Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
M. Claude Haut, Mme Colette Mélot.
2. Désignation d’un sénateur en mission temporaire
3. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
5. Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
6. Communication du Conseil constitutionnel
7. Agressions sexuelles sur mineur. – Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de la commission. – Adoption.
8. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
9. Agressions sexuelles sur mineur. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 1 de Mme Catherine Troendlé. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 6 et 7 (nouveaux) – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
10. Questions d'actualité au Gouvernement
M. Jacques Mézard ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jacques Mézard.
cruauté animale dans les abattoirs
Mme Marie-Christine Blandin ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Mme Marie-Christine Blandin.
route du littoral à La Réunion
Mme Évelyne Didier ; M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Évelyne Didier.
incidences de la demi-part des personnes veuves sur la fiscalité locale
M. Yannick Vaugrenard ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
situation de l’entreprise Vallourec
Mme Valérie Létard ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
politique migratoire européenne et Turquie
M. Bruno Retailleau ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Bruno Retailleau ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
M. Jacques Bigot ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Philippe Bas ; Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Philippe Bas.
avis de la Commission européenne sur le plan très haut débit
M. Patrick Chaize ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
indemnités des élus dans les syndicats de communes
M. Yannick Botrel ; Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
M. David Rachline ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. David Rachline.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Claude Haut,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 octobre 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Désignation d’un sénateur en mission temporaire
M. le président. Par courrier en date du 19 octobre, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, Mme Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde, en mission temporaire auprès de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Cette mission portera sur les rythmes scolaires.
Acte est donné de cette communication.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2015.
4
Dépôt d’un document
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le bilan triennal 2010-2013 du contrat de service public entre l’État et GDF-Suez.
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission affaires économiques.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 16 octobre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (n° 2015-492 QPC) ; la peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons (n° 2015-493 QPC) ; la procédure de restitution des objets placés sous main de justice au cours de l’information judiciaire (n° 2015-494 QPC).
Acte est donné de ces communications.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 16 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 3121-10 du code des transports (Activité de conducteur de taxi) (2015-516 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
Agressions sexuelles sur mineur
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur, présentée par Mme Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 437 [2014-2015], texte de la commission n° 55, rapport n° 54).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi.
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en début d’année, coup sur coup, deux affaires – l’une en Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine – sont venues rappeler que des violences sexuelles imposées aux enfants dans l’enceinte scolaire constituaient encore une cruelle actualité dans notre pays et, par là même, un terrible aveu d’impuissance pour la République.
Les faits, commis dans des lieux censés apporter une totale protection aux enfants, ont effectivement été l’œuvre de deux personnes soupçonnées d’actes pédophiles graves et qui ont continué à exercer leurs activités professionnelles auprès de mineurs alors même qu’elles avaient été condamnées pour détention d’images pornographiques plusieurs années auparavant.
Le 24 mars dernier, les médias ont annoncé que les ministères de la justice et de l’éducation nationale avaient diligenté une enquête administrative conjointe, confiée à leur inspection générale respective, dont le rapport définitif n’a été rendu public qu’au mois de juillet suivant.
Le 4 mai suivant, les ministres de l’éducation nationale et de la justice se sont rendues à Villefontaine pour y présenter les conclusions provisoires de la mission chargée de faire la lumière sur la transmission d’informations relatives aux poursuites et condamnations pénales de deux enseignants.
Il a été démontré que les informations n’avaient pas été communiquées à l’éducation nationale. La conclusion provisoire faisait précisément état de « dysfonctionnements majeurs », laissant apparaître que « l’échange d’informations entre l’autorité judiciaire et l’institution scolaire n’est pas efficient ».
Le Gouvernement a alors annoncé l’élaboration d’un projet de loi pour combler ces lacunes. Mais c’est en définitive un amendement au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DDADUE pénal », qui, de façon quelque peu précipitée, a été déposé. Nous connaissons la suite : la disposition a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
En l’absence de transmission rapide, par le Gouvernement, d’un véritable texte de loi sur le sujet, j’ai mené une réflexion qui m’a conduite, à l’instar du député Pierre Lellouche à l’Assemblée nationale, à déposer une proposition de loi sur le bureau du Sénat. Nos deux textes, je le précise, ont été précédés par une excellente proposition de loi, déposée par notre collègue député, Claude de Ganay, qui complète parfaitement nos démarches respectives.
Il faut se rendre à l’évidence, en dépit d’une parole de plus en plus libérée dans notre société – et c’est heureux - sur ces agissements criminels, aussi bien dans l’administration qu’au sein des familles, et malgré des dispositions du code pénal et du code de l’action sociale et des familles encadrant avec toujours plus de précisions le risque pédophile, sa répression et le suivi des personnes incriminées, seize révocations d’enseignants sont encore intervenues, en 2014, pour de tels motifs !
Où se situent les dysfonctionnements ? Ils sont liés au non-respect de la circulaire n° 97-175 du 26 août 1997, qui porte instruction concernant les violences sexuelles et détermine la ligne de conduite censée être suivie au sein du ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’au non-respect de la dépêche du 29 novembre 2001 relative à l’avis à donner aux administrations à l’occasion des poursuites pénales exercées contre des fonctionnaires et agents publics.
Il apparaît donc que c’est au stade de la condamnation qu’une faiblesse de notre droit demeure, faiblesse ayant pu conduire aux récents « dysfonctionnements ». En fait, l’interdiction d’exercer toute profession au contact d’enfants imposée aux personnes concernées par ce type de crimes ou de délits est considérée comme une peine complémentaire laissée à la libre appréciation du juge. Temporaire ou bien définitive, cette interdiction peut être décidée par le juge en complément d’une peine principale.
Mais au-delà de l’éducation nationale et, en général, de la fonction publique, qui est malheureusement souvent pointée du doigt, d’autres structures recevant un public mineur sont parfois le théâtre de ces violences faites aux enfants. Ainsi, au mois de mai dernier encore, dans l’Eure, un directeur de centre équestre récidiviste a été accusé de viols sur quatre jeunes filles. Il avait déjà été condamné en 2007 et figurait sur le fichier des délinquants sexuels.
Avec le dépôt de cette proposition de loi, mon objectif a été d’assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs – partout où ils sont susceptibles de se trouver, et non uniquement dans le cadre de l’école publique – contre les auteurs d’agressions sexuelles, tout en respectant notre ordre constitutionnel.
Pour mettre un terme à ces situations dangereuses, il s’avère nécessaire de rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs, pour toute personne condamnée pour crime ou délit sexuel contre des mineurs.
Il y a urgence à présent, car, l’Assemblée nationale ayant déjà débattu de ces dispositions, notamment en examinant l’amendement au DDADUE pénal, nous pouvons presque considérer que nous procédons aujourd'hui à une deuxième lecture. Et le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions adoptées alors pour des motifs constitutionnels – l’amendement était un cavalier législatif -, et uniquement pour cela.
Compte tenu de ces éléments, il a semblé normal – et donc urgent – aux soixante-seize membres du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC ayant signé cette proposition de loi et à moi-même d’inscrire celle-ci dans le premier espace de la session ordinaire réservé au groupe Les Républicains.
Une demande d’engagement de la procédure accélérée a été soumise par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, à M. le Premier ministre, car nous voulions être sûrs de ne pas perdre de temps. Mais je suis déçue, madame la garde des sceaux, par la réponse de ce dernier. M. le Premier ministre nous a effectivement fait savoir que la procédure d’urgence ne serait pas retenue. Je ne comprends pas cette décision ! Comme je viens de l’indiquer, nous sommes parvenus, à peu de chose près, au stade de la deuxième lecture. Le texte de la proposition de loi a été validé ; il est équilibré sous l’angle tant de l’objectif visé que du respect de l’ordre constitutionnel.
Doit-on en conclure que le Gouvernement souhaite privilégier son propre projet de loi qui, encore soumis pour avis au Conseil d’État, n’est pas inscrit à l’ordre du jour ?...
M. Éric Doligé. Eh oui !
Mme Catherine Troendlé. Je suis pourtant certaine, madame la garde des sceaux, que nous visons le même objectif !
Par ailleurs, j’aimerais profiter du temps qui m’est imparti pour rendre hommage à tous les professionnels, notamment de l’éducation, et à tous les bénévoles qui œuvrent au contact des enfants. Il s’agit là de très belles vocations, salutaires pour les plus jeunes et participant à la formation des esprits de demain.
Aussi, je tiens à préciser que la présente proposition de loi n’entend, en aucune manière, jeter l’opprobre sur ces professionnels et bénévoles, parmi les plus méritants. Elle a uniquement pour finalité de protéger les enfants de prédateurs qui ne devraient pas être au contact de jeunes publics.
Je souhaite également faire part de ma gratitude à mes soixante-seize collègues qui ont soutenu cette proposition de loi en la cosignant, montrant ainsi tout l’intérêt que les élus de notre chambre ont pour la protection des mineurs et leur bien-être en général.
Pour terminer, il m’appartient de remercier vivement – j’y insiste – M. le rapporteur, François Zocchetto, de son excellent travail, de son écoute, mais aussi de sa détermination à rendre ce texte efficace. Ce travail approfondi a conduit au respect à la fois de l’objectif visé – la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles – et de notre ordre constitutionnel.
Bien évidemment, mes chers collègues, je soutiens pleinement les modifications que M. le rapporteur a proposé d’apporter à cette proposition de loi et qui ont été adoptées par la commission des lois, la semaine dernière.
Au bénéfice de ce plaidoyer, madame la garde des sceaux, je vous invite à nous apporter tout votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes de nouveau réunis, trois mois après l’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.
Je vous le rappelle, à l’époque, nous nous étions opposés à la méthode retenue par le Gouvernement et par les députés, consistant à insérer dans ce projet de loi de nombreux articles additionnels, sans lien avec le texte d’origine. Mais nous avions également émis des réserves de fond, concernant un certain nombre de dispositions que nous réétudions aujourd'hui.
Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a donné totalement droit au Sénat, en annulant vingt-sept articles du DDADUE introduits par l’Assemblée nationale. Cette décision très importante a permis de faire respecter les droits de notre assemblée. Elle prohibe également, à l’avenir, des extensions non maîtrisées du champ des textes de transposition.
Pour autant, nous étions bien évidemment convenus, lors de l’examen du projet de loi précité, qu’il y avait matière à travailler. C’est ce qu’a fait Catherine Troendlé, montrant ainsi que le Sénat est pleinement conscient de certaines failles de notre législation et qu’il est déterminé à les combler le plus rapidement possible. Je salue donc son initiative et la qualité de son travail.
À la suite des faits évoqués par l’auteur de la présente proposition de loi, avec votre collègue ministre de l’éducation nationale, madame la garde des sceaux, vous avez diligenté une inspection conjointe. Le rapport qu’elle a produit, de très bonne qualité, n’a cependant été rendu public qu’à l’issue de l’examen du texte dit « DDADUE ».
Voilà trois mois, le Gouvernement a confondu vitesse et précipitation et réagi dans l’émotion, au risque de porter gravement atteinte à nos principes constitutionnels, alors qu’il y avait matière à examiner ces questions rapidement, certes, mais dans la sérénité.
C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Ainsi, l’article 30 de la loi censuré par la suite par le Conseil constitutionnel prévoyait une transmission systématique à l’autorité administrative des informations concernant les condamnations des agents publics, ce qui ne soulève bien évidemment aucune difficulté de principe. Mais il était également prévu une information sur les procédures pénales en cours, contrevenant ainsi gravement – c’est là que tout se complique – à la présomption d’innocence.
Mes chers collègues, vous savez combien sont délicates ces affaires ; il revient au législateur la tâche très difficile de suivre une ligne de crête particulièrement étroite : d’un côté, nous devons assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs ; d’un autre côté, nous devons respecter les principes constitutionnels garants de notre État de droit.
De ce point de vue, l’approche retenue dans le cadre de la présente proposition de loi me semble beaucoup plus intéressante que celle qui prévalait dans le cadre du texte de juillet puisqu’elle vise les personnes reconnues coupables, ce qui permet de lever toute difficulté.
Par ailleurs, notre droit offre aux magistrats la possibilité de prononcer des peines principales et des peines complémentaires. La peine complémentaire qui nous intéresse dans le cas présent consiste en l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec les mineurs.
Deux chiffres prouvent que cette peine est rarement retenue. En 2013, dernière année de référence pour les statistiques, sur les 2 978 condamnations pour agressions sexuelles contre mineur, la peine complémentaire a été prononcée à 86 reprises. Par ailleurs, sur les 1 600 condamnations pour mise en péril de mineurs, il a été fait recours à 74 reprises à une telle peine.
C’est ainsi que le procureur général de Versailles a récemment demandé aux parquets de son ressort de requérir systématiquement cette peine complémentaire en cas d’infraction sexuelle contre un mineur et d’interjeter appel tout aussi systématiquement des décisions qui ne suivraient pas ces réquisitions.
Par conséquent, la commission des lois a approuvé le principe d’une peine complémentaire obligatoire, en apportant à ce dispositif les adaptations nécessaires pour en garantir la conformité à la Constitution. Elle propose ainsi de renverser le principe : cette peine complémentaire s’appliquera, sauf décision contraire spécialement motivée du juge, la juridiction conservant toute latitude d’appréciation en choisissant de prononcer cette interdiction à titre temporaire ou à titre définitif.
S’agissant de l’information de l’autorité administrative en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours, objet de l’article 3 de la proposition de loi, la commission a adopté un dispositif très largement inspiré de l’article 30 de la loi DDADUE qui avait obtenu le soutien – c’est peu de le dire – à la fois des députés et du Gouvernement.
La proposition qui vous est soumise, mes chers collègues, se limite à une obligation d’information de l’administration de tutelle portant sur les condamnations pour infraction sexuelle contre mineur : cela peut paraître une évidence, mais c’est déjà un progrès par rapport au droit en vigueur.
Il pourra nous être rétorqué que le temps qui s’écoulera entre la commission des faits et le prononcé de la condamnation est trop long. Je comprends cet argument. Toutefois, il existe dans notre droit pénal une mesure de sûreté, à savoir le contrôle judiciaire. Ce cadre procédural est parfaitement adapté au sujet dont nous débattons. C’est pourquoi la commission propose que le juge d’instruction ait la faculté d’interdire à la personne mise en examen d’exercer une activité au contact de mineurs.
Le texte élaboré par la commission prolonge ce raisonnement : il prévoit que, sauf décision contraire spécialement motivée, tout agent public ou toute personne exerçant une activité sous le contrôle de l’administration, travaillant au contact de mineurs et mise en examen pour une infraction sexuelle contre mineur soit obligatoirement placée sous contrôle judiciaire, l’autorité de tutelle en étant systématiquement informée.
On nous a fait observer qu’un tel dispositif n’empêcherait pas, pour autant, que certains cas passent au travers des mailles du filet. En effet, un grand nombre de procédures ne donnent pas lieu à la saisine d’un juge d’instruction, mais sont directement conduites par le procureur dans le cadre d’une enquête préliminaire. De fait, moins de 5 % des affaires pénales sont traitées par un juge d’instruction.
Je comprends également cet argument. Toutefois, cette objection dépasse largement notre sujet. Si nous voulions que les procureurs qui suivent les enquêtes puissent prononcer des peines complémentaires, il faudrait alors leur donner la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, ce qui constituerait un profond changement de notre procédure pénale. Ce n’est pas le moment pour en discuter.
J’estime cependant que, dans le cas où se présenterait une grosse difficulté, le parquet pourrait aussitôt saisir un juge d’instruction et requérir le placement sous contrôle judiciaire.
Avec l’accord de son auteur, que je remercie, la commission a supprimé l’article 5 de la proposition de loi qui prévoyait l’augmentation des quanta de peine applicables en cas de condamnation pour détention ou consultation d’images pédopornographiques, ce afin d’éviter tout effet contreproductif.
En outre, nous avons décidé d’intégrer dans ce texte trois articles qui figuraient dans la loi DDADUE et qui faisaient l’objet d’un consensus.
Enfin, nous avons modifié l’intitulé de la proposition de loi pour en élargir le champ.
Tel est en résumé, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel la commission des lois a examiné cette proposition de loi.
Cela dit, madame la garde des sceaux, je sais que le Gouvernement envisage de présenter au Parlement un nouveau projet de loi reprenant une partie des dispositions examinées l’été dernier dans le cadre de la loi DDADUE. Je le dis avec force et solennité : nous ne comprendrions pas que le Gouvernement, qui a demandé toutes ces mesures, s’opposât à la présente proposition de loi au seul motif qu’il s’agit d’un texte d’origine parlementaire. Ce serait mal vécu, car cette proposition de loi reprend une partie des dispositions proposées par Dominique Raimbourg et ses collègues députés.
