Article 10
Après l’article 421-2-5 du code pénal, sont insérés des articles 421-2-5-1 et 421-2-5-2 ainsi rédigés :
« Art. 421-2-5-1. – Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
« Art. 421-2-5-2. – Le fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique d’actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d’entraver, en connaissance de cause, l’efficacité des procédures prévues à l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et à l’article 706-23 du code de procédure pénale est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.
M. Jean Louis Masson. Je voudrais tout d’abord formuler une remarque de forme : je trouve quelque peu malvenu l’intitulé du titre II, « Aggraver la répression du terrorisme ». En effet, déclarer qu’il faut « aggraver la répression du terrorisme » revient à dire que l’on est contre cette dernière. Une telle expression relève davantage du vocabulaire de ceux de nos collègues qui s’opposent à ce texte. Il me semblerait plus satisfaisant d’intituler comme titre « Renforcer la lutte contre le terrorisme ».
Nonobstant cette remarque de forme, je souhaiterais également indiquer que je suis tout à fait défavorable au contenu de la première partie de cet article 10.
Je pense que nous devons tout de même respecter un minimum de liberté ! Dans la mesure où un Français ne fait rien de répréhensible, pourquoi ne pourrait-il consulter à son gré tel ou tel site internet ?
Nous entrons là dans une logique, pas seulement en matière de lutte contre le terrorisme, d'ailleurs, mais aussi dans bien d’autres domaines, de police du beau, de police de ce que l’on est capable ou non de regarder…
Je n’ai vraiment aucune sympathie pour le terrorisme islamiste et musulman – je n’en ai pour aucune forme de terrorisme, mais encore moins pour celui-là. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.) Cela étant, je ne comprends pas pourquoi je serais passible de deux ans de prison si je me rendais sur un site islamiste dont je veux voir le contenu.
Je considère que cette première partie de l’article 10 est tout à fait déplacée. Je voudrais m’insurger à la fois contre cette partie en tant que telle et contre cette manie de vouloir décider à notre place de ce que l’on peut ou ne peut pas regarder ! Tant que tout cela reste dans notre sphère privée, pourquoi encourrait-on une sanction pénale ? Nous sommes dans une République de liberté, laissons la liberté s’exprimer !
Ma position sur cet article dépendra de nos discussions. J’interviendrai ultérieurement, madame la présidente, pour une explication de vote sur l’article.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 19 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement est défendu, madame la présidente. Nous avons déjà débattu de ces questions de surveillance de masse et d’accès à internet lors de l’examen de la loi relative au renseignement et nous serons amenés à en débattre de nouveau sur de nombreux textes à venir…
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 19.
Mme Esther Benbassa. Il est également défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet article a pour objet d’instaurer deux nouveaux délits terroristes, celui de consultation habituelle de sites terroristes ou en faisant l’apologie et celui d’entrave intentionnelle aux blocages de ces sites.
Il s’agit bien entendu d’une incrimination précise, comme l’exige la loi. Il ne s’agit pas simplement d’aller regarder « en passant » tel ou tel site, ce qui reste possible. Il s’agit bien de la consultation habituelle, qui peut s’apparenter à une sorte d’apprentissage.
Les juges d’instruction que nous avons rencontrés nous ont décrit le contenu affreux de ces sites : par exemple, on y apprend à un enfant comment couper une tête ou jouer au football avec la tête d’un de nos concitoyens décapité par Daech ! Autoriser la libre consultation, habituelle, de ce genre de site reviendrait à manquer, me semble-t-il, à notre responsabilité.
En matière de pédopornographie, le législateur a déjà instauré un tel délit de consultation habituelle de sites. Il est sain de faire en sorte d’éviter toute accoutumance à l’acte terroriste, surtout quand il présente un caractère aussi abject que ceux que je viens de décrire.
De la même façon, l’entrave intentionnelle aux décisions de blocage de ces mêmes sites doit être poursuivie. Je ne suis aucunement spécialiste d’internet ; je suis même un Béotien en la matière. Toutefois, je sais bien les progrès technologiques permettent à tout un chacun, a fortiori aux esprits mal intentionnés, d’entraver le blocage administratif d’un site. Il est donc tout à fait normal que nous nous dotions des moyens nécessaires pour combattre ces actions, qui toutes convergent vers la commission d’actes terroristes.
M. Jean-Pierre Sueur. Avant d’interdire la consultation, il faut supprimer ces sites !
M. Michel Mercier, rapporteur. C'est la raison pour laquelle la commission des lois, qui a décidé d’instaurer ces deux nouveaux délits terroristes, émet un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’amendement de Mme Benbassa n’est pas conforme à la Constitution, dans la mesure où il tend à supprimer la mention du contrôle des chefs hiérarchiques. Le principe de subordination des hiérarchies est en effet l’une des caractéristiques du ministère public et il a une valeur constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de 2004.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Sur le fond du sujet et de l’article, le législateur réfléchit depuis des années à la meilleure manière de lutter efficacement contre les dérives constatées sur internet. Et s’il est un lieu où le droit est toujours plus lent que la technique, c’est bien évidemment Internet qui l’incarne le mieux.
La création d’un délit pour consultation habituelle de certains sites est un vieux débat.
M. Michel Mercier, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Un amendement tendant à aller dans ce sens est présenté lors de la discussion de chaque loi antiterroriste et n’est jamais adopté. Non pas que le dispositif ne soit pas intéressant en soi, mais il ne peut constituer à lui seul fondement d’une incrimination. S’il peut et doit contribuer à une incrimination, il ne peut en constituer que l’un des éléments. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme dispose ainsi que la consultation habituelle des sites est l’un des éléments constitutifs de l’infraction d’entreprise terroriste individuelle.
Cet élément figure donc déjà dans la loi. Le problème porte sur la définition du terme « habituelle ». C'est la raison pour laquelle il ne peut constituer, à lui seul, un élément d’incrimination.
S’agissant de la question du blocage des sites, les quelques travaux que les uns et les autres ont pu réaliser, y compris dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement, montrent qu’il convient d’encourager le blocage judiciaire, plutôt que la condamnation pénale. Il faut davantage rechercher l’effet disruptif de blocage d’un site que tout effet dissuasif. (M. Jean-Pierre Sueur approuve.)
Nous avons donc tout intérêt à espérer que les décisions de blocage judiciaire soient prononcées. Elles permettent véritablement de couper ces sites dont j’invite ceux qui ne l’ont pas encore fait à aller voir le contenu. Mesdames, messieurs les sénateurs, allez-y et vous verrez qu’il n’est pas de mots pour qualifier ce que l’on peut y trouver !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, vous avez donné l’avis du Gouvernement sur l’amendement de Mme Benbassa. Dans la mesure où notre amendement était identique, j’imagine que vos arguments valent également pour le nôtre. Toutefois, il aurait peut-être été bon de le préciser.
C’est le troisième amendement que nous déposons et nous n’avons pas encore eu l’heur d’obtenir de réponse directe de votre part. Si vous pouviez vous donner cette peine, cela participerait du respect du pluralisme dans cette assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses. Cette maladresse est uniquement due au fait que le garde des sceaux est encore un Béotien dans cet hémicycle… (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. Vous n’êtes pas un Béotien en politique, monsieur le garde des sceaux !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Dans la première partie de cette proposition de loi, il s’agissait d’aider la justice, le procureur de la République et la police judiciaire à faire leur travail grâce à des outils nouveaux, que nous reverrons sans doute dans le texte du Gouvernement.
Dans ce titre II, nous avons le sentiment que les auteurs de la proposition de loi veulent montrer une fois encore qu’ils sont plus répressifs que d’autres, en créant une infraction nouvelle de consultation « habituelle » de sites terroristes qu’il sera difficile de caractériser.
Dans un rapport d’activité de 2013, le Conseil d’État a lui-même déclaré que « de telles dispositions, sans véritable précédent dans notre législation ni équivalent dans celles des autres États membres de l’Union européenne, permettaient d’appliquer des sanctions pénales, y compris privatives de liberté, à raison de la seule consultation de messages incitant au terrorisme, alors même que la personne concernée n’aurait commis ou tenté de commettre aucun acte pouvant laisser présumer qu’elle aurait cédé à cette incitation ou serait susceptible d’y céder. »
Or l’incrimination d’acte de terrorisme ou d’apologie d’acte de terrorisme permet déjà d’agir. Contrairement à ce que vous disiez, la magistrature n’est donc pas demandeuse d’un tel délit, qui serait compliqué à caractériser.
Dans la mesure où nous ne voyons pas ce qu’apporterait un tel dispositif, nous sommes plutôt tentés de ne pas vous suivre sur cet article 10.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Les explications de notre rapporteur ne m’ont pas convaincu.
Autant je suis tout à fait favorable à ce qu’une personne s’opposant au blocage ou essayant de contourner le blocage d’un site tombe sous le coup d’une sanction pénale, autant, dans une logique de liberté, je ne peux accepter que la consultation d’un site soit sanctionnée.
Je pourrais faire la même remarque s’agissant de la consultation de sites pédopornographiques évoquée par notre rapporteur. De même, je m’oppose à l’interdiction de consultation de tels documents ou de tels livres dans certains pays.
Sans passage à l’acte véritable, on ne peut brider à ce point la consultation de ces sites dans le cercle privé. J’ai été davantage convaincu par l’argumentaire très pertinent de M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je partage nombre des propos de notre garde des sceaux, qui, pour Béotien qu’il soit, est tout de même quelque peu expérimenté. (Sourires.)
Bien évidemment, il faut au préalable disposer de la capacité de supprimer les messages odieux, pervers, que l’on trouve sur ces sites.
À cet égard, nous nous heurtons souvent à une sorte de non-dit, selon lequel il ne saurait y avoir de règle ni d’interdiction sur internet, qui serait en quelque sorte la sphère du non-droit. Or le code pénal réprime toute forme de racisme, d’injure ou d’apologie du terrorisme exprimée dans une revue ou à la télévision, par exemple. Pourquoi n’en irait-il pas de même sur Internet ?
La question posée est bien entendu celle des moyens. Aujourd’hui, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dispose des moyens suffisants – nous les avons votés – pour s’en prendre à ces sites qui sont attentatoires à toutes nos règles et à toutes nos lois.
Il reste que, comme on nous l’objecte à juste titre, un site fermé peut très bien rouvrir depuis un paradis cybernétique – car il y a des paradis cybernétiques comme il y a des paradis fiscaux ! Il est donc nécessaire d’agir à l’échelle internationale.
Pour cela, nous devons militer en faveur de règles communes applicables au sein d’un « môle européen », qui, ensuite, sera en mesure de faire prévaloir ses conceptions au plan international. Je fais confiance à M. le garde des sceaux pour agir dans cette direction.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 19.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article 421-3 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, lorsque le crime prévu au 1° de l’article 421-1 a été commis en bande organisée, la cour d’assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu’à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 ne pourra être accordée au condamné ; en cas de commutation de la peine, et sauf si le décret de grâce en dispose autrement, la période de sûreté est alors égale à la durée de la peine résultant de la mesure de grâce. » ;
2° Après le premier alinéa de l’article 421-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-1 est commis à l’occasion ou précédé d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende. » ;
3° Au premier alinéa de l’article 421-6, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente » et le montant : « 350 000 » est remplacé par le montant : « 450 000 ».
II (nouveau). – Au deuxième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale, les mots : « et 221-4 » sont remplacés par les mots : « , 221-4 et 421-3 ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. Je me réjouis que l’article 11, dans sa nouvelle rédaction, prenne partiellement en compte deux des amendements que j’ai déposés en commission : désormais, une cour d’assises pourra porter la période de sûreté jusqu’à trente ans et – point fort de cet article – prononcer la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour les crimes commis en bande organisée constituant un acte de terrorisme.
Il n’existe que quatre cas de figure lorsqu’un terroriste commet un attentat : soit il se donne la mort, soit il est abattu, soit il est en cavale, soit il est capturé. Dans le dernier cas, il doit être fermement condamné pour qu’il ne puisse pas récidiver. C’est pourquoi je défendrai dans quelques instants un amendement tendant à modifier le code de procédure pénale, pour autoriser une peine de prison qui corresponde, de fait, à une perpétuité réelle.
Depuis quelques semaines, le Gouvernement présente différentes moutures de son projet de loi constitutionnelle. Nous savons tous que cette révision de la Constitution aura une portée uniquement symbolique, les mesures prises étant inefficaces contre le terrorisme ; j’ajoute, monsieur le garde des sceaux, qu’elles sont pour moi inacceptables dès lors qu’elles remettent en cause le droit du sol.
M. Jean-Pierre Grand. La peine de prison à perpétuité incompressible, donc réelle : telle est la véritable déchéance, la seule qu’attendent les Françaises et les Français, parmi lesquels les nombreuses familles de victimes !
Monsieur le président de la commission des lois, votre proposition de loi est l’honneur de la Haute Assemblée, l’honneur des sénatrices et des sénateurs qui, aujourd’hui, répondent à l’attente des Français : une grande fermeté de la nation envers la plus folle criminalité, c'est-à-dire le terrorisme. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ne pourront moralement et politiquement que suivre le Sénat dans sa volonté de renforcer la réponse pénale aux faits de terrorisme.
M. Charles Revet. Nous verrons bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, B. Fournier, Joyandet et Laufoaulu, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Mandelli, Béchu, Chaize, G. Bailly, Revet, Gournac, Panunzi, Vasselle et Gilles, Mme Garriaud-Maylam, MM. Karoutchi et Pellevat, Mme Hummel, M. Savary, Mme M. Mercier et MM. Chasseing, Laménie, Gremillet, Mayet et Vaspart, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer cet alinéa par quatre alinéas ainsi rédigés :
II. – L’article 720-4 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « et 221-4 » sont remplacés par les mots : « , 221-4 et 421-3 » ;
2° Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les crimes commis en bande organisée constituant un acte de terrorisme au sens de l’article 421-1 du code pénal, cette durée est au moins égale à cinquante ans. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise, comme je viens de l’expliquer, à porter de trente à cinquante ans la durée minimale d’incarcération à partir de laquelle un tribunal d’application des peines pourra accorder une mesure d’aménagement de peine en cas de crime commis en bande organisée constituant un acte de terrorisme. En effet, cette nouvelle forme de barbarie nous impose la plus grande fermeté aux terroristes qui portent atteinte à la vie de nos concitoyens.
J’ai d’abord songé à refuser au condamné tout aménagement de sa peine, mais le risque était élevé que la mesure soit censurée au regard du principe de nécessité de la peine, énoncé à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme ont achevé de me convaincre.
Le Conseil constitutionnel a estimé à deux reprises, en 1994 et en 2001, qu’il était loisible au législateur de fixer les modalités d’exécution de la peine, à condition que le condamné puisse saisir le juge d’application des peines afin de déclencher une procédure pouvant conduire à mettre fin à ce régime particulier après la période de sûreté.
Dans la pratique, le juge d’application des peines désigne un collège de trois experts médicaux, qui rend un avis sur la dangerosité du condamné. Il incombe ensuite à une commission de magistrats de la Cour de cassation de juger, à la lumière de cet avis, s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision spéciale de la cour d’assises de n’accorder aucune mesure d’aménagement de peine ; en cas de décision favorable, le condamné recouvre le droit de solliciter un tel aménagement.
Ce réexamen permet l’existence d’une perspective d’élargissement dès le prononcé de la condamnation. Je vous propose donc, mes chers collègues, de porter de trente à cinquante ans le délai à partir duquel un aménagement pourra être accordé aux personnes condamnées pour un crime commis en bande organisée constituant un acte de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Monsieur Grand, vous avez vous-même devancé la réponse que je vais vous faire…
Vous proposez que la peine ne puisse être revue avant une durée de cinquante ans, et je comprends très bien les motifs qui vous animent, compte tenu du caractère particulièrement abject du crime de terrorisme. Néanmoins, comme vous l’avez vous-même fait observer, les engagements internationaux de la France, en particulier ceux qui résultent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales, ne nous permettent pas de refuser un réexamen de la peine après une durée de trente ans.
C’est la raison pour laquelle les auteurs de la proposition de loi ont bâti, après avoir beaucoup réfléchi et écouté, un système dans lequel le tribunal d’application des peines ne statuera pas avant la durée, incompressible, de trente ans, ce qui équivaut à une perpétuité réelle, et dans lequel, à sa sortie, le condamné sera astreint à un suivi socio-judiciaire.
M. Jean-Pierre Grand. Un suivi socio-judiciaire, ce n’est rien du tout !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, le suivi socio-judiciaire est extrêmement contraignant ! En outre, la loi permet au tribunal d’application des peines de fixer la durée de ce suivi à trente ans dans le cas d’un condamné à une peine criminelle. En d’autres termes, à la perpétuité réelle de trente ans s’ajoutera un suivi socio-judiciaire pouvant aller lui aussi jusqu’à trente ans et qui garantira le suivi étroit des auteurs de crimes particulièrement graves.
Monsieur Grand, si nous adoptions une mesure contraire aux obligations conventionnelles de la France, les tribunaux ne l’appliqueraient pas. Celle que nous proposons, au contraire, sera applicable et efficace. Pour ma part, je ne cherche pas à faire une annonce, mais à être efficace !
Le système que nous avons conçu garantit que les terroristes qui se sont livrés aux actes les plus graves seront condamnés à la perpétuité réelle et que, à leur sortie, ils feront l’objet d’un suivi effectif. Cela vaut mieux que de faire une annonce qui ne sera pas suivie d’effets, parce que, aux termes de l’article 55 de la Constitution, les traités internationaux priment la loi interne ; ce n’est pas M. Bizet, président de la commission des affaires européennes, qui me contredira.
Compte tenu de ces explications, je vous demande, monsieur Grand, de bien vouloir retirer votre amendement ; en le maintenant, vous m’obligeriez à demander au Sénat de ne pas l’adopter. Si vous le retiriez, vous participeriez, je le répète, à la mise en place d’une peine de perpétuité réelle, alors que votre proposition ne serait qu’une annonce dépourvue d’effets !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 11 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Je vous signale, monsieur le rapporteur, que l’un des terroristes du Bataclan était âgé de dix-huit ans.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il est mort !
M. Jean-Pierre Grand. À quarante-huit ans, une telle personne pourrait être de nouveau dans la rue. Vous m’expliquerez comment vous comptez faire son suivi social !
Je comprends qu’un ancien garde des sceaux, ministre de la justice, me fasse cette réponse et soulève une objection de droit. Qu’il me permette toutefois de rappeler que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales date de 1953 et que la peine de mort n’a été abolie que près de trente ans plus tard. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Au demeurant, je me félicite de cette abolition, mais je regrette l’absence de peine de substitution.
Alors qu’un terrorisme international organisé et barbare frappe sur l’ensemble de notre sol, aucune convention internationale ne peut moralement interdire à la France de protéger ses concitoyens en empêchant un condamné pour crime terroriste de retrouver sa liberté, ou en le lui permettant seulement après une très longue peine de réclusion.
S’il y a un point de droit à modifier, ce n’est pas dans mon amendement, mais dans toute convention qui ne permettrait pas à la France de se protéger efficacement en interdisant à des terroristes capturés de retrouver la liberté leur permettant de récidiver !
Dans un arrêt du 13 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme estime que le droit français offre une possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité, qui est suffisante – au bout de cinquante ans, on peut en effet considérer que c’est bien le cas ! – au regard de la marge d’appréciation des États en la matière, pour considérer qu’une telle condamnation est compressible au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales, c’est-à-dire lorsqu’il existe une possibilité de réexamen de celle-ci, dont l’intéressé doit connaître, dès sa condamnation, les termes et conditions, ce qui est tout à fait possible en droit français.
La Cour européenne des droits de l’homme précise également que la forme de ce réexamen, tout comme la question de la durée de détention subie à partir de laquelle il doit intervenir, relève de la marge d’appréciation des États. Par conséquent, mes chers collègues, proposer une durée minimale d’incarcération de cinquante ans me semble parfaitement compatible avec la loi.
Tout est dit : l’inhumanité est du côté du terrorisme et non du législateur ! Je maintiens donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Pour avoir cosigné cet amendement, j’en approuve totalement l’objet, tout comme j’approuve la dernière intervention de mon collègue Jean-Pierre Grand.
Il existe, semble-t-il, une marge d’appréciation en matière de détermination des peines que l’État français n’envisage pas d’utiliser, dans la mesure où il interprète cette mesure comme étant contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales. Il semblerait donc qu’il existe des interprétations juridiques différentes de l’application de cette Convention. Cela mérite que nous nous interrogions et qu’une réflexion soit menée sur ce point.
En outre, je crois me souvenir, mais peut-être que je me trompe, d’un fait divers récent qui nous a tous interpellés, parce qu’il concernait une personne ayant commis un acte parfaitement condamnable, alors qu’elle se trouvait sous contrôle judiciaire…
M. Michel Mercier, rapporteur. Ce n’est pas tout à fait comparable !
M. Alain Vasselle. Par conséquent, on peut s’interroger sur l’efficacité du contrôle judiciaire. On devrait même exiger du garde des sceaux qu’il se penche sur les moyens dont dispose la justice pour rendre ce contrôle judiciaire réellement efficient. Malgré ce dispositif, nos concitoyens doivent avoir l’assurance qu’ils peuvent continuer à vivre en toute sécurité. Pour le moment, cela ne semble pas être le cas ou, tout du moins, pas sur l’ensemble du territoire national.
Mes chers collègues, je souhaitais simplement appeler votre attention sur cette difficulté, de telle sorte que nos concitoyens puissent se sentir quelque peu rassurés par le texte que nous allons voter et qui a notamment pour objet de les protéger contre les actes de terrorisme.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l'article.