compte rendu intégral
Présidence de M. Hervé Marseille
vice-président
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Colette Mélot,
M. Claude Haut.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 10 juillet 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.
La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Philippe Adnot pour siéger comme membre suppléant au sein de cet organisme.
Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Publication du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, créée le 11 février 2015, à l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 610.
4
Retrait de deux questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que les questions orales n° 1170 de M. Roland Courteau et n° 1172 de M. Jean-Marie Bockel sont retirées de l’ordre du jour de la séance du mardi 21 juillet, ainsi que du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.
Acte est donné de cette communication.
5
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 15 juillet 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 462-5 et L. 464-2 du code de commerce (Attributions de l’Autorité de la concurrence) (2015-489 QPC), et le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure (Interdiction de sortie du territoire) (2015-490 QPC).
Acte est donné de cette communication.
Le texte de cet arrêt de renvoi et le texte de la décision de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.
6
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (projet n° 494, texte de la commission n° 548, rapport n° 547, avis n° 524).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote, étant rappelé que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l’ensemble
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son introduction, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 soulignait : « Face aux risques et aux menaces, la première condition du succès demeure plus que jamais la volonté déterminée d’y faire face en consentant l’effort nécessaire. »
L’effort consenti aujourd'hui à travers l’actualisation de la présente loi de programmation militaire est-il de nature à satisfaire aux exigences de sécurité nationale et internationale, sans cesse alourdies par la menace terroriste ?
Oui, l’effort est bien là ! Le Conseil de défense du 29 avril dernier a validé des arbitrages très attendus, par les parlementaires, bien sûr, mais aussi par la communauté militaire. En effet, monsieur le ministre, le texte procède aux ajustements opportuns pour garantir à la loi de programmation une trajectoire budgétaire sincère et relativement sécurisée entre 2015 et 2019.
Alors que les finances publiques de notre pays sont toujours sous contrainte, une rallonge de 3,8 milliards d’euros est octroyée en faveur de la défense pour les trois prochaines années. Cela mérite d’être souligné et salué.
Ces nouveaux moyens permettront de répondre à quelques-unes des difficultés qui remettaient en cause la bonne exécution de la loi de programmation. Je pense notamment au problème des recettes exceptionnelles : le projet de loi réduit leur part à seulement 0,6 % du budget pour la période 2015-2019 ; c’est une bonne chose, car le caractère aléatoire d’une ressource n’est pas compatible avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un budget empreint de la dimension régalienne.
En revanche, monsieur le ministre, le RDSE est plutôt favorable à la sécurisation de l’évolution du « coût des facteurs » proposée par la commission et sur laquelle vous auriez souhaité revenir. Il faut être cohérent : on ne peut pas lever une incertitude budgétaire grâce à la diminution des REX – recettes exceptionnelles – et, dans le même temps, réintroduire un aléa en misant sur des gains de pouvoir d’achat dépendant d’indices économiques, par nature fluctuants.
Je rappellerai que cette marge, dégagée par une évolution favorable des indices économiques, est estimée à 1 milliard d’euros. Par conséquent, nous devons garantir cette ressource essentielle, qui est affectée à l’équipement des forces et à la régénération des matériels, en plus des 500 millions d’euros de crédits nouveaux prévus par l’actualisation.
Nous regrettons aussi que l’actualisation ne revienne pas sur le problème de la sous-évaluation de la dotation allouée au surcoût des opérations extérieures dans un contexte où la France multiplie les interventions. C’est un sujet qui s’imposera de nouveau lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
J’en viens à la réduction de la déflation des effectifs, qui absorbera 2,8 milliards d’euros de l’abondement budgétaire prévu. Cette orientation est naturellement bienvenue, car elle répond au redimensionnement de notre outil de défense, nécessaire pour accompagner le niveau d’engagement très élevé de nos forces armées.