Puisque, me semble-t-il, vous aviez donné votre agrément à toutes ces mesures, je ne comprendrais pas que vous ne nous apportiez pas votre soutien, d’autant plus que, comme votre collègue Najat Vallaud-Belkacem, vous voulez aller vite. Alors, saisissez le premier véhicule législatif à votre disposition ! Quand bien même le Premier ministre a refusé d’engager, comme l’avait demandé le président du Sénat, la procédure accélérée, nous sommes prêts, en accord tant avec nos collègues de l’Assemblée nationale qu’avec vous-même, à faire avancer très rapidement ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas utile de revenir sur les événements tragiques que vous avez rappelés, madame Troendlé, et qui nous ont conduits à prendre des dispositions visant à encadrer la transmission des informations détenues par l’autorité judiciaire à destination de l’éducation nationale et, plus généralement, de toute administration employant des personnes en contact habituel avec des mineurs.
Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le Gouvernement a réagi très vite. Cependant, vous avez parlé de précipitation à propos des dispositions introduites dans la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ; permettez-moi de vous dire que c’est de diligence qu’a fait preuve le Gouvernement.
Dès le lendemain des faits qui se sont produits, la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons diligenté une inspection conjointe de l’inspection générale des services judiciaires et de l’inspection générale de l’éducation nationale et l’avons chargée d’examiner aussi précisément que possible les conditions dans lesquelles s’effectuent ces transmissions et de formuler des préconisations pour en améliorer la fluidité.
À peine quelques jours plus tard, nous avons réuni les procureurs généraux et les recteurs, afin d’appeler leur vigilance sur les conditions dans lesquelles les informations sont transmises sous la responsabilité des premiers et sur les conditions dans lesquelles ces informations sont traitées sous l’autorité des seconds par l’administration de l’éducation nationale.
Nous avons également mis en place un groupe de travail chargé, sous l’autorité de la direction des affaires criminelles et des grâces, de faire des propositions visant à organiser le traitement des informations recueillies par les administrations.
Nous avons aussi chargé cette direction de l’élaboration d’un guide méthodologique destiné non seulement à l’autorité judiciaire, mais également à l’éducation nationale et, plus largement, à toutes les administrations qui pourraient être amenées à prendre soit des mesures conservatoires, soit des mesures définitives à l’encontre des agents qu’elles emploient.
Au-delà de cette vigilance à l’égard des personnes, nous avons cherché à améliorer l’assistance technique et logistique à destination des magistrats et des greffiers en introduisant des alertes informatiques dans le dispositif Cassiopée, outil de gestion des dossiers en matière pénale.
Nous avons également travaillé avec le ministère de l’intérieur de façon à permettre aux enquêteurs, grâce à des alertes informatiques, d’identifier très rapidement, dès leur interrogatoire au cours de leur garde à vue, les personnes ayant un contact habituel avec des mineurs sur le plan professionnel.
Dès le 6 septembre dernier, la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons adressé aux parquets généraux et aux rectorats une circulaire commune destinée à rappeler les conditions de diffusion de l’information à droit constant et à leur transmettre la liste des référents « éducation nationale » pour ce qui concerne les parquets ainsi que la liste des référents « justice » à l’égard des rectorats.
Vous l’avez rappelé, madame Troendlé, plusieurs circulaires ont été diffusées – en 1997, en 2001 et en 2015 – faisant obligation aux parquets de transmettre les informations dont ils disposeraient à la fois à l’éducation nationale et à toute administration publique.
Dans la mesure où cette transmission d’informations se heurte à certains principes inscrits dans le code de procédure pénale, à savoir le secret de l’instruction, le secret du délibéré et la présomption d’innocence, nos investigations approfondies ont montré que c’est seulement par la loi que nous pouvons en définir le cadre juridique. D’autant que le Gouvernement souhaite que cette transmission d’informations soit la plus pertinente possible.
Monsieur le rapporteur, vous parliez fort justement d’une « ligne de crête particulièrement étroite » entre la nécessité d’informer afin que des mesures conservatoires soient prises – avant condamnation, le cas échéant – et le respect de la présomption d’innocence, principe majeur de notre droit.
Nous avions trouvé ce chemin de crête grâce à un travail extrêmement intense avec les députés, vous avez eu l’élégance de le rappeler, monsieur le rapporteur. Nous avions souhaité agir vite, mais non dans la précipitation, s’agissant d’i, texte très élaboré. Le Gouvernement ne fait preuve d’aucune défiance à l’égard des parlementaires : après trois ans passés aux responsabilités, nous avons démontré en de multiples circonstances le respect dans lequel nous tenons les parlementaires, qu’il s’agisse de la Chambre Haute ou de l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Troendlé. Oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. En effet !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce respect ne fait pas l’ombre d’un doute ! Les amendements que vous déposez sur les textes présentés par le Gouvernement sont pris en considération et reçoivent des avis favorables lorsque le Gouvernement estime qu’ils tendent à améliorer le dispositif. Parfois, certains d’entre eux, sans réduire la qualité d’un texte, peuvent avoir une vocation particulière, tels les amendements d’appel. Mais, d’une manière générale, le Gouvernement est extrêmement soucieux de l’écriture de la loi par les législateurs que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs.
Néanmoins, je vous expliquerai pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas émettre un avis favorable sur ce texte de loi. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Hubert Falco. Le problème est là !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si vous aviez la courte patience d’entendre les arguments du Gouvernement, nous serions dans un échange de fond et non dans une réaction subjective. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Hubert Falco. On vous écoute !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Troendlé, je salue l’esprit dans lequel vous avez engagé cette réflexion et la qualité du travail que vous avez effectué, notamment avec la Chancellerie. Vous n’avez pas ménagé vos efforts et, j’espère que vous en conviendrez, la Chancellerie a fait montre à votre égard de l’estime, du respect et de la disponibilité que je lui ai demandé de vous témoigner.
Au demeurant, la présente proposition de loi contient des dispositions que le Gouvernement n’avait pas retenues dans le texte portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, qui visait à transposer plusieurs directives européennes. Ce texte a été déféré, sur une initiative sénatoriale, au Conseil constitutionnel, qui l’a censuré, non pas sur le fond, pour inconstitutionnalité ou en raison du danger que présenteraient ses dispositions, mais du fait de la nature « cavalière » de certaines d’entre elles.
Cavalière, encore que… Il m’est interdit de porter une appréciation sur une décision du Conseil constitutionnel, mais nous avions expliqué qu’il y avait un lien évident entre ces mesures et la transposition de directives européennes, dont l’une oblige les États à prendre des dispositions pour que des informations à caractère pénal concernant des personnes travaillant régulièrement avec des enfants soient transmises aux administrations employant ces agents.
Ce texte ne comportait donc, selon nous, aucun cavalier. Néanmoins, le Conseil constitutionnel s’étant prononcé, nous nous retrouvons face à la nécessité de rétablir ces dispositions.
Donc, madame Troendlé, certaines des dispositions de votre proposition de loi ne correspondent pas à celles que le Gouvernement avait choisi de retenir.
Ainsi, lorsque, à l’article 1er, par exemple, vous faites obligation aux magistrats de prononcer la peine complémentaire, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, madame la sénatrice, vous introduisez une automaticité contraire au principe de l’individualisation de la peine. (Mme Catherine Troendlé fait un signe de dénégation.) Les chiffres globaux sur les condamnations et le nombre de peines complémentaires que nous a rappelés M. le rapporteur à ce propos ne sont pas probants, car ils ne correspondent pas dans tous les cas à des personnes en contact avec des mineurs.
Si l’on vous suit – mais ce serait la liberté du législateur que de le décider –, cette peine complémentaire s’impose quel que soit le contexte professionnel des personnes en cause.
Mme Catherine Troendlé et M. François Zocchetto, rapporteur. C’est notre choix !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je relève que ce choix n’est pas lié à la proximité de ces personnes avec les enfants lors de l’exercice de leur profession ; nous sommes alors dans un autre débat. Le Gouvernement n’a pas choisi d’introduire cette automaticité.
Vos indications supplémentaires, monsieur le rapporteur, prouvent à quel point les parquets, donc l’autorité judiciaire, sont soucieux de protéger les enfants. En effet, cette consigne d’un parquet général demandant de prononcer systématiquement la peine complémentaire peut se concevoir de la part de chefs de cour soucieux de protéger les enfants et de mettre définitivement à l’écart des personnes qui interviennent auprès d’eux. Elle ne concerne pas l’ensemble des individus qui méritent une condamnation, sans être pour autant en contact régulier avec des enfants.
Vous opérez donc un renversement de l’individualisation de la peine et donc de la capacité des magistrats à prononcer la peine la plus adaptée à l’auteur des faits.
De même, à l’article 3, l’obligation, que vous introduisez, de prendre une mesure de contrôle judiciaire, donc avant jugement, vaut condamnation avant jugement, ce qui pose le problème de la conformité de ces dispositions aux principes constitutionnels et, surtout, à la présomption d’innocence.
Enfin, et c’est peut-être le point de désaccord le plus fort avec le Gouvernement, vous ne prévoyez la transmission de cette information, madame la sénatrice, qu’en cas de condamnation.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or nous pensons que, au stade des poursuites, et même un peu plus en amont dans certains cas, dès l’enquête, il y a lieu d’alerter l’éducation nationale ou les administrations.
Tel est le chemin de crête dont je parlais, et il est très étroit : respecter la présomption d’innocence et, dans le même temps, ne pas prendre le risque d’informer trop tard. Or, nous le savons, les délais de la justice sont ce qu’ils sont, sans même tenir compte des éventuels engorgements et retards, en raison des seules nécessités de la procédure en termes d’enquête ou d’instruction. Les délais de la justice ne correspondent pas à l’instantanéité, mesdames, messieurs les sénateurs.
Donc, en plus de la transmission d’informations en cas de condamnation, dont le bien-fondé ne fait pas l’ombre d’un doute,…
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … il faut qu’au stade des poursuites, lorsque le magistrat dispose d’éléments suffisants pour au moins suspecter la commission des actes, et même au stade de l’enquête,…
Mme Catherine Troendlé. Et la présomption d’innocence ?...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la sénatrice, c’est bien pourquoi je parlais à l’instant d’un chemin de crête : nous sommes soucieux de préserver le respect de la présomption d'innocence, mais non moins soucieux de protéger les mineurs.
Mme Catherine Troendlé. Ce n’est pas constitutionnel !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À cette fin, nous avons trouvé un chemin effectivement très étroit : permettre dans tous les cas la transmission en cas de condamnation et, dans certaines conditions, en cas de poursuite, et ce plutôt que d’attendre plusieurs mois avant de signaler à l’administration-employeur l’existence de poursuites. Il s’agit également de permettre cette transmission à partir d’éléments tangibles dès le stade de l’enquête.
Souvenez-vous bien que, dans le texte du Gouvernement, pour appeler au respect de la présomption d’innocence et engager la responsabilité des administrations qui recevraient cette information et devraient prendre les mesures conservatoires que celle-ci justifierait, mais sans violer la présomption d’innocence, nous avons rappelé - donc dans la loi - ce qu’encourraient ces agents de l’administration en cas d’utilisation abusive de ces données. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Ce n’est pas compliqué !
Mme Catherine Troendlé. Pas pour moi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est simple et lumineux, c’est transparent, c’est clair ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Hubert Falco. C’est vous qui le dites !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, c’est moi qui le dis, qui l’explique et le démontre, monsieur le sénateur (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.),…
M. Alain Gournac. Idée lumineuse ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … puisque je suis en mesure de le faire.
Je suis quelque peu étonnée de ces réactions, car je suis absolument persuadée, comme vous le disiez, monsieur le rapporteur, que nous avons tous le souci de protéger les enfants et, dans le même temps, de ne pas sacrifier les principes sur lesquels repose notre droit.
M. Hubert Falco. Ce ne sont pas les mêmes remèdes !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si c’était aussi simple, nous n’aurions pas eu les mêmes débats à l’Assemblée nationale, vous n’auriez pas eu entre vous, madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, des discussions sur certaines dispositions que vous aviez introduites dans le texte de loi. Si c’était aussi simple, cela s’écrirait d’une traite, d’une plume et sans la moindre difficulté ! (Marques d’impatience sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons à concilier des principes de droit qui ne sont pas simples à concilier, et nous voulons y parvenir de façon sécurisée. Encore une fois, ce n’est pas de la défiance à l’égard des parlementaires, ce n’est pas du temps que nous allons perdre, puisque nous avons déjà transmis au Conseil d’État un texte de loi correspondant à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale et que vous avez également examiné, mesdames, messieurs les sénateurs, texte que le Conseil d’État nous restituera à la fin du mois d’octobre. Dans la foulée – pardonnez-moi la trivialité de l’expression –, le conseil des ministres examinera ce projet de loi, qui sera adopté.
Nous sommes donc dans un calendrier extrêmement resserré, sans doute plus serré que celui que vous auriez suivi avec votre proposition de loi, madame la sénatrice,…
Mme Catherine Troendlé. Sûrement pas !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … même avec la procédure accélérée. Surtout, ce texte sera sécurisé,…
Mme Catherine Troendlé. Le nôtre aussi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … car il aura été travaillé et probablement validé par le Conseil d’État. (M. Alain Gournac s’exclame.)
Je vous le rappelle, madame la sénatrice, les règlements des assemblées permettent qu’une proposition de loi soit soumise au Conseil d’État. Vous auriez pu faire ce choix pour ce texte : cela n’a pas été le cas, c’est votre liberté.
Le Gouvernement a choisi d’écrire un texte en veillant à sa sécurisation maximale, car rien ne serait plus désastreux qu’un texte de loi visant à protéger des mineurs soit censuré à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité. Nous en serions tous profondément marris ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et sur quelques travées du RDSE. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Alain Gournac. C’est lumineux ! (Rires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les lois médiatiques font florès et constituent souvent le mode de législation le plus ordinaire en matière pénale.
Pourtant, si la loi de notre pays ne peut être dictée par des faits divers, le législateur ne saurait non plus être sourd aux dysfonctionnements que ces derniers révèlent, notamment lorsqu’ils concernent la protection des mineurs.
La vulnérabilité de ces derniers n’est pas un sujet que l’on peut prendre à la légère. Au printemps dernier, les événements qui se sont produits à Villefontaine et Orgères ont posé la question des failles de notre système, qui ont pu permettre à des personnes condamnées définitivement – et non simplement mises en cause – pour des actes de nature pédophile de continuer à exercer au sein de l’éducation nationale au contact d’enfants.
À la suite de ces événements, le Gouvernement a diligenté des enquêtes administratives. Les constats sont sévères pour l’administration de l’éducation nationale. Les carences en la matière se situent au niveau tant de la transmission de l’information que de l’usage, pourtant nécessaire, du prononcé, en cas de condamnation pour de telles infractions, de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice.
Comme l’a indiqué M. le rapporteur, les statistiques fournies par la Chancellerie démontrent bien que les juridictions de jugement utilisent peu cette faculté qui leur est reconnue.
Au vu des insuffisances du dispositif actuel, le rapport d’étape conjoint de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale soulignait ainsi qu’il « ne pouvait être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent ».
Par cette discussion, nous entendons déjouer cette prévision avant qu’elle ne se réalise.
La présente proposition de loi reprend les dispositions qui, soumises par le Gouvernement, ont été censurées par le Conseil constitutionnel en juillet dernier en raison de leur nature de cavalier législatif. La proposition de loi s’appuie, à l’instar de ces dispositions, sur le rapport d’inspection, qui préconise une clarification législative ferme et adaptée permettant de protéger au mieux les enfants.
La commission a modifié l’article 3, qui prévoyait une information de l’administration de rattachement avant même condamnation définitive. Comme mon collègue Jacques Mézard avait eu l’occasion de le rappeler en juillet dernier, une telle disposition méconnaissait le principe de la présomption d’innocence.
Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !
M. Michel Amiel. C’est pour la conciliation de ce dernier principe avec l’impératif de sécurité qu’a opté la commission.
Nous le savons, des vies peuvent être détruites par des accusations fausses et mal intentionnées.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
M. Michel Amiel. La justice, qui ne doit jamais être l’œuvre de l’opinion, doit donc suivre son cours sans être influencée ou entravée.
Ont ainsi été durcies les obligations qui, en la matière, sont à la charge du parquet. Désormais, il est prévu que le parquet transmet à l’autorité administrative les condamnations pour infraction sexuelle contre des mineurs.
En outre, cette proposition de loi rend obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée, le placement sous contrôle judiciaire assorti de l’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs des personnes mises en examen pour une infraction sexuelle à l’encontre d’un mineur.
