Mme Cécile Cukierman. Il faut le faire maintenant !
M. le président. Monsieur Collombat, si je comprends bien, vous acceptez de rectifier votre amendement ?
M. Pierre-Yves Collombat. Oui, monsieur le président, je le rectifie pour remplacer, à l’alinéa 3, les mots : « dans le domaine juridique, économique ou social » par les mots : « dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines ».
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Collombat, Mme Malherbe et M. Requier, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
dans le domaine juridique, économique ou social
par les mots :
dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je ne méconnais pas l’apport de la philosophie au droit, mais le travail d’un magistrat est tout de technique juridique. Je suis plus étonné de voir que l’on peut recruter des économistes pour devenir magistrat que je ne suis favorable à l’ouverture de la fonction judiciaire aux philosophes, aux sociologues et autres historiens. La fonction judiciaire demande tout de même une compétence professionnelle avérée et la capacité de manier le droit.
Nous pourrions aussi faire entrer des théologiens, parce qu’ils sont l’habitude de l’exégèse. L’exégèse est certes très utile quand on fait du droit, mais, je regrette de le dire aussi fermement, nous sommes, à mon avis, sans tenir compte des besoins réels de la magistrature, en train d’improviser une disposition qui ouvrira les recrutements à des professionnels tous estimables, mais dont on peut se demander si tous ont réellement la capacité de lire un texte de droit pour l’appliquer aux situations qui se présentent à la barre du tribunal.
Par conséquent, l’avis que vient de nous donner Mme la garde des sceaux me semble très sage. Si, en se fondant sur son expérience de garde des sceaux, elle s’engage à nous proposer une solution dans les délais les plus brefs, en nous disant quels types de professionnels ayant quatre années d’expérience dans un domaine particulier – puisque c’est de cela qu’il s’agit – peuvent devenir de bons magistrats, moyennant parfois un recyclage important, nous serons, dès lors, mieux éclairés.
J’ai défendu ce matin en commission l’idée qu’un philosophe a une formation intellectuelle qui peut être très utile pour devenir un professionnel du droit. Mais un philosophe n’est pas un professionnel du droit, pas plus qu’un économiste.
Je me demande si la mention des économistes dans notre texte n’est pas un héritage d’un passé très lointain. En effet, à l’université, la formation économique a d’abord été une excroissance de celle qui était dispensée dans les facultés de droit. À cette lointaine époque, vue de cette manière, l’économie politique pouvait justifier que l’on recrutât non pas des économistes, mais des juristes ayant fait de l’économie pour devenir magistrats.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Le texte de l’article 5 prévoit très clairement une exigence de diplôme attestant la formation juridique. Je crains qu’il n’y ait une confusion entre l’activité dans les domaines juridique, économique et social et le diplôme, en philosophie ou autre. Il importe donc de qualifier le domaine d’activité qui aurait donné une compétence particulière justifiant qu’une personne, ayant reçu par ailleurs une formation juridique, puisse, en raison de son expérience professionnelle, entrer dans la magistrature sans passer le concours.
Il faut vraiment revenir sur ce texte pour arriver à une rédaction claire. Mais on ne peut ajouter ainsi, en séance, des domaines d’activité. Pour ma part, je pense à un domaine de la philosophie, la psychologie, qui pourrait aussi être fort utile. Pour les juges aux affaires familiales notamment, une vraie formation à la psychologie serait à n’en pas douter un complément utile. Et je n’oublie pas non plus que nous avons de très grands magistrats, comme Antoine Garapon et Denis Salas, qui sont des philosophes en même temps qu’ils sont de brillants juristes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à remercier notre collègue Pierre-Yves Collombat d’avoir ouvert ce débat très important. S’il est si important, c’est que nous sommes habitués à voir écrit « économique et social ». Dans l’air du temps, l’expression paraît banale et, en quelque sorte, normale. Mais si quelqu’un parle de philosophie, cela paraît étrange. Nous devons nous interroger pour savoir pourquoi il en est ainsi.
Monsieur Bas, vous nous dites qu’il faut une formation juridique. C’est précisément ce que prévoit le quatrième alinéa, puisqu’il requiert de la personne, outre des années d’activité dans l’un des domaines – juridique, économique… –, un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique, etc. La personne a donc forcément une formation juridique.
Si vous pensez que cela suffit, il faut dire que cette condition est nécessaire et qu’elle est suffisante. Mais ce que dit notre collègue Pierre-Yves Collombat est différent : il s’agit de la personne qui, en plus de cette formation, a une connaissance de la philosophie. Qu’en est-il, alors? Il est tout à fait vrai qu’une personne qui connaîtrait Platon, Aristote et Malebranche, sans oublier Jean-Jacques Rousseau, qui a été un grand philosophe du droit, ni Montesquieu, mes chers collègues, ni Hegel – et je m’arrêterai là…
Mme Cécile Cukierman. Pourquoi pas Karl Marx ?
M. Jean-Pierre Sueur. … parce que ce pourrait être très long –, aurait une culture très appréciable, en complément de sa formation juridique.
Tout cela a du sens. C’est la raison pour laquelle, ce matin, nous nous demandions comment réagirait Mme la garde des sceaux. J’étais certain, personnellement, que Mme la garde des sceaux, qui s’intéresse beaucoup à la culture philosophique et littéraire,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et au droit également !
M. Jean-Pierre Sueur. Et au droit, évidemment !
J’étais certain, donc, que Mme le garde des sceaux se montrerait, finalement, très ouverte à cet amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat.
Je pense que cet amendement a du sens et je souhaite vivement qu’il soit mis aux voix dans ce libellé, monsieur le président, puisqu’il prévoit, en plus de la formation au droit, une expérience dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines.
Nous verrons bien ce que fera l’Assemblée nationale. Je pense qu’elle réagira bien. Sinon, de toute façon, monsieur le président, nous nous retrouverons en commission mixte paritaire, où le débat a toutes les chances d’être approfondi…
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’amendement n° 3 rectifié bis de notre collègue présente le mérite de nous interpeller sur l’élargissement du recrutement des magistrats.
Après réflexion, et à la suite de l’explication du président de la commission des lois, Philippe Bas, force est pour moi de reconnaître que tout est juridique. Même si ouvrir le recrutement en prenant en compte les sciences humaines peut sembler intéressant, il est vrai qu’il y a, d’un côté, les universités de droit et, de l’autre, celles de lettres et sciences humaines. Les sciences humaines sont vastes, passant par les lettres, la philosophie, l’histoire, qui a aussi été évoquée, auxquelles nous pourrions ajouter la géographie et bien d’autres disciplines encore. On peut craindre d’élargir ainsi de proche en proche les possibilités de recrutement, car les missions de l’auditeur de justice ne sont pas simples et demandent beaucoup de compétences.
Je me rallierai donc à la position du président de la commission des lois.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous suivrons également la commission. Des philosophes, pourquoi pas, sauf dans la diplomatie…
M. Pierre-Yves Collombat. Ça, c’est un raisonnement !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. M. Sueur a eu raison de revenir au texte de l’article 5, qui prévoit que peuvent être nommées directement auditeurs de justice les personnes que quatre années d’activité dans le domaine juridique, économique ou social qualifient pour l’exercice des fonctions judiciaires si elles sont titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Lisez la phrase jusqu’à la fin !
M. Jacques Mézard. … ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. CQFD !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, nous connaissons la compétence et l’expérience des membres du Conseil d’État, mais, à partir du moment où l’alinéa 3 prévoit que peuvent être nommées auditeurs de justice les personnes justifiant de quatre années d’activité « dans le domaine juridique, économique ou social », quelle est la difficulté d’intégrer également l’ajout proposé par notre collègue Collombat ? Voyez ce qu’un philosophe du talent de Pierre-Yves Collombat apporte au Sénat ! (Sourires.) Ne privons pas la magistrature de telles compétences !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, croyez-vous que tous les conseillers d’État nommés au tour extérieur soient de grands spécialistes du droit ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ils le deviennent…
M. Jacques Mézard. Ils le deviennent, nous sommes d’accord ! Je crois que nous avons fait la démonstration que cet amendement est frappé au coin du bon sens !
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 rectifié bis ?
M. François Pillet, rapporteur. En l’état, cet amendement vise à remplacer les mots « dans le domaine juridique, économique ou social » par les mots « dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines ». Il oublie les disciplines scientifiques, l’histoire…
M. Jean-Pierre Sueur. L’histoire fait partie des sciences humaines !
M. François Pillet, rapporteur. … et de nombreux autres domaines.
De manière générale, il convient de recourir avec mesure aux rectifications d’amendements en séance publique, afin d’éviter de produire des textes qui, comme celui-ci, risquent d’être interprétés de manière totalement restrictive.
J’appuie donc, après M. Bigot, la proposition opportune de Mme la ministre : nos discussions montrent bien que cet amendement n’est pas au point. Remettons-nous-en à la navette pour en peaufiner la rédaction. Pour l’heure, elle n’est pas satisfaisante. À l’instar de Mme la ministre, je demande, sans en remettre en question le fond, le retrait de cet amendement. À défaut, je maintiendrai l’avis défavorable de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis également réticente aux réécritures en séance, car le risque est grand de ne pas tout prévoir. L’idée est incontestablement bonne, mais il convient de prendre le temps d’examiner posément la question. Quels champs d’activité faut-il viser ? Je rappelle qu’une formation juridique de quatre années au moins sera également requise pour pouvoir être candidat à l’admission sur titres à l’École nationale de la magistrature, où les futurs magistrats suivront encore un cursus de trente et un mois. Il est possible qu’un brillant philosophe puisse faire un excellent magistrat et cet amendement va dans le sens de l’ouverture de la magistrature sur la société. En tout cas, toutes les garanties nécessaires sont prévues. Je ne crois donc pas que l’on prenne des risques inconsidérés en termes de qualité de la formation des magistrats.
En définitive, j’émets un avis de sagesse. Je trouverais de meilleure méthode que nous prenions le temps de parfaire la rédaction, sachant que nous partageons la volonté d’élargir l’accès à l’École nationale de la magistrature, mais la navette pourra permettre de le faire. En tout état de cause, il faudra y revenir.
M. le président. Monsieur Collombat, l'amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je maintiens l’amendement, tout en saluant votre esprit d’ouverture. Si je le retire, il disparaîtra et ne sera pas débattu dans la suite de la navette.
M. Jean-Pierre Sueur. Exactement ! Il n’y aura pas de débat !
M. Pierre-Yves Collombat. Il reviendra à la commission mixte paritaire d’améliorer la rédaction.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.
L'amendement n° 22, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après les mots :
Au deuxième alinéa,
insérer les mots :
les mots : « qui possèdent, outre les diplômes requis pour le doctorat, un autre diplôme d’études supérieures » sont supprimés et
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les auteurs de cet amendement estiment indispensable de rétablir la suppression de la condition de diplômes exigés, en sus du diplôme ayant permis l’inscription en doctorat, à l’article 18-1 de l’ordonnance statutaire. Cette suppression a pour objectif de faciliter le recrutement direct des docteurs en droit.
En effet, des exigences de diplômes trop importantes, pour des candidats qui ont déjà un haut niveau d’études et seront amenés à suivre une formation longue à l’École nationale de la magistrature, conduisent à une inutile restriction des recrutements.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission a parfaitement compris qu’il était important de desserrer l’étau des conditions de recrutement des magistrats, afin d’élargir celui-ci.
Cet amendement, contraire à la position de la commission, vise à supprimer la condition d’un second diplôme d’études supérieures pour les docteurs en droit candidats à l’admission sur titres à l’auditorat.
Il me semble nécessaire de veiller à conserver un très haut niveau de qualification aux candidats à la magistrature, qui n’est pas une administration comme les autres, afin d’assurer le meilleur exercice des fonctions juridictionnelles. Il s’agit d’une position de principe qui reflète la très haute conception que nous nous faisons de la magistrature.
Les docteurs en droit ne représentent que 2,63 % des admis au titre de la procédure de l’article 18-1 : eu égard à l’importance de leur taux d’échec, il semble préférable de maintenir une exigence supplémentaire quant à leur ouverture sur d’autres disciplines. Il n’est nullement anormal que les exigences en matière de recrutement soient plus élevées dans la magistrature que dans d’autres secteurs de la fonction publique.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mon avis sera plus nuancé.
Je rappelle une fois encore qu’il s’agit des conditions d’accès à une formation de trente et un mois : sauf à considérer qu’un doctorat en droit est sans contenu et sans valeur, on peut penser que justifier d’un tel diplôme est suffisant pour se porter candidat…
Je comprends les positions défendues respectivement par M. Collombat et M. Mohamed Soilihi.
D’un côté, on peut vouloir, dans la perspective d’une ouverture de la magistrature sur la société, élargir l’éventail des qualifications demandées pour accéder non pas à la magistrature – j’y insiste –, mais à la formation à l’ENM.
De l’autre, on peut estimer que la magistrature n’est pas une profession comme une autre. Il s’agit de l’exercice d’une autorité constitutionnelle, ce qui emporte des exigences considérables : la mission d’un magistrat consiste à juger au nom du peuple, en ayant reçu délégation de la société pour exercer des fonctions extrêmement lourdes, qui peuvent l’amener, en matière pénale, à priver quelqu’un de sa liberté.
Une telle fonction nécessite une grande maturité, un sens aigu des responsabilités, une indépendance et une impartialité que nous requérons sur le plan subjectif, mais que nous voulons organiser aussi sur la base de conditions objectives, permettant d’apporter un certain nombre de garanties.
Dans cette perspective, permettre à des titulaires d’un doctorat en droit d’accéder à la formation au sein de l’École nationale de la magistrature ne me paraît pas extravagant.
Je rappelle que, avant la création de l’Institut d’études judiciaires, ancêtre de l’ENM, on accédait à la magistrature par ce que j’appellerai la « filière dynastique »… L’Institut d’études judiciaires, créé en 1958 et transformé en 1971, si ma mémoire est bonne, a introduit une certaine mixité sociale, ou a ouvert, à tout le moins, l’accès à la formation à des personnes méritantes, talentueuses et travailleuses qui n’y étaient pas socialement prédestinées.
On peut concevoir, dans le même esprit, que des docteurs en droit puissent accéder à l’ENM pour y suivre une formation de trente et un mois en vue de devenir magistrats.
En conclusion, le Gouvernement émet un avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Docteur en droit moi-même, je ne peux que me rallier à cet amendement. En effet, je ne vois pas très bien, en tant que juriste, ce qu’un autre diplôme de l’enseignement supérieur délivré dans une autre discipline pourrait m’apporter de plus si je devais briguer la fonction de magistrat.
Je suis un peu gêné de défendre ma « caste », mais la condition essentielle de recrutement en vue de l’accès à la formation menant à la carrière de magistrat reste tout de même la maîtrise de la discipline fondamentale en la matière : le droit.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
Au dernier alinéa de l’article 19 de la même ordonnance, les mots : « d’une durée minimale de six mois » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. L’article 6 du projet de loi organique porte sur l’article 19 de l’ordonnance de 1958, relatif aux stages des auditeurs de justice, dont il vise à limiter la durée à trois mois.
Les stages de six mois dans un cabinet d’avocat instaurés après l’affaire d’Outreau ont certes pu apparaître d’une durée excessive et dévoyés de leur vocation initiale. Trop souvent réduits à l’accomplissement d’un travail de collaborateur à qui sont confiées des missions de recherche ou de rédaction, ces stages sont pourtant extrêmement utiles et importants pour les auditeurs.
On peut regretter que le texte ne mentionne que le stage en cabinet d’avocat et ne traite pas davantage de l’autre période de trois mois qui constituera, avec la première, l’ensemble du stage de six mois prévu.
Le contenu de ce second stage, qui vise à faire « mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique », reste aussi flou que sa place dans la scolarité. Il apparaît indispensable que l’élaboration de la loi organique soit accompagnée d’une réflexion beaucoup plus large sur la formation des futurs magistrats, laquelle ne peut se réduire à des enseignements techniques, mais doit aussi permettre de développer l’esprit critique et la compréhension de la complexité du travail judiciaire chez ceux qui vont être amenés à poursuivre et à juger.
Nous déplorons que cette réforme ne donne lieu qu’à un toilettage des textes, comme l’illustre cet article 6, et qu’elle ne soit pas l’occasion d’une véritable réflexion sur ce que doit être l’École nationale de la magistrature.
Plusieurs points auraient pu être abordés à cet égard : les épreuves du concours d’accès à l’ENM comportent encore des « tests psychologiques », qui ont pourtant démontré leur inutilité et leur dangerosité, tant ils répondent à un objectif d’uniformisation des personnalités ; le principe du classement, qui, avec la place démesurée prise par la notation, vient polluer la formation, l’évaluation étant détournée de son objectif pédagogique pour n’être plus qu’un outil de classement, voire d’exclusion ; la question du volant de postes dans les listes de postes offerts aux auditeurs à la sortie de l’école, sachant que, ces dernières années, de plus en plus de postes sont proposés dans des juridictions particulièrement difficiles en outre-mer, telles que Mayotte et Cayenne.
Mme la présidente. L’amendement n° 36 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au dernier alinéa de l’article 19 de la même ordonnance, les mots : « d'une durée minimale de six mois » sont remplacés par les mots : « leur permettant de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique, incluant un stage ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Le présent amendement a été rectifié, à la demande du rapporteur, afin de prendre en compte les remarques faites en commission.
Alors qu’un stage de trois mois serait sans doute suffisant pour permettre aux magistrats d’appréhender le métier d’avocat et ses conditions d’exercice, nous regrettons que cette durée diminuée, proposée par le Gouvernement, ait été supprimée du texte.
Nous regrettons également que la mention des trois mois restants, eux aussi dédiés au stage en cabinet d’avocat à l’origine, ait été supprimée. Il s’agissait là d’une mesure visant à améliorer la formation en permettant aux auditeurs de justice de découvrir d’autres partenaires de la justice – conciliateurs, médiateurs, etc. – et de bénéficier ainsi d’une ouverture positive de l’école sur l’environnement judiciaire, administratif et économique.
Ce n’est pas parce qu’aucune autre durée relative à un stage de la scolarité des auditeurs de justice ne fait l’objet d’une disposition de niveau législatif que nous ne devons pas innover en la matière.
En outre, l’argument selon lequel le règlement intérieur de l’ENM prévoit une « certaine souplesse » quant à ces durées de stages n’est pas recevable si l’on entend garantir une formation équitable.
Comme nous l’avons exprimé lors de notre intervention sur l’article, nous déplorons que cette réforme ne donne lieu qu’à un toilettage des textes. C’est pourquoi nous demandons, pour commencer, que l’avancée prévue dans le texte initial soit en partie rétablie via la suppression de la référence à la durée de stage et l’introduction de la notion de pluralité de stages permettant de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. J’émets un avis favorable sur cet amendement qui a été rectifié dans le sens souhaité par la commission. Il tend à permettre aux auditeurs de justice d’effectuer des stages afin de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique, tout en leur conservant néanmoins la possibilité d’effectuer un stage auprès d’un avocat, disposition dont on sait que l’inclusion dans le projet de loi organique fait suite à l’affaire d’Outreau.
Pour autant, la fixation de durées ne relève pas de la loi organique. Il faut laisser à l’ENM le soin d’adapter les stages aux différents profils des élèves. Ainsi, il paraîtrait curieux que ceux qui ont suivi la scolarité de l’école du barreau en vue de préparer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, le CAPA, et qui ont déjà effectué un stage de formation de six mois dans un cabinet d’avocat, soient obligés de refaire un tel stage. Je ferai d’ailleurs une observation similaire lorsque nous examinerons la question du stage au sein des collectivités locales.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis est également favorable.
Dès mon arrivée aux responsabilités, j’ai eu connaissance de ces interrogations sur la durée du stage en cabinet d’avocats. Certains considéraient qu’une durée de six mois était souhaitable. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette durée a été instaurée à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle est, de façon générale, jugée un peu longue, mais nous avons eu du mal à en fixer une qui soit inférieure. Il convient de donner de la souplesse et de permettre à l’ENM, aux élèves magistrats et aux cabinets d’avocats de s’adapter.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 6 est ainsi rédigé et l’amendement n° 4 rectifié n’a plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle que l’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Guérini, Bertrand, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, était ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
et sont ajoutés les mots : « et un stage d’au moins un mois dans une collectivité territoriale ».
CHAPITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES AUX CONDITIONS DE NOMINATION
Articles additionnels avant l'article 7
Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Avant l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport évaluant l’opportunité d’instaurer constitutionnellement la fonction de procureur général de la nation.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.