M. Jacques Mézard. Non, ce n’est pas ce que ce rapport nous apprend !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si la déclaration interprétative ne vous suffit pas, il y a donc le rapport explicatif de la Charte lui-même, c’est-à-dire l’explication des auteurs. C’est la question que j’abordais tout à l’heure lorsque j’évoquais une étude comparative qui indique que l’on trouve dans cette charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi de l’intention de ses auteurs.
Si vous estimez que la déclaration interprétative précisant qu’il n’est pas question d’octroyer des droits spécifiques aux groupes de locuteurs n’est pas suffisante ou que l’analyse de Guy Carcassonne, selon laquelle la Charte n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne, ne l’est pas non plus et que vous souhaitez les évacuer, vous ne pouvez tout de même pas écarter un rapport aussi précis et explicite que celui de la Charte !
La crainte d’une fragilisation du principe d’indivisibilité de la République en raison de l’octroi de droits spécifiques – individuels ou collectifs – à des groupes de locuteurs doit disparaître, car ce rapport explicatif nous garantit, presque de façon redondante, qu’il n’est pas question d’octroyer de tels droits.
Monsieur Bas, s’agissant de ce texte, vous avez parlé d’un passage en force. Comment peut-il y avoir passage en force puisque c’est le constituant qui vote ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous en donne acte !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà, c’est tout à fait impossible ! Cela fait partie des éléments qu’il était indispensable de clarifier.
Certains ont également dit que la déclaration interprétative était en fait une réserve.
Un tel débat n’est pas possible ici, mesdames, messieurs les sénateurs ! Pas au Sénat où la maîtrise du droit ainsi que la capacité à distinguer ce qui est formel de ce qui est simplement littéral sont des évidences ! Je peux d’ailleurs en témoigner, moi qui, avant même ma nomination comme garde des sceaux, suis très souvent et pendant de nombreuses années venue suivre les travaux du Sénat lorsque j’étais députée – vous l’ignoriez sans doute –, et qui ai lu avec une très grande régularité les rapports élaborés par le Sénat.
En réalité, il n’y a pas de confusion possible entre une déclaration interprétative – instrument de souveraineté d’un État – qui précise la portée que l’État donne aux dispositions contenues dans l’instrument international qu’il signe et qu’il s’engage à ratifier, et les réserves qui, elles, modifient ou excluent les conséquences juridiques de dispositions.
Monsieur le président Bas, nous ne sommes donc pas déloyaux au regard du droit international, ainsi que je l’ai expliqué au cours de la partie juridique de mon intervention. La France respecte ses obligations internationales. Cette déclaration interprétative – comme son nom l’indique – ne peut pas être une réserve, alors que nous savons bien que les réserves sont interdites, même si des dérogations et des exceptions sont possibles.
J’évoquerai très brièvement la question de la hiérarchie des normes. Nous avons entendu des hésitations et des interprétations sur ce sujet mais, d’une façon générale, les parlementaires qui se sont exprimés ont très clairement fait la part des choses.
Aucune ambiguïté n’existe en la matière depuis l’arrêt Sarran du Conseil d’État en 1998 et l’arrêt Fraisse de la Cour de Cassation en 2000. Il n’y a donc pas d’interprétation possible, pas de doute à avoir,…
MM. Bruno Retailleau et Hugues Portelli. En droit interne !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument !
… pas d’inquiétudes à s’inventer !
À mon grand regret, je ne pourrai pas répondre à chacun d’entre vous. Je souhaite cependant revenir de façon transversale sur un certain nombre de sujets.
Monsieur le président Mézard, vous nous conseillez de faire du droit. Or nous faisons du droit, mais pas seulement ! Le droit, ce sont des règles qui portent sur des sujets concernant notre vie commune. C’est pourquoi il me semble qu’il faut que nous osions traiter du sujet sur lequel les textes importants posent des règles. La question n’est donc pas simplement celle du droit.
Je souhaite également revenir sur vos propos, monsieur Reichardt. J’ai entendu comme une espèce de Minnesang à l’alsacien, une sorte de chant d’amour à l’alsacien.
M. André Reichardt. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque le président Retailleau dit qu’il faut faire attention au communautarisme, je me demande pourquoi il faudrait faire preuve d’une suspicion systématique à l’égard des langues alors que les territoires ont de belles identités, ont tellement enrichi le patrimoine commun par la variété sémantique de la langue, par l’originalité de la construction de la langue et, au-delà, par les expressions artistiques diverses ou la production littéraire
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pourquoi une telle suspicion ? Vous allez comprendre pourquoi je fais le lien avec l’intervention de M. Reichardt. J’affirme que faire vivre ces belles identités – qui sont souvent liées aux territoires et parfois aux paysages – n’est absolument pas du communautarisme !
M. Bruno Retailleau. Oui bien sûr !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque je disais au sénateur Reichardt qu’il a fait un Minnesang sur…
M. André Reichardt. Un Liebeslied ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, un Liebeslied, cela doit faire partie de la liste des expressions dont vous nous avez parlé… J’ai vu que cette liste était très riche, mais je trouve malgré tout que quatre-vingts expressions ne font pas nécessairement un amour éternel ! (Nouveaux sourires.)
Au-delà de ce que l’alsacien a réalisé, pourquoi refuser un effet d’émulation, un cadre plus large pour ces langues ? C’est en ne l’acceptant pas que nous courons le risque d’être soupçonnés de communautarisme. Pour ma part, je ne pense absolument pas que nous en souffrions.
La défense des langues minoritaires ne consiste pas pour autant à dire qu’il faut protéger l’alsacien ou le picard ! Notre démarche consiste à dire que nous avons un vaste patrimoine, extrêmement riche et vivant, mais qu’il a perdu des forces et de l’énergie au travers du temps en raison du cadre, de l’histoire, des politiques publiques, des mesures, des attitudes, des conditions d’ascension sociale, de mille et un critères en somme.
Notre souci est de revigorer ce patrimoine et non de créer des enclaves, de fragmenter et de segmenter ! Il s’agit d’affirmer que c’est notre patrimoine commun. Nous nous enrichissons les uns les autres en prenant en charge ce patrimoine !
M. André Reichardt. Mais nous sommes d’accord à ce sujet !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est ainsi que l’on sert l’indivisibilité de la République et l’unicité du peuple français.
M. Didier Guillaume. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’unité du même n’est pas bien compliquée à réaliser, sauf que le même n’existe nulle part. Y compris lorsque l’on a fait croire que le monde était binaire, le monde a toujours été pluriel et complexe ! Les sociétés ont toujours été plurielles et complexes !
M. Bruno Retailleau. C’est cela qui est important !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La société française n’a pas échappé à cette réalité. Il s’agit d’une vertu extraordinaire de l’humanité.
La question est donc celle de l’unité d’un tel monde. C’est la laïcité, en tant que principe de concorde, qui nous permet de faire destin ensemble, de faire destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.) C’est pour cela que la laïcité nous lie ! La laïcité est ce qui nous permet de vivre ensemble, quelles que soient nos apparences, nos appartenances multiples, nos croyances – y compris notre liberté de conscience –, quel que soit ce qui fait de nous des êtres singuliers. C’est ce qui fait la force, l’importance, j’oserais même dire la pérennité, sinon l’éternité de ce principe laïc !
M. Jacques Mézard. La laïcité ne figure pas dans le texte !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce principe nous permet, quelles que soient la diversité et la multiplicité des appartenances singulières et des diversités,…
M. Didier Guillaume. Évidemment !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … de vivre ensemble et d’écrire ensemble un destin commun !
M. Bruno Sido. Ce n’est pas du droit tout cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est bien parce que le monde est divers, disparate, différent que la laïcité dispose de ce pouvoir-là. En effet, la laïcité est sociale…
M. Jacques Mézard. Non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si, il y a une démarche sociale dans le fait de reconnaître l’égalité de tous les citoyens sur le territoire, le fait de ne pas encourager, de ne pas créer des enclaves, de ne pas provoquer des exclusions ou des marginalisations !
Je terminerai mon intervention en abordant la question des moyens, puisqu’elle a été évoquée à plusieurs reprises. Je crois qu’il ne faut pas confondre les sujets : les moyens sont certes indispensables – on a l’habitude d’en débattre ici et je sais que vous exercez la vigilance nécessaire pour que les lois ne restent pas lettre morte, que les dispositions adoptées par le Parlement puissent être mises en œuvre –, mais le Gouvernement présente, aujourd’hui, un projet de loi constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle ce texte ne comporte pas de volet sur les moyens. Madame la présidente Assassi, cela n’enlève rien à la légitimité de votre interrogation et de votre interpellation. Je veux seulement y répondre très précisément, M. Bas ayant lui-même déclaré que le Gouvernement ne faisait rien depuis longtemps.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il ne fait pas assez !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout d’abord, j’ai du mal à comprendre pourquoi certains sénateurs refusent la norme constitutionnelle.
Je n’arrive pas à saisir la cohérence de certains discours reposant sur l’importance de la loi.
Il m’a semblé que les différentes interventions s’inscrivaient plus dans le maximalisme - le superlatif – que dans le minimalisme. J’ai plutôt entendu un attachement aux langues, une volonté de les faire vivre, et le souci de permettre à ces langues, concrètement, à l’échelle des territoires, d’apporter leur part dans le rayonnement de notre pays.
Mais j’ai du mal à entendre, dans le même argumentaire, que la norme constitutionnelle serait infondée et qu’il faudrait éventuellement s’en remettre à une loi. Ou bien la norme constitutionnelle est infondée et le constituant peut la changer, ou bien on refuse de modifier la Constitution et les dispositions de la Charte sont inapplicables !
À plusieurs reprises, j’ai entendu des orateurs expliquer que les 39 dispositions étaient déjà applicables et, dans le même temps, qu’il fallait passer par la loi, la charte étant contraire à la Constitution. Donc, nous élaborerions une loi contraire à la Constitution ! Cela relève un peu du syllogisme !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’agissant des moyens, si ce gouvernement a agi et si, précédemment, j’évoquais la « norme constitutionnelle », c’est parce que, pour les langues régionales d’une façon générale, la norme est justement infra-légale. La loi Deixonne de 1951 mise à part, elle se situe au niveau du décret, de l’arrêté, de la circulaire.
C’est ce gouvernement qui a introduit dans la loi, notamment à travers la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des dispositions concernant les langues régionales.
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
Mme Maryvonne Blondin. Effectivement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … puisque nous avons fait adopter des mesures au plan légal ! Nous proposons désormais de faire évoluer la Constitution.
Plus concrètement, voici quelques indications budgétaires. Le budget relatif à la promotion de la langue française et des langues régionales s’élève, cette année, à 2,85 millions d’euros. Il affiche une augmentation régulière, puisqu’il s’établissait à 2,6 millions d’euros en 2013 et à 2,497 millions d’euros en 2010. C’est donc un budget que nous avons fait croître depuis notre arrivée aux responsabilités. (Mme Frédérique Espagnac opine.)
Par ailleurs, dans le cadre d’un travail qui lui a été confié, le délégué interministériel à la promotion des langues a produit un guide, édité dans la collection Dalloz. (Mme la garde des sceaux montre un exemplaire de cet ouvrage.) Cette publication rassemble tous les textes et références – essentiellement réglementaires, d’ailleurs – concernant les langues régionales.
Il existe également un programme intitulé « Dis-moi dix mots », que vous devez connaître, mesdames, messieurs les sénateurs, puisqu’il se décline sur tout le territoire, dans tous les établissements scolaires.
S’agissant maintenant du droit des personnes, il a été dit à plusieurs reprises que les locuteurs auraient la possibilité d’imposer leur langue régionale dans leurs relations avec les autorités. Cette disposition, déclinée à l’article 10 de la Charte, ne fait pas partie des 39 mesures retenues par la France. L’affirmation peut être répétée à l’envi, il n’empêche qu’une telle possibilité ne figure pas parmi les 39 mesures !
J’ai également été interpellée sur la question de la justice.
Pardonnez-moi de vous rappeler ce que notre code de procédure pénale prévoit déjà : la possibilité pour un magistrat de ne pas avoir recours à un interprète s’il comprend la langue de la personne jugée et, dans le cas contraire, l’obligation d’y avoir recours, au motif que les personnes doivent être jugées dans la langue qu’elles comprennent. C’est une obligation que nous respectons.
Ni dans la charte, ni dans les mesures qui ont été retenues ne figure une obligation de juger dans les langues régionales ! Cela n’est écrit nulle part ! Par conséquent, n’inventons pas ; constatons cependant que notre droit est suffisamment élaboré pour permettre, déjà, le recours à des interprètes.
Mais ce n’est même pas le sujet… Simplement, ne faisons pas comme si nous allions introduire un bouleversement absolument inconcevable !
J’en termine vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant de votre attention et de la très grande qualité de ce débat.
Je rappellerai cette très belle phrase d’Édouard Glissant : « J’écris en présence de toutes les langues du monde ».
L’écrivain voulait ainsi témoigner de l’imprégnation qu’il y avait dans l’attention à l’autre, la curiosité vis-à-vis de l’autre, de l’agilité avec laquelle on peut entendre l’autre et, surtout, réagir et se mouvoir soi-même dans des univers très différents, justement parce que l’on a déjà combiné en soi des langues différentes, des cultures différentes, des expressions différentes. Chacune ou chacun d’entre nous peut donc s’exprimer en présence de toutes les langues du monde.
Vous me pardonnerez de conclure avec Aimé Césaire, qui n’a pas écrit en créole, qui a été un poète de l’universel au sens où il a montré à quel point l’enracinement profond peut permettre à l’individu de se stabiliser, de s’équilibrer et, ainsi, de se hisser à la hauteur de l’ensemble du monde, de se porter jusqu’aux cimes que lui offre le monde.
Aimé Césaire écrivait :
Je veux le seul, le pur trésor,
celui qui fait largesse des autres.
Il me semble qu’en revigorant ces langues régionales, en leur permettant d’être à notre portée à tous, nous avons la possibilité de faire « largesse des autres » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat était-il vraiment nécessaire ?
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jacques Legendre. Ceux qui aiment la langue française et les langues de France sont bien sûr des partisans déterminés de la diversité des langues et de la protection de cette diversité.
Nous aurions pu, aujourd'hui, parler des dispositions à prendre, de l’application des 39 mesures issues de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, que le Gouvernement français déclare vouloir mettre en œuvre. Au lieu de cela, nous voilà pris dans un débat juridique, sans doute intéressant et essentiel au vu des risques que comporte cette charte ou, à tout le moins, de ses ambiguïtés profondes.
Je crois donc, mes chers collègues, qu’il est nécessaire d’abréger un débat qui ne sert pas les langues, pour avoir le temps, bientôt, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, de discuter concrètement de ce que nous pourrons faire en leur faveur.
Philippe Bas vient de nous présenter une motion tendant à opposer la question préalable. La grande majorité du groupe Les Républicains y souscrit.
En effet, outre qu’elle serait sans incidence dans les faits et, en particulier, sans utilité pour les langues régionales, dont la promotion ne trouve pas d’obstacle dans l’état actuel de notre droit, la révision constitutionnelle proposée aurait pour effet de créer un conflit de droit qu’aucun argument valable ne saurait écarter.
Cette révision constitutionnelle mettrait la France dans une situation étrange, parfaitement inédite, puisque la Constitution interdirait l’application de stipulations qu’en droit international la ratification de la Charte nous ferait obligation d’appliquer, le préambule et le chapitre II de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires exigeant clairement de souscrire à ce que notre Constitution interdit.
Dans ces conditions, vous comprendrez bien, madame la ministre, que mes collègues et moi-même voterons en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des lois.
Nous le ferons en émettant le souhait qu’après cet après-midi où nous avons été – je prends un terme picard – des « diseux », nous soyons bientôt des « faiseux », c’est-à-dire les auteurs d’une grande loi, permettant de donner toute leur place à nos langues régionales, que nous aimons et respectons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Tandonnet et François Zocchetto applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. De quoi ont-ils peur ?... Telle est la question que nous avons tous entendue autour de nous au cours des dernières semaines, depuis cette annonce que la majorité de droite au Sénat allait présenter une motion tendant à opposer la question préalable.
De quoi ont-ils peur ?
M. Philippe Bas, rapporteur. De rien !
M. François Marc. Va-t-on mettre à mal l’unité nationale en autorisation la ratification de cette charte ? Nul ne le croit ici réellement !
Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir apporté tous les éclairages utiles.
Sur le plan du droit, vous avez été tout à fait pertinente sur l’ensemble des sujets. Mais, je tiens aussi à vous le faire savoir, nous avons été très heureux de vous entendre élever le débat, en apportant, sur ce sujet, une vision véritablement indispensable.
Vous avez cité un certain nombre d’auteurs, notamment Victor Segalen, grand médecin de la Marine et poète, que je connais par tradition brestoise. Vous avez souligné à quel point le fait d’honorer les hommes à travers cette diversité devait être le leitmotiv qui nous guide.
Face à cette préoccupation, la droite sénatoriale affiche une position qui, incontestablement, est aujourd'hui incomprise dans le pays. Il faut bien le dire !
La majorité sénatoriale refuse ce vote, au profit d’une future proposition de loi. S’il doit y avoir « bricolage » – le terme a été évoqué à propos de la Charte –, il me semble que c’est plutôt au niveau de cette proposition de loi, « bricolée » en toute hâte, déposée au dernier moment, pour une raison que l’on sait être fondamentalement politicienne !
Mes chers collègues, un récent rapport des Nations unies nous annonce qu’au XXIe siècle 90 % des langues vont disparaître de la planète.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas en ratifiant la Charte que l’on changera quoi que ce soit !
M. François Marc. Nous devons être mobilisés contre cette évolution tout à fait inacceptable.
Le Sénat, chambre des collectivités, sera-t-il à la hauteur pour respecter les attentes de nos territoires s’agissant des langues régionales ? C’est la question qui nous est posée !
Voilà pourquoi il nous faut absolument rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat aille à son terme et que le Sénat puisse autoriser la ratification de cette charte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Lors de la discussion générale, ma collègue Éliane Assassi a, d’une part, précisé quelle appréciation nous portions sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et, d’autre part, réaffirmé sans ambiguïté notre soutien de longue date à la promotion des langues régionales - langues profondément populaires, qui sont le ferment de la langue française.
À nos yeux, mes chers collègues, le fait de soutenir la démarche de préservation du patrimoine linguistique n’entre certainement pas en contradiction avec les principes républicains d’unicité et de respect de la langue française comme langue de notre Nation.
La discussion générale l’a montré, les uns et les autres ont des lectures très différentes de la Charte européenne, mais une chose est sûre : cette charte va beaucoup plus loin que la simple reconnaissance des langues régionales ou qu’un encouragement à leur préservation.
Un vrai débat existe sur sa portée juridique, en particulier dans la sphère dite de la vie publique, c’est-à-dire dans les domaines judiciaires ou administratifs. Ce débat, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas nous en priver !
Il n’est pas bon, estimons-nous, d’y mettre un terme d’entrée de jeu. La discussion sur le contenu du projet de loi constitutionnelle doit avoir lieu pour apporter les éclaircissements et la sérénité nécessaires, et sortir de postures idéologiques bien éloignées des préoccupations de l’immense majorité des populations.
Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable en soulignant, comme Éliane Assassi l’a déjà fait, que le débat sur les moyens à mettre en œuvre pour une réelle sauvegarde et promotion des langues régionales doit également avoir lieu.
J’ai bien entendu, madame la garde des sceaux, les précisions que vous avez apportées quant aux moyens actuellement consacrés au sujet par le Gouvernement. On peut malgré tout considérer que le niveau auquel ces moyens sont portés demeure relativement modeste au regard de l’ambition affichée dans ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Nous sommes tous, dans cet hémicycle, attachés à la défense et à la mise en valeur des langues régionales. Par conséquent, le débat ne porte absolument pas sur le fait de savoir si l’on est pour ou contre la diversité linguistique. Il s’agit plutôt de déterminer comment nous pouvons assurer la pérennité, voire le développement de cette diversité, qui fait partie, nous y souscrivons tous, de notre patrimoine.
Force est de constater que ce projet de loi constitutionnelle n’apporte aucune plus-value en matière de défense et de développement des langues régionales. Cela a déjà été expliqué.
Force est de constater aussi que le texte crée beaucoup d’incertitudes juridiques et qu’il est susceptible de mettre en cause ces langues elles-mêmes.
Personne ne pourra non plus nier la lecture qu’en fait le Conseil constitutionnel : celui-ci indique très clairement qu’une ratification intégrale de la Charte reviendrait à renier les principes fondamentaux de notre droit constitutionnel, à savoir l’unicité du peuple français et l’indivisibilité de la République, principes auxquels nous pourrions ajouter l’égalité des citoyens devant la loi.
Madame la garde des sceaux, aucune réponse probante n’a été apportée aux arguments de droit qui ont été développés. En outre, à l’évocation du rapport explicatif mis en parallèle avec des décisions du Conseil constitutionnel, permettez-nous de douter du sens de la hiérarchie des normes, qui pourtant s’impose à chacun ici.
Je pense aussi à ceux de nos collègues qui sont issus de territoires régionalistes et ressentent le douloureux sentiment d’être pris en otages et d’intervenir dans un débat tronqué.
Vous l’aurez compris, le présent texte n’apportant rien de nouveau, hormis de l’insécurité juridique et des divisions partisanes à quelques semaines des élections régionales, notre groupe, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Nous venons d’écrire un nouvel épisode de ce long feuilleton, et j’en suis très triste.
Voilà soixante-quatre ans, nous avions réussi à voter la loi Deixonne. Pourtant, la droite avait trouvé le moyen d’empêcher son application en ne publiant pas les décrets. Chaque fois que la question est sur la table, la droite trouve une argutie contre les langues régionales, tout en disant la main sur le cœur qu’elle défend les langues régionales. Que nenni ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il s’agit au contraire d’empêcher l’usage de ces langues dans l’espace public et au cours de la vie publique et de les laisser s’éteindre en raison de l’arrêt de la transmission. Telle est la stratégie qu’a retenue la droite depuis des décennies, tout en l’accompagnant systématiquement d’un discours favorable à l’utilisation des langues régionales. C’est totalement faux, et c’était éminemment politique aujourd’hui.
J’ai écouté avec attention les propos de M. le rapporteur qui me semblaient très compliqués et je viens enfin de comprendre à la fin du débat. Cette fois, il nous a inventé un nouveau principe qui devrait s’appliquer lors de la discussion d’une loi constitutionnelle au Sénat : Ne touche pas à la Constitution !
M. André Reichardt. Il n’a pas compris !
M. Ronan Dantec. Cette règle réduit le débat, qui, si celle-ci nous avait été présentée dès le début, aurait pu s’achever beaucoup plus tôt.
Tel est le nouveau principe de M. le rapporteur : « Ne touche pas à la Constitution », ou plutôt « Ne touche pas à ma Constitution », car je l’ai trouvé très possessif lorsqu’il a donné sa définition de la Constitution et l’a défendue.
Une fois encore, la droite ne progresse pas sur ce sujet. C’est plutôt une mauvaise surprise.
À l’inverse, je dois le dire, nombre d’interventions à gauche ont suscité ma fierté. Je m’investis, comme d’autres ici, sur ce sujet depuis des décennies, et j’ai aussi connu des débats très difficiles à gauche. Néanmoins, j’ai trouvé que, sur ce texte porté avec ardeur par Mme la garde des sceaux, la gauche avait beaucoup progressé dans sa compréhension (MM. Rémy Pointereau et Bruno Retailleau s’esclaffent.), je dirai même dans son intelligence du monde, dans cette compréhension de la diversité de nos sociétés qui doivent se doter de symboles pour conforter le vivre-ensemble. Voilà le débat qui est sur la table aujourd’hui !
À l’inverse, au travers des propos de Bruno Retailleau, on a agité le spectre du communautarisme. Ce n’était pas digne, ce n’était pas à la hauteur du débat. Agiter là le spectre du communautarisme, c’est annoncer une droite qui va vouloir revenir au pouvoir sur le mythe d’une France uniforme qui n’est pas à la hauteur des défis. C’est ce qui s’est dit dans ce débat. C’était un débat extrêmement politique – les arguties juridiques ne trompent personne. Un clivage très fort entre la droite et la gauche est apparu, et je suis très fier, ce soir, d’être à gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)