Ce texte rend également possible l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV.
Toutefois, nous ne pouvons ignorer que les affaires de Villefontaine et d’Orgères ont mis en évidence un dysfonctionnement presque purement administratif.
Comme l’a rappelé le rapport d’inspection, quand les jugements ont été prononcés, les obstacles sont « essentiellement liés à des problèmes organisationnels et à une inadaptation des moyens informatiques mis à disposition des parquets ». Seule une vigilance accrue permettra d’éviter une nouvelle erreur !
La présente proposition de loi contient d’autres avancées.
Les parents doivent avoir l’esprit apaisé lorsqu’ils déposent leur enfant chez un assistant maternel. La sécurité doit y être la même que pour un enfant fréquentant une crèche.
À cet égard, l’article 4 lève une ambiguïté. Actuellement, le renouvellement de l’agrément est automatique et sans limitation de durée lorsque la formation que l’assistant familial est tenu de suivre dans un délai de trois ans après le premier contrat de travail suivant ledit agrément est sanctionnée par l’obtention d’une qualification. Le présent texte prévoit un contrôle périodique du casier judiciaire des majeurs vivant au foyer de l’assistant.
Il s’agirait également de rendre les contrôles plus fréquents : un certain nombre de parents ont rencontré des difficultés avec un assistant familial peu précautionneux ou peu professionnel envers des enfants en bas âge.
Bien entendu, il ne s’agit pas de stigmatiser des professionnels qui, dans l’immense majorité des cas, font leur travail avec conscience et dévouement.
Mme Catherine Troendlé. Exact !
M. Michel Amiel. Parallèlement, il convient de donner davantage de moyens aux départements. Ces derniers sont souvent démunis, face aux cas qu’ils rencontrent, pour mener à bien leurs missions. Nous avons également constaté ce problème lors de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, les membres du RDSE approuveront cette initiative salutaire et de bon sens,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Loïc Hervé. C’est la sagesse !
M. Michel Amiel. … qui remet l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif législatif, comme le veut la convention internationale des droits de l’enfant.
Nous espérons que cette proposition de loi ne se perdra pas dans les méandres de la procédure législative et qu’elle sera définitivement adoptée, et sans tarder ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de remercier Catherine Troendlé. C’est en effet sur son initiative qu’a été déposée cette proposition de loi permettant de mieux protéger les mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles.
Avec de très nombreux collègues, j’ai cosigné le présent texte, tant il me paraît aller dans le bon sens et tant les affaires de pédophilie survenues en Ille-et-Vilaine et en Isère, et rendues publiques au cours du printemps dernier, nous ont bouleversés et incités à réagir.
En tant que législateur, je me félicite qu’aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous puissions débattre de la lutte contre toute forme de pédophilie et rechercher ensemble les moyens d’améliorer un dispositif qui s’est révélé défaillant.
Nous devons proposer des outils législatifs supplémentaires afin qu’un délinquant sexuel ne soit pas en mesure d’exercer une profession en contact avec des enfants ou de s’impliquer dans le bénévolat au plus près de mineurs. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)
La République, à défaut de pouvoir sanctuariser tous les lieux, doit garantir des conditions permettant d’assurer la sécurité morale, physique et affective des enfants dans les secteurs placés sous sa responsabilité directe, au premier rang desquels figure l’éducation nationale.
Les dysfonctionnements observés dans la transmission d’informations entre l’administration de l’éducation nationale et la justice ne doivent plus se reproduire ! À cette fin, notre action est essentielle. Elle doit conduire à l’amélioration effective de la transmission de ces données.
Les conséquences sont trop graves pour que l’on puisse se satisfaire de simples actions annoncées par le Gouvernement. Il convient de légiférer, d’établir un cadre qui devienne incontournable pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.
De plus, le présent texte permettra au corps enseignant de retrouver une forme de sérénité face à cette douloureuse question. Parents, collègues, administration : à l’avenir, chacun saura que tout enseignant en contact avec les enfants n’aura jamais fait l’objet d’une condamnation pour agression sexuelle sur mineur.
Environ un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles en Europe. Ces violences peuvent se manifester sous de nombreuses formes, notamment par des abus sexuels. En responsabilité, nous devons tout mettre en œuvre pour que des mesures soient prises en vue de faire baisser ce chiffre et empêcher que des faits similaires aient encore cours.
Il est important de rappeler que, dans la grande majorité des cas, l’agresseur est connu de l’enfant. Il bénéficie souvent de sa confiance, voire de son affection.
Aussi, nous devons éloigner de victimes potentielles tous ceux qui ont déjà été condamnés pour des infractions pénales de cette nature.
Il est certes difficile d’avancer un chiffre exact en matière de récidive sexuelle. Mais, chacun en conviendra, quoi qu’il en soit, ce chiffre est toujours trop élevé !
Une estimation des niveaux de récidive dans nos pays occidentaux fait ressortir des taux de 13,4 % à cinq ans et de 24 % à dix ans. Quinze ans après leur sortie de prison, 24 % des auteurs de crimes et délits sexuels sont de nouveau condamnés pour des faits similaires.
Bien entendu, ces chiffres ne concernent pas uniquement des délits commis sur des mineurs. Ils n’en sont pas moins édifiants. Le risque de récidive est bien réel. En conséquence, l’adaptation du code pénal se révèle indispensable pour protéger les plus vulnérables, dont les enfants.
M. Guy-Dominique Kennel. Absolument !
Mme Patricia Morhet-Richaud. La protection est insuffisante, et nous devons la renforcer.
N’oublions pas que, outre l’intolérable violation de l’intégrité physique des enfants, les impacts sont considérables : souffrances psychiques, santé fragile, interruption de la scolarité, dépression et même suicide.
Plus les victimes sont jeunes, plus les conséquences sont lourdes. De surcroît, les violences sexuelles sont celles qui ont le plus d’impacts sur la santé mentale et physique à court et à long terme. Notre rôle est donc de renforcer la réponse judiciaire.
En cas de condamnation pour un crime ou un délit sexuel, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs doit être définitive.
De plus, cette décision doit être notifiée sans délai, faute de quoi des mineurs seront exposés à un risque qui peut être évité.
Enfin, un contrôle renforcé portant sur les adultes en contact avec des enfants au domicile des assistants maternels ou familiaux doit permettre de vérifier, par un autre biais, leurs antécédents judiciaires. Cette mesure permettra elle aussi de mieux protéger les enfants.
Je le concède, il s’agit là de contraintes supplémentaires. Mais ces dernières vont dans l’intérêt de tous, enfant, parents et professionnels. Elles permettront d’éviter toute suspicion inutile et tout risque, y compris aux dépens des professionnels eux-mêmes.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : pour toutes ces raisons, je voterai tous les articles composant cette proposition de loi, même avec les modifications apportées par la commission des lois, parce qu’ils protègent les mineurs contre les agressions sexuelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame Troendlé, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de précédents orateurs l’ont rappelé : nous examinons le présent texte à l’aune de deux affaires de violences sexuelles sordides survenues au début de l’année, l’une dans l’Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine.
Extrêmement graves, ces violences ont été commises en milieu scolaire par des éducateurs aux antécédents judiciaires avérés de violences sexuelles ou de pédophilie.
Personne ne peut accepter de tels actes.
La proposition de loi initiale présentée par Mme Troendlé consistait, pour l’essentiel, à introduire deux nouvelles dispositions dans notre droit pénal.
Premièrement, les articles 1er et 2 permettaient à la juridiction de jugement de prononcer une interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne avait été condamnée pour un crime ou un délit sexuel commis contre un mineur.
Deuxièmement, l’article 3 prévoyait que, dès l’ouverture d’une information judiciaire pour un crime ou un délit sexuel commis contre un mineur, l’autorité judiciaire informait l’organisme auprès duquel la personne exerçait une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs.
En l’état, ce texte n’était pas, à nos yeux, acceptable.
Juridiquement, les articles 1er et 2, rendant définitive la peine complémentaire, tombaient sous le coup de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’individualisation des peines. (Mme Catherine Troendlé le confirme.) Ces dispositions, en effet, ne permettaient pas à la juridiction de moduler ces sanctions, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur.
Par ailleurs, soulignons le caractère excessif d’une condamnation à vie, quelle que soit la gravité de l’agression commise. (Mme Catherine Troendlé manifeste sa circonspection.)
Ce constat a été rappelé : les dispositions de l’article 3 ont déjà été débattues par le Sénat en juillet dernier, au titre d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. Les membres du groupe communiste, républicain et citoyen avaient alors voté la motion d’irrecevabilité déposée par le rapporteur, M. Zocchetto.
Par un article introduit à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a repris les mêmes dispositions, il est vrai dans une version « allégée ». Mais ce dispositif contrevenait au secret de l’instruction et au principe constitutionnel de présomption d’innocence. En effet, il permettait au parquet d’informer les administrations de tutelle de l’existence de procédures judiciaires en cours, en dehors de tout contrôle judiciaire, lorsqu’elles concernaient des personnes conduites, par leur activité professionnelle, à travailler régulièrement au contact de mineurs.
Pour toutes ces raisons, nous nous serions fermement opposés à la proposition de loi de Mme Troendlé, telle qu’elle était initialement rédigée. Mais force est de constater que la commission, en adoptant les amendements du rapporteur, François Zocchetto, s’est efforcée, comme le mentionne le rapport, « de définir un équilibre entre la nécessaire protection des mineurs et le respect des principes constitutionnels ». (Mme Catherine Troendlé approuve.)
Aussi, nous saluons la mise en conformité de ce texte avec ces grands principes constitutionnels que sont la présomption d’innocence et l’individualisation des peines.
De surcroît, cette réécriture respecte, selon nous, le secret de l’enquête et de l’instruction, élément essentiel de la procédure pénale. De fait, les mesures envisagées via cette « nouvelle » proposition de loi tendent à protéger les mineurs des auteurs d’agressions sexuelles, en permettant de mieux tenir les personnes concernées à l’écart.
D’une part, la peine complémentaire d’interdiction d’exercer, qui figurait déjà dans le code pénal, est érigée en principe. D’autre part, la transmission de l’information est étendue aux personnes placées sous contrôle judiciaire.
Mais je sais, moi aussi, faire preuve d’équilibre (Sourires.) : deux questions restent en suspens, à commencer par celle des moyens.
La conclusion du rapport des deux inspections générales est sans appel : « Rien ne permet d’affirmer, à ce jour, que toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont bien été transmises à l’éducation nationale ; il ne peut, en conséquence, être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent ».
Les motifs de ces dysfonctionnements n’en sont pas moins clairs : les obstacles à la transmission s’expliquent essentiellement par des problèmes d’organisation, par l’insuffisance des moyens informatiques, par le manque d’interlocuteurs clairement identifiés, investis de responsabilités claires au sein des rectorats et par l’absence de dispositif d’alerte structuré.
Tous ces dysfonctionnements techniques et organisationnels contribuent à la déperdition d’informations entre les deux institutions et nous plongent aujourd’hui dans un climat d’incertitude glaçant.
La seconde question porte sur l’opportunité de légiférer.
Dans la précipitation, le Gouvernement avait d’abord souhaité ajouter des dispositions de dernière minute à la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.
La présente proposition de loi apparaît comme un texte de surenchère, que nous examinons aujourd’hui dans sa version entièrement révisée par la commission des lois.
Mme Catherine Troendlé.Quelle surenchère ? Elle a été déposée le 12 mai !
Mme Éliane Assassi. Dans le même temps, en effet, le Gouvernement a annoncé son intention de soumettre prochainement au Parlement un projet de loi, en cours d’examen par le Conseil d’État, et a adressé aux recteurs et aux procureurs le 16 septembre dernier une circulaire visant à mettre en place des personnels référents afin de faciliter la communication entre les deux institutions.
L’effervescence et la confusion autour de ce sujet traduisent une émotion certaine. Il en va de même de la – surprenante – demande d’engagement de procédure accélérée, que le président Larcher a soumise hier au Premier ministre. Elle a été rejetée, et à raison : le Parlement se serait sabordé en se privant lui-même d’une deuxième lecture. Je garde à l’esprit les propos du président Larcher concernant ladite procédure accélérée et le combat farouche qu’il mène pour la défense du bicamérisme !
Face à une problématique de la gravité de celle qui nous occupe aujourd’hui, il nous paraît essentiel de réfléchir calmement aux dispositions qu’il est effectivement nécessaire de mettre en œuvre. Elles sont, à nos yeux, d’abord d’ordre réglementaire. Il revient au Gouvernement de s’emparer des neuf recommandations, de nature technique et organisationnelle, qu’ont formulées les inspections générales concernées.
Notre groupe mesure, comme tous ici, l’importance de ce sujet. Si nous ne sommes pas opposés au texte issu des travaux de la commission, dont les objectifs et les dispositions nous semblent aller dans le bon sens, nos interrogations concernant les moyens comme le caractère opportun de légiférer, ainsi, dans l’émotion, nous empêchent d’y être pleinement favorables. Les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen privilégieront donc la prudence en s’abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chère collègue auteur de cette proposition de loi signée par une grande partie du groupe Les Républicains, nul, dans cette enceinte, ne peut songer à la protection des mineurs contre les délinquants sexuels sans considérer qu’il reste des améliorations à apporter à notre dispositif. Nous connaissons les faits qui se sont produits en Isère et en Ille-et-Vilaine. Sans doute ne savons-nous pas ce qui pourrait se produire ailleurs, parce que les informations n’ont pas été communiquées entre les administrations.
Ces situations apparaissent intolérables et justifient que nous nous interrogions : faut-il légiférer ? Quel arsenal juridique et administratif permettrait de les éviter ? Où faut-il agir ?
Les faits délictueux commis par le directeur de l’école primaire arrêté en Isère – des visionnages de films pédopornographiques – datent de 2006 et ils ont été sanctionnés. Cette peine, prononcée dès 2006, permettait parfaitement à l’administration dont il était fonctionnaire d’envisager des poursuites disciplinaires et des sanctions qui pouvaient aller jusqu’à la radiation.
M. Alain Gournac. Mais rien n’a été fait !
M. Jacques Bigot. Le système aurait ainsi pu fonctionner parfaitement, sans que le législateur ait besoin d’intervenir. Pourtant, il a manqué la communication de l’information. La difficulté est là !
Il nous faut essayer de répondre au problème en opérant des mises en relation entre l’éducation nationale et la justice, particulièrement les parquets. Ce n’est pas simple : nous connaissons bien le cloisonnement de nos administrations d’État dans les territoires. Ceux qui travaillent à cette échelle savent que, malheureusement, il revient parfois aux élus locaux de mettre en lien les administrations de l’État !
M. Hubert Falco. Eh oui, hélas !
M. Jacques Bigot. Les peines complémentaires que vous proposez, ma chère collègue, auraient-elles été de nature à éviter les faits ? Nous en débattrons.
L’article 3 de votre proposition de loi ne suffit pas à répondre à une situation comme celle de 2006. Il conduit seulement à faire peser sur les parquets une obligation qui n’existe pas aujourd’hui juridiquement. Mais à quoi répondrions-nous alors ? Le cas échéant, les parents de l’enfant victime auraient ainsi la possibilité de saisir aujourd’hui le ministère de la justice et de demander réparation du préjudice en raison d’un manquement dans le service public. Je ne suis pas certain que tel soit notre objectif ici.
Madame Troendlé, vous avez sans doute pris connaissance de la circulaire du 16 septembre dernier de Mmes les ministres de la justice et de l’éducation nationale, instituant des référents « éducation nationale » dans les parquets et des référents « justice » dans les rectorats, afin de favoriser la fluidité de l’information. Il nous semble que cette mesure est utile pour l’administration, puisqu’il s’agit de mettre fin au cloisonnement dont elle souffre en permettant aux gens de se parler.
Dans cette circulaire sont détaillés les informations susceptibles d’être échangées et les moments où ces échanges doivent intervenir. Le texte va très loin : les référents « justice », désignés par le recteur, « seront toujours informés des décisions de condamnation ». « S’agissant de l’information en cours de procédure, et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas opposable au ministère public qui, dans l’exercice des missions que la loi lui attribue, peut apprécier l’opportunité de communiquer à un tiers des informations issues d’une procédure en cours ».
Plus loin, il est précisé que « conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 11 du code de procédure pénale, les informations transmises au stade des poursuites doivent être fondées sur des éléments objectifs ».
Quelle hypothèse préside à ces dispositions ? Le paradoxe de notre société est le suivant : quelqu’un peut être mis en garde à vue à six heures du matin, toute la presse le sait, mais le procureur de la République, lui, n’est pas censé communiquer. Faut-il une fuite dans la presse pour que l’éducation nationale sache, ou est-il possible d’organiser les choses autrement ? La réponse est complexe.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé qu’il nous revient également, dans cette enceinte, de protéger le principe de la présomption d’innocence. C’est la ligne de crête que vous évoquiez, madame la ministre. Elle est extrêmement étroite. C’est là le véritable sujet.
L’arrêt de la Cour de cassation visé dans la circulaire est-il suffisant ? Je n’en suis pas certain, puisqu’il concernait l’hypothèse où un procureur de la République avait communiqué une information sur une procédure en cours à un juge s’agissant du même individu faisant l’objet d’une procédure pour d’autres faits.
Dans la circulaire, il s’agit d’une transmission non à un juge, mais, en dehors du prétoire, à une administration, voire à une association. Cela apparaît beaucoup plus compliqué, et pourtant Mme la ministre l’envisage !
C’est dire, chère collègue auteur du texte, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement veut aller plus loin que ce que vous préconisez et que ce que vous recherchez, par ce texte, est insuffisant. Au nom de la présomption d’innocence, vous vous refusez à aller jusque-là, vous ne voulez pas que l’information transparaisse, vous ne souhaitez pas, et on peut le comprendre, qu’un enseignant puisse être inquiété par son autorité parce qu’il a été mis en garde à vue ou parce que l’on sait qu’il a vu des films.
Mme Catherine Troendlé. Mais s’il a déjà été condamné ?
M. Jacques Bigot. En effet, soit l’on saisit le juge d’instruction, mais cela prendra du temps, soit l’on peut envisager une citation directe, voire une comparution immédiate. Dès lors qu’il est avéré que la personne a bien regardé des films pédopornographiques – c’était le cas en 2006 –, la justice peut être rapidement saisie et condamner aussi vite.
Entre-temps, il peut être simplement nécessaire de diffuser une information permettant la mise en œuvre, au besoin, de mesures de protection en interne, dans l’établissement.
Il nous semble donc important d’attendre l’analyse par le Conseil d’État du texte que Mme la ministre envisage de présenter, lequel correspond exactement aux dispositions contenues dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Malheureusement, parce que vous avez introduit un recours auprès du Conseil constitutionnel, celles-ci ont été frappées d’inconstitutionnalité.
Mme Catherine Troendlé. C’était un cavalier !
M. François Zocchetto, rapporteur. Il est heureux pour le Sénat que le Conseil constitutionnel ait censuré ce texte !
M. Jacques Bigot. Ces dispositions méritent d’être revues, et ce à l’aune des observations juridiques fondées du Conseil d’État, qui nous permettront de dessiner la ligne de crête possible. Peut-être existe-t-il une solution qui serait souhaitable tout en respectant le principe de présomption d’innocence ?
L’objectif premier de votre proposition de loi apparaît donc mieux pris en compte dans le projet de loi du Gouvernement, qui reprend la disposition censurée par le Conseil constitutionnel, que dans l’article 3 de votre texte ; sauf à considérer l’hypothèse selon laquelle un juge d’instruction aurait l’obligation de prononcer un contrôle judiciaire, de la même manière que vous souhaitez que le juge soit obligé de prononcer la peine complémentaire d’interdiction. Et là, le système ne fonctionne pas : le groupe socialiste et républicain était hostile au principe des peines planchers, mais vous en revenez à cela. Vous ne faites pas confiance aux juges, ce qui n’est pas bon dans une République. Il n’est pas bon de ne pas faire confiance aux institutions ! On peut douter du fonctionnement des uns et des autres, mais je vous rappelle, mes chers collègues, que les institutions les plus contestées aujourd’hui par nos concitoyens sont plutôt celles où sont les politiques !
Chaque fois que nous critiquons une institution, ou qu’une autre institution nous critique, c’est toute la République qui ne fonctionne pas ! Je suis convaincu que le principe de la personnalité des peines est bon et que l’on peut faire confiance aux juges, qui ne statuent pas seuls, mais à trois dans ces affaires.
Peut-être les procureurs, dans leurs réquisitions, ne sensibilisent-ils pas encore suffisamment, mais les choses s’améliorent !
Mme Catherine Troendlé. Il suffit donc d’attendre…
M. Jacques Bigot. Il y a des années, sur ces questions d’actes sexuels, il y avait peu de détermination dans nos juridictions. Aujourd’hui, tout le monde est informé.
Ce qui m’amène précisément là où je voulais en venir : monsieur le président de la commission des lois – je parle sous votre contrôle –, vous avez été l’auteur d’un texte important sur la protection de l’enfance, en 2007, inspiré, notamment, de la Convention internationale des droits de l’enfant. Aujourd’hui, le comité des droits de l’enfant de l’ONU adresse régulièrement des critiques à la France, considérant que ses politiques publiques ne prennent pas suffisamment en compte cette question et regrettant que la protection de l’enfance soit distillée un peu dans tous les textes.
Nous devons, fondamentalement, travailler sur la formation des intervenants auprès des enfants, sur leur contrôle, sur leur sensibilisation, sur la manière, aussi, dont sont communiquées certaines informations.
Entre parenthèses, il n’y a pas plus de huit jours, vous refusiez ici même l’échange d’informations entre départements sur la situation de parents et d’enfants mineurs. Un peu de cohérence !
La transmission d’informations, voilà le véritable sujet sur lequel nous devons nous pencher.
Je vous exhorte donc à ne pas vous prêter à ce petit effet de manche qui consiste, dans cet hémicycle, à voter rapidement un texte de loi pour donner le sentiment que vous cherchez à protéger les mineurs quand nous ne le souhaiterions pas.
Vous vous trompez !
Mme Catherine Troendlé. Rapidement ? Mais ce texte a été déposé en mai dernier !
M. Jacques Bigot. J’ai appris ce matin que le président du Sénat envisageait de demander au Premier ministre de déclencher la procédure accélérée ; je le cite : « Cette proposition prévoit d’interdire de manière définitive à une personne ayant été condamnée pour agression sexuelle sur mineur d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant des contacts avec des mineurs » ; elle tend à « remédier à certaines lacunes de notre législation pénale pour prévenir la récidive en matière d’agression sexuelle contre les mineurs ».
Mais le vrai problème n’est pas là !
Nous savons qu’un adulte qui regarde des vidéos pédopornographiques ou qui se livre à des actes d’exhibition sexuelle souffre vraisemblablement de déviances qui peuvent aller plus loin s’il n’est pas traité et arrêté rapidement. L’interdiction définitive n’est pas la solution, d’autant que comme l’a rappelé notre collègue, elle n’est pas possible…
M. Hubert Falco. C’est pourtant la solution !
M. Jacques Bigot. … du fait du principe de personnalité des peines. Les solutions sont à trouver dans les relations entre nos administrations, car je vous rappelle que toutes les personnes condamnées pour ces faits-là auraient pu faire l’objet de sanctions disciplinaires à condition que l’information ait été transmise.
M. Alain Gournac. Elles auraient dû faire l’objet de sanctions !
M. Jacques Bigot. Il nous faut améliorer la communication entre les administrations, et non imposer au juge de prononcer des sanctions définitives.
Mme Sophie Primas. Et on continue de laisser les pédophiles avec les enfants ! Tout va bien !
M. Jacques Bigot. Il est vrai qu’au moment où nous avons examiné le texte de la réforme pénale, la droite était favorable aux peines planchers. À l’inverse, mon groupe croit encore à la capacité des juges de juger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous sommes confrontés à de terribles drames dans les écoles, les mesures qui cherchent à protéger les mineurs et à leur offrir toutes les garanties d’une meilleure sécurité dans les établissements scolaires sont évidemment à promouvoir.
Je constate tout de même que nous devons attendre des affaires terribles pour repérer les failles de notre système. Voilà qui est révélateur de la situation dans laquelle nous nous trouvons et, malheureusement, cela vaut dans bien d’autres domaines…
Nous souscrivons pleinement à la volonté de garantir la mise à l’écart des personnes condamnées pour infraction sexuelle contre mineur d’un milieu professionnel qui les placerait au contact habituel de mineurs, ainsi qu’à celle de mieux coordonner les ministères de la justice et de l’éducation nationale, ce pour la protection des enfants et, au-delà, pour le bien même des individus dont le risque de récidive est souvent important.
Cette proposition de loi est pragmatique : automaticité de la peine complémentaire d’interdiction définitive d’activité auprès des mineurs, procédure respectueuse des droits de la défense, réalisme quant à la cohérence de l’échelle des peines.
À l’occasion d’un colloque organisé le 2 mars dernier ici même, au Sénat, l’association Mémoire traumatique et victimologie nous signalait que les violences sexuelles concernent 260 000 personnes par an, dont 81 % de mineurs. Dans 94 % de ces cas, l’agresseur fait partie du cercle proche de la victime. Nous constatons ainsi que ce phénomène implique toute notre société.
Notre travail va dans le bon sens aujourd’hui, mais il serait également intéressant de nous interroger sur les multiples causes qui doivent retenir notre attention sur cette délicate question des infractions sexuelles commises sur mineurs, et ainsi véritablement nous préoccuper du travail qui peut être fait en prévention.
J’entends par là un meilleur suivi des délinquants sexuels, qui plus est récidivistes, et un climat plus serein dans l’espace public, avec une restriction de la publicité à caractère pornographique et un élargissement des pouvoirs du maire en la matière, une interdiction de la diffusion de films de nature à perturber un public mineur, notamment.
Quand la ministre de la culture s’acharne à contester la décision du tribunal administratif de Paris interdisant aux moins de dix-huit ans de voir le film pornographique Love, quel signal donnons-nous ?
Quand nous autorisons et subventionnons des expositions de dessins représentant des scènes de pédophilie, de pédopornographie, de zoophilie, comme ce fut le cas à Marseille pour l’exposition « Vomir des yeux » – subventionnée par la région PACA socialiste –, quel signal donnons-nous ?
Dans ce domaine où notre responsabilité est grande, je nous invite à avoir une vision d’ensemble cohérente, pour le bien de nos enfants et de la société tout entière ! (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission de lois, madame Troendlé, auteur de cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la semaine dernière, nous examinions dans cet hémicycle la proposition de loi de Michelle Meunier et de Muguette Dini sur la protection de l’enfant.
Le 22 octobre prochain, c’est la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé de Mme Giudicelli qui sera débattue.
Aujourd’hui, nous étudions le texte de notre collègue Catherine Troendlé relatif à la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles.
Attachée à la protection de l’enfance sous tous ses aspects, je félicite nos collègues qui tentent de faire sortir ce sujet de l’angle mort des politiques publiques.
L’enfant représente l’avenir. Permettre à chaque mineur de se développer dans les meilleures conditions est déterminant tant pour la vie du futur adulte que pour notre société. Mais trop souvent l’actualité nous interpelle cruellement.
Les affaires Bastien, Marina, et celles dites de Villefontaine et d’Orgères, qui nous choquent, sont des révélateurs des points de tension, des dysfonctionnements de notre système.
Le constat a été dressé que l’organisation des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration de l’éducation nationale était défaillante. Le cadre légal applicable est également porteur d’incertitudes juridiques pour les parquets chargés de la transmission d’informations, dès lors qu’une procédure pénale est en cours. Sur ce point, la proposition de loi prévoit une solution, et je m’en félicite.
La protection de l’enfance, c’est l’école de la rigueur, de la volonté et de l’humilité. Elle demande une attention toute particulière. C’est pourquoi j’ai cosigné la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé. Je la remercie vivement de s’être investie sur un sujet si difficile.
Cette proposition de loi apporte une réponse forte face aux crimes commis sur des enfants. C’est notre devoir à tous, parlementaires mais pas seulement, d’assurer leur protection face à des adultes ayant un comportement répréhensible.
Concernant ces affaires, je souhaite réaffirmer deux points. D’une part, nous devons adopter la plus grande fermeté face à des crimes commis sur des mineurs. Et, d’autre part, s’il faut préserver un environnement sans danger pour les enfants, il faut aussi respecter les libertés individuelles et l’ordre constitutionnel.
Nous devons donc nous doter d’un dispositif garantissant la plus grande sécurité juridique tout en instaurant un partage d’informations efficace et respectueux de la présomption d’innocence.
En Mayenne, nous avons peut-être une fibre particulière concernant la protection de l’enfant. C’est pourquoi je souhaite remercier sincèrement notre rapporteur, François Zocchetto, pour son travail de qualité sur ce texte. Ses amendements, adoptés par la commission des lois, constituent un apport indéniable pour la future mise en œuvre de cette proposition de loi et pour notre droit.
Le texte initial prévoyait, dans ses articles 1er et 2, de rendre systématique l’interdiction définitive d’exercer auprès de mineurs lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit sexuel sur mineur.
Comme l’a très justement souligné notre rapporteur, cela serait entré en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’individualisation des peines, aux termes de laquelle le juge doit pouvoir adapter la durée et l’importance de la peine.
Dans un État de droit comme le nôtre, nous ne pouvons pas recourir à une justice expéditive, même lorsqu’il s’agit d’affaires dont les victimes sont des enfants. Le juge doit pouvoir trancher la question du caractère temporaire ou définitif de l’interdiction.
Pour autant, cette jurisprudence n’interdit pas les peines obligatoires, à condition que la juridiction puisse y déroger et que la peine soit proportionnée à son objet.
Dans la recherche d’un juste équilibre entre la protection des enfants et le respect de la présomption d’innocence, la commission des lois a modifié l’article 3 relatif à l’information des employeurs en cas de procédure pénale en cours pour des faits de pédophilie. Ainsi, le texte de la commission n’intègre, dans le champ de l’obligation d’information, que les activités placées sous le contrôle direct ou indirect de l’autorité administrative.
Nous pouvons peut-être regretter que ce champ soit ainsi restreint. Mais, selon les mots du rapporteur, il convient de faire preuve de réalisme. Si nous appliquons cette disposition, il s’agira d’une réelle avancée.
Enfin, l’article 5 prévoyait le doublement de la durée d’emprisonnement et de l’amende sanctionnant la consultation d’images ou de représentations de mineurs présentant un caractère pornographique. Je me range à l’avis de notre rapporteur concernant sa suppression.
Il est vrai que l’écart entre la peine moyenne – sept mois d’emprisonnement et 1 500 euros d’amende – et la peine maximale – deux ans et 30 000 euros – doit garder une cohérence et respecter l’échelle des peines.
En conclusion, j’exprimerai un regret dépassant le champ du texte que nous étudions.
Les propositions de loi de Mme Troendlé, de Mme Giudicelli et de Mmes Dini et Meunier constituent certes autant d’avancées. À titre personnel, je regrette pourtant qu’elles n’aient pu être réunies au sein d’une grande loi interministérielle, une loi d’excellence impliquant la justice, les affaires sociales, l’éducation nationale et même la recherche, qui aurait permis d’envisager la protection de l’enfant dans sa globalité.
Néanmoins, le groupe UDI-UC soutient le texte de la commission et le votera.
Émotion et raison sont souvent opposées. Les propos tenus par le rapporteur et par l’auteur de cette proposition de loi montrent que nous sommes parvenus à un juste équilibre entre ces deux notions qui sont bien différentes, mais qui, ici, c’est du moins ma conviction, ne s’opposent pas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame l’auteur de ce beau texte, mes chers collègues, je tiens à vous faire part de mon sentiment sur cette proposition de loi.
Les agressions contre les enfants et les personnes âgées sont certainement les plus intolérables qui soient. Nous en avons connu de multiples, et particulièrement dramatiques ces dernières années. Toutes ces agressions font l’actualité le temps d’un journal d’information et retournent vite au rang du fait divers.
Elles donnent parfois le sentiment d’une certaine banalisation, dans une société où les limites du tolérable sont de plus en plus repoussées.
Le registre de l’excuse sert trop souvent à faire passer l’inexcusable. Excuse, parce que l’agresseur a eu une enfance malheureuse ; excuse, parce que la société est violente ; excuse, parce que le prévenu a voulu reproduire ce qu’il a vu à la télévision… La liste pourrait être allongée.
Derrière ces faits, il y a des enfants, des personnes âgées, des jeunes femmes et, bien sûr, leurs familles, dont l’équilibre est irrémédiablement détruit. Jamais la société ne sera en mesure de réparer l’irréparable. Elle s’est constitué un arsenal juridique de façade, mais l’utilise mal, ou en atténue considérablement la portée.
Il est évident que, lorsqu’un individu commet un acte particulièrement grave, telle une agression sexuelle sur un enfant, il doit être lourdement condamné et mis hors d’état de nuire à nouveau. Il doit assumer pleinement son acte.
