élaboration dudit plan à l’établissement public chargé du schéma de cohérence territoriale.
« Lorsque la métropole et les établissements publics mentionnés aux deux premiers alinéas s’engagent dans l’élaboration d’un projet territorial de développement durable ou Agenda 21 local, le plan climat-air-énergie territorial en constitue le volet climat. » ;
b) Le II est ainsi rédigé :
« II. – Le plan climat-air-énergie territorial définit, sur le territoire de l’établissement public ou de la métropole :
« 1° Les objectifs stratégiques et opérationnels de cette collectivité publique afin d’atténuer le changement climatique, de le combattre efficacement et de s’y adapter, en cohérence avec les engagements internationaux de la France ;
« 2° Le programme d’actions à réaliser afin notamment d’améliorer l’efficacité énergétique, de développer de manière coordonnée des réseaux de distribution d’électricité, de gaz et de chaleur, d’augmenter la production d’énergie renouvelable, de valoriser le potentiel en énergie de récupération, de développer le stockage et d’optimiser la distribution d’énergie, de développer les territoires à énergie positive, de limiter les émissions de gaz à effet de serre et d’anticiper les impacts du changement climatique.
« Lorsque l’établissement public exerce les compétences mentionnées à l’article L. 2224-37 du code général des collectivités territoriales, ce programme d’actions comporte un volet spécifique au développement de la mobilité sobre et décarbonée.
« Lorsque cet établissement public exerce la compétence en matière d’éclairage mentionnée à l’article L. 2212-2 du même code, ce programme d’actions comporte un volet spécifique à la maîtrise de la consommation énergétique de l’éclairage public et de ses nuisances lumineuses.
« Lorsque l’établissement public ou l’un des établissements membres du pôle d’équilibre territorial et rural auquel l’obligation d’élaborer un plan climat-air-énergie territorial a été transférée exerce la compétence en matière de réseaux de chaleur ou de froid mentionnée à l’article L. 2224-38 dudit code, ce programme d’actions comprend le schéma directeur prévu au II du même article L. 2224-38 ;
« 3° Lorsque tout ou partie du territoire qui fait l’objet du plan climat-air-énergie territorial est couvert par un plan de protection de l’atmosphère, défini à l’article L. 222-4 du présent code, ou lorsque l’établissement public ou l’un des établissements membres du pôle d’équilibre territorial et rural auquel l’obligation d’élaborer un plan climat-air-énergie territorial a été transférée est compétent en matière de lutte contre la pollution de l’air, le programme des actions permettant, au regard des normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1, de prévenir ou de réduire les émissions de polluants atmosphériques ;
« 4° Un dispositif de suivi et d’évaluation des résultats. » ;
b bis) Le III est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’avis du représentant des autorités organisatrices mentionnées à l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales et situées sur le territoire concerné par le plan peut être recueilli dans les mêmes conditions. » ;
c) Au IV, les mots : « au moins tous les cinq » sont remplacés par les mots : « tous les six » ;
d) Le VI est ainsi modifié :
– le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il prend en compte, le cas échéant, le schéma de cohérence territoriale. » ;
– les deuxième et troisième alinéas sont ainsi rédigés :
« Lorsque tout ou partie du territoire qui fait l’objet du plan climat-air-énergie territorial est inclus dans un plan de protection de l’atmosphère défini à l’article L. 222-4, le plan climat-air-énergie est compatible avec les objectifs fixés par le plan de protection de l’atmosphère.
« La métropole de Lyon et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plus de 50 000 habitants intègrent le plan climat-air-énergie territorial dans le rapport prévu à l’article L. 2311-1-1 du code général des collectivités territoriales. » ;
– avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un arrêté du ministre chargé de l’environnement précise les conditions dans lesquelles la collecte des plans climat-air-énergie territoriaux est assurée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. »
II bis à II quinquies. – (Non modifiés)
II sexies. – (Non modifié) Les plans climat-énergie territoriaux existant à la date de promulgation de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à l’adoption du plan climat-air-énergie territorial qui les remplace en application du I de l’article L. 229-26 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la présente loi.
III à V. – (Non modifiés)
VI. – (Supprimé)
VII et VIII. – (Non modifiés)
Mme la présidente. L'amendement n° 172, présenté par MM. Bosino et Le Scouarnec, Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
Remplacer les mots :
des établissements publics de coopération intercommunale
par les mots :
des départements
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Les actions régionales en faveur de l’efficacité énergétique doivent concerner tous les territoires.
Les EPCI, qui sont parfois des regroupements de petites ou très petites communes, ne disposent pas toujours de l’expertise et de l’ingénierie nécessaires à la prise en compte des objectifs de la transition énergétique. C’est pourquoi le concours des départements et de l’ingénierie publique qu’ils ont développée sous différentes formes – agence technique départementale, entre autres – à la suite du désengagement de l’État s’avère indispensable aux acteurs infra-départementaux, afin d’atteindre les objectifs ambitieux qui leur incombent dans le présent projet de loi.
De plus, nous l’avons répété à maintes reprises, notamment lors de la première lecture, le département est le grand absent de ce texte. Or c’est l’échelon des solidarités sociales et territoriales.
Nous ne souhaitons pas voir les départements disparaître progressivement de tous les textes législatifs, une manière subtile de nier cet échelon et d’accélérer sa suppression en cours via les autres projets de réforme en discussion. Les mots ont en sens, de même que leur absence…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?
M. Louis Nègre, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Un amendement similaire a déjà été déposé lors de la première lecture et rejeté par le Sénat. Le présent amendement tend à ce que la région favorise l’implantation de plateformes territoriales de la rénovation énergétique, au plan non pas des intercommunalités, mais des départements, qui, vous le savez, mon cher collègue, ne disparaissent plus désormais. Or, de ce point de vue, c’est l’échelon intercommunal qui est efficace, dans la mesure où c’est à ce niveau que seront désormais élaborés les plans climat-air-énergie territoriaux, les PCAET.
Cet échelon est d’autant plus pertinent qu’il permettra, d’abord, de couvrir l’ensemble du territoire, par conséquent toutes les communes, et je sais votre attachement aux communes.
Il permettra, ensuite, d’éviter les doublons que l’on connaît aujourd’hui, puisque les plans climat-énergie territoriaux actuels peuvent être élaborés à tous les niveaux de collectivités. Prévoir le déploiement de plateformes au plan départemental ajouterait de la complexité puisque les plateformes de la rénovation énergétique seraient mises en place à l’échelon des départements tandis que les PCAET seraient élaborés à l’échelon des EPCI.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement auquel, sinon, j'émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Je partage l’avis du rapporteur pour avis.
Installer des plateformes d’information au plus près des citoyens est quand même le plus efficace. Or l’échelon intercommunal est moins éloigné que l’échelon départemental. Pour autant, les départements peuvent donner une impulsion et des moyens à ces plateformes. D’ailleurs, aujourd’hui, la quasi-totalité des plateformes d’information, des points d’information – les appellations sont variées sur l’ensemble du territoire – sont présents au niveau des intercommunalités.
Par ailleurs, s’agissant des territoires à énergie positive, je m’apprête à signer une centaine de conventions financières la semaine prochaine. Au total, 200 conventions auront été signées pendant les débats parlementaires, conformément à mes engagements, c’est-à-dire la mise en place des actions opérationnelles grâce au fonds de transition énergétique pour la croissance verte. Dans tous ces territoires est obligatoirement mise en place une plateforme territoriale relative à la transition énergétique qui, comme je viens de le dire, peut avoir des appellations différentes, telles que « point d’information », « rendez-vous de la transition énergétique », etc. Ces plateformes sont en train de se déployer sur le territoire.
Cela étant, je pense que l’échelon départemental est beaucoup trop éloigné, ce qui n’empêche pas les départements, je le répète, de donner une impulsion, un contenu, des moyens financiers à ces plateformes territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. Le sujet est délicat. Un certain nombre de choses existent déjà dans nos territoires. Monsieur Nègre, vous avez la chance d’être élu d’un département fortement peuplé, doté aussi de quelques moyens et où se trouvent de grandes intercommunalités. Dans ce contexte, les plateformes intercommunales fonctionnent bien sûr.
Mais dans de vastes départements à faible densité de population, comme le Gers ou le Lot qui comptent chacun 175 000 habitants, des actions ont été menées, des centres d’information, des plateformes ont été mis en place sous l’impulsion des conseils généraux.
Je ne voudrais pas – il faut mettre des garde-fous – que chacune des communautés de communes ou des communautés d’agglomération recrute du personnel supplémentaire, alors qu’il faut aujourd’hui réaliser des économies, et que les outils existent à une autre échelle dans des départements comme ceux que je viens de citer. Bien sûr, il importe de travailler en relation avec la région. Mais gardons-nous de casser ce qui fonctionne bien !
La disposition visée par le présent amendement me paraît avoir beaucoup de sens pour certains territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je rejoins M. Miquel dans son propos.
Actuellement, dans mon département, des petites communautés de communes sont dépourvues d’équipe d’ingénierie ; elles font donc appel au département. Dans un futur proche, peut-être les communautés de communes vont-elles se développer, mais telle est à ce jour la situation. Je voterai donc cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 120, présenté par MM. Requier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et M. Mézard, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Compléter cet alinéa par les mots :
, ou à l’échelle de tout ou partie du territoire couvert par une autorité organisatrice de la distribution d’énergie mentionnée à l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, sous réserve que la moitié au moins des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés transfère ladite compétence à cette autorité
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement vise à instaurer la faculté pour les EPCI à fiscalité propre de transférer la compétence d’élaboration du plan climat-air-énergie territorial aux autorités organisatrices de la distribution d’énergie, les AODE, si la moitié des EPCI le demande.
Après réflexion, j’estime que cet amendement va un peu trop loin. Je propose que les AODE puissent apporter, si la moitié des EPCI à fiscalité propre le demandent, une assistance technique et des conseils, car elles ont une compétence en matière d’énergie.
Je le répète, un transfert de compétences me semble excessif, mais les EPCI pourraient consulter les syndicats d’énergie pour bénéficier de leur expérience en ce domaine et leur demander une expertise technique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Mon cher collègue, la commission avait examiné un amendement similaire lors de la première lecture et l’avait rejeté. L’alinéa 24 de l’article 56 prévoit déjà la possibilité de transférer cette obligation aux groupements d’intercommunalités à l’échelle du schéma de cohérence territoriale. La commission a estimé que l’adoption du présent amendement risquerait de complexifier davantage le dispositif.
Vous proposez finalement de diminuer quelque peu la charge, sans vraiment « décomplexifier ». Je vous demande donc de retirer votre amendement ; sinon, j’y serai défavorable. En effet, en tout état de cause, un EPCI peut toujours faire appel à une AODE pour recueillir son avis, dès lors qu’il y a une volonté partagée des élus. Cela ne gêne personne !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement partage l’avis du rapporteur pour avis. Les PCAET traitent de bien d’autres sujets que d’énergie. Pourquoi leur élaboration serait-elle transférée aux AODE ?
M. Jean-Claude Requier. J’ai proposé autre chose !
Mme Ségolène Royal, ministre. S’il s’agit d’une simple possibilité de consultation, il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la loi. Je vous demande donc de retirer votre amendement.
Mme la présidente. Monsieur Requier, l'amendement n° 120 est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Que l’on me comprenne bien, je partage la philosophie de mon collègue Miquel : dans les départements ruraux, nous n’avons ni bureaux d’études ni spécialistes. Nous devons utiliser les compétences en place. Or les syndicats d’énergie ont des compétences. Il serait dommage de ne pas y recourir !
Mon amendement vise à transférer la compétence aux AODE, mais je reconnais que c'est aller trop loin. Je propose donc de permettre de demander une assistance technique, si la moitié des EPCI le souhaitent.
Mme Ségolène Royal, ministre. Mais nul besoin de le prévoir dans la loi ! Vous avez raison : il faut utiliser les compétences techniques là où elles sont.
M. Jean-Claude Requier. Dans ces conditions, je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 120 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 132 rectifié ter est présenté par Mme E. Giraud, MM. Chiron et Labazée, Mmes Monier et Riocreux et MM. Daunis et Poher.
L'amendement n° 135 est présenté par MM. Labbé, Dantec et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sur les territoires classés Parc naturel régional, le plan climat-air-énergie territorial peut être élaboré par le syndicat mixte d'aménagement et de gestion du parc dès lors que tous les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés transfèrent leur compétence d'élaboration dudit plan à l'établissement public chargé du parc.
La parole est à Mme Éliane Giraud, pour présenter l'amendement n° 132 rectifié ter.
Mme Éliane Giraud. Nous avons évoqué les petites collectivités territoriales. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur cet amendement qui porte sur les parcs naturels régionaux ; il vise à prévoir la possibilité de transférer la compétence d’élaboration du PCAET à l’établissement public chargé du parc qui pourrait ainsi faire le travail pour l’ensemble du territoire.
J’ajouterai – mais vous le savez – que les parcs naturels régionaux ont acquis, depuis 2000, une véritable légitimité dans l’animation et l’expertise en matière de maîtrise de l’énergie et de développement équilibré des énergies renouvelables. Je ne développerai pas plus avant mon argumentation en faveur des parcs naturels.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l'amendement n° 135.
M. Joël Labbé. Les territoires des parcs sont avancés en termes de transition – celle-là même dont il est question avec ce projet de loi ; ce sont des territoires d’exemplarité et d’innovation sur lesquels on doit s’appuyer.
Les syndicats mixtes, du moins certains d’entre eux, portent déjà, pour le compte des collectivités de leur territoire, des PCAET. Aussi, dans un souci de cohérence et de continuité, il est proposé que les syndicats mixtes de parc puissent porter les PCAET par délégation des établissements publics de coopération intercommunale sur l’ensemble des périmètres concernés, comme cela peut d’ores et déjà se pratiquer dans le cas de portage du schéma de cohérence territoriale par ces mêmes syndicats mixtes de parc. Il ne s’agit pas là d’ajouter une couche supplémentaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Ces amendements, qui tendent à prévoir la possibilité d’élaborer le PCAET à l’échelon du parc naturel régional, et donc de transférer la compétence de son élaboration au syndicat mixte d’aménagement et de gestion du parc naturel régional, posent problème.
Les parcs naturels régionaux ont à connaître des questions de climat et d’énergie, mais il ne serait pas raisonnable de déconnecter ces enjeux de l’échelon intercommunal, en particulier pour ce qui concerne l’énergie.
L’élaboration des PCAET à l’échelon intercommunal correspond à un objectif de rationalisation. Il ne me semble donc pas pertinent de multiplier les acteurs compétents en la matière.
En outre, l’article 27 du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages prévoit déjà que, lors de leur élaboration et de leur révision, l’ensemble des documents de planification relatifs au climat, à l’air ou aux énergies sont soumis pour avis au syndicat mixte d’aménagement et de gestion du parc naturel régional du territoire auquel ils s’appliquent.
Les parcs naturels régionaux seront donc, de fait, associés à l’élaboration ou à la révision des PCAET, ce qui garantit une prise en compte des enjeux spécifiques de ces territoires, sans complexifier le millefeuille des compétences.
Je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements ; sinon, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Comme M. le rapporteur pour avis, je demande également le retrait de ces amendements, lesquels sont finalement satisfaits : il ne faut pas faire de confusion entre la compétence et l’appui technique ou intellectuel.
La compétence doit rester aux élus, aux EPCI, parce que ce sont eux qui vont avoir la responsabilité d’élaborer les schémas – ils sont bien au clair sur la réalité de leur territoire – et ensuite de les appliquer. En revanche, rien ne les empêche d’obtenir l’appui des équipes techniques des parcs pour les aider à réaliser ces schémas – et c'est bien évidemment ce qui va se passer ! –, mais nul besoin de l’inscrire dans la loi, ce point sera éclairci au cours des débats.
Si vous transférez jusqu’à la compétence politique et juridique aux parcs, alors que ceux-ci n’ont pas forcément le même territoire que les EPCI – certains parcs sont interrégionaux, d’autres interdépartementaux, et d’autres encore ne visent que certaines communes des EPCI –, cela risque de conduire à un système de dérogations quelque peu complexe à gérer…
Mme la présidente. Monsieur Labbé, l'amendement n° 135 est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. Madame la ministre, avec tout le respect que je vous dois, je ne retirerai pas cet amendement, parce que ce sont aussi des élus qui pilotent les parcs naturels régionaux.
Prévoir une simple possibilité de transfert d’élaboration relève d’une question de volontarisme. Dans les territoires où les intercommunalités estiment qu’il est plus cohérent de confier cette mission au syndicat mixte du parc, elles peuvent le faire. Ce n’est pas un automatisme. Une telle mesure donnerait aussi de la force aux syndicats mixtes des parcs.
Je maintiens mon amendement, dont l’adoption n’entraînerait aucune complexification ; il s’agit plutôt d’une substitution.
Monsieur le rapporteur pour avis, par cet acte de volontarisme, nous ne multiplions pas les acteurs compétents : ceux qui ont la compétence peuvent la transférer à d’autres acteurs de leur territoire. Au contraire, cela constitue plutôt une mutualisation des moyens dans ce domaine.
Mme la présidente. Madame Giraud, l'amendement n° 132 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Éliane Giraud. J’irai dans le même sens que M. Labbé. Monsieur le rapporteur pour avis, les parcs ne constituent pas une couche supplémentaire : ce discours n’est pas acceptable ! Ce sont souvent des territoires où les décisions sont rationalisées. Il faut arrêter de dire que cela revient à ajouter une couche supplémentaire parce que ce n’est pas la réalité !
Par ailleurs, les parcs conduisent effectivement des politiques à la fois de préservation de l’environnement et de développement. Dans ce cadre, ils mènent des politiques en matière d’énergie qui portent notamment sur le bois, la forêt. Ils avaient pratiquement créé, imaginé ces plans climat-air-énergie. Désormais, ils n’auront plus la possibilité de les élaborer, car souvent, en milieu rural, les intercommunalités ne sont pas équipées.
Vous avez raison, madame la ministre, à propos de l’appui qui peut être apporté par l’équipe technique, mais il est vrai aussi qu’un parc naturel se dote d’une dynamique territoriale au travers des décisions de ses élus, notamment du conseil syndical.
M. Jacques Chiron. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 132 rectifié ter et 135.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 193 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Mézard, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 32
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ce programme d’actions tient compte des orientations générales concernant les réseaux d’énergie arrêtées dans le projet d’aménagement et de développement durables prévu à l’article L. 123–1–3 du code de l’urbanisme ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Conformément à l’article 56 du projet de loi, les PCAET comprendront un programme d’actions, afin notamment de développer de manière coordonnée des réseaux de distribution d’électricité, de gaz et de chaleur. Ce programme devra inclure, en particulier, la réalisation d’un schéma directeur lorsqu’un EPCI, ou l’un des établissements membres du pôle d’équilibre territorial et rural chargé d’élaborer le PCAET, exerce la compétence en matière de réseaux de chaleur et de froid.
Or, en vertu de l’article 56 bis, les réseaux d’énergie devront également être pris en compte dans les orientations générales fixées par les projets d’aménagement et de développement durables, les PADD.
Afin d’établir une articulation entre ces deux documents de planification et de prévenir des risques d’incohérence, il convient de préciser que les programmes d’actions des PCAET devront tenir compte des orientations générales concernant les réseaux d’énergie figurant dans les PADD.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Dans la mesure où l’article 56 bis prévoit que le PADD arrête les orientations générales concernant les réseaux d’énergie, cet amendement tend, par cohérence, à permettre que le programme d’actions prévu par le PCAET en tienne compte. Il est excellent, particulièrement pertinent. La commission y est favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 297 rectifié, présenté par M. Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
Alinéa 46
1° II bis (Non modifié)
Supprimer les mots :
et au 11° du II de l’article L. 5218-7
2° II quinquies (Non modifié)
Supprimer ce paragraphe.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les articles 17 decies et 17 septdecies du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, adopté le 2 juillet dernier par l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 56, modifié.
(L'article 56 est adopté.)
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Article 56 bis B
(Non modifié)
Après l’article L. 211-5 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 211-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-5-1. – Des organismes d’animation territoriale appelés “agences locales de l’énergie et du climat” peuvent être créés par les collectivités territoriales et leurs groupements. Leur objet consiste à conduire en commun des activités d’intérêt général favorisant, au niveau local, la mise en œuvre de la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre des objectifs définis au plan national. Ces agences travaillent en complémentarité avec les autres organismes qui œuvrent pour la transition énergétique. » – (Adopté.)
Article 56 bis
(Non modifié)
I. – L’article L. 123-1-3 du code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, après le mot : « déplacements, », sont insérés les mots : « les réseaux d’énergie, » ;
2° (Supprimé)
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 56 bis.
(L'article 56 bis est adopté.)
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Article 57 ter
(Non modifié)
La section 1 du chapitre II du titre II du livre II du code de l’environnement est complétée par un article L. 222-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-3-1. – Le représentant de l’État dans la région et le président du conseil régional élaborent conjointement un schéma régional biomasse qui définit, en cohérence avec le plan régional de la forêt et du bois et les objectifs relatifs à l’énergie et au climat fixés par l’Union européenne, des objectifs de développement de l’énergie biomasse. Ces objectifs tiennent compte de la quantité, de la nature et de l’accessibilité des ressources disponibles ainsi que du tissu économique et industriel. Les objectifs incluent les sous-produits et déchets dans une logique d’économie circulaire.
« Le schéma veille à atteindre le bon équilibre régional et la bonne articulation des différents usages du bois afin d’optimiser l’utilisation de la ressource dans la lutte contre le changement climatique.
« Le schéma s’appuie notamment sur les travaux de l’Observatoire national des ressources en biomasse.
« Le premier schéma régional biomasse est établi dans les dix-huit mois suivant la promulgation de la loi n° … du … relative à la transition énergétique pour la croissance verte et fait par la suite l’objet d’une évaluation et d’une révision dans les mêmes conditions que le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie, dont il constitue un volet annexé.
« Un décret fixe les modalités d’articulation entre les schémas régionaux biomasse et la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse mentionnée à l’article L. 211-8 du code de l’énergie. » – (Adopté.)
Article 57 quater
I. – La section 6 du chapitre IV du titre II du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Énergie » ;
2° Il est ajouté un article L. 2224-39 ainsi rédigé :
« Art. L. 2224-39. – I. – Une commission consultative est créée entre tout syndicat exerçant la compétence mentionnée au deuxième alinéa du IV de l’article L. 2224-31 et l’ensemble des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre totalement ou partiellement inclus dans le périmètre du syndicat. Cette commission créée par l’organe délibérant du syndicat coordonne l’action de ses membres dans le domaine de l’énergie, met en cohérence leurs politiques d’investissement et facilite l’échange de données.
« La commission comprend un nombre égal de délégués du syndicat et de représentants des établissements publics de coopération intercommunale. Chacun de ces établissements dispose d’au moins un représentant.
« Elle est présidée par le président du syndicat ou son représentant et se réunit au moins une fois par an, à l’initiative de son président ou de la moitié au moins de ses membres.
« Un membre de la commission consultative, nommé parmi les représentants des établissements publics de coopération intercommunale, est associé à la représentation du syndicat à la conférence départementale mentionnée au troisième alinéa du I du même article L. 2224-31.
« Après la création de la commission, le syndicat peut assurer, à la demande et pour le compte d’un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre membres de cette commission, la réalisation d’actions dans le domaine de l’efficacité énergétique.
« II à IV. – (Supprimés) »
I bis. – (Non modifié) La commission consultative prévue à l’article L. 2224-39 du code général des collectivités territoriales est créée avant le 1er janvier 2016. À défaut, et jusqu’à ce que cette commission soit créée, le syndicat mentionné au même article L. 2224-39 ne peut exercer les compétences mentionnées aux articles L. 2224-33, L. 2224-36 et L. 2224-37 du même code.
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. L'amendement n° 77 rectifié, présenté par MM. Commeinhes et Vogel, Mme Mélot, M. Lefèvre, Mme Deromedi et M. Pierre, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 11
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2224-39. – Une commission consultative de la coordination des réseaux de distribution d’énergie est créée à l’échelle départementale. Elle réunit les autorités organisatrices de distribution de l’électricité, du gaz et de la chaleur dont le territoire est totalement ou partiellement inclus dans le périmètre du département. Cette commission met en cohérence les politiques énergie de ces membres, coordonne leurs actions dans le domaine de la distribution d’énergie et facilite l’échange de données.
« Les modalités de fonctionnement de cette commission consultative sont définies par décret. »
La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Cet amendement tend à ce que la commission consultative soit créée à une échelle territoriale pertinente et à s’assurer de la présence et de la participation à cette instance de toutes les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, de gaz et de chaleur, sans distinction d’énergie. En outre, les modalités d’organisation et de composition de cette commission sont renvoyées à un décret d’application.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. L’article 57 quater vise à garantir la coordination entre les syndicats d’énergie et les EPCI chargés d’élaborer un plan climat-air-énergie territorial. L’organisation des réseaux de gaz et de chaleur sera intégrée aux activités de la commission en fonction des territoires, si le syndicat d’énergie ou les EPCI membres sont autorités organisatrices de ces réseaux.
La coordination sera ainsi plus opérationnelle si elle est adossée au syndicat d’énergie, acteur de référence pour l’organisation de la distribution, plutôt qu’à une commission départementale ad hoc, disjointe de toute institution et de toute programmation, et qui ne correspond pas nécessairement à l’organisation de l’énergie dans tous les territoires.
Le présent amendement tend par ailleurs à supprimer la représentation des EPCI à la conférence de programmation des investissements en matière de réseau d’électricité, ainsi que la possibilité de confier au syndicat des actions en matière d’efficacité énergétique.
Enfin, il vise à renvoyer la définition du fonctionnement de cette commission à un texte d’application. Or cela complexifie la mise en place du dispositif puisque, dans sa rédaction actuelle, l’article est d’application directe.
Pour toutes ces raisons, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. J’ai le même avis que M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. En effet, s’il est vrai qu’il est toujours intéressant de créer des commissions, il ne semble en revanche pas pertinent d’imposer une telle instance à l’échelon départemental, bien que la faculté demeure. Les commissions consultatives, qui réunissent l’ensemble des acteurs locaux de la distribution d’énergie, peuvent aussi être mises en place à l’échelon intercommunal.
Ainsi, comme précédemment, je pense qu’il faut maintenir la cohérence et la proximité avec les territoires.
Mme la présidente. Monsieur Pierre, l'amendement n° 77 rectifié est-il maintenu ?
M. Jackie Pierre. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 77 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 57 quater.
(L'article 57 quater est adopté.)
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Article 59
(Non modifié)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour mener à bien un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents ou de dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies. Ces mesures sont adoptées pour une durée de quatre ans à compter de la publication de l’ordonnance et peuvent être renouvelées une fois pour la même durée.
Ce déploiement est organisé conjointement par le gestionnaire de réseau, les autorités organisatrices des réseaux publics de distribution et les autres collectivités publiques compétentes en matière d’énergie concernés.
Cette expérimentation est menée dans un nombre limité de régions ou d’ensembles de départements déterminés par le ministre chargé de l’énergie, sur proposition des gestionnaires de réseaux ou des collectivités publiques mentionnés au deuxième alinéa du présent article, compte tenu de l’environnement industriel et de la pertinence technique d’un déploiement expérimental dans les territoires considérés.
La mise en œuvre de ce déploiement expérimental se déroule en coordination avec le gestionnaire du réseau public de transport, en ce qui concerne les mécanismes qu’il met en œuvre au titre des articles L. 321-9 à L. 321-16 du code de l’énergie.
Dans le cadre de ce déploiement expérimental, la Commission de régulation de l’énergie approuve les règles particulières relatives aux conditions d’accès aux réseaux et à leur utilisation.
Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi. Pour chaque ordonnance, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de sa publication.
Mme la présidente. L'amendement n° 121, présenté par MM. Mézard, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Ces dispositifs de gestion optimisée de l’énergie peuvent inclure l’optimisation globale des réseaux électriques et de gaz naturel.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 59 du projet de loi renvoie à une ordonnance le soin de prendre des mesures pour déployer de manière expérimentale des réseaux électriques intelligents ou des dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies. Ces mesures sont d’autant plus nécessaires que le texte prévoit la montée en puissance des énergies renouvelables dont l’intermittence devra être finement pilotée.
À ce titre, les réseaux de gaz naturel représentent un fort potentiel de stockage des énergies renouvelables par la transformation d’électricité en gaz et inversement, à travers le recours à l’hydrogène.
Toutefois, si l’hydrogène permet de stocker par électrolyse l’électricité produite en surplus, puis de la restituer dans le réseau lorsque la demande en électricité augmente à l’aide d’une pile à combustible, il serait également intéressant d’injecter l’hydrogène directement dans le réseau gazier pour le valoriser dans le cadre d’autres usages tels que le carburant ou le chauffage.
C’est la raison pour laquelle le présent amendement vise à préciser que les dispositifs de gestion optimisée peuvent aussi inclure l’optimisation globale des réseaux de gaz naturel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Cher collègue, je partage tout à fait votre objectif ; les dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies prévus par le présent article doivent en effet intégrer l’optimisation globale des réseaux électriques et de gaz naturel.
Néanmoins, il ne me semble pas nécessaire de le spécifier dans le texte pour que cela soit possible. Ces dispositifs d’optimisation globale des réseaux électriques et de gaz sont l’une des modalités possibles des dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies.
Autrement dit, vous avez déjà satisfaction. Aussi, je vous invite à retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Requier, l'amendement n° 121 est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 121 est retiré.
Je mets aux voix l'article 59.
(L'article 59 est adopté.)
Article 60
I. – Le titre II du livre Ier du code de l’énergie est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« La protection des consommateurs en situation de précarité énergétique
« Art. L. 124-1. – Le chèque énergie est un titre spécial de paiement permettant aux ménages dont le revenu fiscal de référence est, compte tenu de la composition du ménage, inférieur à un plafond d’acquitter tout ou partie du montant des dépenses d’énergie relatives à leur logement ou des dépenses qu’ils assument pour l’amélioration de la qualité environnementale ou la capacité de maîtrise de la consommation d’énergie de ce logement comprises parmi celles mentionnées à l’article 200 quater du code général des impôts.
« Le chèque énergie est émis et attribué à ses bénéficiaires par l’Agence de services et de paiement mentionnée à l’article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime, qui en assure le remboursement aux personnes et organismes définis par décret en Conseil d’État. Les fournisseurs et les distributeurs d’énergie, les gestionnaires des logements-foyers mentionnés à l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation qui font l’objet de la convention prévue à l’article L. 353-1 du même code et les professionnels ayant facturé les dépenses d’amélioration de la qualité environnementale ou de maîtrise de la consommation des logements sont tenus d’accepter ce mode de règlement.
« Le chèque énergie est accompagné d’une notice d’information et de conseils en matière d’efficacité et de bonne gestion énergétiques du logement et des appareils électriques.
« L’administration fiscale constitue un fichier établissant une liste des personnes remplissant les conditions prévues au premier alinéa du présent article et mentionnant le montant de l’aide dont elles peuvent bénéficier. Ce fichier est transmis à l’Agence de services et de paiement afin de lui permettre d’adresser aux intéressés le chèque énergie. L’agence préserve la confidentialité des informations qui lui sont transmises.
« Les occupants des résidences sociales mentionnées à l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation qui font l’objet de la convention prévue à l’article L. 353-1 du même code bénéficient, lorsqu’ils n’ont pas la disposition privative, au sens de la taxe d’habitation, de la chambre ou du logement qu’ils occupent, d’une aide spécifique. Cette aide est versée par l’Agence de services et de paiement au gestionnaire de la résidence sociale, à sa demande, lequel la déduit, sous réserve des frais de gestion, du montant des redevances quittancées.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article.
« Ce décret définit les conditions d’une mise en œuvre progressive du chèque énergie, en vue de sa généralisation qui intervient au plus tard au 1er janvier 2018. Il désigne les territoires sur lesquels le chèque énergie est mis en place à titre expérimental, en remplacement des tarifs spéciaux prévus aux articles L. 337-3 et L. 445-5, afin, notamment, de définir les meilleures modalités de mise en œuvre permettant d’optimiser l’utilisation du chèque énergie par ses bénéficiaires. L’État peut autoriser, dans le cadre de cette expérimentation, l’utilisation du chèque énergie pour l’achat d’équipements électriques, lorsque le remplacement d’un ancien équipement permet un gain substantiel de performance énergétique. Dans un délai de trois mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation.
« Art. L. 124-2. – Le chèque énergie comporte, lors de son émission, une valeur faciale modulée en fonction du nombre de membres et des revenus du ménage. Il est nominatif et sa durée de validité est limitée. Cette durée de validité est différente selon que le chèque énergie est utilisé pour acquitter des factures d’énergie relatives au logement ou des dépenses d’amélioration de la qualité environnementale ou de maîtrise de la consommation d’énergie du logement mentionnées à l’article L. 124-1.
« Les caractéristiques du chèque énergie, en tant que titre spécial de paiement, sont déterminées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie, des affaires sociales et de l’économie.
« Art. L. 124-3. – Les chèques qui n’ont pas été présentés au remboursement avant la fin du deuxième mois suivant l’expiration de leur durée de validité sont définitivement périmés.
« Art. L. 124-4. – Les dépenses et les frais de gestion supportés par l’Agence de services et de paiement sont financés notamment par une part des contributions dues par les fournisseurs de gaz naturel mentionnées à l’article L. 121-37 et par le budget de l’État.
« Les parts des contributions prévues au premier alinéa du présent article sont fixées par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget, en tenant compte de la part respective de l’électricité, du gaz naturel et des autres énergies dans la consommation finale d’énergie résidentielle. »
II. – Le chapitre Ier du titre II du livre Ier du même code est ainsi modifié :
1° Le 1° de l’article L. 121-8 est complété par les mots : « , ainsi qu’une part du coût de financement et de gestion du dispositif d’aide à certains consommateurs d’énergie prévu à l’article L. 124-1 fixée par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget » ;
2° et 3° (Supprimés)
4° Le 10° du II de l’article L. 121-32 est complété par les mots : « et la prise en charge d’une part du coût de financement et de gestion du dispositif d’aide à certains consommateurs d’énergie mentionné à l’article L. 124-1 fixée par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget » ;
5° À l’article L. 121-35, les mots : « assignées aux fournisseurs de gaz naturel » et les mots : « à un tarif spécial de solidarité » sont supprimés ;
6° Le 1° de l’article L. 121-36, dans sa rédaction résultant de l’article 7 bis de la présente loi, est complété par les mots : « , ainsi qu’une part des dépenses et des frais de gestion supportés par l’Agence de services et de paiement » ;
7° L’article L. 121-37 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La Caisse des dépôts et consignations verse, chaque année, à l’Agence de services et de paiement les parts de ces contributions arrêtées par les ministres chargés de l’énergie et du budget, conformément à l’article L. 124-4. » ;
8° À l’article L. 121-40, les mots : « de la différence devant être versée » sont remplacés par les mots : « du montant devant être versé ».
III. – À compter de la date fixée par le décret mentionné à l’article L. 124-1 du code de l’énergie et au plus tard à compter du 31 décembre 2018 :
1° L’avant-dernier alinéa de l’article L. 121-5 du code de l’énergie est supprimé ;
2° Au début du 1° de l’article L. 121-8 du même code, dans sa rédaction résultant du II du présent article, les mots : « Les pertes de recettes et les coûts supportés par les fournisseurs d’électricité en raison de la mise en œuvre de la tarification spéciale dite produit de première nécessité mentionnée à l’article L. 337-3, ainsi qu’ » sont supprimés ;
3° (Supprimé)
3° bis Au 3° du même article L. 121-8, dans sa rédaction résultant du II bis de l’article 7 bis de la présente loi, la référence : « L. 337-3-1 » est remplacée par la référence : « L. 124-5 » ;
4° Au début du 10° du II de l’article L. 121-32 du même code, dans sa rédaction résultant du II du présent article, les mots : « La fourniture de gaz naturel au tarif spécial de solidarité mentionné à l’article L. 445-5 du présent code et » sont supprimés ;
5° Au 1° de l’article L. 121-36 du même code, dans sa rédaction résultant de l’article 7 bis de la présente loi et du II du présent article, les mots : « les pertes de recettes et les coûts supportés par les fournisseurs de gaz naturel en raison de la mise en œuvre du tarif spécial de solidarité mentionné à l’article L. 445-5, ainsi qu’ » sont supprimés ;
5° bis Au 2° du même article L. 121-36, dans sa rédaction résultant du V de l’article 7 bis de la présente loi, la référence : « L. 445-6 » est remplacée par la référence : « L. 124-5 » ;
5° ter Le chapitre IV du titre II du livre Ier du même code, tel qu’il résulte du I du présent article, est complété par un article L. 124-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 124-5. – Pour les consommateurs domestiques bénéficiant de l’aide prévue au présent chapitre, la mise à disposition des données de comptage en application des articles L. 341-4 et L. 453-7 s’accompagne d’une offre, par les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel, de transmission des données de consommation, exprimées en euros, au moyen d’un dispositif déporté. Pour les consommateurs d’électricité, ce dispositif permet un affichage en temps réel.
« La fourniture de ces services et de ces dispositifs ne donne pas lieu à facturation.
« Un décret précise les modalités d’application du présent article, qui doivent tenir compte du déploiement des dispositifs prévus au premier alinéa des articles L. 341-4 et L. 453-7. » ;
5° quater Au troisième alinéa de l’article L. 341-4 du même code, dans sa rédaction résultant du II de l’article 7 bis de la présente loi, la référence : « L. 337-3-1 » est remplacée par la référence : « L. 124-5 » ;
5° quinquies Au troisième alinéa de l’article L. 453-7 du même code, dans sa rédaction résultant du IV de l’article 7 bis de la présente loi, la référence : « L. 445-6 » est remplacée par la référence : « L. 124-5 » ;
6° Les articles L. 337-3, L. 337-3-1, L. 445-5 et L. 445-6 du même code sont abrogés ;
7° À la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « L. 337-3 » est remplacée par la référence : « L. 124-1 » ;
8° Aux deuxième, cinquième et avant-dernier alinéas du III de l’article 1519 HA du code général des impôts, la référence : « L. 445-5, » est supprimée ;
9° Le I de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant des articles 42, 42 bis et 56 de la présente loi, est ainsi modifié :
a) Le quatrième alinéa est supprimé ;
b) Au huitième alinéa, le mot : « septième » est remplacé par le mot : « sixième » ;
c) (Supprimé)
d) Au dernier alinéa, les mots : « huitième et dixième » sont remplacés par les mots : « septième et neuvième » ;
10° Au 1° de l’article L. 111-61, au premier alinéa de l’article L. 322-8, à la première phrase de l’article L. 322-10, au premier alinéa de l’article L. 322-12, à l’article L. 432-4 et au premier alinéa des articles L. 432-8 et L. 432-9 du code de l’énergie, le mot : « septième » est remplacé par le mot : « sixième » ;
11° Au second alinéa de l’article L. 111-81 du même code, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;
12° Au premier alinéa de l’article L. 3232-2 du code général des collectivités territoriales, le mot : « huitième » est remplacé par le mot : « septième » ;
13° Au a du 2° du I de l’article 7 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, les mots : « huitième et dixième » sont remplacés par les mots : « septième et neuvième » ;
14° Le code de la consommation est ainsi modifié :
a) Le 16° de l’article L. 121-87 est ainsi rédigé :
« 16° Les conditions prévues à l’article L. 124-1 du code de l’énergie pour bénéficier du chèque énergie, ainsi que les modalités d’utilisation de ce chèque pour le paiement de la fourniture d’électricité ou de gaz naturel ; »
b) À l’article L. 121-92-1, les mots : « de la tarification spéciale “produit de première nécessité” de l’électricité ou du tarif spécial de solidarité du gaz naturel » sont remplacés par les mots : « du chèque énergie prévu à l’article L. 124-1 du code de l’énergie ».
IV et V. – (Non modifiés)
Mme la présidente. L'amendement n° 282, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
mentionnant le montant de l’aide
par les mots :
comportant les éléments nécessaires au calcul du montant de l’aide
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Cet amendement tend à préciser que l’administration fiscale ne calcule pas le montant du chèque énergie mais transmet les informations permettant de le déterminer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Il s’agit d’un amendement de précision qui vise surtout à se mettre en conformité avec l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. La commission des affaires économiques émet bien sûr un avis favorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 62, présenté par MM. Courteau, S. Larcher, Montaugé et Cabanel, Mme Lienemann, MM. Filleul, Cornano, Miquel et Poher, Mme Bataille, MM. M. Bourquin, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Rome et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Roux, Mme Claireaux, MM. Lalande et Manable, Mme Monier, M. Percheron, Mme Riocreux, M. Patient et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Remplacer le mot
notamment
par les mots
par une part des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité mentionnés à l’article L. 121-10,
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Cet amendement, de même que les amendements nos 63 et 64, était un amendement de coordination avec l’amendement n° 60, que nous avions déposé à l’article 50 mais qui n’a pas été adopté. Dès lors, ces trois amendements n’ont plus d’objet, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 62 n’a donc plus d’objet, de même que les amendements nos 63 et 64.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces deux derniers amendements.
L'amendement n° 63, présenté par MM. Courteau, S. Larcher, Montaugé et Cabanel, Mme Lienemann, MM. Filleul, Cornano, Miquel et Poher, Mme Bataille, MM. M. Bourquin, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Rome et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Roux, Mme Claireaux, MM. Lalande et Manable, Mme Monier, M. Percheron, Mme Riocreux, M. Patient et les membres du groupe socialiste et républicain, était ainsi libellé :
Alinéa 18, 2° et 3° (supprimés)
Rétablir ces alinéas dans la rédaction suivante :
2° Après le mot : « énergie », la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 121-13 est ainsi rédigée : « , les frais financiers définis à l’article L. 121-19 bis éventuellement exposés par les opérateurs mentionnés à l’article L. 121-10 et une part des dépenses et des frais de gestion supportés par l’organisme mentionné à l’article L. 124-1. » ;
3° L’article L. 121-16 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle verse à l’organisme mentionné à l’article L. 124-1 du présent code les parts des contributions mentionnées à l’article L. 124-4 arrêtées par les ministres chargés de l’énergie et du budget, le 1er janvier de chaque année. » ;
L'amendement n° 64, présenté par MM. Courteau, S. Larcher, Montaugé et Cabanel, Mme Lienemann, MM. Filleul, Cornano, Miquel et Poher, Mme Bataille, MM. M. Bourquin, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Rome et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Roux, Mme Claireaux, MM. Lalande et Manable, Mme Monier, M. Percheron, Mme Riocreux, M. Patient et les membres du groupe socialiste et républicain, était ainsi libellé :
Alinéa 28
Rétablir le 3° dans la rédaction suivante :
3° La seconde phrase du 2° du même article L. 121-8 est ainsi rédigée :
« Ces coûts font l’objet d’une compensation, totale ou partielle, par la contribution au service public de l’électricité, selon des modalités définies par décret. » ;
Je mets aux voix l'article 60, modifié.
(L'article 60 est adopté.)
Article 60 bis A
(Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, sur l'article.
M. Jean-Pierre Bosino. Vous le savez, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC sont opposés aux coupures d’eau – il s’agit, selon nous, d’un bien essentiel – et à toute forme de réduction du débit. Certes, dans la rédaction actuelle du texte, les familles en situation de précarité ne sont pas concernées par de telles mesures, et ce pour éviter les abus, comme le soulignait le député Brottes.
Nous avions déposé un amendement afin que ce mécanisme soit transposé à l’électricité, au gaz et à la chaleur, y compris en dehors de la trêve hivernale. Nous considérons en effet que, comme l’eau, l’énergie est, au sens du code de l’action sociale et des familles, un bien essentiel dont personne ne doit être privé, et ce tout au long de l’année.
Nous ne comprenons pas que cet amendement ait été déclaré irrecevable au titre de la règle de l’entonnoir, et nous le regrettons. Le lien avec le texte est pourtant évident. En outre, l’article L. 115-3 du code précité modifié par l’article 60 bis A fait notamment référence à l’eau, à l’énergie et aux services de téléphonie.
Il nous semble qu’il s’est agi d’une volonté d’éviter un débat pourtant essentiel pour nos concitoyens. Il est regrettable de se cacher derrière des arguments de procédure pour éviter de prendre ses responsabilités. Cela ne fait pas honneur à notre rôle de parlementaire, et c’est d’autant plus regrettable que les tarifs de l’électricité vont encore augmenter.
En effet, alors que le Gouvernement voulait empêcher de nouvelles hausses des tarifs, le Conseil d'État vient de donner raison à EDF, dont l’État est pourtant actionnaire à hauteur de près de 85 % – on nous avait pourtant assez dit qu’un pôle public de l’énergie n’était pas nécessaire puisque l’État est actionnaire de ses grandes entreprises. Cette décision permettra ainsi à EDF d’appliquer une augmentation supplémentaire des tarifs aux usagers. Les lettres informant ces derniers commencent à arriver et mentionnent parfois des montants très élevés…Preuve, s’il en était besoin, que le contrôle de l’État, que vous prônez, ne suffit pas.
C’est pourquoi nous continuons de porter l’exigence d’une maîtrise publique de l’énergie, seule garante de l’intérêt général et de l’égalité de tous sur le territoire.
Mme la présidente. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Revet, Mme Canayer, MM. Huré, Chaize, P. Leroy, D. Laurent, Pierre, Mandelli, Kennel et Bouchet, Mme Deroche et MM. Savin et Reichardt, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article, et à l’exclusion des branchements alimentant plusieurs logements d’un immeuble collectif d’habitation. »
II. – Après l’article L. 2224-12-2-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2224-12-2-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2224-12-2-… – Les agents du service d’eau potable ont accès aux propriétés privées pour procéder aux réductions de débit prévues par l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles. Ce droit d’accès s’exerce en présence de l’occupant ou de son représentant, et avec son accord. Lorsque l’occupant n’autorise pas l’accès ou en cas de modification frauduleuse du système de réduction de débit, le service d’eau potable peut procéder à la fermeture du branchement. »
La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Le présent amendement vise à rétablir, en la complétant, la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale de l’article 60 bis A, autorisant les réductions de débit en cas de facture impayée par l’abonné du service d’eau potable, y compris à l’égard de la résidence principale, à l’exclusion toutefois de celle des personnes et familles en situation de précarité. Les personnes visées par les réductions du débit d’eau potable sont ainsi uniquement les mauvais payeurs en situation irrégulière non justifiée.
Techniquement, l’intervention entraînant une réduction de débit consiste à poser un petit dispositif, appelé généralement « pastille » ou « lentille », qui limite le diamètre du branchement des abonnés concernés de façon à maintenir leur alimentation en eau potable, mais avec une pression et un débit restreints.
Il est important de relever que l’adoption du présent amendement ne contraindrait pas les collectivités et les services publics d’eau potable à procéder à ces réductions de débit ; il s’agirait seulement d’en laisser la possibilité aux collectivités qui le souhaitent, puisque les modalités d’organisation du service public d’eau potable sont définies à l’échelon local.
Par ailleurs, cet amendement vise à compléter le texte adopté par l’Assemblée nationale sur deux autres points également importants.
Tout d’abord, il est précisé que la mise en œuvre de réductions de débit est exclue dans le cas des immeubles collectifs d’habitation. Lorsque la facture d’eau correspondant à un tel immeuble n’est pas payée, c’est le syndic de la copropriété ou le gestionnaire de l’immeuble qui doit faire l’objet de procédures de recouvrement et, le cas échéant, de sanctions, mais les occupants de l’immeuble ne sont pas directement responsables.
Ensuite, la pastille ou la lentille réduisant le débit d’un branchement ne peut très souvent être mise en place qu’en accédant aux parties privatives d’un terrain ou d’un immeuble. Une habilitation législative autorisant l’accès doit donc être attribuée aux agents du service public d’eau potable pour leur permettre de réaliser ce type d’intervention.
Toutefois, comme toute personne a droit au respect de sa vie privée et de son domicile sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il est proposé de laisser un choix à l’abonné visé par une mesure de réduction de débit : soit il laisse l’agent du service d’eau potable pénétrer dans sa propriété pour procéder à la réduction de débit, soit il refuse l’accès et il peut se voir appliquer une coupure d’eau. La même mesure de coupure est prévue lorsque le système de réduction de débit mis en place par le service d’eau est modifié sans autorisation.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, seuls les mauvais payeurs sont visés, c'est-à-dire les personnes qui ont les moyens de payer, mais qui, sachant que l’eau ne peut leur être coupée, profitent allègrement de la situation.
M. Jean-Claude Requier. Vous avez bien raison !
M. Charles Revet. J’ai récemment rencontré un collègue responsable d’un syndicat d’eau qui a voulu appliquer cette disposition dans sa collectivité, et le nombre de personnes n’acquittant pas leur facture d’eau a doublé en un an !
M. Hervé Maurey. Tout à fait !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Mon cher collègue, la commission souhaite que vous apportiez deux modifications importantes à cet amendement et s’en remettra, sous cette réserve, à la sagesse du Sénat.
Elle vous demande d’abord de supprimer le paragraphe II, qui est inutile ; effectivement, il est flagrant que les services d’eau ne peuvent s’introduire dans un domicile privé qu’avec l’accord des occupants. La loi n’a donc pas à le préciser.
La commission vous demande également de supprimer la fin de la première phrase du I. Il est bien évident que l’on ne peut pas réduire le débit d’eau dans tous les logements d’un immeuble collectif sous prétexte qu’il y a un mauvais payeur parmi les habitants.
Pour le reste, le I vise à rétablir la possibilité de réduction de débit en cas d’impayés, introduite en nouvelle lecture par les députés. Nous avions un doute sur cette possibilité. Or, d’après les informations qui me sont parvenues, non seulement de telles réductions de débit sont possibles, mais elles se pratiquent d’ores et déjà.
M. Hervé Maurey. Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est notamment le cas sur le territoire du Grand Lyon, où la réduction de débit est pratiquée depuis dix-sept ans, les compteurs d’eau étant équipés pour ce faire. Environ 1 700 réductions de débit y seraient effectuées chaque année, généralement pour des durées courtes.
Si une telle réduction est possible, il pourrait être utile que la loi le précise explicitement.
Cela dit, madame la ministre, la commission en a longuement débattu, car un doute existe sur la constitutionnalité de la première partie du I, même si de telles réductions de débit se pratiquent déjà sur certaines parties du territoire national.
C'est la raison pour laquelle la commission a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat sur les éléments de votre amendement dont nous n’avons pas sollicité la suppression, mon cher collègue.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Monsieur le sénateur, je comprends bien la préoccupation qui est la vôtre.
Néanmoins, le dispositif que vous proposez paraît très compliqué à mettre en place.
D'abord, il porterait atteinte à la vie privée, parce qu’il obligerait à entrer dans les domiciles.
Ensuite, comment adapter la diminution du débit d’eau ? En fonction de la taille de la famille ? Y aurait-il un quota de débit d’eau par enfant ? Cela me semble totalement impraticable.
Par ailleurs, un élément nouveau est intervenu depuis que nous avons commencé à débattre du présent projet de loi, puisque le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 mai 2015, a jugé parfaitement conforme à la Constitution l’interdiction des coupures d’eau pour factures impayées lorsqu’il s’agit de résidences principales. Le dispositif est donc maintenant bien calibré.
Au surplus, il y a des moyens de recouvrer un impayé.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Revet, acceptez-vous de rectifier l’amendement n° 20 rectifié dans le sens suggéré par M. le rapporteur ?
M. Charles Revet. Je répondrai tout d’abord à Mme la ministre, madame la présidente.
Madame la ministre, il n’est pas question de rationner l’eau en comptant le nombre d’enfants au foyer ; il s’agit simplement de doter les responsables des collectivités d’un moyen dissuasif à l’égard des mauvais payeurs, qui ont les moyens de payer, mais entendent profiter de l’interdiction des coupures d’eau, que tout un chacun peut invoquer. Ce genre de situation ne manque jamais d’attirer les profiteurs…
S’ils disposaient au moins de cette possibilité, les responsables de collectivités pourraient ainsi inciter les mauvais payeurs à accepter de payer et en limiteraient probablement le nombre.
Certes, il existe des moyens de recouvrement, mais ils sont toujours très lourds à mettre en œuvre. (Mme la ministre manifeste son scepticisme.)
Bien entendu, le dispositif que nous proposons ne concernera pas les familles nombreuses, modestes ou en difficulté. Et la collectivité n’aura pas d’obligation de l’appliquer : elle n’y aura recours à l’égard d’un mauvais payeur qu’en dernière nécessité.
Cela étant, j’accepte la rectification suggérée par M. le rapporteur, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 20 rectifié bis, présenté par M. Revet, Mme Canayer, MM. Huré, Chaize, P. Leroy, D. Laurent, Pierre, Mandelli, Kennel et Bouchet, Mme Deroche et MM. Savin et Reichardt, et ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article. »
La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. Nous sommes défavorables à tout amendement visant à permettre que soit procédé à une réduction du débit de l’eau, tout comme nous étions défavorables, en première lecture, à l’amendement qui avait pour objet de permettre des coupures d’eau, d’autant plus que, d’après les informations dont nous disposons, la mesure ne serait techniquement applicable que dans 20 % des cas.
Par ailleurs, de telles réductions de débit ne pourraient avoir lieu dans les immeubles collectifs, pour des raisons qui ne sont pas difficiles à comprendre.
M. Michel Le Scouarnec. Très bien !
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Roland Courteau. Bref, l’adoption de cet amendement conduirait à une totale inégalité de traitement face à la loi.
En outre, même si les auteurs de l’amendement prévoient que la mesure ne concernera pas les personnes en situation de précarité, certaines familles en difficulté pourraient être frappées, les distributeurs d’eau ne les connaissant pas toutes.
MM. Daniel Chasseing et Charles Revet. Non !
M. Roland Courteau. En effet, toutes les personnes en difficulté ne figurent pas sur les listes de bénéficiaires de dispositifs sociaux, sans compter celles qui sont victimes de ce que l’on appelle « les accidents de la vie », comme le chômage ou le divorce, qui les plongent du jour au lendemain dans la précarité.
Que ces personnes puissent être sanctionnées et voir leur débit d’eau réduit est bien la preuve qu’il faut un véritable bouclier social dès lors qu’il s’agit du maintien d’un bien de première nécessité. En l’occurrence, le meilleur bouclier, c’est de ne pas mettre en œuvre un tel dispositif et d’en rester à la loi d’avril 2013, qui, comme l’a rappelé Mme la ministre, vient d’être confortée par le Conseil constitutionnel.
Au reste, je veux dire à ceux de nos collègues qui disent craindre une ruée de mauvais payeurs qu’il n'y aura pas davantage d’effet d’aubaine pour l’eau qu’il n’y en a avec la trêve hivernale pour l’électricité !
Par ailleurs, a-t-on mesuré les conséquences d’une réduction de pression et de débit sur le fonctionnement d’un chauffe-eau ou d’une douche pour les familles nombreuses ? Celles-ci devront-elles remplir des bassines et des casseroles à l’avance ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
MM. Didier Guillaume et M. Jacques Chiron. Il a raison !
M. Michel Le Scouarnec. Oui !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Roland Courteau. Bref, nous maintenons que la réduction du débit est une humiliation, au même titre qu’une coupure d’eau, et nous nous opposons à cet amendement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jackie Pierre, pour explication de vote.
M. Jackie Pierre. Contrairement à ce que vient de déclarer mon collègue et ami Roland Courteau, je trouve que la gestion de nos collectivités et surtout des syndicats qui les alimentent en eau risquent de pâtir de la situation actuelle. Je suis favorable à ce que l’on institue une possibilité de recours.
Je me souviens qu’il y a quelques mois, dans cette même enceinte, nous avions voté un amendement présenté par M. Cambon et, si mes souvenirs sont exacts, il avait reçu le soutien de Mme la ministre.
M. Hervé Maurey. Tout à fait !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jackie Pierre. Toutefois, quelques jours plus tard, Mme la ministre revenait sur le soutien qu’elle lui avait apporté publiquement ici.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas tout à fait la réalité…
M. Jackie Pierre. Aujourd'hui, les syndicats qui distribuent l’eau ou les communes qui le font directement ont l’obligation d’équilibrer leur budget.
Dès lors, ouvrir la possibilité de ne pas payer l’eau à ceux qui n’ont pas envie de la payer sans que l’on puisse procéder à une coupure marquerait vraiment une dégradation de notre système : la légalité ne serait plus respectée.
Cette possibilité me semble véritablement aller à l’encontre de la bonne gestion de nos collectivités – mais ce n’est pas étonnant de la part de certains… Pour ma part, je la trouve ridicule ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Je voterai donc cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler à mon tour qu’en première lecture nous avions voté un amendement, présenté par M. Cambon, visant à ce que l’interdiction de couper l’eau s’applique uniquement à « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence. »
Cet amendement, qui avait recueilli, ici, un avis favorable du rapporteur et du Gouvernement, n’a pas survécu à l’Assemblée nationale, où, sur l’initiative de M. Brottes, président socialiste de la commission spéciale, un autre amendement a été adopté, tendant à substituer à ce dispositif de coupure un dispositif de limitation du débit, c'est-à-dire de mise en place d’un filet d’eau.
En supprimant l’article 60 bis A, la commission des affaires économiques revient en fait à l’interdiction généralisée de couper l’eau, ce que je regrette.
M. Charles Revet. Oui !
M. Hervé Maurey. Je pense que cette interdiction généralisée, quelle que soit la situation patrimoniale ou de revenu des personnes concernées, n’est pas bonne, raison pour laquelle je voterai l’amendement de M. Revet.
Monsieur le rapporteur, la possibilité de limiter le débit n’existe pas qu’à Lyon ! Cela se fait depuis 2010 dans la ville de Bernay, que vous connaissez bien et dont j’ai l’honneur d’être maire, et cela se passe très bien.
Il est très important d’éviter une interdiction généralisée des coupures d’eau, car on voit bien, dans les communes comme Bernay, où le service de l’eau fonctionne en régie, que certaines personnes n’acquittent pas leurs factures, alors qu’elles pourraient le faire sans difficulté. Un tel dispositif constitue une incitation à ne pas payer ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Qui en ferait les frais ? Non seulement les collectivités territoriales et les syndicats d’eau, mais aussi ceux des usagers qui, eux, payent. (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Car il faut bien in fine répercuter les impayés, mes chers collègues, et sur qui donc, sinon les usagers qui acquittent leurs factures ?…
Ce n’est pas admissible !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Bosino. Je partage évidemment l’argumentation de M. Courteau.
De quoi parle-t-on ? Des personnes en difficulté ? Elles ne sont pas concernées par le dispositif ! Non, il s’agit ici de celles qui seraient de mauvaise foi.
Chers collègues, nous avons passé un temps considérable à débattre des professions réglementées lorsque nous avons examiné le « projet de loi Macron »… Les huissiers, cela vous dit quelque chose ? (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il est tout à fait possible de poursuivre par voie d’huissier un usager de mauvaise foi qui ne règle pas ses factures d’eau !
M. Daniel Gremillet. Le recouvrement est plus cher que les factures à recouvrer !
MM. Michel Raison et Rémy Pointereau. Et qui paie ?
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cela qui ruine les collectivités !
M. Jean-Pierre Bosino. Les moyens existent, notamment la saisie.
Il est indigne de priver d’eau des familles ou de réduire le volume de leur consommation. Je rejoins les interrogations de Mme la ministre : comment, concrètement, répartir la consommation d’eau restante entre les membres d’une même famille ? Celui qui pourra prendre une douche pourra-t-il aussi tirer la chasse d’eau ? Comment fait-on ?
Je pense que cette idée de réduire la consommation d’eau traduit, en fait, une volonté de punir.
Mme Françoise Gatel. Non !
M. Jean-Pierre Bosino. C’est intolérable !
M. Hervé Maurey. Zola est parmi nous…
M. Jean-Pierre Bosino. Supprime-t-on les feux rouges et les stops au prétexte que certains automobilistes ne les respectent pas ?
Mme Cécile Cukierman. On ne fait pas la loi en pensant à ceux qui ne la respecteront pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Chers collègues, il y a toujours eu des profiteurs, et nous disposons déjà des moyens de les identifier.
Les propos qui ont été tenus m’agacent et me laissent penser que, sur le plan de l’humanité, nous faisons un sacré bond en arrière ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Je suis d’accord avec mes collègues de gauche : nous devons traiter les accidentés de la vie de façon la plus humaine possible.
Cela étant, nous nous trompons ici de budgets : ces cas relèvent des budgets sociaux des communes, et non des budgets annexes, économiques, qui doivent être traités comme tels. (Absolument ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Si nous commençons à mélanger les budgets économiques et les budgets sociaux, nous allons couler nos collectivités ! (Tout à fait ! sur les mêmes travées.)
Chers collègues, nous sommes aussi humains que vous, mais peut-être sommes-nous de meilleurs gestionnaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. Ne nous donnons pas de leçons sur ce sujet.
Mes chers collègues, le gros problème des syndicats d’eau, aujourd'hui, ce sont les fuites. Certains syndicats perdent jusqu’à 40 % de leur eau à cause de ces fuites ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Bosino. Très bien !
M. Gérard Miquel. Certains de ces syndicats n’ont pas fait d’amortissement, alors que les réseaux doivent être renouvelés. C’est là qu’est le problème !
M. Michel Raison. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Miquel. Nous avons déjà la possibilité de poursuivre les mauvais payeurs s’ils disposent de revenus, et nous le faisons, avec succès, pour un certain nombre de services.
Dès lors, je ne vois pas pourquoi nous nous battons sur ce sujet, qui, à mon sens, n’en est pas un.
M. Jackie Pierre. Ce n’est plus la peine d’installer des compteurs, dans ces conditions !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Chers collègues, je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris la stratégie des auteurs de l’amendement.
Le droit actuel interdit toute coupure d’eau.
Nos collègues députés, à la suite de la manœuvre qu’a rappelée Hervé Maurey, ont introduit un dispositif amené à remplacer le droit en vigueur, que nous adoptions cet amendement ou non. L’article en question dispose : « Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article. »
Si j’ai bien compris, vous êtes d’accord avec le droit actuel qui exclut toute coupure, mais opposés au dispositif adopté par la majorité des députés.
M. Didier Guillaume. Ce ne serait pas la première fois !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Or, selon ces derniers, il doit être possible de « procéder à une réduction de débit ».
Stratégiquement parlant, si vous rejetez l’amendement ou toute modification, c’est le couperet : le dispositif adopté par l’Assemblée nationale l’emportera et l’interdiction des coupures sera levée.
M. Roland Courteau. Il s’agit non pas de coupure d’eau mais de réduction du débit !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. En adoptant une modification quelconque, ne serait-ce qu’à la marge, nous tendons une perche aux députés pour leur permettre de rectifier leur erreur.
Cela étant dit, je ne suis pas certain que la majorité de l’Assemblée nationale ait envie de corriger quoi que ce soit dans le texte qu’elle a adopté. À vous d’être aussi convaincants à l’égard des députés socialistes que vous l’avez été au mien, car ce sont bien ces députés qui ont introduit un droit de coupure qui n’existait pas en droit positif.
Charles Revet a accepté de modifier son dispositif en supprimant le II et une partie du I. Pourquoi ne pas adopter son amendement pour permettre aux députés de corriger ce qui est, à mon avis, une erreur ? Si nous ne faisons rien, ils n’auront aucune raison de se saisir de cet article. Nous sommes en dernière lecture, non en deuxième lecture, ce qui signifie que les députés ne seront de toute façon pas obligés de tenir compte de nos travaux d’aujourd’hui ; tendons-leur tout de même cette perche !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous ont souligné, à juste titre, que j’avais soutenu un amendement visant à autoriser les coupures d’eau.
Je n’ai aucune gêne à vous expliquer pourquoi j’avais adopté cette position avant d’avoir approfondi la question. Comme vous le savez, j’essaie de travailler de manière non sectaire, et couper l’eau quand elle n’est pas payée me paraissait de bon sens.
Au regard des réactions des associations de consommateurs, j’ai creusé la question et réalisé que ces coupures concerneraient principalement des familles très précaires. Or l’accès à l’eau est une condition fondamentale de l’hygiène de base. Couper l’eau à une famille en situation de précarité, c’est porter atteinte à la dignité humaine.
Par ailleurs, rien n’empêche que ces familles soient prises en charge par la suite. Des difficultés de paiement identifiées peuvent être à cet égard révélatrices d’un certain nombre de problèmes qui doivent être réglés autrement qu’en coupant l’eau.
Il peut également s’agir – le cas est très fréquent – de personnes venant d’emménager dans un logement dont le précédent locataire n’a pas réglé les factures d’eau. L’accès au réseau est donc coupé, en raison des impayés, et le nouveau locataire se retrouve sans eau.
Tout cela montre bien que le dispositif manquait de cohérence. J’ajouterai que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’interdiction des coupures et qu’il existe, comme pour toute créance, des mécanismes de recouvrement à l’égard des mauvais payeurs auxquels il est préférable de recourir.
Je voudrais enfin dire combien j’ai apprécié la réaction du sénateur Gérard Miquel. Nous sommes face à un scandale de gaspillage d’eau – qui plus est, d’eau traitée ! Dans certains territoires, deux litres sur trois d’eau traitée n’arrivent pas jusqu’au robinet en raison de fuites sur les réseaux. La question du gaspillage de l’eau…
M. Michel Raison. Cela n’a rien à voir !
M. Jackie Pierre. Ce n’est pas la question !
Mme Ségolène Royal, ministre. Si, c’est bien la question ! Le consommateur paie des redevances pour épurer l’eau qui est gaspillée, faute d’interventions nécessaires, le long des réseaux. Or la Caisse des dépôts et consignations a mis en place un crédit de 20 milliards d’euros pour la réalisation des travaux sur ces réseaux. Je reconnais que de tels travaux ne sont pas gratifiants, qu’ils sont difficiles à réaliser, qu’il faut creuser des tranchées, mais c’est bien là qu’est l’urgence au regard du gaspillage et du coût de l’eau. Cette enveloppe budgétaire de 20 milliards d’euros ne demande qu’à être utilisée. De tels travaux, qui sont de la responsabilité des communes, permettraient de faire baisser les redevances et donc les factures d’eau des consommateurs.
Le dispositif arrêté est cohérent. Le droit à l’eau est un droit à l’hygiène de base, notamment pour les familles nombreuses. Nous n’allons pas leur couper l’eau ! C’est une question de salubrité et de santé publiques. Les coupures d’électricité sont interdites pendant la trêve hivernale, en reconnaissance de la dignité de la personne humaine et de son droit de se nourrir, de se chauffer… Nous sommes dans la même logique.
J’ai étudié l’ensemble des rapports des associations de consommateurs, des associations caritatives, des associations d’élus : autoriser les coupures d’eau serait non seulement une erreur, mais aussi une atteinte à la liberté individuelle.
Par ailleurs, il s’agit d’une question très complexe : doit-on autoriser une ou deux douches par jour ? Et quid s’il s’agit de familles avec plusieurs enfants ? Une demi-douche ou un quart de douche par enfant ? Une chasse d’eau par jour et par personne ?
M. Didier Guillaume. Mme la ministre a raison, cela ne tient pas debout !
Mme Ségolène Royal, ministre. Une telle solution ne me paraît pas réalisable, même si j’en comprends l’idée, qui semble de bon sens : la mise en œuvre porterait atteinte à la dignité élémentaire de tout être humain et à son droit d’accéder à l’eau et donc à l’hygiène publique. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Cela fait maintenant de nombreuses minutes que nous discutons de ce sujet,…
M. Daniel Raoul. Le temps s’écoule aussi vite que l’eau !
M. Didier Guillaume. … et je ne suis pas persuadé que le Sénat soit plus éclairé pour autant.
La première loi Brottes, validée par le Conseil constitutionnel – je parle sous le contrôle du rapporteur – interdit les coupures d’eau. (M. le rapporteur approuve.)
Nous n’avons pas toujours été d’accord avec le président Brottes – je parle cette fois sous le contrôle de Daniel Raoul –, mais nous assumons notre position : nous sommes opposés, par principe, aux coupures d’eau. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC.)
Soit le rapporteur s’est mal exprimé, soit j’ai mal compris – et j’ai dû mal comprendre –, mais l’Assemblée nationale n’a pas voté en faveur des coupures d’eau : les députés ont adopté un dispositif autorisant la réduction du débit.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Dont acte, mon cher collègue, il s’agit effectivement de la réduction du débit d’eau.
M. Didier Guillaume. Ce point est très important ! Nous réaffirmons notre opposition fondamentale et de principe à la réduction du débit comme à la coupure d’eau.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. C’est clair !
M. Didier Guillaume. Mme la ministre et M. Miquel ont démontré qu’un tel dispositif était ingérable. La réduction du débit peut être envisageable dans le cadre de micro-expériences, mais pas à l’échelle de la Nation ! Et ce d’autant moins, comme l’a parfaitement souligné Mme la ministre, que les distributeurs disposent d’autres moyens, notamment en cas d’affermage ou de gestion en régie, comme c’est le cas dans votre commune, cher Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Nous savons en effet gérer de telles situations.
M. Didier Guillaume. M. Raison parlait voilà quelques instants de fonds sociaux et de fonds économiques. Nous connaissons tous ces questions ! Que l’on soit de gauche ou de droite, nous nous efforçons de gérer nos collectivités le mieux possible et il existe, à gauche comme à droite, des exemples de bonne et de mauvaise gestion !
Toujours est-il que nous nous opposons catégoriquement à la réduction du débit. Il existe d’autres moyens d’agir, à travers les centres communaux d’action sociale, les aides sociales, via les distributeurs ou les régies…
Mes chers collègues, si nous adoptions un mécanisme de réduction du débit, nous ne saurions plus où nous arrêter. Ce serait mettre le doigt dans un engrenage terrible, raison pour laquelle le groupe socialiste ne changera pas de position sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 60 bis A demeure supprimé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Article 60 bis
(Non modifié)
I. – Le premier alinéa de l’article L. 121-91 du code de la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Aucune consommation d’électricité ou de gaz naturel antérieure de plus de quatorze mois au dernier relevé ou autorelevé ne peut être facturée, sauf en cas de défaut d’accès au compteur, d’absence de transmission par le consommateur d’un index relatif à sa consommation réelle, après un courrier adressé au client par le gestionnaire de réseau par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou de fraude. »
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 60 bis.
(L'article 60 bis est adopté.)
Chapitre IV
Dispositions spécifiques aux outre-mer et aux autres zones non interconnectées
Article 61
(Non modifié)
I. – (Non modifié)
II. – Après l’article L. 141-4 du code de l’énergie, dans sa rédaction résultant de l’article 49 de la présente loi, il est inséré un article L. 141-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 141-5. – I. – La Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon font chacun l’objet d’une programmation pluriannuelle de l’énergie distincte, qui s’appuie sur le bilan prévisionnel mentionné à l’article L. 141-9 du présent code et fixe notamment la date d’application des obligations prévues aux articles L. 224-6 et L. 224-7 du code de l’environnement et les objectifs de déploiement des dispositifs de charge pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables, ainsi que les objectifs de développement des véhicules à faibles émissions définis au 1° de l’article L. 224-6 et au premier alinéa de l’article L. 224-7 du même code dans les flottes de véhicules publiques. Cette date d’application et ces objectifs sont établis de façon à maîtriser les impacts sur le réseau public de distribution électrique et à ne pas augmenter les émissions de gaz à effet de serre.
« Sauf mention contraire, cette programmation contient les volets mentionnés à l’article L. 141-2 du présent code, est établie et peut être révisée selon les modalités mentionnées aux articles L. 141-3 et L. 141-4.
« II. – Dans les collectivités mentionnées au I, à l’exception de la Corse, la programmation pluriannuelle de l’énergie constitue le volet énergie du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie, mentionné au 3° du I de l’article L. 222-1 du code de l’environnement. Dans les collectivités mentionnées au I du présent article, elle contient, outre les informations mentionnées au même I, des volets relatifs :
« 1° À la sécurité d’approvisionnement en carburants et à la baisse de la consommation d’énergie primaire fossile dans le secteur des transports ;
« 2° À la sécurité d’approvisionnement en électricité. Ce volet définit les critères de sûreté du système énergétique, notamment celui mentionné à l’article L. 141-7 du présent code. Pour la Guyane, il précise les actions mises en œuvre pour donner accès à l’électricité aux habitations non raccordées à un réseau public d’électricité ainsi que les investissements dans les installations de production d’électricité de proximité mentionnées à l’article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales ;
« 3° À l’amélioration de l’efficacité énergétique et à la baisse de la consommation d’électricité ;
« 4° Au soutien des énergies renouvelables et de récupération mettant en œuvre une énergie stable. La biomasse fait l’objet d’un plan de développement distinct qui identifie les gisements par type de biomasse valorisable et les actions nécessaires pour exploiter ceux pouvant faire l’objet d’une valorisation énergétique, tout en limitant les conflits d’usage ;
« 5° Au développement équilibré des énergies renouvelables mettant en œuvre une énergie fatale à caractère aléatoire, des réseaux, de l’effacement de consommation, du stockage et du pilotage de la demande d’électricité. Ce volet fixe le seuil de déconnexion mentionné à l’article L. 141-9 du présent code.
« Les volets mentionnés aux 3°, 4° et 5° du présent II précisent les enjeux de développement des filières industrielles sur les territoires, de mobilisation des ressources énergétiques locales et de création d’emplois.
« Les objectifs quantitatifs des volets mentionnés aux 4° et 5° sont exprimés par filière.
« III. – Par dérogation aux articles L. 141-3 et L. 141-4, dans les collectivités mentionnées au I du présent article, le président de la collectivité et le représentant de l’État dans la région élaborent conjointement le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie. Le volet de ce projet mentionné au 4° de l’article L. 141-2 est soumis pour avis au comité du système de la distribution publique d’électricité mentionné à l’article L. 111-56-2. La présente consultation n’est pas applicable à l’élaboration de la première programmation pluriannuelle de l’énergie. Après avoir été mis, pendant une durée minimale d’un mois, à la disposition du public sous des formes de nature à permettre la participation de celui-ci, le projet de programmation pluriannuelle est soumis à l’approbation de l’organe délibérant de la collectivité. La programmation pluriannuelle est ensuite fixée par décret.
« À l’initiative du Gouvernement ou du président de la collectivité, la programmation pluriannuelle peut faire l’objet d’une révision simplifiée n’en modifiant pas l’économie générale, selon des modalités fixées par le décret mentionné à l’article L. 141-6.
« L’enveloppe maximale indicative des ressources publiques mentionnées à l’article L. 141-3 inclut les charges imputables aux missions de service public mentionnées aux articles L. 121-7 et L. 121-8 ainsi que les dépenses de l’État et de la région, du département ou de la collectivité.
« IV. – Les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, à l’exception de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et des zones mentionnées au I du présent article, font l’objet d’un volet annexé à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1, selon des modalités fixées par le décret mentionné à l’article L. 141-6. »
II bis. – Le deuxième alinéa de l’article L. 321-7 du code de l’énergie est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il peut, pour des raisons de cohérence propres aux réseaux électriques, comprendre un volet spécifique à plusieurs régions administratives ou, le cas échéant, à un niveau infrarégional. »
II ter. – Au chapitre Ier du titre VI du livre III du code de l’énergie, il est inséré un article L. 361-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 361-1. – Le schéma prévu à l’article L. 321-7 est élaboré, dans les départements et les régions d’outre-mer, par le gestionnaire du réseau public de distribution du territoire concerné. Il est dénommé “schéma de raccordement au réseau des énergies renouvelables”.
« Le montant de la quote-part mentionnée à l’article L. 342-1 et exigible dans le cadre des raccordements est plafonné à hauteur du montant de la quote-part la plus élevée, augmentée de 30 %, constaté dans les schémas adoptés sur le territoire métropolitain continental à la date d’approbation du schéma de raccordement au réseau des énergies renouvelables du département ou de la région d’outre-mer considéré.
« Lorsque plusieurs quotes-parts sont établies au sein d’un même schéma de raccordement, le montant de la quote-part auquel est appliqué le plafonnement est égal à la moyenne pondérée des quotes-parts.
« La différence entre le montant de cette quote-part et le coût réel des ouvrages créés en application du schéma est couverte par le tarif d’utilisation des réseaux publics mentionné à l’article L. 341-2.
« Les conditions d’application du présent article, en particulier le mode de calcul des moyennes pondérées des quotes-parts, sont précisées par voie réglementaire. »
III et IV. – (Non modifiés)
Mme la présidente. L'amendement n° 243 rectifié, présenté par MM. Cornano, Antiste, Desplan, J. Gillot, Patient et Karam et Mmes Ghali et Yonnet, n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 61.
(L'article 61 est adopté.)
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Article 63 quinquies A
(Suppression maintenue)
Mme la présidente. L'amendement n° 211, présenté par MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Après le mot : « que », la fin du 3° de l’article L. 111-52 est ainsi rédigée : « les sociétés mentionnées aux articles L. 151-2 et L. 171-2 » ;
2° Le livre Ier est complété par un titre VIII ainsi rédigé :
« Titre VIII
« Les dispositions relatives aux zones non interconnectées au réseau métropolitain de moins de 2 000 clients
« Chapitre unique
« Art. L. 171-1. – Dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain de moins de 2 000 clients, le service public est organisé dans les conditions prévues à l’article L. 371-2.
« Art. L. 171-2. – Pour l’application dans les zones non interconnectées du territoire métropolitain de moins de 2 000 clients des dispositions du présent livre, les droits et obligations impartis dans les zones non interconnectées du territoire métropolitain à Électricité de France peuvent être conférés à un autre opérateur par le ministre chargé de l’énergie après avis de la Commission de régulation de l’énergie. » ;
3° Le livre III est complété par un titre VII ainsi rédigé :
« Titre VII
« Les dispositions relatives aux zones non interconnectées au réseau métropolitain de moins de 2 000 clients
« Chapitre unique
« Art. L. 371-1. – Pour l’application dans les zones non interconnectées au territoire métropolitain de moins de 2 000 clients des dispositions du présent livre, les droits et obligations impartis dans les zones non interconnectées au territoire métropolitain à Électricité de France sont conférés à la société concessionnaire de la distribution d’électricité.
« Art. L. 371-2. – Dans les zones non interconnectées au territoire métropolitain de moins de 2 000 clients, le service public de l’électricité est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l’État et l’autorité concédante de la distribution publique d’électricité.
« L’autorité concédante de la distribution publique d’électricité, négocie et conclut un contrat de concession avec l’opérateur désigné dans les conditions de l’article L. 171-2 et exerce le contrôle du bon accomplissement des missions de service public fixées par le cahier des charges.
« Art. L. 371-3. – Le taux de rémunération du capital immobilisé dans les moyens de production d’électricité, mentionné à l’article L. 121-7, est déterminé de façon à favoriser le développement du système électrique.
« Les tarifs de vente de l’électricité sont identiques à ceux pratiqués en métropole.
« Les tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution de l’électricité, ainsi que la part correspondante de ces tarifs dans les tarifs réglementés de vente mentionnés à l’article L. 337-4, sont égaux aux coûts d’utilisation des réseaux publics de distribution de l’électricité réellement supportés par la société concessionnaire mentionnée à l’article L. 371-1. La méthodologie utilisée pour établir ces tarifs est fixée, sur proposition de la société concessionnaire mentionnée à l’article L. 371-1, par la Commission de régulation de l’énergie. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement vise à donner aux territoires insulaires non interconnectés de moins de 2 000 clients la possibilité d’opter pour un autre opérateur qu’EDF, à l’image de ce qui se passe aujourd’hui à Mayotte. C’est également le cas, concernant la distribution de l’électricité, pour les 150 entreprises locales de distribution existantes qui assurent la gestion de la distribution dans un cadre péréqué, sans remise en cause de la péréquation nationale.
Les zones non interconnectées de moins de 2 000 clients représentent de très petites consommations d’énergie qui n’encouragent pas les opérateurs de grande taille à étudier de nouveaux systèmes, notamment la production d’énergies renouvelables, pourtant abondantes dans ces régions insulaires, qu’il s’agisse des énergies marine, solaire ou éolienne.
Non connectées au réseau, ces îles pourraient sans problème dépasser le seuil de 30 % de renouvelables actuellement défini pour éviter les perturbations du réseau de distribution.
En effet, comme le prévoit l’arrêté du 23 avril 2008 mis en avant par l’opérateur, ces zones disposent déjà, de fait, des capacités de stockage dépassant 100 % des besoins électriques, notamment par stockage de fioul.
Madame la ministre, vendredi dernier, vous avez répondu à mon collègue Ronan Dantec, qui défendait deux amendements tendant à ce que le plafond de 30 % d’énergies renouvelables intermittentes puisse être levé.
Vos réponses, et nous vous en remercions, madame la ministre, montrent que les choses sont en train de bouger et que l’opérateur national prend enfin la mesure des attentes et de la nécessité de viser l’autonomie énergétique, à commencer par les zones non interconnectées.
Mais nous persistons à penser que l’autonomie énergétique, grâce aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, est possible rapidement.
Cet amendement, plus ambitieux que les précédents, avait été adopté en première lecture au Sénat avec l’avis favorable du Gouvernement, avant d’être supprimé par l’Assemblée nationale.
L’adoption de cet amendement permettrait de libérer certains projets et d’illustrer l’autonomie énergétique de certains territoires. Par ailleurs, cela permettrait de mener une expérimentation grandeur réelle afin de voir comment les diverses énergies renouvelables peuvent s’imbriquer et se compléter et ainsi d’offrir un retour d’expérience utile pour une transposition à des territoires plus vastes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Cet amendement vise à donner aux territoires insulaires non interconnectés de moins de 2 000 foyers – plus précisément, les Glénan, Ouessant, Molène, Sein et l’île de Chausey – la possibilité d’opter pour un autre opérateur qu’ERDF.
Il est vrai que la commission avait émis un avis de sagesse sur cet amendement, adopté en première lecture. Toutefois, les députés ont adopté entre-temps une disposition à l’article 61 qui répond de manière plus simple au problème que vous soulevez.
Je suis d’accord pour encourager, dans les microterritoires insulaires, des expériences alternatives à la production d’électricité au fioul, à la fois coûteuse et polluante, mais rien n’empêche en droit le développement des sources d’énergie alternatives dans ces îles.
Vous y aviez fait allusion en première lecture, dans ce domaine, le manque d’innovation tient davantage à l’absence de volonté politique et de suivi de l’effort. Annexer à la PPE un volet qui oblige à se poser la question des enjeux spécifiques à ces territoires constitue un moyen plus simple et plus efficace pour faire évoluer une situation quelque peu rigide.
Voilà pourquoi, en vertu de ce nouvel article 61 qui nous vient de l’Assemblée nationale, je transforme mon avis de sagesse de première lecture en avis défavorable, au cas où l’amendement serait maintenu.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Les choses évoluent rapidement dans ce domaine, puisque, voilà quelque temps, avant même que le projet de loi relatif à la transition énergétique vienne en débat, avant même que vous ne présentiez votre amendement, monsieur Labbé, lorsqu’on interrogeait les actuels gestionnaires du réseau de distribution, rien n’était possible.
Or le dépôt, en première lecture, de votre amendement a fait bouger les lignes : ce qui était impossible a bizarrement suscité un certain nombre d’initiatives et de mouvements. ERDF et EDF ont, par exemple, pris l’engagement de déployer en priorité Linky sur les territoires concernés dès 2016. De même, pour favoriser l’intégration des ENR au sein de ces petits réseaux, un asservissement de certains usages est envisagé. Il s’agira notamment de mettre en place des automates aux fins de synchronisation.
Tout cela est très technique, j’en ai bien conscience, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je veux simplement vous montrer à quel point les opérateurs techniques ont bougé et que ce qui naguère était impossible s’agissant des îles bretonnes dont nous parlons, devient aujourd’hui possible.
Il y aura des productions industrielles en fonction des périodes de production de l’hydrolienne à Ouessant. La ferme hydrolienne installée dans le passage du Fromveur permettra d’effacer une partie importante de la consommation annuelle de fioul sur Ouessant.
Plusieurs opérateurs réfléchissent à la production éolienne sur l’île de Sein. Un premier projet a été mis à l’étude, prévoyant notamment la mise en place d’un mât de mesure météorologique et la pose de deux éoliennes sur l’île.
Des projets d’installation de panneaux photovoltaïques sont, de même, à l’étude pour les îles de Sein, de Molène et d’Ouessant, en vue de consacrer une partie de la production à des véhicules électriques communaux.
À la suite du débat qui s’est tenu en première lecture, j’ai demandé à mes services de se mobiliser, afin de préparer la PPE sur les îles. Une réunion avec les parties prenantes – je ne sais pas si vous y étiez, monsieur Labbé, ou si vous en avez reçu les conclusions – s’est déjà tenue à Rennes le 2 juillet dernier, et EDF et ERDF ont commencé à bouger. Je considère qu’il faut continuer à les faire bouger. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis favorable sur cet amendement.
Au demeurant, je ne suis pas sûre que l’on trouve un gestionnaire de réseau sinon privé du moins alternatif, les territoires en question n’étant pas forcément rentables. Quoi qu’il en soit, la possibilité sera ouverte : les décisions seront prises soit par les actuels gestionnaires des réseaux de distribution soit par des gestionnaires alternatifs, pour favoriser, conformément à l’objectif de la loi relative à la transition énergétique, l’autonomie énergétique des îles, qu’elles se situent en métropole ou dans les outre-mer. Par conséquent, les mécanismes de production et de distribution de l’énergie doivent s’adapter à cet objectif de transition énergétique.
J’observe par ailleurs que les différentes îles, et notamment l’île de Sein, font, depuis des années, des efforts en la matière, avec beaucoup d’imagination. Cependant, on les a enserrées dans un carcan leur interdisant d’être à l’avant-garde de la transition énergétique, alors qu’elles souffrent déjà d’un handicap insulaire. Il convient de transformer ce handicap en atout, en favorisant initiatives, imagination et créativité, pour rendre ces îles autonomes en énergie, grâce au vent, à la houle et au soleil. Faisons-le, puisque c’est possible !
Comme j’ai aujourd’hui la démonstration que les opérateurs ont bougé à la suite des amendements que vous avez déposés en première lecture, monsieur Labbé, je suis d’avis de poursuivre dans cette voie. Les comptes d’ERDF et d’EDF ne s’écrouleront pas parce que l’on aura donné la possibilité à ces petites îles de changer de gestionnaire de réseau de distribution ! Ces territoires ont besoin d’avancer, en trouvant des solutions qui leur soient adaptées.
J’émets donc un avis favorable sur cet amendement, pour que les choses bougent ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. D’abord, je veux dire que le maire de l’île de Sein – c’est un devoir que j’ai à son égard – est farouchement opposé à l’amendement proposé par nos collègues Joël Labbé et Ronan Dantec. Sa lettre, que je peux vous lire, a également été envoyée à Mme la ministre. (Mme la ministre proteste.) Je dis simplement qu’il existe une forte opposition.
Il existe sur cette question un grand malentendu, que j’entends lever.
Quel est donc ce malentendu ? Madame la ministre, il est bon de vouloir développer les énergies renouvelables dans les îles, qu’il s’agisse du solaire, de l’éolien, de l’hydrolien ou de la biomasse, mais à condition que l’énergie produite soit injectée dans le réseau, au titre des obligations d’achat - l’opérateur a l’obligation d’acheter cette électricité.
Or ce n’est pas la logique de Joël Labbé. Notre collègue a en effet soutenu l’idée selon laquelle l’énergie produite dans les îles devait être utilisée dans les îles, le fait que des territoires puissent produire leur propre énergie, au bénéfice de leurs habitants, constituant de ce point de vue un heureux précédent.
Mon cher collègue, c’est très grave : vous êtes en train de mettre en cause la péréquation tarifaire !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. J’invite donc les uns et les autres à bien réfléchir à leur position sur cet amendement extrêmement sensible, pour lequel je demande un scrutin public, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Beaucoup de choses ont été dites. Je fais partie de ceux qui, en première lecture, n’avaient pas discerné les éventuelles difficultés liées à cet amendement.
Comme l’a dit Mme la ministre, il convient de permettre aux territoires qui le souhaitent d’avoir, en quelque sorte, leur indépendance énergétique. Mais, et là je ne peux pas être d’accord avec vous, monsieur le président de la commission, un territoire insulaire n’est pas un territoire comme un autre !
C’est vrai, la péréquation est difficile, en particulier lorsqu’il faut faire passer des câbles pour relier les grandes îles au continent – je pense notamment à Belle-Île-en-Mer. Néanmoins, ces petites collectivités doivent à tout prix être préservées de projets qui pourraient, à un moment donné, ne plus être viables ou seraient susceptibles de mettre en péril leur approvisionnement.
Permettons donc aux territoires insulaires d’être vraiment autonomes dans la production d’énergie, tout en veillant, grâce peut-être à un appel à projets, à ce que les dispositifs envisagés soient viables et garantissent à la collectivité la continuité de son approvisionnement en électricité.
En la matière, un certain nombre de choses se télescopent, ce qui explique sans doute certaines oppositions locales entre les tenants de nouveaux projets et ceux qui sont chargés de gérer les collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. En qualité d’élu finistérien, j’estime que la position de la commission est empreinte de bon sens. Effectivement, il s’agit non pas de remettre en cause le système de desserte électrique des îles, qui sont des territoires assez petits, mais bien au contraire de permettre l’émergence d’énergies renouvelables. L’exemple d’Ouessant, où la première hydrolienne 100 % française, la Sabella D10, immergée récemment, permettra bientôt d’alimenter l’île en énergie propre, montre bien que les textes actuels permettent déjà d’avancer en ce sens et de réduire la consommation de fioul.
Ce n’est donc pas en incitant de nouveaux opérateurs à s’intéresser à la distribution d’électricité sur les îles que nous apporterons une vraie réponse au problème. Il convient plutôt de soutenir les projets en matière d’énergies renouvelables, et il y en a.
Au demeurant, le maire et le conseil municipal de l’île de Sein ne sont effectivement pas favorables à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je m’interroge sur deux points, au moins.
Tout d’abord, en cas de problème, qui assurera la continuité de la fourniture d’électricité, même si l’on développe les énergies renouvelables, même si l’on arrive, grâce aux progrès réalisés dans le stockage, à assurer l’autonomie ?
Ensuite, je relève une contradiction dans les articles que vous souhaitez introduire par cet amendement dans le code de l’énergie, singulièrement s’agissant du texte proposé pour l’article L. 371-3. On ne peut pas à la fois prévoir un appel d’offres en direction d’un opérateur alternatif et imposer au futur concessionnaire d’appliquer des tarifs – je pense notamment au TURPE, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité – identiques à ceux de la métropole sur les réseaux interconnectés.
Tout cela n’est pas cohérent ! C’est un appel d’offres global qui doit assurer à la fois la continuité et le meilleur prix. Et qui peut fournir cela aujourd’hui en France, sinon ERDF ?...
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Je veux m’associer aux propos de Jean-Claude Lenoir s’agissant de la péréquation tarifaire. Il faut être très prudent avec ce principe fondamental du service de l’électricité. Au cours de nos débats, nous avons d’ailleurs pris la précaution de le rappeler à propos des boucles locales ou des zones non interconnectées. Nous devons donc l’avoir bien en tête.
Personnellement, je pense que, si le comportement de l’opérateur, en l’occurrence ERDF, n’est pas satisfaisant, l’État a les moyens de le faire bouger.
Par ailleurs, n’occultons pas le risque que certains opérateurs peu fiables dans la durée soient retenus au terme d’un appel d’offres. Nous pourrions alors nous retrouver en grande difficulté, ce qui nous contraindrait éventuellement à appeler à la rescousse l’opérateur ERDF.
Pour ces raisons, je m’opposerai personnellement à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je voterai contre cet amendement.
Lorsque Valéry Giscard d’Estaing s’était rendu aux Antilles, il avait annoncé que le tarif métropolitain de l’électricité s’y appliquerait, ce qui lui avait valu force applaudissements. Mais qui a payé ? C’est la contribution au service public de l’électricité, la CSPE ! Et ERDF a apporté l’électricité.
Attention à ces appels à la concurrence ! Si Paris lance un appel d’offres, il est possible qu’ERDF ne réponde pas ou ne soit pas retenu. Une grosse entreprise privée pourrait ainsi être choisie comme concessionnaire. Dès lors, quid de la péréquation tarifaire ? Si la Lozère, la Corrèze et le Lot conservaient ERDF comme opérateur, mais que Lyon, Marseille et Paris optaient pour le secteur privé, c’en serait fini de la péréquation !
Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, compte tenu des interventions que nous venons d’entendre, je retire ma demande de scrutin public sur cet amendement.
Mme la présidente. La demande de scrutin public est donc retirée.
L’amendement n° 211 est-il maintenu, monsieur Labbé ?
M. Joël Labbé. Je le maintiens, madame la présidente.
Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Avec cet amendement, il ne s’agit pas de Paris, mais de cinq petits territoires, comptant moins de 2 000 habitants.
Mme la ministre l’a dit, l’opérateur a déjà bougé à la suite de la première lecture de ce texte. Il s’agit simplement de donner aux élus locaux la possibilité d’expérimenter, sans rien imposer. Cela devrait suffire pour que l’opérateur se mette en quatre pour faire de ces territoires des sites d’expérimentations.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 63 quinquies A demeure supprimé.
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Article 65
(Non modifié)
I. – Le code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Le titre V du livre Ier est ainsi modifié :
a) Le chapitre unique devient un chapitre Ier intitulé : « Dispositions particulières aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et à Saint-Pierre-et-Miquelon » ;
b) Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :
« CHAPITRE II
« Dispositions applicables aux îles Wallis et Futuna
« Art. L. 152-1. – Sous réserve des adaptations prévues au présent chapitre, les articles L. 121-1 à L. 121-28 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
« Art. L. 152-2. – Dans les îles Wallis et Futuna, le service public de l’électricité est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l’État et la collectivité.
« Le territoire des îles Wallis et Futuna, autorité concédante de la distribution publique d’électricité, négocie et conclut un contrat de concession et exerce le contrôle du bon accomplissement des missions de service public fixées par le cahier des charges.
« Art. L. 152-3. – Pour l’application de l’article L. 121-4 dans les îles Wallis et Futuna, la collectivité est l’autorité organisatrice de la distribution publique de l’électricité.
« Pour l’application des articles L. 121-4, L. 121-5 et L. 121-7 dans les îles Wallis et Futuna, les droits et obligations impartis dans les zones non interconnectées du territoire métropolitain à Électricité de France sont conférés à la société concessionnaire de la distribution publique d’électricité. » ;
2° Le titre VI du livre III est complété par un chapitre III ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« Dispositions applicables aux îles Wallis et Futuna
« Art. L. 363-1. – Sous réserve des adaptations prévues au présent chapitre, les articles L. 311-5 et L. 337-8 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
« Art. L. 363-2. – Dans les îles Wallis et Futuna, les installations de production d’électricité régulièrement établies à la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la transition énergétique pour la croissance verte sont réputées autorisées au titre de l’article L. 311-5.
« Art. L. 363-3. – Les conditions de rémunération du capital immobilisé dans des moyens de production d’électricité mentionnées à l’article L. 121-7 sont déterminées de façon à favoriser le développement du système électrique. » ;
I bis. – (Supprimé)
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 96 est présenté par MM. Montaugé, Courteau, Cabanel et S. Larcher, Mme Lienemann, MM. Filleul, Cornano, Miquel et Poher, Mme Bataille, MM. M. Bourquin, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Rome et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Roux, Mme Claireaux, MM. Lalande et Manable, Mme Monier, M. Percheron, Mme Riocreux, M. Patient et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 283 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 18
Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :
I bis. – Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont, dans un délai qui ne peut excéder cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, progressivement alignés sur ceux de la métropole. Une fois l’alignement réalisé, et au plus tard à l’expiration du délai de cinq ans mentionné à la première phrase du présent alinéa, les tarifs en vigueur en métropole s’appliquent à Wallis-et-Futuna.
La parole est à M. Franck Montaugé, pour défendre l'amendement n° 96.
M. Franck Montaugé. Il s’agit de rétablir les dispositions étendant le bénéfice des tarifs réglementés de vente d’électricité à Wallis-et-Futuna, qu’une erreur matérielle a malencontreusement supprimées. Or chacun comprendra combien ce point est fondamental pour nos concitoyens wallisiens et futuniens.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l'amendement n° 283.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Voilà une excellente correction proposée par nos collègues du groupe socialiste.
Mme la présidente. Et par le Gouvernement !
Je mets aux voix les amendements identiques nos 96 et 283.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 65, modifié.
(L'article 65 est adopté.)
Article 66
(Non modifié)
Une stratégie nationale de développement de la filière géothermie dans les départements d’outre-mer est élaborée. Cette stratégie identifie notamment les moyens nécessaires au soutien de la recherche et du développement dans les techniques d’exploration et dans le lancement de projets industriels, ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour le soutien à l’exportation des entreprises de la filière géothermie.
Une stratégie nationale de développement de la recherche sur la géothermie en Polynésie française est également élaborée.
Une stratégie de développement de la filière énergie thermique des mers est également élaborée dans les départements d’outre-mer et en Polynésie française.
L’assemblée et le gouvernement de la Polynésie française sont associés à l’élaboration des stratégies mentionnées aux deuxième et troisième alinéas. – (Adopté.)
Mme la présidente. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la nouvelle lecture.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen d’un projet de loi attendu, compte tenu de l’importance des enjeux énergétiques sur les emplois de demain, sur l’environnement et sur le climat.
Je tiens tout d’abord, au nom du groupe écologiste, à remercier Mme la ministre et ses services, pour la qualité du travail et de nos échanges, ainsi que MM. les rapporteurs.
Nous avons plusieurs sujets de satisfaction, mais aussi des déceptions et quelques inquiétudes.
Je commencerai par les inquiétudes et, au premier chef, la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous avons exprimé notre satisfaction sur le fait qu’elle s’étende sur cinq ans, car il est essentiel que la programmation énergétique résulte d’une vision à long terme. Mais un amendement du Gouvernement adopté ici vendredi dernier nous rend dubitatifs : quand la programmation pluriannuelle de l’énergie sera-t-elle effectivement lancée ? Il ne faudrait pas que son entrée en vigueur soit repoussée trop longtemps, au risque de lui faire perdre tout intérêt stratégique jusqu’à 2017.
Notre deuxième inquiétude porte sur le CIGEO, ou centre industriel de stockage géologique, autrement dit le centre d’enfouissement de déchets nucléaires. L’adoption d’un amendement de dernière minute dans la loi Macron est pour le moins contradictoire avec les ambitions du projet de loi sur la transition énergétique dont nous achevons l’examen.
Mais parlons aussi des sujets de satisfaction, et il y en a. Je signalerai à ce titre l’avancement des dates d’interdiction des phytosanitaires pour les particuliers et pour les collectivités locales, grâce à la volonté forte de Mme la ministre, que nous remercions. Notons l’amendement pour les particuliers, que nous avons proposé et qui a été adopté. Voilà une véritable avancée en termes de santé publique et de biodiversité.
Nous nous félicitons également qu’une trajectoire ambitieuse pour le prix du carbone fasse son entrée dans le texte, parmi les objectifs de la transition énergétique. Cette mesure est décisive pour enrayer le dérèglement climatique et maintenir la hausse des températures en deçà de deux degrés.
En résumé, et pour conclure, nous ne pouvons pas voter ce texte en l’état, tel qu’il ressort des travaux du Sénat. Nous l’avons constaté ce soir, de véritables oppositions se manifestent. Mais, afin de reconnaître les avancées réalisées, nous nous abstiendrons, en espérant que nos collègues de l’Assemblée nationale pourront rétablir le texte initial, tout en conservant les avancées du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Je tenais à vous remercier, madame la ministre, de votre grande disponibilité et votre respect non moins grand pour les parlementaires. Il n’en va pas toujours ainsi.
Nous partageons – nous l’avions dit dès le début de nos débats – les ambitions de ce texte et ne doutons pas de votre volonté d’inscrire notre pays dans la transition énergétique.
Nous saluons les avancées concernant l’obligation de rénovation énergétique des bâtiments privés résidentiels à l’horizon 2025, l’exemption du carnet numérique de suivi et d’entretien pour les logements relevant du service d’intérêt général, le renforcement du volet « économie circulaire » en termes tant de prévention que de valorisation des déchets, ou la préservation du statut des personnels des industries électriques et gazières.
De même, le recours par EDF à des entreprises sous-traitantes sera encadré et un dispositif de suivi médical est mis en place pour l’ensemble des salariés de la filière.
Nous partageons l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique, même s’il n’a de sens que s’il s’accompagne de progrès en matière d’économies d’énergie et de développement d’énergies renouvelables, pour éviter le recours aux énergies carbonées.
Toutefois, madame la ministre, vous connaissez nos points de désaccord sur ce texte. Je signalerai tout d’abord l’inadéquation entre l’ambition affichée et les moyens mis en œuvre. Pour réussir cette transition, il faut en faire une priorité réelle de politique économique et budgétaire ; pour l’instant, nous considérons que ce n’est pas le cas.
Par ailleurs, votre projet de loi s’inscrit dans une démarche d’ensemble préoccupante : privatisation rampante du secteur de l’hydroélectricité, territorialisation de l’énergie renforcée au Sénat, approfondissement du marché de l’effacement au profit du monopole privé.
Ces évolutions sont très graves, d’autant plus que la majorité sénatoriale propose une révision de la contribution au service public de l’électricité qui supprime la péréquation tarifaire, mais aussi le financement des tarifs sociaux et du futur chèque énergie. (Signes d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous continuerons de défendre le service public ; les marchés et le recours exclusif au secteur privé, ainsi que leur logique de profit de court terme, ne peuvent répondre aux enjeux de la transition énergétique, lesquels nécessitent des temps longs et d’importants investissements.
Malgré quelques avancées en nouvelle lecture, c’est au regard de la gravité de certains de ces éléments que nous voterons contre ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Réchauffement climatique, problèmes de ressources en eau, migrations climatiques, épuisement des ressources, il y avait urgence à agir ! Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir osé, et de nous avoir proposé le choix d’un mode de croissance verte qui fait de nous tous les acteurs de ce changement jusqu’au cœur du pays.
Vous nous avez proposé de faire le choix de la rupture : notre modèle énergétique n’était plus durable, notre trajectoire n’était plus soutenable.
Non, nous n’aurions pu trouver de meilleure réponse aux enjeux climatiques, écologiques, sanitaires et sociaux, non plus qu’à la nécessaire compétitivité de la France. Il fallait concilier économie et écologie, en déclenchant cette croissance verte, solide et durable, qui favorise la création de nombreux emplois, l’amélioration du pouvoir d’achat et la lutte contre la précarité. Voilà qui est fait !
Il fallait inventer la social-écologie : quand les conditions de vie se détériorent à cause d’un environnement dégradé, ce sont les plus faibles, les plus fragiles, les plus précaires, qui en subissent les conséquences les plus graves. Ce texte va nous y aider.
Il fallait sortir du schéma linéaire « extraire, produire, consommer, jeter ». Le mouvement est lancé grâce à ce texte.
Il fallait bousculer les vieilles lunes, il fallait booster le mouvement des économies d’énergie, il fallait développer les transports propres, améliorer la qualité de l’air et protéger la santé, il fallait lever bien des freins au développement des énergies renouvelables. Tout cela est fait !
Une fois de plus, nous pouvons nous réjouir du travail de coconstruction qui a été réalisé. Au nom du groupe socialiste, je salue votre travail, madame la ministre, messieurs les rapporteurs. Sur de nombreux points, en première comme en nouvelle lecture, nous avons enrichi ce texte.
Il est toutefois dommage que les points d’achoppement de la première lecture soient réapparus dans le présent texte. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous n’avez rien lâché sur le nucléaire - nous non plus, d’ailleurs. (Rires.) C’est un point d’achoppement important. Nous sommes, je le répète, favorables à cette énergie, mais nous recherchons un équilibre en la matière. C’est fondamental. Nous entendons préparer l’avenir sans tirer un trait sur le passé.
Cela étant dit, ce texte est avant-gardiste, il invente le futur. La France est sur la route de l’excellence environnementale. Mais, cette fois encore, la mort dans l’âme, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Au cours de l’examen du texte, j’ai déposé un certain nombre d’amendements qui avaient pour objectif de simplifier et d’assouplir ce texte, et notamment de diminuer le nombre de données normatives dans les articles 5, 9, 10, 18, 19 et 21, ce dans le cadre de la mission confiée par le président Gérard Larcher à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour la simplification normative.
En première lecture, j’ai voté en faveur du texte, par solidarité avec MM. les rapporteurs, pour le travail qu’ils ont effectué dans l’exercice de leur mission, mais également pour que nous puissions, en nouvelle lecture, faire évoluer le texte dans un sens favorable à la simplification et y insuffler plus de pragmatisme.
Malheureusement, j’ai constaté combien il était difficile, dans cet hémicycle, de simplifier : nous finissons toujours par ajouter des contraintes aux contraintes et des normes aux normes. Et nous allons nous plaindre ensuite, à l’extérieur, de nos difficultés à appliquer les mesures que nous votons…
Compte tenu de ce qui s’est passé en première lecture et en commission mixte paritaire – l’Assemblée nationale a manifesté peu de considération pour les travaux du Sénat – je m’abstiendrai personnellement sur ce projet de loi en nouvelle lecture.
En effet, mes chers collègues, une fois la commission mixte paritaire passée, une fois les textes réglementaires publiés et les décrets pris, vous serez sans doute un certain nombre à vous plaindre – comme pour le Grenelle de l’environnement, car beaucoup de ceux qui ont voté ce texte le regrettent aujourd’hui, et moi le premier – des nombreuses difficultés de mise en œuvre dans nos collectivités, pour les professionnels, pour les entreprises, et pour l’agriculture. De surcroît, où trouverons-nous l’argent nécessaire à leur mise en œuvre ?
Prenons l’exemple des coupures d’eau. Les personnes qui, aujourd’hui, ne peuvent pas payer leurs factures d’eau pourront-elles financer l’isolation de leur maison afin de faire des économies demain ? Je ne le crois pas.
Pour toutes ces raisons, à titre personnel, je m’abstiendrai.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Je voudrais à mon tour vous remercier, madame la ministre, pour votre grande capacité d’écoute, et pour la façon dont vous avez su trouver les consensus adéquats, avec l’ensemble des membres de cette assemblée. Vous avez accepté un certain nombre d’amendements proposés par la commission des affaires économiques et la commission de l’aménagement du territoire.
Ce texte est ambitieux. Nous l’avons amélioré, au Sénat, sur un certain nombre de points, et de façon tout à fait positive. Je regrette, pour ma part, de ne pas le voter. Je m’abstiendrai, pour les raisons largement…
M. Didier Guillaume. Et excellemment !
M. Gérard Miquel. … développées par mon collègue et ami Roland Courteau.
Ce projet de loi est, j’en suis convaincu, un texte fondateur qui permettra de très grandes avancées dans de nombreux domaines. Il nous permettra, madame la ministre, de promouvoir l’économie circulaire dans nos territoires et de créer ainsi de la richesse et de très nombreux emplois.
M. Rémy Pointereau. Des mots, des mots…
M. Gérard Miquel. Ne nous y trompons pas : la vision que nous avons des problèmes environnementaux à l’issue de cette discussion est différente de celle que nous avions en la commençant.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé et fait adopter, de façon largement consensuelle, de nombreux amendements. Je parlerai d’un domaine sur lequel j’ai plus particulièrement travaillé : celui des déchets.
Dans ce domaine, les perspectives sont très importantes. Il faut considérer les déchets comme un gisement de matières premières secondaires à valoriser. Cela nous permettra de faire œuvre utile pour l’environnement et de créer de l’activité économique et de l’emploi.
Madame la ministre, je voudrais vous remercier également d’avoir lancé deux appels à projets : territoires à énergie positive et territoires « zéro déchet zéro gaspillage ». Sur ces territoires, nous allons faire la démonstration de ce que nous pouvons généraliser à travers tout le pays. Il sera très intéressant d’établir le bilan de ces opérations dans quelques mois.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Miquel. Madame la ministre, vous avez également travaillé à l’élaboration des décrets d’application. Je sais qu’ils seront signés très rapidement, ce qui vous permettra non moins rapidement de mettre en application cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi en nouvelle lecture nous aura permis d’entériner un certain nombre d’avancées. Je ne m’attarderai pas sur la question du méthane entérique produit naturellement par les ruminants, qui nous tenait particulièrement à cœur, à nous les élus du monde rural. Je le redis, les vaches de France pourront continuer à péter en liberté ! (Rires.)
La nouvelle lecture nous a offert l’occasion de réaffirmer la position équilibrée du Sénat sur la place, encore essentielle et indispensable, du nucléaire au sein de notre mix électrique. Considérant que l’horizon 2025 n’était pas réaliste, nous avons voté en faveur d’une réduction à 50 %, à terme, de la part du nucléaire, pour prendre en compte le temps nécessaire à la montée en puissance des énergies renouvelables, qui ne peut se réaliser qu’à la condition d’investir rapidement dans les infrastructures de réseau et le développement de moyens de stockage.
Il convient en outre de préserver des enjeux aussi fondamentaux que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’indépendance énergétique de la France et le maintien d’un prix compétitif de l’électricité.
C’est dans un esprit très positif que la Haute Assemblée a tenu à améliorer le texte, même si, à mon sens, un accord aurait pu être trouvé en commission mixte paritaire. La nouvelle lecture nous a permis de trouver un compromis sur les dispositions relatives aux éoliennes terrestres, dont l’acceptabilité devrait être renforcée. Je salue également la suppression de la production obligatoire, à peine de nullité, d’une information sur les avantages et les inconvénients des éoliennes lors de la promesse de bail.
L’évolution du financement des installations de production d’énergie renouvelable, avec la mise en place du complément de rémunération, était attendue. L’adoption d’un amendement du Gouvernement allant dans le sens d’un amendement que nous avions déposé – il visait à mettre en place un dispositif d’acheteur de dernier recours en cas de défaillance de l’agrégateur – permettra de rassurer les investisseurs, qui seront désormais exposés au marché.
En ce qui concerne la simplification des normes, nous nous réjouissons de l’adoption de l’amendement du RDSE qui avait pour objet de permettre au Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique de se prononcer sur les travaux de normalisation, ainsi que sur l’articulation des plans climat-air-énergie territoriaux, les PCAET, et des projets d’aménagement et de développement durables, les PADD, en matière de réseaux d’énergie.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore, le RDSE votera très majoritairement en faveur du présent texte.
Messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie de votre travail et de votre implication. Madame la ministre, je vous remercie de votre écoute et de votre sens du dialogue.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Michel Raison et moi-même étions pleins d’espoir après la première lecture, compte tenu du travail d’enrichissement et de coconstruction accompli par notre assemblée, travail que vous aviez tenu à saluer, madame la ministre.
J’ai d’autant plus mal vécu la commission mixte paritaire, le travail du Sénat ayant été complètement bafoué par nos collègues députés. Le texte examiné en nouvelle lecture ne fait que rajouter des contraintes dont on n’a pas la certitude que la population pourra les respecter. J’ai beaucoup apprécié le débat sur les coupures d’eau, car je redoute que de nombreuses familles soient dans l’incapacité de supporter les charges que nous allons leur imposer à un horizon non pas de vingt ou de trente ans, mais de dix ans ; 2025, cela arrivera très vite. C’est le premier point qui nous conduit à adopter une posture différente de celle que nous avions retenue en première lecture.
Le second point est d’ordre économique. Nous avons à nouveau eu des débats très approfondis en la matière, mais je crains que nous ne soyons en train de signifier à tous ceux qui souhaiteraient venir s’implanter dans notre pays qu’il vaut mieux qu’ils ne soient pas consommateurs d’énergie ou sinon qu’ils aillent s’installer ailleurs…
Mes chers collègues, nous avons besoin de reconquérir des emplois et de l’activité industrielle, ce qui exigeait d’adresser un message autrement plus fort que cette ambition de réduire de 50 % la consommation énergétique à l’horizon 2050. Les bases ne sont pas bonnes. On ne peut pas continuer ainsi à donner des signes de décroissance pour notre pays, notre économie, nos territoires.
J’ai donc le regret de dire à nos rapporteurs que, Michel Raison et moi, nous voterons contre ce projet de loi. On est allé un peu trop loin dans la création de charges, et elles menacent d’être insupportables ! (M. Michel Raison applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Comme nous en sommes convenus avec le président et le rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je dirai quelques mots.
Il ne s’agit pas de revenir sur le débat. Nous nous sommes accordés sur un nombre important de dispositions. Je crois que le Sénat a particulièrement bien travaillé, dans le sens souhaité par l’ensemble des sénateurs, c'est-à-dire en faveur de la protection de l’environnement et du développement durable. Chacun pourra mesurer l’apport du Sénat, indépendamment du parcours un peu chaotique du texte après la première lecture, avec notamment une commission mixte paritaire dont on reparlera, malgré tout, car je suis encore heurté par la façon dont les institutions ont fonctionné à cette occasion – mais ce n’est pas l’objet de mon propos.
Je voudrais remercier l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques qui ont travaillé sur ce projet de loi. Ce travail a nécessité beaucoup d’heures de réunion. Chacun a pu, quelle que soit sa place dans l’hémicycle, contribuer de manière extrêmement utile à l’élaboration de propositions dont beaucoup ont été retenues par la Haute Assemblée.
Je remercie tout particulièrement notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, qui a accepté de prendre en charge un texte lourd. Notre collègue a dû y consacrer beaucoup de temps. Son talent et sa connaissance de l’activité économique lui ont permis d’affronter le texte avec succès, en surmontant les obstacles qui pouvaient surgir. Il a ainsi contribué très utilement à l’éclaircissement des données du débat. Je pense que chacun a pu y trouver son compte.
Madame la ministre, je vous remercie du dialogue que nous avons eu. Nous regrettons presque que l’examen du projet de loi arrive à son terme (Sourires.), car nos rencontres ont été empreintes d’une très grande courtoisie. Nous avons pu apprécier votre écoute et votre capacité à contribuer, dans la mesure du possible, à l’obtention d’un accord.
Un moment, j’ai même pensé que nous allions l’emporter vis-à-vis de l’Assemblée nationale, avec votre concours et celui du groupe socialiste et républicain du Sénat. Je pense que nous aurions pu y parvenir. C’eût été mieux. C’eût été un très beau résultat que de pouvoir afficher un vrai consensus de la classe politique en prévision de la COP 21 qui nous réunira à la fin de l’année.
J’estime, en tout cas, que le projet de loi est à la hauteur des ambitions que, les uns et les autres, nous placions en lui, même si elles étaient en partie divergentes. J’adresse à nouveau mes remerciements à tous et à toutes.
Madame la présidente, nous demandons un scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dirai quelques mots à mon tour.
Je souhaite d'abord remercier Mme la ministre, qui a fait preuve de beaucoup d’écoute et d’un grand respect à l’égard de notre institution, ce qui n’est pas toujours le cas de la part des ministres. Je salue ces bonnes conditions de travail.
Je regrette, moi aussi, l’achoppement sur la question de l’échéance de 2025, un achoppement dont les causes sont assez dogmatiques et théoriques, puisque, comme cela a encore été souligné ce soir sur toutes les travées, nous savons très bien que nous n’arriverons pas à changer fondamentalement la politique nucléaire de la France d’ici à 2025. Cet achoppement est – je le regrette – l’arbre qui cache la forêt du consensus auquel nous sommes parvenus sur de très nombreuses dispositions du projet de loi.
Je remercie Louis Nègre, rapporteur pour avis, qui a effectué un travail formidable. Il s’est beaucoup investi, et l’a fait, comme à chaque fois qu’il prend un dossier en main, avec un grand pragmatisme, un grand sens de l’écoute et des réalités. Notre collègue a eu à cœur de s’assurer que le texte soit ambitieux, tout en cherchant à alléger autant que possible les différentes contraintes pesant sur les collectivités territoriales, les citoyens et les entreprises.
Je voudrais également remercier l’ensemble des fonctionnaires du Sénat, et tout particulièrement ceux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui ont réalisé un gros travail.
Je remercie également tous les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, oui, tous, car nous avons pu faire adopter des amendements issus de tous les groupes, avec des voix venant de toutes les travées, ce qui montre bien que nous avons réussi, dans la plupart des cas, à dépasser les clivages partisans ; cela me semble important, a fortiori sur des sujets comme celui-ci.
Nous avons inséré un certain nombre de dispositions importantes dans le projet de loi. Je n’ai pas le temps de toutes les rappeler. Je citerai simplement l’introduction d’une hiérarchie dans l’utilisation des ressources, l’extension de la filière du recyclage du papier à la presse, la création d’une filière à responsabilité élargie des producteurs, ou REP, pour les navires de plaisance, ou encore la définition moderne et sécurisée de l’obsolescence programmée, chère à Louis Nègre.
En nouvelle lecture, nous avons encore permis certaines évolutions du texte, notamment en matière de tri mécano-biologique, de gestion des déchets et d’implantation des éoliennes. Madame la ministre, j’aimerais que vous puissiez nous aider à obtenir que ce que nous avons adopté à l’occasion de cette dernière lecture au Sénat soit repris, pour l’essentiel, par les députés. Ce serait la meilleure preuve du respect que vous avez pour le travail de notre assemblée. Je vous en remercie par avance.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, rapporteur pour avis.
M. Louis Nègre, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au terme de l’examen d’un projet de loi essentiel. Essentiel, il l’est parce que – nous l’avons déjà dit longuement – il est urgent d’agir. L’adoption de ce texte sera incontestablement un signal fort envoyé par la France en vue des négociations de la COP 21, qui se dérouleront en décembre, à Paris.
Il s’agit d’un texte important à plusieurs titres. Il est d'abord important pour notre sécurité énergétique – au sens que le Sénat donne à cette expression, madame la ministre. Il est également important en faveur de la cohérence de notre engagement pour un nouveau modèle de développement. Nous devons nous engager pleinement vers une écologie décarbonée ; ce doit être notre nouvel horizon. Le texte est enfin important parce qu’il y va de l’avenir de nos enfants et de l’Humanité.
Le Sénat a été à la hauteur de l’enjeu. Je suis fier, à titre personnel, que la Haute Assemblée n’ait pas manqué au rendez-vous de l’avenir, préoccupant, de notre maison commune.
Tout au long de la navette parlementaire, nous avons enrichi le texte, sans jamais tomber dans la caricature. Nous avons su allier ambition et pragmatisme.
Je me félicite de ce que le titre relatif aux transports ait été consolidé pour aboutir, grâce à des apports venant de toutes les travées, à un ensemble de mesures ambitieuses, notamment dans la lutte contre la pollution de l’air.
Sur l’économie circulaire, je crois aussi que nous avons su faire preuve d’engagement, voire d’audace. Je pense, par exemple, à la « REP navires » ou à la hiérarchie des ressources.
J’entends çà et là certaines remarques, mais je choisis de me comparer avec les meilleurs, en l’occurrence avec les États, qui, dans le monde, sont non pas derrière nous, mais devant nous.
En ce qui me concerne, j’ai confiance dans l’industrie, notamment dans l’industrie automobile, qui a su avaler six « normes Euro » en dix-huit ans, quand personne ne l’en pensait capable. Or elle l’a fait, ce qui m’inspire beaucoup de respect.
Je me réjouis enfin de l’esprit constructif qui a prévalu sur toutes les travées lors de l’examen de ce texte. Au Sénat, on peut avoir des sensibilités politiques différentes, voire opposées, mais se retrouver largement pour défendre l’intérêt général.
Je conclus en remerciant M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de sa compétence éclairée, mon collègue rapporteur de la commission des affaires économiques, Ladislas Poniatowski, avec qui j’ai eu d’excellentes relations, ainsi que les fonctionnaires de la commission, qui m’ont particulièrement aidé.
Enfin, madame la ministre, je vous remercie de la qualité du dialogue que vous avez su instaurer, dans le respect des parlementaires. (M. Didier Guillaume applaudit.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des affaires économiques, l'autre, du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 230 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 212 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 26 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour de vous remercier de la qualité du travail accompli dans cette Haute Assemblée.
Sauf erreur de ma part, nous avons passé ensemble près de 82 heures,…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Combien de nuits ? (Rires.)
Mme Ségolène Royal, ministre. … dont une bonne partie de nuit (Sourires.), sans compter, bien évidemment, les heures que vous avez passées en commission. Je remercie donc infiniment l’ensemble des membres des deux commissions, leur président et leur rapporteur respectifs, avec qui j’ai eu un dialogue très constructif, cherchant toujours à faire émerger la vérité de l’intérêt général dans ce que nous avions à accomplir, c’est-à-dire la transition écologique et énergétique.
J’ai évidemment apprécié le soutien du groupe socialiste et républicain, mais également des autres groupes. Sur toutes les travées, les attitudes ont été très positives.
J’ai été très sensible aux explications de vote, dans lesquelles vous avez souligné la qualité du dialogue républicain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous auriez pu faire de l’obstruction, mais vous ne l’avez pas fait. Vous auriez pu, pour des raisons politiciennes, refuser d’entrer dans ce débat qui engage l’avenir du pays, mais vous ne l’avez pas fait. Vous avez toujours cherché à construire, à comprendre, à améliorer le texte, à converger vers des exigences dont nous sommes comptables, aujourd’hui, du fait du dérèglement climatique. Vous avez également su percevoir l’importance de la question au regard de la création d’emplois et d’activités.
Tels sont, finalement, les deux grands piliers de ce texte : il s’agit de savoir comment, grâce à la croissance verte, nous allons pouvoir créer des activités et des emplois.
Nous voyons déjà que le mouvement est irréversible. Avant même la promulgation de la loi, les entreprises ont compris, les territoires se mettent en mouvement, les citoyens ont envie de progresser, souvent avec un temps d’avance. En effet, nombre d’orateurs ont déclaré avoir observé que, dans les territoires, les forces vives du pays sont souvent en avance par rapport à ce que nous faisons, même si nos débats contribuent à entretenir le mouvement en donnant une nouvelle impulsion.
C’est si vrai que l’expression même de « transition énergétique » qui, au départ, n’était pas comprise, est aujourd’hui intégrée, à la fois dans le discours des chefs d’entreprise, dans les médias, chez les citoyens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez permis, par vos débats, d’engager un mouvement irréversible. Il suffit de se déplacer dans le pays pour s’en convaincre.
En première lecture, 1 000 amendements ont été déposés, 247 ont été adoptés. En nouvelle lecture, 299 amendements ont été déposés, et 51 adoptés. Ces chiffres illustrent bien l’effort de coconstruction que nous avons fait ensemble.
Cette loi n’est pas la loi du Gouvernement, c’est la loi de la France, c’est la loi que vous, représentants du peuple, avez contribué à faire émerger.
Bien sûr, il y a des divergences, notamment sur le nucléaire, pourquoi le cacher ? Cependant, comme je l’ai toujours dit, j’ai fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres, et je respecte les convictions de chacun, telles qu’elles ont été exprimées.
J’irai même jusqu’à dire que, moi aussi, j’aurais souhaité que la commission mixte paritaire soit conclusive. Vous le savez, ce n’est pas un secret, j’estime que chacun avait fait des efforts pour faire un bout de chemin vers l’autre, de sorte que la Nation sente qu’il y avait un consensus national autour du nouveau mix énergétique.
Vous avez fait mouvement, sous l’impulsion notamment du groupe socialiste et républicain, mais les députés ont préféré faire prévaloir leurs choix. Cependant, je tiens à le dire après plusieurs d’entre vous, il ne faut pas se focaliser sur ce sujet-là, parce que, pour les Français, la transition énergétique, c’est tout le reste ! Ils sont attachés à leur modèle énergétique, dont le nucléaire reste une part, mais, en même temps, ils savent bien, quand ils voient le monde bouger, que nous ne pourrons construire cette social-écologie que vous avez évoquée et préparer l’avenir – on pense à des logements mieux isolés, à des factures moins élevées - que grâce à la montée en puissance des énergies renouvelables, grâce à l’efficacité énergétique, grâce à l’économie circulaire.
Pour conclure, j’espère que vous serez nombreux à participer au sommet de Paris sur le climat. En tout cas, je sais qu’à cette occasion sera organisée une manifestation avec les parlements du monde entier. Compte tenu de la qualité et de la densité de nos débats, je sais que les parlementaires français, dont les sénateurs, seront attentivement écoutés et regardés.
Nous allons nous rendre à cet événement mondial très important forts de cette œuvre législative qui, je le crois, fait honneur à notre pays et nous porte vers l’avant. Nous pourrons ainsi être exemplaires sur l’excellence environnementale lors de la conférence de Paris. Soyez-en chaleureusement remerciés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)
19
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
20
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 16 juillet 2015 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
Rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 618, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 619, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 16 juillet 2015, à zéro heure quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART