compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. Philippe Adnot,
M. Jackie Pierre.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Financement de la sécurité sociale pour 2016
Rejet d’un projet de loi en nouvelle lecture
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, de financement de la sécurité sociale pour 2016 (texte n° 190, rapport n° 191).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entamer la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 en nouvelle lecture, je tiens à rappeler que, voilà quelques jours, la France a été la cible d’actes terroristes d’une extrême violence. Demain, la nation tout entière rendra hommage aux 130 personnes qui ont perdu la vie et, au-delà d’elles, aux centaines de blessés. Mes pensées vont en priorité vers ces victimes, leurs familles, leurs proches.
Aujourd'hui restent toujours hospitalisées 97 personnes, dont 18 sont dans un service de réanimation. Je veux saluer de nouveau la mobilisation de l’ensemble du corps médical qui a fait preuve d’un professionnalisme qui force l’admiration.
Cette tragédie nous a malheureusement rappelé l’importance de la gratuité des soins pour les victimes d’actes terroristes, mesure mise en œuvre par ce texte. Lorsque j’ai présenté celle-ci devant la Haute Assemblée, voilà quelques semaines, j’ai indiqué que nous souhaitions ne pas avoir à y recourir. Toutefois, parce que notre pays était exposé à la menace terroriste, il était nécessaire de prendre par anticipation des dispositions.
Jusqu’à présent, les personnes victimes d’actes terroristes devaient s’adresser à la caisse nationale militaire de sécurité sociale. Après l’ouverture du droit à une pension d’invalidité, elles pouvaient bénéficier de la gratuité des soins. Cette démarche était longue et lourde pour des personnes souvent traumatisées.
Au mois de septembre dernier, j’ai donc décidé de vous proposer d’exonérer les personnes victimes d’actes terroristes de toute participation financière, en leur permettant de s’adresser directement à leur caisse d’assurance maladie. Nous avons assoupli les conditions d’attribution des indemnités journalières.
Lorsque je vous ai présenté ces mesures le 9 novembre dernier, elles devaient entrer en application après le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, c'est-à-dire au 1er janvier prochain. À la suite des attentats du 13 novembre, j’ai décidé, par dérogation, l’application immédiate de la gratuité des soins pour les personnes victimes de terrorisme. Sans délai, ces personnes peuvent être prises en charge à 100 %. Les indemnités journalières seront immédiatement versées. Par ailleurs, un numéro de téléphone dédié a été mis en place auprès de l’assurance maladie.
Pour mieux protéger nos concitoyens, ce texte fait progresser les droits sociaux de chacun. Je rappellerai trois des avancées majeures qu’il contient.
Premièrement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 crée la protection universelle maladie, qui permet d’éviter les ruptures de droits que connaissent de trop nombreux Français – plus d’un million de nos concitoyens chaque année.
L’existence des régimes sera maintenue, mais les statuts d’étudiant, d’épouse ou d’époux, d’indépendant, de salarié ou de chômeur s’effaceront au profit d’une seule et unique citoyenneté sociale.
Lors de la première lecture, votre assemblée a exprimé sa demande de réformes structurelles : en voilà une, importante, décisive, qui permettra de faire progresser les droits de nos concitoyens, par la simplification du fonctionnement des caisses et de la conception même du droit à la prise en charge des soins. Je salue d’ailleurs l’accueil favorable que le rapporteur général comme la majorité de votre assemblée ont réservé à cette réforme.
Deuxièmement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 instaure le droit à bénéficier d’une complémentaire santé de qualité. Dès le 1er janvier 2016, les salariés bénéficieront de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, y compris désormais les salariés précaires.
L’accès des personnes âgées à une couverture santé complémentaire de qualité sera également facilité. Pour permettre à ces dernières de faire face à la hausse du coût de leur complémentaire avec l’âge, nous mettons en place une labellisation des contrats respectant des conditions de garantie suffisante et des prix maîtrisés.
Sur ces deux articles, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez probablement noté, le Gouvernement a proposé, au cours de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, des aménagements qui tiennent compte des préoccupations exprimées par votre assemblée. La procédure prévue par l’article 21 a évolué, afin d’éviter les risques de dumping ; l’article 22 a également été modifié pour trouver un meilleur équilibre entre le rôle des couvertures collectives mises en place par les branches et la nécessité de permettre aux salariés de bénéficier d’une bonne couverture santé.
Troisièmement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 crée le droit à une garantie des impayés de pension alimentaire. Je veux y insister. Notre objectif est de mieux protéger les familles monoparentales, qui sont le plus souvent des femmes seules, car ces familles sont davantage confrontées à la pauvreté que les autres. Trop souvent, le parent isolé ne perçoit pas la pension alimentaire à laquelle il a droit. C’est pourquoi je me réjouis de proposer à travers ce texte la généralisation de la garantie d’une pension alimentaire minimale de 100 euros par enfant.
Nous renforçons les droits tout en prolongeant le redressement des comptes sociaux engagé depuis trois ans, avec un déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse qui devrait être ramené sous la barre des 10 milliards d’euros en 2016 et une branche vieillesse qui devrait revenir à l’équilibre pour la première fois depuis 2005.
Sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Assemblée nationale a rétabli les équilibres que vous aviez supprimés en première lecture et je crains que ce désaccord ne puisse être résolu aujourd’hui. Je le regrette et m’en étonne d’autant plus que les deux seules mesures d’économies que vous avez proposées – la création de trois jours de carence dans la fonction publique, le décalage de l’âge légal de la retraite à 63 ans – n’étaient pas de nature à améliorer les équilibres proposés dans ce texte : la première parce qu’elle n’est pas à la hauteur des enjeux financiers, la seconde parce qu’elle ne produirait des effets qu’à partir de 2020.
L’Assemblée nationale a donc supprimé ces dispositions, d’une part, parce que nous n’approuvons pas l’orientation politique qu’elles expriment, d’autre part, parce qu’elles ne permettent pas de relever les défis financiers auxquels nous devons faire face.
Là encore, je ne suis pas certaine que cet examen en nouvelle lecture nous permette de surmonter ce désaccord. (M. le président de la commission sourit.)
Pour le reste, je souhaite rappeler le caractère constructif de la discussion qui s’est tenue dans votre assemblée il y a quinze jours. Le président de la commission l’avait souligné, une quarantaine d’articles avaient été votés conformes par le Sénat.
Cet esprit a animé la suite de l’examen du texte, puisqu’une douzaine d’articles ont été votés par l’Assemblée nationale dans les termes adoptés par la Haute Assemblée. Sur plusieurs sujets, le texte a évolué pour tenir compte de la discussion au Sénat et parvenir à un compromis entre les deux assemblées. C’est le cas, comme je l’ai évoqué, pour les articles 21 et 22 sur la couverture complémentaire. Cela a été également le cas s’agissant du régime microsocial des travailleurs indépendants, où l’article 14 adopté par l’Assemblée nationale est très proche de la proposition de votre rapporteur général.
C’est enfin le cas de l’affiliation des gens de mer travaillant à bord de navires battant pavillon d’États avec lesquels nous n’avons pas de convention de sécurité sociale. Devant votre assemblée, je m’étais engagée, en particulier devant Jean-Louis Tourenne, à répondre à la préoccupation que vous aviez exprimée d’affiliation des marins au régime de l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l’évidence, un consensus sur l’ensemble du texte était hors de portée, nous le savons bien, mais nous avons cherché, sur le plus grand nombre de sujets possible, à examiner le texte issu de votre assemblée dans un esprit de concorde, pour respecter la qualité des débats. S’il en est ainsi, c’est grâce à l’engagement de chacun d’entre vous pour toujours améliorer ce texte et trouver des mesures favorables à nos concitoyens. C’est surtout, je le redis, grâce à la volonté personnelle du président de la commission des affaires sociales et du rapporteur général de voir ces discussions se dérouler, malgré les différences et les oppositions, dans le respect, la sérénité et la convivialité, c'est-à-dire dans un climat qui ne nuit en aucun cas à l’expression des divergences.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avec la création de nouveaux droits sociaux, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 marque une étape importante pour notre système de protection sociale. Ma volonté, celle du Gouvernement, est de garantir aux Français un modèle social à la hauteur de leurs espérances, un modèle qui protège, qui promeut l’égalité et la solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moi aussi, je tiens à saluer l’hommage que la France tout entière a rendu aux trop nombreuses victimes des attentats qui ont eu lieu juste après l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Madame la ministre, je fais miens les remerciements que vous avez adressés aux personnels hospitaliers ou libéraux pour leur dévouement auprès des victimes et des blessés, eux aussi trop nombreux. Nous nous associerons à toute la France rassemblée et unie lors de l’hommage qui sera rendu demain aux Invalides.
Néanmoins, il nous faut bien poursuivre nos travaux. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, après la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, 46 articles restent en discussion.
En première lecture, le Sénat a marqué son profond désaccord avec la partie financière de ce texte en rejetant les articles portant approbation des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses, lesquels ont évidemment été rétablis, comme nous nous y attendions, par l’Assemblée nationale. Notre désaccord porte sur l’insuffisance de résultats en termes de réduction des déficits au regard de l’injection massive de recettes effectuées ces dernières années.
À titre d’illustration, permettez-moi de rappeler quelques chiffres. En 2012, 2,5 milliards d’euros de recettes nouvelles ont été décidés par la nouvelle majorité, seulement 200 millions d’euros de réduction du déficit ont été constatés ; en 2013, 9,8 milliards d’euros de prélèvements nouveaux ont été effectués, pour 3,6 milliards d’euros de réduction du déficit ; en 2014, 5,6 milliards d’euros de prélèvements ont été réalisés, pour seulement 1,3 milliard d’euros de réduction du déficit.
Depuis trois ans, l’assurance maladie et le Fonds de solidarité vieillesse demeurent à un niveau de déficit quasi inchangé et toujours très, pour ne pas dire trop élevé. La branche famille ne se redresse qu’au prix de mesures qui affectent son identité.
Face à cette situation, le Sénat a adopté des articles additionnels, marqueurs de ce que serait une politique plus volontariste en faveur de la maîtrise des dépenses hospitalières et de l’allongement de la durée passée au travail. L’amendement présenté par la commission sur la retraite visait à restaurer l’équité entre public et privé, en cohérence avec l’accord sur les complémentaires, et ne faisait qu’anticiper une réforme que tout le monde sait nécessaire.
Sur la partie législative du texte, nous n’avons que peu de désaccords de fond, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre. Je rappelle que le Sénat a voté dès la première lecture les deux principales mesures financières de ce projet de loi de financement : la réduction de la cotisation famille et le relèvement de l’abattement de C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés, qui mettent en œuvre la seconde étape du pacte de responsabilité et de solidarité, prévue aux articles 7 et 8 du texte.
Les autres mesures sont de portée technique et nos désaccords limités, même si les solutions dégagées à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture ne laissent pas, pour certaines, de nous interroger.
À l’article 19, le Gouvernement a proposé une forme de compromis, qui semble compliqué, sur l’affiliation des gens de mer : les marins seraient affiliés à l’Établissement national des invalides de la marine, et les non-marins au régime général.
À l’article 7 bis, un sous-amendement de Dominique Tian déposé à l’Assemblée nationale a réduit le champ d’application aux seuls dirigeants et mandataires sociaux – je rappelle que, selon M. le secrétaire d’État, 6 personnes auraient pu être concernées en 2014 ! –, tout en supprimant par là même également l’assujettissement au premier euro des indemnités de ruptures supérieures à dix plafonds de la sécurité sociale pour les salariés – je dis bien : les salariés, et non plus seulement les mandataires.
Parallèlement, un sous-amendement du Gouvernement aménage des dispositions transitoires pour les ruptures de contrat de travail. Tout cela, avouez-le, laisse une certaine impression d’inachevé…
J’en viens maintenant à l’assurance maladie. La discussion sur la couverture complémentaire santé des personnes de plus de 65 ans et des salariés en contrat court ou effectuant un faible nombre d’heures s’est poursuivie à l’Assemblée nationale et a abouti, à la suite de l’adoption d’amendements du Gouvernement, à des mesures plus acceptables à nos yeux pour l’ensemble des acteurs. Elles ne nous paraissent pas toutefois régler de manière totalement satisfaisante les problèmes posés.
L’article 21 aboutit à un système de comparaison des contrats complémentaires proposés aux personnes de plus de 65 ans au travers d’une labélisation des paniers de prestations avec des cotisations plafonnées en fonction des âges.
Il est incontestablement bon, tout le monde l’a souligné, que les personnes qui sortiront des complémentaires d’entreprises à l’âge de la retraite aient accès à une information la plus transparente possible sur ce qui leur est proposé et que les cotisations soient encadrées. Le dispositif finalement adopté par l’Assemblée nationale sera néanmoins assez complexe d’un point de vue réglementaire et administratif. En ce qui concerne le crédit d’impôt, son montant, réduit de moitié, apparaît désormais assez symbolique, sa seule justification étant de permettre le rattachement de la mesure au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Madame la ministre, un comparateur public des complémentaires susceptible de faire jouer la concurrence sur les tarifs n’aurait-il pas permis de parvenir au même résultat ?
À l’article 22, sur les contrats courts, le Gouvernement propose désormais de limiter l’option pour le chèque aux salariés dont la durée de couverture par le régime d’entreprise est trop courte. Le texte ne précise pas la durée, qui sera définie par voie réglementaire. Nous avions souligné, lors de la première lecture, que la situation des salariés précaires devait être traitée par la négociation entre partenaires sociaux ou par la mise en place de fonds de financement, comme le suggère le rapport Libault. À défaut, la solution préconisée par le Gouvernement semble au moins avoir le mérite de ne pas remettre en cause ce que les entreprises ont négocié pour une mise en œuvre au 1er janvier 2016.
Je relève par ailleurs que sur les articles 39 – sur la protection maladie universelle –, 42 – sur la filière visuelle – et 49 – sur la réforme de la tarification des soins de suite et de réadaptation –, qui sont parmi les articles les plus importants encore en discussion, nous n’avons pas de divergences de fond. Nous serons particulièrement vigilants, madame la ministre, sur le contenu du prochain rapport sur la tarification des activités hospitalières, qui doit clarifier, pour les établissements privés, les conditions exactes de mise en œuvre de la réforme de la tarification des soins de suite et de réadaptation.
Notre désaccord de fond repose sur les dépenses de la branche maladie. Comme je l’ai indiqué en première lecture, les mesures qui nous sont proposées dans le cadre de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, nous apparaissent insuffisantes face à l’enjeu de plus en plus urgent de la réduction des déficits. Certes, un effort d’économies de 3,4 milliards d’euros par rapport à la progression spontanée des dépenses est prévu, mais à ce rythme, les comptes de la branche maladie ne reviendront à l’équilibre que dans vingt ans !
Je rappelle que si, grâce à des outils permettant une meilleure articulation entre professionnels de santé, nous nous fixions pour objectif de supprimer 2 % à 3 % des actes effectués chaque année – cela ne paraît pas irréaliste dans la mesure où l’on estime à 28 % le taux d’actes inutiles ou redondants –, nous pourrions économiser annuellement 4 à 5 milliards d’euros.
Des économies substantielles sont également envisageables grâce au développement de la permanence des soins. Les propositions que nous avons faites concernant un nouveau numéro d’appel national permettraient de viser 500 millions d’euros d’économies annuelles, voire davantage, sur ce poste.
Quant aux dépenses hospitalières, tout le monde s’accorde sur ce point, elles doivent faire l’objet d’une meilleure organisation, et ce de manière urgente. Les questions qui se posent ici sont multiples et vont du rétablissement des jours de carence à la réduction des RTT, en passant par une meilleure gestion de la hiérarchie des hôpitaux. Ici encore, les gisements d’économies pourraient être très importants, de l’ordre de 500 millions d’euros par an.
Il nous faudra également nous pencher sur les dépenses de ville. À ce propos, la Cour des comptes a fait des études intéressantes, notamment sur les moyens mis en œuvre par l’Allemagne pour limiter les consultations répétitives.
Ces mesures, madame la ministre, nous pourrions les prendre ensemble, mais puisque vous ne souhaitez pas aller au-delà des dispositions de votre texte, il nous paraît préférable de nous arrêter là, peut-être pour mieux progresser sur d’autres sujets comme le projet de loi relatif à la santé.
De même, sur l’ensemble du projet de loi de financement, je ne vois pas de sujet sur lequel la poursuite de la discussion pourrait contribuer utilement au texte définitivement adopté.
Pour cette raison, et compte tenu du désaccord de fond sur les équilibres généraux proposés pour la sécurité sociale, la commission a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable, en toute courtoisie, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’insisterai tout d’abord sur la nécessité de préserver cette institution qui fête ses 70 ans : la sécurité sociale. Issue de l’esprit du Conseil national de la résistance et mise en place par Ambroise Croizat, elle a permis d’extraire la santé, l’assurance chômage, la retraite et les allocations familiales des mains du privé afin de les confier à un ensemble d’associations paritaires œuvrant pour l’intérêt général.
Soixante-dix ans plus tard, la sécurité sociale est la cible d’assauts répétés afin de réduire la part de solidarité dans notre société. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale s’inscrit malheureusement dans la logique de réduction des dépenses et des prestations, alors que les besoins augmentent.
Oui, madame la ministre, le texte issu de l’Assemblée nationale contient quelques avancées : l’individualisation de la gestion des droits à la protection universelle maladie, le développement de l’accès à la contraception pour les mineurs, la lutte contre l’abus de certains médicaments ou encore l’extension du dépistage du cancer du sein. Mais ces avancées sont très insuffisantes au regard de certains articles, contraires à l’esprit de solidarité de la sécurité sociale.
Ainsi, l’exonération de la C3S sera offerte aux entreprises qui réalisent jusqu’à 19 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 3,25 millions d’euros aujourd’hui. Le Gouvernement prévoit également d’étendre la baisse de 1,8 point des cotisations familiales patronales jusqu’à 3,5 SMIC, soit 5 000 euros mensuels. Ces deux mesures sont mises en place sans condition ni contrepartie, et bénéficieront largement aux grandes entreprises, qui ne sont pas celles qui ont le plus besoin de soutien.
De plus, la non-conditionnalité de ces aides empêche de les utiliser comme levier de transformation sociale.
En première lecture, ma collègue Aline Archimbaud avait fait des propositions concrètes afin d’améliorer le volet santé du projet de loi, concernant notamment l’huile de palme.
Dans notre pays, cette huile est moins taxée que les autres huiles alimentaires, telles que l’huile de colza ou l’huile d’olive, qui sont pourtant souvent fabriquées en France et distribuées en circuit court. C’est incompréhensible, car, on le sait, cette huile est dangereuse pour la santé quand elle est surconsommée. En outre, elle entraîne des déforestations massives dans plusieurs régions du monde.
Nous avions pourtant fait une proposition de bon sens : il s’agissait simplement d’aligner le taux de taxation de l’huile de palme sur celui des autres huiles, même pas d’introduire une surtaxation. Le refus du Sénat, et de Mme la ministre, est regrettable. Il traduit une certaine conception de la santé environnementale que nous ne partageons pas.
À un texte initial insatisfaisant et à un rejet systématique de nos amendements s’ajoute une nette détérioration du texte par la majorité sénatoriale en première lecture.
Même si M. le rapporteur général a choisi de déposer une motion tendant à opposer la question préalable en raison des désaccords avec l’Assemblée nationale, il me semble important de revenir un instant sur les modifications apportées au texte par le Sénat.
Je pense tout particulièrement à la suppression de l’article 7 bis et, avec lui, de la mesure prévoyant d’augmenter les cotisations sociales pour les bénéficiaires de parachutes dorés dans les grandes entreprises. En pleine crise sociale, alors que des millions de nos concitoyens sont dans la précarité, cette suppression constitue une provocation.
Je pense également au vote d’un amendement visant à instaurer trois jours de carence pour les agents de la fonction publique hospitalière. Cette mesure injuste frappe de plein fouet les personnels hospitaliers dont les conditions de travail sont particulièrement éprouvantes. Je ne vous inviterai pas, mes chers collègues, à aller vous rendre compte sur place de leurs conditions de travail, car vous les connaissez. À l’heure où chacun rend hommage aux services de soins à la suite des attentats du 13 novembre, cette mesure me semble particulièrement déplacée.
Je pense enfin au recul de l’âge légal de départ à la retraite à 63 ans pour les générations nées à partir de 1957. À l’heure où le chômage touche plus de 10 % de la population active, où celui des seniors ne cesse d’augmenter, cette mesure aurait pour seul effet de transformer de nouveaux retraités en chômeurs. Elle est également totalement contraire à la pensée écologiste, qui prône une réduction du temps de travail, non seulement hebdomadaire, mais aussi tout au long de la vie.
En conclusion, considérant que le texte initial ne correspond pas à l’esprit de solidarité de la sécurité sociale, prenant acte du rejet systématique des propositions écologistes pour améliorer le texte et déplorant l’état d’esprit des mesures injustes portées par la droite sénatoriale, nous voterons contre ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous arrivons en nouvelle lecture de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, après un échec de la commission mixte paritaire et une seconde délibération, lundi dernier, à l’Assemblée nationale.
À l’aune des débats, on ne peut que constater le peu de cas accordé à nos travaux en première lecture par la majorité des députés - pas toute la majorité, d’ailleurs - et le peu de cas porté surtout par vous, madame la ministre, à nos propositions, même si vous venez d’essayer de minimiser cette attitude.
En première lecture, notre assemblée avait cherché à améliorer ce texte, au regard de ses insuffisances, par quelques mesures certes emblématiques, mais reflétant la réalité. Grâce à un travail minutieux des rapporteurs et à une discussion approfondie en séance publique, un certain nombre de propositions en faveur de nos concitoyens avaient été votées.
Nous avions reconnu les quelques avancées de ce texte, comme la protection universelle maladie, la garantie des impayés de pension alimentaire, ou encore quelques mesures intéressantes concernant la prévention, notamment sur la PREP, ou prophylaxie préexposition.
Bien sûr, nous avions dénoncé les procédures financières tendant à faire croire que les déficits étaient définitivement derrière nous et dont le bilan a été détaillé par le rapporteur général voilà quelques instants : un déficit réduit, certes, mais avec 17 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires depuis trois ans.
Cette fragilité budgétaire est d’ailleurs implicitement reconnue par le transfert de 23 milliards d’euros de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, sans qu’aucune mesure soit proposée pour consolider cette dette.
En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a repris la plupart du temps la rédaction qu’elle avait adoptée en première lecture, avec votre consentement, madame la ministre, y compris pour les dispositions qui auraient pu faire consensus.
Cette attitude systématique de retour à la case départ confirme l’impression de dédain que nous avons ressenti dans cet hémicycle, un dédain que vous avez affiché tout au long de la discussion de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale comme au moment de l’examen du projet de loi relatif à la santé.
Cette attitude va à contre-courant du discours prononcé il y a une semaine par le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui a déclaré ceci : « Le bicamérisme place le dialogue parlementaire au cœur du fonctionnement de notre démocratie. Ce dialogue entre le Gouvernement et les deux assemblées et entre l’Assemblée nationale et le Sénat participe de la qualité de la loi. Il permet à chacun d’affiner ses positions dans le débat, dans l’échange et dans la contradiction. Il donne à la loi plus de force et de cohérence. »
Pour en revenir au texte qui nous préoccupe, vous gardez vos cibles privilégiées : la médecine libérale, l’industrie du médicament et surtout la famille, sans vouloir un seul instant aborder les réformes structurelles et la principale d’entre elles, la restructuration hospitalière évoquée par le rapporteur général.
Est-il utile de rappeler que nous avons deux fois plus de lits d’hospitalisation qu’un pays comme l’Allemagne ? Nous ne pouvons garder une organisation datant de 40 ou 50 ans, dont la plus importante date de 1970, ne serait-ce qu’en fonction de l’évolution des pratiques et des progrès de la médecine. Il faudrait du courage et de l’abnégation pour conduire cette réforme, j’en conviens.
Pas de grande réforme, donc, mais pas non plus de petites, quand vous rejetez des mesures comme la généralisation de la déduction forfaitaire à 1,50 euro pour les particuliers employeurs, l’allègement des charges sociales des jeunes agriculteurs, qui a été repoussé d’un an, la suppression de l’article 12 concernant le recouvrement des cotisations de sécurité sociale des professions libérales, et d’autres propositions sans impact majeur.
Tout en comprenant que la majorité des députés accepte difficilement le report de l’âge de départ à la retraite à 63 ans, pourquoi se précipiter à réformer la tarification des soins de suite et de réadaptation sans étude d’impact, ce qui pose un véritable problème ?
De tout cela, vous ne souhaitez pas discuter. Vous vous réfugiez derrière une prétendue nécessité d’économie, alors que le Haut Conseil des finances publiques considère que « les mesures nouvelles pour 2016 seront votées sans que les économies prévues pour les financer aient été portées dans leur intégralité à notre connaissance ni dûment documentées ».
Votre attitude à l’égard de notre assemblée est similaire. Aussi, est-il bien nécessaire de discuter de ce texte à nouveau ? Je ne le pense pas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)