Nous savons tous que cet acte laissera des traces indélébiles et que l’enfant sera marqué à vie. Trop souvent, le coupable de ces actes sera mis en condition de pouvoir les reproduire. Dans ce cas, la société devient complice de l’acte odieux qui va de nouveau se produire.
L’objet de cette proposition de loi est de faire en sorte que notre société se montre un peu moins impuissante face à ces actes odieux, et se protège elle-même face à un certain laxisme de ses institutions.
Je remercie Catherine Troendlé de nous avoir proposé cette proposition de loi, texte auquel nous avons totalement adhéré.
Pourquoi ce texte très court et très précis qui, je l’espère, ne devrait pas trouver d’opposants ? Parce qu’il y a quelques semaines la dure réalité a de nouveau bousculé nos consciences. Nous avons une fois de plus – souhaitons que ce soit la dernière –, été placés face à l’horreur de violences sexuelles imposées à des enfants dans l’enceinte scolaire.
Chacun d’entre nous, lorsqu’il emmenait ses enfants petits à l’école, se disait qu’ils y étaient en totale sécurité et cela est heureusement le cas général. Les actes commis sont rendus plus odieux encore lorsque les parents avaient toute confiance en leurs auteurs.
Les cas qui ont déclenché le dépôt de cette proposition de loi ont révélé que les faits avaient été commis par des éducateurs aux antécédents judiciaires avérés pour des violences sexuelles ou des actes de pédophilie.
Nous pourrions, à cette occasion, évoquer le cas des récidivistes et de ceux qui, comme l’actualité récente l’a encore montré, sont facilement remis en liberté ou en permission de sortir et commettent à nouveau l’irréparable.
Jamais l’administration ne se sent coupable ou complice. Elle a la fâcheuse habitude de ne jamais s’autocensurer, et de ne jamais reconnaître que l’un de ses membres n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités. L’administration a toujours le temps avec elle. Le cas d’Outreau a démontré cette capacité à se mettre la tête dans le sable…
Permettez-moi à cet instant de témoigner d’un comportement collectif que j’ai pu observer à l’éducation nationale.
Lorsque j’étais maire et président de conseil général, l’académie a nommé un nouveau principal dans le collège de ma commune.
Cette personne était connue pour son penchant très fort pour la boisson. Je m’en suis inquiété, compte tenu de ses responsabilités particulièrement fortes vis-à-vis des jeunes et de la communauté éducative. La réponse a été : « Dans un nouvel environnement, il devrait s’éloigner de la boisson. »
Un an après, il fut élevé au grade d’officier des Palmes académiques.
Mme Sophie Primas. Cela s’arrose !
M. Éric Doligé. J’appelai alors l’inspecteur d’académie en lui expliquant la situation dans le collège : tags sur les murs décrivant l’état dudit principal, impossibilité pour lui de se présenter dans l’établissement l’après-midi, etc. Réponse : « Il a l’ancienneté requise » !
Je me suis insurgé : « Vous connaissez son addiction, elle doit être dans son dossier, et vous lui attribuez un grade supérieur ? » Nouvelle réponse de l’inspecteur : « Oui, tout le monde est au courant, mais cela n’a jamais été porté à son dossier afin de ne pas lui porter préjudice dans son avancement de carrière ».
M. Loïc Hervé. Eh bien voilà !
M. Éric Doligé. Bien sûr, tous ces faits sont vérifiables et connus.
J’ai relaté cette triste histoire pour démontrer la capacité que peut avoir une administration à se protéger elle-même : lorsqu’un de ses membres est mis à distance, il ne faut pas que cela se sache, de peur de porter atteinte à son image ; tel est le sentiment qu’on peut avoir.
Le milieu religieux se met parfois dans une position assez proche ; le pape s’en est clairement ému.
L’administration de l’éducation nationale et l’Inspection générale des services judiciaires reconnaissent a priori leur faiblesse en produisant un rapport d’étape pour vérifier si l’éducation nationale avait bien été informée de la situation qui nous préoccupe. Comment peut-on concevoir que l’on soit obligé de diligenter une inspection pour vérifier que l’administration judiciaire n’a pas rempli ses obligations ?
Dans des cas aussi graves, nous nous interrogeons. Or nous constatons malheureusement que les parquets n’ont pas fait suivre les informations, ni les condamnations. Nous sommes face à des défaillances insupportables.
D’ailleurs, concernant le cas que j’ai évoqué, des sanctions seront-elles prises ? Sincèrement, je n’y crois pas, et ce serait dramatique pour les victimes.
Au fond, posons-nous la question de la reconnaissance des victimes et celle du dédommagement, et arrêtons de protéger en permanence les « pauvres coupables » ou de nous intéresser aux seules raisons qui les ont conduits à commettre des actes odieux !
Dans la proposition de loi qui nous est soumise, nous ne nous limitons pas – heureusement ! – à l’éducation nationale. Le texte vise à étendre l’interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour un crime ou un délit sexuel commis contre un mineur. La question des assistants maternels ou familiaux, qui n’est pas simple à traiter, est évoquée, à l’instar de celle des majeurs vivant au domicile de l’accueillant.
Cette proposition de loi constitue, à mes yeux, un premier pas. Car il existe un réel problème.
En tant que président de conseil général, j’ai connu des cas difficiles et j’ai été confronté à diverses plaintes, toujours délicates à traiter. Nous sommes rarement suivis lorsque nous demandons que l’agrément d’un assistant maternel soit suspendu. Il y a toujours, il est vrai, des parents qui pétitionnent, sans connaître les raisons confidentielles, et soutiennent les personnes dont nous demandons la suspension de l’agrément par prudence.
En revanche, en cas de problème, ceux-là mêmes qui nous ont mis en cause pour avoir prononcé des sanctions conservatoires nous attaquent au motif que nous n’avons pas pris les bonnes mesures.
Il importe que nous travaillions sur ce sujet majeur des enfants, afin que les services judiciaires soutiennent les présidents de conseil départemental et que toutes les informations nécessaires soient communiquées à ces derniers.
La proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé tend à pallier certaines lacunes de notre législation pénale, afin de prévenir la récidive en matière d’agressions sexuelles contre les mineurs, en particulier au sein des établissements scolaires.
Comme l’ont rappelé certains des orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, le Parlement avait déjà examiné des dispositions de cette nature l’été dernier, lors de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, que vous aviez présenté, madame la garde des sceaux. Toutefois, la disposition ici visée a été censurée, comme vingt-six autres d’ailleurs, pour des questions de procédure. Le Sénat avait alors pris l’engagement de légiférer rapidement sur ce sujet. C’est chose faite avec la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise.
Le président du Sénat a demandé au Gouvernement de déclarer l’urgence sur ce texte, mais ce dernier est resté sourd à cette demande. Mme la garde des sceaux vient de nous en donner la raison.
Cette raison est trop flagrante pour en faire abstraction si rapidement. Plutôt que de saisir l’occasion de la navette parlementaire, et donc d’utiliser à bon escient les possibilités offertes par le bicamérisme, le Gouvernement préfère déposer un projet de loi. Ce texte ne portera donc pas le nom de Catherine Troendlé, ce que je regrette. Ce faisant, le Parlement aura examiné cette question à trois reprises. Voilà décidément une bien curieuse perception des institutions ! Le Gouvernement ne choisit pas l’intérêt général, alors que le Parlement est prêt à légiférer dès aujourd’hui.
Madame la garde des sceaux, vous avez indiqué que le chemin de crête entre la protection de l’enfance et le respect de la présomption d’innocence était étroit. Il s’agit là, je le conçois, d’une question extrêmement difficile.
Par ailleurs, vous avez souligné qu’il aurait fallu soumettre la présente proposition de loi au Conseil d’État. Je me permets de vous rappeler que, pour la première fois, une proposition de loi avait été soumise au Conseil d’État. J’en étais l’auteur, elle concernait les normes. Or elle a été largement balayée par la nouvelle majorité du Sénat, alors même que ma proposition de loi avait reçu un avis positif. Preuve qu’il n’est pas si facile que cela d’être reconnu pour la qualité de ses travaux lorsqu’on n’appartient pas à la majorité…
Telles sont les observations que je souhaitais formuler. Je voterai avec enthousiasme la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je vous indique, mes chers collègues, que nous devrons interrompre cette discussion à seize heures quarante-cinq, pour les questions d’actualité au Gouvernement.
proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles
Article 1er
Le code pénal est ainsi modifié :
1° La section 5 du chapitre II du titre II du livre II est complétée par un article 222-48-3 ainsi rédigé :
« Art. 222-48-3. – En cas de condamnation pour une infraction prévue à la section 3 du présent chapitre et commise sur un mineur, la juridiction prononce la peine complémentaire prévue au 3° de l’article 222-45. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ;
2° Après l’article 227-31, il est inséré un article 227-31-1 ainsi rédigé :
« Art. 227-31-1. – En cas de condamnation pour une infraction prévue aux articles 227-22 à 227-27, 227-27-2 et 227-28-3, la juridiction prononce la peine complémentaire prévue au 6° de l’article 227-29. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le 12° de l’article 138, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 12° bis Ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs ; »
2° Le premier alinéa de l’article 706-47 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les chapitres Ier et II du même titre sont également applicables aux procédures concernant les infractions prévues à l’article 227-23 du même code. » ;
3° Après l’article 706-47-3, sont insérés deux articles 706-47-4 et 706-47-5 ainsi rédigés :
« Art. 706-47-4. – I. – Lorsqu’une personne exerçant une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l’exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par une autorité administrative est condamnée pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au III, le ministère public en informe cette autorité.
« Le ministère public informe également l’autorité administrative quand une personne exerçant une activité mentionnée au premier alinéa du I est placée sous contrôle judiciaire et qu’elle est soumise à l’obligation prévue au 12° bis de l’article 138.
« II. – Dans les cas prévus au I, le ministère public informe :
« 1° La personne de la transmission à l’autorité administrative de l’information prévue au même I ;
« 2° Le cas échéant, ladite autorité de l’issue de la procédure.
« L’autorité qui est destinataire de cette information ne peut la communiquer qu’aux personnes compétentes pour faire cesser ou suspendre l’exercice de cette activité.
« Sauf si l’information porte sur une condamnation prononcée publiquement et sans préjudice du quatrième alinéa du présent II, toute personne destinataire de ladite information est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« III. – Les infractions qui donnent lieu à l’information de l’autorité administrative dans les conditions prévues au I du présent article sont :
« 1° Les infractions prévues à l’article 706-47 du présent code ;
« 2° Les infractions prévues aux articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-6 et 222-7 à 222-14 du code pénal ;
« 3° Les délits prévus aux articles 222-32 et 222-33 du même code ;
« 4° Les délits prévus au deuxième alinéa de l’article 222-39, aux articles 227-18 à 227-21 et 227-28-3 dudit code.
« IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.
« Art. 706-47-5. – Sauf si la personne est placée en détention provisoire, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ordonne, sauf décision contraire spécialement motivée, le placement sous contrôle judiciaire assorti de l’obligation mentionnée au 12° bis de l’article 138 d’une personne exerçant une activité visée au I de l’article 706-47-4 mise en examen pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au III du même article.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
2° L'article 706-47 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les chapitres Ier et II du même titre sont également applicables aux procédures concernant les infractions prévues à l’article 227-23 du même code. » ;
b) Au second alinéa, les mots : « Ces dispositions » sont remplacées par les mots : « Les dispositions du présent titre ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Nos collègues l’auront noté, seuls deux amendements ont été déposés sur ce texte, dont cet amendement de coordination, qui ne prête pas à débat. C’est dire à quel point le texte qui vous est soumis résulte – j’ose le dire (Sourires.) ! – d’un travail approfondi de la commission, un travail mené depuis plusieurs mois.
À cet égard, permettez-moi de revenir sur le calendrier. Certains d’entre nous ont estimé que ce texte avait été examiné dans la précipitation.
Il revient à notre collègue Sylvie Goy-Chavent d’avoir été la première, le 2 avril dernier, à réagir en déposant une proposition de loi, qui a largement inspiré – notre collègue Catherine Troendlé ne m’en voudra pas, je l’espère, de le souligner – l’article 1er du texte qui nous est ici proposé. Notre collègue Catherine Troendlé a, quant à elle, déposé la présente proposition de loi le 12 mai dernier. Tous ces travaux ont permis de faire avancer la discussion, notamment avec les députés que nous avons rencontrés à diverses reprises au mois de juillet dernier.
Sincèrement, le moment est venu aujourd'hui non pas de clore ce débat – seul le Sénat est aujourd'hui appelé à se prononcer –, mais de prendre position sur un texte sans doute perfectible, mais qui constitue une bonne base de travail.
La circulaire prise au mois de septembre dernier conjointement par Mme la garde des sceaux et Mme la ministre de l’éducation nationale présente certes un intérêt, mais elle nous semble, avec tout le respect que nous avons pour vous, madame la garde des sceaux, insuffisamment fondée dans ses bases légales et constitutionnelles, s’agissant notamment de la transmission d’information pendant la phase de l’enquête. Voilà pourquoi il y a urgence à légiférer.
Pour en revenir à l’amendement n° 2, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans la logique de la démarche adoptée, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de coordination.
8
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation parlementaire indonésienne du Conseil représentatif des régions, conduite par M. Fachrul Razi. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la garde des sceaux, se lèvent.)
Le séjour en France de nos collègues indonésiens porte principalement sur la thématique des outre-mer et de leur développement économique.
La délégation a ainsi pu s’entretenir de ce sujet avec notre collègue Michel Magras, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.
Elle a aussi rencontré aujourd’hui au Sénat notre collègue Jacques Gautier, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Indonésie, accompagné de nos collègues Catherine Procaccia et Catherine Deroche.
Nous formons tous le vœu que cette visite dans notre institution soit profitable à l’ensemble de la délégation, et souhaitons à nos collègues indonésiens la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)
9
Agressions sexuelles sur mineur
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 3.
Article 3 (suite)
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Troendlé, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Après les mots :
contrôle judiciaire assorti
insérer les mots :
, sans préjudice des autres obligations prévues à l’article 138,
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Permettez-moi tout d’abord de présenter mes excuses à ma collègue et amie Sylvie Goy-Chavent, pour avoir oublié de la citer dans mon propos liminaire. J’ai rappelé les travaux des députés Pierre Lellouche et Claude de Ganay, mais Sylvie Goy-Chavent fut la première à avoir déposé un texte sur ce sujet et méritait à ce titre d’être saluée en premier. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Venons-en à l’amendement n° 1.
Cet amendement a pour objet de compléter le texte de la commission des lois, qui prévoit le placement systématique sous contrôle judiciaire des personnes mises en examen pour infraction sexuelle contre mineur.
S’il apparaît souhaitable qu’un tel contrôle judiciaire, assorti de l’interdiction d’exercer une activité au contact de mineurs, soit prononcé, il importe en revanche que la rédaction proposée n’interdise pas au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention de décider d’autres mesures de contrôle judiciaire.
En effet – ce n’est là qu’un exemple ! –, une personne mise en examen pour de tels faits et dont le conjoint exerce la profession d’assistant maternel devrait être systématiquement écartée de son domicile pendant les périodes au cours desquelles les enfants sont gardés.
Tel est l’objet du présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Même si certains membres de la commission estimaient que cette précision n’était peut-être pas nécessaire, cet amendement a le mérite de mettre les points sur les « i » et d’éviter toute interprétation : le juge conserve la possibilité de prononcer, dans le cadre du contrôle judiciaire, une autre mesure que la seule interdiction dont il s’agit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement pourrait émettre un avis favorable ou un avis de sagesse.
Favorable, car cet amendement vise à apporter une précision explicite, qui lève l’hypothèse d’une interprétation restrictive, toujours possible, de la proposition de loi : l’interdiction ne sera pas exclusive de toute autre obligation de contrôle judiciaire que le magistrat souhaiterait imposer à la personne.
Cela étant, madame Troendlé, même si je reconnais la cohérence de la démarche, il aurait fallu prendre toutes les dispositions nécessaires pour sécuriser votre texte. Non pas que je doute de qui que ce soit, mais il importe de trouver le texte le mieux ajusté et le plus sécurisé. Telle est notre préoccupation depuis plusieurs semaines. C’est pour cette raison que nous avons tenu – nous y sommes d’ailleurs obligés – à soumettre un projet de loi au Conseil d’État.
Mme Catherine Troendlé. Dommage !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous aviez la possibilité de demander l’avis du Conseil d’État sur votre proposition de loi. Le Gouvernement aurait alors adopté, je vous l’assure, une autre position.
Mme Françoise Férat. Ce n’est pas possible d’entendre cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous aurions alors eu connaissance des observations du Conseil d’État, pour sécuriser le texte.
Mais pourquoi donc ce souci de sécurité ? Je l’ai souligné précédemment, sur un tel sujet, le pire serait qu’à la faveur d’une question prioritaire de constitutionnalité le dispositif soit purement et simplement éliminé. Aucun d’entre nous ne le supporterait !
Mme Catherine Troendlé. Nous sommes confiants !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons pu constater que des discussions demeurent en ce qui concerne le signalement : doit-il être autorisé dès la phase de l’enquête, comme le propose le Gouvernement dans son projet de loi, ou doit-il être possible seulement au stade des poursuites, comme le prévoit la présente proposition de loi ? Nous pensons qu’il faut trouver une voie moyenne. Le rendre possible, cela ménage de la marge, mais sans interdire d’alerter une administration ou l’éducation nationale au sujet d’un agent en contact avec des enfants. Nous savons bien, en effet, que le jugement peut être prononcé avec un décalage de plusieurs mois, voire d’un an et demi ou deux ans.
Ce doute me paraît justifier davantage de précautions pour assurer la sécurité du futur dispositif. (Mme Catherine Troendlé en doute.) Comme nous n’avons pas de problème de calendrier, notre projet de loi devant être soumis à l’examen du Parlement dans les toutes prochaines semaines, et compte tenu de la nécessité de ne pas prendre de risques inconsidérés sur un sujet aussi délicat, je ne puis, en dépit de la qualité du travail accompli par Mme Troendlé, apporter mon soutien à sa proposition de loi.
M. le président. Si je vous ai bien comprise, madame la garde des sceaux, vous vous en remettez à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement. (Mme la garde des sceaux opine.)
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote. Compte tenu de l’heure, mon cher collègue, tâchez de ne pas être trop long !
M. Jacques Bigot. Je serai même très rapide, monsieur le président.
Les juges d’instruction prennent régulièrement les mesures nécessaires, notamment dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire, en choisissant des obligations adaptées. (Mme Françoise Férat est dubitative.) Je ne suis pas convaincu qu’il soit souhaitable d’inscrire dans la loi ce que le juge d’instruction doit faire sans être clair sur l’éventail des mesures qui sont d’ores et déjà à sa disposition. Dans ces conditions, la sagesse à laquelle le Gouvernement nous appelle me conduira à m’abstenir sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 133-6 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « crime », sont insérés les mots : « , pour les délits prévus aux articles 222-29-1 et 227-22 à 227-27 du code pénal, pour le délit prévu à l’article 321-1 du même code lorsque le bien recelé provient des infractions mentionnées à l’article 227-23 dudit code, » ;
b) Au 1°, les mots : « code pénal » sont remplacés par les mots : « même code » ;
c) Au 2°, les mots : « article L. 222-19 » sont remplacés par les mots : « article 222-19 et de l’article 222-29-1 » ;
d) Au 3°, après la référence : « VII », sont insérés les mots : « , à l’exception des articles 227-22 à 227-27, » ;
e) Au 5°, après la référence : « chapitre Ier », sont insérés les mots : « , à l’exception de l’article 321-1 lorsque le bien recelé provient des infractions mentionnées à l’article 227-23, » ;
2° L’article L. 421-3 est ainsi modifié :
a) À la dernière phrase du cinquième alinéa, après les mots : « assistants familiaux est », sont insérés les mots : « , sous réserve des vérifications effectuées au titre du sixième alinéa du présent article » ;
b) À la deuxième phrase du sixième alinéa, les mots : « casier judiciaire n° 3 » sont remplacés par les mots : « bulletin n° 3 du casier judiciaire ». – (Adopté.)
Article 5
(Supprimé)
Article 6 (nouveau)
Le code du sport est ainsi modifié :
1° Au II de l’article L. 212-9, les deux occurrences du mot : « a » sont supprimées ;
2° À l’article L. 212-10, les mots : « contre rémunération » sont remplacés par les mots : « , à titre rémunéré ou bénévole, ». – (Adopté.)
Article 7 (nouveau)
Au dernier alinéa de l’article L. 914-6 du code de l’éducation, après le mot : « du », sont insérés les mots : « premier ou du ». – (Adopté.)
M. Ladislas Poniatowski. Nous faisons diligence comme rarement ! (Sourires.)
M. Guy-Dominique Kennel. Nous n’avons jamais été aussi vite !
M. le président. Nous faisons des efforts, mon cher collègue, pour respecter les horaires, conformément à l’esprit de la dernière modification de notre règlement. D’ailleurs, en écoutant Mme Troendlé, je me suis demandé si elle était alsacienne ou méridionale, car elle a mis de l’huile tant qu’elle a pu ! (Nouveaux sourires.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout en saluant le travail accompli par Mme Troendlé, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur cette proposition de loi, pour les raisons suivantes.
D’abord, nous sommes opposés à l’idée de peines automatiques, parce que nous pensons qu’il faut respecter le pouvoir d’appréciation des juges. Ce point important nous empêche de souscrire à la rédaction de l’article 1er du texte.
Ensuite, je me souviens que les sénateurs siégeant au sein de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne étaient d’un avis assez proche : nous doutions que les vingt-sept articles supplémentaires introduits à l’Assemblée nationale puissent échapper à la censure du Conseil constitutionnel.
Sur le fond, la rédaction de ce projet de loi telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale nous paraissait véritablement problématique. Après l’échec de la commission mixte paritaire, une nouvelle rédaction, due, pour l’essentiel, à Dominique Raimbourg, nous a paru bien meilleure, mais le Gouvernement a déposé un nouvel amendement qui nous a semblé poser une difficulté.
En effet, mes chers collègues, il s’agit de concilier trois principes : la protection des mineurs, qui est un impératif absolu ; la présomption d’innocence, eu égard aux conséquences que peuvent avoir des accusations portées à tort ; le secret de l’instruction et de l’enquête. Il n’est pas facile de parvenir à un texte qui concilie ces trois principes.
Il est clair que, lorsqu’une condamnation a été prononcée, il n’y a pas de problème : l’information doit être transmise. Avant la condamnation, on peut peut-être considérer que, en cas de mise en examen sur le fondement de faits graves et concordants, il y a des raisons justifiant que l’information soit transmise et que les conséquences en soient tirées. Au stade de l’enquête préliminaire ou du début de la garde à vue, en revanche, il peut y avoir un véritable problème.
Nous aurons l’occasion de poursuivre le travail sur ce sujet, éclairés par l’avis du Conseil d’État. Pour l’heure, nous nous abstiendrons sur la proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux jusqu’à seize heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
10
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
L’auteur de chaque question dispose de deux minutes, y compris la réplique.
La durée de deux minutes s’applique également à la réponse des membres du Gouvernement, même si M. le Premier ministre bénéficie d’une « horloge spéciale »… (Sourires.)
aide juridictionnelle
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame le garde des sceaux, l’immense majorité des barreaux sont, aujourd’hui, en grève. Les avocats de ce pays plaident non seulement pour eux, mais aussi pour les justiciables, notamment pour ceux d’entre eux qui ont le plus de difficultés.
Ma question est simple : quelle réponse entendez-vous apporter à la position adoptée par la quasi-totalité des barreaux et par le Conseil national des barreaux ? Comptez-vous maintenir les dispositions concernant l’aide juridictionnelle que vous avez cru devoir insérer dans le prochain projet de loi de finances ou allez-vous les modifier ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier. Bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Mézard, je présume que vous avez conservé du temps de parole pour la réplique, car vous n’avez pas donné suffisamment de précisions pour éclairer ceux de vos collègues qui ne seraient pas au fait de ces questions, s’il en existe… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle que, depuis une quinzaine d’années, des rapports successifs, dont un du Sénat de 2006, soulignent que le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle et qu’il va imploser.
Deux possibilités s’offraient à nous : ne rien faire – ce qui fut le cas pendant de nombreuses années – ou engager une réforme courageuse de progrès et de justice. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’aide juridictionnelle vise à permettre l’accès au droit et à la justice pour des justiciables disposant de revenus faibles. Alors que le plafond de ressources pour accéder à ce dispositif était inférieur au seuil de pauvreté, nous avons décidé de le relever, ce qui permettra à 100 000 personnes supplémentaires de bénéficier de l’aide juridictionnelle à 100 %.
Nous avons également décidé de relever les unités de valeur, qui n’avaient pas évolué depuis 2007. Par ailleurs, nous avons proposé que ces unités de valeur, qui servent de bases à la fixation des tarifs de toutes les prestations juridiques, soient encore augmentées pour tenir compte des particularités de certains territoires.
Nous avons engagé cette réforme avec l’ensemble de la profession : depuis trois ans, nous discutons avec ses représentants nationaux, à savoir le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers.
M. Alain Gournac. Ce sont pourtant eux qui sont en grève !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons pris en compte les propositions qu’ils ont formulées.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
M. François Grosdidier. Elle n’a encore rien dit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est l’une de ces propositions qui a été introduite dans le projet de loi de finances que le Sénat examinera bientôt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour la réplique.
M. Jacques Mézard. Madame le garde des sceaux, vous dites avoir entériné les propositions émises par la profession, mais je constate que celle-ci est quasiment unanime – ce qui est rare – pour exprimer son désaccord avec votre réforme. (Bien sûr ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’ai cru comprendre que vous n’alliez pas changer de position. Je vous rappelle que notre collègue Sophie Joissains et moi-même avons commis un rapport sur l’aide juridictionnelle il y a quelques mois. Le Gouvernement n’en a tenu aucun compte : chacun est responsable de ses choix !
Madame la ministre, vous avez décidé de ponctionner plusieurs millions d’euros sur les caisses de règlement pécuniaire des avocats, c’est-à-dire de faire payer une partie du fonctionnement de l’aide juridictionnelle à la profession !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Dominique Bailly. Mais ce n’est pas leur argent !
M. Jacques Mézard. Certes, vous avez raison de relever les plafonds : il s’agit d’une mesure sociale. Vous avez également raison de relever le montant des unités de valeur.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. En revanche, maintenir votre position aura des conséquences néfastes pour les justiciables, ainsi que pour les avocats ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
cruauté animale dans les abattoirs
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, la semaine dernière ont été diffusées des images abominables sur les techniques d’abattage employées à l’abattoir d’Alès.
M. Alain Fouché. Bravo !
Mme Marie-Christine Blandin. Par leur cruauté, ces images ont fait fortement réagir et nous amènent à nous interroger sur le suivi des recommandations adressées à la France.
Alès n’est peut-être pas un cas isolé. En effet, en 2013, l’Office alimentaire et vétérinaire européen dénonçait de graves non-conformités, des insuffisances de personnel et de formation, un manque de contrôles, une protection animale défaillante et des risques sanitaires dans les abattoirs de volailles et de lapins.
En avril 2015, un nouveau rapport critiquait l’ensemble de la filière d’abattage, en pointant notamment l’absence de contrôles. Les réponses apportées par les autorités sont faibles, compte tenu de la gravité des faits !
M. Alain Fouché. C’est vrai !
Mme Marie-Christine Blandin. D’ailleurs, dans le cas de l’abattoir d’Alès, un contrôle sanitaire effectué le 4 septembre dernier avait établi l’existence de graves manquements.
Ces actes intolérables ne doivent plus se reproduire : il faut davantage de vétérinaires et des infrastructures mieux adaptées, afin d’écarter des contraintes de rendement qui contribuent à la commission de ces actes effroyables.
Je suis de celles qui pensent que le respect de la vie animale éduque au respect de la vie humaine.
Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager à ce que la législation en matière de contrôles et de sanctions soit enfin appliquée, non seulement pour les abattoirs, mais également en matière d’élevage et de transports ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Blandin, il est vrai que les images publiées sur internet ont choqué, y compris le ministre que je suis. En matière de bien-être animal, mon rôle est de faire respecter des règles claires, établies aux échelons européen et national.
Or, pour cela, il faut réaliser des contrôles. Dans le cas d’espèce, l’abattoir d’Alès avait été contrôlé au début du mois de septembre ; un nouveau contrôle après mise en demeure devait intervenir en novembre prochain, soit deux mois plus tard, conformément aux règles que j’évoquais à l’instant.
M. François Grosdidier. Cela n’a rien changé !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Le maire d’Alès a pris entre-temps la décision de fermer cet abattoir municipal.
Il incombe à l’État de faire respecter les règles relatives au bien-être animal, voire d’améliorer les dispositions qui contribuent à ce bien-être. Je le souhaite comme vous, madame la sénatrice.
Dans cette perspective, les services vétérinaires doivent être en mesure de mener des contrôles efficaces. Je rappelle que c’est moi qui ai mis un terme, en 2013, aux suppressions de postes dans les services vétérinaires, qui avaient perdu 440 postes auparavant. En 2014 puis en 2015, nous avons créé 60 postes supplémentaires, et nous avons prévu la création de 60 autres postes dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Il en ira de même en 2017. Les services vétérinaires disposeront donc au total de près de 240 postes supplémentaires pour faire respecter et appliquer les règles.
En parallèle, nous examinerons comment améliorer les choses. Dans cet esprit, j’ai demandé à la direction générale de l’alimentation d’engager un travail de négociation avec les professionnels, dont les conclusions seront publiées au début de l’année 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour la réplique.
Mme Marie-Christine Blandin. Dans le cadre de l’examen du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, les écologistes avaient déposé un amendement tendant à « garantir » le bien-être animal. Le Gouvernement a préféré maintenir le verbe « veiller ». Nous venons de montrer que veiller au bien-être animal n’est pas suffisant ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mmes Françoise Férat, Françoise Laborde et Catherine Troendlé applaudissent également.)
route du littoral à La Réunion
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour le groupe CRC.
Mme Évelyne Didier. Cette question de mon collègue et ami Paul Vergès porte sur le projet très controversé de création d’une route littorale de douze kilomètres sur l’île de La Réunion, pour un coût initial de 1,6 milliard d’euros, soit 133 millions d’euros par kilomètre.
Ce projet cumule les anomalies.
Premièrement, malgré des demandes répétées, il n’a jamais fait l’objet d’une mission d’expertise économique et financière, ou MEF. Le Gouvernement peut-il confirmer que les financements sont assurés pour la part qui le concerne ?
Deuxièmement, en matière environnementale, le Conseil national de protection de la nature a émis un avis défavorable sur l’ouvrage. Malgré cela, un arrêté en date du 19 décembre 2013 autorise le conseil régional de La Réunion à déroger aux interdictions de destruction, d’altération ou de dégradation de sites de reproduction ou d’aires de repos de nombreuses espèces marines, animales et végétales.
Par ailleurs, on ne prend pas en compte les récentes évaluations relatives à la question de l’élévation du niveau de la mer dans le futur.
Troisièmement, pour la réalisation de cette route, quelque 18 millions de tonnes de roches sont nécessaires. Or la question de l’approvisionnement n’est pas résolue à ce jour.
En outre, une enquête menée par le parquet national financier sur l’attribution des marchés publics est en cours.
Le Gouvernement est-il prêt à lancer enfin, en urgence, les expertises nécessaires pour assurer une pleine information, afin que tous les décideurs puissent mesurer les enjeux et se déterminer en toute connaissance de cause ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, il s’agit en effet d’un projet extrêmement important, dont le coût est de 1,6 milliard d’euros. Sa réalisation est indispensable car, actuellement, la route dite « de la falaise » supporte un trafic de 50 000 véhicules par jour et connaît des effondrements, représentant 10 000 tonnes de roches par an. Un vrai risque existe donc, y compris celui d’un effondrement de la falaise.
Sur le plan financier, je rappellerai que c’est la région de La Réunion qui assure la maîtrise d’ouvrage, et non l’État. Ce dernier n’intervient que dans le financement. À ce propos, je vous confirme, madame la sénatrice, que l’État respecte le protocole signé en 2010.
Aujourd’hui, nous faisons face à une difficulté, que vous avez d’ailleurs signalée : à la fin du mois d’août, nous avons été informés de la nécessité d’importer 200 000 tonnes de roches de Madagascar pour pouvoir poursuivre les travaux. Certains, considérant que ce n’était pas prévu initialement, estiment qu’il faut renoncer au projet.
Les expertises que nous avons commandées montrent que si les travaux d’enrochement ne sont pas menés avant la période des cyclones, nous courrons le risque d’un effondrement, lequel provoquerait une pollution massive de l’océan.
Alertée par le préfet, Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a donc délivré des prescriptions extrêmement précises pour permettre l’acheminement de ces 200 000 tonnes de roches.
