Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Chantal Jouanno a rappelé le protocole de Nagoya et la genèse du présent projet de loi, à laquelle elle a participé ; il faut bien garder à l’esprit que nombre des dispositions soumises à notre examen correspondent à la mise en œuvre de protocoles internationaux. Mme Jouanno a aussi insisté sur la mesure emblématique du présent texte : la création de l’Agence française pour la biodiversité, qui sera le véritable exécutif de la politique en faveur de la biodiversité.
Pour sa part, Annick Billon a exposé les positions du groupe UDI-UC sur les principes généraux énoncés par le projet de loi et sur les questions de gouvernance.
En ce qui me concerne, je m’attacherai aux titres IV et V du projet de loi qui mettent en œuvre concrètement les mesures proposées sur notre territoire.
Mes chers collègues, ces deux titres reflètent bien la dualité des approches que nous devons suivre en matière de biodiversité.
Une première approche, défensive, et dont tout le monde a bien conscience, correspond principalement au titre V. Elle se fonde sur la prise de conscience qu’il faut agir tout de suite. De fait, la biodiversité est menacée partout dans le monde, et la France ne fait pas exception. À l’heure où l’on parle de sixième grande extinction – une expression qu’ont employée Mme la ministre et nombre d’orateurs –, il n’y a plus de tergiversation possible : nous devons nous mobiliser très rapidement ! N’oublions pas en effet que, en matière de changement climatique – un problème étroitement lié à la biodiversité –, les évolutions s’avèrent beaucoup plus rapides que ce qu’avaient prévu même les experts les plus pessimistes.
Le titre V du projet de loi dote l’action publique d’un certain nombre d’outils destinés à prévenir la catastrophe : il en améliore certains qui préexistaient et en crée de nouveaux. Bien entendu, nous sommes favorables à ces outils ; mais, parce que la situation est vraiment grave, nous pensons qu’ils sont encore perfectibles à un certain nombre d’égards.
Le principal des outils prévus est, à n’en pas douter, le système de compensation de l’atteinte à la biodiversité destiné à améliorer l’effectivité de la compensation. Nous pensons que, en impliquant systématiquement tous les acteurs locaux – collectivités territoriales, associations, chasseurs et pêcheurs, agriculteurs – par la signature des contrats définissant les mesures de compensation, nous améliorerons ce dispositif. De même, confions à l’Observatoire national de la consommation des espaces agricoles la mission de dresser un état des lieux des espaces mobilisables dans le cadre de la compensation des atteintes à la biodiversité.
Le deuxième grand outil figurant au titre V est le système des obligations réelles environnementales qui permettra de pérenniser des actions en faveur de la biodiversité à un coût moindre pour la collectivité.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Pierre Médevielle. S’agissant de cette première approche, que j’ai qualifiée de « défensive », je tiens à dire quelques mots des néonicotinoïdes. Ces insecticides ont encore été à l’honneur, si l’on peut dire, la semaine dernière, lorsque l’ANSES a rendu public son rapport sur le sujet. Le temps des doutes est largement révolu : la nocivité de ces produits est aujourd’hui avérée. C’est pourquoi je soutiendrai, comme nombre de mes collègues, l’amendement de Mme Jouanno visant à programmer leur interdiction. Mes chers collègues, c’est aujourd’hui une mesure de sagesse !
Veillons à nous concentrer sur le cœur du sujet, la biodiversité, sans nous éparpiller sur des questions anecdotiques par rapport à ce qui est en jeu ; je pense à la chasse à la glu, une pratique traditionnelle destinée non pas à tuer des animaux, mais à attraper des appelants, et dont l’interdiction ne me semble pas avoir sa place dans un texte aussi important.
La seconde manière d’aborder la biodiversité, prospective et positive, inspire le titre IV du projet de loi qui transpose le protocole de Nagoya pour ce qui concerne l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées. Il s’agit de reconnaître que la biodiversité représente un patrimoine extraordinaire. Pour un pays comme la France, à la fois fournisseur et utilisateur de ressources, ce patrimoine recèle une richesse inestimable !
En d’autres termes, défendre la biodiversité, c’est non seulement répondre à une menace vitale, mais aussi préparer l’avenir, celui de nos enfants et de toutes les générations futures.
Cet avenir, nous devons le préparer sur le plan tant environnemental qu’économique. Ainsi, la compensation des atteintes à la biodiversité est de nature à réconcilier l’environnement et l’activité économique : fondée sur des dispositifs contractuels, elle pourra être une source de revenus supplémentaire pour les agriculteurs et les autres acteurs. De même, le mécanisme d’accès et de partage des avantages pourrait devenir l’un des fers de lance de l’innovation et de la croissance de demain.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi sonne comme un cri d’alarme, mais aussi comme un formidable message d’espoir : sachons préserver le patrimoine, le capital, le trésor que représente la biodiversité ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « aujourd’hui les femmes et les hommes savent protéger leur mémoire : leur patrimoine culturel. À peine commence-t-on à protéger l’environnement immédiat, notre patrimoine naturel. » Voilà ce qu’on peut lire dans la Déclaration internationale des droits de la mémoire de la terre, signée le 13 juin 1991 à Digne-les-Bains, dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence.
C’est dire si le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont nous entamons l’examen, est une bonne nouvelle pour le monde rural et montagnard, qui vit pleinement de ses ressources naturelles et qui a à cœur de valoriser un patrimoine multiforme, interdépendant et profondément vivant. Il est d’autant plus important qu’il s’inscrit dans le droit fil de l’accord signé à Paris le 12 décembre dernier relatif à la réduction de la température terrestre – une très belle réussite que nous devons saluer.
Il ne me paraît pas inutile de rappeler que les territoires ruraux, en particulier montagnards, sont de très longue date des fers de lance précieux de la prise de conscience des dégradations parfois irréversibles subies par les espaces naturels.
Plus que jamais, nous avons la possibilité de privilégier une approche globale, qui permette d’appréhender la nature dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle je suis satisfait que figurent dans les principes fondamentaux la préservation de la géodiversité et le support minéral comme constituant de la biodiversité.
Dans le même temps, il convient de prendre en compte les avantages considérables que les territoires concernés pourraient tirer d’une valorisation raisonnée et durable de leurs écosystèmes ; tel sera le sens de mon intervention.
À ce titre, le texte est porteur de beaucoup d’espoirs, mais aussi d’attentes concrètes.
Je souhaite plaider en cet instant pour que la future Agence française pour la biodiversité qui naîtra de nos discussions se dote d’une stratégie qui réponde à nos préoccupations en matière de ressources en eau et d’entretien des cours d’eau, notamment en zone de montagne.
La question des débits réservés a fait l’objet d’un débat important à l’Assemblée nationale. Une mission parlementaire a également permis d’avancer quelques pistes sur le sujet. Madame la ministre, pouvez-vous d’ores et déjà nous faire connaître l’état des discussions sur la question de la possible mise en place de dérogations aux débits réservés en zone de montagne en cas de sécheresse ?
Je souhaite plus particulièrement attirer votre attention sur l’entretien des cours d’eau et, plus spécifiquement, sur la question du curage et du dragage des rivières. Ce problème a été récemment soulevé dans cet hémicycle par Pierre-Yves Collombat, qui tirait les leçons des inondations dramatiques survenues dans le sud-est de la France. Durant des décennies, nos cours d’eau ont fait l’objet d’une exploitation totalement déraisonnée, qui a considérablement dégradé le milieu naturel.
Heureusement, le législateur a par la suite encadré la pratique du curage. Ainsi, l’article L. 215-15 du code de l’environnement interdit les extractions dans le lit mineur et l’espace de mobilité du cours d’eau, ainsi que dans les plans d’eau traversés par un cours d’eau.
Désormais, le curage est rendu quasiment impossible, car il est soumis à des autorisations qui sont en réalité des interdictions. Aujourd’hui, certains cours d’eau ne sont plus entretenus comme ils le devraient, ce qui est contreproductif pour la faune et la flore, et parfois source de danger pour les habitants.
Il est devenu nécessaire de faire évoluer certaines pratiques. Cette tâche pourrait être confiée à l’Agence française pour la biodiversité, qui exercera à la fois la mission de restauration des zones humides et la mission de police de l’eau. Je suggère que l’Agence puisse s’appuyer sur des associations syndicales autorisées – les ASA – mieux mobilisées, mais aussi sur les syndicats de rivière pour piloter efficacement des expérimentations en cas de besoin.
En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, la reconquête de la biodiversité devra aussi s’appuyer sur ces initiatives locales, facilitées et mieux coordonnées.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Comme le disait Winston Churchill : « Là où se trouve une volonté, il existe un chemin. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a connu un chemin législatif tortueux, c’est le moins que l’on puisse dire !
Annoncé en 2012 par le Président de la République peu après son élection, adopté par l’Assemblée nationale en mars 2015, examiné par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable en juillet 2015, ce projet de loi n’arrive en séance publique que plus de six mois plus tard. Je ne suis pas certain que la démocratie ait beaucoup à gagner à un examen aussi haché !
Pour commencer, je tiens à saluer le travail considérable et remarquable réalisé par M. le rapporteur, Jérôme Bignon, qui a auditionné au printemps dernier d’innombrables acteurs, organismes, autorités liés à la biodiversité. Ce travail a consisté à préserver l’équilibre du texte, instillant du réalisme et prenant en considération les nécessités économiques que la majorité de gauche à l’Assemblée nationale n’avait pas toujours envisagées.
C’est ainsi que les agriculteurs, ces acteurs majeurs de la biodiversité qui sont touchés par une crise profonde, ont pu être entendus par M. le rapporteur et par la commission. En cet instant, j’ai une pensée pour eux, ainsi que pour la Bretagne évidemment et, plus particulièrement, les Côtes-d'Armor où les éleveurs sont confrontés à des situations absolument dramatiques et vivent une réalité très éloignée des considérations qui ont inspiré ce texte, bien que je n’en nie évidemment pas l’importance. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Mais, en fait, c’est l’équilibre du texte à l’issue de son examen qui en fera ou non une bonne loi de la République qui sera acceptée par les acteurs économiques de notre pays.
En effet, tel qu’il est arrivé au printemps dernier devant nos collègues députés, le projet de loi était une accumulation de contraintes, d’obligations et d’interdictions affectant les agriculteurs. Nos collègues du groupe politique Les Républicains, qui appartiennent à l’opposition à l’Assemblée nationale, n’avaient d’ailleurs pas manqué de le dénoncer.
Madame la ministre, dans le cadre de la reconquête de la biodiversité, serait-il possible de protéger et de conserver nos agriculteurs, espèce qui risque d’être en voie de disparition si l’on continue d’augmenter les contraintes qui pèsent sur leur métier ? (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Plus généralement, les dispositions de ce projet de loi complexifient le paysage, non celui que l’on admire, mais le paysage réglementaire actuel ! Elles visent à restreindre certaines activités humaines sur le territoire français. Ces restrictions, qui n’existent pas dans d’autres pays de l’Union européenne, auront un effet économique négatif sur les activités forestières et agricoles en France, ainsi que sur le développement économique de nos territoires ruraux.
Pourtant, la crise économique qui sévit et perdure dans notre pays devrait au contraire nous conduire à simplifier les règles, à relancer l’activité économique et à desserrer certaines contraintes réglementaires et fiscales qui pèsent tout à la fois sur nos agriculteurs et sur nos entreprises. Madame la ministre, où sont passées les perspectives liées au choc de simplification que l’on nous a tant de fois annoncé ?
En ce domaine comme dans d’autres, c’est désormais le Sénat qui fait entendre la voix du réalisme et des acteurs de la vie économique de ce pays !
Mes chers collègues, espérons que la retenue qu’a su garder M. le rapporteur permette au texte, tel qu’il a été remanié en commission, intégrant notamment les amendements proposés par Mme la rapporteur pour avis Sophie Primas, de poursuivre son chemin législatif !
Mais tâchons aussi, lors des débats en séance publique, d’aller au-delà des compromis et de faire de ce projet de loi un outil véritablement utile pour les acteurs concernés ! Mes chers collègues, n’est-ce pas le propre d’un texte législatif que d’être utile ? Le débat en séance plénière n’est-il pas destiné à nous permettre de l’améliorer encore ?
Je suivrai avec la plus grande attention les amendements déposés non seulement par Rémy Pointereau en faveur des agriculteurs, mais aussi par Gérard Bailly pour les éleveurs, ou encore par M. Jean-Noël Cardoux en faveur des chasseurs et des pêcheurs, amendements que de nombreux collègues ont cosignés en espérant que les discussions qu’ils susciteront permettront un dialogue aussi constructif que possible dans cet hémicycle. J’ajoute avoir moi-même déposé un amendement visant à sécuriser le titre de paysagiste.
Je conclurai mon propos en évoquant le courriel que m’a adressé une personne qui s’est spécialisée dans le lombricompostage, autrement dit le traitement des déchets organiques par des vers, et auquel, j’en suis certain, vous serez aussi sensible que moi, madame la ministre. En effet, même si le sujet peut paraître anecdotique, il est très révélateur du blocage de notre société : « À l’heure où nous cherchons à réduire les déchets, à avoir un environnement plus sain, à sensibiliser nos concitoyens sur l’environnement, certaines activités sont incapables de démarrer en France, croulant sous le poids de législations et réglementations non proportionnées qui bloquent toute initiative. C’est ainsi que toute société qui souhaiterait développer le lombricompostage ou produire des insectes de type “coccinelle” pour lutter de façon écologique contre les ravageurs des cultures au lieu d’utiliser des produits chimiques, ou encore produire des escargots pour la transformation ultérieure, est soumise à une réglementation extrêmement contraignante concernant la faune sauvage “captive”, à savoir l’obtention d’une autorisation préfectorale d’ouverture, qui requiert également que l’entretien des animaux soit placé sous la responsabilité d’une personne titulaire du “certificat de capacité” délivré en application de l’article L. 423-2 du code de l’environnement ».
Tenez-vous bien, mes chers collègues : la réglementation qui doit être respectée en matière de lombricompostage est identique à celle qui est en vigueur dans les zoos et les cirques. Je vous rappelle pourtant qu’il n’est question ici que de lombrics, de coccinelles et d’escargots !
Pour conclure, madame la ministre, je tiens à dire que je suis de ceux qui continueront de militer pour la simplification avant toute chose et pour la coexistence intelligente entre écologie et économie.
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. Michel Vaspart. Il faut que tout dogmatisme laisse place au pragmatisme et au réalisme, seuls gages d’une adaptation aux changements grandement nécessaires à notre pays !
Comme le disait un grand naturaliste, Charles Darwin, « ce n’est pas la société la plus forte qui survit, ni même la plus intelligente, mais celle qui s’adapte le mieux aux changements. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. le rapporteur et Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis, applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voilà ! Nous abordons ce beau et grand débat sur le vivant, les vivants, les interactions qu’ils ont avec leurs milieux et leur préservation conjointe.
Notre pays, la France, possède l’un des patrimoines naturels les plus riches et les plus variés au monde par son territoire et sa surface maritime répartie sur tous les continents. Je pense naturellement aux grandes barrières de corail de Nouvelle-Calédonie, classées au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais également aux climats du vignoble de Bourgogne eux aussi récemment classés.
Pour autant, l’équilibre est fragile. Des études évoquent ainsi une sixième extinction de masse, ce dont chaque citoyen est – je le crois – désormais conscient. J’ai d’ailleurs en tête le combat de ces jeunes agriculteurs de l’Yonne qui demandent l’arrêt du grignotage systématique des espaces naturels cultivables.
En effet, on le perçoit bien, mes chers collègues, les tendances lourdes qui sont à l’œuvre favorisent le développement de villes-monde qui se livrent à une féroce concurrence internationale.
En définitive, la « mégamachine » décrite dans les années cinquante par Lewis Mumford est en train de devenir réalité, avec tout ce que cela contient en germe de dépersonnalisation des relations. Ou quand la personne, au lieu d’être insérée dans des communautés de vie et de partage, s’efface pour n’être qu’un individu ballotté, peut-être désespéré.
C’est ce que Henry David Thoreau, l’auteur de Walden ou la vie dans les bois, avait lui aussi prédit dès la fin du XIXe siècle : « L’existence que mènent en général les hommes est une existence de tranquille désespoir. Ce que l’on appelle résignation n’est autre chose que du désespoir confirmé. De la cité désespérée vous passez dans la campagne désespérée, et c’est avec le courage de la loutre et du rat musqué qu’il vous faut vous consoler. Il n’est pas jusqu’à ce qu’on appelle les jeux et divertissements de l’espèce humaine qui ne recouvre un désespoir stéréotypé quoique inconscient ».
Pourquoi dresser un tel tableau en préambule ? C’est parce que le débat que nous allons avoir, mes chers collègues, renvoie aussi au sens que nous souhaitons donner aujourd’hui à notre action dans le monde !
La vie transforme les êtres vivants. La vie évolue. Henri Bergson l’a bien expliqué : il y a coappartenance des vivants et des milieux, il y a codépendance. Mais ne perdons pas de vue que l’homme reste l’être le plus capable de conscience sur notre planète. Par conséquent, c’est aussi à nous d’avoir conscience de la Terre.
Cette prise de conscience doit nous réconcilier avec le long terme, quand nous subissons la tyrannie de l’accélération du temps. Elle doit également nous réconcilier avec les « petites patries » que sont les territoires dans lesquels plongent nos racines. Bref, à naufrage mondial, répondons par un ancrage local, à échelle humaine, à hauteur d’homme.
Face à ces immenses défis auxquels nous devons faire face, nous ne devons pas céder à la tentation de désigner des bons et des mauvais. Bref, pour une fois, ne succombons pas à cette passion française de désigner des boucs émissaires ! Or c’est bien ainsi que se sentent parfois considérés les « œuvriers » de la planète que sont les agriculteurs, les chasseurs ou les élus des collectivités locales.
Agissons plutôt avec le souci du dialogue et du pragmatisme, qui sont – comme l’a dit Michel Vaspart précédemment – un gage d’efficacité ! Nous avons besoin de tout le monde. La reconquête de la biodiversité passe par des partenariats forts avec tous les acteurs. Ne ravivons pas des conflits par des approches par trop vécues comme punitives.
J’ai par exemple vu que Mme Blandin avait déposé un amendement sur l’interdiction de la chasse le mercredi. Il s’agit pourtant d’un vieux débat qui a déjà été tranché.
Mme Marie-Christine Blandin. C’est raté, monsieur Lemoyne, l’amendement n’est plus d’actualité !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il est donc inutile de revenir sur le sujet.
Il s’agit non pas de mettre la nature sous cloche, mais de révéler au contraire son incroyable potentiel.
Nous, les ruraux, avons la conviction d’être des acteurs de premier plan en termes de maintien de la biodiversité et des paysages. Or l’avalanche normative à laquelle, la vérité m’oblige à le dire, nous avons contribué conduit à la lente apoplexie d’un certain nombre d’acteurs de ces territoires.
Par exemple, la mise en œuvre des décisions relatives aux captages « Grenelle » se traduit par des mesures de résorption, qui ont été prises selon un processus un peu trop vertical et après une insuffisante concertation.
Dans ce contexte, je salue les efforts réalisés par M. le rapporteur et par Mmes les rapporteurs pour avis, Sophie Primas et Françoise Férat, pour aller vers un texte davantage équilibré qu’il ne l’était au moment de son dépôt ou de son adoption par l’Assemblée nationale. Il s’agit désormais d’un texte qui construit « avec » et pas « contre », notamment avec les chasseurs. Ces derniers jouent en effet un rôle important dans l’aménagement du territoire et la préservation de la faune sauvage.
Mes chers collègues, imaginons la situation s’il n’y avait pas de régulation : certaines espèces se développeraient avec excès et entraîneraient un dérèglement de l’équilibre existant. On le voit régulièrement avec les dégâts de gibier.
Les recensements de la faune sauvage, les subventions attribuées pour les travaux de recherche sur les espèces, la collecte de données, ou encore la surveillance sanitaire de la faune sauvage sont autant d’actions qui font des chasseurs des acteurs majeurs de la gestion du territoire et de la sauvegarde de cette faune sauvage.
À cet égard, je salue l’amendement de Sophie Primas qui permet d’intégrer des représentants des collectivités locales à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, sans toucher au principe selon lequel les représentants issus des milieux cynégétiques constituent la moitié des membres du conseil.
Le texte de la commission prend également en compte les agriculteurs, qui sont aussi des acteurs de premier plan. Là encore, je salue le pragmatisme qui a conduit Jérôme Bignon et Sophie Primas à supprimer l’article 34. Cet article permettait à l’autorité administrative – une fois de plus ! – de créer des zones soumises à contraintes environnementales au sein desquelles des pratiques agricoles pouvaient être imposées. Je le répète : le contrat et le partenariat doivent prévaloir sur la contrainte !
De la même façon, M. le rapporteur a déposé à l’article 27 un amendement dont l’adoption permet d’associer les chambres d’agriculture à la procédure d’élaboration de la charte d’un parc naturel régional. Cette disposition est utile tant les craintes sont nombreuses au sujet d’une démarche qui peut pourtant se révéler « gagnant-gagnant » pour reprendre une expression que vous affectionnez, madame la ministre ! (Sourires.)
C’est au prix du dépassement de ces clivages artificiels que nous pourrons répondre à l’immense défi qui se présente et, ainsi, éviter le scénario imaginé par les Cowboys fringants, poètes chanteurs québécois. Je ne résiste pas, mes chers collègues, à l’envie de vous lire quelques strophes de leur très belle chanson intitulée Plus rien :
« Il ne reste que quelques minutes à ma vie
« Tout au plus quelques heures, je sens que je faiblis
« Mon frère est mort hier au milieu du désert
« Je suis maintenant le dernier humain de la Terre
« On m’a décrit jadis, quand j’étais un enfant
« Ce qu’avait l’air le monde il y a très très longtemps
« Quand vivaient les parents de mon arrière-grand-père
« Et qu’il tombait encore de la neige en hiver
« En ces temps on vivait au rythme des saisons
« Et la fin des étés apportait la moisson
« Une eau pure et limpide coulait dans les ruisseaux
« Où venaient s’abreuver chevreuils et orignaux
« Mais moi je n’ai vu qu’une planète désolante
« Paysages lunaires et chaleur suffocante
« Et tous mes amis mourir par la soif ou la faim
« Comme tombent les mouches jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien…
« Plus rien…
« Plus rien… » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de l’examen en séance, au Sénat, de ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
À plus d’un titre, ce texte est très attendu. Quarante ans après la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, il vient compléter et modifier notre conception et notre rapport à la nature.
Différentes évolutions l’imposent, qu’elles concernent les découvertes scientifiques, de nouveaux instruments normatifs et juridiques, ou encore la prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale par les pouvoirs publics et la société, notamment par les acteurs économiques.
La destruction de la biodiversité, du fait de l’action de l’homme, de l’incertitude des effets susceptibles d’en découler et du risque d’irréversibilité de cette perte, doit nous conduire à nous interroger collectivement sur nos propres pratiques. Elle remet également en question le droit en tant qu’instrument de régulation des relations sociales.
Le professeur Michel Prieur considère que l’environnement renvoie aux interactions et aux relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu. Dès lors, le droit de l’environnement doit réglementer des secteurs comme la protection de la nature, l’aménagement, l’urbanisme ou les ressources maritimes.
Première richesse de la biodiversité française et européenne, l’outre-mer présente une exceptionnelle variété d’espèces et d’écosystèmes. J’illustrerai mon propos en évoquant très sommairement l’archipel de la Guadeloupe.
Ses deux îles principales diffèrent de par leur origine géologique. Ainsi, la Grande-Terre d’origine corallienne dispose d’un sol calcaire peu accidenté, tandis que la Basse-Terre d’origine volcanique est traversée du nord au sud par une chaîne montagneuse dont le point culminant est le volcan de la Soufrière.
La biodiversité demeure peu connue, ce qui a conduit à la mésestimer et à méconnaître le rôle fonctionnel attribué aux habitats.
Outre les quatre types d’habitat que sont les zones humides, les herbiers de phanérogames marines, les communautés coralliennes et les plages et estrans, il est possible d’évoquer également plusieurs habitats marins, sans statut particulier, mais qui doivent être considérés si l’on veut prendre en compte l’ensemble de la biodiversité guadeloupéenne. Il s’agit notamment des fonds sablo-vaseux, des fonds détritiques, des algueraies, des zones rocheuses ne présentant pas de formations coralliennes et des zones détritiques profondes.
La Guadeloupe est également identifiée comme un hot spot de biodiversité du fait du caractère endémique de nombreuses espèces.
Par ailleurs, échappant aux catégories juridiques existantes, les outre-mer constituent un fabuleux champ d’expérimentation des potentialités du droit constitutionnel et administratif. Le droit est source d’innovations importantes et provoque le débat. Il enrichit la réflexion sur une décentralisation de l’environnement. Nos outre-mer soulèvent des questions originales et pertinentes, qui n’entrent pas dans les cadres préconçus.
Malgré cela, les atteintes à la biodiversité ultramarine demeurent importantes. L’analyse des situations locales fait ressortir la gravité des problèmes écologiques affectant la majorité des territoires, tels que la régression des espaces sensibles, la raréfaction d’espèces endémiques, ou encore l’extension, importante et constante, de l’emprise humaine sur le littoral.
Force est de constater que le développement économique de nos outre-mer n’a pas été favorable à l’environnement. Les transformations créées, notamment sur les rivages, nécessitent de replacer ce dernier au centre des préoccupations et des projets, mais également de se poser des questions sur les choix du modèle actuel de développement.
Pour en revenir au projet de loi qui nous est présenté ce jour, différentes problématiques sont abordées au travers de ses sept titres. J’évoquerai certaines d’entre elles.
Au titre Ier, qui pose les grandes orientations, je me réjouis de l’inscription dans le code de l’environnement d’une vision renouvelée des composantes de la biodiversité. Toutefois, je regrette que le principe de non-régression en droit de l’environnement, cher au professeur Michel Prieur, n’ait pas été introduit.
De même, le titre IV relatif à l’accès aux ressources génétiques nécessite des précisions quant à sa mise en œuvre, en raison de nombreuses limites.
Les procédures d’accès et d’utilisation des ressources génétiques semblent insuffisamment développées.
S’agissant des communautés et de leurs connaissances traditionnelles, j’ai le souvenir que le Conseil national de la transition écologique, le CNTE, avait appelé au mois de décembre 2013, à propos de la notion de communautés autochtones et locales, à une « transcription en droit français […] la moins restrictive possible pour couvrir l’ensemble des détenteurs de connaissances traditionnelles qui doivent bénéficier d’un partage des avantages ».
Par ailleurs, il est dommageable que cette mise en cohérence se fasse par une segmentation artificielle et injustifiée des compétences.
J’en viens au titre V, relatif aux outils de préservation de la biodiversité. Celui-ci traite bien du milieu marin, du littoral et de la biodiversité terrestre, mais je regrette une distinction qui, manifestement, méconnaît les réalités de nos territoires insulaires.
Je rappelle enfin que, dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité du mois de septembre 2006, le plan outre-mer développe, pour la première fois dans l’histoire de la conservation de la biodiversité ultramarine, des orientations transversales à l’outre-mer.
Je conclurai avec cette citation : « il ne faut pas attendre du droit des conséquences qu’il ne peut pas avoir ou lui infliger un programme qu’il ne peut pas réaliser ». (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)