M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Thierry Carcenac. Il faut aller vite. À titre d’exemple, dans mon département, le reste à charge était de 8,5 millions d’euros en 2011. Il est maintenant de 24,5 millions d’euros, et 1 point de pression fiscale représente 1 million d’euros.
Vous le voyez, monsieur le ministre, les départements veulent vivre, remplir leur mission de solidarité territoriale et de cohésion sociale. Je sais que vous n’y êtes pas insensible. Le temps presse, et je fais appel à vos talents de négociateur pour trouver une issue positive à ce douloureux dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dotations de l’État aux collectivités locales baisseront de 3,5 milliards d’euros en 2016, après avoir diminué de 1,5 milliard d’euros en 2014. Les possibles répercussions négatives sur la qualité des services rendus à la population sont préoccupantes, notamment en termes de solidarité.
Sans perdre de vue l’équilibre des comptes de la Nation, les écologistes s’opposent à la baisse de ces dotations, car nous n’acceptons pas que la résorption de la dette publique se fasse au détriment des services publics territoriaux. Nous considérons que cette forte baisse met en péril la capacité d’animation des collectivités locales et donc le dynamisme des territoires, ainsi que la capacité d’assurer les nécessaires solidarités, cœur des politiques des départements.
Dans bien des cas, même si les différences entre collectivités sont fortes, la baisse des dépenses de fonctionnement ne suffira pas à équilibrer les budgets locaux ; dès lors, ce sont les investissements qui devront également être revus à la baisse. Or réduire la capacité d’investissement des collectivités nous semble particulièrement périlleux en période de crise, lorsque l’investissement des collectivités est central pour l’emploi local.
La lisibilité, la prédictibilité, évidemment la solidarité territoriale ainsi que les péréquations, doivent être au cœur d’une réforme de la DGF. Les modifications que nous avons apportées à celle-ci dans le projet de loi de finances pour 2016 vont commencer à produire leurs effets. Espérons que les quatre objectifs que je viens de citer trouveront leur pleine effectivité. Je sais, monsieur le ministre, que vous y serez attentif, notamment concernant les territoires ruraux, que nous défendons ardemment dans cet hémicycle.
Les départements connaissent une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement, essentiellement due à celle des dépenses sociales de près de 3,7 % au titre des allocations individuelles de solidarité, prestations que les départements versent au nom de la solidarité nationale : l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap, le revenu de solidarité active. C’est volontairement que je cite le nom de ces prestations, car les sigles APA, PCH ou RSA parlent de moins en moins à nos concitoyens. La Cour des comptes observe d’ailleurs, à juste titre, que les départements n’ont pas la maîtrise de ces dépenses et ne peuvent donc engager aucun réel plan d’économies. Les nouvelles ressources accordées par l’État ne suffisent absolument pas à assumer ces charges croissantes.
La gravité de la situation est telle que 80 départements sur 101 risquent de ne pas pouvoir boucler leur budget en 2017, et ce malgré les efforts d’économies drastiques réalisés par la plupart des conseils départementaux. Le Gouvernement a finalement accepté, à la fin du mois de février, que l’État prenne en charge le financement du RSA, sans pour autant ponctionner les ressources dynamiques des départements, à savoir les droits de mutation à titre onéreux et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, la prise en charge du RSA doit être financée par un prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement des départements, un prélèvement qui prendra en compte la situation de chaque département et l’efficacité de leurs politiques d’insertion. Cela semble être un compromis équilibré.
Nous sommes pour la décentralisation, mais les règles à respecter doivent être claires : on ne peut demander à un département devenu un guichet de l’État pour ses missions nationales d’assumer l’explosion des dépenses en lieu et place de ce dernier. Dans ce cas, la recentralisation de la distribution du RSA peut être une mesure nécessaire, dans un souci d’égalité de traitement de l’ensemble de nos concitoyens lorsqu’ils sont dans une situation de précarité avancée.
Cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion de fond sur la réforme des aides sociales. Nous aurons l’occasion d’en reparler la semaine prochaine puisque nous examinerons le texte de notre cher collègue du groupe écologiste Jean Desessard sur l’opportunité d’instaurer un revenu de base inconditionnel, comme cela est en train de se mettre en place dans plusieurs pays européens.
Plusieurs pistes sont à explorer, et je voudrais en souligner une dernière, particulièrement d’actualité. Il s’agit des investissements publics liés à la transition énergétique. Pour les départements, il s’agirait de la résorption de la précarité énergétique, de la rénovation thermique de leur parc immobilier, notamment des collèges. On peut aussi imaginer des investissements innovants concernant les routes. Ainsi, des projets de voirie productrice d’énergie sont déjà testés. Tous ces investissements bénéficient de retours potentiellement importants et peuvent participer d’une bonne gestion des collectivités, avec des baisses de charges à la clé, voire même de potentiels revenus.
Monsieur le ministre, compte tenu de l’urgence climatique et de la menace planant sur les investissements publics, ne pourrait-on faire bénéficier ces investissements de transition énergétique d’une prise en compte différenciée dans l’endettement des collectivités, afin que celles-ci puissent mobiliser des investissements dans ce secteur sans faire exploser le taux d’endettement ?
Le chantier est vaste, mais les enjeux sont essentiels puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de remettre la solidarité et l’équilibre des territoires au cœur de l’action publique, sur fond de nécessaire et urgente transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, ce débat d’importance, nous devons l’aborder avec humilité.
Je me présente : Philippe Adnot, sénateur de l’Aube depuis vingt-sept ans et président de conseil départemental depuis vingt-six ans… Au moment de mon élection, l’Aube était vingt-sixième sur la liste des départements les plus endettés de France. Il figure désormais parmi les dix départements les moins endettés de notre pays.
M. Roger Karoutchi. Une médaille ! (Sourires.)
M. Philippe Adnot. Je pensais donc avoir tout maîtrisé…
M. Bruno Sido. Et pas du tout !
M. Philippe Adnot. En effet, mon cher collègue… Voilà pourquoi nous devons aborder ce sujet avec beaucoup d’humilité.
Comment en est-on arrivé là ? Deux erreurs majeures, dont la gauche comme la droite peuvent assumer la paternité, ont été commises.
La première tient à la volonté permanente de remplacer des ressources propres, relevant de l’autonomie financière des départements, par des dotations. En supprimant la ressource fiscale, la taxe d’habitation, la taxe professionnelle, la vignette automobile, on nous a rendus totalement dépendants des dotations.
La seconde erreur a consisté à mettre à notre charge des dépenses obligatoires relevant de la solidarité nationale qui ne peuvent pas être assumées par les départements et surtout pas, comme l’a dit Benoît Huré, par ceux d’entre eux qui sont les plus en difficulté et dans lesquels, par définition, les bénéficiaires du RSA et d’autres allocations sont les plus nombreux.
Un troisième élément est intervenu : l’aggravation insupportable de la situation, du fait de la réduction des dotations.
Dès lors, la situation est claire. S’il y a dans votre département beaucoup de chômage, alors les bénéficiaires du RSA y sont nombreux. Si le nombre de personnes âgées y est élevé, celui des bénéficiaires de l’APA est tout aussi important. S’il y a beaucoup de situations sociales difficiles, les dépenses sociales liées à l’enfance sont lourdes… On a donc créé une situation insupportable, qui nous empêche de nous organiser en dépit de tous nos efforts pour gérer mieux.
Pour ma part, j’ai mis en place un premier plan de redressement en 2009 et j’en ai lancé un autre depuis lors afin de trouver des solutions. Mais si un certain nombre de problèmes ne sont pas réglés, nous n’y parviendrons pas !
Il faut tout d’abord que la dépense publique cesse d’augmenter en permanence. Nous sommes d’accord pour participer à la maîtrise de la dépense publique, mais nous n’y arriverons pas si des décisions contradictoires interviennent tous les jours ! Je citerai quelques exemples.
Avec la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, on nous demande de passer de nouveau en revue, d’ici à la fin de l’année, tous les dossiers des bénéficiaires de l’APA. Combien de personnes faudrait-il que j’embauche pour y parvenir ? Nous ne pourrons pas le faire ! La loi qui a été votée ne sera donc pas appliquée, parce que nous n’en avons pas la capacité, sauf à augmenter nos effectifs. Or on ne cesse de nous dire que les personnels sont trop nombreux dans les départements !
Pour financer l’augmentation des surcoûts liés à la loi précitée, on nous dit que l’on réglera le problème dans les comptes administratifs de 2017. Cela signifie que nous devrons supporter la totalité de la dépense supplémentaire…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Adnot. Mon prédécesseur a dépassé son temps de parole d’une minute…
M. le président. C’est proportionnel…
M. Philippe Adnot. Mais non ! Si quelqu’un peut dépasser d’une minute sans que vous lui fassiez une observation, monsieur le président, il faut également me laisser le temps de dire ce que j’ai à dire.
Nous ne pouvons pas supporter le préfinancement d’une loi qui est votée, alors même que nous n’avons plus de ressources.
On vient, par ailleurs, de nous supprimer les personnels qui s’occupaient de l’informatique dans les collèges. Nous allons donc devoir embaucher pour que cette mission soit remplie. Or ce n’est pas possible !
J’ai aussi reçu un coup de téléphone de la ministre de l’éducation, qui me demande d’acheter des tablettes pour tous les collégiens. Cela représente 5 millions d’euros : je ne peux pas le faire !
M. le président. Il faut conclure !
M. Philippe Adnot. On ne peut pas nous demander de maîtriser la dépense publique et, dans le même temps, créer des textes qui augmentent nos dépenses.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il parle d’or !
M. Philippe Adnot. Je vous le redis très clairement, monsieur le ministre : des solutions doivent être trouvées. À défaut, nous ne pourrons pas inscrire la totalité des dépenses correspondant aux AIS. Nous serons alors dans une situation de blocage et des familles ne recevront plus d’aides. Il y a donc urgence et la solution est entre vos mains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter votre temps de parole, sinon cela va devenir compliqué.
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de la situation financière des départements, c’est débattre de l’effectivité des grands principes républicains que sont l’égalité, la liberté, la fraternité, auxquels nous ajoutons sur le fronton de l’hôtel du département des Pyrénées-Orientales la laïcité et la solidarité. En effet, qui mieux que le département porte le principe de solidarité ? Qui mieux que le département, au travers des politiques publiques, défend l’idée de l’égalité de tous les territoires et de toutes les femmes et tous les hommes qui les composent ? Nous faisons donc aujourd'hui avec ce débat œuvre de pédagogie, sous différentes formes.
Monsieur le ministre, il ne s’agit ni de pleurer ni de quémander, mais d’avoir une vision la plus juste possible des missions des départements au regard de leur budget. Depuis dix ans, ces derniers connaissent en effet tous des situations financières extrêmement tendues, en particulier en ce début d’année 2016. Presque tous les présidents de département se demandent comment boucler leur budget en 2016.
Les causes sont connues – un certain nombre d’entre elles nous ont déjà été présentées –, mais il faut que nous fassions de la pédagogie auprès non pas des élus que nous sommes, mais de la population et des médias. J’entendais sur France Info il y a quelque temps l’interview d’une chercheuse de Tours, me semble-t-il, qui pensait que l’ensemble des dépenses des départements en matière d’allocations était pris en charge par l’État ! Il faut dire ici que tel n’est pas le cas et que les dépenses sociales de solidarité sont toujours plus élevées, alors que, dans le même temps, les recettes sont constantes ou diminuent.
Je prends l’exemple de mon département des Pyrénées-Orientales, qui compte 470 000 habitants et 5 000 habitants supplémentaires chaque année : le coût des allocations individuelles de solidarité, que sont le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap, s’est élevé à 182 millions d’euros, dont 85 millions d’euros à la charge du département sur les 620 millions d’euros de son budget, pour la seule année 2015.
Dans ces conditions, certains départements décident d’augmenter la pression fiscale en lieu et place de l’État. D’autres diminuent drastiquement les investissements, mettant en péril une partie de l’économie locale via la commande publique. D’autres encore diminuent leurs postes de fonctionnement, au risque de ne plus assurer la qualité de service au public. Enfin, certains utilisent les trois possibilités. Reste aussi le recours à l’emprunt, quand cela est possible.
Permettez-moi d’insister sur les chiffres : entre 2004 et 2015, la quasi-totalité du nouvel effort contributif via la fiscalité demandé aux habitants a servi à financer la partie des trois AIS à la charge du département, soit sur cette période, en cumulant les années, 580 millions d’euros pour les Pyrénées-Orientales, ce qui correspond pratiquement à l’équivalent d’un budget annuel. Ce sont non seulement 580 millions d’euros que l’État n’a pas déboursés pendant dix ans,…
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme Hermeline Malherbe. … mais ce sont aussi 580 millions d’euros qui n’ont pas été injectés dans les circuits de l’économie départementale, sacrifiant au passage la création de milliers d’emplois.
Plus encore, cela pose la question de la justice fiscale et sociale sur l’ensemble du territoire français.
Il n’est pas acceptable que, en fonction de la charge des AIS supportée par les départements, certains territoires aient renforcé la pression fiscale, et pas d’autres, alors que le RSA, l’APA et la PCH résultent de droits reconnus nationalement. Il y a donc « double peine » quand un territoire concentre une demande sociale croissante, comme les Pyrénées-Orientales, tout en étant contraint de l’équilibrer par le levier fiscal.
Faire reposer ainsi le financement de prestations sociales décidé nationalement sur les contributeurs de territoires où existent les plus fortes demandes sociales constitue une injustice notoire et un risque majeur d’insolvabilité financière.
De nombreux départements sont aujourd’hui confrontés à ce risque. Alors, pour trouver des solutions, nous avons dû nous adapter, innover pour trouver des gisements d’économies sans jamais remettre en cause la qualité de notre offre de services publics.
Un autre exemple, qui est lié à la loi NOTRe, c'est la diminution des recettes de CVAE.
La semaine dernière, le jeudi 25 février, le Premier ministre a donné des gages quant à la recentralisation du RSA. Les mécanismes de compensation sont encore à affiner dans la discussion qui s’ouvre. Très sincèrement, nous pouvons dire que notre assemblée compte sur vous, monsieur le ministre ! C’est tout de même une avancée que je salue, même si elle mérite confirmation. Certes, tous les doutes ne sont pas levés, mais les perspectives sont moins sombres qu’elles ne l’étaient il y a encore quelques jours.
Si vous estimez vraiment que le département doit vivre, il faut plaider notre cause auprès du Président de la République, du Premier ministre et de ceux qui les entourent.
M. Roger Karoutchi. Et de Bercy !
Mme Hermeline Malherbe. Il faut leur dire que, recentraliser le RSA, c’est très bien, mais que cela ne règle pas tout et que ce n’est pas une assurance vie pour les départements. Il faut maintenant ouvrir les chantiers de la PCH et de l’APA dont les problèmes, sans être exactement identiques, représentent les mêmes grenades dégoupillées dans nos prochains budgets.
Dans ce grand chambardement, il faut maintenant regarder devant nous. Ce ne sont pas seulement de mesures d’urgence dont nous avons besoin. Il faut aussi répondre à une question de long terme : le département, collectivité des solidarités humaines et territoriales, a-t-il un avenir dans la nouvelle République décentralisée ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Mais oui !
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier s’est tenue l’assemblée générale de l’Assemblée des départements de France, dont j’ai l’honneur et le plaisir d’être l’un des vice-présidents.
La situation financière des départements est devenue très tendue, tout simplement en raison de « l’effet de ciseaux », bien connu, que nous dénonçons depuis au moins cinq ans. Vous le voyez, mes chers collègues, sur un sujet d’une telle importance, il n’y a pas de gauche ou de droite, mais plus fondamentalement un rapport de confiance à préserver entre l’État et les collectivités locales.
Les causes de cette situation sont toutes simples : les allocations individuelles de solidarité que sont l’allocation personnalisée d’autonomie pour nos aînés, la prestation de compensation du handicap et le revenu de solidarité active. Elles représentent autant de dépenses dynamiques, en raison de la démographie et de la crise économique qui frappe le pays.
En cinq ans, ces dépenses ont augmenté de 3,4 milliards d’euros, soit une progression de 13,2 % par an. Mais comme l’État n’a pas les moyens de compenser intégralement cette politique sociale que nous mettons pourtant en œuvre pour son compte et selon les critères qu’il définit, le reste à charge pour les départements se monte, pour le seul RSA, à 4 milliards d’euros en 2015.
Parallèlement, l’État « associe les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics », si je puis dire, en ponctionnant 4 milliards d’euros sur les ressources des conseils départementaux d’ici à 2017.
Il est temps de tirer la sonnette d’alarme avec force, comme nous l’avons déjà fait : nous n’avons plus les moyens de financer cette politique publique. Ce message a clairement été relayé par Dominique Bussereau, président de l’ADF, auprès du Gouvernement, devant les 10 départements en 2015, devenus 40 départements en 2016 – ils seront 80 en 2017 et 100 en 2018 ! –, débordés par les dépenses de RSA.
Que l’État assume le financement direct de cette prestation nationale, dont les critères d’éligibilité et les montants sont décidés par le Parlement, est une bonne chose, très cohérente. Que les départements poursuivent leur engagement pour l’insertion, parce qu’ils ont les outils et la connaissance du terrain, fait également pleinement sens. C’est avec ce double objectif, juste et cohérent, que l’ADF négocie avec l’État.
Voilà, mes chers collègues, ce qui occupe le devant de la scène. Mais je souhaite aujourd’hui aussi appeler votre attention sur les transferts de charges « masqués » ou officieux dont on parle trop peu.
Partout ou presque en France, les départements gèrent les routes, tandis que VNF, Voies navigables de France, veille à l’entretien des canaux et au bon fonctionnement des ponts qui passent dessus. Sauf qu’en pratique, à tout le moins en Haute-Marne, mais je suppose qu’il en est de même ailleurs, le conseil départemental se trouve contraint, non seulement de financer les deux tiers des travaux, mais en plus d’en assurer la maîtrise d’ouvrage.
Alors, me direz-vous peut-être, il suffirait de dire « non » pour placer l’État face à ses responsabilités. Sans doute, mais quand le pont est vétuste, la circulation interdite, la vie des entreprises perturbée et la population mécontente, ce sont les élus locaux et très directement les départements qui sont en première ligne. Voilà quinze jours, nous avons inauguré un pont-levis dans la commune de Humes-Jorquenay. C'est un beau pont tournant qui a coûté 1,5 million d’euros, dont 66 % financés par le département. Et pas moins de cinq ouvrages de ce type sont encore à réaliser, autant pour des questions économiques que de sécurité !
Sur le plan de la sécurité précisément, les casernes de gendarmerie – compétence régalienne s’il en est ! – et de sapeurs-pompiers sont largement cofinancées par les conseils départementaux. Vous le savez, mes chers collègues, la contribution des communes aux SDIS est stabilisée. Par conséquent, toute dépense nouvelle est assumée par le département, qu’il s’agisse d’immobilier, d’équipement ou encore tout simplement des évolutions de la masse salariale décidées sans concertation aucune à Paris, mais payées localement. Grâce à la mutualisation des moyens, nous réalisons toutes les économies possibles – c'est vrai dans tous les départements –, à niveau de service constant. Mais les marges ont disparu à présent.
En revanche, les transferts masqués, eux, ne manquent pas et grèvent lourdement les finances départementales. Depuis la loi Peillon de 2013, par exemple, les conseils départementaux assurent la maintenance des systèmes informatiques des collèges. Bien sûr, dit comme cela, certains penseront que mon observation est mesquine.
M. Jean-Claude Carle. Pas du tout !
M. Roger Karoutchi. Elle est pertinente !
M. Bruno Sido. Mais pour les 23 collèges publics de Haute-Marne, cela représente deux marchés publics de 150 000 euros chacun.
Toujours dans le domaine de l’éducation, le passage à la semaine de quatre jours et demi signifie très concrètement un surcoût de 700 000 euros annuels pour les transports scolaires, dans un département à taille humaine. Nous n’avons pas de métro, monsieur le ministre, dans les départements ruraux ! Ces dépenses sont non compensées, et on nous demande maintenant également d’acheter des tablettes à nos collégiens, comme en Corrèze.
Je ne saurais conclure cette petite odyssée au pays des transferts masqués sans mentionner le désengagement de l’État dans l’assistance technique aux communes, l’ATESAT, synonyme d’un transfert de charges direct au département qui, pour le cas haut-marnais, a dû recruter quatre agents. Mais si je devais aller au terme de ce voyage, même Pénélope aurait le temps de terminer sa tapisserie… (Sourires.)
La situation des finances de l’État ne permet pas de dépenser durablement plus. Les départements attendent surtout une répartition claire des responsabilités et l’arrêt de ces transferts qui ne disent pas leur nom. En d’autres termes, ils veulent être enfin traités en partenaires responsables ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative prise par le groupe Les Républicains, qui est à l’origine de ce débat.
En toile de fond, il y a l’idée sous-jacente – mais que certains d’entre nous veulent combattre – d’un affaiblissement permanent des conseils départementaux. Elle s’appuie sur une hypothèse fausse : la simplification du millefeuille et les économies générées seraient la solution universelle.
Le Sénat a pleinement joué son rôle de défenseur des communes et des départements ; c’est à l’honneur de la Haute Assemblée d’avoir combattu la pensée unique. Surtout, c’est à son honneur d’avoir prouvé à tous les inspirateurs politiques qui n’ont jamais dépassé le périphérique parisien que la vie, la vraie vie, est tout autre chose. La vie des départements, c’est avant tout, cela a été dit, la construction des solidarités.
C’est d’abord la solidarité territoriale ; nous sentons ainsi déjà le désir des régions de s’asseoir autour de la table pour préparer leurs futures politiques. Nécessité fait loi : les régions, gigantesques au plan tant géographique que démographique, sont totalement dénuées de réels pouvoirs du point de vue financier.
C’est ensuite la solidarité humaine. Il s’agit probablement là du plus bel engagement de nos collectivités et de la plus noble de toutes les compétences.
Les départements ont des atouts incomparables et surtout non transposables : un immense savoir-faire, une expérience faite de rigueur et de beaucoup d’engagement ainsi qu’une vraie sensibilité que l’on retrouve tant dans la relation avec les élus et dans leur implication sur le terrain que chez l’ensemble de nos travailleurs sociaux, dont on ne parle jamais assez.
Les départements sont donc véritablement les collectivités qui s’imposent. On ne construit pas des dispositifs sociaux du jour au lendemain ; cela demande de l’expérience, des débats permanents et des capacités d’évolution de tous les instants face à une société qui bouge.
La situation financière des départements est dramatique. Depuis cinq ans, ils ont perdu la moitié de leur autonomie fiscale au gré des décisions successives : la taxe professionnelle – cela a été rappelé – et la quasi-totalité des autres impôts, le foncier bâti faisant exception. Cela place les départements en situation de totale subordination, notamment par rapport aux initiatives gouvernementales.
En ce qui concerne la solidarité financière, les engagements de l’État ne sont pas respectés. En moyenne, dans tous les départements, les dotations de l’État baissent chaque année de 10 % et les engagements sociaux – RSA, personnes âgées, handicap, enfance et famille – augmentent de 10 %. La césure se manifeste dans ces deux chiffres. Pour formuler les choses différemment, je dirai que les engagements sociaux, qui doivent relever de la solidarité nationale, sont assurés par les seuls départements. En outre, leurs situations sont très contrastées.
Tout d’abord, l’augmentation du RSA est, qu’on le veuille ou non, une conséquence directe des difficultés du Gouvernement en matière d’emploi. Chacun le sait, la France, contrairement à la majorité des États européens, n’aura pas vu son taux de chômage baisser.
Ensuite, concernant l’APA, les départements font face à des situations très différentes. De très nombreux départements ruraux ont une proportion importante de personnes âgées ; ce sont ceux-là mêmes qui ont les capacités contributives les plus faibles.
Par ailleurs, la prise en charge du handicap est une belle ambition, mais les réponses apportées aux populations handicapées ne sont, à ce jour, malheureusement pas à la hauteur des demandes.
Enfin, s’agissant de la protection de l’enfance, il faut en particulier souligner la situation des départements frontaliers, comme celui que j’ai l’honneur de présider : plus que pour les autres, la charge que représente le nombre croissant de mineurs étrangers isolés explose. Cela est notamment dû à l’existence de véritables filières d’immigration et de réseaux bien tissés.
Sur ces quatre points bien précis, le désengagement de l’État est évident. Chacun le sait, les dotations de départ n’évoluent pas au rythme de la variation des charges obligatoires des départements, contrairement au véritable contrat moral qui avait été passé. Le débat sur les ressources propres des départements doit donc s’engager dans deux directions : la nécessaire prise en charge par l’État de l’évolution des engagements sociaux relevant naturellement de sa responsabilité et la stabilisation, la reconstruction du chapitre des recettes dynamiques que les départements ont perdues.
La situation de dépendance par rapport à l’État est inacceptable. Non seulement nous devons stopper le phénomène de siphonnage mais, surtout, nous devons intervenir pour reconstruire l’autonomie fiscale. Les recentralisations successives, et elles seules, portent la marque d’un véritable archaïsme. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)