S’agissant des procédures en cours, madame la sénatrice, il ne s’agit que d’enquêtes préliminaires et nous sommes évidemment très attentifs à l’évolution du projet, sur les plans environnemental et financier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour la réplique.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le secrétaire d’État, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un projet quelque peu pharaonique et que l’on pourrait très bien revoir la question. Je rappelle que Paul Vergès avait proposé la création d’un tram-train, solution sans doute moins coûteuse.
Le protocole de 2010 comportait effectivement des engagements à la fois financiers et écologiques. Or je n’ai pas l’impression que ce projet soit très performant sur le plan de l’environnement et du développement durable ! C’est pourquoi le groupe CRC continue d’affirmer que réaliser ce projet n’est pas nécessairement la bonne solution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
incidences de la demi-part des personnes veuves sur la fiscalité locale
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yannick Vaugrenard. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le Gouvernement vient d’alléger la charge fiscale pour 9 millions de ménages et s’apprête à en faire autant pour quelque 3 millions d’autres dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce qui est juste et apprécié, notamment par les foyers modestes.
Le gouvernement précédent avait, quant à lui, fait le choix budgétaire et social de supprimer la demi-part fiscale accordée aux veuves et aux veufs ayant élevé au moins un enfant. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Or cette mesure prise par Nicolas Sarkozy pèse très lourd sur la vie quotidienne des personnes concernées. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) En effet, de manière très concrète, la simple augmentation de leur revenu fiscal de référence risque de les amener à devoir payer beaucoup plus d’impôts, en particulier au titre de la taxe d’habitation et de la taxe foncière.
Ainsi, une personne veuve âgée de quatre-vingt-deux ans que j’ai rencontrée paiera désormais 1 200 euros de taxe d’habitation et de taxe foncière – cela représente pour elle un mois de pension –, alors qu’elle ne payait rien auparavant ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Martial Bourquin. C’est vrai ! Beau travail !
M. Yannick Vaugrenard. Je sais que de nombreux membres de notre assemblée ont eu connaissance de telles situations difficiles, souvent douloureuses.
Ces aînés de condition modeste ne sont pas coupables des errements financiers du passé : aussi ne devraient-ils pas avoir à assumer une trop grande part des difficultés des temps présents.
Monsieur le Premier Ministre, je sais que le Gouvernement ne peut malheureusement pas tout faire, étant donné que nous avons hérité d’un État en faillite, pour reprendre les propres termes de François Fillon. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Bertrand. Il a raison !
M. Yannick Vaugrenard. Néanmoins, je souhaite que le Gouvernement s’engage à faire en sorte que, a minima, la suppression de la demi-part des personnes veuves n’ait aucune incidence sur leur contribution fiscale locale.
La gauche et le Gouvernement, soucieux de justice sociale, se doivent de réparer ce dommage, legs – parmi tant d’autres – de la période Sarkozy. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez raison. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes confrontés dans nos permanences à des cas douloureux semblables à celui que vous avez mentionné. Ils sont le résultat, mesdames, messieurs les sénateurs de droite, de décisions prises sous un gouvernement que vous souteniez ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Aujourd’hui, nous nous efforçons d’y remédier. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2016 aborde directement un certain nombre de questions intéressant les personnes âgées les plus modestes.
Nous avons modifié la taxation du diesel et de l’essence,…
M. Éric Doligé. C’est irresponsable !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … ce qui permettra une recette supplémentaire de plus de 240 millions d’euros, que nous entendons mettre au service des retraités les plus modestes à partir de 2016. Le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés en ce sens. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Plus de 100 000 personnes supplémentaires seront exonérées de taxe d’habitation, pour un avantage moyen de 660 euros par foyer.
M. Hubert Falco. Et que prévoyez-vous pour les communes ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Il s’agit de contribuables âgés de plus de soixante ans, veufs et veuves, en situation d’invalidité ou de handicap, ou dont les revenus sont peu élevés. J’espère que cet allégement global de 100 millions d’euros sera voté sur toutes les travées ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous souhaitons également, toujours dans le cadre de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, revaloriser les seuils de revenus de plus de 2 %, afin d’exonérer d’impôt sur le revenu d’autres contribuables encore.
Ce sont là, monsieur le sénateur, des dispositions précises, concrètes. Plus des deux tiers des foyers verront leur impôt sur le revenu diminuer cette année. Les retraités seront particulièrement concernés par cette politique d’aide et de soutien aux ménages modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE. –Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation de l’entreprise Vallourec
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe de l'UDI-UC.
Mme Valérie Létard. Ma question s'adresse à M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
Un sénateur du groupe Les Réublicains. Il n’est pas là !
Mme Valérie Létard. J’espère néanmoins obtenir une réponse !
Après l’annonce, le 29 avril dernier, de la suppression de 550 emplois en France hors aciérie, le groupe Vallourec, leader mondial de la fabrication de tubes en acier, qui compte 5 000 salariés dans notre pays, vient d’engager trois plans de sauvegarde de l’emploi pour ses usines du Nord, de la Côte-d’Or et de la Seine-Maritime. Ces plans prévoient la suppression de 319 emplois dans les deux sites du Nord.
Parallèlement, Vallourec recherche toujours un actionnaire majoritaire pour son aciérie de Saint-Saulve, afin de tenter de la sauver, ainsi que ses 360 emplois.
Certes, la concertation animée par le préfet de région témoigne de l’esprit de responsabilité des dirigeants de Vallourec, des services de l’État, des élus locaux et, surtout, des partenaires sociaux.
Cependant, face à la dégradation des marchés pétroliers et à la concurrence asiatique, l’inquiétude grandit chez les salariés devant le risque de fermeture de certains sites de production et de transformation d’acier. Je partage cette inquiétude, ainsi que nombre de mes collègues élus.
M. Macron avait pris l’engagement qu’il n’y aurait aucune fermeture de site et aucun licenciement au sein de ce pôle d’excellence industrielle, mais nous attendons toujours des réponses à nos questions : quelles mesures concrètes le Gouvernement va-t-il prendre pour tenir cet engagement et contribuer à assurer la pérennité du groupe en France ? Quel rôle l’État entend-il jouer, en sa qualité d’actionnaire du groupe Vallourec, dans le futur actionnariat de l’aciérie de Saint-Saulve ?
M. Roger Karoutchi. Aucun !
M. le président. Il faut conclure !
Mme Valérie Létard. Répondre à ces questions constitue pour l’État une occasion unique d’inscrire le soutien à Vallourec et à ses salariés dans une véritable stratégie visant à maintenir en France une capacité de production et de transformation de l’acier compétitive et durable. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, permettez-moi d’abord d’excuser l’absence d’Emmanuel Macron, qui se trouve cet après-midi avec le Président de la République. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous partageons évidemment sans réserve l’analyse et l’engagement qui sont les vôtres. Dès l’annonce par Vallourec de son projet de restructuration, en raison notamment du contexte international que vous avez évoqué, Emmanuel Macron a rappelé l’attachement de l’État à la préservation des capacités industrielles du groupe et souhaité que cette restructuration soit menée sans fermeture de site et sans départs contraints.
Dès le 6 mai dernier, le ministre a reçu les élus du Nord pour souligner l’attention de l’État à ce dossier. Il s’est en outre rendu sur le site de Saint-Saulve à la fin du mois de juin.
Ses services et Business France, l’agence nationale chargée de la prospection des investissements internationaux en France, travaillent avec Vallourec en vue d’offrir des perspectives industrielles à l’aciérie de Saint-Saulve. Cet outil, qui a bénéficié d’investissements massifs au cours des dernières années, dispose d’une capacité industrielle à haut potentiel.
Des contacts ont donc été pris à l’échelon international pour trouver un partenaire qui ne soit pas simplement un financier : il devra posséder de véritables compétences et une réelle ambition industrielle.
Le ministre s’était par ailleurs engagé à mettre en place un groupe de travail réunissant notamment des élus et des représentants de l’État, sous la présidence du préfet de région. Sa première réunion s’est tenue hier. Les organisations syndicales ont qualifié la discussion de « franche » et de « constructive ». (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement est donc pleinement engagé pour le redressement de l’entreprise. Il accompagnera en outre les efforts entrepris en matière d’emploi, notamment la création d’un centre de services partagés dans le Valenciennois avec Vallourec. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
politique migratoire européenne et Turquie
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le 18 octobre dernier, la chancelière allemande a rencontré à Istanbul le président Erdogan, qui a fait monter les enchères en exigeant une accélération du processus de négociation en vue de l’adhésion de son pays à l’Union européenne, en contrepartie de la coopération de la Turquie sur la question des réfugiés.
Mme Angela Merkel a répondu qu’elle accepterait de plaider en faveur de la relance des discussions sur le chapitre relatif à la politique économique et monétaire et de l’ouverture d’un nouveau chapitre relatif à la sécurité et à la liberté, comme si aucune question ne se posait sur ces sujets.
Surtout, on trouve, parmi les conclusions de la réunion du Conseil européen du 15 octobre dernier, la phrase suivante, qui a donc été approuvée et votée par les représentants de la France : « Le processus d’adhésion [de la Turquie] doit être relancé. »
Monsieur le Premier ministre, le marchandage de M. Erdogan est inadmissible. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Il l’est d’autant plus au regard de la terrible ambiguïté d’Ankara s’agissant du combat contre l’islamisme radical. M. Erdogan est davantage préoccupé par la question kurde que par la lutte contre Daech.
Ma question est simple, et j’espère que votre réponse sera très claire : la France acceptera-t-elle ou non de faire droit à ces nouvelles exigences concernant le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Retailleau, je vais vous répondre sur ce sujet lourd et grave comme je l’ai fait tout à l’heure, à l’Assemblée nationale, à M. Fillon.
La Turquie est un partenaire stratégique de longue date de la France et de l’Union européenne : membre de l’OTAN depuis 1952, elle est engagée dans un processus de rapprochement avec l’Union européenne et se trouve, aujourd’hui plus que jamais, au carrefour d’enjeux stratégiques majeurs.
Même si elle doit clarifier certains de ses objectifs, comme vous venez de le souligner, la Turquie est un allié en vue de parvenir à une solution politique en Syrie. Elle ne peut qu’être partie prenante à cette démarche, à l’instar d’autres États de la région, tels que l’Iran ou les pays du Golfe.
La Turquie est soumise à d’importantes pressions, liées notamment à la présence sur son sol de plus de 2 millions de réfugiés syriens. Le défi que représente l’afflux de ces réfugiés en Europe sera encore plus difficile à relever si nous ne l’aidons pas à bâtir des solutions, de même d’ailleurs que le Liban ou la Jordanie. C’est l’intérêt de la France et de l’Union européenne.
La Turquie est en outre la cible d’attentats ; celui d’Ankara en a donné malheureusement une terrible démonstration. À l’approche des élections législatives, qui auront lieu le 1er novembre, le contexte politique est très sensible.
Notre intérêt est de poursuivre le dialogue engagé depuis plusieurs années maintenant et de soutenir l’effort incontestable fourni par la Turquie pour l’accueil des réfugiés syriens.
C’est pourquoi le Conseil européen du 15 octobre a décidé la mise en place d’un plan d’action commun entre l’Union européenne et la Turquie, afin de renforcer la coopération en vue de garantir des conditions de vie dignes aux réfugiés présents sur le sol turc, de lutter contre les réseaux de passeurs qui les acheminent vers l’Europe et de renforcer le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne.
L’Union européenne a pris, parallèlement, la décision d’apporter un soutien financier accru à la Turquie, l’aide humanitaire étant complétée par des fonds qui doivent permettre de financer l’hébergement, l’insertion et la formation des réfugiés.
Cet engagement de l’Europe est indispensable et n’affecte en rien notre position à l’égard de la Turquie, qu’il s’agisse de la libéralisation des visas ou du processus d’adhésion à l’Union. En tant que pays candidat, la Turquie est engagée dans une négociation qui se poursuit selon des règles qu’elle a elle-même acceptées et qui ne peuvent pas être modifiées.
La France souhaite que ces négociations avancent dans les domaines dans lesquels la Turquie est prête. Je rappelle que quatorze chapitres sur trente-cinq ont été ouverts, dont onze pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, et un a été clos ; un seul chapitre a été ouvert depuis 2013.
La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, qui reste une perspective de très long terme, sera tranchée, le moment venu, par le peuple français.
En conclusion, il convient, monsieur Retailleau, de faire attention à deux choses.
Premièrement, nous devons respecter ce grand pays qu’est la Turquie. Cela ne nous interdit pas de faire preuve de lucidité, mais soyons attentifs à ce qui se passe dans cette région du monde.
L’une des forces de la France est de pouvoir parler avec tous. Je me trouvais voilà quelques jours en Jordanie, pays qui a bien besoin de notre soutien. Nous accueillerons le président iranien au mois de novembre. Le Président de la République a évoqué la situation au Moyen-Orient avec Vladimir Poutine et nous discutons bien sûr avec la Turquie. C’est la force de la France de n’être alignée sur personne et de tenir le même langage à chacun de ses interlocuteurs !
Deuxièmement, veillons – en l’occurrence, je fais moins référence à votre question qu’à celle qui m’a été posée aujourd'hui à l’Assemblée nationale, monsieur le sénateur – à préserver notre relation de solidarité avec l’Allemagne, qui fait face, en matière d’accueil des réfugiés, à un défi considérable. Le Gouvernement considère que la solidarité entre nos deux pays doit jouer à plein pour le relever. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, solidarité ne signifie pas aveuglement, y compris à l’égard de notre principal partenaire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Respecter ce grand pays qu’est la Turquie, c’est aussi lui tenir un langage de vérité ! (C’est fini ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Nous commettons une faute à l’égard tant de nos partenaires turcs, en leur faisant miroiter la perspective d’une adhésion à l’Union européenne,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Bruno Retailleau. … que du projet européen, la Turquie n’étant européenne ni par sa géographie, ni par son histoire, ni par sa civilisation ! Oui à une coopération renforcée, non à une adhésion future ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre, au titre de son horloge spéciale…
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie ; la Constitution de la Ve République est décidément formidable ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Vous avez bien raison, monsieur le Premier ministre !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Alignement sur l’Allemagne, jamais ; solidarité, oui, totale et sur tous les sujets : défense, diplomatie, économie.
Mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, d’ordinaire, c’est sur vos travées que l’on invoque l’exemple allemand ! Nous ne sommes alignés sur personne !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, il faut faire preuve de la plus grande lucidité, mais attention aux mots que nous prononçons, qu’il s’agisse de la Turquie ou des autres pays de la région !
Mme Nicole Bricq. Exactement !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne s’agit pas d’un choc de civilisations : il y a un combat des civilisations contre le terrorisme et la barbarie. Avec la Turquie et les autres pays, nous devons être capables de bâtir des partenariats sur la base de valeurs qui sont universelles !
M. Bruno Retailleau. C’est ce que j’ai dit !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne s’agit pas d’engager une confrontation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
aide juridictionnelle
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jacques Bigot. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Elle concerne la solidarité entre les justiciables et l’accès des plus défavorisés à la justice.
Madame la garde des sceaux, en ces temps de difficultés budgétaires et de recours croissant à la justice judiciaire, mais aussi à la justice administrative, vous avez eu le courage d’entreprendre une réforme de l’accès au droit, qui est de plus en plus complexe.
Nous aurons l’occasion d’aborder la question de l’aide juridictionnelle lors de l’examen du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle et du projet de loi de finances.
Aujourd'hui, des avocats sont en grève. À mon sens, ce mouvement répond à une double motivation.
D’une part, les organes dirigeants de la profession sont inquiets. Ils craignent un accroissement des prélèvements sur les fonds des caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats, les CARPA, par lesquelles transitent les encaissements effectués pour le compte des clients. Les intérêts diminuent et les charges augmentent. La profession redoute un appauvrissement si l’on prélève trop sur ces fonds, et, de ce fait, une incapacité à assumer les missions prévues par le décret de 1991.
D’autre part, cette mobilisation est aussi celle des avocats – ce ne sont pas les plus nombreux – qui pratiquent l’aide juridictionnelle au quotidien.
Selon le rapport sénatorial auquel M. Mézard a fait référence, seulement 400 avocats, sur 45 000, remplissent la majorité des missions de l’aide juridictionnelle. Ces professionnels, qui connaissent des difficultés, car les rétributions ne sont pas suffisantes, ont parfois le sentiment d’être seuls à faire vivre une solidarité qui devrait être celle de la nation.
Par conséquent, madame la garde des sceaux, je vous prie de bien vouloir nous rassurer sur l’engagement financier de l’État, dont je sais qu’il est au rendez-vous, ainsi que sur vos intentions et leur traduction dans la réforme de l’aide juridictionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, la solution de facilité aurait été de ne rien faire, de ne même pas augmenter le budget de l’aide juridictionnelle, voire d’instaurer une taxe de 35 euros, qui aurait entravé l’accès à la justice ; et après moi, le déluge ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Certaines protestations bruyantes de solidarité que l’on entend actuellement ont quelque chose de désopilant !
Nous avons fait, au contraire, le choix de relever le défi de la réforme de l’aide juridictionnelle.
M. François Grosdidier. Payez les avocats !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le plafond de ressources est porté à 1 000 euros, ce qui permet à 100 000 personnes supplémentaires d’accéder à l’aide juridictionnelle à 100 %. Le montant de l’unité de valeur, qui n’avait pas évolué depuis 2007, passe de 22 % à 24 %, et pourra même atteindre par ajustement 26 %, 27 % ou 30 %, selon les territoires.
Vous m’interrogez sur l’engagement de l’État. Le budget de l’aide juridictionnelle, qui était de 275 millions d’euros en 2010, a été augmenté chaque année, pour atteindre 345 millions d’euros en 2014, 375 millions d’euros en 2015 et 405 millions d’euros en 2016 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous avons voulu engager cette réforme dans la concertation avec les représentants des avocats. Nous dialoguons avec eux depuis trois ans. Ce sont eux qui ont proposé qu’il n’y ait pas de contribution directe de la part des avocats. En effet, ainsi que vous l’avez rappelé, 16 % des avocats assurent 84 % des missions de l’aide juridictionnelle ! C’est un facteur de précarisation de la profession.
M. le président. Il va falloir conclure, madame la ministre !
M. David Assouline. M. Retailleau a bien eu droit à vingt secondes de plus !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les relations ne sont donc pas rompues avec les avocats. D’ailleurs, je recevrai de nouveau demain les représentants nationaux de la profession. Je suis certaine que nous trouverons un chemin pour moderniser l’aide juridictionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
communes nouvelles
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Bas. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Nos communes rurales sont désemparées. Je fais ici référence non pas au problème de leurs ressources ou à celui des charges nouvelles qui se sont accumulées ces dernières années, mais au mouvement pressant de regroupement qu’on leur impose. Les préfets ont produit les projets de cartes de coopération intercommunale. Or, alors que la loi avait arrêté le seuil de 15 000 habitants, avec des dérogations pour les zones de sous-densité, les communes ont eu la grande surprise de constater que certaines cartes prévoient des regroupements de 75 000, 100 000, voire 200 000 habitants, s’étendant bien au-delà des limites naturelles des bassins de vie.
Par ailleurs, elles disposent d’un instrument nouveau, issu des réflexions de l’Association des maires de France : la commune nouvelle.
Madame la ministre, il faut desserrer le calendrier de création des nouvelles intercommunalités et celui des communes nouvelles, afin que l’on puisse les coordonner. Il faut que nous puissions créer des communes nouvelles l’année prochaine avec les mêmes avantages que cette année. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.) Il faut aussi laisser un peu plus de temps à la création des nouveaux regroupements intercommunaux, pour que le processus puisse se poursuivre dans des conditions normales. À défaut, il y aura de grandes difficultés. Je vous demande instamment de permettre le desserrement des calendriers et leur coordination. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, nous avons demandé aux préfets de présenter les cartes les plus ambitieuses possible. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. Les plus autoritaires !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Une discussion s’engagera ensuite au sein des commissions départementales de la coopération intercommunale, sur la base des bornes de population fixées par la loi.
La loi qui avait été élaborée sur l’initiative de M. Pélissard, alors président de l’Association des maires de France, et de Mme Pires Beaune permet la création d’une commune nouvelle dans deux types de situations : soit pour s’opposer à une intercommunalité – le cas est assez peu fréquent –, soit parce que les communes concernées sont trop petites pour répondre à la demande de services de la population.
La question du délai pour procéder à une telle création est liée à celle du maintien de la dotation globale de fonctionnement. Si l’on prolonge le délai, cela entraînera une dépense supplémentaire l’an prochain au bénéfice des communes nouvelles, à l’intérieur d’une enveloppe normée : cela signifie donc moins de ressources pour les autres communes. Le Parlement a tout à fait le droit de faire ce choix dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … mais il faut prendre en compte l’ensemble des éléments, sans oublier qu’il s’agit d’une enveloppe normée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.
M. Philippe Bas. Madame la ministre, je crains que vous n’ayez pas compris la question. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Si l’on crée de grandes intercommunalités, il faut rétablir de la proximité, avec les communes nouvelles.
M. Jean-Claude Lenoir. Voilà !
M. Philippe Bas. Laissez donc le temps aux maires des communes rurales de créer des communes nouvelles pour pouvoir faire évoluer intelligemment les intercommunalités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
avis de la Commission européenne sur le plan très haut débit
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains.
M. Patrick Chaize. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
La généralisation du très haut débit sur les territoires fait partie des priorités partagées entre le Gouvernement et les collectivités. Le plan gouvernemental « France Très Haut débit pour tous » a été mis à jour au printemps dernier, avec une modification des critères de subvention, rentrant dans le cadre des aides d’État. Le cahier des charges a fait l’objet d’une transmission pour avis à la Commission européenne.
Aujourd'hui, les collectivités sont très inquiètes de la position récente de la Commission, qui met en cause le dispositif. Certes, on peut regretter que celui-ci lui ait sans doute été notifié un peu tard…
Le point de blocage, c’est le dispositif de « montée en débit sur cuivre ». Le passage à la fibre jusqu’à l’abonné n’est pas remis en cause.
Selon la Commission, l’aide apportée pourrait être illégale, étant entendu que les subventions publiques ont pour effet d’améliorer le réseau cuivre, propriété de l’opérateur historique.
Il en résulte que les déblocages de crédits du Fonds national pour la société numérique ne sont pas effectués, alors que de nombreuses collectivités ont déjà réalisé les travaux. En outre, la Direction générale des finances publiques ne permet plus le remboursement de la TVA sur ces travaux, ce qui renchérit leur coût de 20 %, le dispositif de récupération par le biais du Fonds de compensation pour la TVA ayant été supprimé au 31 décembre 2014.
Aussi des collectivités, principalement rurales, vont-elles devoir suspendre des travaux pour des questions de trésorerie et de budget, voire rembourser les subventions perçues, considérées comme des aides d’État illégales.
Dans ces conditions, le Gouvernement envisage-t-il un aménagement des règles relatives à la montée en débit sur les réseaux filaires et hertziens, en concertation avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les opérateurs, mais aussi les collectivités ? Proposera-t-il de rétablir l’intervention du Fonds de compensation pour la TVA ? Plus globalement, quand espère-t-il recevoir l’accord de la Commission sur le plan France Très Haut débit et le déblocage des crédits, afin que les objectifs affichés deviennent réalité pour notre pays, en vue d’un véritable aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, il convient de noter que notre politique d’aménagement du territoire fait une priorité de la généralisation du haut débit, conformément à l’un des engagements du Président de la République (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), qui s’est traduit par la mise en place du plan France Très Haut débit, en vue d’équiper tous les Français d’ici à 2022.
La mobilisation de tous les territoires est réelle : ils accomplissent un important travail aux côtés de l’État pour démocratiser le numérique.
M. Roger Karoutchi. Les collectivités s’investissent davantage que l’État !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Quatre-vingt-neuf départements se sont dotés d’un plan de redéploiement : cela correspond à l’équipement en fibre optique de 7 millions de foyers en zones rurales. Ces résultats montrent l’intérêt de la mobilisation des collectivités territoriales et de l’État ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Ce n’est pas la question ! Répondez à la question !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Il importe maintenant d’obtenir l’accord de la Commission européenne afin que nous puissions continuer à soutenir le développement de la filière haut débit sur nos territoires. Nous nous y employons, monsieur le sénateur : la polémique n’est pas de mise !
M. François Grosdidier. Il n’y a pas de polémique, c’est une question !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. La Commission européenne ne remet pas en cause la pertinence du plan France Très Haut débit, mais elle entend vérifier que nous le déployons selon les critères définis à l’échelon européen.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Telle est l’action du Gouvernement. Vous aurez tout loisir, au cours du prochain débat budgétaire, d’avancer des propositions qui, j’imagine, seront gagées sur les 150 milliards d’euros de baisses d’impôts que votre formation politique promet aux Français ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)
indemnités des élus dans les syndicats de communes
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yannick Botrel. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Dans son rapport annuel consacré aux finances publiques locales, publié il y a quelques jours, la Cour des comptes rappelle l’enjeu que représente l’action publique territoriale. C’est souvent grâce aux collectivités et aux syndicats qui en sont issus que beaucoup d’investissements sont engagés et que l’on prépare l’avenir de nos territoires.
Dans ce contexte, je veux aborder les conséquences de l’adoption de l’article 42 de la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ce dernier dispose que « les fonctions de délégués sont exercées à titre bénévole » dans les syndicats de communes et dans les syndicats mixtes. Cette disposition fait aujourd’hui l’objet d’interrogations.
Il est établi, concernant les modifications des conditions d’exercice des mandats électifs, que l’on ne change pas les règles durant la partie.
En ce sens, l’article 42 précité ne prévoyant pas de date d’application, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement à l’égard des trois options logiquement possibles : une application immédiate, qui est de droit ; une application en 2020, après les prochaines élections municipales ; une application dès 2017, du fait de la loi NOTRe, avec la mise en œuvre des nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale.
Je poserai une seconde question, d’ordre juridique : quelle est précisément la portée de cette disposition ? Il semble en effet exister des divergences d’interprétation à cet égard. S’agit-il uniquement d’interdire les indemnités de fonction, ou les remboursements des frais engagés dans le cadre des fonctions de délégué sont-ils aussi visés ? Les indemnités perçues au titre de l’exercice de responsabilités exécutives sont-elles également concernées ?
La formulation adoptée ne permet pas, à ce stade, de lever toutes les incertitudes. L’analyse du Gouvernement permettrait des éclaircissements très attendus.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Yannick Botrel. La question de l’indemnisation des élus locaux est un sujet important, notamment dans les territoires ruraux, qui ont aujourd’hui un fort besoin d’élus de proximité, confortés dans leur engagement personnel au service de l’action publique, au plus près de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Je voudrais dire en préambule à M. Bas que j’avais parfaitement compris sa question relative aux communes nouvelles. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. Ça nous rassure…
Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’ai répondu qu’il reviendrait au Parlement de décider s’il convient d’opérer à leur profit un prélèvement sur l’enveloppe normée.
J’en viens à votre question, monsieur Botrel.
Le Gouvernement tient à l’indemnisation des élus. Lors de l’examen de la proposition de loi de M. Sueur et de Mme Gouraud visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, nous avons d’ailleurs réaffirmé un certain nombre de principes, dont celui de l’attribution automatique d’indemnités aux élus. Nous avons besoin d’élus de qualité, et le bénévolat a ses limites.
Un article de la loi NOTRe a effectivement rappelé que les fonctions de délégué sont exercées à titre bénévole. Lors de l’élaboration de cette loi, le Gouvernement s’était engagé auprès du président Larcher à ne déposer aucun amendement après la commission mixte paritaire. Or une erreur s’était glissée dans le texte entre les lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat : la date d’application a été supprimée. Si les anciens syndicats peuvent être portés par les établissements publics de coopération intercommunale, tant mieux. Mais on peut aussi opter pour la convention de services ou d’autres formes de prestations. Il existe en effet plusieurs manières de gérer de petits syndicats infracommunaux.
Le Gouvernement ne manquera pas de corriger cette erreur par voie d’amendement au projet de loi de finances rectificative, afin de régler la difficulté au moins jusqu’au 1er janvier 2017, avec effet rétroactif. L’ensemble des circulaires et instructions nécessaires ont été adressées aux ordonnateurs comme aux préfets. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Michel Mercier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. David Rachline. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
La révolte gronde, madame la ministre, contre votre politique pénale. La manifestation de policiers devant votre ministère ou la grogne des avocats n’en sont que la partie visible. On évoque un divorce entre la police et la justice ; craignez que ce ne soit un divorce, beaucoup plus grave, entre le peuple et la justice !
Alors que les affaires retentissantes et scandaleuses mettant en cause des récidivistes se multiplient, alors que des malfaiteurs dont les peines n’ont pas été purgées retrouvent la liberté et en profitent pour blesser grièvement un policier ou violer une jeune femme – pour ne faire état que des deux dernières affaires les plus spectaculaires –, votre responsabilité est plus que jamais mise en avant.
Votre responsabilité, c’est d’avoir, depuis que vous êtes en poste, donné un très fort sentiment d’impunité aux voyous de toute sorte ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Catherine Tasca. C’est faux !
M. David Rachline. Vous avez renforcé les pouvoirs des juges de l’application des peines, et ces derniers sont devenus des super-juges, qui ont le pouvoir de défaire des condamnations prononcées, je le rappelle, au nom du peuple français.
J’ose le dire : en cas de récidive d’une personne libérée avant que sa peine n’ait été totalement effectuée, que ce soit à la suite d’une remise de peine ou d’une permission de sortie, la responsabilité du juge qui a décidé de cette libération totale ou partielle doit être engagée.
Vos services ont expliqué que 240 détenus ont profité d’une permission de sortie pour s’évader. Avez-vous demandé une enquête sur le travail des magistrats qui avaient octroyé ces permissions ?
Ma question, madame la ministre, est simple : quand votre politique pénale défendra-t-elle enfin les victimes, et non les bourreaux ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Quand mettrez-vous fin aux remises de peine pour tous ? Quand les parquets se soucieront-ils du bien commun, plutôt que d’appliquer votre idéologie libertaire ou d’attaquer, sur vos ordres, vos adversaires politiques ? Bref, quand serez-vous ministre de la justice, et non de l’injustice ? (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, où avez-vous lu que nous aurions renforcé les pouvoirs des juges de l’application des peines ? On est en droit d’attendre d’un membre de cette assemblée une exacte connaissance des lois ! Cela étant, je ne m’étonne plus de votre ton, de vos inexactitudes délibérées, de vos raccourcis, qui font florès y compris sur les réseaux sociaux ! On me dit d’ailleurs que votre page Facebook héberge avec grande complaisance des propos qui mériteraient une sanction pénale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
Cela n’a rien de surprenant : vous appartenez à une famille politique paranoïaque, qui passe son temps à chercher des boucs émissaires, qui voit des envahisseurs partout !
Je constate que je tiens une place privilégiée dans votre entreprise de diffamation. Lorsque votre parti est en délicatesse avec la justice, vous m’accusez de donner des consignes aux juges d’instruction. En fait, vous ignorez la loi du 25 juillet 2013. Votre credo est, manifestement, sévérité pour tous et impunité pour vous !
Compte tenu de vos réflexes, de votre culture et de vos pratiques, on imagine aisément ce que deviendrait la justice si vous parveniez au pouvoir ; mais nous nous battrons pour que cela n’arrive pas ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
Vous évoquez les victimes, monsieur le sénateur : nous avons doublé le budget de l’aide aux victimes et mis en place un suivi personnalisé et individualisé. Nous respectons les victimes, nous les accompagnons. À cette fin, nous avons prévu une prise en charge pluridisciplinaire. Un réseau national a été créé et un budget d’aide aux victimes a été ouvert à l’échelon de chaque tribunal de grande instance. Ne venez pas parler de laxisme ou de complaisance à l’égard des voyous ! Le laxisme, monsieur le sénateur, c’est de s’accommoder d’un leader qui cumule condamnations judiciaires et responsabilités politiques.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le laxisme, c’est de ne pas condamner la violence lorsque des individus, au sein ou en marge de vos manifestations, molestent des journalistes ou attaquent des personnes et les jettent à la Seine ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que de nombreux membres du RDSE, se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réplique.
M. David Rachline. C’est la solidarité des médiocres ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Votre réponse pleine de mépris, voire de haine, ne me surprend évidemment pas. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que de nombreux membres du RDSE, quittent l’hémicycle.)
Vous n’avez que faire de la France et des Français. Nous ne voyons aucune once de changement dans votre politique. Nos concitoyens n’ont plus qu’une chose à espérer : votre départ, madame la ministre !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 29 octobre 2015, à quinze heures, et seront retransmises en direct par France 3 et Public Sénat, ainsi que sur le site internet du Sénat.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 21 octobre 2015 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale (n° 489, 2014-2015) ;
Rapport de M. Michel Savin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 70, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 71, 2015-2016).
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 376, 2014-2015) ;
Rapport de M. Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois (n° 74, 2015-2016) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 75, 2015-2016).
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures trente à minuit :
Proposition de résolution visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 632, 2014-2015).
Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (n° 656, 2014-2015) ;
Rapport de Mme Corinne Bouchoux, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 68, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 69, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART