compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Désignation d'un sénateur en mission temporaire
Mme la présidente. Par courrier en date du 21 octobre 2015, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Alain Duran, sénateur de l’Ariège, en mission temporaire auprès de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette mission portera sur la mise en place de conventions pour une politique active en faveur de l’école rurale et de montagne.
Acte est donné de cette communication.
3
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l’aviation civile.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission de l’aménagement du territoire a été invitée à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
4
Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport du fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
5
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour du jeudi 5 novembre, matin, par l’examen de la proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale.
Acte est donné de cette demande.
Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au lundi 2 novembre, à 12 heures, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour du jeudi 5 novembre s’établit comme suit :
Jeudi 5 novembre, à 10 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit :
- Une convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié ;
- Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale ;
- Suite du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
6
Signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé (proposition de loi n° 517 [2014-2015], texte de la commission n° 77, rapport n° 76).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, monsieur le rapporteur François Pillet, madame Giudicelli, qui êtes à l’origine de ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, en moins d’un an, la Haute Assemblée nous aura donné plusieurs occasions de parler de protection de l’enfance. Par deux fois, c'est sur l’initiative du Sénat que nous avons débattu, échangé et cherché ensemble à faire émerger le plus possible, dans des dispositions législatives, l’intérêt de l’enfant.
Le cheminement parlementaire de la proposition de loi rédigée par Colette Giudicelli nous offre une nouvelle possibilité de mettre en lumière cette politique publique, à trois semaines de l’anniversaire de la Convention des droits de l’enfant et à trois mois de l’examen de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU.
Nous en sommes collectivement convenus lors de nos précédents échanges : la protection de l’enfance est depuis trop longtemps dans l’angle mort des politiques publiques. Les acteurs que j’ai rencontrés lors de mes déplacements ou dans le cadre de la concertation que j’ai menée me l’ont tous confirmé.
La protection de l’enfance mérite mieux qu’un regard furtif qu’on ne poserait que lorsque des drames se produisent. Elle mérite qu’on écoute les enfants confiés ou accompagnés par les services de l’aide sociale à l’enfance. Elle mérite la mobilisation de celles et ceux qui écrivent la loi comme de celles et ceux qui la mettent en œuvre. Elle mérite l’engagement du Gouvernement et du législateur.
Parmi les nombreux professionnels intervenant dans le parcours d’un enfant qui est, ou doit être, accompagné par les services de l’aide sociale à l’enfance, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui traite de la place et du rôle des médecins et, plus généralement, des professionnels de santé.
Les professionnels de santé sont souvent les premières personnes avec qui l’enfant entre en contact, en dehors de sa famille. À la maternité tout d’abord, puis aux premiers âges de la vie, l’enfant voit régulièrement le médecin, pour son suivi, sa croissance, ses vaccins ou simplement parce que les parents s’inquiètent, se posent légitimement des questions.
La proximité et la régularité des rencontres font des médecins des professionnels particulièrement à même de voir, d’entendre, de comprendre des phénomènes de maltraitance sur les enfants.
Les professionnels de santé sont des acteurs de la protection de l’enfance. Nous devons les envisager comme tels parce que la lutte contre la maltraitance est une question de santé publique, non une question de société. J’en veux pour preuve les recommandations de la Haute Autorité de santé qui les invitent à s’inscrire, en tant qu’acteurs du repérage, comme parties prenantes de la protection de l’enfance.
La maltraitance des enfants porte encore les stigmates de son histoire, de son long chemin pour s’affirmer comme un fait social, pour s’affirmer dans la sphère publique. Il faut ajouter à cela le rôle que l’on confère au médecin de famille, ou dont il s’investit lui-même : celui de confident, de détenteur de tous les secrets.
Le résultat est totalement insatisfaisant. Les médecins ne signalent pas assez : en 2002, seulement 2 % à 5 % des signalements émanaient des médecins. Comment mieux mobiliser ces professionnels au repérage des signes de souffrance chez les enfants, à la révélation des mauvais traitements dont ils sont parfois les victimes ?
Il reste, comme toujours dans le domaine de la protection de l’enfance, un peu de notre imaginaire collectif à déconstruire. Mais il faut aussi s’attaquer aux causes tangibles de ce déficit de participation des professionnels de santé.
La cause essentielle, c’est la crainte d’être poursuivi, sur le plan disciplinaire ou pénal, pour diffamation ou pour avoir trahi le secret médical. Pourtant, depuis plus de dix ans et la promulgation de deux lois, cette crainte n’a plus lieu d’être.
Un premier pas a été franchi avec la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfant, qui a inscrit à l’article 226-14 du code pénal l’irresponsabilité disciplinaire des médecins procédant à un signalement.
S’y ajoute la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que M. le président de la commission des lois connaît bien pour l’avoir défendue à l’époque : c'est une bonne loi, et elle a été saluée comme telle, car a permis de réaliser une avancée importante dans le repérage des maltraitances.
L’introduction dans le droit de la notion d’information préoccupante et la création, dans chaque département, de cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, les CRIP, constituent en effet des avancées manifestes, notamment en ce qu’elles ouvrent la possibilité d’intervenir non pas quand l’enfant est en danger, mais dès qu’un risque de danger est identifié.
Surtout, la loi du 5 mars 2007 fixe le cadre légal de l’échange d’informations à caractère secret pour permettre l’exercice de la mission de protection de l’enfance. Le partage des informations et l’aménagement du secret professionnel prévus par la loi ouvraient ainsi, dès 2007, une véritable troisième voie aux professionnels de santé, souvent tiraillés entre le devoir du signalement, de la dénonciation, et l’obligation de se taire : la possibilité du partage et de l’échange avec d’autres professionnels, eux aussi soumis au secret, pour compléter un diagnostic ou envisager une procédure de signalement.
Je rappelle en outre que, si la loi a levé les freins de manière à permettre aux médecins de formuler en confiance informations préoccupantes ou signalements, elle est en revanche très sévère, et cela est bien naturel, lorsque la non-assistance à personne en danger est avérée. Nous parlons non plus de sanctions disciplinaires, mais de peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans.
Par ailleurs, des outils ont été mis à la disposition des médecins pour les aider à mettre en œuvre ces procédures difficiles, en toute confiance. Pour favoriser cette confiance, la Haute Autorité de santé a élaboré un modèle type de signalement, un certificat sur demande spontanée, ou une fiche intitulée « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir », permettant d’aider les professionnels de santé.
Les médecins ont ainsi à portée de main tous les outils nécessaires au signalement des situations de danger. L’étape suivante est de faire en sorte qu’ils puissent se les approprier. Nous pouvons les y aider en favorisant la visibilité et la lisibilité de ces outils.
L’article 1er de la proposition de loi – les deux autres articles ayant été adoptés conformes – ne modifie pas le droit en tant que tel, mais il l’affirme. Il faut dissiper totalement l’approche faussée de la réalité et du droit que peuvent avoir les médecins, afin d’améliorer significativement leur implication dans la lutte contre les violences faites aux enfants.
C’est ce à quoi, madame Giudicelli, contribue votre proposition de loi, que le Gouvernement, dans cette perspective, soutient évidemment. Elle concourra à mettre à bas ces approches faussées et surtout à libérer les médecins, ou du moins à les convaincre de se libérer des inquiétudes qu’ils éprouvent au moment d’effectuer un signalement.
L’amélioration du repérage des situations de danger est un enjeu majeur. Elle constitue l’un des trois grands objectifs de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance que j’ai élaborée avec les acteurs concernés, à l’issue d’une grande concertation.
Les médecins ont bien évidemment été associés à cette concertation et leur rôle valorisé dans les mesures de la feuille de route. Je pense à la désignation, dans chaque département, d’un médecin référent chargé d’organiser les relations entre les services du département, la CRIP et les médecins.
Le Sénat a souhaité, lors de l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, véhicule législatif de cette mesure, que ne soit pas spécifiquement désigné un médecin pour cette coordination. Le Gouvernement continue, quant à lui, d’être attaché à ce qu’un médecin puisse être identifié, afin de faciliter les relations avec les autres médecins, libéraux ou hospitaliers, et rejoint à ce titre l’avis de la Haute Autorité de santé.
Si je m’attarde sur la loi relative à la protection de l’enfant, c’est pour souligner toute la place qu’aurait trouvée la réflexion de Mme Giudicelli au sein de la démarche qui, au fil des mois, a constitué une véritable réforme de la protection de l’enfance.
Bien sûr, étudier ce texte comme nous le faisons aujourd’hui nous donne plus d’occasions d’être ensemble, et je m’en réjouis ! (Sourires.) Mais je regrette tout de même de devoir aborder le rôle des médecins dans les signalements de maltraitance indépendamment de la réforme globale de la protection de l’enfance.
Je le redis, une réforme de la protection de l’enfance est en marche, une réforme pour les enfants, construite avec les acteurs et défendue par eux.
En travaillant à cette réforme, j’ai été sans cesse confrontée à des constats d’interventions cloisonnées, d’acteurs qui ne se parlent pas, de cultures professionnelles qui s’ignorent. Qu’elles soient relatives aux CRIP, à la gouvernance ou aux formations, toutes les mesures de la feuille de route promeuvent l’interdisciplinarité, le décloisonnement des interventions et une approche globale centrée sur l’enfant.
Travailler ensemble, se parler, croiser les regards pour pouvoir répondre au mieux à la pluralité des besoins de l’enfant, telle est la philosophie de la réforme que je porte actuellement.
Alors oui, au regard de l’esprit qui a présidé à la concertation et à l’élaboration de la feuille de route, je suis encore une fois convaincue que nous aurions pu, la semaine dernière, discuter aussi des dispositions contenues dans la présente sous forme d’amendements à la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.
Toutefois, ce n’est pas parce que le Gouvernement nourrit quelques regrets sur la forme que le fond doit en pâtir. Oui, nous soutenons les objectifs du texte, car nous considérons que la part des médecins auteurs de signalements ou d’informations préoccupantes est beaucoup trop faible au regard de la proximité qu’ils entretiennent avec les familles. Aussi, je souhaite que ce texte soit un nouveau vecteur d’information et de sensibilisation, qu’il soit un soutien pour l’ensemble des professionnels de santé.
Afin de mieux protéger les enfants, il est en effet essentiel que la coordination entre les professionnels soit améliorée et que les médecins y participent davantage, dans l’intérêt des enfants. Cette proposition de loi nous donne l’occasion de le rappeler et de rassurer les professionnels de santé qui craindraient encore d’être sanctionnés parce qu’ils auraient transmis une information préoccupante ou procédé à un signalement.
Pour améliorer réellement les signalements des médecins, soyons toujours attentifs à ne pas confondre les moyens et les fins. Ce texte est un outil supplémentaire pour les professionnels de santé, mais sa finalité demeure bien de mieux protéger les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Nicole Duranton et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions ce matin, initialement déposée par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de nos collègues, tend à renforcer le rôle des professionnels de santé dans la détection et la prise en charge des situations de maltraitance, tout en les protégeant contre l’engagement de leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire.
Votre initiative, ma chère collègue, était tout à fait opportune, au regard de son objectif, bien sûr, mais aussi parce qu’elle s’intègre dans les réflexions que mène la Haute Assemblée comme dans les décisions constantes que celle-ci prend en matière de protection de l’enfance, au travers de textes traitant des violences intrafamiliales ou de celui, plus large, que nous avons voté la semaine dernière sur la protection de l’enfance.
Le Sénat a approuvé la proposition de loi, qui, sans modifier au fond le droit en vigueur affirme sans ambiguïté et de manière parfaitement explicite que le médecin qui signale régulièrement une présomption de maltraitance ne peut voir sa responsabilité, quelle qu’elle soit, engagée. Les choses sont donc dites clairement.
Le Sénat, sur proposition de la commission des lois, a étendu cette immunité à l’ensemble des membres des professions médicales et auxiliaires médicaux.
Par ailleurs, pour rassurer ces professionnels et les inciter à procéder aux signalements nécessaires, on a ajouté la possibilité pour les auteurs de signalements de s’adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Enfin, lors des auditions, nous nous sommes aperçus que les médecins n’étaient pas formés à la détection et au signalement des situations de maltraitance. Aussi avons-nous introduit dans le texte une obligation de formation des médecins en la matière.
Ce texte revient de l’Assemblée nationale avec une légère modification rédactionnelle : si nous avions étendu l’immunité à l’ensemble des membres des professions médicales et aux auxiliaires médicaux, les députés ont choisi de viser les médecins et les autres professionnels de santé. Ce vocable notion fait expressément référence à la quatrième partie du code de la santé publique et elle permet de couvrir sans ambiguïté, en plus des membres des professions médicales et des auxiliaires médicaux, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens.
Le travail parlementaire est, sur ce point, tout à fait positif. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a adopté sans modification la proposition de loi telle qu’elle nous a été transmise par l’Assemblée nationale. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’initiative de notre collègue Mme Colette Giudicelli tendant à renforcer la protection des victimes de maltraitance et celle du médecin qui émet un signalement est louable.
Ce texte, eu égard à la gravité du sujet dont il traite, est indispensable. Il témoigne de la volonté d’améliorer les procédés de signalement des maltraitances envers les enfants, afin de les rendre aussi efficaces que possible. Pour appuyer cette démarche de protection des mineurs victimes de maltraitances, le texte prévoit d’instaurer une véritable protection juridique pour le corps médical, en modifiant l’article 226-14 du code pénal.
Le texte initial de la proposition de loi introduisait une obligation de signalement à la charge des médecins ; en contrepartie, il créait une immunité afin que leur responsabilité ne soit pas engagée. La Haute Assemblée a, grâce au travail de notre rapporteur, étendu le champ d’application de ce dispositif en incluant l’ensemble des membres des professions médicales et les auxiliaires médicaux. Le dispositif a, de nouveau, été amélioré à l’Assemblée nationale : désormais, le médecin et tout autre professionnel de santé ne pourront voir leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire engagée en cas de signalement de maltraitance. Cette extension mérite d’être approuvée, car elle permet de viser l’ensemble des professionnels qui ont vocation à intervenir auprès des enfants victimes de maltraitance.
Cette mesure va clairement dans le sens d’une meilleure protection des enfants. Monsieur le rapporteur, vous avez d’ailleurs relevé dans votre dernier rapport que « la notion de professionnel de santé […] permettrait de couvrir sans ambiguïté, en plus des professions médicales et des auxiliaires médicaux, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens ».
Témoignant de l’intérêt de cette extension, la commission des lois du Sénat a adopté ce texte sans modification et à l’unanimité. Je constate par ailleurs qu’aucun amendement n’a été déposé en seconde lecture, preuve du caractère très consensuel de cette proposition de loi.
Ainsi, les médecins, mais aussi les sages-femmes, les infirmières, les aides-soignants, les aides-médicaux ou encore les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens seront protégés des poursuites qui pourraient être engagées à leur encontre.
Le dispositif proposé me semble tout à fait cohérent et opportun. S’il peut contribuer à encourager les professionnels de santé à signaler les actes de maltraitance subis par des mineurs, mon groupe ne peut que l’approuver.
En adoptant cette proposition de loi, mes chers collègues, nous permettrons aux médecins et à tous les professionnels de santé de remplir pleinement leur rôle de protection des mineurs faisant l’objet de violences. Il nous appartient, en tant que législateur, d’améliorer autant que possible le droit existant, et c’est bien l’objet de ce texte.
Au fond, en instaurant explicitement une obligation de signalement assortie d’une protection de responsabilité juridique pour les professionnels de santé, le texte permettrait de libérer ces derniers du dilemme entre devoir moral de signaler et respect du secret médical, tout en leur épargnant la crainte des poursuites. Comme je le soulignais lors de la première lecture, une meilleure protection des médecins les incitera à signaler plus rapidement les actes de maltraitance de toutes sortes dont ils ont connaissance.
L’intérêt supérieur de l’enfant justifie la mise en œuvre du dispositif prévu par le présent texte. Il s’agit de ne pas laisser l’enfant en situation de danger en lui garantissant une meilleure protection.
Le groupe écologiste votera donc sans hésitation cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, une semaine après avoir débattu de la protection de l’enfant, nous voici à nouveau réunis pour examiner un texte traitant de la douloureuse question de la maltraitance, problème majeur de santé publique qui concerne toutes les catégories sociales et dont les conséquences sont dramatiques.
Pendant très longtemps, les agressions que subissaient les enfants au sein des familles ont été banalisées, voire niées, et leur récit était souvent considéré comme pur mensonge. Si, depuis plusieurs décennies, les dispositifs de prévention et de protection se sont affinés et les condamnations en justice multipliées, force est de constater que la maltraitance reste mal connue et largement sous-estimée.
On dénombre actuellement en France 98 000 cas connus d’enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Alors même que ces chiffres sont en eux-mêmes préoccupants, il semblerait que le nombre des cas de maltraitance soit très largement sous-évalué. En vérité, on ne sait pas au juste combien d’enfants sont maltraités parce que nombre d’entre eux ne sont pas repérés : c’est, dans le jargon des spécialistes, le « chiffre noir ».
Pour protéger les victimes, le repérage précoce est donc décisif, et il permet de sauver des vies. Les professionnels de santé, parce qu’ils sont en contact régulier avec les enfants dès leur plus jeune âge, sont en première ligne pour détecter les cas de maltraitance et les signaler aux autorités compétentes.
Or ils sont très peu à le faire. En effet, les médecins ne seraient à l’origine que de 5 % des signalements. Il existe un véritable frein psychologique à s’engager dans une telle démarche ; les médecins ont souvent beaucoup de difficultés à envisager la maltraitance et ils craignent parfois d’être responsables d’une dénonciation calomnieuse.
Une des principales raisons de cette situation réside dans le manque de formation de ces professionnels de santé. Un enseignement théorique a certes été mis en place, mais il comporte un nombre d’heures généralement très faible et ce nombre varie d’une faculté de médecine à l’autre. Une enquête nationale réalisée en 2013 montre ainsi que plus de 80 % des étudiants affirment ne pas avoir reçu de formation sur les violences – sexuelles, physiques, verbales ou psychologiques – alors même que plus de 50 % d’entre eux déclarent avoir eu affaire, durant leur stage, à des patients victimes de telles violences, notamment des femmes.
C’est pourquoi la Haute Autorité de santé a publié, en novembre 2014, une recommandation destinée aux médecins en vue de les sensibiliser au repérage et au signalement de la maltraitance, leur indiquant les indices qui doivent faire envisager une maltraitance et les décisions possibles pour protéger l’enfant. C’est un premier pas, mais il fallait aller plus loin. C’est ce que fait le texte que nous examinons aujourd’hui.
En première lecture, sur proposition de notre commission des affaires sociales, notre assemblée a considérablement enrichi la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli, que je remercie de son initiative.
Ainsi, le champ d’application du dispositif a été étendu à l’ensemble des membres d’une profession médicale et aux auxiliaires médicaux, et non plus aux seuls médecins. En effet, le médecin de famille n’est pas toujours le mieux placé pour déceler des cas de maltraitance. En revanche, certains professionnels de santé – je pense notamment aux infirmières scolaires ou aux sages-femmes – sont davantage en mesure de signaler ces situations.
Les travaux du Sénat ont également permis que le signalement d’une situation de maltraitance par un professionnel de santé puisse être effectué auprès de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. C’est une très bonne chose, les médecins étant parfois réticents à saisir directement le procureur de la République lorsqu’ils n’ont que de simples doutes.
Par ailleurs, nous avons réaffirmé le principe selon lequel les professionnels de santé qui signalent des maltraitances présumées ne peuvent voir leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire engagée, sauf s’il est établi qu’ils n’ont pas agi de bonne foi.
Enfin, le Sénat a instauré une obligation de formation professionnelle à l’identification des situations de maltraitance et à la procédure de signalement. Face aux situations de maltraitance et aux violences susceptibles de faire l’objet d’un signalement, le renforcement de la formation sur ces questions est plus que nécessaire.
En séance publique, nos collègues de l’Assemblée nationale ont, à juste titre, modifié le champ d’application du régime d’irresponsabilité mis en place en cas de signalement de maltraitance, afin que, en plus des professions médicales et des auxiliaires médicaux, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens soient également concernés par le dispositif. Nous nous en félicitons. En effet, les professionnels de santé sont les acteurs de proximité les plus à même de reconnaître les signes évocateurs d’une maltraitance.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe RDSE apporteront, comme en première lecture, leur soutien total à cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, près de 20 000 enfants sont aujourd’hui en situation de maltraitance et près de 80 000 se trouvent dans des situations à risque. Au reste, il ne s’agit là que des chiffres officiels, n’englobant probablement pas l’ensemble des cas.
Les médecins, qui sont les plus à même de découvrir les situations de maltraitance, ne sont à l’origine que d’environ 5 % des signalements, les signes de maltraitance n’étant pas toujours des plus manifestes ni des plus simples à détecter.
C’est à cette trop faible utilisation de la procédure de signalement que notre collègue Colette Giudicelli a voulu remédier au travers de la présente proposition de loi.
La crainte des poursuites judiciaires et disciplinaires est l’un des facteurs de ce faible taux de signalement de la part des médecins : elle peut dissuader un professionnel ayant un doute sur la réalité de la maltraitance envers un enfant d’avertir le procureur de la République.
Cette absence préjudiciable d’immunité freine les médecins dans leur action et, surtout, elle pénalise les enfants. Le texte que nous examinons aujourd'hui devrait lever les obstacles et permettre le plein déploiement de l’outil que constitue le signalement.
En outre, l’extension de l’immunité aux professionnels de santé, adoptée à l’Assemblée nationale, permettra d’élargir le dispositif de manière à couvrir tous ceux qui, dans l’exercice de leur profession, peuvent avoir connaissance de maltraitances à l’égard d’un enfant, la notion de « professionnel de santé » faisant référence non seulement aux professions médicales et aux auxiliaires médicaux, mais aussi aux auxiliaires de puériculture et aux pharmaciens. Les chances de détection des sévices infligés aux enfants devraient ainsi être améliorées.
Alors que le texte initial prévoyait l’obligation de prévenir le procureur de la République, le travail mené au Parlement et les échanges auxquels l’examen de la proposition de loi a donné lieu ont abouti à une plus grande cohérence. Ainsi, l’obligation a été légitimement écartée, car elle aurait, en cas de manquement, contribué à réengager une responsabilité dont on voulait, par ailleurs, affranchir les médecins. En outre, l’obligation de signalement imposée aux médecins aurait rendu les auteurs des sévices plus méfiants et donc peut-être éloigné les enfants maltraités des professionnels de santé. Le texte final permet donc de préserver une confiance qui, seule, peut assurer l’effectivité du dispositif proposé.
Le manque de connaissance des outils dont disposent les médecins constituait l’autre grande lacune du dispositif actuellement en vigueur. Le Sénat a donc, à juste titre, introduit l’obligation de former les médecins à la procédure de signalement.
Ces différentes modifications ont rendu le texte à la fois plus riche, plus lisible et, par conséquent – du moins nous l’espérons tous –, plus opérant.
Enfin, il semble que la saisine du seul procureur de la République, lequel est une autorité judiciaire, risquait de faire naître chez les médecins des réticences à procéder au signalement. À cet égard, l’alternative consistant à ouvrir aussi la possibilité de saisir la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes est bienvenue : ce maillon supplémentaire resserrera le réseau sur l’ensemble du territoire.
Le texte que nous examinons aujourd'hui a bénéficié d’une réflexion collégiale. Une fois le dispositif déployé, il pourra conduire progressivement à réduire les maltraitances, mais aussi à les prévenir, car un réseau d’acteurs nombreux et variés connaissant la procédure est le mieux à même de relever des informations, de les partager et, par conséquent, avec l’expérience, d’agir plus vite.
Saluant une fois encore l’excellent travail effectué par notre rapporteur François Pillet, nous suivrons sa recommandation et nous voterons cette proposition de loi telle que l’Assemblée nationale nous l’a transmise. (Applaudissements.)