On en connaît les raisons, mes chers collègues ; je ne les détaillerai pas. Je soulignerai simplement que la mise en œuvre de l’opération Sentinelle, décidée à la suite des attentats du mois de janvier, conjuguée à la poursuite de nos opérations extérieures au sein d’un arc de crises de plus en plus étendu, conduit à une surchauffe opérationnelle.
Plus que jamais, le continuum entre sécurité intérieure et défense extérieure est mis à l’épreuve. Le contrat opérationnel est sous tension, à la limite du tenable pour la sécurité et du supportable pour le moral des hommes et des femmes qui assument cette mission. Le Gouvernement en a pris conscience, et le RDSE se satisfait de l’évolution corrigée des effectifs.
Nous partageons également le souci du Gouvernement d’instituer un droit d’association professionnelle des militaires tant que ce droit est compatible avec les contraintes inhérentes à la fonction militaire. Dans sa sagesse, le Sénat a rétabli l’équilibre du texte initial, rompu par les députés. J’espère que nous en resterons là.
Enfin, le RDSE est favorable à tous les dispositifs qui permettront de conforter les ressources humaines, que ce soit l’assouplissement des conditions de recours à la réserve ou l’expérimentation en métropole du service militaire volontaire.
D’une manière générale, tout ce qui concourt au renforcement du lien entre le citoyen et les institutions recueille notre approbation.
Mes chers collègues, si le texte du Sénat n’est pas tout à fait conforme à celui de l’Assemblée nationale, un relatif consensus se dégage toutefois sur les grands principes. C’est pourquoi le RDSE le votera, et à un triple titre.
Nous le voterons d’abord parce qu’il prend en compte la nouvelle dimension de protection de notre territoire.
Nous le voterons ensuite parce que nous le devons aux milliers de militaires, hommes et femmes, qui mettent en jeu leur destin individuel au service de la France et qui attendent en retour les meilleures conditions pour accomplir leurs missions.
Nous le voterons enfin parce que la France doit maintenir son rang stratégique et militaire, que ce soit pour garantir son indépendance ou ses engagements dans le cadre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 11 janvier 2015, immédiatement après les odieux attentats terroristes qui ont frappé la France, 10 000 militaires ont été affectés à la protection des Français. Je tiens ici à les saluer et à rendre hommage à leur dévouement et à leur courage, que les citoyens mesurent au quotidien.
Notre armée joue un rôle indispensable, non seulement sur le territoire national, mais également partout ailleurs sur la planète. Nous venons de fêter le 14 juillet. Comme lors de la Révolution française, la France défend partout l’universalité des droits de l’homme. C’est son honneur et c’est sa force ! On ne compte plus les opérations extérieures où la France est exposée en première ligne pour défendre nos valeurs face à la barbarie, notamment en Afrique et au Proche-Orient.
Parce que, sans les militaires, nous serions démunis pour défendre la démocratie, je fais partie de ceux qui s’opposent à la réduction des moyens de notre armée depuis plusieurs années.
Longtemps, on m’a objecté les difficultés budgétaires ou les règles européennes en matière de déficits. Mais l’Europe est bien contente d’avoir la France sur tous les théâtres d’opération extérieure ! Il faudra bien que l’on pose un jour les véritables questions, y compris en Europe !
C’est facile d’être pacifiste et de ne pas dépenser pour sa sécurité quand d’autres assument cette responsabilité immense,…
M. Bruno Sido. Exact !
M. Robert Navarro. … et les risques qui vont avec, acceptant de voir couler le sang de leurs militaires !
Le Président de la République et le ministre de la défense, que je salue, ont enfin entendu les nombreux appels visant à mettre un terme à l’austérité drastique qui frappe nos forces armées.
Présenté le 20 mai 2015 en conseil des ministres, le texte actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 prévoit notamment une augmentation de 3,8 milliards d’euros du budget de la défense, pour le porter à 162 milliards d’euros courants sur la période 2015-2019. Ce projet est aussi l’occasion d’expérimenter un service militaire volontaire à destination de jeunes et de mettre un terme à la réduction drastique des effectifs.
Pour toutes ces raisons, je voterai résolument en faveur de ce projet de loi, et j’adresse une nouvelle fois mes plus chaleureuses pensées à ceux qui défendent fièrement le drapeau et les valeurs de la France, sur son territoire et dans le monde. (MM. Jacques Chiron, Philippe Esnol et Michel Mercier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Nous en attestons tous, la révision de la trajectoire financière et budgétaire prévue par ce texte est nécessaire.
Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus ici même mercredi dernier sont rassurants, notamment en ce qui concerne l’augmentation des effectifs et l’efficacité du recrutement. L’attractivité de nos forces armées témoigne de leur rayonnement et de l’image positive qu’en ont les Français, celle d’une armée efficace et respectée.
Les réservistes, opérationnels et citoyens, occupent une place de plus en plus importante dans notre défense ; c’est, bien sûr, nécessaire compte tenu des contraintes budgétaires que nous connaissons. Mais leur intégration parmi les militaires d’active dépasse cette nécessité financière : les réservistes doivent sentir qu’ils font partie intégrante de nos armées. Je suis convaincu que celles-ci sortiront renforcées de cette bonne intégration, garante d’une relation harmonieuse entre les militaires d’active et les réservistes. D’ailleurs, c’est la réalité sur le terrain, en métropole comme dans les opérations extérieures, mais des progrès peuvent encore être accomplis à cet égard.
De ce point de vue, la mise en place du service militaire volontaire ne pourra être que positive, en contribuant au renforcement du lien entre les armées et la Nation, mais aussi, à terme, en favorisant le recrutement.
Néanmoins, j’appelle à rester vigilant sur le financement de cette réforme, qui ne doit pas reposer en totalité sur le ministère de la défense. Nous prenons acte, monsieur le ministre, de l’engagement que vous avez pris la semaine dernière d’une mutualisation de cette dépense après les deux années d’expérimentation. Il s’agit en effet de protéger le budget de la défense, dont l’augmentation est loin d’être un luxe, et c’est une opinion que nous sommes ici nombreux à partager.
À cet égard, le groupe de l’UDI-UC soutient entièrement les clauses de sauvegarde introduites par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La France est une puissance militaire qui assume largement ses responsabilités. Elle est engagée simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Si nous voulons être à la hauteur de notre stratégie d’influence, particulièrement dans le cadre de Conseil de sécurité de l’ONU et dans d’autres instances – nous l’avons encore vu ces derniers jours –, nous devons préserver cette crédibilité, donc nos capacités d’engagement.
Dans cette optique, il est nécessaire que notre budget de défense soit protégé de surcoûts – lorsqu’ils sont légitimes, bien sûr, parce que résultant d’une décision politique – en cours d’exercice. Pour cette raison, nous soutenons la soustraction de la défense au financement interministériel du surcoût des OPEX.
De la même manière, il paraît juste de mutualiser le coût des opérations intérieures entre les ministères. La nature des menaces est diverse et ne permet plus une distinction tranchée entre crises extérieures et sécurité intérieure.
En conséquence, si notre réponse doit intégrer différents acteurs, il en va de même de son financement, qui ne peut pas reposer en totalité sur les épaules de la défense. Nous avons déjà rencontré une telle difficulté dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le renseignement, où les frontières entre menaces intérieures et extérieures se brouillent. Face à ces phénomènes nouveaux, nous ne pouvons pas faire preuve de rigidité ; nous devons nous adapter.
Pour cette raison, nous soutenons l’organisation d’un débat au Parlement sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national au début de l’année 2016. Cela a fait l’objet d’un échange entre le Sénat et vous-même la semaine dernière, monsieur le ministre.
La doctrine d’emploi de notre armée sur le territoire français doit évoluer avec la menace. Il s’agit de définir clairement le rôle spécifique de nos forces armées, en parallèle avec les forces relevant du ministère de l’intérieur.
Cependant, cette complexité ne s’arrête pas à nos frontières ; elle concerne aussi, et surtout, nos opérations extérieures. À l’heure où nous menons des guerres essentiellement asymétriques, l’actualisation de la loi de programmation militaire a également pour objectif d’adapter nos armées à la nature de nos nouveaux ennemis.
Les adversaires d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Ils refusent le combat frontal, auquel les armées occidentales sont habituées, sauf lorsqu’ils se considèrent en situation de force. Ils se mêlent à la population civile, rendant toute action militaire plus risquée et controversée. Ils font fi du droit international.
Au travers de cette actualisation, nous ne devons pas uniquement fournir à nos militaires des moyens supplémentaires. Certes, ces derniers sont nécessaires, mais nous devons également leur donner les moyens d’appliquer une doctrine adaptée à la nature des conflits auxquels nous serons confrontés.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’innovation et d’adaptabilité, sur le plan tant intellectuel que stratégique, tactique et industriel. Je ne doute pas que le ministère de la défense et nos industries sauront se montrer à la hauteur du défi à relever.
Cette adaptation, nous devons la réaliser en lien avec nos partenaires et alliés, au travers de l’OTAN, bien sûr, mais aussi de l’Union européenne. Si cela paraît évident, cela ne sera pour autant pas simple à l’heure où la majorité de nos alliés occidentaux paraissent réticents à s’engager militairement.
Forts de notre engagement et de nos capacités, que l’actualisation de la loi de programmation militaire conforte, nous avons un rôle moteur à jouer et une responsabilité particulière à assumer dans la réponse à ces nouveaux défis transnationaux.
Ainsi, je réitère mon soutien, et celui de la majorité de mes collègues du groupe UDI-UC, au projet de loi du Gouvernement tel qu’il a été modifié par la commission.
Au vu des menaces diverses et nouvelles, il est clair que le budget de la défense ne peut pas et ne doit pas faire figure de variable d’ajustement – mais je sais que nous partageons tous ce point de vue. Je suis convaincu, par ailleurs, que le dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le texte sera constructif, et cela dès ce soir, en commission mixte paritaire. Nous souhaitons ardemment trouver un accord sur ce texte.
Sur un projet aussi important, le débat est sain et nécessaire, mais nous avons tous à l’esprit qu’il est également important dans le contexte actuel, d’aboutir à un consensus : c’est notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Les Républicains.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, au lendemain du 14 juillet, journée au cours de laquelle la nation tout entière a rendu un hommage solennel aux armées, nous devons nous prononcer sur le projet d’actualisation de la loi de programmation militaire, adoptée il a dix-huit mois.
À l’époque, notre groupe avait fait part de ses inquiétudes sur la poursuite excessive de la déflation des effectifs, à un niveau que nous estimions incompatible avec les missions de nos armées ; sur le recours à des ressources exceptionnelles, notamment la vente de fréquences structurellement indisponibles et rendant, de fait, insincère l’équation budgétaire dès 2015 ; sur une sous-dotation des OPEX, les opérations extérieures, compensée, par amendement, par la réserve interministérielle ; sur un report de charges annuel, fragilisant toute l’économie de la défense, dont on sait qu’elle constitue un véritable levier de croissance, dont notre pays a besoin.
À ces griefs originels, que je qualifierai de « législatifs » et que nous avons essayé de corriger, se sont ajoutés des éléments contextuels inhérents à la forte dégradation de la sécurité internationale : l’extension, avec raison, à toute la bande sahélo-saharienne de notre intervention au Mali ; l’intervention en Centre-Afrique ; les chaos irakiens et syriens, avec l’expansion dramatique de Daesh ; la déstabilisation géopolitique du nord de l’Afrique et les attaques contre l’Égypte, la Tunisie ou la Libye ; le terrorisme, à l’étranger et sur le territoire national.
Nous sommes face à une guerre dont la première caractéristique est la permanence dans le temps. Elle impose une adaptation et une révision de nos modes opérationnels et prévisionnels, ainsi que l’obligation de revoir impérativement les moyens consacrés à notre défense. Ceux-ci doivent être non seulement à la mesure des ambitions diplomatiques de la France, mais également proportionnels au besoin de sécurité des Français.
À la lumière de tous ces éléments, l’actualisation de la loi de programmation militaire est fondamentale. Pour le groupe Les Républicains, ce texte correspond plus à une correction qu’à une actualisation. Nous saluons donc les efforts du Gouvernement, tant pour l’augmentation du budget que pour la sanctuarisation de ces crédits.
Au total, la loi de programmation militaire prévoit quelque 3,8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires, dont 2,5 milliards d’euros après 2017. Les REX ont donné lieu à un véritable bras de fer entre la défense et Bercy. Par l’arbitrage du Président de la République, elles ont été transformées en crédits budgétaires. Nous sommes satisfaits et nous pouvons dire que le Parlement, ainsi que notre groupe, a parfaitement assumé son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement. (M. Ladislas Poniatowski applaudit.)
Les seules REX conservées, rebaptisées « recettes de cession », ne représentent que – si je puis dire – 930 millions d’euros et sont constituées de cessions immobilières pour la plus grande partie d’entre elles. Au total, ces ressources nouvelles financeront, pour 2,8 milliards d’euros, la moindre déflation nécessaire des effectifs. Il paraît aussi important de souligner la prise en compte des enjeux relatifs au maintien en condition opérationnelle, ou MCO ; c’est une très bonne chose.
Les OPEX ont clairement démontré que le vieillissement et l’usure des matériels sont fortement accélérés. L’attrition des équipements est telle qu’elle peut nuire aux capacités opérationnelles et qu’elle a un impact sur les conditions d’entraînement.
Ainsi, l’affectation de 500 millions d’euros à la régénération des matériels est plus que bienvenue, de même que le 1,5 milliard d’euros prévus pour la commande d’équipement.
Cette loi de programmation militaire permet d’intégrer officiellement l’opération Sentinelle, dont le coût atteint 1 million d’euros par jour. Grâce aux amendements de notre commission, le Parlement sera associé, afin de tirer les conséquences du dispositif et de l’adapter au mieux aux besoins de sécurité de nos concitoyens.
À cet instant, au nom de notre groupe, je veux remercier le président-rapporteur, Jean-Pierre Raffarin, et le rapporteur pour avis, Dominique de Legge. Leur travail a permis des avancées concrètes, avec un objectif : adopter un texte cohérent et adapté à la réalité de nos armées.
La volonté du groupe Les Républicains du Sénat, ainsi que, je dois le dire, de la quasi-unanimité des groupes de la Haute Assemblée, a été d’alerter le Gouvernement et d’amender son texte, pour obtenir des garanties et être force de propositions.
Premièrement, nous avons sanctuarisé les REX restantes, grâce à des clauses de sauvegarde, qui concernent aussi bien des crédits de substitution, pour le cas où les recettes ne seraient pas au rendez-vous, que l’anticipation des conséquences de la loi Duflot, si la décote s’appliquait, en totalité, à l’ilot Saint-Germain. Nous avons aussi prévu une garantie budgétaire en cas de retournement des indices économiques – inflation, carburant.
Deuxièmement, nous avons partagé les coûts relatifs à la sécurité intérieure : le ministère de la défense ne peut supporter seul le coût des opérations comme Sentinelle, et nous avons voulu un financement interministériel. La sécurité, y compris contre le terrorisme, est un bien commun et elle impose un effort budgétaire collectif.
Troisièmement, nous avons prévu de limiter l’impact du surcoût des OPEX pour le ministère de la défense. Le principe de la solidarité ministérielle est louable, mais il aboutit à une situation paradoxale, car la défense paye une fois sur son budget 450 millions d’euros et une seconde fois, pour 19 %, en interministériel. C’est ce que Dominique de Legge appelle « la double peine ». Nous avons donc exonéré la défense de l’interministériel pour les OPEX.
Quatrièmement, et enfin, nous avons permis la constitution d’associations de militaires sans déstabiliser l’institution.
Sécuriser et pérenniser les ressources du ministère de la défense tout en créant les conditions d’un meilleur contrôle parlementaire, voilà ce qui a motivé les sénateurs lors de l’examen de ce texte. C’est aussi cela la vocation de la Haute Assemblée : améliorer ce qui peut l’être et assumer ses responsabilités.
Monsieur le ministre, nous aurions préféré un effort plus important face à la réalité des menaces et un moindre étalement des crédits dans le temps.
Néanmoins, notre groupe votera ce texte. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing au Gouvernement, car l’exécution de la loi de programmation militaire sera suivie de près. Cependant, ce vote prend en compte des avancées concrètes, complétées par le travail de la Haute Assemblée.
Vous l’avez compris, monsieur le ministre, les sénateurs Les Républicains seront extrêmement vigilants. Nous savons que la loi de programmation militaire n’a pas de valeur normative. De même, nous savons que les avancées de ce projet de loi ne seraient effectives qu’au moyen d’un collectif budgétaire que nous n’aurons pas !
Dès lors, nous serons particulièrement attentifs à la levée anticipée de la réserve de précaution et à la publication d’un décret d’avance dans les derniers jours de 2015.
Notre vrai rendez-vous, nous le savons tous, sera l’examen des crédits budgétaires pour 2016. Ce sera, nous le demandons pour nos armées, « l’occasion positive » de vérifier l’application de cette actualisation. Et là encore, notre groupe assumera ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – Mme Catherine Tasca applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons l’une des dernières étapes de l’actualisation de la loi de programmation militaire de 2013, actualisation prévue par la loi initiale et anticipée de quelques mois pour répondre au contexte sécuritaire du moment.
Le travail en commission a été fructueux. Nous présentons aujourd’hui au vote un texte qui maintient notre vigilance sur l’exécution budgétaire de la loi. Ce texte est un point d’équilibre entre la poursuite de la modernisation de nos armées, la nécessaire adaptation de ces dernières aux opérations que nous menons aujourd’hui, le défi de la contrainte budgétaire et les ambitions de notre pays. Il décline les décisions prises par le Président de la République en conseil de défense, le 29 avril dernier. Ce sera un beau symbole que de l’adopter au lendemain du 14 juillet.
Je le redis, ce n’était pas si simple dans le contexte budgétaire du moment, comme en a témoigné le débat de jeudi dernier relatif à la loi de règlement. La commission des finances le sait bien.
Cette actualisation permet non seulement de compléter les systèmes d’armes qui équipent nos forces et d’accompagner la montée en puissance du renseignement et de la cyberdéfense, mais également de « densifier notre modèle de défense ».
À la suite des attentats des 7 et 9 janvier derniers, nos armées ont montré qu’elles étaient des leviers puissants de résilience face à la déstabilisation que voulaient imposer les terroristes ! Nous le savions, nous l’avons vérifié : nous disposons d’une armée performante servie par des femmes et des hommes d’un professionnalisme remarquable et remarqué par tous nos concitoyens. Il tient à nous de conserver précieusement cette force contre des menaces devenues de plus en plus multiformes et diffuses.
Ce projet de loi prévoit des moyens nouveaux.
En premier lieu, il fournit des moyens supplémentaires grâce à un effort budgétaire exceptionnel de 3,8 milliards d’euros en crédits budgétaires : ceux-ci permettront d’ici à 2019 de préserver 18 750 postes de la déflation prévue. À ce titre, 2,8 milliards d’euros y seront consacrés.
Cette mesure essentielle relative aux effectifs permettra d’honorer les contrats opérationnels demandés aux armées ; en particulier, l’armée de terre pourra porter sa capacité opérationnelle de 66 000 à 77 000 hommes, ce qui lui donnera la possibilité d’assurer sa mission de protection sur le territoire national, mission dont il conviendra de définir plus précisément les contours.
Cette revue permet également de poursuivre la montée en puissance des forces spéciales et de la cyberdéfense, qui sont les réponses aux menaces du moment.
En deuxième lieu, le projet de loi prévoit la suppression des recettes exceptionnelles et leur remplacement par des crédits budgétaires. Nous le souhaitions. Le caractère aléatoire de ces recettes exceptionnelles contrastait trop avec la volonté présidentielle, plusieurs fois affirmée, de sanctuariser le budget de la défense.
Je crois aussi, mais je ne suis pas le seul, que le pari en matière d’export, en particulier sur le Rafale, est en passe d’être gagné. Ces marchés permettent autant de sauvegarder nos emplois que de consolider notre industrie de défense et de réaliser pleinement – ce n’est pas rien – la loi de programmation militaire en matière d’équipements nouveaux.
Enfin, nous accomplissons un effort accru pour combler des carences capacitaires, ainsi qu’en matière d’entretien programmé de nos matériels, deux priorités affichées d’emblée par vous-même, monsieur le ministre, et qui se trouvent ici renforcées.
Outre quelque 500 millions d’euros supplémentaires dans le domaine de l’entretien programmé du matériel, je noterai pour ma part l’acquisition de sept hélicoptères Tigre supplémentaires, une augmentation des cadences de livraison des NH90, ainsi que la commande de quatre avions de transport C-130, dont deux seront équipés pour le ravitaillement en vol des hélicoptères. Cet effort est justifié, car l’aéromobilité est une donnée incontournable de la réussite de l’action de nos forces engagées dans des opérations extérieures, notamment dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons pu le mesurer de nos propres yeux.
Ce texte présente enfin deux nouveautés intéressantes : l’évolution de la représentation professionnelle des militaires, avec la création des associations professionnelles nationales de militaires, ou APNM, mais aussi la création en forme d’expérimentation du service militaire volontaire sur le modèle du service militaire adapté, dont nous avons pu également mesurer l’efficacité outre-mer.
Le projet de loi ainsi modifié sera soumis ce soir à une commission mixte paritaire, dont je ne doute pas de l’issue favorable. Il restera quelques points à discuter. Le premier concerne la clause qui exclut le ministère de la défense du financement des surcoûts en matière d’opérations extérieures, que vient d’évoquer Jacques Gautier.
Comme cela a été rappelé par M. le ministre lors de la discussion sur les articles, les dépassements de la dotation annuelle au titre des opérations extérieures font l’objet d’un financement interministériel. Et pour des raisons évidentes de solidarité avec les autres ministères, le ministère de la défense ne saurait s’en exonérer. Il s’agit d’une tradition fort ancienne que rien ne justifie de modifier aujourd’hui.
En matière de cessions immobilières, s’il n’est pas possible d’exonérer totalement le ministère de la défense de sa participation au dispositif d’aide au logement social, comme le préconisent les auteurs d’un amendement adopté au Sénat, je pense, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, qu’il est possible de trouver un compromis en fixant un plafond à la décote. Nous présenterons d’ailleurs un amendement en ce sens en commission mixte paritaire.
S’agissant des opérations intérieures, nous ne pensons pas utile d’ouvrir cette année Sentinelle à un financement interministériel. Nous estimons en revanche qu’il convient de l’évaluer ; il sera toujours possible de revenir sur son financement ultérieurement. Enfin, nous reparlerons du secret défense opposable aux commissions.
En conclusion, mes chers collègues, au regard de l’effort consenti à l’occasion de cette actualisation – des moyens financiers en hausse qui permettent la revue des effectifs, des équipements supplémentaires et mieux entretenus, le renforcement du lien entre armée et nation – le groupe socialiste et républicain votera résolument cette actualisation de la loi de programmation militaire, dont j’ai déjà dit lors de la discussion générale du 8 juillet dernier combien elle était inédite. N’oublions pas que cette loi de programmation militaire est la première à être revalorisée en cours d’exécution.
Cette actualisation redonne du souffle politique et renforce la légitimité que requiert un effort engageant la nation entière. Ce texte est le meilleur hommage que nous, parlementaires, pouvons rendre à nos militaires, qui se mobilisent en tout lieu et à tout instant sur le territoire national et hors de nos frontières. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)