Sommaire
Présidence de Mme Françoise Cartron
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Jackie Pierre.
2. Demande de création d’une commission d’enquête
3. Lutte contre le crime organisé et le terrorisme. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 59 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 166 rectifié de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 139 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 180 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 239 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 240 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 181 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 115 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.
Amendement n° 182 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 183 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 184 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Amendement n° 167 rectifié de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 185 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 229 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 2 bis
Amendement n° 39 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 187 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 241 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 142 de Mme Esther Benbassa. – Non soutenu.
Amendement n° 198 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 60 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 242 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 116 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 203 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel avant l’article 4
Amendement n° 117 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 204 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 4 bis A
Amendement n° 57 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 56 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Article additionnel après l'article 4 bis
Amendement n° 110 du Gouvernement. – Retrait.
Amendements identiques nos 10 de Mme Cécile Cukierman et 144 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Pierre Grand. – Devenu sans objet.
Amendement n° 6 rectifié de M. Jean-Pierre Grand. – Devenu sans objet.
Amendement n° 18 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 4 ter A
Amendement n° 225 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 26 rectifié quater de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 215 rectifié du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 244 de la commission. – Rectification.
Amendement n° 244 rectifié de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 4 ter
Amendement n° 101 de M. David Rachline. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 4 quinquies
Amendement n° 65 rectifié bis de M. Bruno Retailleau. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
4. Candidatures à une commission mixte paritaire
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
6. Communication du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
7. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
8. Lutte contre le crime organisé et le terrorisme. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Articles additionnels après l’article 4 sexies
Amendement n° 102 de M. David Rachline. – Non soutenu.
Amendement n° 103 de M. David Rachline. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Amendement n° 211 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 206 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 19 rectifié quater de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Amendement n° 20 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 21 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 22 rectifié quater de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Amendement n° 23 rectifié quater de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Amendement n° 24 rectifié quater de M. Roger Karoutchi. – Adoption.
Amendement n° 25 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 87 rectifié de M. André Reichardt. – Réserve.
Amendement n° 212 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 6
Amendement n° 30 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 74 rectifié de M. André Reichardt. – Retrait.
Amendement n° 87 rectifié de M. André Reichardt. – Retrait.
Amendement n° 28 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Article 7 (précédemment examiné)
Amendement n° 246 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 9 (précédemment examiné)
Amendement n° 216 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 207 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 121 de M. Jacques Bigot. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel avant l'article 12
Amendement n° 100 de M. David Rachline. – Non soutenu.
Amendement n° 13 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 150 de Mme Esther Benbassa. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 12
Amendement n° 226 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 61 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 133 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 14 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 221 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 248 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 151 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 249 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 270 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 219 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 15 bis
Amendement n° 15 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 29 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 134 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 16
Amendement n° 27 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Articles 16 bis A et 16 bis B (nouveaux) – Adoption.
Article additionnel après l'article 16 bis B
Amendement n° 99 rectifié de Mme Anne-Catherine Loisier. – Retrait.
Amendement n° 52 de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 16 quater
Amendement n° 105 rectifié bis de M. Maurice Vincent. – Retrait.
Articles 16 quinquies et 16 sexies – Adoption.
Amendement n° 231 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande de création d’une commission d’enquête
Mme la présidente. Par lettre en date du 29 mars 2016, M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a fait connaître à M. le président du Sénat que son groupe exerçait son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, ainsi que sur l’impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.
3
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (projet n° 445, texte de la commission n° 492 rectifié, rapport n° 491, tomes I et II, avis nos 476 et 474).
Après avoir examiné, hier, les articles et amendements appelés par priorité, nous reprenons le cours normal de la discussion des articles.
Titre Ier (Suite)
Dispositions renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement
Chapitre Ier
Dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires
Article 1er
La section 4 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° A (nouveau) À l’article 706-89, les mots : « , selon les modalités prévues par l’article 706-92, » sont supprimés ;
1° L’article 706-90 est ainsi modifié :
a) Les mots : « , selon les modalités prévues par l’article 706-92, » sont supprimés ;
b) Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’urgence et pour les enquêtes préliminaires concernant une ou plusieurs infractions mentionnées au 11° de l’article 706-73, ces opérations peuvent toutefois concerner des locaux d’habitation en dehors des heures prévues à l’article 59 lorsque leur réalisation est nécessaire afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. » ;
2° L’article 706-91 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Au premier alinéa, le mot : « instruction » est remplacé par le mot : « information » et les mots : « , selon les modalités prévues par l’article 706-92, » sont supprimés ;
b) (nouveau) Il est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Lorsque leur réalisation, dans le cadre d’une information relative à une ou plusieurs infractions mentionnées au 11° de l’article 706-73, est nécessaire afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. » ;
3° L’article 706-92 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– la première phrase est complétée par les mots : « et qu’elles ne peuvent être réalisées pendant les heures prévues à l’article 59 » ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Le magistrat qui les a autorisées est informé dans les meilleurs délais par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire des actes accomplis en application des articles 706-89 à 706-91. » ;
b) Au deuxième alinéa, les références : « par les 1°, 2° et 3° » sont remplacées par les références : « au second alinéa de l’article 706-90 et aux 1° à 4° ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.
M. Jean Louis Masson. Les non-inscrits n’ont bénéficié que d’un temps de parole très limité lors de la discussion générale, et c’est un de mes collègues qui s’est exprimé dans ce cadre. Je profite donc de l’examen de cet article 1er du projet de loi pour formuler quelques remarques d’ordre général.
Ce texte cible directement et prioritairement le crime organisé et le terrorisme. J’en soutiens tout à fait le principe, puisque, effectivement, il y a là une priorité.
Toutefois, selon les récentes déclarations d’un ministre, et je crois qu’il a tout à fait raison, il existe en France une centaine de Molenbeek. Or le crime organisé et le terrorisme trouvent précisément leurs racines dans cette centaine de Molenbeek – je fais confiance au ministre quant à l’ordre de grandeur, le problème n’étant pas de savoir quel est le chiffre exact.
J’exprimerai donc deux regrets : d’une part, ce texte ne va pas assez loin ; d’autre part, les aspects spécifiques à l’existence de cette centaine de Molenbeek, notamment le communautarisme, ne sont pas pris en compte. Il me semble pourtant qu’il faudrait sanctionner pénalement les dérives du communautarisme.
Une telle dimension n’apparaît pas dans le projet de loi. C’est ce regret que j’aurais formulé dans le cadre de la discussion générale, si j’avais pu prendre la parole à cette occasion.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 138 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Cécile Cukierman. L’article 1er du projet de loi vise à inscrire dans notre droit pénal ce qui constituerait, dans certains cas, une absence totale de respect de la vie privée.
Permettre au procureur de la République d’effectuer, à toute heure, des perquisitions dans des locaux d’habitation dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une procédure d’instruction n’offre pas suffisamment de garanties en matière de protection des libertés individuelles, notamment du droit à la vie privée et familiale.
La nécessité d’une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, le JLD, reste un rempart insuffisant.
Le couple de magistrats formé par le procureur et le JLD nécessite des garanties, pour l’instant inexistantes. Tout le monde connaît la « précarité » des juges des libertés et de la détention, leur manque de moyens et, par conséquent, leur difficulté à s’affranchir de toute dépendance à une hiérarchie.
Comme le souligne le Défenseur des droits, la perquisition de nuit au domicile d’une personne constitue une ingérence très grave dans le droit au respect de la vie privée et du domicile, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour européenne des droits de l’homme a déjà estimé, à plusieurs reprises, que, si les États peuvent recourir à de telles mesures pour établir la preuve matérielle d’infractions et poursuivre les auteurs de ces dernières, leur législation et leurs pratiques doivent offrir des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire, tout en respectant les principes de nécessité et de proportionnalité.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposons la suppression de cet article.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les auteurs de cet amendement entendent supprimer l’article 1er, qui tend à prévoir des perquisitions de nuit en période d’enquête préliminaire.
La proposition de loi que nous avons adoptée le 2 février dernier comprend un mécanisme tout à fait analogue, et il n’est pas question de revenir sur cette position. Le procureur de la République de Paris, lors de son audition devant la commission des lois le 9 décembre 2015, avait justement insisté sur la nécessité de pouvoir procéder à des perquisitions de nuit, c’est-à-dire à des moments où vous n’êtes pas forcément attendus, alors que si vous entrez à six heures et une minute dans l’appartement, il se peut qu’on se soit préparé à vous accueillir…
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avons défendu avec constance le principe de cet outil, qui a son utilité en termes d’efficacité des actions engagées et de protection des forces d’intervention et de l’environnement immédiat.
Le Gouvernement émet donc lui aussi un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Pour parer à certains malentendus – il me semble souhaitable, en début de séance, de recadrer un peu les choses… –, je précise que, avec cette demande de suppression de l’article 1er du projet de loi, nous entendons remettre en cause non pas le principe d’un recours aux perquisitions de nuit en cas d’urgence, mais les conditions dans lesquelles celles-ci sont autorisées.
Par conséquent, évitons les méprises. Contrairement à ce que M. le rapporteur a pu laisser entendre, nous ne souhaitons pas que tous les criminels sachent par avance que, s’il y a perquisition, ce sera à six heures une. En revanche, nous ne voulons pas que les dispositifs mis en place dans les cas d’extrême urgence et de grave nécessité soient organisés comme il est prévu dans l’article 1er. C’est ce qui motive notre demande de suppression de cet article.
Hier, certains nous ont taxés d’angélisme. Il s’agit plutôt, mes chers collègues, d’une posture de respect du droit en vigueur, posture qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas montré sa nocivité !
Mme la présidente. L'amendement n° 59 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Bockel, Gabouty, J.P. Fournier et Gournac, Mmes Gatel, Férat et Gruny, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
– à la première phrase, après les mots : « ordonnance écrite », sont insérés les mots : « ou électronique » ;
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement est directement issu des travaux de la commission d’enquête qui a œuvré au sein du Sénat, précisément de sa proposition n° 84.
Je sais bien que les rapports sont faits pour rester dans les tiroirs ! Toutefois, monsieur le garde des sceaux, voilà qu’on nous présente, aujourd'hui, un véhicule législatif qui nous permettrait d’enrichir un dispositif – celui-là même que vous proposez à travers ce texte – qui est déjà très complet.
En matière de terrorisme, a fortiori dans des affaires impliquant des départs potentiels – on en parle tous les jours et, avec plus de 9 000 personnes signalées à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, la situation est extrêmement sérieuse –, il est nécessaire de diligenter les enquêtes rapidement. Cela suppose, comme nous sommes en train de le prévoir, de pouvoir agir à toute heure du jour et de la nuit.
Pour améliorer la célérité des enquêtes, il importe de fluidifier autant que possible les échanges. L’article 706-92 du code de procédure pénale exige une ordonnance écrite pour les autorisations données par le juge des libertés et de la détention, alors que ces procédures pourraient utilement passer par une signature électronique.
La commission d’enquête a effectivement estimé que la signature électronique des actes de procédure d’enquête en matière de terrorisme pouvait très bien avoir cours.
Un certain nombre de membres de cette commission d’enquête, y compris moi-même, qui l’ai présidée, proposent donc de permettre au juge des libertés et de la détention de signer électroniquement les autorisations prévues par les articles 706-89 à 706-96 du code de procédure pénale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Sur le fond, nous ne pouvons qu’être favorables à l’idée de simplifier les procédures en autorisant le recours à la dématérialisation.
Toutefois, introduire une telle précision, par le biais de cet amendement, pour ce seul acte d’enquête pose un problème de méthode.
Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, dite « Bas », que nous avons adoptée, nous avions abordé cette question et choisi de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir les conditions dans lesquelles les actes d’enquête, d’instruction ou les décisions juridictionnelles pouvaient revêtir un caractère dématérialisé.
Je souhaite donc connaître la position du Gouvernement avant de rendre un avis définitif, car, je le répète, l’amendement tend à ne s’intéresser qu’à un seul acte, alors que celui-ci s’inscrit dans un ensemble.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement est satisfait par l’article 801-1 du code de procédure pénale, qui dispose : « Tous les actes mentionnés au présent code, qu’il s’agisse d’actes d’enquête ou d’instruction ou de décisions juridictionnelles, peuvent être revêtus d’une signature numérique ou électronique, selon des modalités qui sont précisées par décret en Conseil d’État. »
Le décret en Conseil d’État a été pris le 18 juin 2010. Il s’agit du décret relatif à la signature électronique et numérique en matière pénale et modifiant certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 59 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. L’excellent rapporteur de la commission d’enquête, qui se trouvait être un ancien président de la commission des lois, avait estimé, quant à lui, que l’article 801-1 du code de procédure pénale, tout juste mentionné par vos soins, monsieur le garde des sceaux, bien que visant l’exhaustivité des actes de procédure, ne s’appliquait pas forcément aux autorisations prévues aux articles 706-89 à 706-96, en raison de la nécessité expresse d’une « ordonnance écrite ». Le décret pris, semble-t-il, ne mentionnerait pas ce détail…
Je vais retirer donc mon amendement, au bénéfice de vos explications. Néanmoins, une grande confiance n’excluant pas une petite méfiance, je vérifierai tout de même les dispositions du décret. La navette nous permettra peut-être, si besoin, de revenir sur le sujet. En effet, s’il y a un secteur dans lequel on peut envisager d’accélérer les procédures, c’est bien la lutte contre le terrorisme !
Je retire donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 59 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 166 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 92 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 92. – Le juge d'instruction peut se transporter sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions. Il en donne avis au procureur de la République, qui a la faculté de l'accompagner, et en informe obligatoirement l’avocat de la personne perquisitionnée. »
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Alors que l’arsenal antiterroriste ne cesse de se développer, il convient de renforcer toutes les garanties juridiques nécessaires, afin de limiter les risques d’atteinte aux droits et libertés individuels, et éviter ainsi la permanence d’un État d’exception.
L’article 1er de ce projet de loi tend à permettre des perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation. Il est en outre prévu, dans ce cadre, que les perquisitions de nuit puissent être opérées de façon préventive, lorsqu’il s’agira de « prévenir un risque sérieux d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ».
Jusqu’à présent, ces perquisitions n’étaient autorisées qu’en matière de criminalité ou de délinquance organisée, dans le cadre de l’enquête de flagrance. Au stade de l’enquête, cette mesure attentatoire aux libertés est désormais sous le contrôle du parquet, et l’exercice des droits de la défense n’est pas garanti. Pourtant, il n’y a pas de justice équitable sans avocat et de respect des droits de la défense sans contrôle des actions de l’autorité administrative !
Au 1er février 2016, quelque 3 210 perquisitions avaient été menées dans le cadre de l’état d’urgence. Or, seules deux procédures d’enquête ont été ouvertes, dont une ayant débouché sur une mise en examen. Depuis la fin du mois de novembre 2015, le Défenseur des droits a reçu 49 réclamations liées à des perquisitions et des assignations à résidence.
En janvier 2016, Human Rights Watch a recueilli une vingtaine de témoignages de personnes ayant indiqué avoir été soumises à des perquisitions abusives dans le cadre de l’état d’urgence. Les récits de ces opérations sont saisissants et, monsieur le garde des sceaux, posent quelques questions. Il ne faut évidemment pas généraliser, nous en sommes conscients, mais nous ne pouvons et ne devons pas les ignorer.
C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de permettre à l’avocat, en qualité de garant des libertés individuelles fondamentales, d’être informé dès le début d’une perquisition nocturne, afin qu’il puisse s’assurer que les droits de la personne concernée sont respectés. Il s’agit là, pour nous, d’un rempart efficace face aux dérives qui pourraient advenir.
Nous proposons donc l’insertion, dans le texte, d’un article additionnel allant dans ce sens.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer les dispositions en vertu desquelles le juge d’instruction est toujours assisté d’un greffier et ses opérations font l’objet d’un procès-verbal.
Il me semble poser un problème de faisabilité, car une personne perquisitionnée n’a pas toujours d’avocat. En outre, la perquisition n’est pas une mesure de contrainte, puisque la personne perquisitionnée, si elle n’est pas mise en examen, n’a aucune obligation d’y assister. Dans ce cas, le juge d’instruction l’effectue en présence de deux proches ou, à défaut, de deux témoins.
Par ailleurs, l’objet de l’amendement vise les perquisitions de nuit, alors que son dispositif assujettit toutes les perquisitions à ce formalisme.
J’ajoute enfin que, si la perquisition débouche sur une garde à vue, les droits de la défense pourront alors s’exercer dans les conditions prévues par le code de procédure pénale.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement estime notamment que l’essentiel de cet amendement est satisfait par l’article 27 quinquies A, adopté par la commission des lois du Sénat. Cet article tend à prévoir que l’avocat de la personne gardée à vue est avisé en cas de décision du juge d’instruction de procéder à un transport dans le temps de la garde à vue.
Le Gouvernement partage également le point de vue du rapporteur. D’une part, toutes les personnes perquisitionnées – la perquisition étant le premier acte de l’enquête – n’ont évidemment pas désigné, au préalable, un avocat. D’autre part, les perquisitions peuvent être menées à bien chez des personnes qui détiennent des documents utiles, mais ne sont pas, elles-mêmes, directement suspectées. Dès lors, il n’y a aucune raison d’informer leur avocat.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Les dispositions de cet amendement, je tiens à le souligner, vont parfaitement à l’encontre des orientations du texte que nous examinons !
Compliquer l’action de la police et de la justice, c’est perdre en efficacité et, très honnêtement, si l’on s’appesantit souvent sur la question du jour ou de la nuit pour les perquisitions, il me semble que la différence n’est pas fondamentale. Je présume qu’il n’est jamais très agréable, dans l’absolu, de subir une perquisition, que celle-ci ait lieu le jour ou la nuit.
En tout cas, si c’est pour prévoir tout un encadrement des perquisitions, autant ne pas mener d’enquêtes ! Si l’on prévient Dupont, Durand ou je ne sais qui, il est évident qu’il n’y aura plus personne au moment où les forces de l’ordre viendront perquisitionner.
Je suis donc tout à fait hostile à cette proposition.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 166 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
La section 5 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est complétée par des articles 706-95-1 à 706-95-3 ainsi rédigés :
« Art. 706-95-1. – Si les nécessités de l’enquête relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire requis par le procureur de la République à accéder, en tous lieux, aux correspondances numériques émises, reçues ou stockées sur une adresse électronique si cette dernière fait l’objet d’une autorisation d’interception en application de l’article 706-95, dans la limite de la durée de cette autorisation. Les données auxquelles il aura été permis d’accéder peuvent être saisies et enregistrées ou copiées sur tout support.
« Art. 706-95-2. – Si les nécessités de l’information relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge d’instruction peut autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à accéder, en tous lieux, aux correspondances numériques émises, reçues ou stockées sur une adresse électronique si cette dernière fait l’objet d’une autorisation d’interception en application des articles 100 à 100-5, dans la limite de la durée de cette autorisation. Les données auxquelles il aura été permis d’accéder peuvent être saisies et enregistrées ou copiées sur tout support.
« Art. 706-95-3. – Les opérations mentionnées aux articles 706-95-2 et 706-95-3 sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées et ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision de ce magistrat.
« Le fait que les opérations prévues au présent article révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »
Mme la présidente. L'amendement n° 139, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 1er bis, issu d’un amendement du rapporteur, instaure un nouveau cadre légal permettant la saisie de correspondances à l’insu de la personne concernée, de manière indépendante de la perquisition.
Cette saisie serait possible dès lors qu’une interception de l’adresse électronique a été autorisée dans les conditions prévues aux articles 100 et suivants du code de procédure pénale.
Une telle mesure nous paraît pour le moins excessive et gravement attentatoire aux droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée. Par conséquent, nous en demandons la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le régime de saisie de données de messagerie électronique, en l’assimilant à celui de la perquisition.
Or ce sont deux choses très différentes, et assimiler le régime de saisie de ces données de messagerie électronique à une perquisition reviendrait à rendre impossible cette opération ! L’instauration d’un tel régime de saisie répond à une demande ancienne des magistrats, et ceux d’entre eux que nous avons auditionnés à plusieurs reprises nous ont expliqué qu’elle répondait à un besoin très important dans la conduite de leurs enquêtes.
C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas faire autrement que d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Initialement, le Gouvernement n’estimait pas nécessaire de prévoir un régime de perquisition administrative informatique dans la mesure où le projet de loi autorisait la captation de données informatiques via des logiciels dédiés. Toutefois, le recours à ceux-ci, recommandé dans des enquêtes d’une particulière complexité, étant coûteux et ardu, le Gouvernement a évolué et comprend désormais le souhait du rapporteur de trancher une question jurisprudentielle soulevée par la Cour de cassation.
Par conséquent, le Gouvernement préfère débattre des propositions du rapporteur, plutôt que de supprimer l’article 1er bis. Il formulera d’ailleurs des suggestions, afin d’enrichir le texte de la commission.
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous vous écouterons, monsieur le garde des sceaux !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 180 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3, premières phrases
Remplacer les références :
des articles 706-73 et 706-73-1
par la référence :
du 11° de l’article 706-73
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Par cet amendement, nous ne demandons pas la suppression de l’article 1er bis. Nous proposons simplement de limiter le champ d’application de l'interception et du stockage des correspondances électroniques, mesure que tout le monde reconnaît comme étant très attentatoire à la vie privée des personnes concernées, en le restreignant aux cas prévus par le 11° de l’article 706-73 du code de procédure pénale, c'est-à-dire aux « crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ».
Notre objectif est de réellement circonscrire cette mesure aux faits de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Comme vient de le rappeler M. Mézard, cet amendement a pour objet de circonscrire l’application du régime de saisie des correspondances aux seuls actes de terrorisme.
Pour notre part, nous souhaitons viser toutes les infractions liées à la criminalité organisée, et ce pour une raison simple : le Gouvernement nous a montré ces dernières semaines et ces derniers mois la porosité qui existe entre les diverses infractions relevant de la criminalité organisée et les affaires de terrorisme, en matière de financement comme de trafics de tous ordres.
Mon cher collègue, puisque vous êtes sans doute convaincu par cette explication (Sourires.),…
M. Jacques Mézard. Oh non !
M. Michel Mercier, rapporteur. … vous pouvez aller jusqu’à faire le choix de l’efficacité et à retirer votre amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le projet de loi, monsieur Mézard, ne porte pas seulement sur le terrorisme ; il porte également sur la criminalité organisée. Or celle-ci est de plus en plus technicisée, de plus en plus internationalisée et de plus en plus conseillée sur le plan juridique.
Bien souvent, parce que cette criminalité est indolore en apparence, la lutte qui doit être engagée contre elle n’est pas à la hauteur de l’exigence requise. Or un délit tel que la fraude à la taxe carbone peut conduire des États à la ruine. Il ne faut donc pas se priver d’outils qui ont démontré leur efficacité dans cette lutte pour la protection des intérêts des États. Au contraire, il faut faire montre d’une très grande détermination et adapter constamment notre droit dans ce domaine.
C’est pourquoi je suis tout à fait hostile à cet amendement, sur lequel j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. La disposition visée à l’article 1er bis n’est ni mineure ni neutre. J’entends le discours, en partie justifié, selon lequel la criminalité organisée, en bande, est, sinon la racine du terrorisme, du moins un élément qui facilite le passage vers celui-ci.
Toutefois, une fois que l’on a dit cela, « en profiter » – pardonnez-moi ce mot, qui n’est pas très heureux – pour étendre ce type de mesure, profondément attentatoire à la vie privée, à tout ce qui relève de la délinquance organisée, c’est autoriser, pour pratiquement n’importe quel motif, l’accès aux correspondances numériques, donc l’intrusion dans la vie privée. Il faut en être conscient.
La liste des incriminations visées à l’article 706-73 du code de procédure pénale est considérable. Sous le couvert, une nouvelle fois, de la lutte – justifiée – contre le terrorisme, on ouvre là une brèche béante.
Monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, j’entends vos arguments et, je le répète, je ne demande pas la suppression de l’article 1er bis, car je comprends sa pertinence et sa nécessité pour certaines infractions. Mais ce qui me pose problème, c’est que vous ouvriez aussi largement le champ des infractions pouvant justifier ces intrusions dans la vie privée.
Ensuite, il faut faire confiance aux magistrats qui seront chargés d’appliquer la loi sur le terrain. Toutefois, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, si, dans la plupart des cas, la confiance est effectivement la règle, il peut toujours y avoir des dérives. Personne n’y pourra jamais rien, même le meilleur garde des sceaux.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je veux vous rassurer, monsieur Mézard : dans ses différentes décisions, le Conseil constitutionnel a, de manière constante, limitativement dressé la liste des articles du code de procédure pénale concernés, précisément afin d’éviter le risque évident de « contamination » que vous dénoncez.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, je comprends bien vos propos, mais j’ai une question à vous poser : ces interceptions seront-elles effectuées par la plate-forme nationale des interceptions judiciaires, la PNIJ, qui fonctionne si bien, ou bien par un autre moyen ? Que l’on puisse procéder, de façon dérogatoire, à des interceptions dans le cadre d’affaires de terrorisme, nous en sommes bien d’accord, mais le problème est de savoir qui y procédera, compte tenu des soucis rencontrés par la PNIJ.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme vous le constaterez, mes chers collègues, nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant précisément à cerner le champ d’application des différentes dispositions prévues dans ce projet de loi.
Cet argument de la porosité m’inquiète quelque peu : si l’on considère qu’est concernée toute activité qui peut entrer dans le cadre d’une activité terroriste, par exemple conduire un véhicule automobile, le risque est que cela nous mène assez loin… Je ne dis pas que c’est facile, monsieur le garde des sceaux, et on l’a bien vu hier soir, lors de l’examen de l’article 18, mais je m’étonne tout de même que vous n’essayiez pas de « border » le recours à ces techniques.
Quant à la surveillance bienveillante du Conseil constitutionnel, je crains que, dans la vie réelle, elle ne soit un peu évanescente. (M. Roger Karoutchi rit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Madame Goulet, j’ai lu en effet que la PNIJ suscitait quelques interrogations, que je prends en compte. Nous aurons l’occasion d’évoquer ce problème lors de l’examen de l’article 31 octies, que la commission a modifié, afin de reporter au 1er janvier 2018 sa date d’entrée en vigueur.
En l’état actuel des pratiques, un tiers des interceptions judiciaires est effectué par la PNIJ, les deux autres tiers l’étant par des prestataires privés. L’objectif du Gouvernement est une montée en puissance progressive de la PNIJ, de sorte que celle-ci réalise toutes les interceptions judiciaires à compter du 1er janvier 2017.
Mme la présidente. L'amendement n° 239, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
si cette dernière fait l'objet d'une autorisation d'interception en application de l'article 706-95, dans la limite de la durée de cette autorisation
par les mots :
ou au moyen d'un identifiant informatique
II. - Alinéa 3, première phrase
Remplacer les mots :
si cette dernière fait l'objet d'une autorisation d'interception en application des articles 100 à 100-5, dans la limite de la durée de cette autorisation
par les mots :
ou au moyen d'un identifiant informatique
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à améliorer l'efficacité du dispositif de saisie des correspondances électroniques, d’une part, en supprimant la restriction tenant à la mise en œuvre préalable d’une interception judiciaire, dans la mesure où il peut être nécessaire de rechercher les éléments stockés sur une adresse électronique qui n’est plus active, et, d’autre part, en précisant que la saisie peut concerner une adresse mél ou un identifiant informatique afin de tenir compte du fait que les échanges interviennent pour une large part via des applications telles que Whatsapp ou Skype.
M. Alain Bertrand. Et en français, cela donne quoi ? (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ? Et en français ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je serais bien incapable de m’exprimer dans une autre langue, madame la présidente !
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.
(L'article 1er bis est adopté.)
Article 2
La section 5 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est complété par les mots : « et du recueil des données techniques de connexion » ;
2° Sont ajoutés des articles 706-95-4 à 706-95-10 ainsi rédigés :
« Art. 706-95-4. – I. – Si les nécessités de l’enquête relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 du présent code l’exigent, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, autoriser les officiers de police judiciaire à utiliser un appareil ou un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé. L’autorisation est délivrée pour une durée maximale d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions.
« II. – Le juge des libertés et de la détention peut également, dans les mêmes conditions, autoriser l’utilisation de cet appareil ou de ce dispositif afin d’intercepter des correspondances émises ou reçues par un équipement terminal. Les modalités prévues aux articles 100-4 à 100-7 du présent code sont alors applicables et les attributions confiées au juge d’instruction ou à l’officier de police judiciaire commis par lui sont exercées par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire requis par ce magistrat. L’autorisation est délivrée pour une durée maximale de quarante-huit heures, renouvelable une fois dans les mêmes conditions.
« III. – En cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, l’autorisation mentionnée aux I et II peut être délivrée par le procureur de la République. Elle comporte l’énoncé des circonstances de fait établissant l’existence du risque imminent. L’autorisation doit alors être confirmée par le juge des libertés et de la détention dans un délai maximal de vingt-quatre heures. À défaut, il est mis fin à l’opération et les données ou correspondances sont immédiatement détruites.
« Le juge des libertés et de la détention qui a délivré ou confirmé l’autorisation est informé dans les meilleurs délais par le procureur de la République des actes accomplis en application du présent article et des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation.
« Art. 706-95-5. – I. – Si les nécessités de l’information relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 du présent code l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser les officiers de police judiciaire à utiliser un appareil ou un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé. L’autorisation est délivrée pour une durée maximale de deux mois, renouvelable dans les mêmes conditions.
« II. – Le juge d’instruction peut également, dans les mêmes conditions, autoriser l’utilisation de cet appareil ou de ce dispositif afin d’intercepter des correspondances émises ou reçues par un équipement terminal. Les modalités prévues aux articles 100-4 à 100-7 du présent code sont alors applicables. L’autorisation est délivrée pour une durée maximale de quarante-huit heures, renouvelable une fois dans les mêmes conditions.
« Art. 706-95-6. – Les autorisations mentionnées aux articles 706-95-4 et 706-95-5 font l’objet d’une ordonnance écrite et motivée. Cette ordonnance n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.
« Art. 706-95-7. – Les opérations mentionnées aux articles 706-95-4 et 706-95-5 sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées et ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision de ce magistrat.
« Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
« Art. 706-95-8. – Le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire peut requérir tout agent qualifié d’un service, d’une unité ou d’un organisme placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et dont la liste est fixée par décret, en vue de procéder à l’utilisation de l’appareil ou du dispositif technique mentionné aux articles 706-95-4 et 706-95-5.
« Art. 706-95-9. – L’officier de police judiciaire dresse un procès-verbal des opérations effectuées en application des I des articles 706-95-4 et 706-95-5. Ce procès-verbal mentionne la date et l’heure auxquelles chacune des opérations nécessaires a commencé et celles auxquelles elle s’est terminée.
« L’officier de police judiciaire joint au procès-verbal les données recueillies qui sont utiles à la manifestation de la vérité.
« Art. 706-95-10. – Les données collectées en application des I des articles 706-95-4 et 706-95-5 sont détruites dès qu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec l’autorisation délivrée. Celles qui sont utiles à la manifestation de la vérité sont détruites à l’expiration du délai de prescription de l’action publique ou lorsqu’une décision définitive a été rendue au fond. Ces destructions sont effectuées à la diligence du procureur de la République ou du procureur général. Il est dressé procès-verbal de l’opération de destruction.
« Les correspondances interceptées en application des II des articles 706-95-4 et 706-95-5 sont détruites dès qu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec l’autorisation délivrée, dans la limite du délai prévu à l’article 100-6. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 140 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Cécile Cukierman. Cet article étend au parquet la technique récemment autorisée aux services de renseignement d’ « IMSI-catching », qui permet de capter, par le biais d’une fausse antenne relais, les données de connexion de toutes les personnes détenant un périphérique électronique dans une zone géographique déterminée.
L’utilisation de ces appareils par les services de renseignement a été particulièrement débattue lors de l’examen de la loi relative au renseignement, et aussi lors de sa première réintégration dans la proposition de loi de Philippe Bas adoptée le 2 février par le Sénat.
Nous réitérons donc notre ferme opposition à l’usage de ces nouvelles techniques, très intrusives, qui permettent de capter des données de connexion dans un large périmètre. En effet, il s’agit d’une méthode de collecte de renseignements dite « au chalut », même s’il est possible de faire ensuite un tri ou un assemblage, selon certains critères. Elle permet ainsi la collecte, ou le brouillage, de données sur des rayons extrêmement larges, au-delà de la personne ciblée par la surveillance.
Certes, des techniques de renseignement doivent être renforcées et nous devons en user, particulièrement dans le contexte que nous connaissons. Toutefois, ces techniques, sur lesquelles nous n’avons d’ailleurs aucun retour d’expérience quant aux conséquences attentatoires aux libertés publiques qu’elles portent en elles, ne présentent pas encore assez de garanties pour que leur usage soit démultiplié.
Nous étendons l’usage de ce dispositif sans étendre avec lui l’encadrement – si limité soit-il, comme nous l’avions dit en son temps – que prévoit la loi relative au renseignement. Même si la commission des lois a quelque peu amélioré la rédaction de cet article, je le concède,…
M. Michel Mercier, rapporteur. Merci !
Mme Cécile Cukierman. … en le rendant « moins pire », si j’ose dire, il ne nous satisfait toujours pas. Reste notamment en suspens la question de la conservation des données : comment celles-ci seront-elles conservées, et pour combien de temps ? Il faut répondre à ces questions, car il y va de la protection des libertés individuelles.
De plus, que font les services de renseignement ? La loi relative au renseignement était déjà justifiée à l’époque par la menace terroriste, les nouveaux moyens devant permettre de répondre à cette dernière. Ces services ne peuvent-ils pas travailler de concert avec les services enquêteurs ? Le prétendu vide juridique en la matière serait comblé au détriment du véritable vide organisationnel et de moyens qui, lui, reste béant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 140.
Mme Esther Benbassa. Dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, l’article 2 du projet de loi permettait, en matière de criminalité et de délinquance organisées, au juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, ou au juge d’instruction d’autoriser les officiers de police judiciaire à installer des IMSI-catchers pour recueillir les données de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur.
La réécriture de l’article 2 par le rapporteur a encore élargi les possibilités offertes aux autorités judiciaires d’avoir recours aux IMSI-catchers pour intercepter des correspondances émises ou reçues par un équipement terminal. Finalement, les IMSI-catchers recueilleront aussi bien les données techniques, c’est-à-dire toutes celles qui encapsulent une conversation, que le contenu des échanges.
Nous considérons que cette disposition est bien trop attentatoire aux libertés individuelles et au droit à la vie privée et qu’elle doit donc être supprimée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements visent à supprimer l’article 2, relatif à l’IMSI-catcher. Pour être agréable à M. Bertrand, et probablement à beaucoup d’autres parmi nous, ainsi qu’à moi-même d’ailleurs, je propose de nommer cet appareil : « Chasseur de l’identité mobile internationale de l’abonné ». (Exclamations amusées.)
M. Alain Bertrand. Merci !
Mme Nathalie Goulet. Mais cela fait encore plus peur !
M. Roger Karoutchi. C’est encore moins compréhensible !
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous avons autorisé l’utilisation de ce moyen d’enquête électronique par les services de renseignement voilà quelques mois.
Aujourd’hui, il s’agit tout simplement de permettre à l’autorité judiciaire, via les services de police compétents, bien sûr, d’utiliser les mêmes technologies pour poursuivre les infractions liées à la criminalité organisée et de terrorisme. Priver l’autorité judiciaire de ce dont nous avons doté les services de renseignement ne me semble pas être une bonne méthode.
Par conséquent, la commission sollicite le retrait de ces deux amendements ; à défaut – je sais que j’ai peu de chance d’être entendu ! –, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sans surprise, le Gouvernement n’est pas favorable, lui non plus, à ces deux amendements.
Je profite de l’occasion pour préciser de nouveau ce que sont ces outils, qui sont régulièrement évoqués dans nos débats et sur lesquels je lis et entends un certain nombre de choses inexactes sur le plan technique.
Comme il s’agit d’un outil récent qui n’est pas encore d’une grande notoriété, on lui prête beaucoup de capacités, ce qui appelle de ma part des précisions.
Les IMSI-catchers – pardonnez-moi, monsieur le rapporteur – ont deux fonctions : la première est de collecter les deux identifiants d’un téléphone, à savoir le numéro de la carte Sim, carte que nous connaissons tous, et son code dit « IMEI », c’est-à-dire le numéro du boîtier, un seul boîtier pouvant accueillir plusieurs cartes Sim.
Or la collecte indistincte de ces données n’a strictement aucun intérêt et constitue de toute façon une très faible intrusion dans la vie privée : cette collecte n’est pas plus intrusive que la publication de ses coordonnées dans les Pages blanches aujourd’hui, ou dans l’annuaire hier, qui permettait de consulter, par exemple, le numéro de téléphone de M. Urvoas, son adresse et sa commune de résidence. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
La collecte de ces données présente donc peu d’intérêt. Ce que veulent les enquêteurs, c’est savoir à qui appartient tel numéro. À cette fin, ils doivent pratiquer une triangulation et installer leur outil dans les différents endroits où ils pensent que la personne qu’ils surveillent se promène, de façon à rapprocher les données et à identifier le même numéro à trois ou quatre reprises, ce qui n’est pas possible en un seul endroit. Ensuite, la recherche s’apparente à de l’annuaire inversé.
Tous les numéros qui sont collectés dans le cadre de la triangulation n’ont strictement aucun intérêt, justement parce qu’ils sont uniques. Ce qui est recherché, c’est le numéro qui apparaît de manière répétée, celui de la personne suspectée. D’ailleurs, les collectes massives sont gênantes pour les enquêteurs, qui, je le répète, ne recherchent qu’un seul numéro.
Cette technique permet également une seconde utilisation, à savoir l’interception judiciaire. Celle-ci étant effectivement intrusive, un encadrement fixé par la loi est indispensable. Tel est l’objet de ces dispositions, y compris de celles que la commission des lois du Sénat a adoptées et qui minorent quelque peu, à nos yeux, l’encadrement que le Gouvernement appelait de ses vœux, tout en maintenant néanmoins les capacités d’enquête – nous reviendrons sur ce point tout à l’heure.
Pour les interceptions judiciaires, l’enquêteur connaît déjà le numéro visé et n’entre que ce numéro, ce qui signifie que l’IMSI-catcher ne sert plus que sur un seul numéro : il ne capte pas, par capillarité, toutes les autres conversations aux alentours ; il ne s’intéresse qu’au numéro que l’enquêteur a entré dans l’outil. L’IMSI-catcher agit dans ce cas comme un relais pour le téléphone. Pour toutes ces raisons, cet outil est bien encadré aujourd’hui.
Madame Cukierman, la loi relative au renseignement – je parle devant des membres de la délégation parlementaire au renseignement – n’avait pas vocation initialement à lutter contre le terrorisme. Elle visait précisément à encadrer les moyens des services de renseignement qui sont utiles pour lutter contre le terrorisme. Il s’agissait à l’origine d’éviter des pratiques en dehors du droit, qu’il fallait réglementer de façon à accroître leur efficacité.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le garde des sceaux, si cet outil est si insignifiant, pourquoi s’attarde-t-on sur ce sujet ? Procédant au quotidien à une utilisation très simple du téléphone portable et d’autres appareils électroniques, je ne vois pas pourquoi ceux qui connaissent le numéro de téléphone procéderaient à un tri pour trouver ce numéro, dans la mesure où les IMSI-catchers captent un ensemble, et pas un seul numéro. (M. le garde des sceaux le conteste.) Si, monsieur le garde des sceaux !
Nous sommes un peu ici dans la science-fiction ! En réalité, l’IMSI-catcher va bien au-delà de ces détails et n’est pas anodin ; il suffit de se renseigner sur ce procédé pour s’en convaincre. Lors d’une manifestation, l’IMSI-catcher capte les différents numéros de téléphone des personnes qui sont entrées en communication. Ce n’est pas magique : si les services de renseignement connaissent le numéro en question, pour quelle raison auraient-ils besoin de cette technique ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 140.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 240, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° L’intitulé est ainsi rédigé :
« Des interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques et du recueil des données techniques de connexion
II. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l’article 706-95, le mot : « télécommunications » est remplacé par les mots : « communications électroniques » ;
III. – Alinéa 8, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sans que la durée totale des opérations ne puisse excéder six mois
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Au travers de cet amendement, il est proposé de rétablir le principe d'une durée maximale d'autorisation de l'IMSI-catcher au cours de l'instruction, étant entendu que ce délai s’apprécie au regard d'un objectif ou d'une personne et ne vise donc pas à limiter à six mois la durée d'utilisation de l'IMSI-catcher au sein de la même information judiciaire. Le juge d'instruction pourra d’ailleurs renouveler son autorisation d'utilisation de cette technique avec une nouvelle ordonnance.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement comprend l’intention exprimée par M. le rapporteur et y est favorable. Néanmoins, il s’interroge sur des évolutions d’écriture qui pourraient être apportées au moment de la commission mixte paritaire. En effet, cet amendement vise plus l’outil que la finalité. Il est à craindre que, l’outil devenant caduc, les dispositions de l’amendement ne perdent de leur intérêt. Or vous cherchez bien à encadrer une finalité.
Sous ces réserves, qui ne paraissent pas difficiles à lever dans le cadre de la commission mixte paritaire, à laquelle le Gouvernement ne participe pas, mais qu’il est prêt à nourrir par des réflexions préalables,…
M. Michel Mercier, rapporteur. Cette pratique existe déjà !
Mme la présidente. L'amendement n° 181 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 8, premières phrases
Remplacer les mots :
des articles 706-73 et 706-73-1
par les mots :
du 11° de l’article 706-73
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement devrait recueillir un avis favorable, puisque cette technique innocente ne sert pas à grand-chose (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe CRC.), même si elle peut servir à lutter contre le terrorisme…
L’objet de cet amendement est donc de prévoir que cette technique ne servira qu’à la lutte contre le terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’avis de la commission est identique à celui qu’elle a émis pour le précédent amendement défendu par M. Mézard.
M. Collombat le sait parfaitement, l’IMSI-catcher peut servir à poursuivre et confondre des trafiquants d’armes ou de drogue, qui peuvent ensuite verser dans le terrorisme. Vouloir limiter l’utilisation de cette technique aux seules infractions terroristes ne me semble pas très efficace.
Pour cette raison, je suggère à M. Collombat de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage le point de vue de la commission, non que votre argument ne soit pas convaincant, monsieur Collombat, mais parce qu’il souhaite que le texte porte sur la criminalité organisée. Il ne faut pas, à nos yeux, priver l’État des moyens de lutter contre la criminalité organisée.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Bis repetita…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non placent ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Je pensais que, avec un peu de réflexion, M. le rapporteur serait convaincu par l’excellence de nos arguments. Je constate qu’il n’en est rien. (Nouveaux sourires.)
Quoi qu’il en soit, j’ai apprécié les explications techniques de M. le garde des sceaux, car il est important que l’on sache de quoi il s’agit, pour éviter toute spéculation sur un fonctionnement qui serait catastrophique pour les libertés individuelles, mais aussi pour en déduire les conséquences réelles par rapport au respect de celles-ci. Tel est la mission de la délégation parlementaire au renseignement.
Il serait opportun que nous ayons un jour un débat précis sur tout ce qui concerne les interceptions de correspondances et les écoutes téléphoniques, notamment. Au fil des rapports et des discussions, on entend que plusieurs dizaines de milliers d’interceptions seraient ordonnées tous les ans par le pouvoir exécutif. Je ne sais pas ce que l’on en fait, mais il serait tout de même intéressant…
Mme Cécile Cukierman. De savoir !
M. Jacques Mézard. … d’avoir une notion de ce qui se passe réellement, sans prendre de cas particuliers, et d’essayer d’en tirer la substantifique moelle, afin de remettre les choses dans un cadre précis, pour faciliter la sécurité, mais aussi pour favoriser le respect des libertés individuelles.
Nous maintiendrons donc cet amendement, car ses dispositions s’inscrivent dans la droite ligne de nos objectifs et de nos traditions. Nous considérons qu’il est dangereux d’étendre cette technique à tout ce qui concerne la criminalité organisée.
Mme la présidente. L'amendement n° 115 rectifié, présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard et Leconte, Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Remplacer les mots :
dès qu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec l’autorisation délivrée
par les mots :
lorsqu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec l’autorisation délivrée, dans un délai maximum de trois mois
La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Nous avons débattu assez longuement en commission des limites qu’il fallait apporter au stockage des informations issues de la collecte par IMSI-catcher. Cet amendement s’inscrit dans le droit fil des explications de M. le garde des sceaux : il s’agit de toutes les données – numéros et identifiants informatiques – qui ont été collectées et qui ne présentent aucune utilité.
Sur notre demande, la commission a modifié l’article 706-95-10 du code de procédure pénale. Désormais, la destruction des données non utiles à l’enquête a lieu sous la responsabilité du procureur qui dirige cette dernière.
Au travers de cet amendement, nous souhaitons ajouter que la destruction des données sans lien avec l’autorisation accordée doit avoir lieu dans le mois qui suit leur collecte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement, d’abord, en raison des critères de fonctionnement de l’IMSI-catcher – je suis déjà intervenu sur ce point –, ensuite, parce que ces dispositions privent la défense de la capacité d’accéder aux données pour vérifier la probité des opérations conduites, et, enfin, parce qu’aucune précision ne figure sur l’autorité qui prendra la décision de les ordonner.
Le Gouvernement sollicite donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Il est écrit dans l’article que, dans tous les cas, c’est le procureur qui a cette responsabilité. Si vous souhaitez qu’il en reste des traces, pour que l’on sache quels numéros ont été collectés sans utilité, nous pouvons ajouter que le procès-verbal en sera dressé.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En réalité, le Gouvernement est contre l’alinéa que vous évoquez à l’instant et sur lequel il souhaite des modifications dans le cadre de l’examen de l’article 2, comme j’aurai l’occasion de le dire prochainement.
S’agissant des interceptions, je suis parfaitement d’accord avec vous, monsieur Mézard, car il faut distinguer deux régimes : celui des interceptions judiciaires et celui des interceptions administratives. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Or les deux régimes ne fonctionnent pas de la même manière, ce qui entraîne une confusion.
Selon mes informations, on compte chaque année environ 350 000 réquisitions judiciaires de données de connexion, pour 60 000 interceptions, à la réserve près que, dans le cadre judiciaire, une interception correspond à une ligne téléphonique, et il est donc possible que moins de 60 000 personnes soient écoutées. En revanche, quelque 6 400 interceptions administratives sont recensées. La différence est importante, mais chaque interception administrative peut valoir pour dix téléphones.
Par conséquent, les deux régimes ne sont pas comparables, et toute volonté du Parlement de clarifier à l’avenir la situation recueillera l’assentiment du Gouvernement.
Mme la présidente. Monsieur Richard, l'amendement n° 115 rectifié est-il maintenu ?
M. Alain Richard. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 182 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 16, troisième phrase
Remplacer les mots :
procureur général
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement tend à s’inscrire dans la droite ligne d’amendements que nous avions soutenus hier. La mention du juge des libertés et de la détention, le JLD, semble plus pertinente que celle du procureur général concernant les demandes de destruction de données inutiles collectées par la technologie IMSI-catcher, non parce que nous aurions une méfiance particulière à l’égard du parquet, mais parce que celui-ci a une autre vocation que le magistrat du siège.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s’agit, au travers de cet amendement, de remplacer le procureur général par le juge des libertés et de la détention comme autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle les données sont détruites.
Je comprends le souci de M. Mézard de faire émerger le juge des libertés et de la détention compte tenu de l’objet de ce projet de loi, qui vise à exhausser le JLD et à envisager la présentation, dans des délais assez brefs, d’un statut du juge des libertés et de la détention, puisque la nature de ses fonctions est largement modifiée.
Très honnêtement, s’agissant de la destruction de données informatiques, il faut en rester aux règles habituelles selon lesquelles le parquet, c'est-à-dire le procureur de la République ou le procureur général, est compétent, et non le JLD, qui n’a pas les moyens de veiller à cette destruction.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’a aucun argument supplémentaire à ajouter aux propos de M. le rapporteur. Il émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. J’ajouterai pour ma part des arguments techniques.
Tout d’abord, la compétence est donnée au parquet général, c’est-à-dire au procureur général. À partir du moment où l’on cite le parquet général, les opérations auront lieu sous son autorité.
Ensuite, s’agissant des parquets, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, nous avons une certaine expérience concernant toute une série de dossiers. Il est malheureusement habituel, faute de moyens humains et matériels – il ne s'agit pas là de mauvaise volonté –, que les justiciables n’aient strictement aucune nouvelle les concernant : pour des centaines de milliers de dossiers, aucune notification n’est effectuée sur les classements sans suite, les poursuites inopportunes, etc. Je crains qu’il n’en aille de même pour les actes qui nous intéressent ici.
Mme la présidente. L'amendement n° 183 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Toute personne concernée par les données ainsi collectées sans lien avec l’autorisation délivrée peut saisir le juge des libertés et de la détention afin d’obtenir la communication du procès-verbal de l’opération de destruction.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à aménager une voie de recours aux personnes qui, en raison de leur proximité géographique avec les personnes ciblées par la collecte de données au moyen de la technologie IMSI-catcher, verraient leurs données personnelles collectées, sans que cela soit utile à la procédure ayant justifié la collecte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui s’inscrit dans le droit fil du précédent, vise à ce que toute personne ayant été concernée par la collecte de données sans lien avec l’autorisation puisse obtenir copie du procès-verbal de l’opération de destruction.
Cette précision est intéressante, mais, comme l’a dit lui-même M. Mézard lors des précisions qu’il a apportées sur l’amendement précédent, elle ne présente pas de portée pratique : comment une telle personne peut-elle être au courant que des données ont été recueillies et qu’elles ont ensuite été détruites ?
Mme Cécile Cukierman. C’est tout le problème !
M. Michel Mercier, rapporteur. Le tambour de ville ne va pas passer pour l’annoncer ! (Sourires.) Une telle voie de recours serait au surplus susceptible d’engorger les juridictions de nombreuses demandes. Par conséquent, pour des raisons pratiques, et même si je comprends bien l’intérêt théorique et intellectuel de l’amendement, qui est grand, le système qui nous est présenté ne peut pas fonctionner.
C’est pourquoi je demande instamment à M. Mézard de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, la commission sera contrainte d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement était aussi très dubitatif, puisque, au-delà du fait que chacun d’entre nous ne connaît pas son numéro IMSI, pas plus qu’il ne connaît son numéro IMEI, savoir que l’un de ses numéros a été collecté par un outil est assez peu plausible. De surcroît, je le rappelle, les outils collectent un grand nombre de numéros, et il est impossible de les relier entre eux, puisque seul le numéro de la personne recherché fait l’objet d’une autorisation.
Le Gouvernement ne comprend pas l’intérêt pratique de cette disposition. Il émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je vais tenter d’éclairer le Gouvernement, ce qui est difficile – parce qu’il est déjà très savant, bien sûr ! (Sourires.)
Nous constatons malheureusement tous les jours la porosité totale de tout ce qui concerne la justice avec les médias. C’est une réalité, le secret de l’instruction est une vaste farce dans notre pays ! Par conséquent, avec la loi relative au renseignement et une série d’autres dispositions législatives, un jour ou l’autre, il y aura un problème, qu’on l’appelle « scandale » ou autrement.
C’est inéluctable, et aucun gouvernement ne pourra y échapper, car cela va de pair avec ce type de législation. Un certain nombre d’éléments seront nécessairement communiqués au public : telle ou telle personne constatera qu’elle a été « prise dans le chalut » contre sa volonté. De telles situations ne sont pas des hypothèses d’école : si l’on peut espérer qu’elles ne surviendront pas de manière très fréquente, elles se produiront de manière inéluctable !
Mme la présidente. L'amendement n° 184 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 16
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le recours au recueil des données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé, à l’aide d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal est rendu public six mois après son utilisation.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Défendre un tel amendement reviendrait à se livrer à de l’acharnement thérapeutique… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Dans certains cas, cela peut être utile ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Certes, cher collègue, mais je ne tiens pas à donner à M. le rapporteur l’occasion de développer davantage encore l’argumentation spécieuse qu’il a précédemment exposée !
M. Michel Mercier, rapporteur. Merci, monsieur Mézard !
M. Jacques Mézard. Aussi, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 184 rectifié est retiré.
L'amendement n° 167 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Bouchoux et Blandin, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. 706-95-… – La mise en œuvre du dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou d’un numéro d’abonnement de son utilisateur ne peut avoir lieu à proximité du bureau ou du domicile d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction.
« La mise en œuvre du dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou d’un numéro d’abonnement de son utilisateur ne peut avoir lieu à proximité du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction.
« La mise en œuvre du dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou d’un numéro d’abonnement de son utilisateur ne peut avoir lieu à proximité du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
« La mise en œuvre de la technique prévue par le présent article pour un parlementaire, un avocat ou un magistrat ne peut être ordonnée que par décision motivée du président du tribunal de grande instance, statuant en qualité de juges des libertés et de la détention, saisi par ordonnance motivée du juge d’instruction, lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a participé, comme auteur ou complice, à la commission de l’infraction.
« Le juge d’instruction communique aux personnes devant en être informées en application des trois premiers alinéas du présent article une copie de l’ordonnance du président du tribunal de grande instance, statuant en qualité de juge des libertés et de la détention. »
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Nous nous opposons à la mise en œuvre des IMSI-catchers en tant que tels. Toutefois, si ces derniers devaient être déployés, nous estimons que leur utilisation devrait être strictement encadrée.
Ce dispositif particulièrement intrusif permet une surveillance généralisée et indifférenciée. Aussi constitue-t-il un danger pour le secret professionnel des parlementaires, des magistrats et des avocats. Le secret associé à l’exercice de leurs missions est l’un des fondements d’une société démocratique. Il doit donc être préservé.
De surcroît, de telles techniques se heurtent frontalement et radicalement à l’exigence de proportionnalité, que doit respecter toute restriction au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense. En particulier, elles permettent de collecter des données relevant de la confidentialité des échanges entre un justiciable et son avocat.
Aussi, il convient d’exclure ces fonctions du régime des autorisations de recours au dispositif d’IMSI-catcher, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 23 juillet 2015, cette juridiction a confirmé l’importance de la protection du secret professionnel. À plusieurs reprises, elle a au surplus précisé que les atteintes portées au respect de la vie privée devaient être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif de prévention visé. Force est de le constater, suivant le lieu où il est installé, l’IMSI-catcher est susceptible de violer ces deux principes.
De même, le Conseil constitutionnel a défini l’impératif de « rigueur nécessaire », résultant de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce principe suppose un contrôle de la proportionnalité entre la gravité des mesures portant atteinte à la liberté individuelle et les objectifs justifiant cette atteinte.
L’application au dispositif d’IMSI-catcher de ce principe de rigueur nécessaire met au jour les atteintes excessives que cette technologie inflige au droit au respect de la vie privée.
C’est la raison pour laquelle nous demandons un encadrement beaucoup plus strict.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. À mon sens, la technique d’enquête dont il s’agit ici ne peut être employée dans les conditions qui viennent d’être détaillées. Les dispositions du présent amendement me semblent donc totalement inapplicables. Comment savoir qu’un agent se situera à proximité d’un cabinet d’avocats, du bureau d’un parlementaire ou d’un autre des lieux visés ?
Au reste, de récents arrêts de la Cour de cassation ont traduit de profondes évolutions en la matière. Sauf erreur de ma part, la chambre criminelle de cette juridiction a, il y a peu, apporté des précisions relatives à un domaine similaire. Je ne vois donc pas comment le dispositif que cet amendement tend à instituer pourrait fonctionner.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Tout d’abord, nous demandons à être convaincus de la nocivité de la collecte du numéro IMSI ou IMEI : celle-ci n’est pas démontrée.
Ensuite, il est matériellement impossible de savoir au préalable si le domicile ou le cabinet d’une des personnalités évoquées sera compris, ou non, dans le champ d’action de l’appareil considéré. Si tel était le cas, la proximité des cabinets d’avocats pourrait devenir un refuge, du fait de l’interdiction de surveillance. On pourrait ainsi aboutir à des situations paradoxales !
Le Gouvernement émet donc, naturellement, un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 185 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 706-95-… – La portée de l’appareil ou le dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé, ne peut être d’un rayon supérieur à deux cents mètres.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nous souhaitons nous assurer que l’usage des captations effectuées concernera un minimum de personnes collatérales, étant donné les capacités des technologies actuelles, dont le rayon varie entre deux mètres et quelques centaines de mètres.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que l’IMSI-catcher ne saurait avoir une portée supérieure à 200 mètres. Cette mention est intéressante, mais, à notre sens, elle relève du pouvoir réglementaire. (M. Jacques Mézard rit.)
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Mézard, les IMSI-catchers n’émettent pas jusqu’à 200 mètres !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En fixant une limite si haute, vous élargissez considérablement l’usage potentiel de cet outil, nonobstant les précisions que j’ai précédemment fournies : en la matière, on cherche une triangulation. Plus l’espace ciblé est restreint, mieux c’est pour l’enquêteur.
Non seulement de telles mesures relèvent plutôt du champ réglementaire, mais, si vous souhaitez nourrir les normes en question, je vous invite à resserrer la focale. Je le répète, un plafond de 200 mètres est beaucoup trop élevé !
Mme la présidente. Monsieur Mézard, l’amendement n° 185 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Si la commission et le Gouvernement le souhaitent, je peux rectifier mon amendement en limitant la portée des IMSI-catchers à cinq mètres… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Disons 120 mètres !
M. Michel Mercier, rapporteur. Ou 129 mètres !
M. Jacques Mézard. Cette disposition est peut-être d’ordre réglementaire, mais, je le rappelle à l’intention de M. le rapporteur, qui peut le plus peut le moins !
M. Michel Mercier, rapporteur. Voyons, monsieur Mézard, et l’article 37 de la Constitution ?…
M. Jacques Mézard. Bien entendu, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 185 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2 bis
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 229, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L'article 706-104 du code de procédure pénale est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 706-104. – Les mesures prévues par les sections 5 à 6 bis du présent chapitre ne peuvent être ordonnées à l'encontre d'un député, d'un sénateur, d'un magistrat ou d'un avocat à raison de l'exercice de son mandat ou de sa profession, sauf si elles sont indispensables en raison de l'existence préalable d'indices qu'il a participé à la commission d'une infraction. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement tend à rétablir un article figurant dans le texte transmis au Sénat, qui rappelle expressément les exigences conventionnelles et constitutionnelles protégeant les droits de la défense et la séparation des pouvoirs. Si cet article ne fait pas référence aux journalistes, c’est parce que les garanties propres à cette profession sont incluses dans la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, texte dont la Haute Assemblée est actuellement saisie.
Le présent amendement a pour objet les techniques d’enquête évoquées dans le présent projet de loi. Ses dispositions sont complétées par celles de l’amendement n° 234, pour le cas spécifique de la géolocalisation.
Pour l’ensemble de ces actes d’enquête, conformément aux décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, il est préférable que la loi énonce cette précision : ces mesures ne peuvent être ordonnées que si elles apparaissent indispensables, en raison de l’existence préalable d’indices laissant présumer la participation de professionnels concernés à une infraction.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Si la commission a supprimé cet article, c’est parce que les protections dont il s’agit sont déjà organisées par d’autres dispositions législatives. Cette mention nous a donc paru superfétatoire.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. On peut se demander s’il est nécessaire de réserver, en la matière, un traitement spécial aux députés, aux sénateurs ou à d’autres.
Pour ma part, je suis quelque peu surpris que les parlementaires, les magistrats ou les avocats bénéficient systématiquement d’un régime particulier.
Avec cet amendement, on permettrait d’espionner qui que ce soit, à l’exception des personnes exerçant lesdites fonctions. Néanmoins, pourquoi instaurer des protections supplémentaires en faveur des parlementaires et des avocats ? Et pourquoi ne pas ajouter à cette liste telle ou telle autre catégorie susceptible de bénéficier d’un traitement de faveur ?
Nous devons être traités comme tous les citoyens. L’opinion exprime déjà, à divers titres, suffisamment de réserves au sujet des parlementaires. Ce n’est pas la peine d’en rajouter !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je me permets de poser cette question : le Gouvernement confirme-t-il ce qu’avance la commission, à savoir qu’une disposition protectrice ayant le même effet figure déjà dans le code de procédure pénale ? Si tel est le cas, notre confrontation n’est peut-être pas utile.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement estime qu’il est parfois utile de rappeler des évidences. On peut certes lui reprocher de proposer un article déclamatoire. Néanmoins, ces dispositions ont compté pour beaucoup au titre des protections inscrites dans la loi relative au renseignement. Les rappeler dans un texte traitant non du domaine administratif, mais du champ judiciaire nous paraît donc judicieux.
M. Alain Richard. Cette mention ne figure donc pas dans le code de procédure pénale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. En matière pénale, il existe des dispositions protectrices relatives aux perquisitions et aux interceptions, notamment pour ce qui concerne les correspondances, ou encore aux techniques spéciales d’enquête et à la géolocalisation. Ces mesures nous paraissent suffisantes. Il ne nous semble pas pertinent de les rappeler une nouvelle fois : l’objectif est déjà atteint à travers les lois en vigueur !
Mme la présidente. En conséquence, l’article 2 bis demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 2 bis
Mme la présidente. L'amendement n° 39, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l'article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, l'action civile d'une victime ou de ses ayants droit est irrecevable lorsque le crime ou le délit ayant causé le dommage à celle-ci a été la conséquence directe et immédiate d'un crime ou d'un délit commis volontairement par celle-ci. »
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. De nombreux faits divers mettent au jour le caractère trop restrictif de la légitime défense. Ce problème s’observe notamment pour l’utilisation des armes de service par les forces de police.
La police devrait, à ce titre, disposer des mêmes pouvoirs que la gendarmerie : quand un délinquant ou un criminel force un barrage de police, rien ne justifie que les fonctionnaires présents ne puissent automatiquement faire usage de leurs armes.
De surcroît, lorsque le motif de légitime défense n’est pas retenu, la famille de l’auteur d’une agression, ou l’intéressé lui-même s’il est encore vivant, peut se constituer partie civile contre une victime ou contre les forces de l’ordre ayant riposté dans le feu de l’action : c’est un comble selon moi, et la plupart de nos concitoyens sont de cet avis !
Le fait que les auteurs de crimes ou de délits ou leurs ayants droit puissent, hors le cas de légitime défense, se constituer partie civile contre leurs victimes, voire contre les forces de l’ordre, paraît choquant à bien des égards.
Aussi, le présent amendement tend à ce que l’action civile des intéressés devienne irrecevable lorsque le crime ou le délit leur ayant causé dommage est la conséquence directe d’un crime ou d’un délit commis volontairement par ladite victime.
Mes chers collègues, des cas de cette nature se présentent régulièrement. Récemment encore, dans le département dont je suis l’élu, un délinquant a été arrêté par un policier qui, pour l’intercepter, a dû lui lancer une poubelle. Ce délinquant roulait en moto : il s’est cassé la jambe. Il s’est donc porté partie civile contre l’agent de police, en l’accusant d’être à l’origine de son préjudice.
Voilà l’un des multiples exemples du laxisme de notre législation. À tout le moins, il serait souhaitable qu’une personne, lorsqu’elle commet un crime ou un délit, sache très bien qu’elle ne pourra pas, dans un second temps, réclamer des dommages et intérêts si ce méfait lui a valu des blessures.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Le présent amendement vise à rendre irrecevable l’action civile en réparation lorsque le dommage causé à la victime est la conséquence directe et immédiate d’un crime ou d’un délit commis volontairement par celle-ci.
À mes yeux, cette proposition est extrêmement discutable.
Mme Cécile Cukierman. Bien dit !
M. Michel Mercier, rapporteur. Elle s’oppose à un droit fondamental garanti pour tout citoyen, à savoir le droit au recours, que l’on ne saurait limiter.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Michel Mercier, rapporteur. Au demeurant – c’est une évidence –, le droit au recours n’implique en rien la satisfaction du recours.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Michel Mercier, rapporteur. En toute logique, si les représentants de l’ordre ont fait un usage proportionné de la force, le juge en tiendra compte et dédouanera le fonctionnaire poursuivi. A contrario, si la force a été employée de manière disproportionnée, il est normal qu’une réparation soit fixée par le juge.
Cet amendement tend à porter atteinte à ce droit fondamental dont dispose tout citoyen français qu’est le droit au recours : il ne peut donc que recevoir un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 39.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
La section 6 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° L’article 706-96 est ainsi rédigé :
« Art. 706-96. – Si les nécessités de l’enquête relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, autoriser les officiers et agents de police judiciaire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé.
« En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné au premier alinéa du présent article, le juge des libertés et de la détention peut autoriser l’introduction dans un véhicule ou un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l’article 59, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l’occupant des lieux ou de toute personne titulaire d’un droit sur ceux-ci. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d’autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous son contrôle. Le présent alinéa s’applique aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place.
« La mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les lieux mentionnés aux articles 56-1, 56-2 et 56-3 ni être mise en œuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes mentionnées à l’article 100-7. » ;
2° Après l’article 706-96, il est inséré un article 706-96-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-96-1. – Si les nécessités de l’information relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser les officiers et agents de police judiciaire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé.
« En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné au premier alinéa, le juge d'instruction peut autoriser l'introduction dans un véhicule ou un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l'article 59, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l'occupant des lieux ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci. S'il s'agit d'un lieu d'habitation et que l'opération doit intervenir hors des heures prévues à l'article 59, cette autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d'instruction. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d'autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction. Les dispositions du présent alinéa sont également applicables aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place.
« La mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les lieux visés aux articles 56-1, 56-2 et 56-3 ni être mise en œuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes visées à l'article 100-7. » ;
3° Les articles 706-97 et 706-98 sont ainsi rédigés :
« Art. 706-97. – Les autorisations mentionnées aux articles 706-96 et 706-96-1 font l’objet d’une ordonnance écrite et motivée qui comporte tous les éléments permettant d’identifier les véhicules ou les lieux privés ou publics visés, l’infraction qui motive le recours à ces mesures ainsi que la durée de celles-ci. Cette ordonnance n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.
« Art. 706-98. – L’autorisation mentionnée à l’article 706-96 est délivrée pour une durée maximale d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions.
« L’autorisation mentionnée à l’article 706-96-1 est délivrée pour une durée maximale de deux mois, renouvelable dans les mêmes conditions. » ;
4° Après l’article 706-98, il est inséré un article 706-98-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-98-1. – Les opérations mentionnées aux articles 706-96 et 706-96-1 sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées.
« Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision de ce magistrat ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. » ;
5° L’article 706-99 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, les mots : « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui » sont remplacés par les mots : « Le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire requis en application des articles 706-96 et 706-96-1 » et la référence : « à l’article 706-96 » est remplacée par les références : « aux mêmes articles 706-96 et 706-96-1 » ;
b) Au second alinéa, la référence : « par l’article 706-96 » est remplacée par les références : « aux articles 706-96 et 706-96-1 » ;
6° Au début de la première phrase du premier alinéa de l’article 706-100, les mots : « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui » sont remplacés par les mots : « Le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire requis en application des articles 706-96 et 706-96-1 » ;
7° L’article 706-101 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, les mots : « Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui » sont remplacés par les mots : « Le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire requis en application des articles 706-96 et 706-96-1 » ;
b) Il est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Aucune séquence relative à la vie privée étrangère aux infractions visées dans les décisions autorisant la mesure ne peut être conservée dans le dossier de la procédure. » ;
8°Après l’article 706-101, il est inséré un article 706-101-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-101-1. – Le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l’opération mentionnée à l’article 706-96 est informé dans les meilleurs délais par le procureur de la République des actes accomplis en application du même article 706-96 et des procès-verbaux dressés en application des articles 706-100 et 706-101. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 9 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 141 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Cécile Cukierman. Le présent article permet au parquet de prendre des mesures de captation des données informatiques pour « les nécessités de l’enquête », sans donner davantage de précisions. Sont ainsi visées les enquêtes préliminaires et les enquêtes de flagrance. Or notre droit actuel n’accorde cette faculté qu’au juge d’instruction.
En outre, il s’agit de capter et d’enregistrer, non plus seulement les données qui s’affichent sur l’écran de l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, mais l’ensemble du contenu stocké. Il s’agit donc de mener de véritables perquisitions informatiques. Ces dernières soulèvent un certain nombre de problèmes, que décrypte très bien l’association La Quadrature du net.
Toutes les données stockées sont visées, sans aucune limitation dans le passé. La technique est employée sans le consentement des intéressés, sans leur présence et sans celle de deux témoins, soit dans des conditions plus défavorables que les perquisitions dites « matérielles ».
Les données captées ne font pas l’objet d’une copie sécurisée : dès lors, rien n’assure qu’elles ne seront pas modifiées après coup. Enfin, dans le cadre des instructions, à la différence de l’enquête, les autorisations de captation de données peuvent être attribuées pour une durée de quatre mois renouvelables jusqu’à deux ans. Étant donné l’ampleur de l’intrusion opérée via ces techniques et via la captation massive de données, une telle durée ne semble pas justifiée.
Au total, ces mesures particulièrement intrusives portent atteinte à l’inviolabilité du domicile comme à la vie privée. C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 141.
Mme Esther Benbassa. Dans la rédaction résultant des travaux de la commission, l’article 3 permet l’autorisation, sous conditions, de la sonorisation, de la fixation d’images et de la captation de données en enquête de flagrance ou préliminaire, ainsi que l’interception des courriels déjà archivés.
Nous ne souscrivons pas à la volonté d’accorder d’importants pouvoirs supplémentaires au parquet au titre des enquêtes préliminaires. De surcroît, la technique considérée nous paraît largement attentatoire aux droits de protection des données personnelles.
Nous avons déjà émis de nombreuses réserves quant à l’emploi des IMSI-catchers par les services de renseignement. Par cohérence, nous demandons donc la suppression de ces dispositions.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements identiques tendent à supprimer le présent article et, avec lui, la possibilité d’utiliser la technique de sonorisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et de l’instruction.
Mes chers collègues, ces dispositions ont été adoptées par le Sénat le 2 février dernier : la Haute Assemblée ne saurait changer d’avis en moins de deux mois !
Je le répète, il s’agit d’assurer l’efficacité des procédures employées sous l’autorité du procureur, donc du pouvoir judiciaire. Ces méthodes seront autorisées dans le cadre des enquêtes préliminaires, conduites et dirigées par les magistrats.
Par définition, l’autorité judiciaire protège nos concitoyens de toute intrusion qui serait contraire à la loi et à l’objet de l’enquête : c’est ce que nous a rappelé le procureur général Beaume, lors de son audition devant notre commission. Or on ne peut pas suspecter M. Beaume d’être hostile aux libertés publiques !
Doter le parquet des moyens technologiques modernes qu’utilisent très largement les individus se livrant à la criminalité organisée me paraît la moindre des choses, si l’on veut que la justice lutte à armes égales contre les bandits ou les terroristes procédant en bande organisée.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est hostile à la suppression de cet article, lequel concerne les outils que l’on appelle en anglais keyloggers et, en français, « chevaux de Troie ».
Ces techniques permettront au procureur de sauvegarder des preuves. Leur utilisation requiert, certes, des garanties. Le texte en prévoit trois : premièrement, un champ d’application limité au crime organisé et au terrorisme ; deuxièmement, l’obligation du recours au juge, puisqu’une autorisation du juge des libertés et de la détention, le JLD, est nécessaire ; troisièmement, la limitation dans le temps, puisque l’autorisation est délivrée seulement pour un mois renouvelable pendant la durée de l’enquête menée par le parquet.
Avec ces garanties, l’outil mis en place dans cet article sera extrêmement efficace, dans l’intérêt de la sauvegarde des preuves.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 et 141.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 187 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 7
Remplacer les références :
des articles 706-73 et 706-73-1
par la référence :
du 11° de l’article 706-73
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Charles Revet. Il ne faut pas désespérer !
M. Jacques Mézard. Je ne désespère jamais, cher collègue. Notre groupe privilégie la cohérence et la continuité dans l’action !
Nous n’avons pas demandé la suppression de cet article et nous considérons que ces techniques peuvent être utilisées pour lutter contre le terrorisme. Nous posons toutefois toujours la même question, qui concerne l’éventail, très vaste, de ce qui peut constituer le crime organisé, selon le code pénal.
M. le garde des sceaux a utilisé le mot « efficace », lequel, nous en sommes d’accord, s’applique à ces procédés. Nous avons entendu que leur mise en œuvre serait conditionnée à l’aval du juge des libertés et de la détention, puisqu’elle nécessiterait une requête du procureur de la République. Il en va de même en ce qui concerne la limitation dans le temps.
En revanche, il s’agit de dispositifs techniques ayant pour objet la captation, la fixation, la transmission, l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement, évidemment, des intéressés.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler à certains les dérives auxquelles peuvent donner lieu les écoutes téléphoniques… Ceux qui nourrissent des velléités de durcissement continuel de la législation doivent savoir que ces dispositions ne vont pas sans certains inconvénients indirects. De tels procédés ne sont pas neutres. Ils sont efficaces, mais jusqu’où doit-on étendre leur utilisation ?
Les définitions issues des incriminations pour crime organisé nous paraissent extrêmement larges. De telles mesures pouvant être utilisées en cascade, elles présentent des inconvénients qu’il sera trop tard pour critiquer quand certaines affaires parviendront aux oreilles du public !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. M. Mézard a fait valoir sa cohérence absolue. C’est tout à fait exact.
Toutefois, je relève que son amendement vise à supprimer les alinéas 3 et 7 de l’article 3. Or le second de ces alinéas est présent dans notre droit depuis 2004.
M. Pierre-Yves Collombat. Pourquoi changer la loi maintenant, alors ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous vivons avec ces dispositions depuis douze ans sans que les craintes de M. Mézard se soient concrétisées. Cela prouve que l’autorité judiciaire remplit parfaitement son office.
Restreindre le champ d’application de la sonorisation douze ans après reviendrait probablement à priver de l’essentiel de leurs travaux les cabinets d’instruction d’une certaine juridiction interrégionale spécialisée, ou JIRS, située en dessous du quarante-cinquième parallèle ! Très honnêtement, il ne me paraîtrait pas normal d’agir de la sorte.
L’utilisation de cette procédure par les procureurs de la République est subordonnée à l’autorisation du JLD. Des garanties existent donc. Restreindre le champ de cette technique apparaîtrait, dès lors, comme un signe de défiance vis-à-vis de la justice, alors même que la loi relative au renseignement, qui vient d’être votée par le Parlement, prévoit que la technique de sonorisation peut être utilisée pour remplir tous les objectifs de l’action des services de renseignements.
M. Jacques Mézard. Je n’ai pas voté en sa faveur !
M. Michel Mercier, rapporteur. Elle n’en a pas moins été adoptée, monsieur Mézard.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Elle a également été validée par le Conseil constitutionnel.
M. Michel Mercier, rapporteur. Tout à fait, monsieur le garde des sceaux. On ne peut tout de même pas donner moins à la justice qu’à nos services de renseignement…
Monsieur Mézard, je suis certain que vous partagez ce sentiment au plus profond de vous-même ! Afin de vous aider à l’assumer, j’émets un avis défavorable sur cet amendement. (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, même si je n’ai pas l’ambition de suivre le rapporteur dans le décryptage des idées profondes de M. Mézard. (Nouveaux sourires.)
Nous avons un désaccord. À mon sens, cette technique doit être utilisée pour divers objets. J’ai déjà eu l’occasion de défendre ce point de vue.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite revenir sur les arguments – ils sont toujours extraordinaires ! – énoncés par notre rapporteur.
Premièrement, l’avenir ne serait qu’au renforcement de la répression, pour tout. On ne pourra donc jamais revenir en arrière, ne serait-ce que parce que la situation se sera améliorée. Non, il faut toujours en rajouter ! Pourtant, il est toujours possible de modifier des textes dans un sens contraire.
Deuxièmement, si les mesures prévues à l’alinéa 7 s’appliquent déjà, pourquoi les réintroduire dans la loi ?
Les arguments présentés me paraissent donc tout à fait étranges. De même, si la justice et le renseignement sont la même chose, pourquoi avoir deux services ? Faisons donc comme dans les pays bien organisés, où renseignement et justice vont ensemble. Cela ne vous rappelle rien, monsieur le rapporteur ? Ah, ces systèmes sont efficaces ! (Sourires sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. L’amendement n° 241, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par les mots :
, sans que la durée totale des opérations ne puisse excéder deux ans.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. De la même manière que pour l’IMSI-catcher, il est proposé de rétablir une limitation à deux ans, en instruction, pour une opération de sonorisation.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet article permet au parquet de réagir dans l’urgence en demandant la mise en place de ces dispositifs de captation de données afin de sauvegarder des preuves. La commission des lois a complètement réécrit le dispositif ; ce faisant, elle a supprimé la durée maximale de deux ans de recours à ces techniques et a diminué la durée initiale de quatre à deux mois dans le cadre de l’instruction.
Le présent amendement vise à rétablir une disposition du Gouvernement, en réintroduisant une durée maximale de deux ans de recours à la sonorisation et à la captation, ce qui permet d’harmoniser le recours aux techniques d’enquête spéciales.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 3 bis A (nouveau)
I. – La section 6 bis du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° Les articles 706-102-1 à 706-102-3 sont ainsi rédigés :
« Art. 706-102-1. – Si les nécessités de l’enquête concernant une infraction entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire requis par le procureur de la République à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles sont stockées dans un système informatique, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu’elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels.
« Le procureur de la République peut désigner toute personne physique ou morale qualifiée, en vue d’effectuer les opérations techniques permettant la réalisation du dispositif technique mentionné au premier alinéa. Le procureur de la République peut également prescrire le recours aux moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale selon les formes prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier.
« Art. 706-102-2. – Si les nécessités de l’information concernant une infraction entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles sont stockées dans un système informatique, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu’elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels.
« Le juge d’instruction peut désigner toute personne physique ou morale qualifiée, en vue d’effectuer les opérations techniques permettant la réalisation du dispositif technique mentionné au premier alinéa. Le juge d’instruction peut également prescrire le recours aux moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale selon les formes prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier.
« Art. 706-102-3. – À peine de nullité, la décision du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction prise en application des articles 706-102-1 et 706-102-2 précise l’infraction qui motive le recours à ces opérations, la localisation exacte ou la description détaillée des systèmes de traitement automatisé de données ainsi que la durée des opérations.
« L’autorisation prise en application de l’article 706-102-1 est délivrée pour une durée maximale d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions. L’autorisation prise en application de l’article 706-102-2 est délivrée pour une durée maximale de quatre mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions. »
2° Le premier alinéa de l’article 706-102-4 est ainsi rédigé :
« Les opérations prévues à la présente section sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées, qui peut ordonner à tout moment leur interruption, et ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans les décisions de ce magistrat. » ;
3° L’article 706-102-5 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– à la première phrase, la référence : « à l’article 706-102-1, » est remplacée par les mots : « aux articles 706-102-1 et 706-102-2, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou » ;
– à la deuxième phrase, après les mots : « à cette fin », sont insérés les mots : « par le procureur de la République ou » ;
– à l’avant-dernière phrase, après le mot : « contrôle », sont insérés les mots : « du juge des libertés et de la détention ou » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– à la première phrase, la référence : « à l’article 706-102-1, » est remplacée par les mots : « aux articles 706-102-1 et 706-102-2, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou » ;
– à la deuxième phrase, après le mot : « contrôle », sont insérés les mots : « du juge des libertés et de la détention ou » ;
4° À l’article 706-102-6 et à la première phrase du premier alinéa de l’article 706-102-7, après les mots : « commis par lui », sont insérés les mots : « ou requis par le procureur de la République » et la référence : « à l’article 706-102-1 » est remplacée par les références : « aux articles 706-102-1 et 706-102-2 » ;
5° À la première phrase du premier alinéa de l’article 706-102-8, après les mots : « commis par lui », sont insérés les mots : « ou requis par le procureur de la République ».
II. – À l’article 226-3 du code pénal, après la référence : « 706-102-1 », est insérée la référence : « et 706-102-2 ».
Mme la présidente. L’amendement n° 142, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 198 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Rédiger ainsi le début de cette phrase :
Concernant une infraction entrant dans le champ d’application du 11° de l’article 706-73, le procureur de la République…
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Là encore, il s’agit non pas, par cet amendement, de supprimer l’article, mais de limiter le champ d’application du recours aux moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale en le restreignant aux cas prévus par l’alinéa 11 de l’article 706-73, c’est-à-dire aux « crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ».
Avec cet article 3 bis A, une nouvelle étape est franchie, qui justifie l’adoption de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les dispositions de cet amendement s’apparentent à la précédente proposition défendue par MM. Mézard et Collombat. Il s’agit de restreindre le champ d’application de la technologie mise en œuvre par le centre technique d’assistance, le CTA.
Je le rappelle, la lutte contre le terrorisme est globale, l’action terroriste se préparant souvent dans le cadre de la criminalité organisée. Celle-ci est donc également visée par ce texte. Il importe de s’en tenir, malheureusement, à cette réalité.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 60 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Bockel, Gabouty, J.P. Fournier et Gournac, Mmes Gatel, Férat et Gruny, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. – Au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les mots : « aux articles 706-102-1 du code de procédure pénale et » sont remplacés par les mots : « par l’article ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Dans le prolongement de la proposition n° 83 du rapport de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, cet amendement a pour objet d’exclure les captations de données informatiques mises en œuvre par les magistrats dans le cadre de la procédure prévue à l’article 706-102-1 du code de procédure pénale du régime de l’autorisation ministérielle prévue par l’article 226-3 du code pénal.
Le maintien de l’autorisation ministérielle prive la technique de la captation de données de la souplesse nécessaire à son efficacité, alors même que nous venons de voter – avec plus ou moins de bonne humeur, monsieur le rapporteur ! – une batterie de dispositions visant précisément à plus de souplesse.
En outre, maintenir l’office du juge sous le régime d’une autorisation ministérielle semble contrevenir quelque peu au principe de la séparation des pouvoirs.
J’ajoute que, à mon sens, toutes les dispositions que nous venons d’adopter devraient être utilement complétées par l’interdiction des cartes de téléphone prépayées et anonymes. À défaut, elles ne serviraient à rien. En effet, les gens qui fomentent un mauvais coup n’auraient qu’à acheter une carte sans identification dans un bureau de tabac, puis à jeter la puce. Tous les IMSI-catchers du monde n’y pourront rien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement posent, au fond, la question du fonctionnement de l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Si tout allait bien, en effet, exiger l’agrément de cette agence pour les dispositifs de captation de données à distance ne poserait aucun problème. Or le processus souffre de retards. L’obtention de l’agrément de l’ANSSI pour un logiciel est très longue.
Je souhaite donc entendre l’avis du Gouvernement sur cet amendement, dans la mesure où le fonctionnement de cette agence est de son ressort.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cette question revient régulièrement, et nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer. Il existe une confusion. La disposition en cause date de 2011 ; elle a été introduite dans la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI », et elle est très protectrice.
L’habilitation par l’ANSSI est nécessaire, sinon les enquêteurs seraient conduits à faire appel à d’autres logiciels, qui ne bénéficieraient pas des mêmes garanties de sécurité. Des logiciels pourraient donc, passez-moi l’expression, être « vérolés », et risqueraient alors de polluer l’ensemble du dispositif.
Le faible nombre d’outils labellisés est le fait non pas de l’ANSSI, mais des industriels, qui ne déposent pas de demandes. À ma connaissance, seules deux l’ont été. C’est l’incapacité des industriels à proposer des solutions qui explique que le marché soit, somme toute, assez restreint.
Pour des raisons de sécurité, de protection, de garantie et d’intégrité, il faut absolument, à mon sens, maintenir la labellisation par l’ANSSI.
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 60 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, je vous ai entendu. Vous faites apparaître les limites des commissions d’enquête et des préconisations de leurs rapporteurs !
Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 60 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 3 bis A.
(L’article 3 bis A est adopté.)
Article 3 bis B (nouveau)
Après l’article 706-24-1 du code de procédure pénale, il est rétabli un article 706-24-2 ainsi rédigé :
« Art. 706-24-2. – Pour les investigations relatives aux infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-16, les officiers et agents de police judiciaire, affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme, peuvent être autorisés, par une décision spécialement motivée du procureur de la République de Paris, à poursuivre les opérations prévues aux articles 706-80, 706-81, 706-95, 706-95-1, 706-95-4, 706-96 et 706-102-1 pendant une durée ne pouvant excéder quarante-huit heures après la délivrance d’un réquisitoire introductif.
« Dans son réquisitoire introductif, le procureur de la République mentionne les actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité qu’il a autorisés à être poursuivis. »
Mme la présidente. L’amendement n° 242, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge d’instruction peut y mettre un terme à tout moment. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. S’agissant de l’article introduit par la commission qui permet d’assurer la continuité entre les enquêtes et les informations judiciaires, il est opportun de préciser que la poursuite de certains actes d’investigation en cours, ordonnée par le procureur de la République pour une durée de quarante-huit heures, ne s’impose pas au juge d’instruction, qui peut y mettre un terme à tout moment.
Il s'agit donc d’un amendement de précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a un avis de principe favorable à l’amendement de M. le rapporteur, dans la mesure où il comprend l’intérêt que peut présenter cet article 3 bis B, même si, à titre personnel, je n’ai jamais rencontré de praticiens qui expriment le besoin d’une telle mesure.
M. Michel Mercier, rapporteur. Je vous les présenterai !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’exprime que le point de vue du Gouvernement, monsieur le rapporteur !
En tout état de cause, il me semble que cette règle ne devrait pas se limiter aux infractions terroristes, mais être appliquée, pour le coup, à l’ensemble de la délinquance et de la criminalité organisée. Cela devrait donner lieu à quelques ajustements, dans la perspective de la commission mixte paritaire.
En outre, pour prévenir tout risque constitutionnel, cette décision devrait, à mon sens, être prise par le juge des libertés et de la détention lorsqu’il s’agit d’opérations autorisées par le juge.
Sous réserve de ces futures rectifications, le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement du rapporteur.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3 bis B, modifié.
(L’article 3 bis B est adopté.)
Article 3 bis
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 145-1, le mot : « terrorisme, » est supprimé ;
2° L’article 706-24-3 est ainsi rédigé :
« Art. 706-24-3. – I. – Par dérogation à l’article 145-1 du présent code, la durée de détention provisoire ne peut excéder six mois pour l’instruction des délits prévus aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal.
« À titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut décider de prolonger la détention provisoire, pour une durée qui ne peut excéder six mois, par une ordonnance motivée conformément à l’article 137-3 du présent code et rendue après un débat contradictoire organisé conformément au sixième alinéa de l’article 145 du présent code, l’avocat ayant été convoqué selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l’article 114 du présent code. Cette décision peut être renouvelée selon la même procédure, sous réserve de l’article 145-3 du présent code, la durée totale de la détention ne pouvant excéder deux ans. Cette durée est portée à trois ans pour l’instruction du délit mentionné à l’article 421-2-1 du code pénal.
« II. – La durée totale de détention provisoire mentionnée au douzième alinéa de l’article 11 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est portée à deux ans pour l’instruction du délit mentionné à l’article 421-2-1 du code pénal.
« La durée totale de détention provisoire mentionnée au quatorzième alinéa du même article 11 est portée à trois ans pour l’instruction des crimes prévus au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-5 et 421-6 du code pénal. »
Mme la présidente. L’amendement n° 116, présenté par MM. Bigot, Richard, Sueur, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Cet amendement vise à supprimer l’article 3 bis, lequel prévoit des modalités de détention provisoire pour les mineurs âgés de seize ans. Cette détention pourrait excéder deux ans, contrairement à la pratique générale, dès lors que lesdits mineurs seraient impliqués dans une affaire d’association terroriste.
Selon nous, une telle mesure est contraire au principe même défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par l’ordonnance de 1945, ainsi qu’au principe issu de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, que la France a ratifiée et dont l’article 37 stipule que « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant » soit « en conformité avec la loi » et ne soit qu’une mesure de « dernier ressort » et « d’une durée aussi brève que possible. »
Deux ans, c’est déjà long pour un mineur, même s’il a entre seize et dix-huit ans. Il nous semble parfaitement possible d’envisager que ce mineur soit jugé dans ce délai. L’obligation pourrait en être faite au juge.
Nous sommes donc défavorables à cet article 3 bis, dont nous demandons la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’amendement que vient de présenter M. Bigot vise à supprimer l’article relatif à l’allongement des durées de détention provisoire en matière de terrorisme.
Or la première partie de cet article répond à une demande des magistrats instructeurs antiterroristes, lesquels font valoir la lourdeur du régime procédural de la détention provisoire – couplé à la possibilité d’introduire une demande par jour de mise en liberté –, dont les ordonnances doivent être reprises tous les quatre mois. Par conséquent, nos collègues députés ont fort opportunément allongé ce délai à six mois.
S’agissant de l’augmentation des durées applicables aux seuls mineurs de seize à dix-huit ans, cela répond aussi à une demande des magistrats spécialisés dans la lutte contre le terrorisme. Je rappelle que le Gouvernement nous a indiqué que près de trente mineurs, sur cent vingt mises en examen, sont concernés par les informations judiciaires antiterroristes. Il s’agit donc d’un problème réel.
Je vois, enfin, un léger paradoxe dans votre position : à cet article, vous vous opposez à cet allongement de la durée de détention provisoire au motif de la spécificité de la situation des mineurs, spécificité que vous contestez en revanche à l’article 18 sur la retenue administrative de quatre heures, puisque vous proposez que les mineurs de seize ans soient traités de la même manière que les majeurs. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Alain Richard. Nous proposons quatre heures à l’article 18 et ici deux ans, car un an, c’est en effet léger !
M. Michel Mercier, rapporteur. C’est pourquoi j’ai parlé de léger paradoxe et non de complète incohérence, monsieur Richard ! Il y a une vraie différence entre les deux !
Toutefois, il est quelque peu paradoxal de prévoir des traitements différents. Les mineurs qui sont poursuivis étant dangereux, je crois qu’il faut les traiter comme les autres terroristes.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement. Il en partage non seulement la forme, mais également l’esprit ; il a d’ailleurs déposé un amendement proche, l’amendement n° 203. Si vous le permettez, madame la présidente, je vais maintenant le défendre, puisqu’il s’inscrit dans la même philosophie.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 203, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéas 6 et 7
Supprimer ces alinéas.
Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ferai trois observations.
Tout d’abord, le très faible nombre de mineurs concernés enlève de sa pertinence aux dispositions prévues aux alinéas 6 et 7 de l’article 3 bis.
Ensuite, le Gouvernement est extrêmement réservé quant à l’adoption par voie d’amendement de mesures coercitives relatives aux mineurs . J’ai déjà dit au nom du Gouvernement ma disponibilité pour conduire une réflexion globale en la matière, plutôt que de procéder par petites touches comme cela est en l’occurrence proposé.
Enfin, sur le fond, le Gouvernement est extrêmement attaché au fait de maintenir un régime spécifique de prise en charge des mineurs, y compris lorsqu’ils sont impliqués dans les faits les plus graves.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 203 ?
M. Michel Mercier, rapporteur. En dépit des propos de M. le garde des sceaux, l’amendement n° 203 est assez différent de l’amendement n° 116 défendu par M. Bigot, puisqu’il ne vise que les mineurs, alors que celui qui est présenté par M. Bigot est plus global et supprime tout l’article.
Les données statistiques fournies par le parquet du tribunal de grande instance de Paris montrent qu’aujourd'hui, sur un total d’une centaine de personnes mises en examen, vingt-neuf mineurs…
M. Michel Mercier, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, vous avez sûrement raison, mais je dispose d’autres chiffres.
Vingt-neuf mineurs, disais-je, font actuellement l’objet d’une mise en examen pour des infractions à caractère terroriste, huit d’entre eux sont placés en détention provisoire, et vingt et un sont placés sous contrôle judiciaire. Sur ces vingt-neuf mineurs, vingt et un étaient âgés de plus de seize ans au moment des faits. Voilà les chiffres !
S’il faut nous réjouir qu’il n’y ait pas des milliers de terroristes dans notre pays, majeurs ou mineurs, un seul cas justifie la mise en place d’un système de poursuite efficace.
Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tout à fait disposés à mener une réflexion globale sur la justice des mineurs, à condition bien entendu que ce ne soit pas pour supprimer la justice des mineurs ! Dans ce cadre, il appartient au Gouvernement de nous faire des propositions.
Ce projet de loi vise des problèmes bien spécifiques, M. le garde des sceaux le sait parfaitement, les mineurs concernés sont dangereux, ils doivent pouvoir faire l’objet de mesures de détention provisoire lorsque les magistrats le jugent utile.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Ces deux amendements sont certes différents, mais j’irai dans le même sens que M. le rapporteur.
Qu’il s’agisse des mineurs ou des majeurs, les dispositions de ce texte tendent à mettre en place des solutions efficaces et à répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de sécurité.
De nombreuses victimes innocentes ont déjà payé un lourd tribut. Le rapporteur a cité des chiffres qui nous interpellent. Dans ces circonstances, je crois qu’il ne faut pas avoir trop d’états d’âme. Nous devons faire preuve d’une grande rigueur afin d’adopter des mesures visant l’efficacité des investigations en matière judiciaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je soutiens fortement l’amendement de notre collègue Jacques Bigot. En effet, mes chers collègues, la plus grande victoire des terroristes serait de nous faire renoncer à un certain nombre de principes qui fondent notre État de droit.
On ne peut pas dire, s’agissant du groupe socialiste, que nous ne sommes pas sensibles au fait qu’il faut prendre des mesures importantes contre le terrorisme. Nous ne ménageons pas notre soutien au Gouvernement et, monsieur Collombat, nous nous honorons de soutenir le Gouvernement concernant un certain nombre de mesures pour lutter efficacement contre le terrorisme.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela dit, et, mes chers collègues, je m’adresse à chacune et chacun d’entre vous, voter un amendement qui aurait pour effet d’allonger la durée de détention provisoire des mineurs de deux ans m’apparaît impossible et contraire à nos valeurs et à tout ce que nous défendons depuis des décennies en matière de justice des mineurs.
Qui ne peut comprendre ce qu’a dit notre collègue Jacques Bigot à l’instant ? En deux ans, on peut quand même trouver le temps de juger un mineur ? Qui va nous faire croire que c’est impossible ? Si les procédures sont trop longues, il y a vraiment quelque chose à revoir. Mais personne ne peut comprendre qu’en deux ans on ne puisse pas juger un mineur. (M. Alain Fouché s’exclame.)
Dire aujourd'hui que parce qu’il faut lutter contre le terrorisme, et nous en sommes d’accord, il faut augmenter dans de telles proportions la détention provisoire d’un mineur me paraît impossible, et j’espère que notre Sénat ne votera pas une telle disposition ! (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour une fois, je suis d’accord avec mon collègue Sueur !
Le problème n’est pas de savoir s’il faut retenir des mineurs en détention provisoire, mais de savoir combien de temps on les garde. Comme Jean-Pierre Sueur l’a souligné, si, en deux ans, nous ne sommes pas en mesure de juger ou de libérer en cas d’erreur les mineurs, pardonnez-moi, mais c’est que nous ne sommes pas très doués, d’autant que le nombre d’individus concernés est loin d’être astronomique !
C’est une invitation à traiter rapidement le cas de la dizaine de mineurs qui sont concernés.
Cette inflation des peines est d’ailleurs très significative : on ne pense même pas à ce que l’on fait, on augmente !
En l’occurrence, encore une fois, allons plus vite, et nous pouvons le faire parce que cela ne concerne pas des populations très nombreuses.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Lorsque l’on pense à ces jeunes qui peuvent rester jusqu’à deux ans en détention provisoire, on ne peut que partager ce qui vient d’être dit, mais le problème est de savoir si ces jeunes sont des mineurs ou des terroristes n’ayant pas encore atteint l’âge adulte ! Un délai de deux ans paraît cependant quand même un peu long. (Mme Jacky Deromedi ainsi que MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Jackie Pierre applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Mes chers collègues, ce qui est essentiel pour un mineur, c’est de le juger le plus rapidement possible. Un mineur de seize ans arrêté pour des faits de terrorisme est un mineur qui a été radicalisé et le travail visant à le déradicaliser doit commencer le plus vite possible, y compris pendant la détention provisoire.
Il ne s’agit donc pas de dire que ce mineur ne peut pas être incarcéré au-delà de deux ans, mais qu’il doit être jugé dans ce délai de deux ans. Ce n’est pas la même chose !
Renoncer à ces règles que nous avons adoptées par la convention internationale des droits de l’enfant serait une erreur, tout aussi dramatique que celle qui consisterait à renoncer aux valeurs démocratiques que nous avons inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. J’ajouterai que l’emprisonnement d’un mineur de seize ans avec des gens plus ou moins douteux ne contribuera pas à remettre ce mineur dans le droit chemin, particulièrement si les procédures sont très longues.
Si nous disposons du nombre de magistrats nécessaire, nous devons être en mesure de juger un mineur en deux ans.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Chacun comprend qu’une justice spéciale s’applique aux mineurs, je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais nous visons des situations particulièrement graves, où il ne s’agit pas de petite délinquance de mineurs. Souvent, ces individus ont tué…
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas le problème ! Il faut les juger, c’est tout !
M. Michel Mercier, rapporteur. Monsieur Collombat, je pense que tout le monde a envie de les juger le plus vite possible. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) On ne garde pas les gens sans les juger pour le plaisir de les garder. Je ne peux pas laisser dire cela.
Le service public de la justice fonctionne le mieux possible, et les magistrats, dans des circonstances extrêmement difficiles, font leur travail, monsieur Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne dis pas autre chose !
M. Michel Mercier, rapporteur. Si vous dites la même chose que moi, laissez-moi terminer ! (Sourires.) D’ailleurs, il en serait de même si vous n’aviez pas dit la même chose que moi…
Contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agit pas d’augmenter de deux ans la détention provisoire. Ce n’est pas ce que prévoit le texte. Celui-ci augmente cette durée d’un an et non de deux, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose. Mais si vous pensez que c’est la même chose, allez plus loin, monsieur Bigot.
La durée de détention provisoire serait ainsi portée de un à deux ans lorsqu’il s’agit d’un délit, et de deux à trois ans lorsqu’il s’agit d’un crime.
Je rappelle que ce sont des crimes particulièrement durs et odieux. L’on a ainsi pu voir sur certains sites de jeunes mineurs jouer au football avec la tête des personnes qui ont été assassinées !
S’il faut juger ces mineurs le plus vite possible, il faut également éviter tout angélisme, car nous avons affaire à des mineurs particulièrement dangereux.
Mais il y a aussi, vous le savez, monsieur Bigot, des problèmes de moyens. Tout ne peut pas être fait en un jour. L’article 3 bis que nous vous proposons en tient compte.
L’amendement présenté par M. Bigot, tendant à supprimer la totalité de l’article 3 bis, me paraît excessif. La commission a également émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement visant à supprimer les alinéas 6 et 7 de l’article. Toutefois, si le Gouvernement veut présenter un texte global sur la justice des mineurs, le Sénat se tient à sa disposition pour en débattre.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3 bis.
(L'article 3 bis est adopté.)
Chapitre Ier bis
Dispositions renforçant la répression du terrorisme
(Division et intitulé nouveaux)
Article additionnel avant l’article 4
Mme la présidente. L'amendement n° 68 rectifié ter, présenté par MM. Lemoyne, Bockel, Bonnecarrère, Bouchet et Cadic, Mmes Canayer et Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Commeinhes, Dallier, Danesi et Dassault, Mme Deromedi, MM. P. Dominati, Duvernois, J.P. Fournier, Grosdidier, Houel et Houpert, Mme Hummel, M. Husson, Mme Imbert, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, Mandelli, A. Marc, Masclet et Médevielle, Mmes Mélot et Micouleau et MM. Milon, Morisset, Mouiller, Pellevat, de Raincourt et Savary, est ainsi libellé :
Avant l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 223–6 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à dix ans et à 150 000 euros d'amende lorsque la personne s'abstient volontairement de dénoncer un crime ou un délit prévu au titre II du livre IV. »
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Cet amendement, cosigné par quarante-cinq de nos collègues, est l’aboutissement du travail qui a été engagé voilà quelques semaines lors de la discussion de la proposition de loi de Philippe Bas, de Michel Mercier et de plusieurs de nos collègues visant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.
À l’époque, j’avais déposé un amendement tendant à compléter le code pénal. Celui-ci visait à inciter les entourages des personnes qui s’apprêtent à commettre un acte terroriste à le signaler aux autorités compétentes. Un certain nombre d’enquêtes montrent en effet que les entourages, à défaut d’être activement complices, peuvent connaître un certain nombre d’éléments, parfois précieux pour sauver des vies.
Un travail a donc été conduit depuis avec la commission et le rapporteur, Alain Richard ayant lui aussi déclaré qu’il ne serait pas inutile de compléter la législation sur ce point.
L’amendement qui est présenté aujourd'hui tient compte de ces travaux. Il vise à compléter l’article 223–6 du code pénal par un alinéa prévoyant que les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque la personne s’abstient volontairement de dénoncer un crime ou un délit prévu au titre II du livre IV visant spécifiquement les actions terroristes.
Pour l’instant, l’article du code pénal prévoit cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour des crimes ou délits d’une autre nature contre l’intégrité corporelle. Il s’agit donc de prévoir une circonstance « aggravante » pour les cas de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les sanctions à l’égard des personnes qui ne dénoncent pas la préparation d’actes terroristes. Il semble en effet nécessaire que toutes les personnes ayant connaissance de la préparation de tels actes la dénoncent.
La commission émet donc un avis favorable.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre sur ce point. Le Gouvernement partage votre conviction et votre souci d’aboutir à une écriture qui, comme on le dit dans le jargon, « tourne ». Cependant, je ne suis pas convaincu que la rédaction que vous proposez soit tout à fait aboutie.
Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse sur cet amendement,…
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … en vous disant la disponibilité de mon cabinet pour que nous puissions d’ici à la prochaine étape lisser les dernières scories qui nous paraissent perdurer.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. J’aimerais savoir si cet amendement concerne aussi les parents qui ne dénoncent pas leur enfant ou les enfants qui ne dénoncent pas leurs parents.
Demander à un ascendant ou un descendant direct de dénoncer ses enfants ou ses parents pose un problème moral. Cet amendement se rapporte à un article du code pénal que je n’ai pas sous la main. Aussi, j’aimerais savoir s’il tient compte de cette problématique.
Bien que je sois partisan, dans de nombreux domaines, d’une répression très forte du terrorisme, notamment du terrorisme que l’on subit actuellement, je suis réservé sur cet amendement. En effet, je ne suis pas d’accord si l’on veut obliger les parents à dénoncer leur enfant ou les enfants à dénoncer leurs parents.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. L’alinéa que nous proposons d’insérer complète la rédaction actuelle de l’article 223–6 du code pénal, qui fait référence à « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate » la commission d’un crime. L’amendement vise donc « quiconque ».
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 4.
Article 4
Au premier alinéa de l’article 706–22–1 du code de procédure pénale, après la référence : « 706–16 », sont insérés les mots : « , à l’exception des délits prévus aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du code pénal pour lesquels n’a pas été exercée la compétence prévue à l’article 706-17 du présent code ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 117, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au premier alinéa de l’article 706-22-1 du code de procédure pénale, les mots : « pour une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 » sont remplacés par les mots : « par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs de Paris en application de l’article 706-17 ».
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. La commission donne une compétence quasi exclusive au juge de l’application des peines de Paris pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme par la juridiction parisienne.
Or il ne nous apparaît pas forcément nécessaire de procéder ainsi, d’autant qu’un certain nombre de condamnés pourront ensuite se retrouver dans des prisons situées en dehors de la région parisienne. Il n’y a donc pas de raison de donner une compétence exclusive au juge de l’application des peines près le tribunal de grande instance de Paris.
Mme la présidente. L'amendement n° 204, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au premier alinéa de l’article 706–22–1 du code de procédure pénale, les mots : « pour une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706–16 » sont remplacés par les mots : « par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs de Paris statuant en application de l’article 706–17 ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’amendement du Gouvernement prévoit la compétence du juge de l’application des peines antiterroriste de Paris uniquement pour les infractions dans lesquelles les juridictions antiterroristes ont retenu leur compétence.
La rédaction proposée par la commission des lois du Sénat ne permet plus de remplir cet objectif puisqu’elle se borne à exclure de la compétence du juge de l’application des peines antiterroriste de Paris les personnes condamnées pour apologie du terrorisme. La commission introduit une rigidité, et, face au contentieux de masse, cette rédaction risque de conduire à une embolie.
C’est pourquoi le Gouvernement souhaite revenir à la rédaction antérieure.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements posent problème dans le suivi de l’exécution des peines.
Le juge de l’application des peines antiterroriste de Paris a des compétences larges. Il nous semble dommage de ne plus prévoir sa compétence exclusive pour des infractions qui ne relèveraient pas des juridictions parisiennes, tels les incidents en détention, car, dans de tels cas, le juge de l’application des peines de Paris dispose du dossier et a donc l’historique de la personne condamnée.
En revanche, le problème principal est celui de l’apologie du terrorisme, que nous visons spécifiquement dans la rédaction que nous proposons.
À cet égard, le juge de l’application des peines parisien doit être compétent uniquement pour les délits d’apologie jugés par les juridictions parisiennes, et pas pour ceux qui ont été jugés par les juridictions territorialement compétentes, puisqu’il y a compétence concurrente pour cette incrimination.
Même si cette question peut paraître complexe, la position prise par la commission est simple : en matière d’apologie du terrorisme, lorsqu’il y a concurrence de compétence entre la juridiction parisienne et les autres juridictions, le juge de l’application des peines parisien n’est compétent que lorsque la juridiction parisienne a prononcé le jugement. En cas de compétence de la juridiction parisienne, le juge de l’application des peines reste compétent, même si les faits incriminés ne concernent plus le terrorisme, tels que les incidents pendant la détention, par exemple, parce qu’il connaît le dossier de la personne et qu’il assure le suivi. Telle est la solution que la commission a retenue, et elle me semble logique.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements en discussion commune.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 117 ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 4 bis A (nouveau)
Après le premier alinéa de l’article 421–5 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-1 est commis à l’occasion ou est précédé d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 143 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 205 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 143 n'est pas soutenu.
La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 205.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement s’oppose à la criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste dans la mesure où cette évolution introduirait de graves distorsions dans l’échelle des délits et des peines.
En effet, l’article 4 bis A crée une circonstance aggravante criminelle pour l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, l’AMT, comme on a l’habitude de l’appeler, lorsque le fait de participer à un groupement terroriste est commis à l’occasion d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et précédant un tel séjour. Le crime serait alors puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Le droit existant prend déjà en compte cette participation dans le cadre de la répression de l’AMT délictuelle de l’article 421–2–1 du code pénal.
En outre, le séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes est un élément constitutif facultatif de l’entreprise individuelle terroriste prévue à l’article 421–2–6 du code précité, et il est puni de dix ans d’emprisonnement.
Par ailleurs, il existe déjà une AMT criminelle aux articles 421–5, deuxième et troisième alinéas, et 421–6 du code pénal pour les cas les plus graves, c'est-à-dire la direction ou l’organisation d’un groupe terroriste.
De fait, la criminalisation introduite par la commission des lois est contraire à la bonne administration de la justice au regard de la lourdeur de la procédure criminelle. Il convient de souligner que le procureur de Paris procède actuellement à la correctionnalisation de certains dossiers, compte tenu de l’impossibilité de juger en cour d’assises spéciale des centaines d’affaires ouvertes sur le fondement de l’association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme.
Enfin, du point de vue des principes, la rédaction proposée introduit une réelle distorsion dans l’échelle des peines.
Tous ces éléments ont conduit le Gouvernement à défendre cet amendement de suppression de l’article 4 bis A.
Encore une fois, je comprends la philosophie qui sous-tend cet article – la volonté d’être plus dur ! – , mais cela conduira, dans la réalité, à l’impossibilité de procéder au jugement, comme on le constate aujourd'hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. M. le garde des sceaux vient fort élégamment de présenter un amendement de suppression de l’article 4 bis A qui crée une circonstance aggravante pour les associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste commise après un séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
Je répondrai a contrario à l’un des faits cités.
Aujourd'hui, on le voit bien, il y a un écrasement des peines. De plus en plus souvent, les terroristes sont condamnés à une peine d’emprisonnement de dix ans parce que l’on ne veut pas criminaliser, pour les raisons que vous avez d’ailleurs exposées, monsieur le garde des sceaux : il est extrêmement difficile de réunir la cour d’assises spéciale de Paris et de la faire fonctionner. Je vous en donne volontiers acte, mais il faudra bien trouver une solution si le terrorisme se développe, comme c’est malheureusement le cas aujourd'hui.
Notre proposition est toute simple, nous en avons débattu longuement en commission. Nous nous sommes demandé si nous voulions aller vers une criminalisation totale des associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Mais nous avons compris que nous allions alors bloquer le système. (M. le garde des sceaux opine.) Nous avons donc choisi une voie intermédiaire, celle de créer une circonstance aggravante, qui permettra de porter la peine à quinze ans de réclusion criminelle si les magistrats le veulent. Nous n’avons donc pas criminalisé toutes les AMT ; seules quelques-unes le sont, notamment lorsqu’un terroriste revient d’un séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Les derniers événements l’ont malheureusement montré, c’est en revenant de Syrie que les attentats ont été commis.
C'est la raison pour laquelle nous avons créé cette circonstance aggravante, tout en sachant que se pose actuellement un véritable problème, celui des moyens dont dispose le service public de la justice pour fonctionner. À cet égard, nous vous soutiendrons, monsieur le garde des sceaux, dans votre campagne pour accroître les moyens de la justice.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, je vois l’effort que vous faites pour ne pas rajouter de l’embolie à une situation qui est déjà tendue.
M. Michel Mercier, rapporteur. La paralysie !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vois votre effort pour ne pas ajouter la paralysie à l’embolie.
Néanmoins, le fait de créer la circonstance aggravante, comme vous le proposez, présente, selon moi, deux risques. Vous faites courir un risque d’a contrario et, par voie de conséquence, d’ouvrir des débats jurisprudentiels d’une longueur infinie.
Je comprends bien votre intention – je peux même, par certains aspects, la partager –, mais, depuis que je suis aux responsabilités, je cherche à rendre la justice plus fluide et plus efficace au regard de la pénurie des moyens qui sont les siens pour le moment et de l’aggravation des charges qui pèse sur elle.
Vous l’avez très justement souligné, la lutte contre le terrorisme mobilise beaucoup plus d’énergie qu’il y a deux ou trois ans. Depuis le début de l’année, le ministre de l’intérieur rappelle régulièrement que le nombre d’interpellations, qui se traduisent par des incarcérations et conduiront, demain, à des procès, croît à une vitesse exponentielle. C’est rassurant pour ce qui concerne l’efficacité de nos services, mais c’est inquiétant s’agissant de la menace que nous combattons.
Si nous modifions l’échelle des peines sur ce point-là, nous faisons du symbole – j’entends bien la force du symbole, et je ne suis pas un ennemi des symboles ! –, mais, en termes d’administration de la justice, je vous le dis, cela va compliquer excessivement, sans bénéfice avéré, la situation, qui est déjà extrêmement tendue.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le garde des sceaux, je tiens à vous dire que la commission des lois ne veut en aucun cas mettre le Gouvernement, singulièrement vous-même, en difficulté avec cet amendement. Il me paraît important de vous expliquer pourquoi nous tenons néanmoins à l’article 4 bis A.
Nous y tenons parce que nous avons procédé – le rapporteur le premier ! – à de très nombreuses auditions. La commission des lois elle-même a auditionné de hauts responsables du parquet et a été très sensible à des faits qui lui ont été communiqués, parmi lesquels figure le fait que le délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat terroriste – pardonnez-moi l’approximation de la formulation –, qui peut donner lieu à des peines d’un maximum de dix années, donne lieu en réalité à des condamnations qui, chaque fois que le délit est caractérisé, culminent presque toujours à dix ans. L’interprétation qu’il convient de faire de cette pratique de nos magistrats est que l’échelle des peines actuelle est en réalité mal faite : dix ans, ce n’est pas assez.
Les magistrats eux-mêmes, dont la préoccupation est à la fois de prononcer des peines correspondant réellement en proportionnalité à la gravité des actes commis et de protéger la société, demandent, à juste titre, me semble-t-il – la commission, tout comme le rapporteur, pense que cette demande est justifiée –, l’aggravation de ces peines.
Nous aurions pu tout simplement criminaliser intégralement le délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat terroriste. Et, dans un souci de modération, nous avons finalement accepté de nous borner à la circonstance aggravante consistant à avoir commis ce délit en lien avec un séjour dans des lieux où s’entraînent les djihadistes. Nous nous en tenons là pour le moment, tout en ayant conscience que la situation mériterait davantage.
Nous sommes confrontés – ce n’est pas le premier amendement à propos duquel nous avons à nous poser la question – à un rapport complexe entre la loi et les moyens.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tantôt nous prenons des dispositions législatives qui tiennent compte, en le tenant pour acquis, du manque de moyens – nous l’avons fait cet après-midi encore concernant d’autres amendements –, et tantôt, à l’instar de ce que nous faisons pour cet amendement, nous estimons qu’il est tellement important à nos yeux – je comprends que le débat puisse avoir lieu, et j’ai entendu votre position ! – de punir un certain nombre de délits au niveau souhaité par les magistrats que nous souhaitons faire progresser l’échelle des peines, en dépit du manque de moyens actuel de la justice.
Monsieur le garde des sceaux, le Sénat n’est pas sourd à vos préoccupations en termes de moyens. Et je l’ai bien vu, dès votre prise de fonctions, vous avez tenu à dire que l’alpha et l’oméga – même si vous l’avez dit en d’autres termes que moi ! – du service public de la justice aujourd'hui, ce sont les moyens. (M. le garde des sceaux opine.) Vous pouvez compter sur le Sénat dans votre combat pour accroître les moyens de la justice, car la cause est juste, noble et urgente. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Les promesses de soutien du Sénat sur le budget de la justice vous vont droit au cœur, monsieur le garde des sceaux, mais on sait ce qu’il en est des promesses…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Surtout vous !
M. Jacques Bigot. La réalité, demain, c’est un texte qui aggravera l’échelle des peines et sera inefficace.
Monsieur le rapporteur, vous avez été garde des sceaux, vous savez fort bien que les magistrats correctionnalisent le crime lorsqu’ils ne parviennent pas à réunir une cour d’assises ou que c’est trop compliqué. On se retrouve alors malheureusement avec une échelle des peines inférieure.
Or, dans le texte actuel, l’échelle des peines pour les délits visés est déjà importante : dix ans d’emprisonnement. C’est important pour un délit ! Le fait de vouloir transformer ce délit en crime pour aggraver la peine va poser le problème de la capacité de la cour d’assises spéciale de Paris, qui sera saisie de tous ces faits. Or, dans le même temps, vous avez rajouté hier dans le code pénal une disposition, le délit de retour d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Le ministre présent au banc du Gouvernement vous a fait remarquer que vous diminuiez le risque. Ce délit sera peut-être plus facile à constituer, mais il sera moins lourdement sanctionné.
Avec votre manière d’approcher les choses, on va à l’encontre de l’objectif que nous visons, qui est avant tout, je le rappelle, de lutter contre le terrorisme de manière efficace, en donnant à la police et à la justice les moyens de lutter et d’arrêter et, ensuite, de poursuivre et de sanctionner. Telle est la réalité !
Sur certains points, notamment à propos du juge de l’application des peines, vous dites que les dispositions que vous proposez sont plus simples et qu’il vaut mieux procéder ainsi. Monsieur le rapporteur, en raison de votre bilan personnel et de votre connaissance de la justice, vous devriez savoir que, pendant des années, la justice n’a pas toujours eu les moyens. On peut toujours espérer qu’elle en ait plus ! Elle en a d’ailleurs besoin dans tous les domaines, pas seulement dans celui du terrorisme, elle en a aussi besoin dans la justice du quotidien. La tâche est énorme ! Mais le rattrapage commence à se faire, notamment avec le recrutement massif de magistrats, alors que l’on a connu des périodes où l’on ne recrutait que quatre-vingts magistrats par an !
M. Alain Fouché. Il ne faut pas exagérer !
M. Jacques Bigot. Voilà la réalité du fonctionnement de la justice.
Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas afficher ici des postures, alors que nous voulons lutter efficacement contre le terrorisme. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je ne soutiendrai pas, évidemment, l’amendement de suppression de l’article 4 bis A, mais je veux quand même remettre les choses dans leur contexte. De quoi parle-t-on ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Prenons un peu de hauteur… (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Je n’oserai pas, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)
Voilà cependant un certain nombre de mois que nous sommes plusieurs à travailler sur ces questions. Il y a 9 915 jeunes gens en voie de radicalisation en France et ils sont plus de 1 700 sur les terrains d’opérations, en Syrie ou ailleurs. Le nombre de personnes qui vont revenir, probablement pas avec de bonnes intentions, ne va donc faire que croître.
J’imagine que, grâce à la télévision et à Public Sénat, ces gens, parmi lesquels il y a de nombreux francophones, écoutent nos débats. Sans doute se sont-ils dit lorsque nous tentions – Dieu merci, cela n’a pas fonctionné – d’étendre la déchéance de nationalité que nous le faisions pour leur faire peur et, aujourd'hui, ils doivent se dire que nous sommes encore dans le symbole parce que la France qui lutte contre les terroristes n’a pas les moyens de criminaliser un comportement terroriste.
Je crois donc qu’il faut conserver cet article et appliquer ses dispositions d’autant que, en matière de symbole, la criminalisation sera beaucoup plus efficace qu’une déchéance de nationalité !
M. Michel Mercier, rapporteur. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. En ce qui concerne ensuite les moyens de la justice, il faudra bien qu’on se les donne. On a sacralisé la loi de programmation militaire ; il va bien falloir sacraliser aussi la justice, dont on a impérativement besoin.
Nous sommes de toute façon, à tort ou à raison, dans un cycle de répression et il va bien falloir se doter de mesures efficaces. Or, parmi les mesures efficaces et non symboliques, il y a celle que prévoit cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je veux remercier le président de la commission des lois du Sénat de sa disponibilité pour la discussion budgétaire à venir. Nous aurons besoin et toutes les bonnes volontés, et même au-delà.
Il n’en demeure pas moins que je vais tout à l’heure proposer un amendement pour revenir sur la collégialité de l’instruction, pour les mêmes raisons. On ne peut pas continuer à voter des textes que l’on ne peut pas appliquer et je crois de mon devoir de mettre en garde le Sénat, car je prends le pari, même si ce n’est peut-être pas le bon terme, contre le vote d’une disposition qui va se traduire par une complication du fonctionnement de la cour d’assises spéciale de Paris, qui est la seule juridiction compétente pour examiner ces cas.
Pour la bonne administration de la justice, je suis donc hostile à la démonstration. Je suis dans le cas d’espèce et je ne fais pas du symbole. Je le dis comme un garde des sceaux qui, au quotidien, voit les juridictions sinistrées. Celle-là fonctionne déjà difficilement : pour des raisons symboliques, vous allez la paralyser !
M. Jacques Bigot. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, ce sont vos derniers propos qui m’amènent à intervenir. Vous admettez que notre justice est sinistrée : il faut peut-être prendre des dispositions, éventuellement changer de politique économique et financière… (MM. Roger Karoutchi et Henri de Raincourt sourient.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4 bis A.
(L'article 4 bis A est adopté.)
Articles additionnels après l'article 4 bis A
Mme la présidente. L'amendement n° 57 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Bockel, Gabouty, J.P. Fournier et Gournac, Mmes Gatel, Férat et Gruny et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Après l’article 4 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Au second alinéa de l’article 323-2, après le mot : « État », sont insérés les mots : « ou par un opérateur d’importance vitale au sens de l’article R. 1332-1 du code de la défense » ;
2° À l’article 323-4-1, après le mot : « État », sont insérés les mots : « ou par un opérateur d’importance vitale au sens de l’article R. 1332-1 du code de la défense ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. N’étant pas femme à renoncer (Sourires.), je continue à tenter de réinsérer dans le dispositif les propositions du rapport de notre commission d’enquête. Il s’agit cette fois de la proposition n° 80.
Le présent amendement a pour objet d’étendre la circonstance aggravante prévue pour les attaques contre les systèmes de traitement automatisé de données, les STAD, mis en œuvre par l’État à l’ensemble des STAD mis en œuvre par les opérateurs d’importance vitale, c'est-à-dire les organismes publics ou privés qui produisent ou distribuent des biens et des services essentiels à la population, à l’État ou à la sécurité de la Nation. Ils sont définis à l’article R. 1332–1 du code de la défense.
On le sait, la cybercriminalité ne cesse de croître et de renforcer ses attaques. Cette disposition semblait au rapporteur et à l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui ont voté son rapport à l’unanimité, une mesure parfaitement légitime et opportune.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Comme vient de l’expliquer Mme Goulet, cet amendement a pour objet de créer une circonstance aggravante en cas d’attaques informatiques visant les systèmes de traitement automatisé de données non seulement de l’État, mais aussi ceux des opérateurs d’importance vitale. Parmi ces opérateurs, on dénombre nos réseaux d’électricité, de transport, les installations essentielles à la sécurité du pays.
Néanmoins, cet amendement pose un problème difficile à résoudre, comme le sait parfaitement Mme Goulet. Le droit pénal est en effet soumis au principe de la légalité criminelle. L’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen impose au législateur de définir précisément les infractions pénales pour assurer la prévisibilité de la loi.
Or les opérateurs d’importance vitale sont désignés par l’autorité administrative et ne sont pas tous connus. On en dénombre plus de 200. S’il semble évident que la SNCF ou Orange sont des opérateurs d’importance vitale, il existe également quelques PME liées au secteur de l’énergie ou de l’alimentation de l’eau qui sont concernées.
Si l’individu ne sait pas qu’il attaque un opérateur d’importance vitale, il est inconstitutionnel de lui imposer une peine plus forte que celle qui est prévue pour une attaque de droit commun.
Une solution intermédiaire pourrait être la publication d’une liste réduite d’opérateurs d’importance vitale, pour lesquels la répression pourrait être accrue.
Je veux tout de même rassurer les auteurs de cet amendement : il existe d’ores et déjà en application de l’article 421–1 du code pénal une circonstance aggravante permettant d’augmenter les peines lorsque toute intrusion ou toute attaque contre un STAD a été effectuée dans l’intention de causer un trouble grave à l’ordre public.
De même, toute attaque dans un STAD qui aurait pour effet de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est d’ores et déjà punie de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d’amende, en application des dispositions de l’article 411–9 du code pénal.
Ces observations m’amènent à demander à Mme Goulet de bien vouloir retirer son amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si cet amendement était maintenu, le Gouvernement émettrait un avis défavorable, et ce pour deux raisons.
D’abord, le débat sur les opérateurs d’importance vitale a souvent eu lieu et il y a, me semble-t-il, un consensus sur l’état actuel du droit et donc sur la nécessité de le maintenir s’agissant des aspects que vient d’évoquer le rapporteur.
Ensuite, je ne suis pas absolument certain que l’aggravation évoquée ici pour les systèmes de traitement automatisé des données touche exactement le but recherché par les auteurs de l’amendement puisque cela ne concernera que les services de traitement automatisé à caractère personnel mis en œuvre par les opérateurs d’importance vitale.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 57 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Voilà qui conforte mon opinion sur la modestie qui doit être celle des rapporteurs des commissions d’enquête, car c’est la quatrième proposition qui tombe à l’eau !
Pour répondre à la suggestion de M. le rapporteur, j’aime autant qu’il n’y ait pas de liste : dans le contexte actuel, plutôt que de prendre le risque de donner des idées à des gens malfaisants, je pense qu’il vaut mieux que l’on en reste là.
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous sommes d’accord !
Mme Nathalie Goulet. Je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 57 rectifié est retiré.
L'amendement n° 56 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Bockel, Gabouty, J.P. Fournier et Gournac, Mmes Gatel, Férat et Gruny, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Après l'article 4 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 421–2–4 du code pénal est abrogé.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme Henri VIII à son sixième mariage ! (Sourires.)
Cet amendement a pour objet d’abroger l’article 421–2–4 du code pénal.
Introduit par la loi du 21 décembre 2012, cet article crée une incrimination spécifique de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste.
Ce délit de recrutement terroriste présente un caractère surabondant par rapport à l’association de malfaiteurs. Aucune enquête préliminaire, et a fortiori aucune information judiciaire, n’a été ouverte depuis son introduction dans le code pénal par le pôle antiterroriste de Paris.
En outre, l’article 421–2–5 du même code incrimine désormais la provocation directe, suivie ou non d’effets, laquelle est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Il s’agit donc d’une mesure de simplification, qui correspond à la proposition n° 79 du rapport de notre commission d’enquête.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement pointent un vrai problème : l’inflation législative en matière terroriste nous mène à la création de délits divers, parfois sans réelle appréciation des besoins des juridictions.
L’incrimination spécifique de recrutement est en effet aujourd’hui à la fois couverte par l’association de malfaiteurs terroristes et surtout par le délit de provocation à la commission d’actes terroristes, intégré dans le code pénal depuis la loi du 13 novembre 2014.
Le rapport de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes préconisait à juste titre une mise en cohérence de ces deux infractions. Outre la suppression de cet article, le législateur pourrait également augmenter les sanctions encourues pour apologie ou provocation à commettre des actes de terrorisme.
Nous avons questionné les ministères concernés et avons obtenu hier soir la réponse : il nous a été indiqué qu’il y avait actuellement une seule enquête ouverte sur le fondement de l’incrimination visée par Mme Goulet et les coauteurs de l’amendement.
Avant de prendre position, je souhaiterais entendre l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est défavorable, pour trois raisons.
La première est sans doute en elle-même suffisante : la suppression de l’article 421–2–4 du code pénal nous mettrait en situation de non-conformité par rapport au droit européen, notamment par rapport à l’article 3 de la décision-cadre 2002/475/JAI, modifiée par une décision du 28 novembre 2008. Cette décision-cadre impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que soit notamment considéré comme une infraction liée aux activités terroristes le recrutement pour le terrorisme, qu’elle distingue de la provocation publique à commettre des infractions terroristes.
C’est justement cette incrimination qui est visée dans l’article du code pénal que l’amendement tend à supprimer : si on le supprime, nous serons donc, je le répète, en non-conformité avec le droit européen.
De surcroît, elle n’est absolument pas redondante avec le droit existant puisque c’est une infraction autonome qui permet, au titre de la prévention, de sanctionner bien en amont.
Le Gouvernement ne voit donc pas pourquoi nous nous priverions de cette disposition.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 56 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Il m’a semblé, dans ce qu’indiquait le rapporteur, que cette incrimination était déjà couverte par ailleurs, notamment par la loi du 13 novembre 2014.
De deux choses l’une, donc : soit elle est couverte par cette loi, ce qui signifie que nous remplissons les obligations européennes et que mon amendement peut être adopté ; soit elle ne l’est pas, et je retire mon amendement, mais je voudrais que nous soyons sûrs que cette incrimination est couverte.
Il y a manifestement une divergence de vues entre le rapporteur et le ministre, et je demande donc juste une précision.
M. Alain Fouché. Vous avez raison !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Monsieur Fouché, Mme Goulet a en effet raison de poser la question, et je vais essayer de lui répondre.
On peut dire que l’incrimination est couverte, mais elle l’est de façon incomplète, puisque la peine prévue par la loi de 2014 est de sept ans, alors que l’incrimination dont vous parlez est punie d’une peine de dix ans. C’est la différence qui demeure.
Mme Nathalie Goulet. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 56 rectifié est retiré.
Article 4 bis
I. – L’article 132–45 du code pénal est complété par un 22° ainsi rédigé :
« 22° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté ; cette prise en charge peut le cas échéant intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider. »
II (nouveau). – Après le 17° de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un 18° ainsi rédigé :
« 18° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté ; cette prise en charge peut le cas échéant intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel la personne est tenue de résider. » – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 4 bis
Mme la présidente. L'amendement n° 110, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 4 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le huitième alinéa de l’article 421-3, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Peuvent être également prononcées les autres peines encourues pour ces infractions. » ;
2° L’article 422-3 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« …° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« …° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition. » ;
3° Après l’article 422-4, il est inséré un article 422-4-… ainsi rédigé :
« Art. 422-4-… – Les personnes physiques coupables des infractions prévues par les articles 421-2-1, 421-2-2 et 421-2-6 encourent également les autres peines complémentaires encourues pour les crimes et les délits que le groupement, l’entente ou l’entreprise individuelle avait pour objet de préparer ou de financer. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’article 4 bis ajouté par l’Assemblée nationale complète les mesures du sursis avec mise à l’épreuve, en cas de condamnation d’une personne pour un acte de terrorisme, par l’obligation de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique. En pratique, pour dire les choses plus simplement, il s’agit de faire suivre des stages de « déradicalisation ».
Le présent amendement complète cet article afin de préciser les peines encourues en cas d’infractions terroristes. Pour les personnes condamnées pour de telles infractions, il clarifie l’application de toutes les peines complémentaires encourues soit pour les infractions de droit commun présentant un caractère terroriste, soit pour les infractions dont la commission était projetée, ou qui étaient financées.
Il prévoit aussi dans tous les cas des peines d’interdiction de port d’arme ou de confiscation d’une arme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui vise à expliciter les peines complémentaires encourues en cas d’infractions terroristes, ne présente pas de difficultés particulières. Néanmoins, il nous semble redondant.
En effet, le 2° de l’amendement est satisfait par le nouvel article 222–62 du code pénal, créé par l’article 9 du projet de loi tel que modifié par la commission.
De plus, le 1° et le 3° ont pour objet d’expliciter les peines complémentaires encourues. Néanmoins, cette précision créerait un risque d’insécurité juridique et reviendrait à laisser penser que ces peines n’étaient pas d’ores et déjà applicables. Or l’article 421–3, que l’amendement vise à modifier, précise bien que « le maximum de la peine privative de liberté encourue pour les infractions mentionnées à l’article 421–1 est relevé ainsi qu’il suit lorsque ces infractions constituent des actes de terrorisme ».
Cette rédaction n’a pas pour objet de priver l’application des dispositions listées ci-après mais bien de relever les peines encourues, sans préjudice de l’application des peines complémentaires.
Il semble donc qu’en l’état le droit actuel répond tout à fait à la préoccupation du Gouvernement, raison qui me conduit, monsieur le garde des sceaux, à vous inviter à retirer cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 110 est retiré.
Article 4 ter A
I (Non modifié). – Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal est ainsi modifié :
1° Il est ajouté un article 421-7 ainsi rédigé :
« Art. 421-7. – Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux crimes ainsi qu’aux délits punis de dix ans d’emprisonnement prévus au présent chapitre. Toutefois, lorsque le crime prévu au présent chapitre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité, la cour d’assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu’à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 ne pourra être accordée au condamné. En cas de commutation de la peine, et sauf si le décret de grâce en dispose autrement, la période de sûreté est égale à la durée de la peine résultant de la mesure de grâce. » ;
2° Le dernier alinéa des articles 421-3, 421-4, 421-5 et 421-6 est supprimé.
II (nouveau). – Au deuxième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale, la référence : « et 221-4 » est remplacée par les références : « , 221-4 et 421-7 ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l'article.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, replaçons l’article 4 ter A dans le contexte qui motive ce projet de loi.
La France et de nombreux pays sont confrontés à une guerre que des organisations islamistes ont décidé de leur livrer. Des milliers et des milliers de morts, d’indicibles exactions, des atteintes effroyables à la dignité et à la vie humaine sont autant de crimes perpétrés par des femmes et des hommes, soldats fanatiques d’une armée aux multiples formes. Bien décidée à exterminer tout être humain qui incarne une autre religion que la leur et à anéantir une civilisation différente de celles qu’ils prônent, nous pouvons l’affirmer, cette armée sanguinaire commet des crimes contre l’humanité.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Grand. La France, meurtrie au plus profond d’elle-même par les sanglants attentats commis sur son sol, organise la protection de sa population et traque les terroristes, et elle ne le fait pas seulement sur son territoire. Saluons l’action et les succès de nos forces armées, de la police, de la gendarmerie et de tous nos services spécialisés.
Aujourd’hui, nous devons nous prononcer sur un autre aspect de la réponse à apporter aux bras armés de la guerre que nous livrent les terroristes dès lors qu’ils sont capturés.
Les terroristes frappent partout sur la planète, ce sont parfois les mêmes qui sèment la mort au Proche-Orient, puis en France et en Europe. Voilà pourquoi je propose, avec de nombreux autres collègues, que la France instaure une législation adaptée à ces crimes de masse, que nous avons le devoir de qualifier de crime contre l’humanité.
La réclusion criminelle perpétuelle effective est la seule réponse que le Parlement puisse proposer à la justice.
Je défendrai donc dans quelques instants des amendements visant à porter à cinquante ans ou – proposition de repli – à quarante ans la durée minimale d’incarcération avant tout réexamen de la peine pour les crimes terroristes.
Ayant entendu la réponse du Premier ministre à l’Assemblée nationale, je pense, monsieur le garde des sceaux, que tous les espoirs sont permis ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Bien sûr…
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 144 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 10.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 4 ter A vise à étendre l’application de plein droit d’une période de sûreté au délit de terrorisme et à permettre à la cour d’assises de prononcer la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité d’aménagement de peine.
Sur la forme, soulignons d’abord la portée assez limitée de cette mesure introduite en séance à l’Assemblée nationale. En effet, en matière d’infractions terroristes, la période de sûreté s’applique déjà de plein droit.
Cet article ne tend donc à étendre l’application de cette disposition qu’aux condamnations du chef de l’infraction dite de recrutement terroriste.
Sur le fond cependant, nous ne pouvons que partager les inquiétudes de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, à l’endroit du système des périodes de sûreté dont la mise en œuvre repose sur la prédiction aléatoire de comportements futurs.
Comme elle, nous sommes opposés au développement du droit pénal de la dangerosité.
Certes, une référence au nouvel article 421–7 du code pénal est prévue à l’article 720–4 du code de procédure pénale, qui régit les possibilités de modification des durées de période de sûreté ; mais nous nous opposons aux périodes de sûreté d’une manière générale.
Du reste, M. Didier Guérin, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, a estimé que ce dispositif soulevait de sérieuses difficultés au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles, ce qui devrait, mes chers collègues, vous faire réfléchir ; je vous renvoie à la page 86 du rapport.
En somme, il s’agit simplement de rester fidèle à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 janvier 1994 : « l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ».
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 144.
Mme Esther Benbassa. L’article 4 ter A du projet de loi vise deux objectifs : étendre l’application de plein droit d’une période de sûreté au délit de terrorisme par recrutement et permettre à la cour d’assises de prononcer, par décision spéciale, la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité d’aménagement de peine. Ce second objectif et le débat qui en est résulté sur la perpétuité réelle font couler beaucoup d’encre.
Il me semble utile en cette circonstance de rappeler ce que le Conseil constitutionnel a établi dans sa décision du 20 janvier 1994 : « l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ».
De surcroît, la Cour européenne des droits de l’homme exige qu’il existe une possibilité de réexamen de la peine et une chance d’élargissement du condamné. L’impossibilité d’un réexamen par l’autorité judiciaire de la peine, dans la perspective de la commuer, de la suspendre, d’y mettre fin ou de la poursuivre, est contraire à l’article 3 de la convention prohibant les peines et traitements inhumains et dégradants.
Nous nous élevons donc contre les dispositions du présent article, dont l’application reposerait sur la prédiction aléatoire de comportements futurs. Comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, à laquelle il vient d’être fait référence, nous sommes opposés de la manière la plus vive au développement du droit pénal de la dangerosité !
D’où cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous abordons un enjeu essentiel du projet de loi : comment les crimes terroristes doivent être punis, s’il faut que la cour d’assises spéciale puisse prononcer la peine de perpétuité et, dans l’affirmative, dans quelles conditions.
J’examinerai ces questions en détail lorsque, dans quelques instants, je présenterai l’amendement n° 243 de la commission.
Je me bornerai donc à faire observer aux auteurs des amendements identiques que la peine de perpétuité existe déjà dans notre droit. On ne l’invente donc pas aujourd’hui. Il s’agit simplement de considérer que les crimes terroristes, étant d’une extrême gravité, sont tout à fait assimilables aux deux autres motifs pour lesquels le juge peut prononcer la peine de perpétuité : le crime, le meurtre ou l’assassinat d’un mineur de moins de quinze ans accompagné de viol, de tortures ou d’actes de barbarie et l’assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique.
Favorable à ce que cette peine extrêmement sévère puisse être prononcée également en cas de crime terroriste, la commission invite le Sénat à rejeter les deux amendements de suppression. J’exposerai dans quelques instants les conditions dans lesquelles elle propose que cette peine de perpétuité puisse être appliquée.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ayant été favorable, à l’Assemblée nationale, aux amendements tendant à insérer cet article dans le projet de loi, le Gouvernement est évidemment défavorable aux deux amendements en discussion. Il entend d’autant moins se déjuger qu’il est convaincu de la nécessité, face aux défis de la période actuelle, de durcir un certain nombre de nos sanctions – sans pour autant se lancer dans une inventivité sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est de mauvais augure… (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 et 144.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 243, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par onze alinéas ainsi rédigés :
II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L'article 720-4 devient l'article 720-3 ;
2° L'article 720-4 est ainsi rédigé :
« Art. 720-4. – Par dérogation au premier alinéa de l'article 720-3, lorsque la cour d'assises a décidé, en application de l'article 421-7 du code pénal, de porter la période de sûreté à trente ans ou qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l'application des peines ne peut réduire la durée de la période de sûreté, à titre exceptionnel et dans les conditions prévues à l'article 712-7 du présent code :
« 1° Qu'après que le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à trente ans ;
« 2° Que lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale ;
« 3° Que lorsque la réduction de la période de sûreté n'est pas susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public ;
« 4° Qu'après avoir recueilli l'avis des victimes ayant la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation ;
« 5° Qu'après expertise d'un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation, chargé de procéder à une évaluation de la dangerosité du condamné ;
« 6° Qu'après avoir recueilli l'avis favorable d'une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée d'évaluer s'il y a lieu de mettre fin à l'application de la décision de la cour d'assises mentionnée au premier alinéa. Les membres de cette commission sont désignés par l'assemblée générale de la Cour de cassation ; l'un d'entre eux, choisi parmi les membres de la chambre criminelle, en assure la présidence.
« Par dérogation au troisième alinéa de l'article 732, le tribunal de l'application des peines peut prononcer des mesures d'assistance, de surveillance et de contrôle sans limitation dans le temps. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Comme je l’ai souligné voilà quelques instants, nous débattons d’un enjeu capital du projet de loi : il s’agit de durcir, comme M. le garde des sceaux vient de le dire, les sanctions prévues en cas de crime terroriste ; plus précisément, de décider jusqu’où le juge pourra aller en matière de perpétuité.
La proposition de la commission est simple et claire : aller aussi loin que nous le permettent la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans l’application qui en est faite, et dont procède notamment l’arrêt Bodein c. France. Tel est le principe que nous proposons de suivre.
D’abord, je veux dire très clairement que la perpétuité, c’est la perpétuité. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est tautologique !
M. Michel Mercier, rapporteur. Cela peut paraître bizarre, mais je crois qu’il faut le rappeler !
La peine, en vérité, est prononcée à perpétuité. Moyennant quoi la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’appliquent. Or le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1994 que Mme Benbassa a citée tout à l’heure, et la Cour de Strasbourg, dans un arrêt de la même année, ont reconnu aux personnes condamnées à perpétuité le droit de voir un jour leur évolution considérée. À quel moment et de quelle manière ce droit doit-il être exercé ? C’est à ces deux questions que l’amendement n° 243 vise à répondre.
L’arrêt Bodein c. France fixe à trente ans, détention préventive comprise, la durée de détention au-delà de laquelle la situation du condamné doit être examinée. L’ouverture de cette fenêtre permet de garantir que la peine, ainsi que l’a établi le Conseil constitutionnel, vise, entre autres objectifs, à permettre la rédemption de la personne condamnée.
M. Jean-Pierre Sueur. L’amendement, pas la rédemption !
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission propose donc que le condamné ne puisse demander au tribunal de l’application des peines à être relevé de la perpétuité qu’après avoir subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans.
De surcroît, il ne pourrait solliciter une réduction de la période de sûreté, même au bout de ce délai, que si sont remplies cinq conditions, les unes relevant du droit commun, les autres étant spécifiques aux crimes terroristes. Voici quelles sont les quatre premières : que le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, que la réduction de la période de sûreté ne soit pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public, que le tribunal de l’application des peines ait recueilli l’avis des victimes ayant la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation et qu’un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation soit chargé de procéder à une évaluation de la dangerosité du condamné.
Une dernière condition serait prévue, peut-être la plus importante, et qui, comme deux autres, n’existe pas dans le droit commun : que le tribunal ait recueilli l’avis favorable d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée d’évaluer s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises de Paris, les membres de cette commission étant désignés par l’assemblée générale de la Cour de cassation et l’un d’eux choisi parmi les membres de la chambre criminelle pour en assurer la présidence.
C’est seulement si sont remplies toutes ces conditions – soit six au total –, et, en particulier, une fois que les trente années de prison auront été réellement purgées que le tribunal de l’application des peines pourra éventuellement abréger la durée de la détention ; je dis : éventuellement, car il ne s’agira évidemment pas d’une obligation.
Mes chers collègues, je vous le répète : cette proposition de la commission va aussi loin que la Constitution et les obligations conventionnelles de la France nous permettent d’aller. D’ailleurs, tout le monde ici le sait bien… De fait, la peine ainsi définie est extrêmement dure : elle sera prononcée à perpétuité, ne pourra être réexaminée avant trente ans et, passé ce délai, ne pourra être adoucie que si un ensemble de conditions sont satisfaites, sans la moindre automaticité.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 257 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet et Laufoaulu, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Mandelli, Béchu, Chaize, G. Bailly, Revet, Gournac, Panunzi, Vasselle et Gilles, Mme Garriaud-Maylam, MM. Karoutchi et Pellevat, Mme Hummel, MM. Savary, Chasseing, Laménie, Gremillet, Mayet, Vaspart, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Masclet, Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Amendement n° 243, alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque la cour d’assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans et à cinquante ans lorsqu’elle a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132–23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Avec votre permission, madame la présidente, je défendrai en même temps le sous-amendement n° 258 rectifié.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion le sous-amendement n° 258 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet, Laufoaulu, Mandelli, Chaize, G. Bailly, Revet, Panunzi, Vasselle, Gilles et Karoutchi, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat, Mme Hummel, MM. Laménie, Gremillet, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Doligé, Dallier, Pierre et Savin, et ainsi libellé :
Amendement n° 243, alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque la cour d’assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans et à quarante ans lorsqu’elle a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132–23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Grand. Je n’ignore pas les réticences auxquelles se heurtent les propositions que je m’apprête à défendre, avec le soutien de nombre de nos collègues ; ces réticences sont légitimes, et nous les respectons.
Je ne mésestime pas non plus, monsieur le rapporteur, les avancées que contient la nouvelle rédaction proposée par la commission pour l’article 720–4 du code de procédure pénale. Reste que ceux qui ont commis les crimes au Bataclan, s’ils sont arrêtés, pourront recouvrer la liberté au bout de trente ans ; vous prévoyez certes des conditions, mais la possibilité existera. Telle est la réalité ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Je puis comprendre que l’on soit heurté par la fixation d’un quantum de peine élevé – quarante ou cinquante ans – avant que toute révision soit possible. De fait, certains condamnés seraient pour ainsi dire assurés de finir leurs jours en prison. Mais, les mineurs mis à part, peut-on fixer un quantum de peine en fonction de l’âge du condamné et de son espérance de vie ? Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie vient de condamner à quarante ans de prison un ancien chef politique des Serbes de Bosnie, âgé de soixante-dix ans…
Peut-on admettre qu’un terroriste condamné à perpétuité puisse, au bout de trente ans, demander un réexamen de sa peine avec une chance non négligeable d’être libéré, même sous conditions ?
Ma proposition de porter de trente à cinquante ans ou, au moins, à quarante ans la durée minimale d’incarcération avant tout réexamen de la peine n’est pas contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque, dans plusieurs arrêts successifs, celle-ci a rappelé que les questions relatives au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à un débat rationnel et à des désaccords courtois. S’agissant de criminels qui ont tué cent cinquante personnes, ce que je propose me paraît assez proportionné !
Mme Cécile Cukierman. Vous le proposez parce que vous n’osez pas assumer que vous êtes pour le rétablissement de la peine de mort !
M. Jean-Pierre Grand. Cette juridiction reconnaît aux États membres une marge d’appréciation – voilà, monsieur le rapporteur, un langage qui devrait vous plaire –…
M. Michel Mercier, rapporteur. Le vôtre me convient bien !
M. Jean-Pierre Grand. … pour déterminer la durée adéquate des peines d’emprisonnement et leur accorde une liberté pour choisir le moment où il convient de procéder au réexamen de la peine. Aussi bien, mes chers collègues, si vous décidez que la peine sera réexaminée au bout de quarante, ou de cinquante ans, vous n’êtes pas en contradiction avec la Cour européenne des droits de l’homme !
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
Mme Cécile Cukierman. Pourquoi vous arrêter à cinquante ? Proposez encore plus !
M. Jean-Pierre Grand. Ce qu’exigent cette juridiction et nos engagements internationaux, c’est que la situation du condamné puisse être réexaminée à un moment donné ; mais cela, ni moi ni personne ne le conteste. Je ne conteste pas davantage, monsieur le rapporteur, les conditions que vous proposez de fixer. Seulement, je demande que la durée au bout de laquelle le réexamen sera possible soit allongée de dix ou vingt ans. Je sais que cela heurte vos convictions,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Aucunement !
M. Jean-Pierre Grand. … mais, ce qui heurterait les miennes, c’est que nos concitoyens et les milliers de familles martyres apprennent demain matin, en lisant la presse, qu’un jeune de vingt ans qui a massacré des centaines de personnes – un véritable crime contre l’humanité – pourra, après tout, recouvrer la liberté au bout de trente ans. Je ne suis pas certain que, en prenant une telle décision, le Parlement de la République répondrait à l’appel des Français ! (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Au prochain attentat, que proposerez-vous ?
M. Jean-Pierre Grand. Par ailleurs, je rappelle que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose aussi aux États de prendre des mesures visant à protéger les populations des crimes violents.
Mes chers collègues, ces précisions me paraissent propres à vous convaincre qu’incarcérer un terroriste pendant quarante ou cinquante ans n’est nullement contraire aux engagements internationaux de la France. Il ne peut être question que celui-ci soit soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, comme le stipule l’article 3 de la convention. Mais l’inhumanité, c’est le terrorisme, pas le Parlement français !
Ce que le peuple souhaite et que les familles des victimes exigent, c’est une peine de réclusion criminelle à perpétuité effective, ne permettant pas la récidive.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet et Laufoaulu, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Mandelli, Béchu, Chaize, G. Bailly, Revet, Gournac, Panunzi, Vasselle et Gilles, Mme Garriaud-Maylam, MM. Karoutchi et Pellevat, Mme Hummel, MM. Savary, Chasseing, Laménie, Gremillet, Mayet, Vaspart, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Masclet, Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette durée est portée à cinquante ans pour les décisions prises en application de l’article 421-7 du code pénal. »
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet, Laufoaulu, Mandelli, Chaize, G. Bailly, Revet, Panunzi, Vasselle, Gilles et Karoutchi, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat, Mme Hummel, MM. Laménie, Gremillet, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette durée est portée à quarante ans pour les décisions prises en application de l’article 421-7 du code pénal. »
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement est également défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, M. P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Retailleau, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et MM. Houel et Husson, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans le cas d’atteintes volontaires à la vie constituant un acte de terrorisme au sens de l’article 421-1 du code pénal, aucune mesure ne peut être accordée au condamné. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Tout cela est bel et bon, mais, en fin de compte, il faut savoir ce que l’on veut, et ce que l’on dit.
Monsieur le garde des sceaux, le Président de la République, le Premier ministre et tout le Gouvernement passent leur temps à dire : c’est la guerre ! Ils ne disent pas que la situation est exceptionnelle ; ils disent : c’est la guerre ! Ils ont d’ailleurs raison. Au demeurant, le Parlement, en particulier le Sénat, a accordé au Gouvernement tous les moyens et toutes les peines supplémentaires qu’il a demandés.
Donc, nous sommes en guerre, de surcroît contre une poignée seulement de terroristes qui ne respectent ni la France, ni la société ni la vie humaine, qui ne respectent rien, et qui n’ont pas d’autre objectif que de tuer le plus grand nombre de personnes dans les conditions les plus atroces et les plus indignes possibles. Nous ne parlons pas de quelqu’un qui s’est énervé et qui a tué une personne dans la rue. Nous parlons de gens qui veulent, méthodiquement, massacrer, je dis bien « massacrer », et non pas seulement tuer.
Dans ces conditions, moi, je n’ai pas d’états d’âme : pour ces gens-là, la détention perpétuelle, sans possibilité d’aménagement, me paraît une évidence.
Il s’agit, bien entendu, de protéger la société française. Mais il y a aussi les symboles : après nous avoir répété que l’inscription dans la Constitution de la déchéance de la nationalité serait un symbole fort contre les terroristes, comment le Gouvernement pourrait-il soutenir qu’on ne peut pas leur appliquer la détention perpétuelle réelle ? Comment les Français, qui se demandent tous les jours s’il va y avoir un attentat dans le métro ou une fusillade sur les grands boulevards, pourraient-ils le comprendre ?
Je voterai les amendements de Jean-Pierre Grand, que je considère comme des amendements de repli, mais les Français, qui nous regardent, n’attendent pas de nous que nous discutions sur la durée au bout de laquelle une libération sera possible. Ils nous disent : Seigneur, prenez des mesures, de vraies mesures !
J’entends bien ce qui a été dit sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : s’il faut faire plaisir aux tenants de cette convention, eh bien que ceux qui sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité fassent un recours en grâce ! Après tout, le Président de la République a la capacité d’accorder cette grâce. Considérons que cela équivaut à une possibilité de recours.
En tous les cas, ce n’est pas au Parlement français de décider que des individus qui n’ont rien d’autre en tête que de commettre des massacres sont dignes d’un aménagement de peine ! Là encore, j’ai entendu ceux qui disent qu’il faut toujours prévoir la possibilité d’une réinsertion ou d’aménagements de peine. Mais, pensez-vous vraiment, mes chers collègues, que les Français sont favorables à des aménagements de peine et à des mesures de réinsertion pour de tels individus ? De quelle réinsertion parle-t-on ? Croyez-vous que les victimes du Bataclan veulent des aménagements de peine ?
Il faut bien protéger la société française ! Monsieur le garde des sceaux, si nous sommes en guerre, alors faites la guerre ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas la guerre !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les sous-amendements nos 257 rectifié et 258 rectifié ainsi que sur les amendements nos 1 rectifié, 6 rectifié et 18 rectifié ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je reconnais que mon rôle est un peu plus difficile que celui qui vient d’être brillamment tenu par les deux orateurs précédents. Néanmoins, je vais tenir ce rôle, parce qu’il s’agit du Parlement de la France, du Parlement de la République et de la loi de la République !
Il faut savoir comment la République veut se défendre. Selon moi, elle veut se défendre grâce à une loi forte, efficace, mais qui reste juste !
Peut-être est-ce parce que l’on m’a confié des responsabilités sous une autre majorité, responsabilités que j’ai essayé d’exercer du mieux possible,…
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Michel Mercier, rapporteur. … mais j’ai confiance dans la magistrature française. Je fais confiance aux magistrats français, car je les ai vus à l’œuvre. Je crois qu’il n’y a pas de magistrats plus sévères en Europe que les magistrats français. Il faut en avoir pleinement conscience, mes chers collègues !
Les peines prononcées par les magistrats sont celles que le Parlement a voulu qu’ils prononcent.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mais j’ai souvent entendu autre chose. Il s’agit de républicains loyaux.
Je fais confiance à nos magistrats pour étudier la situation d’une personne condamnée à perpétuité. L’individu condamné à la réclusion à perpétuité reste bien condamné. En revanche, à un moment donné, il est normal de regarder comment il a évolué et s’il y a eu chez lui une prise de conscience. C’est cela aussi la personnalisation des peines, mes chers collègues. Je vous rappelle d’ailleurs qu’il s’agit là de l’un des principes fondamentaux garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Si l’on veut combattre le terrorisme, il faut le combattre avec les armes de la République et de la démocratie, et jamais avec les armes des terroristes…
M. Cédric Perrin. Il y a des limites ! La comparaison…
M. Michel Mercier, rapporteur. Je n’ai interrompu personne ! Je vous remercie de me laisser terminer mon propos et vous en sais gré. Mes chers collègues, je respecte toujours l’ensemble des orateurs. Vous ne m’entendrez jamais interrompre quiconque, mais je n’admettrai pas en retour que quiconque m’interrompe ! Il faut que cela soit clair entre nous. Après tout, je défends une thèse qui mérite aussi d’être respectée !
Je disais donc que, à un moment donné, il doit y avoir un réexamen du condamné. L’idée selon laquelle la condamnation à une peine de réclusion à perpétuité ne pourrait jamais faire l’objet du moindre réexamen est contraire à toutes nos règles de droit interne et aux règles du droit international, et nous le savons tous.
Je comprends parfaitement que l’on soit tenté de faire abstraction de ces règles. La plupart du temps, les terroristes préfèrent d’ailleurs mourir tout de suite. C’est leur choix, j’ai même envie de dire que c’est leur affaire… Mais, pour les autres condamnés, nous devons examiner, à un moment donné, où ils en sont de l’application de leur peine, comment ils la vivent et si l’on doit maintenir la peine ou non.
Pour autant, il n’y a aucune obligation pour le tribunal de l’application des peines de libérer un condamné. Mes chers collègues, il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce n’est pas parce que l’on va étudier la situation d’un condamné qu’on va le libérer. Il s’agit de deux choses tout à fait différentes !
Je prendrai un exemple pour vous montrer la sévérité de nos magistrats : j’ai personnellement assisté à la réunion d’un tribunal de la banlieue parisienne où se trouve un grand établissement pénitentiaire et au cours de laquelle 1 700 condamnés pouvaient faire l’objet d’un élargissement de fin de peine. Or les magistrats présents n’ont retenu en définitive que deux condamnés sur 1 700 ! C’est vous dire l’extrême sévérité avec laquelle les magistrats envisagent ces procédures !
Je sais parfaitement ce que pense l’opinion publique : elle pense que l’on devrait être encore plus direct.
MM. Charles Revet et Cédric Perrin. Effectivement !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mais je sais aussi que nous avons fait un autre choix (M. Cédric Perrin s’exclame.) et que nous l’avons inscrit dans la Constitution, qui est notre règle à tous !
Très honnêtement, les conditions fixées par la commission des lois pour l’examen de la situation d’une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité sont extrêmement dures : il faut qu’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation donne un avis favorable à la demande de relèvement de la période de sûreté pour que le tribunal de l’application des peines puisse examiner cette demande et puisse éventuellement, par la suite, si les cinq autres conditions sont remplies, décider de l’accorder. On n’a jamais introduit des dispositions aussi sévères dans un texte de loi !
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, la commission des lois a essayé d’aller le plus loin possible, jusqu’aux limites de ce que la Constitution et nos obligations conventionnelles nous autorisent à faire. Je pense que le Sénat doit respecter ces obligations constitutionnelles et conventionnelles. On peut avoir envie de s’en abstraire face à l’horreur des attentats ! Moi aussi, je serais tenté de m’en abstraire. Ce serait toutefois prendre le risque d’aboutir à un moins bon résultat que celui que je vous propose d’atteindre aujourd’hui. Il faut aussi réfléchir à cela, mes chers collègues.
Que veut-on au juste ? Nous avons le choix entre une loi pénale forte qui comporte des mesures répressives, telles que la France n’en a jamais connu, et tout autre chose, c’est-à-dire une mesure qui nous permettra de soulager notre peine – ce que je comprends parfaitement –, mais qui ne deviendra jamais du droit positif. Préfère-t-on créer des règles de droit positif qui pourront s’appliquer dès demain ou créer des dispositions juridiques qui répondront certes à une demande de l’opinion publique – c’est tout à fait exact ! – mais ne s’appliqueront jamais ?
Il appartient maintenant à chacune et chacun d’entre nous de choisir en son âme et conscience. Les choix sont toujours difficiles et respectables. Personnellement, je respecte les choix de chacun. J’essaie simplement de vous expliquer, mes chers collègues, que la commission des lois est allée jusqu’au bout de ce qu’il est possible de faire pour obtenir un résultat concret. Il appartient désormais au Sénat de se prononcer ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, la commission est défavorable aux sous-amendements nos 257 rectifié et 258 rectifié ainsi qu’aux amendements nos 1 rectifié, 6 rectifié et 18 rectifié ?
M. Michel Mercier. Oui, la commission y est défavorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, personne n’a d’états d’âme, personne ! Je m’honore d’appartenir à un gouvernement qui, confronté à des défis auxquels aucun gouvernement n’avait jamais été confronté, est à la hauteur de la tâche. Qui dira l’inverse ?
Au moment des attentats de janvier et de novembre 2015, le Président de la République a incarné la détermination de la Nation face à ce défi. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Qui peut dire l’inverse ? Personne ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Louis Carrère. Pourquoi grognez-vous ?
M. Joseph Castelli. Il a raison !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, personne n’a d’états d’âme, parce que nous nous battons au nom de valeurs, terme qui revient souvent dans nos débats. Nos valeurs sont la force du droit, le glaive de la raison et la capacité à ne pas se laisser emporter par l’émotion. Vous ne légiférez pas pour un instant mais pour une génération (M. Roger Karoutchi est dubitatif.), car chacun regarde devant soi, évidemment !
J’ai été parlementaire pendant quelques années de 2007 jusqu’à il y a deux mois. Je ne suis pas allé à l’Assemblée nationale pourvu de mes seuls a priori. Comme vous, j’ai été confronté à certaines situations. Il y a un mois, la question de l’élargissement de la période de sûreté a été posée à l’Assemblée nationale. Je suis sûr que j’aurai spontanément répondu non à cette question il y a un ou deux ans, parce que la perpétuité existe déjà aujourd’hui dans les établissements carcéraux, monsieur le sénateur.
Ainsi, Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour terrorisme au mois de février 1987. Depuis cette date, il a demandé sa libération conditionnelle à neuf reprises. Or, chaque fois – et à bon droit, de mon point de vue –, elle lui a été interdite. Depuis février 1987, il est en prison, ce qui prouve bien que la perpétuité réelle existe déjà.
Monsieur le sénateur, la question posée par votre collègue député Guillaume Larrivé était de savoir si l’on devait étendre la période de sûreté – chacun sait maintenant qu’il s’agit d’une période pendant laquelle aucun aménagement de peine ne peut être accordé – de vingt-deux ans à trente ans. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cette période de trente ans.
Pourquoi retenir une période de sûreté de trente ans et non de quarante, cinquante ou soixante ans ? Il s’agit de préserver le principe de cohérence dans notre droit. En effet, il existe déjà deux cas dans lesquels la période de sûreté de trente ans s’applique : il y a, d’une part, les actes de barbarie et les viols sur mineurs et, d’autre part, l’assassinat de toute personne dépositaire de l’autorité publique, comme un policier. Nous n’avons pas voulu créer une distorsion par rapport au droit existant. En effet, il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. Il existe en revanche des parallélismes de forme en droit, monsieur le sénateur. Nous avons accepté d’allonger la période de sûreté à trente ans, mais nous refuserons de l’étendre à quarante, cinquante ou soixante ans !
La seconde raison pour laquelle nous n’accepterons pas ces amendements tient au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Vous avez cité la Cour européenne des droits de l’homme, mais il faut aussi lire ses arrêts. Il faut notamment examiner les commentaires qu’elle publie sur les décisions qu’elle rend.
Qu’entend la Cour par relèvement de la période de sûreté ? En fait, tout condamné doit pouvoir demander, et non obtenir automatiquement, une mesure d’aménagement de peine. La CEDH estime qu’au bout de cinquante ans, un condamné est à un moment de sa vie où il n’a plus la capacité physique de demander un aménagement de peine et qu’en conséquence, une peine de cinquante ans n’est pas une peine compressible. Dans un tel cas, vous vous exposez donc à un risque de non-conformité à la CEDH. C’est pourquoi le Gouvernement sera défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Sur cette question, ne faisons aucun faux procès. Personne n’a d’états d’âme et personne ne souhaite manquer de sévérité. Quelle que soit la responsabilité que nous exerçons, nous sommes tous confrontés à un défi,…
Mme Cécile Cukierman. Absolument !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … celui de rester droit et de faire face au nom des valeurs !
J’en viens maintenant aux propositions faites par la commission des lois. Monsieur le rapporteur, en réalité, vous proposez deux évolutions par rapport au droit actuel.
La première consiste à créer une commission qui aurait à se prononcer avant le tribunal de l’application des peines. Vous soumettez donc l’intervention du tribunal à cette condition. En résumé, vous dessaisissez le tribunal au profit d’une commission au nom du respect – bien placé – que vous manifestiez tout à l’heure pour les magistrats. Pour ma part, je fais confiance aux magistrats de notre pays et je ne vois pas pourquoi nous dessaisirions un tribunal au profit d’une commission.
La seconde évolution que vous proposez concerne la présence des victimes. Je crains que demander leur avis aux victimes trente ans après les faits ne rende l’exercice matériellement compliqué en pratique. Je veux surtout insister sur un point : ne confondons pas la période de sûreté avec la libération. Ce n’est pas parce que le condamné est à la fin de la période de la sûreté qu’il bénéficie d’une libération anticipée. À ce sujet, je vous rappelle l’exemple de M. Abdallah.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à toute évolution par rapport au texte tel qu’il a été transmis au Sénat. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le garde des sceaux, vous venez de me donner raison. En effet, vous venez de totalement détruire l’argumentation de M. Mercier, votre ancien collègue garde des sceaux !
Mes chers collègues, je me tourne désormais vers vous. Vous avez compris ce que vient de nous dire M. le garde des sceaux : les garanties que M. le rapporteur vous propose d’adopter pour vous empêcher de voter en faveur de l’allongement de la période de sûreté à quarante ans ne peuvent pas prospérer. À ce sujet, monsieur le garde des sceaux, vous avez essayé de tourner mon propos en dérision : je n’ai jamais proposé de porter cette période à soixante ans mais à quarante ou cinquante ans. (C’est pareil ! sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Cécile Cukierman. Et pourquoi pas soixante ans ?
M. Jean-Pierre Grand. Mes chers collègues, vous devez voter en faveur d’une augmentation du quantum de la peine à quarante ans – je suis prêt à accepter une période de quarante ans, monsieur le rapporteur ! –, car il a été publiquement annoncé ici, au Sénat, à dix-sept heures quarante-cinq, que les mesures que M. le rapporteur vous demande de voter ne peuvent prospérer. Vous avez raison à ce sujet, monsieur le garde des sceaux !
Nous savons très bien que la peine sera prononcée par une cour d’assises – spéciale ou non – dans un an, deux ans ou trois ans, selon la difficulté du dossier. Les magistrats auront alors en face d’eux les terroristes, les assassins. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, quand vous nous dites que le quantum de trente ans est celui qui convient, parce qu’il s’agit du quantum habituel. Quand on tue 140 personnes, quand on fait partie d’une organisation terroriste internationale, quand on porte atteinte aux droits de l’homme, la peine que l’on encourt doit être infiniment supérieure !
Monsieur le rapporteur, je vous le dis à l’instant même : il faut oublier votre argumentation et les garanties que vous souhaitez apporter de bonne foi au dispositif. M. le garde des sceaux vient en effet de nous expliquer qu’il s’agissait d’un chèque sans provision. Je vous propose que chacun fasse un pas vers l’autre…
Mme Éliane Assassi. Cela ne marche pas ainsi !
Mme Cécile Cukierman. Cela ne se négocie pas !
M. Jean-Pierre Grand. Retenir un quantum de quarante ans permet de respecter les obligations fixées par la Cour européenne des droits de l’homme, qui, je vous le rappelle, monsieur le garde des sceaux, constate ou observe mais ne sanctionne pas. Aujourd’hui, je vous demande, au nom de toutes celles et de tous ceux qui ont été assassinés à travers le monde par les mêmes hommes et la même organisation, d’accepter que l’on étende la période de sûreté de dix ans. Ce sera un message fort ! (MM. Cédric Perrin et Alain Vasselle applaudissent.)
Mme la présidente. Monsieur Jean-Pierre Grand, l'amendement n° 257 rectifié sur l’allongement de la période de sûreté à cinquante ans est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Oui, je le maintiens, j’attends la réponse de M. le rapporteur ou de M. le président de la commission des lois.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Tout d’abord, il est indiqué dans l’amendement de M. Karoutchi qu’« aucune mesure ne peut être accordée au condamné ».
Or la mesure la plus importante que la justice belge, aujourd’hui, et la justice française, demain, ou plutôt leur administration pénitentiaire, doivent prendre est celle consistant à empêcher le futur condamné Salah Abdeslam de mettre fin à ses jours. Comme tous les terroristes, celui-ci n’attend vraisemblablement qu’une chose : ne pas comparaître devant la cour d’assises et devant les victimes qui en éprouvent pourtant le besoin. C’est d’abord cela qu’il convient de dire.
Ensuite, monsieur le rapporteur, vous avez raison de rappeler que la perpétuité est une réalité. En effet, les cas existent ! On parle notamment de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant Pierre Bodein. Cet homme a défrayé la chronique dans le territoire du Bas-Rhin et, à mon avis, ne sortira jamais de détention, tant le cas est lourd et l’individu dangereux. Pierre Bodein a effectivement bénéficié grâce à la Cour d’une perspective d’élargissement. Tout ce que demande la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 3 de la Convention, c’est seulement qu’il existe une telle perspective.
Dès lors que, au moment de la condamnation, cette perspective existe, même si elle est reportée à trente ans, les dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, que nous avons adoptée au nom de nos valeurs, sont respectées.
Monsieur le rapporteur, notre groupe votera votre amendement.
En commission, j’ai fait deux observations.
Premièrement, je me suis demandé s’il était nécessaire de saisir une commission spéciale composée de très hauts magistrats. Je peux comprendre que vous pensiez que ce soit utile. Ne soyons pas forcément opposés à cette façon d’aborder les choses, mes chers collègues : l’avis rendu par ces très hauts magistrats aidera peut-être les magistrats de première instance qui seront appelés à statuer.
Deuxièmement, je me suis interrogé sur la difficulté que peut représenter la notification aux victimes, plus de trente ans plus tard, de la saisine éventuelle.
Ce qu’il faut savoir et dire à la population, c’est que la possibilité d’un aménagement de la peine au bout de trente ans commence par l’éventualité d’une permission de sortie. C’est cela le début de l’aménagement de la peine pour quelqu’un qui, en principe, n’a pas d’espoir de sortir. C’est aussi l’élargissement qu’exige la Cour européenne des droits de l’homme, au nom de l’article 3 de la Convention européenne.
En tant que Strasbourgeois, je ne peux oublier, quand je suis devant le Conseil de l’Europe, qui est le ferment de la paix qui a été voulue en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,…
M. Roger Karoutchi. Quel rapport ?
M. Jacques Bigot. … que ce que les terroristes veulent attaquer en Europe, ce sont précisément ces valeurs, que nous défendons.
MM. Jean-Pierre Grand et Roger Karoutchi. Nous ne voulons pas la guerre !
M. Jacques Bigot. Monsieur le rapporteur, nous soutiendrons avec conviction votre amendement, parce qu’il va dans le bon sens. Il a pour objet de rassurer et de poser le principe d’une perpétuité réelle et d’un élargissement possible, lequel est loin d’être certain. La situation du terroriste actuellement incarcéré qui a déjà demandé neuf aménagements de peine et n’en a obtenu aucun est là pour le prouver. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. L’organisation de l’échelle des peines doit être appréhendée avec beaucoup de précaution et de réflexion. En tout cas, il faut éviter de la soumettre à l’émotion, à la surenchère et à l’exploitation politique.
Mes chers collègues, vous nous dites que les Français et les Françaises veulent la perpétuité réelle. Permettez-moi de rappeler que c’est peut-être sous le coup de l’émotion qu’une partie de la population – une majorité peut-être – la souhaite.
Devons-nous aller dans ce sens ? Quoi qu’il en soit, je veux rappeler ici qu’il est des Françaises et des Français qui ne souscrivent pas à ce qui est proposé à travers les sous-amendements de M. Grand ou l’amendement n° 18 rectifié, parce qu’ils sont convaincus qu’une condamnation plus dure, plus forte, essentiellement décidée pour des raisons d’affichage, ne servira en rien la société demain.
En quoi une peine permet-elle d’éviter la reproduction des actes incriminés par l’auteur lui-même ou par un autre ? En quoi la prison permet-elle de diminuer la violence dans notre pays ? Là sont les vraies questions.
Toutefois, depuis quelques jours, après l’intervention surprenante, à l’Assemblée nationale, de Mme Kosciusko-Morizet – si soucieuse, à l’accoutumée, de cultiver son image de personne ouverte d’esprit –, l’idée d’une perpétuité réelle incompressible à l’égard des terroristes fait son chemin.
Monsieur le rapporteur, ainsi que M. le garde des sceaux l’a rappelé, aujourd'hui, la prison à vie existe ! La peine de trente ans incompressible est déjà une peine extrêmement lourde, qui, de fait, empêche le détenu de se projeter dans l’avenir et, même, d’espérer sortir un jour de prison, tout en permettant à la société de garder l’espoir dans l’espèce humaine et dans le vivre ensemble. (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.)
Au contraire, la peine ici proposée – une peine de mort qui ne porte pas son nom, il faut, mes chers collègues, avoir le courage de dire les choses telles qu’elles sont – est contraire aux valeurs de notre pays. Nous nous y opposerons.
Pour conclure, je veux rappeler les propos de l’une des signataires de l’amendement n° 18 rectifié : « utiliser contre les terroristes la peine de mort qu’ils pratiquent si volontiers, c’est pour une démocratie faire siennes les valeurs des terroristes. […] Nous ne devons jamais sous-estimer la force du droit ». C’était à l’occasion de l’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution, en février 2007.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, le présent débat me semble montrer le danger de ce texte : à relever le seuil des garanties des libertés individuelles, nous permettons que les idées les plus populistes triomphent. On ne fait pas la loi pour répondre à l’émotion du moment ; on la fait pour permettre à la société de mieux vivre demain. Or les sous-amendements et les amendements qui nous sont présentés ne permettent pas de répondre à ce défi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Sincèrement, on croit rêver… À moins que la déconnexion entre les élus et le peuple ne devienne proprement hallucinante.
Monsieur le garde des sceaux, qui ici met en doute le fait que votre gouvernement, en 2015, a pris des mesures ? Pas moi ! Qui ici soutient que le Président de la République, dans ses interventions de janvier et novembre 2015, ne s’est pas montré digne de la République ? Pas moi ! Je n’ai jamais rien dit en ce sens. D'ailleurs, j’ai voté pratiquement toutes les mesures que les différents ministres du Gouvernement, qu’il s’agisse du ministre de la justice, du ministre de l’intérieur ou du ministre de la défense, ont soumises au Sénat.
M. Jean-Louis Carrère. C’est bien !
M. Roger Karoutchi. Ne me faites donc pas de faux procès.
Le problème est extrêmement simple.
J’éprouve un respect profond pour les magistrats, qui, je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, font leur travail et le font bien. Je le reconnais sans états d’âme.
Cependant, je suis favorable à ce que, dans notre système, où la loi s’applique aux magistrats comme aux autres, celle-ci leur permette de condamner tel terroriste à la détention perpétuelle réelle, quand l’acte particulier pour lequel il est jugé présente un caractère d’horreur qui le justifie, et tel autre terroriste à une peine incompressible de trente ou quarante ans de détention, s’ils estiment que l’acte commis par celui-ci ne relève pas du massacre le plus horrible. Puisque vous dites faire confiance aux magistrats, faisons leur confiance jusqu’au bout !
Sans verser dans le populisme – ce n’est tout de même pas un crime de citer l’opinion publique et les citoyens –, je pense aux familles des victimes ou aux personnes qui ont été touchées directement par les attentats. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Je peux aussi vous dire que, lorsque je prends le métro le matin, je suis abordé par des gens qui se disent rassurés de me voir et qui me demandent si cela signifie qu’il n’y a pas de risque d’attentats dans le métro parisien.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai ! Vous fantasmez complètement !
M. Roger Karoutchi. C’est la vérité !
Mme Éliane Assassi. Non ! Je ne peux pas vous laisser dire cela !
Mme la présidente. Laissez conclure l’orateur !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, vous devez assurer aux Français que les mesures seront prises, dans le respect des magistrats et de la loi. Sinon, cela voudrait dire que nous sommes dans un autre monde, un monde de Bisounours, dont vous pouvez être certain qu’il n’est pas celui des terroristes ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
M. Jean-Louis Carrère. La compétition est rude au sein du groupe Les Républicains…
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Ce débat n’est pas simple et il est heureux que l’on prenne le temps de s’attarder un peu sur la question.
Je comprends bien les arguments du garde des sceaux. J’ai compris qu’il voulait aller le plus loin possible, mais aussi se prémunir contre une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. Je l’entends.
J’entends aussi ce que dit Roger Karoutchi.
Il me semble que la difficulté, dans cette affaire, c’est que, dans notre raisonnement, nous avons tendance à penser que ce sont des terroristes qui frappent notre pays. Je crains que, pour leur part, ces individus ne se considèrent pas simplement comme des terroristes : ce sont de véritables criminels de guerre.
Mme Éliane Assassi. Non ! Cela voudrait dire qu’ils relèvent des conventions de Genève…
M. Dominique de Legge. D’ailleurs, ils se définissent eux-mêmes comme des soldats en guerre,…
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Dominique de Legge. … qui commettent des actes de guerre. (Mme Éliane Assassi et M. Pierre-Yves Collombat s’exclament.) À cet égard, quand le Gouvernement déclare que nous sommes dans une situation de guerre, il définit bien l’état d’esprit qui est celui des personnes qui nous attaquent aujourd'hui.
Par conséquent, vouloir traiter les personnes qui perpètrent des actes abominables sur notre territoire comme de simples terroristes est de nature à poser des difficultés. J’y insiste, ceux qui veulent attaquer notre pays sont plus que des terroristes : ce sont des gens qui sont en situation de guerre.
M. Alain Vasselle. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Non !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Le débat est important.
M. Charles Revet. Il est grave.
M. Jacques Mézard. Je comprends tous ceux qui se sont exprimés.
Toutefois, je veux dire très clairement qu’il importe de prendre du recul.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jacques Mézard. Des décisions de ce type ne doivent pas être prises sous le coup de l’émotion, même si celle-ci est compréhensible et respectable.
J’entends parler de « perpétuité réelle », comme si la condamnation à perpétuité n’avait aucun sens. Pourtant, cela existe.
Mme Éliane Assassi. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Comme le garde des sceaux l’a rappelé, il y a aujourd'hui en France une personne emprisonnée depuis quarante ans.
Au reste, il ne faut jamais oublier que, dans les prisons, il n'y a pas que les détenus : il y a aussi les gardiens. Or, si les hommes détenus – les femmes concernées sont peu nombreuses – ne peuvent plus nourrir aucun espoir de quoi que ce soit, même si j’entends bien que nous ne voulons pas leur donner d’espoir, c’est la mission et le travail des gardiens de prison qui seront rendus beaucoup plus difficiles.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jacques Mézard. Soyons raisonnables et réalistes. J’ai entendu parler de l’opinion publique ; je la respecte.
M. Roger Karoutchi. Tu parles !
M. Jacques Mézard. J’ai entendu parler de symboles ; j’ai dit ce que je pensais à ce sujet. Néanmoins, nous ne pouvons pas prendre de décisions de cette nature, car nous adresserions alors à nos concitoyens de mauvais messages, que nous regretterions d’une manière ou d’une autre. Soyons fidèles à notre tradition. Or, en réagissant de la sorte aux événements qui nous frappent aujourd'hui, je crains que nous ne donnions en partie raison à ceux qui nous font la guerre.
M. Jean-Louis Carrère. Oui !
M. Jacques Mézard. Même si je suis souvent d’accord avec Roger Karoutchi – il le sait –,…
M. Jean-Louis Carrère. C’est dommage !
M. Jacques Mézard. Non, ce n’est pas dommage parce qu’il y a de bonnes idées de tous les côtés !
Même si je suis souvent d’accord avec Roger Karoutchi, disais-je, prendre des décisions de ce type, dans les circonstances actuelles, ce n’est pas délivrer un bon message. Le message à transmettre est que la loi de la République s’applique, et s’applique fermement.
Cinquante ans est une durée qui n’a pas de correspondance avec la réalité dans nos maisons d’arrêt et dans nos maisons centrales. Pourquoi pas quatre-vingt-dix ans, tant que nous y sommes ?
Mes chers collègues, je vous demande d’y réfléchir, car, si la communication est une chose, les décisions prises en sont une autre et il faut vivre ensuite avec ces décisions.
M. Jean-Louis Carrère. Bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mes chers collègues, moi aussi, je rencontre, chaque jour, beaucoup de Français. Tous, sans exception, demandent que les terroristes soient empêchés de nuire, qu’ils soient condamnés aux peines les plus sévères, voire à la perpétuité, si celle-ci est justifiée, et que, dans cette hypothèse, la condamnation à perpétuité soit effective, sans possibilité de remise de peine.
Bien entendu, quand il s'agit de justice, la volonté populaire doit être prise en compte. Les tribunaux se prononcent au nom du peuple français. Dans le même temps, ce sont des magistrats qui instruisent les dossiers, qui prononcent les peines – avec le jury, s'agissant de cours d’assises –, qui veillent à leur exécution et prononcent toute mesure pouvant être prise au titre de cette exécution.
Il est une réalité qui doit quand même être rappelée : c’est qu’aucun terroriste islamiste condamné à perpétuité n’a jamais été libéré en France. (M. le rapporteur opine.) Nous avons cité tout à l'heure le cas de Georges Ibrahim Abdallah condamné à perpétuité, non pas pour des actes criminels directs, mais pour complicité de terrorisme, à une époque où il n’existait pas de période de sûreté, pas même de dix-huit ou vingt-deux ans – M. le garde des sceaux l’a rappelé tout à l'heure. Pour autant, avec constance, les juges de l’application des peines, saisis neuf fois, ont, neuf fois, refusé sa libération, pour une raison très simple, à savoir que la peine n’était pas purgée.
Cependant, nos magistrats doivent aussi, au nom de la sécurité des Français, prendre en compte la dangerosité des individus, comme la loi le prévoit déjà. Mes chers collègues, croyez-vous vraiment que nos magistrats libéreraient à la légère des individus qu’ils soupçonneraient de poser le moindre danger ? Croyez-vous vraiment qu’ils assumeraient en conscience la part de culpabilité que ferait naître chez eux le sentiment de relâcher des criminels dangereux ?
Pourtant, je fais partie de ceux qui souhaitent que le régime applicable à l’exécution des peines de perpétuité prononcées contre les terroristes soit considérablement durci, de manière que nous puissions être encore plus certains – et nos citoyens, encore plus convaincus – qu’ils ne pourront jamais être libérés.
D’ailleurs, qu’est-ce qui empêcherait un terroriste condamné à l’âge de vingt ans à une peine assortie d’une période de sûreté de quarante ans de commettre un crime à sa sortie de prison, à soixante ans ? La durée de la période de sûreté ne résout pas tous les problèmes. Au reste, cela n’a pas empêché le Sénat de décider de l’allonger pour les criminels terroristes – nous avons d'ailleurs été les premiers à le faire.
Certes, nous ne l’avons pas fait pour les tueurs d’enfants qui ont commis des actes de barbarie, ce qui ne signifie pas que, dans l’indignité des crimes, certains devraient être avantagés par rapport à d’autres.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À la vérité, il nous faut conduire une réflexion profonde sur l’exécution des peines, mais, aujourd'hui, c’est le terrorisme qui nous préoccupe, et, sur ce plan, la volonté est commune : il s’agit de s’assurer, pour l’avenir, par des mesures beaucoup plus restrictives que celles qui existent actuellement, qu’aucun terroriste condamné à perpétuité ne pourra sortir de prison.
La commission est en désaccord avec un certain nombre de nos collègues, notamment les auteurs des sous-amendements qui ont été présentés tout à l'heure. Je l’assume parfaitement, car ce débat est tout à fait légitime. En réalité, ce désaccord porte sur les méthodes qui nous permettront d’atteindre le résultat que nous recherchons ensemble.
Assortir la perpétuité de la période de sûreté la plus longue possible peut être une satisfaction morale et politique. Mais, d’une part, cela ne suffirait pas et, d’autre part, puisque nous avons la certitude, éclairés par les travaux de notre commission, qui a passé beaucoup de temps à examiner le droit, que le Conseil constitutionnel, demain, réduira notre travail à néant, nous n’aurons rien, pour avoir voulu tout.
Quelle crédibilité aurons-nous alors auprès des Français, nous qui nous faisons le relais de la demande, si largement partagée par nos concitoyens, d’une sévérité accrue dans l’exécution des peines de perpétuité pour les terroristes ? Que leur dirons-nous ? Que le Conseil constitutionnel est méchant et que la Cour européenne des droits de l’homme n’a rien compris ? Quand bien même aurait-on raison de le dire, nous n’aurons pas réussi à inscrire dans la loi des dispositions permettant de garantir une perpétuité réelle.
Dans les faits, la perpétuité est déjà effective, le terme de la période de sûreté n’emportant évidemment pas de libération automatique, comme je crois l’avoir démontré sur la base de cas précis. Toutefois, nous voulons faire en sorte que ce point ne soit pas discuté à l’avenir.
Comme l’a proposé M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, nous avons prévu des éléments de procédure aussi rigoureux que l’obligation de consulter les parties civiles et leurs associations, même trente ans après, et l’impossibilité pour le tribunal de l’application des peines d’imposer une décision sans avoir d'abord obtenu l’aval de cinq magistrats de la Cour de cassation – il me semble que ces magistrats d’expérience, qui ne sont pas réputés pour être de grands fantaisistes, ne seront pas portés à faire courir des risques inutiles à la société française. (M. Jacques Mézard opine.)
Nous durcissons donc encore les conditions, mais nous ne pouvons aller au-delà des trente ans, limite infranchissable que nous assigne la Cour européenne des droits de l’homme que certains détestent – je ne conteste pas ici leurs motifs –, mais il n’en reste pas moins qu’elle dit le droit. Je ne peux, sur mon initiative, remettre en cause cet état de fait, et le Parlement français ne peut le faire non plus. Je m’efforce d’aborder cette question avec pragmatisme pour aller, en dépit des obstacles, aussi loin que possible vers la perpétuité réelle.
Ce faisant, j’observe que nous allons beaucoup plus loin que l’Assemblée nationale, et même beaucoup plus loin que ce que nous avions décidé dans notre vote du 2 février dernier, lequel était pourtant un vote de fermeté.
Je crois, mes chers collègues, que nous devons à la fois nous montrer déterminés, volontaires, exigeants, inflexibles et capables de faire franchir à ce dispositif les filtres juridiques qui lui seront opposés. Ne réduisons pas nos efforts à néant en voulant, comme au tennis, frapper un coup trop fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Monsieur le ministre, vous avez parlé d’un symbole, celui du glaive. Or les symboles de la justice, ceux de Thémis, ce sont le glaive et la balance.
Cette dernière figure le débat. Et dans cet hémicycle, nous débattons sans populisme ni angélisme. Nous ne sommes pas au pays des Bisounours, nous ne sommes pas non plus dans l’émotion.
Vous avez cité le cas de ce terroriste dont l’aménagement de peine a été refusé neuf fois par le magistrat chargé de trancher cette question. Or ce magistrat est un homme et, comme tout homme, il est faillible…
Nous devons adresser un signe aux terroristes, leur dire qu’ils ne peuvent entretenir l’espoir de la moindre tolérance de notre part, que leur peine ne sera jamais édulcorée avec le temps.
Sénateurs, députés, nous sommes tous des hommes. C'est la raison pour laquelle, réunis par notre humanité, nous n’avons pas à avoir peur du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’ai entendu plusieurs de nos collègues parler de guerre. Or je refuse l’idée selon laquelle nous serions en guerre.
M. Roger Karoutchi. Ce sont les propres mots du Gouvernement !
Mme Éliane Assassi. Certes, monsieur Karoutchi, mais rien ne vous oblige à les faire vôtres !
Accepter ce vocable reviendrait à reconnaître que Daech est un État, doté d’une armée, dont les soldats seraient protégés par la convention de Genève ! C'est la raison pour laquelle je refuse cette idée. Daech n’est pas un État et ses membres combattants ne sont pas des soldats ! Ce n’est qu’une bande de barbares avides de sang ! Il me semble important de le rappeler.
Quant à étendre la période de sûreté à quarante, voire à cinquante ans, autant être honnête : les auteurs de ces sous-amendements espèrent que les terroristes pourront seulement sortir de prison les pieds devant !
Je vous invite à faire preuve de courage. Derrière ces sous-amendements, c’est le retour de la peine de mort dans notre pays qui se dissimule. Il faudrait donc répondre à la demande « des gens » ? Mais de quels gens ? Moi aussi, monsieur Karoutchi, je prends le métro et le RER tous les matins. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Il faut sortir du métro ! Vous êtes autiste !
M. Alain Bertrand. Soyez courtois !
Mme Éliane Assassi. Bien évidemment, j’entends parfois des propos qui ne me plaisent pas. Mais il ne s’agit pas pour autant de « tous » les gens !
Nos concitoyens s’interrogent. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que nous prenions des mesures fortes pour lutter contre les actes de terrorisme sur notre territoire. Les Français veulent être protégés.
Je m’honore de faire partie de celles et de ceux qui ont pris la parole à Versailles pour inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. Je ne souhaiterais pas, à l’aune de ce débat, que l’on cherche à revenir sur cette mesure extraordinaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme le rappelait notre ami Georges Labazée, nous étions quelques-uns à être déjà parlementaires en 1981.
J’ai gardé en mémoire les débats sur l’abolition de la peine de mort. Lisez les comptes rendus et vous verrez combien la ressemblance est troublante, frappante. Les mêmes mots, les mêmes arguments étaient employés : « l’opinion ne comprendrait pas », « les effets seraient désastreux »… Mais rien n’arrête un être humain pris dans une telle folie meurtrière !
M. Cédric Perrin. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Jean-Pierre Sueur. Je garde le souvenir de ces débats. Si chacun d’entre nous est libre de ses propos, il n’est pas très juste de se prévaloir de ce que disent les gens ou de ce que pense l’opinion. Nous sommes tous sur le terrain et nous entretenons tous des contacts avec nos concitoyens…
Il y va de la dignité du Parlement de ne pas être esclave de ce que l’on peut entendre ici ou là, mais de se fonder sur les valeurs de notre droit. La plus grande victoire des terroristes serait de nous faire renoncer à cette dignité.
J’ai rencontré les organisations de surveillants de prison que Jacques Mézard a évoqués. Nous devrions aussi écouter ce qu’ils disent.
Soyons réalistes, la peine de sûreté est une nécessité. Adoptons le dispositif retenu par notre rapporteur afin de rester fidèles à nos valeurs. Ne légiférons pas sous le coup de l’actualité, par nature changeante, mais agissons en conscience.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. J’ai bien entendu l’argumentaire très développé et très long du président de la commission des lois qui confortait l’intervention de M. Mézard.
Toutefois, cosignataire des sous-amendements de M. Grand qui visent à porter à quarante ans la période de sûreté, je veux rappeler – M. Bas l’a d’ailleurs également souligné – que nos concitoyens attendent de nous des mesures de protection pour ne pas être de nouveau confrontés aux actes terroristes qui ont fait tant de victimes.
M. le président de la commission des lois a lui-même rappelé qu’un condamné était en prison depuis quarante ans. Je ne vois donc pas où est la difficulté à porter la période de sûreté de trente à quarante ans et je voterai ces sous-amendements.
Le Conseil constitutionnel risque-t-il de censurer cette disposition au nom d’une réglementation européenne ? C’est bien la seule interrogation.
J’aurais toutefois du mal à comprendre que l’on ne puisse allonger la période de sûreté à quarante ans quand l’un de nos prisonniers est justement incarcéré depuis quarante ans, à moins que nous ne soyons déjà en infraction avec le droit européen.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La question de M. Vasselle est très légitime : pourquoi la période de sûreté pendant laquelle aucun aménagement de peine n’est possible ne peut-elle être portée de trente à quarante ans ?
Si l’on regarde les choses hors de leur contexte juridique, on ne voit pas ce qui nous en empêche. Et si rien ne nous en empêchait, je voterais cette mesure des deux mains. Mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’admet qu’une période de sûreté de vingt-six ans après la condamnation. En tenant compte de la détention préventive, nous espérons qu’une durée de trente ans puisse passer de justesse. En tout état de cause, on ne peut aller plus loin.
Ces contraintes résultent de la parole de la France. Nous sommes liés par notre signature auprès du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Mais ce n’est pas tout. Il faut également tenir compte des limites posées par la Constitution de 1958 et par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à laquelle le Conseil constitutionnel a déjà fait référence, comme dans beaucoup d’autres domaines, et dont il a tiré des conséquences qui nous obligent. Nous sommes donc doublement en danger.
Je n’y suis pour rien – et je le regrette –, mais c’est ainsi. Mon seul souci est celui de l’efficacité. Je souhaiterais que nous puissions aller aussi loin que possible dans la bonne direction : celle de la sévérité afin d’assurer la protection de la société. Puissions-nous être confiants dans le fait que les magistrats, d’ici à trente ans, aient les moyens de se montrer encore plus fermes qu’actuellement.
À cet égard, vous avez cité l’exemple de Georges Ibrahim Abdallah, dont les crimes ne sont pas aussi graves que ceux que l’on reproche aux terroristes d’aujourd’hui et qui a pourtant cherché en vain à obtenir une libération conditionnelle qu’avec constance, et heureusement – si tant est qu’un parlementaire puisse se permettre de porter une appréciation sur une décision de justice –, les magistrats ont toujours refusé de lui accorder.
Je voulais vous répondre très précisément, monsieur Vasselle, car votre préoccupation est légitime. Je suis sûr que beaucoup de nos collègues la partagent. C’est vraiment à mon corps défendant que je vous fais cette réponse.
Encore une fois, si nous ne sommes pas suffisamment rigoureux ce soir, nous allons au-devant d’un échec dont nous ne sortirons pas grandis.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Si je devais résumer ce débat, je dirais qu’il s’agit du combat du cœur et de la raison.
La raison nous dit que la peine perpétuelle existe et que la commission en a encore durci les conditions.
Le cœur nous dit : « plus jamais ça ! » Ce que nous avons vécu est abominable et ne doit plus jamais se reproduire. Plus encore, nous voudrions pouvoir faire en sorte que tout cela ne soit jamais arrivé, n’ait jamais existé.
Or ce n’est pas en durcissant une loi qui n’en a pas besoin que nous pourrons revenir en arrière ou prendre des assurances éternelles pour l’avenir.
On ne pourra sans doute pas se convaincre les uns les autres, mais qu’est-ce que cela apportera de plus, sur le plan pratique, de modifier le quantum des peines ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Notre pays traverse une situation d’une extrême gravité à laquelle fait écho ce débat.
L’analyse juridique de notre rapporteur, que je soutiens, reprise par le ministre et par beaucoup d’entre nous est juste : de nombreux obstacles s’opposent au durcissement de ce dispositif.
Par ailleurs, je crois nécessaire de lever un malentendu sur la période de sûreté, dont le terme n’est pas synonyme de péril maximum, de libération du condamné, qui serait autorisé à reprendre une vie normale, comme le pensent nombre de nos concitoyens.
Notre rapporteur et le président de la commission des lois ont parfaitement expliqué qu’il s’agit d’une période au cours de laquelle aucun aménagement de peine n’est possible. À l’issue de la période de sûreté, la responsabilité des magistrats reste entière et l’expérience montre qu’ils savent se montrer à la hauteur des enjeux.
Je suis frappée d’entendre, dans tout l’hémicycle, autant de voix différentes plaider dans le même sens : le ministre, notre rapporteur, qui a excellemment et calmement exposé la situation, le président de la commission des lois, le président Mézard, la présidente Assassi, mes collègues du groupe socialiste et républicain qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet et tant d’autres de nos collègues.
À l’heure de prendre notre décision, efforçons-nous de conserver notre calme et cessons d’agiter de faux problèmes. Je le répète, l’idée selon laquelle le condamné retrouve automatiquement sa liberté à la fin de la période de sûreté est fausse, archifausse, à la fois juridiquement et dans les faits.
Nous avons la chance d’avoir sur ce texte un rapporteur dont les avis sont souvent empreints d’une extrême sagesse. Dans l’intérêt de notre institution, tâchons d’entendre et de suivre cette sagesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Monsieur Grand, le sous-amendement n° 257 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 257 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 189 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 7 |
Contre | 332 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Le sous-amendement n° 258 rectifié est-il maintenu, monsieur Grand ?
M. Jean-Pierre Grand. Oui, il faut aller au bout de cette logique infernale !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 258 rectifié.
M. Roger Karoutchi. Les modalités du scrutin public ont de rares vertus !
Naturellement, si l’amendement de la commission est adopté, les autres amendements, et notamment celui que j’ai déposé, deviendront sans objet, je n’ai aucune illusion sur ce point.
Solidaire avec Jean-Pierre Grand, je voterai le sous-amendement n° 258 rectifié, sans plus d’illusions sur le résultat du scrutin, mais conscient qu’il faut aller jusqu’au bout des choses.
Monsieur le rapporteur, quel qu’ait été mon vote sur ces sous-amendements, je voterai l’amendement de la commission, malgré l’opposition de M. le garde des sceaux, qui considère que les dispositions prévues ne sont pas réalisables. Tout de même ! Si on conserve une durée de trente ans, il semble possible de poser des conditions visant à durcir le système. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur et M. le président de la commission d’aller dans ce sens.
Monsieur le garde des sceaux, le gouvernement français et les commissions ont constamment à l’esprit la Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme, que je respecte. Toutefois, lorsque la situation change, les textes doivent peut-être également changer. Bien sûr, Mme Assassi a raison : pour ma part, je ne reconnais pas non plus un État islamique. Pour autant, j’accepte l’idée de la guerre.
Monsieur le ministre, si vous êtes persuadé que la France est en guerre, que l’Europe est en guerre, il convient probablement de faire évoluer les conventions et l’ensemble des textes. Vous me parlez d’arrêts de 1994 : ils ont été pris à une époque où il n’y avait quasiment pas de terrorisme en Europe !
Mme Cécile Cukierman. Et les attentats de 1995 ?
M. Roger Karoutchi. À un moment donné, il faut faire évoluer les textes ! Cela relève de votre responsabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Je suis dans le même état d’esprit que Roger Karoutchi. Je maintiens ce sous-amendement, tout en sachant que le scrutin public donnera à peu près le même résultat que précédemment.
Monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, l’incarcération de trente ans n’est mentionnée nulle part. Cela n’existe pas ! C’est un effet de séance. Au demeurant, nous respectons absolument la Cour européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, je ne vois pas le Conseil constitutionnel censurer la disposition que nous proposons. S’il devait intervenir, monsieur le rapporteur, sa censure porterait sur les mesures complémentaires que vous avez annoncées et que M. le ministre a opportunément dénoncées au regard du droit. Le Conseil constitutionnel ne s’opposerait pas, nous le savons parfaitement, à une période de sûreté de quarante ans, que je soumets à votre approbation, mes chers collègues.
Il s’agit bien d’un vote politique. L’étape suivante sera celle de la commission mixte paritaire, au cours de laquelle, naturellement, les mesures complémentaires disparaîtront. Vous acquiescez, monsieur le ministre, et vous avez raison !
Mes chers collègues, je vous demande de réfléchir : dans le cadre d’un scrutin public, on saura ce que chacun d’entre vous aura voté, l’analyse du vote figurant au Journal officiel.
Je connais la tradition selon laquelle la position du groupe majoritaire est en harmonie avec celle de la commission. Mais il s’agit là, je vous le rappelle, d’un vote politique. Nous avons été menés en bateau dans cette affaire, ce que je déplore profondément.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Tout en respectant la réflexion et l’argumentation qui ont conduit M. Grand à présenter ces sous-amendements, je souhaite faire observer à mes collègues que tous les votes intervenus ici ont été politiques. Ceux qui ont choisi, après réflexion, de suivre la commission, l’ont fait en vertu d’une motivation politique, qui mérite autant le respect que celle de ceux qui s’y sont opposés.
Monsieur Grand, vous faites, je le souligne, un pari hasardeux. Ceux qui ont, dans cette assemblée, soutenu l’amendement et l’équilibre proposés par le rapporteur continueront à le faire dans le cadre de la commission mixte paritaire. Même si le Gouvernement nous donne une indication différente, pour se garder le temps de la réflexion, je fais le pari que le texte définitif adopté à la suite d’un accord en commission mixte paritaire sera celui sur lequel nous nous engagerons aujourd'hui par notre vote. (M. Alain Bertrand applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Le fait que M. Grand maintienne son sous-amendement, pour les raisons qu’il vient de développer, doit nous interpeller, en dépit de l’argumentation de M. le garde des sceaux et de M. le président de la commission des lois, qui m’a d’ailleurs conduit à faire évoluer ma position sur le sous-amendement précédent.
Cela étant, on ne peut rester indifférent à cette situation. J’entends bien l’argument selon lequel les dispositions prévues par ces sous-amendements seraient inconstitutionnelles ou risqueraient d’être sanctionnées par la Cour européenne des droits de l’homme. Toutefois, notre pays devrait en tirer des enseignements, et prendre l’initiative de sensibiliser nos collègues européens à cette question, pour faire évoluer la Convention européenne des droits de l’homme. Car ce que vient de vivre la France, d’autres pays, notamment la Belgique, l’ont également vécu.
Faisons évoluer la législation européenne, de manière que le droit des autres pays évolue dans le sens que nous souhaitons !
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 258 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 190 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 4 |
Contre | 336 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 243.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 191 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 314 |
Contre | 30 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
En conséquence, les amendements nos 1 rectifié, 6 rectifié et 18 rectifié n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l'article 4 ter A, modifié.
(L'article 4 ter A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 4 ter A
Mme la présidente. L'amendement n° 225, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 4 ter A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 716-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Quand il y a eu détention provisoire à quelque stade que ce soit de la procédure, cette détention est également intégralement déduite de la durée de la période de sûreté dont la peine est, le cas échéant, accompagnée nonobstant l’exécution simultanée d’autres peines d’emprisonnement. » ;
2° Après l'article 720-2, il est inséré un article 720-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 720-2-1. – Lorsque la personne condamnée exécute plusieurs peines qui ne sont pas en concours et toutes assorties d’une période de sûreté, ces périodes de sûreté s’exécutent cumulativement et de manière continue.
« En cas de condamnations en concours comportant toutes des périodes de sûreté, la période de sûreté à exécuter sera réduite au maximum des deux tiers de ces condamnations après leur réduction au maximum légal. Si une peine de réclusion criminelle à perpétuité a été prononcée, les périodes de sûreté s’exécutent cumulativement dans la limite de 22 ans ou, le cas échéant, la période de sûreté fixée spécialement par la cour d’assises en application du deuxième alinéa de l’article 221-3, du dernier alinéa de l’article 221-4 et de l’article 421-7 du code pénal.
« Lorsque la personne condamnée exécute plusieurs peines assorties d’une période de sûreté et qui ont fait l’objet d’une confusion, la durée de la période de sûreté à exécuter est celle de la période de sûreté la plus longue. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement tend à clarifier le régime juridique de la période de sûreté, c’est-à-dire la modalité d’exécution de la peine, en précisant que la durée de la détention provisoire, exécutée dans le cadre de la même procédure, est imputée sur celle de la période de sûreté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4 ter A.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 67 rectifié bis, présenté par MM. Retailleau, Buffet, Allizard, G. Bailly, Bizet, Bonhomme, Bouchet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi, Darnaud et Dassault, Mme Debré, M. Delattre, Mmes Deroche, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, Forissier, B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, M. Genest, Mme Giudicelli, MM. Gournac et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Houel, Houpert et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mmes Kammermann et Keller, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lemoyne, Lenoir et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mmes Mélot, M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Perrin, Pierre, Pillet, Pinton et Pointereau, Mme Primas, MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Reichardt, Revet, Savary, Savin, Sido et Trillard, Mme Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle, Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4 ter A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le titre XV du livre IV est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« De la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté
« Art. 706-25-15. – À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, peuvent faire l’objet à l’issue de cette peine d’une rétention de sûreté selon les modalités prévues par la présente section, à la condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle.
« La rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si le tribunal correctionnel ou la cour d’assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l’objet à la fin de sa peine d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle rétention de sûreté.
« La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge destinée à permettre la fin de cette mesure.
« Art. 706-25-16. – La situation des personnes mentionnées à l’article 706-25-15 est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l’objet d’une rétention de sûreté dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l’inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, ainsi que, le cas échéant, les obligations résultant d’un placement sous surveillance électronique mobile, susceptible d’être prononcé dans le cadre d’une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-25-15 ;
« 2° Et si cette rétention constitue ainsi l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« Si la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle peut renvoyer, le cas échéant, le dossier au juge de l’application des peines pour qu’il apprécie l’éventualité d’un placement sous surveillance judiciaire.
« Art. 706-25-17. – La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente. Cette juridiction est composée d’un président de chambre et de deux conseillers de la cour d’appel, désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans.
« Cette juridiction est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l’article 763-10, au moins trois mois avant la date prévue pour la libération du condamné. Elle statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit.
« La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée au regard des dispositions de l’article 706-25-16.
« Cette décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la peine du condamné.
« Elle peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté, composée de trois conseillers à la Cour de cassation désignés pour une durée de trois ans par le premier président de cette cour.
« La juridiction nationale statue par une décision motivée, susceptible d’un pourvoi en cassation.
« Art. 706-25-18. – La décision de rétention de sûreté est valable pour une durée d’un an.
« La rétention de sûreté peut être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, selon les modalités prévues à l’article 706-25-17 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues à l’article 706-25-16 sont toujours remplies.
« Art. 706-25-19. – Après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté, la personne placée en rétention de sûreté peut demander à la juridiction régionale de la rétention de sûreté qu’il soit mis fin à cette mesure. Il est mis fin d’office à la rétention si cette juridiction n’a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. En cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai de trois mois.
« La décision de cette juridiction peut faire l’objet des recours prévus à l’article 706-25-17.
« Art. 706-25-20. – La juridiction régionale de la rétention de sûreté ordonne d’office qu’il soit immédiatement mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions prévues à l’article 706-25-16 ne sont plus remplies.
« Art. 706-25-21. – Si la rétention de sûreté n’est pas décidée en application de l’article 706-25-16, renouvelée en application de l’article 706-25-18, ou s’il y est mis fin en application des articles 706-25-19 ou 706-25-20 et, si la personne présente des risques de commettre les infractions mentionnées à l’article 706-25-15, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, par la même décision et après débat contradictoire au cours duquel la personne est assistée par un avocat choisi ou commis d’office, placer celle-ci sous surveillance de sûreté pendant une durée de deux ans. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l’article 723-30, en particulier, après vérification de la faisabilité technique de la mesure, le placement sous surveillance électronique mobile dans les conditions prévues aux articles 763-12 et 763-13. Le placement sous surveillance de sûreté peut faire l’objet des recours prévus à l’article 706-25-17. La mainlevée de la surveillance de sûreté peut être demandée selon les modalités prévues à l’article 706-25-19.
« À l’issue du délai mentionné à la première phrase du premier alinéa du présent article, la surveillance de sûreté peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée.
« Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-25-15, le président de la juridiction régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre judiciaire de sûreté. Ce placement doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale statuant conformément à l’article 706-25-17, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la rétention. La décision de confirmation peut faire l’objet des recours prévus au même article 706-25-17.
« Le placement en centre judiciaire de sûreté prévu au troisième alinéa du présent article ne peut être ordonné qu’à la condition qu’un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté apparaisse insuffisant pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-25-15.
« Le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté avertit la personne placée sous surveillance de sûreté que le placement sous surveillance électronique mobile ne pourra être mis en œuvre sans son consentement mais que, à défaut ou si elle manque à ses obligations, le placement dans un centre judiciaire de sûreté pourra être ordonné dans les conditions prévues par les troisième et quatrième alinéas du présent article.
« En cas de violation de ses obligations par la personne placée sous surveillance de sûreté, l’article 709-1-1 est applicable ; le juge de l’application des peines ou, en cas d’urgence et d’empêchement de celui-ci ou du magistrat du siège qui le remplace, le procureur de la République peut décerner mandat d’arrêt ou d’amener contre la personne, conformément à l’article 712-17, pour permettre le cas échéant sa présentation devant le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté ; en cas de décision de placement en rétention prise par ce président, la personne peut être retenue le temps strictement nécessaire à sa conduite dans le centre judiciaire de sûreté.
« Art. 706-25-22. – La présente section n’est pas applicable à la personne qui bénéficie d’une libération conditionnelle, sauf si cette mesure a fait l’objet d’une révocation.
« Art. 706-25-23. – La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise de la rétention de sûreté ou de la surveillance de sûreté doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706-25-24. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente section.
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles s’exercent les droits des personnes retenues dans un centre judiciaire de sûreté, y compris en matière d’emploi, d’éducation et de formation, de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l’exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public.
« La liste des cours d’appel dans lesquelles siègent les juridictions régionales prévues au premier alinéa de l’article 706-25-17 et le ressort de leur compétence territoriale sont fixés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. » ;
2° Au dernier alinéa de l’article 362, les mots : « par l’article » sont remplacés par les mots : « par les articles 706-25-15 et » et après le mot : « conformément », sont insérés les mots : « à l’article 706-25-16 ou » ;
3° Après l’article 464-1, il est inséré un article 464-2 ainsi rédigé :
« Art. 464-2. – Dans les cas prévus par l’article 706-25-15, le tribunal statue pour déterminer s’il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l’exécution de la totalité de sa peine en vue d’une éventuelle rétention de sûreté conformément à l’article 706-25-16. »
II. – Les personnes exécutant, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, une peine privative de liberté pour les infractions mentionnées à l’article 706-25-15 du code de procédure pénale peuvent être soumises, dans le cadre d’une surveillance judiciaire ou d’une surveillance de sûreté, à une obligation d’assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile.
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Cet amendement vise à assujettir les personnes condamnées pour terrorisme à la possibilité d'être placées en rétention de sûreté ou sous surveillance de sûreté à l'issue de l'exécution de leur peine, dès lors que serait établie leur particulière dangerosité.
La rétention de sûreté pourrait être décidée dans les mêmes conditions que celles qui sont définies par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
L'examen de la situation des personnes concernées devrait en conséquence être expressément prévu lors de leur condamnation par la juridiction de jugement. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la rétention de sûreté ne trouverait à s'appliquer qu'aux personnes qui seraient condamnées pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.
De même, les personnes condamnées pour terrorisme pourraient être assujetties, à l'issue de leur condamnation, à la surveillance de sûreté sur décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente.
La décision de placement sous surveillance de sûreté comprendrait des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l'article 723-30 du code de procédure pénale, en particulier, après vérification de la faisabilité technique de la mesure, le placement sous surveillance électronique mobile.
Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt, Bouchet, Savin, G. Bailly, Fouché, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l'article 4 ter A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article 706-53-13 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est de même pour les crimes prévus aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Dans un esprit de rassemblement, je retire cet amendement au profit de celui qui vient d’être présenté par Catherine Troendlé, dont la rédaction est plus complète. En matière de rétention de sûreté, il me semble emprunter la bonne direction ; j’y apporte donc mon soutien.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié quater est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 67 rectifié bis ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Dans mon propos de présentation du texte, j’ai indiqué que sur les quelque 102 articles que comporte le texte, nous avions six désaccords de principe avec la commission.
La rétention de sûreté est l’un de ces six points de désaccord, pour des raisons de cohérence avec notre opposition, en 2008, à l’adoption du projet de loi relatif à la rétention de sûreté.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous ne pouvons pas accepter cette idée de rétention de sûreté.
En 2008 – nos réserves, à l’époque, étaient déjà très importantes –, la loi visait des délinquants auteurs d’infractions sexuelles, la perspective étant de les soumettre à des examens psychiatriques.
Aujourd’hui, vous proposez d’aller plus loin, au nom de la « dangerosité du sujet ». Le résultat, ce seront des peines de prison sans fin, qui ressembleront fort à de la perpétuité – nous en avons beaucoup parlé tout à l’heure. On dira aux condamnés : « vous êtes condamnés, et, si ça va, on vous permettra éventuellement de sortir. »
S’il y a sanction, celle-ci doit correspondre à une peine ! Ou alors, il nous faut inventer des mesures de police administrative qui soient de nature à protéger la société contre tous les individus dangereux – ces mesures existent déjà en partie, notamment lorsque la dangerosité est liée à des motifs psychiatriques. Mais c’est un autre sujet, plus global.
Il me semble donc véritablement inadmissible d’instituer ce genre de « peine après la peine » – la peine réelle étant différente de la peine prévue.
Si nous devions en adopter le principe, je suis convaincu que la première question prioritaire de constitutionnalité ou saisine de la Cour européenne des droits de l’homme venue nous mettrait en difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous voterons évidemment contre cet amendement.
Je ne souhaite pas rouvrir ici le débat sur la rétention de sûreté, mais sa suppression avait été promise, et même fermement annoncée, à plusieurs reprises, par la garde des sceaux précédente. Nous l’attendons toujours !
Je rappelle que dans un avis publié en novembre dernier, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, jugeait ce dispositif inutile et « contraire aux principes fondamentaux du droit pénal français ». Elle en recommandait d’ailleurs l’abolition. Il ne nous semble donc pas judicieux, bien au contraire, de l’élargir.
Nous avons déjà eu ce débat : notre droit doit être construit, clair, intelligible. Il permet d’ores et déjà – plusieurs intervenants l’ont rappelé avant moi – de placer à l’écart de la société les personnes ayant commis des crimes odieux.
Madame Troendlé, je vous invite à relire ce que vous aviez dit en 2007, au moment de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort. Je me permets de vous citer : « la démocratie a tort de se croire faible, sous prétexte qu’elle ne manie pas le fer et le feu des tyrans. ».
Je crois qu’en effet notre force, face à de tels drames, de tels meurtres barbares, de telles émotions, est de ne pas tomber dans le « toujours plus » sécuritaire. Ce serait trop simple, trop facile, et nous savons, malheureusement, que cela n’empêchera jamais la perpétration d’autres actes terribles. Cela reviendrait, en outre, à dénaturer notre droit, et donc, en définitive, à donner raison aux barbares. Je m’y refuse ! C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous soutiendrons la position du Gouvernement sur cet amendement. Nous avons constamment dit notre opposition au principe même de la peine de sûreté. Qu’est-ce, en effet, que la rétention de sûreté, sinon une peine après la peine ?
M. Jean-Pierre Sueur Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Que l’on prononce des condamnations longues, très longues, voire des peines de réclusion à perpétuité, dans les conditions dont nous avons parlé tout à l’heure, c’est une chose : je ne suis ni pour l’angélisme ni pour le laxisme. Mais le principe même de la rétention de sûreté est vicié : il signifie qu’une fois la peine exécutée, on considère qu’il est légitime de ne pas libérer la personne qui a été condamnée.
Cela pose également le problème de la confiance à l’égard de l’institution judiciaire, qu’il faudra bien finir par soulever.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Si nous considérons que notre justice fonctionne mal, donnons-lui les moyens de mieux fonctionner ! La remise en cause systématique du travail des magistrats n’est pas la solution.
Je ne suis pas toujours tendre avec les magistrats : j’ai plaidé pendant trente-huit ans, et j’ai, à ce titre, mon opinion sur la question. Néanmoins, je considère que, globalement, nos magistrats font consciencieusement leur métier. Inscrire dans la loi des instruments de défiance à l’égard de leur action, ce n’est pas positif !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite revenir sur cette notion de peine de sûreté introduite dans la loi il y a quelques années.
En principe, on est condamné pour des actes qu’on a commis. Avec la peine de sûreté, on est condamné pour des actes qu’on est censé pouvoir commettre. C’est quand même fort ! Cela semble un peu scandaleux, mais c’est bien ça, la rétention de sûreté !
Lorsque nous avions discuté du texte, en 2008, nous avions auditionné Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Il avait défendu cette position : ce n’est pas parce que ce sont des magistrats qui prennent des mesures de police que ce ne sont pas des mesures de police !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4 ter A.
Article 4 ter B
(Non modifié)
Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal est complété par un article 421-8 ainsi rédigé :
« Art. 421-8. – Les personnes coupables des infractions définies aux articles 421-1 à 421-6 peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire selon les modalités prévues aux articles 131-36-1 à 131-36-13. » – (Adopté.)
Article 4 ter
I. – Après l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 811-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 811-4-1. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de mise en œuvre des techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les établissements pénitentiaires, ainsi que les modalités des échanges d’informations entre, d’une part, les services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 et, d’autre part, l’administration pénitentiaire pour l’accomplissement de leurs missions. Il définit les conditions dans lesquelles l’administration pénitentiaire peut signaler toute personne détenue à ces services aux fins de mise en œuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du même livre, d’une technique mentionnée au même titre V et avoir connaissance des renseignements recueillis utiles à l’accomplissement de ses missions. »
II (nouveau). – Le dernier alinéa de l’article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est ainsi rédigé :
« Le contrôle des communications électroniques est effectué dans les conditions définies aux articles 727-1 et 727-2 du code de procédure pénale. »
III (nouveau). – Après l’article 727-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 727-2 ainsi rédigé :
« Art. 727-2. – Sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent et aux fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, l’administration pénitentiaire est autorisée à :
« 1° Prendre toute mesure de détection, brouillage et interruption des correspondances émises ou reçues par la voie des communications électroniques ou radioélectriques par une personne détenue au moyen de matériel non autorisé ;
« 2° Recueillir, au moyen d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé. Cet appareil ou ce dispositif ne peut être utilisé que par des agents individuellement désignés et habilités par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
« 3° Accéder, dans des conditions fixées par décret, aux données informatiques contenues dans les systèmes de traitement automatisé de données que possèdent les personnes détenues et détecter toute connexion à un réseau non autorisé. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 145 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Cécile Cukierman. Voici venu le moment où nous allons arrêter de suivre les avis du Gouvernement !
Nous demandons la suppression de l’article 4 ter, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État définit les conditions dans lesquelles le bureau du renseignement pénitentiaire peut recourir aux techniques de recueil de renseignement dans les centres pénitentiaires. Nous avons échangé sur ce point lors de votre audition, monsieur le garde des sceaux.
Cette disposition, introduite par le Sénat, contre l’avis du Gouvernement, dans le projet de loi relatif au renseignement, avait été retirée du texte finalement adopté.
Depuis, le garde des sceaux a changé et il semble que la nouvelle chancellerie ne partage pas la conviction exprimée par le garde des sceaux précédent.
Le personnel pénitentiaire risquerait, si cette disposition était adoptée, d’être exposé à des violences. Vous aviez vous-même évoqué ce risque, Monsieur le garde des sceaux, en votre qualité, à l’époque, de rapporteur du projet de loi relatif au renseignement, en affirmant qu’« il est bien évident que ce ne sont pas les surveillants qui circulent dans les coursives, qui s’occupent du quotidien, qui seront chargés demain de sonoriser des parloirs ou des cellules ! »
Vous nous avez répondu, lors de l’audition que j’évoquais, que ce ne sont évidemment pas les surveillants eux-mêmes qui seraient chargés de ce genre de missions, et que celles-ci seraient confiées à une cellule particulière.
Cela reste quand même assez flou ! Nous sommes donc très étonnés de retrouver dans ce texte des dispositions que vous aviez dénoncées il y a moins d’un an.
Quelles garanties allez-vous apporter aux surveillants pénitentiaires ? Quelles garanties seront prises pour assurer le respect des libertés des citoyens, même détenus ?
Nous refusons ce mélange des genres. À ce titre, et comme le préconise la Commission nationale consultative des droits de l’homme, il convient d’exclure l’administration pénitentiaire de la communauté du renseignement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 145.
Mme Esther Benbassa. Dans sa rédaction issue de la commission des lois, l’article 4 ter facilite les échanges d'informations entre l'administration pénitentiaire et les services du premier et du second cercle du renseignement. Il prévoit la possibilité pour l'administration pénitentiaire de signaler des personnes méritant de faire l'objet d'une technique de recueil de renseignements. Dans ce cadre, les IMSI-catchers pourront également être utilisés.
Fidèles à la position que nous avions défendue lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, nous considérons, comme le Gouvernement le soutenait lui-même à l’époque, que « l’utilisation secrète des techniques de renseignement modifierait considérablement la relation surveillant-détenu, et risquerait de déséquilibrer profondément les détentions, ce que les personnels pénitentiaires font eux-mêmes valoir ».
La mission première du service public pénitentiaire n’est pas de surveiller les détenus, mais est de contribuer « à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues », selon les termes de l’article 2 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Nous sommes tout à fait opposés à ce que la même administration soit chargée de gérer au quotidien des personnes et de mettre en œuvre des techniques secrètes pour les surveiller.
En conséquence, nous proposons la suppression de cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression : elle entend pouvoir faire des propositions alternatives à celles de l’Assemblée nationale en matière de renseignement pénitentiaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sans surprise, madame la présidente, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Le Gouvernement souhaite l’inscription définitive dans la loi du renseignement pénitentiaire. Depuis 2002, il existe un bureau du renseignement pénitentiaire, longtemps appelé état-major de sécurité n° 3.
La précédente garde des sceaux avait chargé l’Inspection générale des services judiciaires de donner une doctrine au bureau du renseignement pénitentiaire. Elle a d’ailleurs créé un certain nombre de postes destinés à renforcer cet outil sur le plan des principes. À présent, il est temps d’adapter notre droit.
La situation de nos prisons s’est évidemment dégradée. Des trafics, pour ne pas dire des complots, s’y organisent. Des pressions sont exercées sur les familles des détenus les plus fragiles.
Depuis deux mois, j’ai rencontré l’ensemble des organisations syndicales, qu’il s’agisse des personnels de surveillance ou des directeurs d’établissement. Aucune ne m’a fait part d’un éventuel désaccord avec cette perspective d’évolution. Certaines m’ont même adressé des contributions proposant une doctrine. Je les lirai évidemment, et je les intégrerai dans les réflexions du Gouvernement. Il faut stabiliser le travail, en collaboration avec les autres services de renseignement, comme le renseignement territorial, qui agit en périphérie des établissements, la Direction générale de la sécurité intérieure, ou DGSI, et la sous-direction à l’anticipation opérationnelle.
La présence d’outils de renseignement pénitentiaire à l’intérieur des établissements est déjà une réalité. Il reste simplement à l’inscrire dans la loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.
M. Christophe Béchu. Monsieur le garde des sceaux, je vous prie de transmettre nos remerciements à l’ensemble des organisations représentant les services pénitentiaires.
Nous avons bien conscience que ces personnels travaillent dans l’ombre, au quotidien. Les missions qu’ils exercent, y compris les missions de renseignement, concourent à la protection des Français. Certes, compte tenu de leurs conditions de travail, nous n’en sommes pas forcément conscients.
Chère collègue Cécile Cukierman, je respecte les convictions profondes de chacun, et je peux comprendre que vous vous opposiez à une telle mesure. Mais je m’étonne des arguments que vous avez mis en avant.
Vous avez indiqué que le fait d’autoriser l’existence d’un renseignement pénitentiaire – en fait, il s’agit plus exactement de l’officialiser ! – et de l’intégrer dans la famille du renseignement créerait un risque pour la sécurité du personnel travaillant dans les prisons.
Mme Éliane Assassi. C’est évident !
M. Christophe Béchu. Cela revient à accepter le principe d’un renoncement à des mesures de sécurité ou de défense des libertés de nos concitoyens au motif que des agents publics pourraient être menacés !
Bref, c’est raisonner à l’envers ! Si de telles menaces existent réellement, il faut prendre les mesures qui les feront cesser !
Mais ne nous interdisons pas d’utiliser des dispositifs qui existent et dont nous avons besoin aujourd'hui !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes favorables à l’existence d’un renseignement pénitentiaire. Il serait paradoxal, alors que le renseignement existe partout, de ne pas avoir de service de renseignement dans ce milieu.
Les évolutions qui ont eu lieu récemment me semblent très positives. D’ailleurs, elles vont dans le sens des préconisations de la commission d’enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes, qui a été plusieurs fois évoquée.
Il est très important – je pense que vous y êtes très attentif, monsieur le garde des sceaux – de bien définir les tâches. Il y a celles des personnels pénitentiaires et celles des agents chargés du renseignement. Des personnels pénitentiaires peuvent avoir reçu une formation spécifique pour assumer les tâches de renseignement.
Votre prédécesseur avait insisté sur ce point. Elle avait d’ailleurs indiqué que certains fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, les surveillants, pouvaient être discrédités ou perturbés dans leur travail s’ils étaient soupçonnés ou susceptibles d’être soupçonnés d’exercer en même temps une tâche de renseignement.
Il me semble donc très important de savoir qui fait quoi. Nous avons besoin d’un service du renseignement pénitentiaire efficace qui travaille avec les chefs d’établissement et, comme vous le prévoyez, selon des configurations spécifiques à définir avec l’ensemble des services de renseignement.
Dès lors que l’on respecte les métiers et les fonctions, dès qu’il y a les formations nécessaires, c’est positif !
Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête, nous sommes allés à Fleury-Mérogis, plus grande prison d’Europe. Nous avons demandé à rencontrer les responsables du renseignement. Il n’y avait qu’une personne, assistée d’un surveillant. Honnêtement, c’est peu !
L’évolution actuelle est extrêmement positive. Nous devons la soutenir, sur les bases claires que j’ai rappelées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je formulerai deux remarques.
Premièrement, il est assez fréquent que des missions soient délimitées au regard des impératifs de sécurité des agents concernés.
Je suis certes pour que l’instruction s’adresse à toutes et à tous. Mais elle ne peut pas se faire de la même manière dans les centres fermés et en milieu ouvert ! Il ne s’agit évidemment pas de renoncer à l’exigence d’instruction des mineurs ou des majeurs en prison ; c’est un faux débat !
Le mot que j’ai employé était peut-être un peu fort. Cependant, nous savons tous en quoi consiste aujourd'hui le travail des personnels pénitentiaires.
Bien sûr qu’ils doivent assurer la sécurité dans les prisons, y compris celle des détenus ! Mais, entre deux rondes, il leur arrive aussi de s’arrêter dans une cellule pour discuter avec les personnes incarcérées, pour échanger avec elles, voire pour les inciter à reprendre leur vie en main. Or, avec le problème de la surpopulation carcérale, le temps qu’ils peuvent consacrer à cette activité se réduit. S’ils deviennent demain de potentiels agents du renseignement, le lien très fragile qui existe actuellement – il s’agit parfois de quelques secondes dans une journée – se brisera définitivement !
Si le dispositif envisagé ne remet pas en cause la sécurité des agents – je reconnais que le terme était peut-être excessif et je regrette qu’il vous ait heurté, monsieur Béchu –, il change à tout le moins la nature de leurs missions.
Deuxièmement, j’ai entendu votre réponse, monsieur le garde des sceaux, mais je ne partage pas votre sentiment quant à l’unanimisme des organisations syndicales. Il y avait sans doute une majorité – je veux bien vous en donner acte –, mais pas une unanimité pour soutenir une telle position. D’ailleurs, certaines organisations attendent les protocoles auxquels vous avez fait référence.
Au demeurant – mon intention n’est pas d’ouvrir une quelconque polémique –, n’oublions pas que les représentants des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, font aussi partie des organisations syndicales de la pénitentiaire. Or ils n’ont pas été consultés. Pourtant, ils ont beaucoup à faire. Mais je referme la parenthèse, car mon propos visait simplement à nuancer vos affirmations sur un prétendu consensus.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 145.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 215 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
I. – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la première phrase de l’article L. 811-4, les mots : « et de l’intérieur » sont remplacés par les mots : « , de l’intérieur et de la justice » ;
2° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 821-2, après les mots : « l’intérieur », sont insérés les mots : « , du ministre de la justice ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Par cet amendement, nous suggérons une modification rédactionnelle à la commission. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un désaccord de fond.
L’article 4 ter, dans sa version actuelle, reporte le soin de déterminer les modalités de mise en œuvre des techniques de recueil du renseignement sur le pouvoir réglementaire.
À nos yeux, une telle disposition présente un risque d’inconstitutionnalité non seulement au regard de l’article 34 de la Constitution, mais également pour incompétence négative : elle ne prévoit pas les garanties suffisantes en contrepartie d’ingérences dans la vie privée des personnes détenues.
Nous proposons donc tout simplement d’ajouter le ministère de la justice à la liste des ministères mentionnés à l’article L. 811-4 du code de sécurité intérieure.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Lors de sa première réunion sur le présent projet de loi, la commission a jugé plus pertinent d’en revenir à ce que le Sénat avait décidé unanimement lors de l’examen du texte sur le renseignement : écarter le renseignement pénitentiaire de la famille du renseignement.
Il nous avait alors semblé préférable de formaliser des échanges d’informations entre l’administration pénitentiaire et les services de renseignement, et de donner à celle-ci la possibilité de signaler une personne détenue à des fins de mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignements.
La commission souhaite maintenir sa position. Toutefois, je pense qu’un large débat sur le sujet s’impose. Des évolutions sont toujours possibles. L’intervention de M. Sueur en témoigne.
À ce stade, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Mais nous verrons bien quelle sera la suite des événements.
Mme la présidente. L'amendement n° 244, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 9
Remplacer ces alinéas par dix alinéas ainsi rédigés :
« Art. 727-2. – Sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent et aux fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, les agents individuellement désignés et habilités appartenant à l’administration pénitentiaire peuvent être autorisés à :
« 1° Recueillir directement, au moyen d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur ainsi que les données relatives à la localisation des équipements terminaux non autorisés au sein des établissements pénitentiaires ;
« 2° Intercepter, enregistrer, transcrire ou interrompre des correspondances de personnes détenues émises par la voie des communications électroniques, à l'exception de celles avec leur avocat à raison de l’exercice de sa fonction ;
« 3° Utiliser des dispositifs techniques permettant :
« a) D'accéder à des données informatiques stockées dans un système informatique qu’utilise une personne détenue, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre ;
« b) D'accéder à des données informatiques, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour une personne détenue utilisant un système de traitement automatisé de données, telles qu'elle les y introduit par saisie de caractères ou telles qu'elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels ;
« c) De détecter toute connexion à un réseau non autorisé.
« Les données, informations ou documents qui ne sont suivis d’aucune transmission à l’autorité judiciaire en application de l’article 40 du présent code ne peuvent être conservés au-delà d’un délai de trois mois.
« Les personnes détenues ainsi que leurs correspondants sont informés des dispositions du présent article.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement de nature technique résulte d'échanges avec le Gouvernement.
Il s'agit de préciser la rédaction du mécanisme permettant à l'administration pénitentiaire de mieux lutter contre le phénomène des communications illégales dans les établissements pénitentiaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement pourrait émettre un avis favorable sur cet amendement, sous réserve d’une modification rédactionnelle.
Il nous semble préférable de viser dans l’amendement les alinéas 3 à 9 et de faire figurer les dispositions envisagées à l’article 727-1 du code de procédure pénale.
En effet, la création d’un nouvel article incluant les interceptions sans supprimer l’article 727-1 du code de procédure pénale aboutirait à une difficulté juridique.
Je suggère donc cette rectification, si toutefois j’ai bien compris les intentions de la commission, ce qui peut parfois être un problème pour moi…
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous la rectification proposée par le Gouvernement ?
M. Michel Mercier. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 244 rectifié, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
Alinéas 3 à 9
Remplacer ces alinéas par onze alinéas ainsi rédigés :
II.- L'article 727-1 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 727-1. – Sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent et aux fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, les agents individuellement désignés et habilités appartenant à l’administration pénitentiaire peuvent être autorisés à :
« 1° Recueillir directement, au moyen d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur ainsi que les données relatives à la localisation des équipements terminaux non autorisés au sein des établissements pénitentiaires ;
« 2° Intercepter, enregistrer, transcrire ou interrompre des correspondances de personnes détenues émises par la voie des communications électroniques, à l'exception de celles avec leur avocat à raison de l’exercice de sa fonction ;
« 3° Utiliser des dispositifs techniques permettant :
« a) D'accéder à des données informatiques stockées dans un système informatique qu’utilise une personne détenue, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre ;
« b) D'accéder à des données informatiques, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour une personne détenue utilisant un système de traitement automatisé de données, telles qu'elle les y introduit par saisie de caractères ou telles qu'elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels ;
« c) De détecter toute connexion à un réseau non autorisé.
« Les données, informations ou documents qui ne sont suivis d’aucune transmission à l’autorité judiciaire en application de l’article 40 du présent code ne peuvent être conservés au-delà d’un délai de trois mois.
« Les personnes détenues ainsi que leurs correspondants sont informés des dispositions du présent article.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4 ter, modifié.
(L'article 4 ter est adopté.)
Article additionnel après l’article 4 ter
Mme la présidente. L'amendement n° 101, présenté par MM. Rachline et Ravier, n'est pas soutenu.
Mme Éliane Assassi. Comme d’habitude !
Article 4 quater
(Non modifié)
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 2-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute association régulièrement déclarée ayant pour objet statutaire la défense des victimes d’une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 et regroupant plusieurs de ces victimes peut, si elle a été agréée à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne cette infraction lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au présent alinéa peuvent être agréées, après avis du ministère public, compte tenu de leur représentativité, sont fixées par décret. » ;
2° Au troisième alinéa de l’article 90-1, après le mot : « dispositions », sont insérés les mots : « du second alinéa de l’article 2-9 ou du premier alinéa ». – (Adopté.)
Article 4 quinquies
I (nouveau). – L’article 434-15-2 du code pénal est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque le refus est opposé par une personne morale, la peine est portée à 150 000 €. »
II. – Le deuxième alinéa de l’article 60-1 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette peine est portée à 15 000 € lorsqu’elle concerne une personne morale. »
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duran, sur l'article.
M. Alain Duran. Mardi dernier, à l’Assemblée nationale, M. le ministre de l’intérieur a déclaré : « Ceux qui nous frappent utilisent le darknet et échangent des messages chiffrés pour accéder à des armes qu’ils acquièrent en vue de nous frapper. »
Prenons garde à l’utilisation de notions en décalage avec la réalité et à l’association de choses différentes les unes des autres.
M. le ministre a fait référence « aux usages criminels qui peuvent être faits des réseaux officieux de type darknet, ou encore, d’une manière générale, à la partie d’internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques ». Je tiens à le rappeler, les usages d’internet qui ne sont pas référencés sur Google représentent plus de 95 % du trafic mondial des réseaux.
Dans les faits, tous les internautes que nous sommes émettent des informations sur la « partie d’internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques ». Ce sont des pratiques banales, communes à chacun des utilisateurs : les communications par mail ou messagerie instantanée, les paiements en ligne sécurisés, les réseaux internes des entreprises ou des administrations. L’internet ne se limite pas à ce qui est référencé sur Google.
Par ailleurs, il existe des techniques pour sécuriser des communications de point à point, permettant à leurs utilisateurs de posséder une chose inestimable dans une démocratie : la confiance dans la sûreté de leurs échanges. Le chiffrement conditionne la souveraineté de l’État. Il garantit la capacité des lanceurs d’alerte à confier des informations sensibles à des journalistes, celle des citoyens qui vivent dans des pays autoritaires à conserver l’espace ténu de respiration citoyenne et celle des entreprises à protéger leurs secrets industriels et à ne pas se faire piller leurs richesses, innovations et savoir-faire.
Voilà ce qu’est le chiffrement ! Que nous en soyons conscients ou non, cette technique bénéficie à chacun d’entre nous, directement ou par répercussion. Ne perdons surtout pas cela de vue. Faisons attention à ne pas compromettre sa pérennité sous le coup de la panique et de l’émotion, qui ne sont généralement pas les meilleurs conseillers du législateur.
Ayons conscience que le numérique est définitivement devenu central dans l’organisation de notre économie et de notre société. Je regrette de rappeler un tel lieu commun. Il est pourtant nécessaire d’avoir en tête cette évidence lorsque l’on modifie des règles pouvant affecter durablement et profondément nos pratiques.
Comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, nous légiférons pour des générations !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 12 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 136 rectifié est présenté par Mmes Lienemann et Bonnefoy et MM. Duran et Leconte.
L'amendement n° 146 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 12
Mme Éliane Assassi. L’article 4 quinquies fait écho au procès en cours entre Apple et le FBI, qui demande à déchiffrer le contenu de l’iPhone de l’un des auteurs de l’attaque de San Bernardino.
Derrière le débat sur le respect de la vie privée et du secret des correspondances se pose la question de l’efficacité de la mesure. Nous le savons, les terroristes préfèrent les téléphones jetables aux appareils de type iPhone et autres modèles chiffrés.
Dès lors, l’atteinte aux droits est disproportionnée. Pour cette raison, nous sommes opposés à l’aggravation des sanctions pénales préconisée par M. le rapporteur.
En permettant au procureur ou à un officier de police judiciaire de requérir de toute personne ou tout organisme de remettre les informations à sa disposition, y compris celles qui sont issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, l’article 4 quinquies s’attaque au respect de la vie privée.
Une telle disposition aggrave les sanctions, en portant l’amende à 15 000 euros et en prévoyant une peine d’emprisonnement de deux ans lorsque l’enquête porte sur des crimes ou délits terroristes, contre 3 750 euros d’amende dans tous les autres cas.
L’article prévoit une condamnation à cinq ans d’emprisonnement et 350 000 euros d’amende pour les constructeurs de moyens de cryptologie qui refuseraient de communiquer à l’autorité judiciaire les données demandées, dans le cadre d’enquêtes sur des crimes ou délits terroristes.
L’objectif est donc de rendre pénalement responsables les constructeurs d’outils de chiffrement.
À mon sens, le débat sur le chiffrement, qui est complexe techniquement et juridiquement, ne peut pas être tranché par une disposition, convenez-en, aussi imprécise.
Nous demandons donc la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duran, pour présenter l'amendement n° 136 rectifié.
M. Alain Duran. L’article 4 quinquies conduit à accroître la responsabilité pénale des fabricants de moyens de chiffrement qui refuseraient de répondre aux réquisitions de la justice en augmentant les sanctions pécuniaires encourues par les personnes morales commettant ces infractions introduites dans notre droit en 2001.
Hier matin, lors d’une réunion consacrée au prochain projet de loi sur le numérique, la secrétaire d'État chargée de ce dossier nous indiquait que les opérateurs collaborent très bien avec les services de l’État lorsque ceux-ci en font la demande. À ma connaissance, la sanction pénale ainsi visée n’a jamais eu à être exécutée.
Dès lors, ce qui est réellement en jeu ici, c’est une tendance du législateur à accroître les sanctions pénales, afin de proposer un remède à la problématique difficile à laquelle nous sommes confrontés. Cependant, comme le souligne le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, en matière de chiffrement, il faut se méfier de la tentation de céder à la facilité. Loin de moi l’idée de verser dans une forme d’angélisme. Utiliser à mauvais escient le chiffrement rend plus difficile le travail des autorités publiques.
Pour autant, ce débat n’est pas nouveau. Comme tout objet technique, le chiffrement est tout à la fois remède et poison, selon qu’il tombe entre de bonnes ou de mauvaises mains. Mais il serait dangereux d’envisager son interdiction ou sa limitation, ce qui revient sensiblement au même, au motif qu’il peut être utilisé par des personnes mal intentionnées, car cela reviendrait à affaiblir la sécurisation de l’ensemble du réseau.
Pour les citoyens, le chiffrement rend possible l’exercice par chacun du droit au respect de sa vie privée. C’est un outil majeur au service de la confiance dans le développement du numérique. Il permet des communications sécurisées et réduit le risque de vol de données personnelles ou bancaires. Il protège des milliards d’individus chaque jour, contre une quantité innombrable de menaces.
Pour les entreprises, le chiffrement constitue le meilleur rempart contre l’espionnage économique. C’est un atout indispensable pour qui souhaite protéger ses actifs immatériels des ingérences extérieures.
Pour l’État, il s’agit tout simplement d’une condition de sa souveraineté.
Le chiffrement est avant tout un levier de sécurité essentiel dans l’environnement numérique, dont les citoyens, les acteurs économiques, la société dans son ensemble, tirent des bénéfices considérables. Il nous serait extrêmement préjudiciable de l’affaiblir, dans une forme de précipitation issue du contexte dramatique qui nous ébranle.
Si nous devions légiférer pour mieux encadrer le chiffrement, ou pour répondre à certaines des problématiques qu’il pose, il nous faudrait prendre le temps d’une compréhension réelle de ces enjeux.
Je demande donc la suppression de cet article, afin qu’il nous soit permis de traiter ce sujet au cours d’un prochain débat, plus mûri, plus informé et plus apaisé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 146.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces trois amendements font suite au vote à l’Assemblée nationale d’un amendement, qui a fait beaucoup de bruit, visant les grands opérateurs de téléphonie – les petits aussi, d’ailleurs – qui refusent de coopérer en livrant les conventions de chiffrement de leurs appareils qui sont retrouvés bloqués.
J’avoue que je suis quelque peu étranger à ces nouvelles technologies. J’ai cependant compris qu’il existait aujourd’hui dans ces téléphones des systèmes permettant au propriétaire de l’appareil de le bloquer, sans que la société qui le fabrique puisse le débloquer.
Ces questions techniques très importantes posent un certain nombre de problèmes. Les terroristes qui ont été récemment arrêtés étaient ainsi en possession de téléphones dont les contenus n’ont pas pu être intégralement mis à mettre à jour. Or il est nécessaire de pouvoir le faire.
Ce sujet n’est pas franco-français. Récemment, aux États-Unis, la police fédérale a essayé d’obtenir le concours d’Apple pour accéder au téléphone de l’auteur de l’attentat de San Bernardino. Apple n’a pas accepté, mais la police a fini par trouver la charte de déchiffrement avec l’aide, a-t-elle dit, d’une société israélienne. Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas non plus obligés de prêter foi à toutes les informations relatives à cette affaire…
Peut-on régler cette question par le biais d’un amendement déposé sur un projet de loi ? Probablement pas puisque ce sujet concerne également les relations diplomatiques de la France avec d’autres États, et met également en jeu ses relations commerciales avec de grands groupes.
La commission a donc choisi de suivre une autre voie que celle retenue par l’Assemblée nationale. Nous avons ainsi utilisé des incriminations existantes, dont nous avons essayé de renforcer l’efficacité. Grosso modo, lorsque la société qui a vendu l’appareil fait obstacle à la justice, elle peut faire l’objet d’une incrimination et être poursuivie.
Il paraît utile de marquer un point dans cette affaire, même si nous savons parfaitement que d’autres discussions devront avoir lieu et que des négociations relevant du pouvoir exécutif interviendront.
La commission souhaitant que la discussion se poursuive, est défavorable à la suppression de l’article 4 quinquies, et donc à ces trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’est pas hostile au chiffrement, car il considère que celui-ci peut constituer une garantie essentielle pour la confidentialité et la sécurité des échanges.
Ce que le Gouvernement ne peut accepter, en revanche, c’est qu’il soit possible de refuser à des magistrats qui le demandent d’accéder à de telles données dans le cadre d’une procédure judiciaire. Au sein d’un État de droit, les magistrats qui luttent et enquêtent dans l’intérêt général ne sauraient voir leur recherche de la vérité entravée par des arguments commerciaux. Il faut donc trouver des solutions. Il ne s’agit pas de demander, comme le font certaines agences de renseignement étrangères, un accès permanent à toutes les données sur tous les terminaux intéressants.
Le Gouvernement était défavorable à l’amendement qui a été adopté à l’Assemblée nationale, car sa rédaction n’était pas pertinente. Il n’est pas plus favorable à la solution choisie par la commission des lois du Sénat parce que celle-ci n’aggrave pas la répression.
Le droit commun en vigueur prévoit en effet le quintuplement des amendes pour les personnes physiques, soit une amende de 225 000 euros. Or l’article 4 quinquies prévoit une peine de 150 000 euros. Il est donc en deçà du droit existant.
Pour ces raisons, je le répète, le Gouvernement, bien que restant disponible pour trouver une rédaction qui convienne à tous, car les objectifs poursuivis sont partagés, est favorable à ces trois amendements de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12, 136 rectifié et 146.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4 quinquies.
(L'article 4 quinquies est adopté.)
Article additionnel après l'article 4 quinquies
Mme la présidente. L'amendement n° 269 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 4 quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 230-2 du code de procédure pénale, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Aux fins de réaliser les opérations de mise au clair, l’organisme technique mentionné à l’alinéa précédent est habilité à procéder à l’ouverture ou à la réouverture des scellés et à confectionner de nouveaux scellés après avoir, le cas échéant, procédé au reconditionnement des supports physiques qu’il était chargé d’examiner. En cas de risque de destruction des données ou du support physique qui les contient, l’autorisation d’altérer le support physique doit être délivrée par le procureur de la République, la juridiction d’instruction ou la juridiction de jugement saisie de l’affaire. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Pour réaliser des opérations de déchiffrement dans le cadre des enquêtes judiciaires, le ministère de l’intérieur a, en application de l’article 230-2 du code de procédure pénale, institué un centre technique d’assistance. Celui-ci, sur saisine des magistrats et des enquêteurs, tente de mettre au clair les données chiffrées ou d’accéder aux données contenues par un terminal verrouillé. Cependant, son incapacité à briser les scellés peut mettre un frein à son activité.
Le présent amendement a pour objet de remédier à cette difficulté. Il ne s’agit pas de répondre au débat que nous venons d’avoir en matière de chiffrement, mais de permettre une meilleure mobilisation des outils qui sont aujourd’hui à la disposition des magistrats.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’amendement ayant été déposé assez tardivement, il n’a pu être examiné par la commission. Néanmoins, à titre personnel, j’y suis favorable.
Il me paraît tout à fait normal de pouvoir disposer d’un service efficace de déchiffrement des données, et il serait dommage de ne pas pouvoir l’utiliser pleinement. Il est donc nécessaire de lever tout obstacle à l’utilisation du centre technique d’assistance.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4 quinquies.
Article 4 sexies (nouveau)
Après l’article 421-2-5 du code pénal, il est inséré un article 421-2-5-1 ainsi rédigé :
« Art. 421-2-5-1. – Le fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique d’actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d’entraver, en connaissance de cause, l’efficacité des procédures prévues à l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et à l’article 706-23 du code de procédure pénale est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 118 est présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 147 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour présenter l’amendement n° 118.
M. Jacques Bigot. L’article introduit par la commission des lois crée un délit spécifique d’entrave au blocage des services de communication en ligne faisant l’apologie d’actes de terrorisme ou provoquant à la commission de tels actes. Il permettrait de réprimer le fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique d’actes de terrorisme afin d’entraver les mécanismes de blocage, en sanctionnant ces comportements de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme permet de bloquer administrativement les sites internet incitant à la commission d’actes terroristes ou faisant l’apologie de tels actes. L’article 706-23 du code de procédure pénale permet également au juge des référés de prononcer l’arrêt d’un service de communication au public en ligne, lorsqu’il incite à la commission d’actes de terrorisme.
Les travaux réalisés sur ces sujets, y compris dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement, montrent qu’il convient d’encourager le blocage judiciaire plutôt que la condamnation pénale. C’est la solution que nous souhaitons retenir. Nous proposons donc la suppression de l’article 4 sexies.
Il n’est pas nécessaire, selon nous, que notre code pénal comporte tout un arsenal de sanctions possibles. Nous constatons en effet qu’un certain nombre de délits que le Parlement a institués ne sont pas sanctionnés dans les faits, leur incrimination étant trop complexe à mettre en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 147.
Mme Esther Benbassa. Reprenant une disposition de la proposition de loi Bas, l’article 4 sexies crée un délit spécifique d’entrave au blocage judiciaire ou administratif des contenus faisant l’apologie d’actes de terrorisme ou provoquant à de tels actes. Cette infraction serait passible de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 euros.
Comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, il existe déjà des mécanismes de blocage de sites faisant l’apologie d’actes de terrorisme. Il s’agit donc, encore une fois, d’aller un peu plus loin dans le tout-répressif.
Je l’ai souligné à plusieurs reprises, ce genre de mesure nous paraît inutile, voire contre-productive. Utilisons les outils juridiques à notre disposition avant d’en créer toujours de nouveaux !
Il convient donc de supprimer l’article 4 sexies.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements ont pour objet de supprimer l’article créant un délit d’entrave au blocage de sites faisant l’apologie d’actes de terrorisme.
J’avoue ne pas comprendre cette position, car il ne s’agit que de la reprise de la proposition n°33 du rapport de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, présenté par M. Sueur. Notre collègue faisait en effet le constat de l’efficacité relative de cette mesure de blocage au regard des techniques de contournement et regrettait qu’« aucune infraction ne vise les personnes qui, intentionnellement et ayant connaissance de l’interdiction et du blocage du contenu illicite, copient et remettent en ligne les contenus prohibés sur un autre site internet au nom de domaine avoisinant ».
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a déjà eu l’occasion d’exprimer sa position à l’occasion de l’examen, le 2 février dernier, de la proposition de loi présentée par MM. Bas, Zocchetto, Retailleau et Mercier, et avait fait part de son hostilité à une telle mesure.
Le droit pénal en vigueur permet, en effet, d’appréhender de tels comportements au travers des délits d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme.
J’émets donc un avis favorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 118 et 147.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 65 rectifié bis, présenté par MM. Retailleau, Buffet, Allizard, G. Bailly, Béchu, Bizet, Bonhomme, Bouchet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi, Darnaud et Dassault, Mmes Debré, Deroche, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, Forissier, B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, M. Genest, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Houel, Houpert et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mme Kammermann, M. Karoutchi, Mme Keller, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lemoyne, Lenoir et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mmes Mélot, M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Panunzi, Pellevat, Perrin, Pierre, Pillet, Pinton et Pointereau, Mme Primas, MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Reichardt, Revet, Savary, Savin, Sido et Trillard, Mme Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle, Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 421-2-5-2. – Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
« Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, ou résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, ou intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Les auteurs de l’amendement ont repris une disposition adoptée par le Sénat, le 2 février dernier, lors de la discussion de l’excellente proposition de loi déposée par Philippe Bas (M. Charles Revet opine.), tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme.
Cet amendement vise à créer une nouvelle infraction pénale, le délit de consultation habituelle de sites terroristes, semblable à celui déjà prévu par l’article 227-23 du code pénal en matière de consultation habituelle de sites pédopornographiques.
Seule sera sanctionnée la consultation habituelle de sites incitant aux actes terroristes, ou faisant l’apologie de ces actes, lorsque ces sites comportent des images ou représentations montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie. Ce délit serait puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Je souhaite toutefois préciser qu’aucune infraction ne sera commise si cette consultation habituelle résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, si elle intervient dans le cadre de recherches scientifiques, ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement est la reprise d’une disposition de la proposition de loi tout à fait excellente que nous avons votée le 2 février dernier.
La commission s’est cependant interrogée à son sujet, car le fait même de consulter de tels sites ne saurait constituer toujours un délit. Des personnes de bonne foi peuvent consulter ces sites en vue de combattre, ensuite, le terrorisme. Je vous remercie donc, ma chère collègue, d’avoir accepté, depuis la dernière réunion de la commission, de corriger votre amendement en ce sens. Il n’y a dès lors plus d’obstacle à ce que j’émette un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La consultation de sites djihadistes est déjà l’un des critères constitutifs d’une entreprise individuelle terroriste. Le droit en vigueur suffit donc pour atteindre les objectifs visés par les auteurs de l’amendement.
Avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La commission des lois a considéré qu’en matière de terrorisme le principe de la tolérance zéro devait s’imposer. Il faut le savoir, il existe des sites, comme celui de l’État islamique, Dar al-Islam, qui appellent au meurtre.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je vous donne lecture d’un extrait que l’on peut trouver sur ce site : « Les états mécréants ont compris les conséquences du retour du Califat : la fin de la domination des Juifs, des croisés et leurs alliés. Tout musulman sincère émigre vers une des régions de l’État islamique, cette terre d’Islâm, et quitte les terres de mécréances, dirigées par les pires tawâghit de ce monde, qui font sans cesse la guerre à notre communauté. Le tour est venu maintenant pour les croyants d’avancer, de récupérer les terres et de ne pas laisser une seconde ces tyrans se reposer.
« Le musulman ne peut rester loin de cette terre sans être assailli par le regret et sans avoir l’envie de la rejoindre afin de se rapprocher de son Seigneur. Un groupe d’entre eux, nous leur rendons hommage dans ce numéro, ont décidé de frapper l’ennemi sur sa propre terre afin qu’il sache que la guerre ne se fait pas derrière une télé ou en votant dans un parlement. Il faut que la France pleure ses morts comme nous pleurons les nôtres, qu’ils voient le sang des leurs couler comme nous voyons celui des nôtres. […]
« Nous n’avons pas d’avion pour vous bombarder comme vous nous bombardez. Nous avons des hommes qui aiment la mort comme vous aimez la vie. Quand ils se sacrifient pour leur religion, pour leurs frères et leurs sœurs, nous les pleurons tout en ayant la certitude qu’ils sont auprès de leur Seigneur dans son paradis. »
Voilà les insanités que l’on peut trouver sur ces sites. Des ministres français y sont insultés, cités par leur nom avec ce genre de mention : « untel, ministre français enjuivé par sa femme »…
Ce type de propagande, dont la toxicité n’est plus à démontrer, quand elle est régulièrement consultée par des individus fragiles, relève de l’appel au meurtre d’innocents. Nous ne pouvons pas nous contenter de savoir que ces écrits sont une composante d’autres incriminations : nous voulons incriminer le simple fait de consulter régulièrement ces sites, sauf lorsque l’on s’aperçoit – éventuellement après enquête –que cette consultation est le fait d’un journaliste, d’un chercheur ou, comme ça a été le cas pour moi, d’une personne recherchant de bonne foi une information et en rien soucieuse de combattre par les armes notre pays.
Il est raisonnable de tuer dans l’œuf les effets de cette propagande en acceptant ce type d’incriminations.
C’est la raison pour laquelle la commission, après en avoir délibéré, a émis un avis favorable, et même très favorable, sur cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’extrait que vient de lire le président Bas est évidemment très choquant, mais c’est de l’apologie du terrorisme. Le droit commun suffit donc pour poursuivre les auteurs de tels actes sur ce fondement, voire au titre de la provocation. Je rappelle que la loi de novembre 2014 a retiré l’apologie du terrorisme du droit de la presse pour l’insérer dans le code pénal.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le ministre, peuvent être incriminés pour apologie de crime terroriste les auteurs de ce site et ceux qui diffusent l’information. Mais nous voulons aussi pouvoir punir ceux qui consultent régulièrement ces sites avec de mauvaises intentions.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme aurait dit le général de Gaulle, vaste programme que de poursuivre l’imbécillité et de traquer tous les repaires où s’expriment la monstruosité, le crétinisme, la propagande… À côté, la prohibition de la Belle Époque, c’est une bluette !
Monsieur Bas, vous n’allez pas assez loin : le premier contact d’une personne avec un site de ce type devrait immédiatement être stigmatisant, il faudrait faire venir l’exorciste…
Vous vous faites plaisir en multipliant les incriminations, mais ce sera inapplicable ! On nous a expliqué qu’on ne pouvait pas faire fonctionner la justice parce que l’on manquait de juges d’instruction. Et maintenant, vous voulez que certaines personnes mènent la traque pour savoir qui consulte tel ou tel site ?
Il faut se réveiller, il s’agit de se donner les moyens de lutter, pas seulement de se faire plaisir !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président de la commission des lois, nous ne pouvons que partager votre émoi, votre agacement, votre effroi face à ce qu’on peut lire sur ces sites que nous ne consultons bien évidemment pas. Mais faut-il vraiment aller jusqu’à instaurer un délit pour ceux qui les consultent habituellement ? En réalité, il conviendrait plutôt d’empêcher ceux qui sont au début du processus de se radicaliser.
Comment nos services de police, de renseignement, notre justice, arriveront-ils à assimiler et à utiliser tous les délits, toutes les infractions nouvelles que vous essayez de mettre en œuvre ? C’est là la véritable question.
Dans la discussion générale, j’avais plaidé pour que nous soyons pragmatiques. Nous l’avons été sur beaucoup de sujets, mais nous ne le sommes pas du tout ici où nous faisons de l’affichage.
Certes, on peut critiquer ces sites, dire qu’ils font l’apologie du terrorisme. Mais comment concrètement mettre en œuvre une telle mesure pour ceux qui consultent régulièrement ces sites ? Je crains donc que tout cela ne soit qu’une posture ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je suis choqué par les propos que je viens d’entendre. On arrive bien à trouver et à poursuivre ceux qui consultent des sites pédophiles ! Pourquoi n’en serait-il pas de même ici ?
Vous affirmez qu’une telle disposition serait impossible sur le plan technique et vous semblez surpris que nous souhaitions prendre de telles mesures dans ce contexte particulier. Je ne vous suis pas…
Laissons prospérer la proposition de notre collègue Philippe Bas et prévoyons les moyens qui seront nécessaires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. Nous avons été nombreux à voter le dispositif prévu dans la proposition de loi de M. Bas. Personne, à aucun moment, surtout en cette période, n’a eu l’impression de faire de l’affichage.
L’heure est grave. Ne perdons pas de vue l’essentiel : ce texte que nous construisons ensemble doit permettre de lutter contre le terrorisme. Parler de posture est inélégant et indigne, monsieur Bigot. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue.
Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
5
Engagement de la procédurE accélérée pour l’examen d’un projet de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 30 mars 2016.
6
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 30 mars 2016, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux arrêts de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 1729 et 1741 du code général des impôts (Cumul de sanctions pénales et fiscales) (2016-545 et 2016-546 QPC).
Le texte de ces arrêts de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue.
La liste des candidats établie par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Hervé Maurey, Didier Mandelli, Charles Revet, Michel Vaspart, Mmes Odette Herviaux, Nelly Tocqueville et M. Michel Le Scouarnec ;
Suppléants : MM. Maurice Antiste, Guillaume Arnell, Mme Annick Billon, MM. Jean Bizet, Jean-Jacques Filleul, Michel Raison et Jean-François Rapin.
8
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Nous poursuivons la discussion du texte de la commission.
Articles additionnels après l’article 4 sexies
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 70 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Buffet, Allizard, G. Bailly, Béchu, Bouchet, Bizet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Cornu, Danesi et Dassault, Mmes Debré, Deroche, Deromedi et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, Forissier, B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa et Genest, Mme Giudicelli, MM. Gournac et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, M. Husson, Mme Imbert, MM. Joyandet et Karoutchi, Mme Keller, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Lenoir et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Mandelli, A. Marc et Masclet, Mmes Mélot et M. Mercier, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Perrin, Pierre, Pillet, Pinton et Pointereau, Mme Primas, MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Reichardt, Revet, Savary, Savin, Sido et Trillard, Mme Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle, Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4 sexies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 422-4 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 422-4. – L’interdiction du territoire français est prononcée par la juridiction de jugement dans les conditions prévues à l’article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions définies au présent titre, à l’exception des infractions définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Nous souhaitons rendre obligatoire la peine complémentaire d’interdiction du territoire français en cas de condamnation pour certaines infractions terroristes, sauf décision spéciale et motivée de la juridiction de jugement.
Une telle disposition a été adoptée par le Sénat le 2 février dernier dans le cadre de la proposition de loi de M. Philippe Bas tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.
Mme la présidente. L’amendement n° 102, présenté par MM. Rachline et Ravier, n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 70 rectifié ?
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet un avis défavorable en raison du caractère systématique de cette mesure et, donc, au nom du principe de l’individualisation des peines.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4 sexies.
Article 4 septies (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 131-4-1 du code pénal, après les mots : « cinq ans », sont insérés les mots : « , à l’exception des délits prévus aux articles 421-1 à 421-6, ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 148 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L’amendement n° 230 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 148.
Mme Esther Benbassa. Le présent article, introduit par la commission des lois, reprend les dispositions de l’article 14 de la proposition de loi de Philippe Bas adoptée le 2 février dernier. Il exclut du champ de la contrainte pénale toutes les infractions susceptibles d’être considérées comme terroristes.
Je l’ai déjà indiqué en février dernier en défendant un amendement de suppression, nous ne sommes pas favorables à l’incarcération automatique. Je tiens également à rappeler que la contrainte pénale est une peine qui exige un suivi intense des condamnés. Elle est, par ailleurs, réservée aux délits.
De surcroît, nous considérons qu’il revient aux magistrats de décider de la peine la plus pertinente selon la personnalité de l’individu qu’ils ont à juger.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 230.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite défendre la contrainte pénale, pour des raisons tant de fond que de forme.
Sur le fond, cet outil permet aux magistrats de tenir compte de l’auteur des faits et, donc, de prononcer une sanction plus adaptée.
Sur la forme, nous sommes toujours en phase d’observation de l’utilisation de ce dispositif par les juridictions ; il paraîtrait donc précipité de le supprimer tout de suite et pour un seul cas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements visent à supprimer l’article 4 septies, qui exclut les délits terroristes du champ de la contrainte pénale.
On pourrait discuter sans fin de cette peine. Toujours est-il que, au moment où il s’agit de durcir la loi, permettre que les infractions terroristes soient punies de quelques jours de contrainte pénale n’est sans doute pas le meilleur signal à envoyer.
En conséquence, la commission invite le Sénat à rejeter ces deux amendements de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 148 et 230.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 103, présenté par MM. Rachline et Ravier, n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’article 4 septies.
(L’article 4 septies est adopté.)
Article 4 octies (nouveau)
Après l’article 726-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 726-2 ainsi rédigé :
« Art. 726-2. – Lorsqu’il apparaît que leur comportement porte atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement, les personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions prévues aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, peuvent être, après évaluation pluridisciplinaire réalisée dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues, placées en cellule individuelle au sein d’une unité dédiée par décision du chef d’établissement.
« Le premier alinéa du présent article est applicable dans les mêmes conditions aux personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions autres que celles mentionnées au même premier alinéa.
« Le présent article ne remet pas en cause l’exercice des droits définis à l’article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. Toutefois, l’exercice des activités mentionnées à l’article 27 de la même loi par les personnes affectées au sein d’une unité dédiée s’effectue à l’écart des autres personnes détenues, sauf décision contraire prise par le chef d’établissement après avis de la commission pluridisciplinaire unique.
« La décision d’affectation au sein d’une unité dédiée est soumise au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le code de justice administrative. »
Mme la présidente. L’amendement n° 211, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement estime qu’il n’est pas nécessaire de conférer une base légale aux unités dédiées qu’il a mises en place. Il en existe actuellement trois, et nous sommes toujours dans la phase d’expérimentation. Nous souhaitons continuer à les observer avant de définir leur régime juridique. Figer leur existence de manière législative nous paraît donc prématuré.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. J’entends ce que vient de nous dire M. le garde des sceaux, mais le Conseil constitutionnel a rappelé dans une décision de 2009 sur la loi pénitentiaire le caractère légal de la création de telles unités.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4 octies.
(L’article 4 octies est adopté.)
Article 4 nonies (nouveau)
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 720 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. » ;
2° Après l’article 721-1, il est inséré un article 721-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 721-1-1. – Les personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ne bénéficient pas des crédits de réduction de peine mentionnés à l’article 721 du présent code. Elles peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de peine dans les conditions définies à l’article 721-1 du présent code. » ;
3° Après l’article 730-2, il est inséré un article 730-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 730-2-1. – Lorsque la personne a été condamnée à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, la libération conditionnelle ne peut être accordée :
« 1° Que par le tribunal de l’application des peines, quelle que soit la durée de la détention restant à exécuter ;
« 2° Qu’après avis d’une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité de la personne condamnée.
« Le tribunal de l’application des peines peut s’opposer à la libération conditionnelle si cette libération est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public.
« Lorsque la libération conditionnelle n’est pas assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile, elle ne peut être accordée qu’après l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d’un an à trois ans. Cette mesure ne peut être exécutée avant la fin du temps d’épreuve prévu à l’article 729 du présent code.
« Un décret précise les conditions d’application du présent article. » ;
4° L’article 730-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 119 est présenté par MM. Bigot, Richard, Sueur, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 149 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour présenter l’amendement n° 119.
M. Jacques Bigot. Nous sommes attachés au principe de l’individualisation des peines et nous faisons confiance au pouvoir d’appréciation des magistrats.
Nous avons parfois le sentiment que certains de nos collègues pensent que les peines encourues seront nécessairement appliquées. Or les magistrats en apprécient le quantum, et fort heureusement ! C’est un principe absolu, d’où notre amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 149.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 119 et 149.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 206, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. L’amendement n° 19 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… L’article 720-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement et les suivants visent à permettre un meilleur contrôle des terroristes pendant leur détention.
Le présent amendement a pour objet de priver les auteurs d’actes de terrorisme du bénéfice de la suspension et du fractionnement des peines, prévus à l’article 720-1 du code de procédure pénale.
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Au premier alinéa de l’article 721, après le mot : « bénéficie », sont insérés les mots : « , sauf s’il a été condamné pour l’un des actes de terrorisme visés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement vise à supprimer, en matière de terrorisme, toute automaticité de réduction de peine.
Mme la présidente. L’amendement n° 21 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… Après le troisième alinéa de l’article 721-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour l’un des actes de terrorisme visés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement tend à écarter toute possibilité de réduction supplémentaire de la peine pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 206, favorable à l’amendement n° 19 rectifié quater et demande le retrait des amendements nos 20 rectifié ter et 21 rectifié ter, qui sont satisfaits.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 19 rectifié quater, 20 rectifié ter et 21 rectifié ter ?
Mme la présidente. Monsieur Karoutchi, les amendements nos 20 rectifié ter et 21 rectifié ter sont-ils maintenus ?
M. Roger Karoutchi. Non, je les retire, madame la présidente, parce que je suis sûr que la commission va bien m’en accepter un ou deux dans les suivants !
Mme Esther Benbassa. Oh !
M. Roger Karoutchi. J’ai le droit de rêver…
M. Alain Néri. Quel humour !
Mme la présidente. Les amendements nos 20 rectifié ter et 21 rectifié ter sont retirés.
L’amendement n° 22 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… L’article 723-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement aurait pu faire l’objet d’une discussion commune avec les trois suivants, car tous ont le même objectif.
En l’espèce, il s’agit d’écarter toute possibilité d’exécution de la peine sous le régime de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 23 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… L’article 723-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement vise à écarter toute possibilité de permission de sortir pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi. Oh ! Pourquoi ?
Mme la présidente. L’amendement n° 24 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, M. Gilles, Mme Micouleau, M. P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… L’article 723-7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable aux personnes condamnées pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement a pour objet d’écarter toute possibilité de placement sous surveillance électronique pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Une condamnation pour terrorisme peut avoir été prononcée pour apologie du terrorisme et pas uniquement pour le fait d’avoir tué. C’est cette variété qui justifie l’avis défavorable du Gouvernement sur ces mesures, qui ont un caractère systématique. Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que vous leur accordiez un quelconque crédit, monsieur Karoutchi.
Mme Éliane Assassi. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. En matière de crédit, la politique du Gouvernement aurait de quoi déclencher bien des commentaires…
Si quelqu’un qui fait l’apologie du terrorisme est considéré comme assez dangereux pour être condamné à une vraie peine longue,…
M. Roger Karoutchi. … comment peut-on être sûr qu’il ne passera pas à l’acte dès sa sortie ? Si on commence à faire des distinctions entre les terroristes et ceux qui font l’apologie du terrorisme, y compris pour l’octroi de permissions de sortir, alors on risque d’avoir un problème !
Précédemment, j’ai accepté de me rallier à l’amendement de la commission et de renoncer à l’idée de la détention perpétuelle, mais, sur ce sujet, on entend trop d’histoires de personnes sorties de prison sans contrôle. Si quelqu’un est condamné pour apologie du terrorisme et est susceptible de commettre des actes terroristes, on ne va pas lui accorder une autorisation de sortir sous prétexte qu’il n’a pas commis d’acte terroriste en soi !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je ne suis pas certain que la façon d’aborder tous ces sujets reflète vraiment ce qui se passe au sein des tribunaux, tant pour ce qui concerne le prononcé des peines que le suivi de leur application.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez adopté un amendement tendant à créer une infraction nouvelle : la consultation de sites faisant l’apologie du terrorisme. Au motif que des personnes s’adonnent à cette pratique, elles sont susceptibles, d’après vos dires, de devenir des terroristes.
Si cette infraction que vous venez de créer est mise en œuvre – ce dont je doute –, un travail devra être effectué à partir de la condamnation des personnes concernées, condamnation que vous appelez de vos vœux, pour éviter qu’elles ne se radicalisent ou pour procéder à leur déradicalisation. Le tribunal devra donc décider d’une sanction qui permette d’aboutir à ce résultat. Dans ce cadre, un certain nombre de questions se poseront : l’aménagement de la peine, la contrainte pénale, la possibilité d’une libération conditionnelle, la pose d’un bracelet électronique… Telle est la réalité !
En définitive, la posture que vous adoptez sur tous ces sujets me semble exprimer une grande défiance à l’égard des magistrats français, à qui vous reprocheriez d’être laxistes. Or, je le souligne, le rapporteur lui-même, qui en a l’expérience, a dit exactement le contraire. Le président de la commission a, quant à lui, évoqué le refus des magistrats de faire sortir de prison des terroristes qu’ils jugent dangereux.
Le Parlement ne peut pas donner le sentiment qu’il ne fait pas confiance à l’autorité judiciaire. Pourtant, c’est bien une défiance à son égard qui est exprimée, comme le dénoncent d’ailleurs ses plus hauts dignitaires.
Mme la présidente. L'amendement n° 25 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mme Lopez, M. Béchu, Mme Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… Après le dixième alinéa de l’article 729, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne a été condamnée pour l’un des actes de terrorisme visés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Toujours dans le même esprit, cet amendement vise à écarter toute possibilité de libération conditionnelle pour les auteurs d’actes de terrorisme.
Monsieur Bigot, je le répète, j’ai un profond respect pour la magistrature. Ce qu’a dit Michel Mercier, fort de son expérience d’ancien garde des sceaux, c’est que les magistrats font leur job, mais qu’ils appliquent la loi ! Si vous nous dites qu’il ne faut pas faire la loi, parce qu’il ne faut pas exprimer de défiance à l’égard de l’autorité judiciaire, sur quoi vont s’appuyer les magistrats pour travailler ?
De toute façon, ce n’est pas une question de défiance : c’est à nous de faire la loi ! Ou alors, on laisse chaque secteur s’organiser comme il l’entend – le monde du commerce pour l’activité commerciale, etc. –, et finalement on ne sert à rien. Si c’est à nous de faire la loi, alors, faisons-la !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement est satisfait par les dispositions de l’article 4 nonies. En conséquence, je demande à son auteur de bien vouloir le retirer.
M. Roger Karoutchi. Je le retire.
Mme la présidente. L'amendement n° 25 rectifié ter est retiré.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l'article.
M. Jacques Bigot. La loi pénale, monsieur Karoutchi, contient deux éléments : le quantum des peines et les mesures d’application des peines. Ces dernières ne s’imposent pas aux magistrats : il s’agit de possibilités qui leur sont offertes. Or, avec les amendements que vous venez de faire adopter, vous les privez de toute marge de manœuvre.
J’ai bien noté que vous aviez du respect pour les magistrats ; mais, manifestement, vous n’avez aucune confiance en eux.
M. Charles Revet. Allons !
M. Roger Karoutchi. Ça ne mérite pas de réponse !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4 nonies, modifié.
(L'article 4 nonies est adopté.)
Chapitre II
Dispositions renforçant la protection des témoins
Mme la présidente. L'amendement n° 87 rectifié, présenté par M. Reichardt, Mme Canayer, MM. Charon, Danesi et de Legge, Mmes Deromedi et Gruny, MM. D. Laurent et Mandelli, Mme Micouleau, MM. Morisset, Pellevat, Trillard, Gremillet, Lefèvre, Gournac, Kennel, Husson et Houel et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Titre Ier, Chapitre II
Rédiger ainsi l’intitulé de ce chapitre :
Dispositions renforçant la protection des témoins, des interprètes et traducteurs
La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Cet amendement vise à tirer les conséquences de l’adoption éventuelle de l’amendement n° 74 rectifié, que nous examinerons dans quelques instants, en complétant l’intitulé du chapitre II du titre Ier du projet de loi par les mots « des interprètes et traducteurs ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je souhaite que nous réservions le vote de cet amendement, dans l’attente de notre délibération sur l’amendement n° 74 rectifié tendant à ouvrir aux interprètes et traducteurs la protection prévue pour les témoins.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve formulée par la commission ?
Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 87 rectifié est réservé.
Article 5
Le livre II du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 306, il est inséré un article 306-1 ainsi rédigé :
« Art. 306-1. – Pour le jugement des crimes contre l’humanité mentionnés au sous-titre Ier du titre Ier du livre II du code pénal, du crime de disparition forcée mentionné à l’article 221-12 du même code, des crimes de tortures ou d’actes de barbarie mentionnés aux articles 222-1 à 222-6 dudit code, des crimes de guerre mentionnés au chapitre Ier du livre IV bis du même code et des crimes mentionnés à l’article 706-73 du présent code, la cour, sans l’assistance du jury, peut, par un arrêt rendu en audience publique, ordonner le huis clos pour le temps de l’audition d’un témoin si la déposition publique de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches. » ;
2° Après l’article 400, il est inséré un article 400-1 ainsi rédigé :
« Art. 400-1. – Pour le jugement des délits de guerre mentionnés au chapitre Ier du livre IV bis du code pénal et des délits mentionnés à l’article 706-73 du présent code, le tribunal peut, par jugement rendu en audience publique, ordonner le huis clos pour le temps de l’audition d’un témoin si la déposition publique de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches. » – (Adopté.)
Article 6
Après l’article 706-62 du code de procédure pénale, sont insérés des articles 706-62-1 et 706-62-2 ainsi rédigés :
« Art. 706-62-1. – En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, lorsque la révélation de l’identité d’un témoin est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches, le juge d’instruction ou le président de la juridiction de jugement statuant en chambre du conseil peut ordonner soit d’office, soit à la demande du procureur de la République ou des parties, que cette identité ne soit pas mentionnée au cours des audiences publiques et ne figure pas dans les ordonnances, jugements ou arrêts de la juridiction d’instruction ou de jugement qui sont susceptibles d’être rendus publics.
« Le juge d’instruction adresse sans délai copie de la décision prise en application du premier alinéa au procureur de la République et aux parties.
« La décision ordonnant la confidentialité de l’identité du témoin n’est pas susceptible de recours.
« Le témoin est alors désigné au cours des audiences ou dans les ordonnances, jugements ou arrêts par un numéro que lui attribue le juge d’instruction ou le président de la juridiction de jugement.
« Hors les cas dans lesquels il est indispensable à l’exercice effectif des droits de la défense, le fait de révéler l’identité d’un témoin ayant bénéficié des dispositions du présent article ou de diffuser des informations permettant son identification ou sa localisation est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Art. 706-62-2. – Sans préjudice de l’application de l’article 706-58, en cas de procédure portant sur un crime ou un délit mentionné aux articles 628, 706-73 et 706-73-1, lorsque l’audition d’une personne mentionnée à l’article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne ou de ses proches, cette personne fait l’objet, en tant que de besoin, de mesures de protection destinées à assurer sa sécurité.
« En cas de nécessité, elle peut être autorisée, par ordonnance motivée rendue par le président du tribunal de grande instance, à faire usage d’une identité d’emprunt.
« Toutefois, il ne peut pas être fait usage de cette identité d’emprunt pour une audition au cours de la procédure mentionnée au premier alinéa.
« Le fait de révéler qu’une personne fait usage d’une identité d’emprunt en application du présent article ou de révéler tout élément permettant son identification ou sa localisation est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, des violences à l’encontre de cette personne ou de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, la mort de cette personne ou de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs.
« Les mesures de protection mentionnées au premier alinéa du présent article sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par la commission nationale prévue à l’article 706-63-1. Cette commission assure le suivi des mesures de protection, qu’elle peut modifier ou auxquelles elle peut mettre fin à tout moment. En cas d’urgence, les services compétents prennent les mesures nécessaires et en informent sans délai la commission nationale.
« Les membres de la famille et les proches de la personne mentionnée au premier alinéa du présent article peuvent également faire l’objet de mesures de protection et être autorisés à faire usage d’une identité d’emprunt, dans les conditions prévues au présent article.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. »
Mme la présidente. L'amendement n° 212, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
Hors les cas dans lesquels il est indispensable à l'exercice effectif des droits de la défense,
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même s'il est très attentif aux droits de la défense, le Gouvernement estime que l'amendement introduit au stade de la commission des lois revient à vider le dispositif de protection des témoins de sa substance, sans ajouter une garantie pour la défense. En effet, la disposition initialement présente dans le texte gouvernemental protégeait l'anonymat uniquement lors des audiences publiques et sur des actes rendus publics.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Sur ce point, nous ne partageons pas la position du Gouvernement.
Selon nous, le principe du contradictoire, qui s’exerce principalement à l’audience, suppose qu’un avocat puisse expliquer en quoi un témoignage est biaisé. Or cette explication peut rendre nécessaire la communication d’éléments d’identification du témoin. Il pourrait alors être fait usage du huis clos partiel, en cas de nécessité, pour organiser la protection de ce dernier.
Il faut laisser à l’avocat la possibilité de défendre son client. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 6
Mme la présidente. L'amendement n° 30 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Canevet, Bockel et Gabouty, Mme Billon, M. Roche, Mmes Férat et Gruny et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Après l'article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l'article 706-54 du code de procédure pénale, après les mots : « l'identification et la recherche », sont insérés les mots : « directes ou indirectes ».
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Cet amendement a pour objet de permettre la recherche par parentèle dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.
La procédure d’identification classique, via l’ADN prélevé et sa comparaison avec le FNAEG, n’aboutit pas systématiquement quand l’auteur des faits n’a pas été préalablement inscrit. La recherche par parentèle permet de poursuivre l’enquête, tout en respectant la présomption d’innocence, en cherchant d’éventuelles correspondances génétiques avec de proches parents inscrits dans le FNAEG. Elle serait susceptible de réorienter certaines enquêtes pour, in fine, retrouver l’auteur des faits.
Cette nouvelle technique a permis l’élucidation de plusieurs affaires. Son usage doit aujourd’hui être sécurisé dans la loi. C’est précisément cette sécurisation que nous proposons d’opérer au travers de cet amendement.
La fonction de recherche par parentèle existe déjà dans le logiciel moteur du FNAEG, acquis auprès des États-Unis, qui pratiquent couramment cette technique.
Par ailleurs, l’article 706–55 du code de procédure pénale permet déjà la vérification d’ADN à partir du FNAEG pour un certain nombre d’infractions. J’en citerai quelques-unes.
Premièrement, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, les actes de terrorisme, la fausse monnaie, l'association de malfaiteurs et les crimes et délits de guerre.
Deuxièmement, les infractions de nature sexuelle visées à l'article 706–47 du code de procédure pénale.
Troisièmement, les crimes contre l'humanité et les crimes et délits d'atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie, de violences volontaires, de menaces d'atteintes aux personnes, de trafic de stupéfiants, d'atteintes aux libertés de la personne, de traite des êtres humains, de proxénétisme, d'exploitation de la mendicité et de mise en péril des mineurs.
Quatrièmement, les crimes et délits de vols, d'extorsions, d'escroqueries, de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d'atteintes aux biens prévus dans le code pénal.
La sécurisation de la recherche par parentèle s’inscrirait donc dans le périmètre actuel, prévu par la loi, pour les recherches d’ADN et la comparaison avec le FNAEG.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la sécurisation de ce mode d’enquête renforcerait l’efficacité de l’action de la justice, tout en respectant les droits fondamentaux, et faciliterait l'identification des criminels.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui a pour objet d’autoriser la recherche par parentèle dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques, est déjà satisfait par l’article 31 bis C du projet de loi, introduit en commission par un amendement du Gouvernement. Dès lors, je propose à ses auteurs de le retirer.
Mme Pascale Gruny. Je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 30 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 74 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Pellevat et Morisset, Mme Micouleau, MM. Mandelli et D. Laurent, Mme Gruny, MM. de Legge, Danesi et Charon, Mmes Canayer et Deromedi, MM. B. Fournier, Trillard, Gremillet, Lefèvre, Gournac, Kennel, Husson et Houel et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le titre XXI bis du livre IV du code de procédure pénale, il est inséré par un titre XXI ter ainsi rédigé :
« Titre XXI ter
« De la protection des interprètes et traducteurs
« Art. 706-63-2. – Les interprètes et traducteurs peuvent, sur autorisation du procureur de la République, du juge d’instruction ou du président de la formation de jugement, déclarer comme domicile l’adresse de la juridiction devant ou au profit de laquelle ils interviennent.
« L’adresse professionnelle de ces personnes est alors inscrite sur un registre coté et paraphé qui est ouvert à cet effet au siège de la juridiction.
« Art. 706-63-3. – En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, lorsque l’exercice de sa mission est susceptible de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique de l’interprète ou du traducteur, des membres de sa famille ou de ses proches, le procureur de la République, le juge d’instruction ou le président de la formation de jugement peuvent, par décision motivée, autoriser que la mission soit exercée sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure ou ne soit dévoilée lors de l’audience. Cette décision n’est pas susceptible de recours.
« L’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction est jointe à la procédure. La décision du président de la formation de jugement figure au jugement. L’identité et l’adresse de l’interprète ou du traducteur sont inscrites sur un registre coté et paraphé, ouvert à cet effet au siège de la juridiction.
« Lorsqu’une nécessité impérieuse le justifie, l’interprète est placé dans un box ou derrière tout dispositif lui permettant d’être dissimulé au regard du public, des parties civiles ou des personnes mises en cause, mises en examen, prévenues, accusées ou condamnées.
« Art. 706-63-4. – En aucune circonstance, l’identité ou l’adresse de l’interprète ou du traducteur ayant bénéficié des dispositions des articles 706-63-2 et 706-63-3 ne peut être révélée.
« La révélation de l’identité ou de l’adresse d’un interprète ou d’un traducteur, ayant bénéficié des dispositions des articles 706-63-2 et 706-63-3 est punie de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
« Art. 706-63-5. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent titre. »
La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Le chapitre II du titre Ier que nous examinons vise à renforcer la protection des témoins. Or les témoins ne sont pas seuls à devoir être protégés. Cet amendement a donc pour objet d’instaurer une procédure d’interprétariat sous X, sur le modèle du témoignage sous X.
Des difficultés particulières se posent avec les langues rares, telles que l’albanais ou certaines langues slaves. Les interprètes étant peu nombreux et généralement bien connus dans les « communautés », ils sont régulièrement victimes de pressions et de menaces de mort sur eux-mêmes ou leur famille.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à étendre aux interprètes la protection proposée aux témoins par le présent projet de loi.
Les questions que j’ai posées à ce sujet sont restées sans réponse. Je n’ai donc pas connaissance d’un besoin des juridictions en la matière. Aussi, je souhaite connaître l’avis du Gouvernement avant que l’assemblée ne puisse se prononcer ; j’y insiste, nous n’avons été informés d’aucun besoin particulier des juridictions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si les juridictions ont besoin de traducteurs, je n’ai moi non plus jamais entendu parler d’un besoin de protection desdits traducteurs. Au reste, l’adoption de cet amendement engendrerait une difficulté : l’interprète, auxiliaire de justice, est choisi à partir d’une liste publique, comme le prévoit l’article R. 111-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il serait difficile de rendre confidentiel le choix d’un interprète, qui ne peut être choisi que s’il figure sur une liste publique !
Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement. Pour répondre très précisément au rapporteur, j’ajoute qu’il n’a pas été non plus destinataire d’une demande de protection des traducteurs.
Mme la présidente. Quel est, par conséquent, l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.
M. René Danesi. Madame la présidente, je retire l’amendement n° 74 rectifié, ainsi que l’amendement de conséquence n° 87 rectifié, dont le vote a été précédemment réservé.
Mme la présidente. Les amendements nos 74 rectifié et 87 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 28 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Canevet, Bockel, Gabouty et Médevielle, Mme Billon, M. Roche, Mmes Férat et Gruny, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 2 du chapitre IV de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complétée par un article 29-… ainsi rédigé :
« Art. 29-… – Par dérogation aux articles 25 et 27, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État, d’une personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé gérant un service public et ayant pour objet la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la fraude aux finances publiques relèvent de l’article 26. Pour ces traitements, le délai prévu au I de l’article 28 est réduit à un mois et n’est pas renouvelable. Ces traitements sont dispensés de la publication de l’acte réglementaire les autorisant. Le sens de l’avis émis par la commission sur ces traitements est publié. »
La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Cet amendement vise à améliorer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et les grandes fraudes fiscales.
De manière générale, les traitements automatisés de données sont devenus indispensables pour lutter contre le terrorisme et le phénomène des fraudes fiscales. L’ampleur de ce dernier devient considérable : 60 milliards à 80 milliards d’euros par an, selon une récente estimation du principal syndicat de l’administration fiscale. Si l’on ajoute le montant des cotisations sociales non perçues du fait de fraudes, le montant des « fraudes aux finances publiques » dépasse la barre symbolique des 100 milliards d’euros par an.
La lutte contre ces phénomènes prédateurs nécessite, bien évidemment, l’utilisation des moyens les plus modernes, dans les délais de mise en œuvre les plus brefs. L’exemple de la création en catastrophe du fichier EVAFISC pour régulariser a posteriori, au regard de la loi Informatique et libertés, le travail de l’administration fiscale est éloquent.
L'adoption de cet amendement permettrait notamment d'expérimenter très rapidement les nouveaux outils informatiques de détection des activités terroristes par l'analyse systématique des flux financiers, en lien avec le service TRACFIN. Il s’agit précisément de simplifier l’utilisation, par les administrations, des nouveaux outils informatiques de lutte contre le terrorisme et la fraude – data mining, applications informatiques spécifiques, etc. –, d’accélérer leur mise en œuvre et mise à disposition, tout en maintenant le regard de la CNIL sur les opérations menées afin que cette dernière remplisse son rôle de garde-fou.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement semble partiellement satisfait par le droit existant. En effet, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État et intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique relèvent d’ores et déjà de l’article 26 de la loi Informatique et libertés. Ce même article prévoit également que certains traitements peuvent être dispensés, par décret en Conseil d’État, de la publication de l’acte réglementaire qui les autorise.
Enfin, il ne semble pas nécessaire de réduire le délai dans lequel la CNIL se prononce sur ce traitement, le délai de deux mois apparaissant comme suffisamment bref.
Je vous suggère donc, monsieur Roche, de retirer cet amendement, même s’il n’est que partiellement satisfait.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Roche, l’amendement n° 28 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Gérard Roche. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 28 rectifié bis est retiré.
Chapitre III (suite)
Dispositions améliorant la lutte contre les infractions en matière d’armes et contre la cybercriminalité
Article 7 (précédemment examiné)
Mme la présidente. Je rappelle que cet article a été précédemment examiné.
Article 8
Le livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le 5° de l’article 706-55 est ainsi rédigé :
« 5° Les délits prévus aux articles 222-52 à 222-66 du code pénal, aux articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-4, L. 2339-4-1, L. 2339-10 à L. 2339-11-2, L. 2353-4 et L. 2353-13 du code de la défense et aux articles L. 317-1-1 à L. 317-9 du code de la sécurité intérieure ; »
2° (Supprimé)
3° (Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 246, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer la référence :
222–66
par la référence :
222–59
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s’agit de corriger une erreur de référence.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 8 bis (nouveau)
Le livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le 12° de l’article 706-73 est ainsi rédigé :
« 12° Délits en matière d’armes et de produits explosifs prévus aux articles 222-52 à 222-54, 222-56 à 222-59, 322-6-1 et 322-11-1 du code pénal, aux articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi qu’aux articles L. 317-2 et L. 317-7 du code de la sécurité intérieure ; »
2° Le chapitre II du titre XXV du livre IV est complété par une section 9 ainsi rédigée :
« Section 9
« Dispositions spécifiques à certaines infractions
« Art. 706-106-1. – Sans préjudice des articles 706-81 à 706-87 et aux seules fins de constater les infractions mentionnées au 12° de l’article 706-73, d’en identifier les auteurs et les complices et d’effectuer les saisies prévues au présent code, les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire placés sous leur autorité peuvent, avec l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits qui en avise préalablement le parquet, sans être pénalement responsables de ces actes :
« 1° Acquérir des armes ou leurs éléments, des munitions ou des explosifs ;
« 2° En vue de l’acquisition d’armes ou leurs éléments, de munitions ou d’explosifs, mettre à la disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication.
« À peine de nullité, l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure et les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction. » – (Adopté.)
Article 9 (précédemment examiné)
Mme la présidente. Je rappelle que cet article a été précédemment examiné.
Article 10
La section 7 du chapitre IV du titre II du code des douanes est ainsi modifiée :
1° L’avant-dernier alinéa du 1° du II de l’article 67 bis est complété par les mots : « , des armes ou leurs éléments, des munitions ou des explosifs » ;
2° L’article 67 bis-1 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Les b et c du 3° sont remplacés par des b, c et d ainsi rédigés :
« b) Être en contact par le moyen mentionné au a avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
« c) Extraire, acquérir ou conserver par ce moyen les éléments de preuve et les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
« d) Extraire, transmettre en réponse à une demande expresse, acquérir ou conserver des contenus illicites, dans des conditions fixées par décret. » ;
b) Au dernier alinéa, après le mot : « manufacturé », sont insérés les mots : « , d’armes ou de leurs éléments, de munitions ou d’explosifs ».
Mme la présidente. L'amendement n° 216, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que sur les comptes bancaires utilisés
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement vise à réparer un oubli, qui n’était probablement pas volontaire de la part du rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
I (Non modifié). – Après l’article 113-2 du code pénal, il est inséré un article 113-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 113-2-1. – Tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article 43 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les infractions mentionnées à l’article 113-2-1 du code pénal, est également compétent le procureur de la République du lieu respectif de résidence ou du siège des personnes physiques ou morales mentionnées au même article 113-2-1. » ;
2° L’article 52 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les infractions mentionnées à l’article 113-2-1 du code pénal, est également compétent le juge d’instruction du lieu respectif de résidence ou du siège des personnes physiques ou morales mentionnées au même article 113-2-1. » ;
3° Le deuxième alinéa de l’article 382 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les infractions mentionnées à l’article 113-2-1 du code pénal, est également compétent le tribunal correctionnel du lieu respectif de résidence ou du siège des personnes physiques ou morales mentionnées au même article 113-2-1. » ;
4° L’article 706-72 est ainsi rédigé :
« Art. 706-72. – Les actes incriminés par les articles 323-1 à 323-4-1 et 411-9 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un système de traitement automatisé d’informations, sont poursuivis, instruits et jugés selon les règles du présent code sous réserve des dispositions du présent titre.
« Les articles 706-80 à 706-87-1, 706-95 à 706-103 et 706-105 du présent code sont applicables à l’enquête, à la poursuite, à l’instruction et au jugement des délits prévus à l’article 323-4-1 du code pénal.
« Les mêmes articles 706-80 à 706-87-1, 706-95 à 706-103 et 706-105 sont également applicables à l’enquête, à la poursuite, à l’instruction et au jugement du blanchiment des mêmes délits ainsi qu’à l’association de malfaiteurs lorsqu’elle a pour objet la préparation de l’un desdits délits. » ;
4° bis (nouveau) Après l’article 706-72, sont insérés les articles 706-72-1 à 706-72-6 ainsi rédigés :
« Art. 706-72-1. – Pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-72, le procureur de la République, le pôle de l’instruction, le tribunal correctionnel et la cour d’assises de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application des articles 43, 52 et 382.
« En ce qui concerne les mineurs, le procureur de la République, le pôle de l’instruction, le juge des enfants, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
« Lorsqu’ils sont compétents pour la poursuite et l’instruction des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-72, le procureur de la République et le pôle de l’instruction de Paris exercent leurs attributions sur toute l’étendue du territoire national.
« Art. 706-72-2. – Le procureur de la République près un tribunal de grande instance autre que celui de Paris peut, pour les infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-72, requérir le collège de l’instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d’instruction de Paris. Les parties sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations par le collège de l’instruction ; l’ordonnance est rendue huit jours au plus tôt et un mois, au plus tard, à compter de cet avis.
« L’ordonnance par laquelle le collège de l’instruction se dessaisit ne prend effet qu’à compter du délai de cinq jours ; lorsqu’un recours est exercé en application de l’article 706-72, le collège de l’instruction demeure saisi jusqu’à ce que l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation soit porté à sa connaissance.
« Dès que l’ordonnance est devenue définitive, le procureur de la République adresse le dossier de la procédure au procureur de la République de Paris.
« Le présent article est applicable devant la chambre de l’instruction.
« Art. 706-72-3. – Lorsqu’il apparaît au collège de l’instruction de Paris que les faits dont il a été saisi ne constituent pas une des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-72 et ne relèvent pas de sa compétence à un autre titre, ce collège se déclare incompétent, soit sur requête du procureur de la République, soit, après avis de ce dernier, d’office ou sur requête des parties. Celles des parties qui n’ont pas présenté une requête sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations ; l’ordonnance est rendue au plus tôt huit jours après cet avis.
« Le deuxième alinéa de l’article 706-72-2 est applicable à l’ordonnance par laquelle le collège de l’instruction de Paris se déclare incompétent.
« Dès que l’ordonnance est devenue définitive, le procureur de la République de Paris adresse le dossier de la procédure au procureur de la République territorialement compétent.
« Le présent article est applicable lorsque la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris statue sur sa compétence.
« Art. 706-72-4. – Lorsque le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants de Paris se déclare incompétent pour les motifs prévus à l’article 706-72-3, il renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera ; il peut, le ministère public entendu, décerner, par la même décision, mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu.
« Art. 706-72-5. – Dans les cas prévus aux articles 706-72-2 à 706-72-4, le mandat de dépôt ou d’arrêt conserve sa force exécutoire ; les actes de poursuite ou d’instruction et les formalités intervenus avant que la décision de dessaisissement ou d’incompétence soit devenue définitive n’ont pas à être renouvelés.
« Art. 706-72-6. – Toute ordonnance rendue sur le fondement de l’article 706-72-2 ou de l’article 706-72-3 par laquelle un collège de l’instruction statue sur son dessaisissement ou le collège de l’instruction de Paris statue sur sa compétence peut, à l’exclusion de toute autre voie de recours, être déférée dans les cinq jours de sa notification, à la requête du ministère public ou de l’une des parties, à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui désigne, dans les huit jours suivant la date de réception du dossier, la juridiction chargée de poursuivre l’information. Le ministère public peut également saisir directement la chambre criminelle de la Cour de cassation lorsque le collège de l’instruction n’a pas rendu son ordonnance dans le délai d’un mois prévu au premier alinéa de l’article 706-72-2.
« La chambre criminelle qui constate que le collège de l’instruction du tribunal de grande instance de Paris n’est pas compétent peut néanmoins, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, décider que l’information sera poursuivie à ce tribunal.
« L’arrêt de la chambre criminelle est porté à la connaissance du collège de l’instruction ainsi qu’au ministère public et signifié aux parties.
« Le présent article est applicable à l’arrêt rendu sur le fondement du dernier alinéa des articles 706-72-2 et 706-72-3 par lequel une chambre de l’instruction statue sur son dessaisissement ou sa compétence. » ;
5° Le 1° de l’article 706-73-1 est complété par les mots : « , délit d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État commis en bande organisée, prévu à l’article 323-4-1 du même code et délit d’évasion commis en bande organisée prévu au second alinéa de l’article 434-30 dudit code » ;
6° (Supprimé)
III. – (Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 207, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 10 à 34
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
4° Le titre XXIV du livre IV est abrogé ;
5° Le 1° de l’article 706-73-1 est complété par les mots : « , délit d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État commis en bande organisée, prévu à l’article 323-4-1 du même code et délit d’évasion commis en bande organisée prévu au second alinéa de l’article 434-30 dudit code » ;
6° Au premier alinéa de l’article 706-87-1, la référence : « 706-72, » est supprimée.
III. – Aux articles L. 532-22, L. 552-16 et L. 562-32 du code de l’organisation judiciaire, les mots : « par l’article 706-72 du code de procédure pénale et » sont supprimés et le mot : « leur » est remplacé par le mot : « sa ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’article 11 a été modifié par la commission des lois afin d’introduire une compétence nationale concurrente du TGI de Paris en matière de cybercriminalité. Le Gouvernement est défavorable à cette proposition. Il considère que l’organisation judiciaire actuelle, reposant notamment sur l’existence de huit juridictions interrégionales spécialisées et sur un office central de lutte contre ce type d’infraction, permet de répondre efficacement aux enjeux actuels.
Il n’est pas souhaitable d’étendre indéfiniment la centralisation des compétences à Paris, alors que des juridictions spécialisées réparties sur l’ensemble du territoire national, disposant des mêmes moyens d’investigation et de magistrats tout aussi expérimentés et spécialisés, répondent parfaitement aux enjeux de la lutte contre ce type de délinquance. Il est donc proposé de rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. L'amendement n° 121, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 31
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Je retire cet amendement au profit de celui du Gouvernement.
Mme la présidente. L'amendement n° 121 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 207 ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a repris une disposition que le Sénat avait déjà votée lors de l’examen de la proposition de loi adoptée le 2 février dernier. Cette compétence concurrente nous semble utile et pertinente au regard de la forte technicité de ce contentieux aux enjeux considérables, de la localisation actuelle des services enquêteurs et de l’importance d’une spécialisation accrue pour l’organisation d’une répression efficace.
Je rappelle que le rapport du groupe de travail interministériel chargé d’élaborer une stratégie globale de lutte contre la cybercriminalité, présidé par le procureur général Marc Robert, soulignait le manque d’efficacité de cette lutte en raison d’un déficit de stratégie et de cohérence d’ensemble ainsi que d’un mode de traitement inadapté à un contentieux souvent massif qui exige des regroupements. Or ces derniers seraient facilités s’il existait une centralisation de fait induite par une compétence concurrente.
Par conséquent, la commission maintient sa position et émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Chapitre IV
Dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
Article additionnel avant l'article 12
Mme la présidente. L'amendement n° 100, présenté par MM. Rachline et Ravier, n'est pas soutenu.
Article 12
I. – Après l’article 322-3-1 du code pénal, il est inséré un article 322-3-2 ainsi rédigé :
« Art. 322-3-2. – Est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende le fait d’importer, d’exporter, de faire transiter, de transporter, de détenir, de vendre, d’acquérir ou d’échanger un bien culturel présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique en sachant que ce bien a été soustrait d’un territoire qui constituait, au moment de la soustraction, un théâtre d’opérations de groupes armés et sans pouvoir justifier la licéité de l’origine de ce bien.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque l’infraction prévue au présent article est commise avec la circonstance mentionnée au 1° de l’article 322-3. »
II. – L’article 706-73-1 du code de procédure pénale, est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Délits d’importation, d’exportation, de transit, de transport, de détention, de vente, d’acquisition ou d’échange d’un bien culturel prévus à l’article 322-3-2 du code pénal ; ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Je vais tenter de suppléer Françoise Férat. En effet, cet article revêt une très grande importance pour notre collègue, qui est corapporteur, au nom de la commission de la culture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dont l’article 18 B, plus connu sous le nom d’« amendement Palmyre », prévoit un certain nombre de dispositions pour créer des musées refuges.
Voilà des années que nous assistons, totalement impuissants et démunis, à la destruction et au pillage de trésors culturels qui sont autant de pertes pour l’humanité. Hier, les bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan ; aujourd’hui, les mausolées de Tombouctou ou de Tripoli, le patrimoine de Mossoul et les palais assyriens en Irak, le site de Palmyre et les trésors d’Alep en Syrie. Et, demain, de quoi s’agira-t-il encore ? Le trafic des biens culturels serait aujourd’hui le troisième commerce illicite dans le monde, après les armes et la drogue, avec des conséquences terribles pour le patrimoine.
Mise en place d’une faculté de contrôle douanier à l’importation spécifique, création en France de refuges pour les biens culturels menacés, introduction d’un dispositif permettant aux propriétaires publics de biens acquis de bonne foi, mais dont l’origine se révélerait finalement illicite, de demander l’annulation du contrat ou du legs : voilà quelques-unes des dispositions qui devraient venir renforcer notre arsenal juridique dans ce domaine.
Surtout, le texte prévoit d’interdire la circulation des biens culturels ayant quitté illicitement un État lorsqu’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a été prise en ce sens et fixe des sanctions en cas de non-respect de cette interdiction.
Mes chers collègues, même si ces deux projets de loi n’ont pas, à l’origine, le même objectif, une même volonté nous anime. Les deux dispositifs sont tout à fait complémentaires et viennent étoffer la liste des outils à notre disposition pour lutter contre les trafics illégaux. L’un et l’autre pourront tour à tour être utilisés selon qu’il existe ou non une résolution de l’ONU.
Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Avec cet article 12, il s’agit en fait d’ajouter au code pénal une disposition superfétatoire, résultat de cet « empilage » continu qui, au fil des textes censés lutter contre le terrorisme, a nui à l’intelligibilité du droit.
La nouvelle incrimination ici créée, qui fait suite directement à l’émotion légitime suscitée par les ravages de la guerre à Mossoul ou à Palmyre, est d’ores et déjà prévue dans notre droit, l’article 12 se contentant de transgresser la limite de pénalisation d’un délit en la faisant tutoyer le quantum réservé a priori aux crimes. Pourquoi ajouter au code pénal une incrimination déjà existante, rendant ceux qui commettent ces actes passibles de la même peine dont sont passibles les auteurs du délit déjà défini ?
Le problème, c’est que l’on pourrait retenir, sur le dossier des personnes concernées par cet article 12, autant la présomption de participation au financement d’une activité terroriste que celle de participation à une activité illégale de vente et trafic de biens culturels. Même avec les « précisions » apportées par les amendements adoptés en commission, nous ne sommes pas en mesure de donner à la « nouvelle » incrimination la moindre plus-value par rapport à ce qui existe déjà. Il ne s’agit que de repousser toujours plus loin les limites du principe de proportionnalité des peines, déjà fort mis à mal par les textes antérieurs, pour valider des dispositions et dispositifs d’exception.
La sagesse recommande de ne pas retenir cet article 12 en l’état et de laisser, par conséquent, s’appliquer en matière de trafic de biens culturels ce qui existe déjà et constitue une protection suffisante à l’encontre des agissements des commettants.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le délit de trafic de biens culturels en lien avec un théâtre de conflit armé.
Je suis très partagé sur la pertinence de ce délit supplémentaire, dont les peines ont été alignées par les députés sur les délits déjà définis. La commission a néanmoins essayé de conserver une cohérence au texte en donnant une définition satisfaisante de ce délit. Il n’en demeure pas moins que l’on peut s’interroger sur sa pertinence, en particulier au regard des dispositions votées par le Sénat relatives au renforcement des peines pour le trafic de biens culturels, dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Ces deux textes créent donc deux incriminations très voisines l’une de l’autre.
La commission souhaiterait connaître la position du Gouvernement et, à ce stade, s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable au maintien de cet article, dont il est à l’origine.
De notre point de vue, ces dispositions présentent l’avantage de prévoir un renversement de la charge de la preuve sur la licéité de l’origine du bien, ce qui devrait être de nature à lutter plus efficacement contre ce qu’on appelle le trafic des antiquités du sang, qui alimente le financement du terrorisme comme chacun ne l’ignore plus dorénavant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. L’inversion de la charge de la preuve dans ce type de situation est une décision importante. On le verra lors de l’examen de l’article 16, l’origine des biens ou, le cas échéant, leur origine frauduleuse est parfois compliquée à établir. En l’état, la disposition introduite dans le projet de loi relatif à la liberté de la création complète plutôt bien cet article. C’est pourquoi je considère qu’il vaut mieux ne pas le supprimer.
Mme la présidente. L'amendement n° 150, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, n'est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 12.
(L'article 12 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 12
Mme la présidente. L'amendement n° 226, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 706-73-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 3°, les références : « aux articles 324-1 et 324-2 » sont remplacées par la référence : « à l'article 324-1 » ;
2° Après le 3°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … Délits de blanchiment prévus à l’article 324-2 du code pénal, à l'exception de ceux mentionnés au 14° de l'article 706-73 ; ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les techniques spéciales d'enquête applicables à la criminalité organisée ne sont applicables en matière de blanchiment que si celui-ci porte sur une infraction relevant elle-même de la criminalité organisée. Or il existe des réseaux organisés de blanchiment portant sur des infractions de droit commun qui contribuent au financement de la grande criminalité et du terrorisme.
Cet amendement vise à rendre applicable à l'ensemble des délits de blanchiment aggravé la procédure dérogatoire réservée à la criminalité et à la délinquance organisées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 12.
L'amendement n° 64 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Canevet, Bockel et Gabouty, Mme Billon, M. Roche, Mme Férat, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Après l'article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 133-8 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 133-8-… ainsi rédigé :
« Art. L. 133–8–… – Aucun ordre de paiement ne peut être passé sur le territoire national au moyen d’une carte de paiement prépayée rechargeable dès lors que cette carte n’est pas rattachable à un compte effectif dont le propriétaire est identifiable. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Un amendement identique à celui-ci avait été déposé lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Il vise à interdire sur le territoire tout ordre de paiement au moyen d’une carte de paiement prépayée rechargeable lorsque celle-ci n’est pas rattachable à un compte dont le propriétaire est identifiable. Nous avons évoqué précédemment un problème similaire avec les puces de téléphone, qui peuvent être anonymes.
Lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014, Alain Richard, l’un des deux rapporteurs, nous avait expliqué que les cartes prépayées n’entraient pas en considération dans un dispositif de lutte contre le terrorisme. Dans l’intervalle, il s’est avéré que c’est l’inverse qui s’est produit ! J’avais défendu cet amendement en expliquant que, au moins, le Journal officiel serait mon témoin. C’est pourquoi je défends un amendement identique, étant précisé que les criminels du Bataclan ont utilisé précisément ce type de carte. C’est anecdotique, mais on sait bien qu’aujourd’hui les petits ruisseaux du financement font les grandes rivières.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Comme vient de le rappeler Mme Goulet, un amendement identique à celui-ci a déjà été rejeté par le Sénat lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014,…
M. André Reichardt. C’était une erreur !
M. Michel Mercier, rapporteur. … parce que cette interdiction était susceptible de contrevenir à la directive européenne du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice, transposée dans notre droit par la loi du 28 janvier 2013. C’est la raison pour laquelle je ne peux que demander à Mme Goulet de retirer son amendement, ce qu’elle ne va probablement pas faire (Sourires.) ; dans ce cas, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement comprend l’intention des auteurs de l’amendement, à savoir interdire l’utilisation des cartes prépayées dont le titulaire n’est pas identifiable, et il est évidemment conscient des risques qu’elles représentent en matière de blanchiment. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous souhaitons limiter la valeur maximale de ces cartes, les possibilités de les alimenter ainsi que les remboursements et retraits. C’est l’objet de l’article 13.
D’ores et déjà, un décret est en préparation visant à encadrer strictement la monnaie électronique, dont les cartes prépayées. Il ne sera plus autorisé en France d’émettre et de distribuer des cartes prépayées alimentées en espèces sans que soient effectués les contrôles d’identité, ce qui est votre objectif, madame la sénatrice.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement, qui peut être satisfait par un texte réglementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. La proposition de notre collègue doit être mise en regard des dispositions prévues à l’article 13, qui prévoit d’encadrer ce moyen de paiement, comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux. Sauf que ne peuvent être visés que les moyens de paiement émis en France. Compte tenu de la manière dont ces cartes sont rechargeables, elles peuvent parfaitement être rechargées dans un pays étranger tout en étant utilisables en France ; il suffit de transmettre un numéro de code. Nul besoin qu'elles aient été émises dans notre pays pour pouvoir y être utilisées !
C’est pourquoi l’article 13, à mon sens, est inopérant et n’empêchera pas le recours à ce moyen de paiement s’il est émis par un pays tiers, tout en étant alimenté par une personne résidant en France. La seule solution, si l’on veut vraiment lutter contre ce qu’on considère comme un risque, c’est d’interdire tout paiement sur le territoire national au moyen de ce type de carte.
Je le répète, les dispositions prévues à l’article 13, quoi que l’on imagine, ne nous protégeront pas. N’importe quel organisme émetteur, qu’il soit situé dans un pays de l’Union européenne ou non, pourra très bien diffuser ces cartes, qu’il sera possible par la suite de recharger, en France, au moyen de codes achetés sur internet ou ailleurs. La seule voie possible, c’est l’interdiction pure et simple, à charge pour la France de demander un réexamen de la directive de 2009.
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 64 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Si cet amendement n’est pas adopté, ce n’est pas bien grave, mais je ne le retire pas.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous entretenir une nouvelle fois du problème des cartes de téléphone anonymes, dont on reparlera à un moment ou à un autre.
Lorsque vous achetez dans un kiosque à journaux une puce pour téléphone, vous disposez d’un mois pour déclarer votre identité. Cela signifie que vous pouvez utiliser cette carte pendant un mois, passer les coups de fil que vous voulez, sans qu’elle soit reliée à une identité. Et tous les IMSI-catchers du monde ne pourront établir aucun lien entre les personnes qui utilisent ce type de carte !
Ces cartes prépayées, contrairement aux comptes-Nickel avec lesquels elles ne sont pas du tout comparables, sont totalement anonymes.
J’ajoute que cette proposition figurait déjà dans le rapport de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, dont Éric Bocquet était le rapporteur ; elle est donc ciblée depuis longtemps. Nous devons faire face à un circuit de financement du terrorisme commun à celui de la délinquance financière.
J’ai bien noté les dispositions d’encadrement prévues à l’article 13. C’est très bien pour les comptes Nickel, mais je note que le problème posé par les bitcoins n’a toujours pas été réglé. Néanmoins, comme je l’ai dit, je maintiens mon amendement. Tant pis si je suis battue : ce sera encore une fois une victoire de l’optimisme !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 12.
L'amendement n° 61 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Canevet, Bockel, Gabouty et Médevielle, Mme Billon, M. Roche, Mme Férat, M. Lefèvre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Après l'article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 133-8 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 133-8-… ainsi rédigé :
« Art. L. 133-8-… – Aucun ordre de paiement pour l’achat d’un billet d’avion ne peut être passé si le paiement est effectué en monnaie métallique ou fiduciaire. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Par cet amendement, je propose qu’aucun ordre de paiement pour l’achat d’un billet d’avion ne puisse être passé si le paiement est effectué en espèces. Cette mesure, j’en suis d’accord, monsieur le garde des sceaux, soulève un certain nombre de problèmes, mais je rappelle que le PNR n’est toujours pas opérationnel.
Nous avons soumis cet amendement au Syndicat national des agents de voyages, qui semblait d’accord pour considérer que le mode de paiement peut figurer sur le billet d’avion et que, si celui-ci est réglé en espèces, l’identité du payeur doit également y figurer. Tel est l’objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui a pour objet d’interdire l’achat d’un billet d’avion en espèces, est contraire à la position du Sénat, qui l’a rejeté lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014.
Une telle disposition ne serait pas sans conséquence sur le tourisme, par exemple. Il semble en outre qu’elle ne réponde pas à un besoin identifié des administrations et entraînerait d’inutiles rigidités. Néanmoins, la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a déjà réduit considérablement les possibilités de payer des achats en espèces, en fixant un seuil à 1 000 euros. La France est, en Europe, le pays qui fait le plus d’efforts en la matière. Compte tenu de ce seuil que nous trouvons déjà très bas, une limitation catégorielle ne nous paraît pas nécessaire.
C’est pourquoi l’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je n’ai certes pas les mêmes compétences que Mme Goulet en matière financière.
Mme Nathalie Goulet. Ça commence mal…
M. Jacques Mézard. Néanmoins, il faut raison garder.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Jacques Mézard. Tout le monde ne possède pas une carte de paiement ! Si la monnaie a encore un sens, il faut pouvoir l’utiliser, surtout pour des voyages à l’intérieur de notre pays.
À force de développer des idées aussi sottes que grenues – je me permets de le dire sans que ce soit mal pris –, on aboutit à des conséquences qui peuvent être particulièrement gênantes pour nos concitoyens.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement a un fondement. L’été dernier, une jeune fille est partie de Nice pour la Turquie. Or quelqu’un avait payé son billet en espèces, ce qui avait attiré l’attention du personnel de la compagnie aérienne.
Cela étant, il est vrai que le fait d’avoir fixé le plafond à 1 000 euros limite les risques. Je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 61 rectifié est retiré.
L'amendement n° 133 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Gruny, MM. Lefèvre et Reichardt, Mme Billon, MM. Roche, Canevet, Bockel et Gabouty et Mmes Férat et Deromedi, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 6° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … Les associations, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 5 millions d’euros et qui emploient au moins 250 salariés. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement d’appel, qui avait été déposé sous une autre forme lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique que nous avions adopté en 2013, vise les associations régies par la loi de 1901 ayant un volant d’affaires élevé et un nombre de salariés important. À l’heure actuelle, ces associations ne sont soumises à aucune déclaration et peuvent tout à fait servir de véhicule à des opérations de blanchiment ou de financement du terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’élargir la liste des personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment d’argent aux associations dont le chiffre d’affaires est supérieur à 5 millions d’euros et qui emploient au moins 250 salariés.
Il faut savoir qu’un nombre assez important d’associations emploie 250 salariés, dont celles qui ont trait à l’aide à domicile pour ne citer que ce secteur d’activité.
M. Jacques Mézard. Et les Restos du cœur !
M. Michel Mercier, rapporteur. Il n’est pas certain que ces associations apprécieraient d’être soumises à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier.
Cela étant, n’ayant pas les compétences suffisantes, je souhaiterais connaître l’avis du Gouvernement sur cette proposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable, car l’assujettissement aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment que prévoit l’amendement ne se limite pas à une déclaration de soupçon à TRACFIN. Beaucoup d’autres obligations, extrêmement lourdes, pèseraient sur de nombreuses associations ; le Gouvernement n’est d’ailleurs pas en mesure de dire combien d’associations seraient concernées, faute d’un répertoire.
Par ailleurs, dans le cadre de la transposition, qui est en cours, de la quatrième directive « anti-blanchiment » du 20 mai 2015, une réflexion a été engagée pour savoir s’il convient d’élargir la liste des personnes qui seront soumises à ces obligations, liste déjà bien plus large en France que dans de nombreux autres pays européens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 133 rectifié quater est retiré.
Article 13
I. – Le chapitre V du titre Ier du livre III du code monétaire et financier est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Plafonnement
« Art. L. 315-9. – La valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique est fixée par décret.
« Le décret mentionné au premier alinéa fixe également le montant maximal de chargement, de remboursement et de retrait à partir de ce même support, en monnaie électronique anonyme et en espèces.
« Ces plafonds tiennent compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qu’il présente. »
II (Non modifié). – L’article L. 561-12 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « documents », sont insérés les mots : « et informations, quel qu’en soit le support, » ;
b) À la seconde phrase, la première occurrence des mots : « documents » est remplacée par les mots : « quel qu’en soit le support, les documents et informations » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice des obligations mentionnées au premier alinéa du présent article, les personnes mentionnées aux 1° et 1° ter de l’article L. 561-2 recueillent les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique et les conservent pendant une durée de cinq ans à compter de l’exécution de ces opérations. Un arrêté du ministre chargé de l’économie précise les informations et les données techniques qui sont recueillies et conservées. » ;
3° Au second alinéa, les mots : « à cette obligation » sont remplacés par les mots : « aux obligations prévues au premier alinéa ».
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Mon intervention portera globalement sur la question de la lutte contre le financement du terrorisme. Ce qui la motive, c’est d’abord son importance essentielle : la finance est le nerf de la guerre et, comme vous le savez, nous sommes en guerre contre le terrorisme.
Or force est de constater que ce projet de loi volumineux ne comporte qu’un nombre limité de dispositions financières : trois dispositions principales et aucune ne visant à rendre plus transparents les circuits de transferts de capitaux en général.
Vous en ayant fait la remarque, monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition par la commission des lois, vous m’avez répondu que, « parmi les membres du groupe d’action financière, le GAFI, la France fait partie des pays les mieux armés, avec TRACFIN, pour lutter contre le blanchiment d’argent et n’est pas si complaisante que vous le dites » – j’ai été un peu piquant – « vis-à-vis de ses banques. »
Sans méconnaître les avancées, quoiqu’un peu tardives, apportées par le présent texte dans la lutte contre le « microfinancement du terrorisme » – le plafonnement des cartes prépayées à l’article 13, même si j’ai cru comprendre que mon collègue Jean-Yves Leconte était quelque peu sceptique sur l’efficacité de cette mesure, ou l’établissement d’une liste de documents justificatifs pour le transfert de sommes à l’étranger via des sociétés du type Western Union à l’article 16 quater – et encore moins le rôle tout à fait essentiel de TRACFIN, dont les effectifs mériteraient d’être renforcés – TRACFIN dont, vous le savez, les prérogatives seront renforcées avec les articles 14, 15 et 15 bis. –, je ne peux pas ne pas constater que l’essentiel manque.
Quel est le problème essentiel ? Nous n’avons pas vraiment accès aux données financières véhiculées par le système SWIFT, cette société pourtant européenne par laquelle transitent entre 80 % et 90 % des ordres financiers mondiaux.
Plus exactement, de quoi s’agit-il ? Dès la mise en place de son programme de lutte contre le financement du terrorisme, le Trésor américain, lui, obtenait de SWIFT les renseignements qu’il désirait. L’émoi du Parlement européen contre cette ingérence – atteinte à la vie privée et au secret des affaires ; il est très sensible sur ce point – nécessitant un accord avec l’Union européenne, qui n’a pas de politique commune en matière de lutte contre le financement du terrorisme, on arrive à une situation assez étrange : les États-Unis ont directement accès aux données SWIFT quand l’Union européenne doit se contenter des renseignements que les États-Unis veulent bien lui fournir.
Le récent rapport de Jean-Pierre Sueur intitulé Filières « djihadistes » : pour une réponse globale et sans faiblesse fait au nom de la commission d’enquête sénatoriale arrivait donc à cette conclusion : « Il est “ubuesque” que des données générées et stockées dans l’Union européenne soient envoyées aux services américains, charge à eux d’attirer l’attention des services des États membres sur certains dossiers ». D’où sa proposition de bon sens : Créer un programme de même nature que celui des Américains.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous m’accorderez bien une demi-seconde, madame la présidente…
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, c’est très intéressant !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce programme, la Commission le juge trop intrusif et trop coûteux.
Mme la présidente. Monsieur Collombat !
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, j’aimerais savoir où nous en sommes là-dessus.
Mme la présidente. Merci !
M. Pierre-Yves Collombat. Je vous fais remarquer, madame la présidente, que j’aurais pu m’inscrire sur les trois ou quatre articles suivants. Puisque j’ai fait une intervention globale, vous pouviez m’accorder cette demi-minute de plus.
Mme la présidente. Vous aurez remarqué, monsieur Collombat, que j’ai fait preuve de complaisance.
M. Pierre-Yves Collombat. Pas vraiment…
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La logique de l’article 13 consiste à repérer l’ensemble des processus conduisant au blanchiment de sommes destinées au financement d’activités terroristes. Pour cela, il importe de viser les outils modernes de paiement que constituent les cartes prépayées afin d’identifier celles qui sont susceptibles de servir de « véhicule » au transfert et au transport de fonds illicites.
Le moins que l’on puisse dire est que le sujet pose un certain nombre de questions, notamment celle de la « traçabilité » d’origine des fonds, et implique par conséquent que des dispositions, pour nous encore insuffisamment précisées, soient élaborées et votées pour éviter qu’une forme de suspicion a priori ne vienne compliquer l’usage de certains moyens de paiement.
En l’état, l’article 13 ne permet pas d’atteindre cet objectif de parfaite lisibilité et ne garantit pas d’atteindre le but visé, celui du repérage des mouvements de fonds d’origines illicites. Pour prendre une image, disons que les mailles du filet sont encore trop larges et qu’une bonne partie des poissons que l’on risque d’attraper ne seront pas de la moindre utilité dans la lutte contre le terrorisme et ses circuits de financement, et ce, sans même parler du problème de la durée de conservation des données.
Il en va sans doute de cet article comme de nombreux autres dans ce texte, c’est-à-dire que l’on fait de la lutte contre le péril terroriste l’instrument d’une démarche de plus en plus intrusive des autorités judiciaires et surtout administratives dans la vie quotidienne de nos compatriotes.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 13.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais tout d’abord répondre au sénateur Collombat.
Après un accord SWIFT 1, une négociation est aujourd’hui conduite à la fois par la Commission et par le Parlement européens avec nos interlocuteurs américains sur SWIFT 2. On peut parfois reprocher au Parlement européen un certain nombre de lenteurs – je suis de ceux qui critiquent son comportement sur le PNR –, mais, concernant SWIFT, il est très allant. On peut donc raisonnablement forger quelques espoirs.
J’en viens à l’amendement n° 14.
Le Gouvernement considère qu’il s’agit d’un moyen de circulation important en marge du circuit bancaire. Il faut donc commencer à légiférer sérieusement. Dans ce domaine, les Américains, pour des raisons que chacun comprendra, sont allés très loin en 2001. L’Europe a réagi beaucoup plus tardivement. Cependant, la France fait partie des États de l’Union européenne les plus en pointe. En commission, j’ai parlé du GAFI. La France est toujours parmi les premiers pays à suivre ses préconisations.
Nous ne prétendons pas régler toutes les difficultés, mais nous allons entraver considérablement la circulation de cet argent. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame Assassi, je ne voterai pas votre amendement, car, le peu qui figure dans ce texte, je préférerais le garder.
Comme j’ai récupéré un peu de temps, je vais pouvoir répondre à M. le garde des sceaux…
Je ne veux pas plomber l’ambiance, qui est bonne, mais, très franchement, ça ressemble à quoi ? Les Américains, ça fait presque quinze ans qu’ils disposent des renseignements. Et nous, nous en sommes à leur quémander des informations – ma science vient du rapport de M. Sueur. Ça ne ressemble à rien !
Et quand je dis qu’on ne veut pas vraiment faire de peine à nos banquiers, je pense être dans la réalité. Alors, on va embêter les gens pour des cartes prépayées, ceci ou cela, mais 80 % à 90 % du trafic mondial passe par SWIFT, une société européenne – belge, ai-je cru lire. Et on ne fait rien, alors qu’on nous dit qu’on est en guerre ! Ce n’est pas comme ça qu’on va la gagner !
M. Roger Karoutchi. Il a raison !
Mme la présidente. L'amendement n° 221, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
en monnaie électronique anonyme et en espèces
par les mots :
en fonction de ses modalités de chargement, de remboursement et de retrait
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le présent texte prévoit que le montant susceptible d’être stocké sur une carte prépayée est limité. L’Assemblée nationale a souhaité que soient également plafonnées les possibilités de chargement, de remboursement et de retrait à partir de ces cartes, afin de privilégier les moyens de paiements traçables au détriment de ceux qui favorisent l’opacité et les utilisations à des fins frauduleuses.
La rédaction de l’article issue de la commission des lois restreint les possibilités de chargement, de remboursement et de retrait en espèces et en monnaie électronique anonyme. Cette rédaction présente l’inconvénient d’utiliser les termes « monnaie électronique anonyme », lesquels ne sont pas définis juridiquement, ce qui, dès lors, crée une incertitude quant au champ d’application de l’article. De plus, la référence aux modalités, qui permet pourtant d’encadrer la fréquence des chargements, les remboursements et les retraits, et pas simplement d’en fixer un plafond, a disparu.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement, qui vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement. Je laisse le soin à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances d’en expliquer les raisons techniques.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le texte de la commission des lois intègre l’amendement de la commission des finances. Nous souhaitons bien évidemment conserver cette rédaction, tandis que le Gouvernement veut revenir au texte de l’Assemblée nationale, arguant que la notion de monnaie électronique anonyme ne serait pas définie. Or ce n’est pas exact : à l’article 12 de la directive que devra transposer la France, la monnaie électronique anonyme est précisément définie.
Par ailleurs, la rédaction de l’Assemblée nationale nous semble très imprécise. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel exige que le législateur détermine avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut mettre en œuvre un principe qui est fixé par la loi. Cela ne nous paraît pas être le cas dans la rédaction initiale.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’apporterai deux éléments de réponse.
Tout d’abord, je ne conteste pas le fait que les termes soient utilisés dans la directive, mais cette utilisation n’emporte pas une définition.
Ensuite, par principe, le Gouvernement ne demande pas à ce qu’on légifère en anticipant la transposition d’une directive.
M. Christian Cambon. C’est un peu facile comme argument !
Mme la présidente. L'amendement n° 248, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
du mot : « documents »
par les mots :
des mots : « les documents »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne voudrais pas apparaître discourtois, mais si l’amendement visait l’alinéa 9 – je pense que c’est celui que vous visez en réalité –, le Gouvernement y serait favorable. Cependant, votre amendement fait référence à l’alinéa 10…
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Article 14
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 561-29 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-29-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 561-29-1. – Le service mentionné à l’article L. 561-23 peut, pour une durée maximale de six mois renouvelable, désigner aux personnes mentionnées à l’article L. 561-2, pour la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance à l’égard de la clientèle énoncées au présent chapitre :
« 1° Les opérations qui présentent, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées à partir desquelles, à destination desquelles ou en relation avec lesquelles elles sont effectuées, un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ;
« 2° Des personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
« Il est interdit, sous peine des sanctions prévues à l’article L. 574-1, aux personnes mentionnées à l’article L. 561-2, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit de porter à la connaissance de leurs clients ou à la connaissance de tiers autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales mentionnés à l’article L. 561-36, les informations transmises par le service mentionné à l’article L. 561-23 lorsqu’il procède à une désignation en application du 2° du présent article.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
II. – À la fin de l’article L. 574-1 du même code, la référence : « et au III de l’article L. 561-26 » est remplacée par les références : « au III de l’article L. 561-26 et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 561-29-1 ».
Mme la présidente. L'amendement n° 47, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
il est inséré un article L. 561-29-1 ainsi rédigé
par les mots :
sont insérés deux articles ainsi rédigés
II. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il procède à une désignation en application du 2° du présent article, le service mentionné à l’article L. 561-23 peut interdire aux personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 de clôturer, à leur initiative, les comptes de dépôt et de paiement des personnes désignées pendant la durée du signalement, sous peine des sanctions prévues à l’article L. 561-29-2.
III. – Après l’alinéa 6
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 561-29-2. – Est puni d’une amende de 22 500 euros le fait de méconnaître l’interdiction de clôture des comptes prévue à l’article L. 561-29-1. »
… – L’article L. 561-22 du même code est ainsi modifié :
1° Après le quatrième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« d) Les personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 ou leurs dirigeants et préposés lorsqu’ils ont mis en œuvre de bonne foi leurs obligations de vigilance et de déclaration et que le service mentionné à l’article L. 561-23 a interdit la clôture des comptes par application de l’article L. 561-29-1. »
2° Il est ajouté un VI ainsi rédigé :
« VI. – Sauf concertation frauduleuse avec le propriétaire des sommes ou l’auteur de l’opération, la responsabilité pénale des personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 ne peut être engagée, par application des articles 222-34 à 222-41, 321-1, 321-2, 321-3, 324-1, 324-2, 324-6, 421-2-2, du troisième alinéa de l’article 421-5 du code pénal ou de l’article 415 du code des douanes, lorsqu’elles ont mis en œuvre de bonne foi leurs obligations de vigilance et de déclaration et que le service mentionné à l’article L. 561-23 a interdit la clôture des comptes par application de l’article L. 561-29-1. »
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le projet de loi comprend une innovation bienvenue : la possibilité pour TRACFIN de désigner individuellement des personnes suspectes, faisant par exemple l’objet d’une fiche « S ». Désormais, TRACFIN pourra signaler ces individus à des fins de surveillance, notamment à des établissements de crédit. Jusqu’à présent, c’étaient plutôt ces établissements qui adressaient des signalements à TRACFIN.
Le risque, c’est qu’une personne signalée individuellement se sente surveillée, notamment si sa banque ou son établissement de crédit clôture son compte. Pour éviter ce danger, la commission des finances souhaite permettre à TRACFIN d’interdire une semblable fermeture de comptes. En contrepartie, il faut évidemment dégager l’établissement concerné de toute responsabilité si TRACFIN lui demande de ne pas fermer un compte.
Je le répète, une personne dont le compte serait fermé brutalement, sans explication, saurait ipso facto qu’elle est signalée.
Mes chers collègues, je précise qu’un dispositif similaire existe déjà. La commission des finances l’a évoqué ce matin même en auditionnant le gouverneur de la Banque de France.
Vous le savez, la Banque de France a la possibilité de désigner un établissement bancaire pour assurer l’ouverture d’un compte. Ce pouvoir relève du droit au compte. En pareil cas, l’établissement concerné doit s’exécuter, mais il est déchargé de toute responsabilité. C’est cette procédure que nous proposons de transposer. À travers cet amendement, nous prévoyons de manière expresse qu’en cas de désignation d’une personne suspecte la banque ne peut pas fermer le compte et qu’elle est déchargée de sa responsabilité sur les plans civil et pénal.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Le présent amendement tend à déployer un dispositif sécurisant les établissements bancaires en cas d’appel à la vigilance de TRACFIN et à étendre le régime d’irresponsabilité pénale des établissements bancaires. En effet, il vise à éviter que la désignation, par TRACFIN, de personnes présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux ne conduise à la fermeture de leurs comptes. Cette dernière pourrait alerter les intéressés quant à l’attention dont ils font l’objet de la part des services de renseignement.
Nous comprenons très bien la préoccupation exprimée par M. le rapporteur pour avis. Néanmoins, ce dispositif semble inverser la logique de notre système de lutte contre le blanchiment.
Apparemment, TRACFIN ne sollicite nullement ce cadre légal permettant de maintenir des relations d’affaires. Cet organisme serait même hostile à une telle disposition, renversant les responsabilités entre les établissements bancaires et lui-même. À son sens, ce n’est pas à lui de sécuriser les démarches des établissements bancaires.
Nous ne remettons pas en cause l’expertise de la commission des finances. Mais, avant de prendre position, il nous semble préférable d’entendre l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le garde des sceaux ne dispose pas d’une expertise avérée sur ces sujets, chacun en conviendra. Mais, comme le Gouvernement est un, je suis en mesure de vous présenter les éléments que Michel Sapin m’a transmis. Je vais vous en faire part, en espérant que vous ne poserez pas trop de questions impliquant que je les explicite. (Sourires.)
D’une analyse approfondie du dispositif, il ressort que les conditions exigées pour voir la responsabilité des banques engagée ne seront pas remplies si elles respectent leurs obligations de vigilance. En effet, la responsabilité pénale d’une personne ne peut être engagée sans qu’elle ait l’intention de commettre un crime ou un délit. Quant à sa faute civile, elle exige une faute et un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.
Dans ces conditions, il semble que le risque considéré n’existe pas réellement. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiendrai volontiers cet amendement.
J’ai eu l’occasion d’auditionner les représentants de TRACFIN au sujet d’associations qui, pour avoir reçu des financements étrangers très importants, faisaient l’objet de signalements. Les associations de cette nature ont l’habitude de changer régulièrement de banque, au fur et à mesure des signalements qui les concernent. En résulte une espèce de nomadisme bancaire, qui aboutit souvent à l’ouverture de comptes à l’étranger. Dès lors, TRACFIN a beaucoup plus de mal à les surveiller.
Aussi, les dispositions du présent amendement vont dans le bon sens : mieux vaut que les personnes ayant fait l’objet d’un signalement continuent à disposer d’un compte en France. Ce faisant, il sera possible de les surveiller.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour ma part, j’éprouve le sentiment inverse.
Je suis quand même amusé par la sollicitude qu’inspirent nos banquiers : vous vous rendez compte, ils vont courir un risque… Par contre, tout cet argent plus ou moins sale qui transite par leur établissement, là, ça n’a pas d’importance : on fait des affaires !
Dans la mesure où les banques font leur métier normalement, leur responsabilité n’est pas engagée. Il n’est donc pas nécessaire de leur fournir des garanties supplémentaires.
Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je me garderai de poser des questions trop complexes à M. le garde des sceaux sur ce sujet. (Sourires.) Toutefois, il me semble bien que la commission des finances nous propose deux mesures distinctes. Or nous n’avons débattu que de la seconde.
La première question est la suivante : TRACFIN peut-il légitimement intimer à l’établissement bancaire considéré l’ordre de ne pas clôturer un compte qu’il souhaite continuer à surveiller, afin de ne pas alerter son titulaire ? Cette précaution préconisée par la commission des finances semble élémentaire sur le plan du renseignement.
S’y ajoute une seconde question, qui vient d’être discutée : si la banque obtempère et maintient le compte en question, peut-elle s’exposer à des sanctions ? À cet égard, la réponse de M. le garde des sceaux est tout à fait éclairante.
Cela étant, instaure-t-on, pour la banque, une obligation de garder un compte ouvert dès lors qu’il a fait l’objet d’un signalement de la part de TRACFIN ? À mon sens, nous devons donner satisfaction à la commission des finances sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je remercie Alain Richard d’avoir mis l’accent sur l’enjeu essentiel.
Concrètement, quelle est la réaction d’un établissement bancaire lorsqu’on lui signale un client ? Il risque fort de clôturer son compte, pour des raisons de responsabilité ou de réputation. Il ne voudra pas être accusé d’abriter des fonds terroristes. Dès lors, la personne présumée terroriste se saura ipso facto signalée.
Il faut donc absolument élaborer un dispositif interdisant à la banque de fermer un tel compte, dès lors qu’un signalement individuel est opéré par TRACFIN.
La commission des finances a assorti ce dispositif d’un régime d’irresponsabilité, non pas en vertu d’une irresponsabilité générale des banques, mais par simple transposition d’un régime existant, appliqué lorsque la Banque de France désigne un établissement bancaire au titre du droit au compte.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter ce dispositif. Nous pourrons ensuite améliorer le régime d’irresponsabilité en commission mixte paritaire.
Pour l’heure, nous avons consulté les représentants de la Fédération bancaire française, interrogé le gouverneur de la Banque de France et transposé le régime existant. Quoi qu’il en soit, il importe que les comptes puissent fonctionner et que l’intéressé ne s’aperçoive de rien : faute de quoi, par définition, l’enquête perdra tout intérêt.
M. Charles Revet. Brillante défense !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 41 rectifié est présenté par MM. Husson, Trillard, D. Laurent, Commeinhes, Grand, Karoutchi, Bouchet, Milon, Genest, Laufoaulu et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Chaize, Laménie et Pellevat, Mme Hummel, M. Delattre, Mmes Micouleau, Gruny et Lamure, MM. de Raincourt et Savary, Mme Canayer, MM. Mandelli, Pierre, Darnaud et Gremillet, Mme Deroche, MM. Lefèvre et Revet, Mme Mélot et M. Houel.
L'amendement n° 106 est présenté par M. Capo-Canellas.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 3 et 4
Remplacer le mot :
élevé
par le mot :
important
La parole est à M. André Trillard, pour présenter l’amendement n° 41 rectifié.
M. André Trillard. Le présent article permet à TRACFIN de désigner aux personnes assujetties pour la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance à l’égard de leur clientèle les opérations et personnes présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Parallèlement, il interdit de porter cette désignation à la connaissance des clients ou des tiers.
Le terme « élevé », figurant dans le texte de cet article, peut être juridiquement entendu comme impliquant automatiquement la mise en œuvre de mesures de vigilance renforcée, ce qui renvoie à nos précédentes discussions.
L’article 14 permet à TRACFIN d’être informé des opérations envisagées ou réalisées par des personnes suspectées, afin de suivre leurs activités sans qu’elles soient alertées du fait qu’elles sont placées sous surveillance.
La rédaction actuelle du présent article ne semble pas conforme au but visé : cette vigilance renforcée impliquerait de se « renseigner auprès du client sur l’origine des fonds », ce qui reviendrait précisément à l’alerter. Voilà pourquoi nous proposons de substituer au terme « élevé » le terme « important ».
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 106 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 41 rectifié ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement soulèvent une question intéressante : les obligations de vigilance renforcée, de la part de TRACFIN, auront-elles pour effet d’entraîner nécessairement la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 561-10-2 du code monétaire et financier ? Pour le savoir, je me tourne vers le Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si je m’en réfère aux informations qui sont à ma disposition, il apparaît que le terme « élevé » relève de la nomenclature régulièrement utilisée par les réglementations européenne et nationale. Il semble faire partie des « standards » du groupe d’action financière, le fameux GAFI.
Le « risque élevé de blanchiment de capitaux » est donc la terminologie adaptée. Cette rédaction correspond aux critères d’évaluation du risque appliqués par les acteurs de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Il semblerait que nous soyons, en l’occurrence, sur un chemin tout à fait balisé et référencé. Aussi le Gouvernement émet-il un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Trillard, l’amendement n° 41 rectifié est-il maintenu ?
M. André Trillard. Pourquoi ne pas laisser TRACFIN prendre les décisions relatives à ces comptes, que les banques suivraient, plutôt que de laisser alerter « accidentellement » tel ou tel individu quant aux soupçons qu’ils inspirent ? Je maintiens mon amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Le terme « élevé » est effectivement employé dans la législation européenne, mais il a également une signification très précise dans le code monétaire et financier. Pointer un « risque élevé » impose aux banques d’enquêter auprès de leurs clients sur l’origine des fonds. Or le présent article indique précisément que, en pareil cas, les titulaires des comptes ne doivent pas être alertés.
Dès lors, si l’on conserve l’adjectif « élevé », l’article 14 perd tout son sens. Il est évident que les clients seront alertés.
M. André Trillard. Tout à fait !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 151, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article permet à TRACFIN de signaler aux personnes assujetties aux dispositifs de vigilance, de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme certaines opérations ou certains individus, afin d’accroître leur vigilance à leur égard.
Dans ce cadre, cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 du présent article, interdisant notamment au président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit de porter à la connaissance de leurs clients ou de tiers les informations transmises par TRACFIN.
En l’état, rien ne justifie une procédure distincte du droit commun pour les avocats ou pour l’ensemble des personnes visées à cet article.
Mme la présidente. L'amendement n° 46, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait, pour les personnes mentionnées au 13° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier, de s'efforcer de dissuader leur client de prendre part à une activité illégale ne constitue pas une divulgation au sens de l'alinéa précédent.
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le présent amendement vise à préciser l’interdiction de divulgation prévue au titre du dispositif permettant à TRACFIN de signaler aux professionnels assujettis certains risques identifiés.
Cette précision figure déjà dans certaines dispositions du code monétaire et financier. Nous souhaitons, par cohérence, la transposer à ce nouveau dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’amendement n° 151 vise à supprimer les dispositions interdisant, notamment aux avocats, de porter à la connaissance de leurs clients les informations transmises par TRACFIN. Or ces dispositions sont très utiles. Il ne s’agit pas d’une sanction dérogatoire au droit commun, lequel est défini à l’article L. 574-1 du code monétaire et financier. Bien au contraire, il s’agit de permettre l’application de cette sanction en cas de divulgation des appels à vigilance renforcée.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 46 vise à étendre l’immunité pénale des banquiers. La précision qu’il tend à apporter, destinée à rassurer les établissements bancaires, ne paraît pas nécessaire. Elle semble même contre-productive. Ce n’est pas parce qu’un régime d’immunité pénale apparaît d’ores et déjà dans le code monétaire et financier qu’il faut nécessairement le reproduire en d’autres points du code.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 46 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 151.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 14, modifié.
(L'article 14 est adopté.)
Article 14 bis
(Non modifié)
Au premier alinéa du V de l’article L. 561-22 du code monétaire et financier, la référence : « et 324-2 » est remplacée par les références : « , 324-2 et 421-2-2 ».
Mme la présidente. L'amendement n° 249, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Voté par nos collègues députés, le présent article élargit une nouvelle fois le champ des irresponsabilités pénales applicables aux établissements de crédit. Il prévoit l’irresponsabilité desdits établissements en matière de financement du terrorisme lorsque ceux-ci procèdent dans le cadre du droit au compte. En effet, la législation française peut imposer l’ouverture d’un compte ; cette obligation ne doit pas être interprétée comme la fourniture d’un service terroriste.
Dans un premier temps, la commission a accepté d’adopter l’article 14 bis dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Néanmoins, après analyse approfondie du dispositif, cet ajout apparaît superfétatoire. Le délit de financement du terrorisme n’est pas constitué par la seule fourniture de service ou par la gestion de fonds. Il exige l’intention de voir ces fonds employés pour une entreprise terroriste. Nul délit n’est puni sans l’intention de le commettre !
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de ces dispositions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement avait soutenu l’amendement qui avait introduit cet article à l’Assemblée nationale. Il ne le jugeait donc pas superfétatoire à l’époque.
Toutefois, l’argumentation du rapporteur instille un doute… Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. La position que le Gouvernement a défendue à l’Assemblée nationale me semble la plus logique. En effet, l’article du code monétaire et financier dont il est question dispose que, sauf concertation frauduleuse avec l’auteur de l’opération, l’établissement est dégagé de toute responsabilité et aucune poursuite pénale ne peut être engagée à son encontre s’il a respecté les obligations qui lui ont été imposées, pour lutter contre des infractions graves.
L’article 14 bis tend à ajouter le financement d’une entreprise terroriste à la liste des infractions concernées. Or il ne me paraît pas cohérent de supprimer la référence à l’article 421-2-2 du code pénal relatif à cette infraction et de laisser toutes les autres. S’il doit exister une immunité en faveur d’un établissement financier dans l’objectif de lutter contre des infractions déterminées, il faut que le financement d’une entreprise terroriste y subsiste.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il a raison !
Mme la présidente. En conséquence, l’article 14 bis est supprimé et l’amendement n° 48 n’a plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
L’amendement n° 48, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, était ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 561-22 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au IV, la référence : « et 421-2-2 » est remplacée par les références : « , 324-6, 421-2-2, du troisième alinéa de l’article 421-5 » ;
2° Au premier alinéa du V, la référence : « et 324-2 » est remplacée par les références : « , 324-2, 324-6, 421-2-2, du troisième alinéa de l’article 421-5 ».
Article 15
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° L’article L. 561-26 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du I, les mots : « pièces conservées » sont remplacés par les mots : « documents, informations ou données conservés » ;
b) Le II est ainsi modifié :
– au premier alinéa et à la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « pièces » est remplacé par les mots : « documents, informations ou données » ;
– au troisième alinéa, les mots : « pièces demandées » sont remplacés par les mots : « documents, informations ou données demandés » ;
c) Après le II bis, il est inséré un II ter ainsi rédigé :
« II ter. – Le service mentionné à l’article L. 561-23 peut demander aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. » ;
d) Au premier alinéa du III, la référence : « au II bis » est remplacée par les références : « aux II bis et II ter » ;
2° (nouveau) Le II de l’article L. 314-1 est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° L’activité d’intermédiation consistant à intervenir dans le cadre d’une opération d’achat-vente d’une monnaie non régulée numérique contre une monnaie ayant cours légal. »
Mme la présidente. L’amendement n° 270, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) À la première phrase du I, les mots : « pièces conservées » sont remplacés par les mots : « documents, informations ou données conservés » et le mot : « communiquées » est remplacé par le mot : « communiqués » ;
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 219, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 10 et 11
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les monnaies virtuelles constituent une nouvelle méthode de paiement opaque et ne sont pas définies juridiquement. Leur définition et leur qualification même de « monnaie » font l’objet d’une réflexion aux niveaux national et international, sans qu’un consensus ait été atteint quant au cadre susceptible de leur être imposé.
Le Gouvernement travaille, dans la perspective de la transposition de la quatrième directive « anti-blanchiment », à ce que les plateformes de conversion d’une monnaie virtuelle en monnaie ayant cours légal soient des entités assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. De son côté, la Commission européenne s’est prononcée en faveur d’un tel assujettissement dans son plan d’action relatif à la lutte contre le financement du terrorisme, indépendamment, à ce stade, de sa qualification du service de paiement.
Pour ces raisons, le 2° de l’article 15, adopté en commission des lois, pose des difficultés. L’expression « activité d’intermédiation consistant à intervenir dans le cadre d’une opération d’achat-vente d’une monnaie non régulée numérique » apparaît imprécise et peut donner lieu à interprétation. L’expression « monnaie non régulée numérique » est également insuffisante pour définir des monnaies virtuelles.
Par ailleurs, la directive sur les services de paiement révisée en 2015 ne mentionne pas expressément parmi les services de paiement figurant dans son annexe une activité telle que celle évoquée dans l’article. On ne peut donc exclure une difficulté d’articulation dans la transposition à venir de cette directive.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission des lois serait plutôt portée à s’en remettre à la sagesse du Sénat, mais elle souhaiterait que le rapporteur pour avis de la commission des finances puisse s’exprimer sur le sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je défends le texte de la commission des lois, qui intègre un amendement proposé par la commission des finances.
Les bitcoins sont un sujet à part entière et méritent d’être traités par la loi.
M. Alain Richard. Cela a-t-il un rapport avec l’objet du texte ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Bien sûr !
Mme la présidente. Quel est, par conséquent, l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 15, modifié.
(L’article 15 est adopté.)
Article 15 bis
Le deuxième alinéa de l’article L. 561-27 du code monétaire et financier est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il dispose également, dans la stricte limite de ses attributions, d’un accès direct aux traitements de données à caractère personnel mentionnés à l’article 230-6 du code de procédure pénale, y compris pour les données portant sur des procédures judiciaires en cours et à l’exclusion de celles relatives aux personnes enregistrées en qualité de victimes. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 152 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L’amendement n° 210 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 152.
Mme Esther Benbassa. L’article 15 bis, introduit par la rapporteur de la commission des lois à l’Assemblée nationale, vise à donner à TRACFIN un accès direct au fichier de traitement d'antécédents judiciaires, ou TAJ.
La loi relative au renseignement a déjà autorisé un accès direct des agents de TRACFIN à ce fichier pour les besoins relatifs à l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire, la défense nationale et la prévention du terrorisme.
Alors que cette disposition a été adoptée cet été et que le décret d’application n’a été signé qu’il y a deux mois, cet article 15 bis vient créer une nouvelle possibilité, non pas dans le code de la sécurité intérieure, mais dans le code monétaire et financier. Un nouvel élargissement de l’accès des agents habilités de TRACFIN au TAJ dénote, à notre sens, une confusion entre renseignement administratif et travail judiciaire. Nous demandons donc la suppression de cette disposition.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 210.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite en rester à l’équilibre obtenu dans la loi relative au renseignement.
Traiter TRACFIN différemment des autres services de renseignement reviendrait à ouvrir une brèche dans un équilibre qu’il a été compliqué de construire. Il n’est pas exclu que cette question se pose, mais la réponse nécessitera une vraie réflexion quant aux conséquences qu’elle emportera pour les autres services de renseignement. En attendant, le Gouvernement est hostile au fait d’ouvrir aujourd’hui cette possibilité au seul bénéfice de TRACFIN.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces amendements, qui visent à supprimer l’accès direct de TRACFIN au TAJ, sont contraires à la position de la commission.
Nous estimons nécessaire d’accorder cet accès à TRACFIN pour l’ensemble de ses missions, y compris la lutte contre le blanchiment, afin de lui permettre de contextualiser plus rapidement les 38 000 informations que ce service reçoit annuellement.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. La commission des finances est également défavorable à ces deux amendements.
TRACFIN a accès au TAJ parfois directement, parfois en recourant à un tiers, ce qui entraîne une perte de temps pour les enquêteurs, alors même que ceux-ci doivent agir avec la plus grande efficacité. Nous avons donc souhaité modifier l’article 15 bis pour sécuriser le dispositif et unifier l’accès à ce fichier.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais vraiment sensibiliser le Sénat au risque que ferait courir cet article s’il était adopté.
Aujourd’hui, aucun service de renseignement ne dispose d’un accès complet au fichier de traitement d’antécédents judiciaires. Cet accès est toujours subordonné à une finalité. Permettre à TRACFIN, un service de renseignement, d’avoir accès à la totalité du TAJ reviendrait à ouvrir la porte à d’autres demandes. Une telle évolution romprait l’équilibre qui avait été construit durant le débat sur la loi relative au renseignement et me semble susceptible d’emporter des conséquences non maîtrisées.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Je suis sensible à l’argument de M. le garde des sceaux rappelant qu’aucun service de renseignement ne dispose d’un accès complet au TAJ. Toutefois, l’article 15 bis n’accorde pas un accès total à TRACFIN puisque, aux termes de l’alinéa 2, ce service dispose d’un accès « dans la stricte limite de ses attributions ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est limité à la lutte contre le blanchiment et le terrorisme !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Et contre la fraude fiscale !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 152 et 210.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 15 bis.
(L’article 15 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 15 bis
Mme la présidente. L’amendement n° 49, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l’article 15 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le premier alinéa du I de l’article L. 561-5 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À cette fin, les établissements de crédit mentionnés au titre Ier du livre V du code monétaire et financier, les établissements de monnaie électronique et les établissements de paiement mentionnés au titre II du même livre peuvent accéder, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, aux informations relatives aux numéros des documents d’identité perdus, volés ou invalidés. »
II. – Le I s’applique à compter du 30 novembre 2016.
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le présent amendement vise à permettre aux établissements de crédit, de paiement et de monnaie électronique d’accéder aux informations relatives aux numéros des documents d’identité perdus, volés ou invalidés afin de vérifier les éléments d’identification fournis par leur client.
Lorsqu’une banque, par exemple, ouvre un compte, elle ne bénéficie pas d’un accès au fichier relatif à ces documents, alors qu’elle peut consulter le fichier national des chèques irréguliers. Cette disposition serait donc utile pour permettre aux établissements de crédit, de paiement et de monnaie électronique de s’assurer que les documents fournis à l’ouverture d’un compte n’ont pas été obtenus frauduleusement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à permettre aux établissements de crédit, de paiement et de monnaie électronique d’accéder aux informations relatives aux numéros des documents d’identité perdus, volés ou invalidés afin de vérifier les éléments d’identification fournis par leur client, c’est-à-dire les informations contenues dans le fichier des objets et des véhicules signalés.
Ce fichier, par ailleurs expiré depuis le 17 mars dernier, avait été instauré par l’arrêté du 17 mars 2014 portant autorisation à titre expérimental d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « fichier des objets et des véhicules signalés ». Le lien avec les opérations visées par le titre de ce texte n’apparaissant pas évident, la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable. En effet, la modification proposée lui paraît prématurée, dans la mesure où elle conduirait à la multiplication de dispositifs concurrents, ce que le Gouvernement ne souhaite pas.
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur pour avis, l’amendement n° 49 est-il maintenu ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Si le Gouvernement nous explique de quels dispositifs concurrents il parle, je suis disposé à retirer cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je parle de l’application dénommée « DOCVERIF ». Je pense que cette information éclaire le Sénat… (Rires.)
Mme la présidente. Que décidez-vous, monsieur le rapporteur pour avis ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. À ma connaissance, cette application n’est pas encore en place. Si le Gouvernement s’engage à permettre, à l’avenir, l’accès des établissements de crédit à cette future application, je consens à retirer mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il y a un inconvénient à demander cela à un membre du Gouvernement qui dispose, je le répète, d’une compétence avérée en cette matière : il peut prendre ce type d’engagement ! (Sourires.)
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur pour avis, êtes-vous satisfait ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Oui, et je retire l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 49 est retiré.
Article 16
(Non modifié)
Après l’article 415 du code des douanes, il est inséré un article 415-1 ainsi rédigé :
« Art. 415-1. – Pour l’application de l’article 415, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d’un délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine. »
Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Nous avons le plus grand respect pour le travail accompli par l’administration des douanes dans notre pays. Nous estimons que les politiques de réduction des effectifs dont elle a été l’objet ont mis en cause la qualité du service rendu à la Nation par ses fonctionnaires.
Devons-nous pourtant transformer l’administration des douanes en troupe auxiliaire de la police, c’est-à-dire en force supplétive, comblant, par la bonne volonté ou la détermination de ses agents, l’insuffisance des moyens consacrés à la protection du territoire ?
Que la direction générale des douanes et droits indirects prenne toute sa place dans la lutte contre la fraude fiscale ne se discute pas, cela relève de ses compétences ; qu’elle devienne l’instrument d’une action antiterroriste, ce qui la rattacherait de fait au ministère de l’intérieur alors qu’elle est, de droit, une des directions du ministère de l’économie et des finances, nous semble sujet à caution.
C’est ce que nous vous invitons à refuser en supprimant l’article 16.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Canevet, Bockel et Gabouty, Mme Billon, M. Roche, Mme Férat et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 415 du code des douanes est ainsi modifié :
1° Les mots : « deux à dix » sont remplacés par le mot : « cinq » et les mots : « d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « dont ils ne peuvent justifier de la provenance licite » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La peine est portée à dix ans d’emprisonnement et à une amende pouvant aller jusqu’à dix fois la somme sur laquelle a porté l’infraction lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou proviennent d’une infraction à la législation sur les stupéfiants ou sont en lien direct ou indirect avec une infraction prévue par le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Par cet amendement, nous proposons de nouveau, modestement, une autre rédaction de l’article 415 du code des douanes, conformément aux conclusions du rapport de la commission d’enquête sur l’évasion et la fraude fiscales.
Afin de simplifier la recherche et la constatation des infractions de blanchiment douanier et de mieux lutter contre les activités criminelles et le terrorisme, il est donc proposé une rédaction simplifiée et plus large de l’article 415 du code précité, plutôt que l’ajout additionnel d’une présomption de délit de blanchiment tel que le prévoit le projet de loi.
Au lieu d’instaurer une présomption réfragable assez complexe, il nous semble préférable de prévoir une obligation de justification de l’origine licite des fonds en cause en cas d’enquête douanière, ce qui aura pour conséquence de permettre d’appréhender tout mouvement transfrontalier de fonds dont les auteurs ne pourraient justifier la provenance légale, donnant au service des douanes qui est chargé du contrôle des mouvements financiers internationaux le pouvoir de saisir les sommes considérées et de sanctionner beaucoup plus simplement les auteurs en lien avec la criminalité organisée et le terrorisme.
Le texte de l’amendement conserve les dispositions d’incrimination relatives aux infractions au code des douanes, afin d’éviter l’écueil de la rétroactivité.
Cette disposition est conforme aux souhaits, notamment, des services des douanes, lesquels rencontrent des difficultés. La présomption proposée est susceptible de faciliter leur travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je souhaite tout d’abord féliciter Mme Goulet de son effort…
Mme Nathalie Goulet. Bien modeste !
M. Michel Mercier, rapporteur. … tout à fait louable de réécriture du texte pour rendre plus simples d’accès les dispositions relatives au blanchiment douanier.
Toutefois, sa position est contraire à celle de la commission, laquelle a adopté le renversement de la charge de la preuve en matière de délits douaniers. C’est la raison pour laquelle la commission suggère le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Il ne lui paraît pas opportun, de surcroît, d’incriminer dans le code des douanes les opérations financières réalisées avec l’étranger portant sur des fonds issus d’actes liés au terrorisme, dès lors qu’il existe déjà des dispositions spécifiques dans le code pénal à ce sujet et que, surtout, les agents des douanes ne sont pas compétents pour rechercher et pour constater de telles infractions.
Il n’y a donc pas lieu de modifier l’article 415 du code des douanes.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 29 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je suivrai ce dossier avec intérêt, car la justification de la provenance licite de fonds est un vrai sujet. Or cet amendement vise à faciliter la répression, notamment en cas d’interception d’un véhicule sur le périphérique transportant une somme d’espèces très importante dont le conducteur n’est pas en mesure de justifier l’origine licite.
Toutefois, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié bis est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 134 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :
Avant l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I. – À l’article 415 du code des douanes, les mots : « délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « crime ou d’un délit ou dont ils ne peuvent justifier de l’origine licite ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Dans le même esprit que le précédent, cet amendement vise à élargir les dispositions de l’article 415 du code des douanes, afin d’inverser la charge de la preuve de la licéité des biens sur lesquels pèsent des présomptions d’illicéité.
Mme la présidente. L'amendement n° 50, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I. – À l'article 415 du code des douanes, les mots : « délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « crime ou d'un délit ».
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cet amendement diffère légèrement de celui que vous venez de défendre, madame Goulet, et la commission des finances souhaite que vous vous y ralliiez.
Il vise à élargir la définition du délit douanier de blanchiment à toutes les opérations financières réalisées entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant de tout crime ou de tout délit.
Aujourd’hui, un délit douanier de blanchiment désigne une opération relative à des fonds que la personne concernée sait provenir d’un délit douanier. Le fait de transporter des sommes issues du trafic d’armes ou de stupéfiants constitue donc un délit de blanchiment douanier susceptible de faire l’objet de poursuites sur le fondement de l'article 415 du code des douanes. En revanche, le transport de fonds qui proviennent non pas d’un délit douanier, mais d’un délit de droit commun entre la France et l’étranger ne peut faire l’objet de poursuites.
Dans le célèbre film Le Corniaud, le conducteur d’une voiture équipée d’un pare-chocs en or et dissimulant un diamant…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je vous félicite pour votre culture cinématographique, monsieur le garde des sceaux !
Ce conducteur, donc, qui franchit la frontière n’aurait pas pu être poursuivi par le service des douanes sur le fondement d’un délit de blanchiment douanier, parce que les biens transportés provenaient non d’un trafic de stupéfiants, d’alcool ou de la contrefaçon qui sont des délits douaniers, mais d’un vol.
À travers le présent amendement, la notion de délit de blanchiment douanier et l’incrimination sont élargies à tout ce qui provient, non pas des seuls délits douaniers, mais aussi des délits ou des crimes de droit commun. Cette disposition permettrait ainsi aux douanes d’être plus efficaces.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Tout finit par arriver, et il me semble que j’ai à peu près compris ce que vient de nous dire M. le rapporteur pour avis !
Il existe deux grands régimes, celui du blanchiment de droit commun, qui relève du code pénal, et celui du blanchiment douanier, qui bénéficie de règles particulières tout à fait dérogatoires au droit commun, notamment le renversement de la charge de la preuve, validé par le Conseil d'État. Celui-ci a strictement fixé le cadre dans lequel s’appliquaient ces dispositions spécifiques, qui ne peuvent viser les délits de droit commun.
Le rapporteur pour avis a relevé un angle mort, qui doit être comblé. Sans rien modifier au régime du délit pénal de blanchiment, tel est l’objet de l’amendement n° 50.
Si l’on reste dans le cadre des deux infractions susvisées, la disposition est recevable. En revanche, s’il y a porosité entre les deux délits, l’adoption de cet amendement conduirait à déroger aux règles du droit pénal. La commission sollicite donc l’avis du Gouvernement sur ce point, afin de s’assurer que le partage entre les deux régimes est bien respecté.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement ne considère pas qu’il existe une zone grise. Lorsqu’un agent des douanes constate un acte de blanchiment lié à une infraction de droit commun, l’affaire est immédiatement judiciarisée, transmise au parquet.
Étendre le champ d’application de l’article 145 du code des douanes reviendrait à élargir la compétence des agents des douanes. Ce serait une source d’instabilité et de confusion selon le Gouvernement. C’est pourquoi il souhaite que les agents des douanes et le parquet restent compétents dans leur domaine respectif.
Il émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. L’amendement de la commission des finances est par définition meilleur que le mien. Toutefois, je propose à M. de Montgolfier de le rectifier en ajoutant les mots « ou dont ils ne peuvent justifier l’origine licite ». À défaut, je retirerai le mien et me rallierai à l’amendement n° 50.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Votre proposition est satisfaite, ma chère collègue, car, par définition, il y a une présomption d’origine illicite. Il serait donc superfétatoire de le préciser.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 134 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire au profit de celui de la commission des finances, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 134 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 50.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 16.
(L'article 16 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 16
Mme la présidente. L'amendement n° 27 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Canevet, Bockel, Gabouty et Médevielle, Mme Billon, M. Roche, Mmes Férat et Gruny et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Après l’article 16
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre VIII du code des douanes est complété par un article 215… ainsi rédigé :
« Art. 215… – Ceux qui détiennent ou transportent des sommes, titres ou valeurs pour un montant supérieur au seuil fixé à l’article L. 152-1 du code monétaire et financier doivent, à première réquisition des agents des douanes, justifier de leur origine régulière.
« Ceux qui ont détenu, transporté, vendu, cédé ou échangé lesdites sommes titres ou valeurs sont également tenus de justifier de leur origine régulière à toute réquisition des agents des douanes formulée dans un délai de trois ans à partir du moment où les sommes, titres ou valeurs ont cessé d’être entre leurs mains.
« Lorsque les personnes ne justifient pas de l’origine régulière des sommes, titres ou valeurs, ceux-ci sont saisis en quelque lieu qu’ils se trouvent et les personnes sont poursuivies et punies conformément à l’article 414 du présent code.
« Lorsqu’ils auront eu connaissance que celui qui leur a délivré les justificatifs ne pouvait le faire valablement ou que celui qui leur a vendu, cédé, échangé ou confié les sommes, titres ou valeurs n’était pas en mesure de justifier de leur origine régulière, les détenteurs et transporteurs seront condamnés aux mêmes peines et les sommes, titres ou valeurs seront saisies et confisquées dans les mêmes conditions que ci-dessus, quelles que soient les justifications qui auront pu être produites. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Afin de mieux lutter contre le financement des activités terroristes et criminelles, il est nécessaire de renforcer les moyens de contrôle sur les mouvements physiques d'espèces.
À ce jour, seule une déclaration au moment du franchissement des frontières, en entrée comme en sortie du territoire, est exigée des personnes transportant plus de 10 000 euros en espèces. La situation est tout à fait différente de celle des personnes qui n’ont pas de carte de crédit ni de compte bancaire ! Or aucun contrôle n'est juridiquement possible en dehors des frontières.
Il est proposé de doter les agents de contrôle de l'outil juridique nécessaire pour appréhender les sommes transportées en espèces sur l'ensemble du territoire national lorsque le montant des fonds est supérieur à ce seuil de 10 000 euros et que la personne est dans l'incapacité d’en justifier l’origine légale.
Je le précise, cette disposition résulte également des rapports des commissions d’enquête sénatoriales menées sous la houlette d’Éric Bocquet.
La justification des fonds, notamment des espèces au-delà de 10 000 euros, constitue une véritable entrave pour les services, qui, à défaut d’une telle disposition, sont obligés de restituer les fonds, y compris lorsqu’une présomption de fraude pèse sur la somme transportée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le dispositif proposé à l’article 16 quater, applicable seulement en cas de transfert transfrontalier, à l’ensemble du territoire.
Cette obligation de justifier en permanence de l’origine régulière des fonds peut poser un problème au regard des directives européennes. En effet, le dispositif applicable aux zones frontalières ne peut pas, en l’état, être transposé sur le territoire national. Une telle mesure relèverait du droit commun des dispositions pénales ou de l’administration fiscale.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 27 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Alors que nous avons passé la journée à plafonner les dépenses, les cartes prépayées, les comptes Nickel, laisser des individus circuler avec 10 000 euros ou plus – somme relativement importante – en cas de présomption de fraude semble inconséquent. Aussi, je maintiens cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 27 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 165 rectifié, présenté par M. Bocquet, Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 16
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le début du premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé : « À peine d’irrecevabilité, hors les cas de connexité avec d'autres infractions faisant l'objet d'une procédure judiciaire ou de découverte incidente dans le cadre d'une procédure pénale, les plaintes (le reste sans changement)
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. À la lumière des présents débats, il est évident que la confusion des genres entre grande fraude fiscale économique et financement du terrorisme est une réalité que nous devons appréhender et dont nous devons nous préserver à travers l’adoption de dispositions à la fois efficaces et respectueuses des règles démocratiques élémentaires de notre République.
Même si nous pouvons avoir bien des raisons de ne pas être satisfaits, au regard des attentes, des politiques publiques menées depuis 2012, constatons tout de même que la constitution d’un parquet financier doté d’un certain nombre de prérogatives a représenté l’une des avancées les plus significatives de notre droit ces dernières années.
Instrument essentiel de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière, dont les réseaux, dans leur complexité, peuvent aussi financer les activités terroristes, le parquet financier demeure confronté au problème posé par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales qui fait de la commission des infractions fiscales, organisme placé auprès du ministre de l’économie et des finances, le « juge d’instruction » des affaires de fraude pouvant justifier une transmission au pénal.
Il importe donc que cette exclusive à la nécessaire prolongation de l’investigation lancée dans le cadre d’autres contrôles ou enquêtes soit levée, afin que les administrations et les services qui, dans leur activité courante, auraient repéré une situation constitutive d’une fraude fiscale avérée puissent engager les poursuites nécessaires, quitte à mettre en œuvre des mesures conservatoires et à aviser l’administration fiscale au plus haut niveau du produit de leurs investigations.
Cette question est soulevée par un mémorandum remis en référé par le Premier président de la Cour des comptes à l’attention du Premier ministre au mois d’août 2013, soulignant notamment la nécessité d’un renforcement de la coopération entre la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects, ce, sans préjuger d’aucune sorte les décisions et orientations finalement prises par les uns et par les autres.
C’est ce qu’il convenait de rappeler à l’occasion de la défense de cet amendement, que je ne peux qu’inviter le Sénat à adopter, afin de nous doter d’outils efficaces d’assèchement des circuits de financement du terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Actuellement, les poursuites pénales pour fraude fiscale ne peuvent être engagées que sur plainte préalable de l’administration fiscale, après avis conforme de la commission des infractions fiscales. Autrement dit, il y a un privilège de l’administration fiscale en la matière. Nous avons abondamment débattu de ce sujet au Sénat il y a quelques années.
Ce monopole en matière de déclenchement de l’action publique a prouvé son efficacité et demeure aujourd’hui pleinement justifié.
Il semble toutefois à la commission que cet amendement vise à exclure de ce dispositif de plainte préalable les infractions connexes à d’autres infractions faisant l’objet d’une procédure judiciaire. C’est pourquoi elle émet un avis favorable.
Néanmoins, à titre personnel je souhaite que cette question soit soumise à débat, et je sollicite à cette fin l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je remercie le rapporteur d’avoir ouvert le débat.
Il est tout d’abord légitime de s’interroger sur le rapport de la mesure qui nous est proposée avec le texte dont nous débattons. La disposition vise toutes les infractions connexes, ce qui met fin au monopole de l’administration fiscale en matière de poursuites. Au-delà de cette remarque, des raisons à la fois de fond et de forme conduisent à s’opposer à cet amendement.
Sur le fond, quelle est la voie des poursuites la plus efficace ? Par l’administration fiscale ou par le juge judiciaire ?
En matière de lutte contre la fraude fiscale, un certain nombre de dispositions prévoyant des pénalités de 40 %, voire de 80 % en cas de mauvaise foi avérée, et les moyens de recouvrement de l’administration établis dans le livre des procédures fiscales sont sans doute plus efficaces que la voie judiciaire, laquelle – je prie M. le garde des sceaux de bien vouloir excuser cette remarque – est souvent plus longue et offre des voies de recours également longues. Pour d’autres infractions, notamment en matière boursière, les poursuites de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, sont plus rapides et plus efficaces que des poursuites judiciaires, dont certaines s’achèvent au bout de dizaines d’années.
Sur la forme, une question de calendrier se pose. Aujourd'hui même, le président du Sénat a été informé par le Conseil constitutionnel que la Cour de cassation lui avait adressé deux questions prioritaires de constitutionnalité concernant les deux célèbres affaires Wildenstein et Cahuzac.
Le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer très prochainement sur une question simple : peut-on poursuivre une même infraction à la fois sur le plan fiscal et sur le plan pénal ? C’est une question essentielle, qui fera d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi prochainement. Je suis moi-même l’auteur d’une proposition de loi en la matière.
Si le Conseil constitutionnel devait valider le principe non bis in idem, comme il l’a d’ailleurs fait dans d’autres cas, notamment pour les délits boursiers, l’adoption de cet amendement nous placerait devant une difficulté. L’administration fiscale n’aurait plus le monopole de la poursuite, et nous serions confrontés à des situations de conflit, puisque la même infraction fiscale ferait l’objet de poursuites à la fois par le fisc et par le juge judiciaire.
Compte tenu de l’actualité, la décision de la Cour de cassation datant d’aujourd'hui, il me semble tout à fait prématuré d’adopter cet amendement avant la décision du Conseil constitutionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne partage pas tout à fait le point de vue du rapporteur pour avis sur la rapidité des poursuites judiciaires. Sous cette réserve, ce sujet a longuement été discuté par le Parlement au moment de la création du procureur de la République financier au mois de décembre 2013. Le Gouvernement souhaite s’en tenir au point d’équilibre qui avait été trouvé.
Par ailleurs, je précise que ma prédécesseur et le ministre de l’économie et des finances avaient signé une circulaire en 2014, de façon à assurer la bonne information des deux administrations, qui partagent l’objectif commun de lutter efficacement contre la fraude fiscale.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. J’aimerais avoir des précisions de la part du rapporteur pour avis de la commission des finances.
Pour ce qui concerne les poursuites pénales en matière fiscale, sont appliqués les articles 1741 et suivants du code général des impôts qui visent la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt au-delà d’une somme minimale.
Devant les juridictions pénales, le ministère des finances – dans un lointain passé, il m’est arrivé de plaider, en son nom, des dizaines et des dizaines d’affaires – se borne à demander au juge pénal de constater l’infraction, de fixer la contrainte par corps, au mieux, mais n’a pas la possibilité de solliciter de ce magistrat une condamnation au paiement de pénalités et de l’impôt, une mesure qui relève strictement de la compétence du juge administratif. Voilà la réalité ! Et c’est toujours ainsi que cela se passe. C’est pourquoi je suis un peu surpris, je l’avoue, par les explications que vient de nous donner Albéric de Montgolfier.
Depuis le milieu des années soixante-dix, ces poursuites pénales ne peuvent être lancées qu’après avis favorable de la commission des infractions fiscales, qui a été créée à cet effet. Celle-ci fait un tri entre les raisons qui justifient la saisine de la juridiction pénale et celles qui ne la justifient pas, en dehors de tout arbitraire, agissement qui était reproché à l’administration fiscale : elle choisirait un ou deux contribuables par département, pour l’exemple.
Je ne vois donc pas la dualité ni le conflit entre les deux poursuites. Ce sont deux choses tout à fait différentes.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Le débat relatif à l’intervention de la commission des infractions fiscales, la CIF, est récurrent à chaque fois que nous abordons la question de la répression de la fraude fiscale. Il donne matière à faire le procès, non pas des avis qu’elle émet, ni de sa composition, mais de l’existence de cette commission. De quoi s’agit-il ?
L’administration fiscale n’est jamais obligée de saisir cette commission, qui a été créée en quelque sorte pour rendre des avis transparents. C’est une espèce de procureur qui a l’opportunité des poursuites. Un curieux procureur, puisqu’il est partie au procès, s’agissant de la question des réparations du préjudice que l’administration a subi !
Mais si l’administration ne saisit pas la CIF, il ne peut y avoir aucune poursuite, et là réside la critique fondamentale formulée à l’encontre de cette commission. Toutes les critiques selon lesquelles l’administration pourrait poursuivre qui elle veut si bien qu’une commission est nécessaire pour rendre les choses transparentes deviennent littéralement irrecevables, puisqu’il suffit que l’administration ne saisisse pas cette commission si elle ne veut pas engager de poursuite.
Ce n’est pas parce que la CIF a été saisie que l’administration ne peut pas, pour autant, au cours de la procédure, rechercher une transaction. Il conviendra alors que le procureur donne son avis quand le tribunal n’a pas encore été saisi, ce qui est tout à fait normal, et que le tribunal donne son avis dès lors qu’il a été saisi.
La commission des infractions fiscales est une curiosité dans notre droit en matière de fraude fiscale, d’autant que, si elle était saisie par l’administration fiscale de toutes les fraudes fiscales – petites, moyennes, grandes –, elle serait incapable, avec la meilleure volonté du monde, d’examiner tous les dossiers qui lui seraient alors transmis.
Personnellement, je rejoins la position de la commission des lois. Je considère que l’amendement de notre collègue Éric Bocquet vient squeezer l’existence de cette commission. Aussi, je le soutiendrai.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Pour ma part, je suivrai également l’avis favorable de la commission des lois.
Je veux surtout rendre hommage à Éric Bocquet et au groupe communiste républicain et citoyen, qui a repris cet amendement. C’est peut-être par le biais d’un texte relatif à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment que nous arriverons si ce n’est à faire tomber les murailles de Jéricho, du moins à faire sauter le verrou de Bercy. L’hémicycle du Sénat s’est enflammé tant de fois et a eu tant de débats sur ce sujet, notamment lors de l’examen du texte relatif à la transparence de la vie publique !
C’est pourquoi je voterai cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 16.
Article 16 bis A (nouveau)
L’article 28-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au II, après les références : « articles 222-34 à 222-40 du code pénal, » sont insérées les références : « au 6° de l’article 421-1 ainsi qu’à l’article 421-2-2 du code pénal, » ;
2° La première phrase du VI est complétée par les mots : « , y compris lorsque celles-ci sont confiées à des services ou unités de police ou de gendarmerie spécialement désignés. » – (Adopté.)
Article 16 bis B (nouveau)
À l’article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, après les mots : « les services de police et de gendarmerie », sont ajoutés les mots : « ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l’article 28-1 du code de procédure pénale ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu’à minuit et demi.
Il n’y a pas d’opposition ?…
M. Michel Mercier, rapporteur. Essayons d’achever l’examen du chapitre IV !
Mme la présidente. L'amendement n° 99 rectifié, présenté par Mme Loisier, MM. Karoutchi et Cambon, Mme Doineau, M. Bonnecarrère, Mme Duchêne, M. Laménie, Mmes Goy-Chavent et Morhet-Richaud, MM. Béchu, Pellevat et Bouchet, Mme N. Goulet, M. Cadic, Mme Joissains, MM. de Legge et Cigolotti, Mmes Gatel et Canayer, M. Allizard, Mmes Giudicelli et Billon, M. Gabouty, Mme Micouleau et MM. Tandonnet, Marseille, Capo-Canellas, Longeot et Cantegrit, est ainsi libellé :
Après l'article 16 bis B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 230-6 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « gendarmerie nationale », sont insérés les mots : « et de la douane judiciaire » ;
b) Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
c) les atteintes aux intérêts financiers de l'État et de l'Union européenne ; »
2° Au premier alinéa de l'article 230-12, après les mots : « gendarmerie nationale », sont insérés les mots : « et de la douane ».
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Le présent amendement vise à permettre une meilleure coordination et une plus grande complémentarité entre nos services de police judiciaire, en uniformisant les outils mis à leur disposition.
Ainsi, nous proposons que le Service national de douane judiciaire, le SNDJ, ait à la fois recours à certains logiciels de traitement de données et la possibilité d’alimenter ceux-ci.
Rattaché à la Direction générale des douanes et droits indirects et dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire, le SNDJ regroupe des officiers de douane judiciaire habilités à effectuer des enquêtes judiciaires.
Dans le cadre de ces enquêtes, les officiers de douane judiciaire sont susceptibles de collecter des informations utiles aux autres services de police, de douane et de gendarmerie.
Or, à ce jour, aucune base légale ne permet au SNDJ d’opérer des recoupements dans ses propres enquêtes entre les unités locales. Les services ont régulièrement recours aux services européens, tel Europol, l’Office européen de police, pour établir des liens entre les enquêtes passées ou les enquêtes actuelles qu'ils mènent.
Aussi, afin d’éviter une déperdition de l’information et de faciliter la constatation des infractions, le rassemblement des preuves et la recherche de leurs auteurs, il est proposé d'inclure les officiers de douane judiciaire dans le champ des articles relatifs au traitement automatisé de données à caractère personnel.
Cet amendement vise donc à renforcer la capacité du SNDJ à participer de manière efficace au traitement du renseignement judiciaire, en vue de faciliter au quotidien les enquêtes, l'échange ou le recoupement d'informations entre les services susceptibles d'intéresser l’ensemble des acteurs qui luttent au quotidien contre le terrorisme et son financement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement, extrêmement intéressant, vise à donner au SNDJ accès au fichier TAJ, ou traitement d’antécédents judiciaires, et au fichier d’analyse sérielle.
Toutefois, il est satisfait par l’article 4 du décret 2013-1054 du 22 novembre 2013 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « base d’analyse sérielle de police judiciaire » qui donne accès aux agents de la douane judiciaire à ce fichier.
En conséquence, je demande le retrait de cet amendement.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je le retirerais bien volontiers, monsieur le rapporteur, si vous me confirmiez que le SNDJ peut non seulement avoir recours à ce fichier, mais aussi l’alimenter !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Service national de douane judiciaire ne demande absolument pas à alimenter ledit fichier. Il a accès aux outils dont il a besoin en raison de la mutualisation des fichiers évoqués.
Monsieur le rapporteur a raison, ce service a accès au fichier en cause, même s’il ne dispose pas de fichier. En tout état de cause, je le répète, il n’est pas demandeur.
Mme la présidente. Madame Loisier, l'amendement n° 99 rectifié est-il maintenu ?
Mme Anne-Catherine Loisier. Si M. le rapporteur me confirme que le SNDJ peut non seulement avoir accès à ce fichier, mais aussi l’alimenter – monsieur le garde des sceaux, veuillez m’en excuser, mais nous n’avons pas les mêmes sources d’information ! –, je le retirerai. Mais il semble que ce service rencontre quelques difficultés pour alimenter ledit fichier, en vue de l’enrichir des informations qu’il a pu collecter, au bénéfice des autres services de police judiciaire.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s’agit là d’une disposition d’ordre réglementaire, prise par décret ! Même à minuit, on ne va pas modifier l’article 34 de la Constitution !
Mme la présidente. Que décidez-vous, ma chère collègue ?
Mme Anne-Catherine Loisier. Si le SNDJ a effectivement la possibilité d’alimenter ce fichier, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 99 rectifié est retiré.
Article 16 bis
I (Non modifié). – Le code des douanes est ainsi modifié :
1° Au quatrième alinéa de l’article 63 ter, les mots : « effectuer un prélèvement d’échantillons, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, et » sont supprimés ;
2° Le 5° de l’article 65 A bis est abrogé ;
3° Au premier alinéa de l’article 67 quinquies A, après le mot : « objets », il est inséré le mot : « , échantillons » ;
4° Le chapitre IV du titre II est complété par une section 11 ainsi rédigée :
« Section 11
« Prélèvement d’échantillons
« Art. 67 quinquies B. – En cas de vérification des marchandises prévue par la réglementation douanière européenne ou dans le cadre de l’application du présent code, les agents des douanes peuvent procéder ou faire procéder à des prélèvements d’échantillons, aux fins d’analyse ou d’expertise, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. » ;
5° L’article 101 est abrogé ;
6° À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article 322 bis, les mots : « pour laquelle ils peuvent procéder ou faire procéder au prélèvement d’échantillons pour analyse » sont supprimés.
II. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 16 ter
(Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 51 rectifié est présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 228 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code des douanes est ainsi modifié :
1° L’intitulé de la section 7 du chapitre IV du titre II est ainsi rédigé :
« Section 7 : Procédures spéciales d’enquête douanière » ;
2° Après l’article 67 bis, il est inséré un article 67 bis-… ainsi rédigé :
« Art. 67 bis-…. Dans le but de constater les délits visés à l’article 414 et aux articles 415 et 459 et, lorsque ceux-ci sont commis par un moyen de communication électronique, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, les complices ainsi que ceux qui y ont participé comme intéressés au sens de l’article 399, les agents des douanes habilités par le ministre chargé des douanes dans des conditions fixées par décret peuvent, après information du procureur de la République et sauf opposition de ce magistrat, procéder aux actes suivants sans être pénalement responsables :
« 1° Participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ;
« 2° Être en contact par le moyen mentionné au 1° avec les personnes susceptibles d’être les auteurs, les complices ou les intéressés à la fraude de ces infractions ;
« 3° Extraire, acquérir ou conserver par ce moyen les éléments de preuve et les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs, les complices ou les intéressés à la fraude de ces infractions.
« Si les nécessités de l’enquête douanière l’exigent, les agents des douanes habilités peuvent faire usage d’une identité d’emprunt. La révélation de l’identité de ces agents est passible des peines prévues au V de l’article 67 bis.
« À peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions. »
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 51 rectifié.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. L’adoption de cet amendement, qui vise à rétablir l’article 16 ter, permettrait d’utiliser un dispositif de cyberpatrouille.
Les agents des douanes habilités, notamment ceux de la cellule Cyberdouane, pourront, sous une identité cachée, rejoindre, sur internet, le réseau TOR, par exemple, et participer aux discussions, en vue de déceler les infractions douanières les plus graves.
C’est en surfant sur internet que l’on peut déceler un certain nombre d’infractions telles que le trafic d’armes, de tabac, d’alcool et de contrefaçons, des trafics parfois très graves. Lorsque j’ai visité la cellule Cyberdouane, j’ai constaté tout l’intérêt de pouvoir détecter des trafics, tels les trafics d’armes, qui, par définition, se font de manière anonyme.
Aussi, le mécanisme initialement prévu par l’article 16 ter est extrêmement utile. Encadré pour des raisons de liberté et de sécurité, il serait limité aux délits douaniers de première et de deuxième classe. Pour ce faire, il convient de prévoir une habilitation obligatoire des agents des douanes.
Ce dispositif nous paraît nécessaire, car il est complémentaire d’autres dispositifs existants, notamment pour ce qui concerne les coûts d’achat ou les infiltrations. Très concrètement, on ne décèle pas des infractions douanières en se connectant à internet sous son identité réelle.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 228.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’ai rien à ajouter à l’argumentation du rapporteur pour avis, que je partage.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements identiques visent à créer un dispositif ad hoc de cyberpatrouille. Or l’administration des douanes dispose d’ores et déjà de deux dispositifs de cyberpatrouille.
Le premier, propre à l’enquête judiciaire, défini dans le code de procédure pénale, est généralisé par l’article 19 de la loi du 13 novembre 2014 relatif à toutes les infractions de la délinquance organisée. Ce régime s’applique à tous les officiers de police judiciaire, y compris les douaniers, sur autorisation expresse d’un magistrat.
Le second, administratif, défini à l’article 861-1 du code de la sécurité intérieure, s’applique aux douaniers et à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.
Aussi, il n’a pas semblé très pertinent à la commission des lois de créer un dispositif hybride, qui ne bénéficierait des garanties ni de l’un ni de l’autre.
Néanmoins, je suis impressionné par la convergence de vues de la commission des finances et du ministère de la justice. Serait-ce le présage d’une augmentation significative du budget de ce ministère ? (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur. Dans cet espoir, je m’en tiendrai à un avis de sagesse.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 51 rectifié et 228.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 16 ter est rétabli dans cette rédaction.
Article 16 quater
L’article L. 152-1 du code monétaire et financier est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« L’obligation de déclaration n’est pas réputée exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes.
« Sont également considérées comme non effectuées les déclarations portant sur des sommes supérieures à un montant fixé par décret et pour lesquelles le déclarant ou le propriétaire ne produit pas les documents permettant de justifier de leur provenance immédiate. Ces documents sont tenus à disposition de l’administration des douanes et doivent être présentés à première réquisition des agents des douanes.
« Un décret fixe la liste des documents admis pour justifier de la provenance des fonds ainsi transférés. »
Mme la présidente. L'amendement n° 52, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
un montant fixé par décret
par les mots :
50 000 euros
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cet amendement vise à fixer par la loi, et non par décret, le seuil à partir duquel les justificatifs de la provenance des sommes transférées en liquide à l'étranger doivent être fournis.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 16 quater, modifié.
(L'article 16 quater est adopté.)
Article additionnel après l'article 16 quater
Mme la présidente. L'amendement n° 105 rectifié bis, présenté par MM. Vincent, Yung, Botrel, Chiron, Lalande, F. Marc et Raoul, est ainsi libellé :
Après l'article 16 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 152-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 152-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 152-1-… – Une déclaration est établie pour chaque transfert au sens de l’article L. 152-1 pour les personnes physiques voyageant dans des zones théâtre d’opération de groupements terroristes, à l’exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 5 000 euros. »
La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Cet amendement vise à renforcer la lutte contre le terrorisme, en contrôlant plus précisément les transferts de sommes en liquide à destination de zones théâtre d’opérations de groupements terroristes, conformément aux obligations de déclaration telles que définies à l’article 12 du projet de loi.
Nous proposons d’abaisser de 10 000 euros à 5 000 euros l’obligation de déclaration dans ces situations particulières.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement est partiellement satisfait par le renforcement des conditions de l’obligation déclarative prévu à l’article 16 quater.
En conséquence, je demande le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est plus catégorique, cette mesure serait contraire au droit européen.
Le seuil de l’obligation déclarative hors Union européenne, actuellement fixé à 10 000 euros, relève de la seule compétence du législateur européen. L’adoption de cet amendement exigerait donc une modification du règlement du 26 octobre 2005.
Mme la présidente. Monsieur Vincent, l'amendement n° 105 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Maurice Vincent. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 105 rectifié bis est retiré.
Article 16 quinquies
(Non modifié)
Au I de l’article L. 152-4 du code monétaire et financier, les mots : « au quart » sont remplacés par le taux : « à 50 % ». – (Adopté.)
Article 16 sexies
(Non modifié)
Après le 6° de l’article 705 du code de procédure pénale, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° Délits d’association de malfaiteurs prévus à l’article 450-1 du code pénal, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 6° du présent article punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement. » – (Adopté.)
Article 16 septies
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 231, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre II du titre XIII du livre IV du code de procédure pénale est complété par un article 705-5 ainsi rédigé :
« Art. 705-5. – Le procureur de la République financier demeure compétent pour la mise en mouvement et l'exercice de l'action publique, quelles que soient les incriminations retenues à l'issue de l'enquête préliminaire ou de flagrance.
« La juridiction saisie reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l'affaire sous réserve de l'application des dispositions des articles 181 et 469. Si les faits constituent une contravention, le juge d’instruction prononce le renvoi de l'affaire devant le tribunal de police compétent en application de l'article 522 ou devant la juridiction de proximité compétente en application de l'article 522-1. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le code de procédure pénale ne prévoit pas que la compétence du parquet national financier résultant des articles 705 et 705-1 du code de procédure pénale est maintenue lorsque, à l'issue de l'enquête, de l'information ou de l'audience, les qualifications juridiques finalement retenues ne relèvent pas de son champ de compétence. Une disposition de cette nature est pourtant prévue s'agissant des juridictions interrégionales spécialisées en matière économique et financière.
Un amendement avait été adopté par l'Assemblée nationale, afin de corriger cette lacune, mais la commission des lois du Sénat l’a supprimé. C’est pourquoi je propose de rétablir cette disposition, qui est conforme à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 16 septies demeure supprimé.
Mes chers collègues, nous avons examiné 119 amendements au cours de la journée ; il en reste 88.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 31 mars 2016 :
À dix heures trente :
Nouvelles lectures de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (n° 501, 2015-2016) et de la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections (n° 502, 2015-2016) ;
Rapport de M. Christophe Béchu, fait au nom de la commission des lois (n° 510, 2015-2016) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 511, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 512, 2015-2016).
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 445, 2015-2016) ;
Rapport de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois (n° 491, 2015-2016) (tome I : rapport ; tome II : tableau comparatif) ;
Texte de la commission (n° 492 rectifié, 2015-2016) ;
Avis de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 474, 2015-2016) ;
Avis de M. Philippe Paul, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 476, 2015-2016).
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et, éventuellement, le soir : suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 31 mars 2016, à zéro heure dix.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD