compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
M. Serge Larcher.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Renvoi pour avis unique
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016), dont la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
3
Délai d'entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour permettre de rallonger d’un an le délai d’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 415 rectifié, texte de la commission n° 517, rapport n° 516).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on n’échappe pas à sa destinée. La nôtre, monsieur le ministre, est donc, par-delà l’amitié qui nous rapproche, de nous opposer par la volonté de l’exécutif et de son chef. J’en suis désolé, mais je l’assume et ne faiblirai en rien dans cette confrontation, que je n’ai point souhaitée et que le Gouvernement désire, par principe et sans regard sur l’expression de nos territoires.
Par la proposition de loi que le RDSE soumet aujourd’hui au vote du Sénat, texte que nous avons élaboré avant votre nomination au Gouvernement, nous avons tout simplement voulu restituer aux élus locaux un peu de cette liberté que leur a arrachée la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, leur donner une bouffée d’oxygène pour desserrer le carcan autoritaire qui les étouffe.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement de permettre, à titre exceptionnel, à ceux qui en expriment la volonté, confirmée par un vote majoritaire de la commission départementale de la coopération intercommunale, la CDCI, de différer d’un an la création par fusion d’une nouvelle intercommunalité.
De grâce, assez de caricatures et d’approximations ! Soyons clairs : le but n’est aucunement de remettre en cause le principe et l’application de la loi NOTRe, quoi que l’on en pense et quoi que vous en ayez pensé, monsieur le ministre.
Notre proposition de loi ne remet pas en question les schémas départementaux des nouvelles intercommunalités arrêtés par les préfets : nous n’y touchons pas. Au contraire, ces schémas sont validés dans tous les départements, sauf recours administratifs. Il appartiendra ensuite aux préfets de procéder aux ajustements en vertu des articles de la loi qui leur permettent de le faire.
Nous voulons uniquement donner aux collectivités la possibilité de faire saisir la CDCI par le préfet ou par 20 % de ses membres avant le 31 juillet, afin que la commission puisse décider, à la majorité de ses membres, le report d’un an de l’entrée en vigueur du schéma pour les intercommunalités qui auront voté cette demande de délai – et seulement pour celles-là.
Cela signifie que les nouvelles intercommunalités prêtes à fusionner d’ici au 1er janvier 2017 pourront le faire dans chaque département. Elles ne seront en rien gênées par cette mesure.
Pour répondre à une critique de l’exécutif non encore exprimée ouvertement mais infondée, cela signifie aussi que notre texte n’a pas pour but de donner du temps, jusqu’à une alternance possible, afin de remettre en cause le chapitre de la loi NOTRe relatif à la fusion des intercommunalités. Effectivement, dans chaque département, dans une grande majorité de cas, les fusions seront réalisées avec effet au 1er janvier 2017. Il sera donc impossible de revenir en arrière, même si un nouvel exécutif le souhaitait.
Que risque par conséquent le Gouvernement en souscrivant à notre proposition ? Strictement rien ! En ce cas, arguer de problèmes de zones de revitalisation rurale ou de dotation globale de fonctionnement est fallacieux, puisque les périmètres seront fixés et non modifiables, sauf volonté des préfets – il faut s’attendre à ce qu’une telle volonté s’exprime dans certains cas.
L’argumentation du Gouvernement est, d’ailleurs, totalement contradictoire – ce n’est pas la première fois que cela arrive… D’un côté, on entend, dans les directions, que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème, que, dans les départements, les préfets et les élus locaux vivent leur lune de miel… Dès lors, à quoi bon un an de plus ? Mais, de l’autre, on nous promet une avalanche de cas de rallongement d’un an du délai d’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités si l’on consacre cette possibilité. Mettez-vous d’accord ! Au reste, les deux arguments me semblent également erronés.
Que se passe-t-il sur le terrain ? Dans un certain nombre de départements, on constate de vrais problèmes techniques et administratifs. On constate aussi que des difficultés de gouvernance vont se poser dans le futur. Ce n’est pas toujours simple de fusionner des communautés de communes à régimes de fiscalité différents, notamment à fiscalité additionnelle, non plus que des agglomérations ou des communautés urbaines avec des communautés de communes, ou encore des intercommunalités aux compétences très différentes, dont certaines devront être restituées aux communes.
Ces fusions ne doivent pas se faire à la hussarde, n’importe comment, sans étude ni réflexion suffisantes. Il ne suffit pas de dire aux élus empêtrés dans ces difficultés : « rassurez-vous, les services de l’État sont à votre disposition pour vous aider », car ce n’est pas la réalité, en particulier dans nos départements ruraux. Les préfectures, les directions départementales des finances publiques, les DDFIP, ne sont pas vraiment en mesure d’apporter des éléments techniques fiables dans des délais aussi contraints, ce qui provoquera, au cours de l’année 2017, bien des difficultés.
D'ailleurs, c’est vrai aussi quand on reçoit les notifications de dotation globale de fonctionnement sans aucune explication et que l’on veut favoriser l’open data ! Des progrès devront être faits.
Le cas des « intercommunalités XXL » a été largement mis en exergue par d’autres, à juste titre. Dans certaines intercommunalités, plus de 200 élus siégeront, au mépris de toute vie démocratique et de proximité avec les citoyens.
Quant aux problèmes de gouvernance, ils ont été sciemment éludés par l’exécutif et n’ont donné lieu à aucune communication sur le terrain. En ce début d’année 2016, le RDSE a posé une question d’actualité à Mme Lebranchu, lui demandant de faire notifier par les préfets, en même temps que les schémas, la composition des nouveaux conseils communautaires. Comme d’habitude, elle n’a pas répondu… De nombreux conseillers communautaires élus démocratiquement en avril 2014 découvriront dans les mois qui viennent qu’ils perdront leur mandat.
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Quel manque de considération pour nos élus locaux !
Tous ces problèmes ne se constatent pas dans tous les départements, mais ils se posent de manière suffisamment importante pour justifier notre proposition de loi. Monsieur le ministre, si vos directions prétendent que tout va bien sur le terrain, c’est une nouvelle fois la démonstration de la coupure qui existe entre la technocratie et la réalité du terrain.
Si l’Assemblée des communautés de France, qui représente la grande majorité des EPCI, soutient notre texte et l’a confirmé dans un communiqué de presse, c’est que les problèmes sont bien réels.
Si dix-neuf députés socialistes ont déposé, à l’Assemblée nationale, une proposition de loi aux termes identiques à la nôtre,…
M. Pierre-Yves Collombat. Tant que cela ?
M. Jacques Mézard. … c’est bien que ces problèmes sont reconnus par les élus de toutes sensibilités, ce que confirment aussi les deux propositions de loi respectivement déposées par des députés radicaux et par des députés républicains.
Et si notre initiative reçoit le soutien d’une large majorité des membres de la Haute Assemblée, qui, en vertu de la Constitution, représente les collectivités territoriales, c’est parce que les sénateurs sont ancrés dans les territoires. À cet égard, nous pardonnons à notre collègue René Vandierendonck, du groupe socialiste et républicain, les propos qu’il a tenus en commission, qualifiant notre texte de « compulsif » et d’« électoraliste » : il a tellement bataillé, dans cet hémicycle, pour tenter de rendre le texte de Mme Lebranchu compréhensible… pas toujours avec succès, d'ailleurs.
Je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur, Patrick Masclet, qui, avec sagesse et modération, a amélioré la rédaction de notre proposition de loi. Qu’il en soit remercié.
Vous allez nous dire, monsieur le ministre : « La loi de la République doit être appliquée quoi qu’on en pense ». Nous sommes d’accord, mais ne vaut-il pas mieux encore appliquer intelligemment la loi, même si c’est assez contradictoire avec les habitudes de notre technocratie ? (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Ne sommes-nous pas législateurs ? Vous l’avez vous-même été. N’est-il pas de notre devoir d’améliorer la loi ?
Pourquoi cela ne se passe-t-il pas bien ? Parce que le Gouvernement et son exécutant – votre prédécesseur – ont voulu passer en force, en brutalisant les élus locaux. Ordre fut donné aux préfets de fabriquer des intercommunalités les plus grosses possibles, bien au-delà du seuil de 15 000 habitants, en piétinant l’accord conclu avec le Sénat sur la possibilité de dérogations à 5 000 habitants dans cinquante-sept départements, dérogations qui ont été jetées aux oubliettes par les préfets.
C’est la stricte vérité, et celle-ci a une raison : cette réforme est la traduction des propositions non des élus de la République, mais encore une fois de la haute fonction publique, depuis le fameux rapport de Terra Nova jusqu’à celui qui a été rendu, en 2014, par Mme la commissaire générale à l’égalité des territoires.
Dans son rapport, celle-ci a écrit à vos prédécesseurs, Mme Lebranchu et M. Vallini : « Il faut raisonner en territoire vécu. […] L’objectif est de limiter le nombre d’EPCI, pour augmenter leurs atouts. Un nombre inférieur à 1 000 (2 108 actuellement) semble une bonne cible. […] La loi devra être très restrictive sur les exceptions de taille »… J’en passe et des meilleures ! Elle a aussi traité le problème de la même manière pour un département de 2 millions d’habitants que pour un département de 150 000 habitants.
Voilà où l’on en arrive quand les élus de la République abandonnent le pouvoir à la technocratie ; le vrai but, des très grandes régions avec de grands EPCI, la suppression des départements – objectif de la loi NOTRe – et, in fine, du Sénat !
Quelle singulière conception de la démocratie : réforme des cantons, sans lien avec les nouvelles intercommunalités, fusion des régions, fusion des EPCI… Que n’avions-nous pas dit ensemble, monsieur le ministre, contre le projet de création du conseiller territorial, en 2011 ?
Lorsqu’il s’agit de gagner du temps sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, on fabrique un référendum. Lorsqu’il s’agit de la réforme territoriale, le Gouvernement passe en force, au motif que, s’il consultait les élus, les réponses de ces derniers seraient négatives.
Monsieur le ministre, nous avons mené ensemble un combat contre ces textes. Nous comprenons que vous vouliez désormais appliquer les lois et nous avons pensé – peut-être à tort, mais j’ai toujours foi dans le bon sens et dans votre souci de trouver des solutions – que, avec son intuition profonde, le chef de l’État avait considéré que vous étiez le mieux à même de le faire avec la sagesse d’un élu local d’expérience et la capacité de concilier les objectifs de l’exécutif, les réalités du terrain et les difficultés des élus de nos territoires.
Avec cette proposition de loi, nous vous offrons le moyen de tendre la main aux collectivités sans renier votre engagement au sein du Gouvernement, le moyen de donner une nouvelle image de la relation entre le Gouvernement et les collectivités. Vous n’avez rien à y perdre et tout à y gagner !
Monsieur le ministre, cher Jean-Michel Baylet, tout en demandant au Gouvernement, par votre intermédiaire, un peu de liberté pour nos collectivités, je ne saurais conclure sans citer un extrait du Discours pour la liberté de Clemenceau, en espérant que vous l’écouterez en manifestant plus d’intérêt que pour mon discours : « Dans la République, la liberté c’est le droit commun de chacun ; et l’autorité […] ne peut être que la garantie de la liberté de chacun. »
Comme ultime conclusion, je veux citer cet autre extrait : « malgré vous, je demeure solidaire de mon parti à condition qu’il représente nos idées ; et si mon parti abandonne, pour un moment, ces idées, je continuerai, fussé-je seul, à les défendre ! » (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrick Masclet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon sens, la proposition de loi de Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues que nous examinons ce jour est de nature à faciliter la révision des schémas départementaux de coopération intercommunale voulue par la loi NOTRe du 7 août 2015.
Si j’en arrive, avant toute démonstration, à cette conclusion, c’est que les nombreux retours d’expérience des territoires mettent en évidence un besoin réel de disposer de davantage de temps pour gérer les situations les plus complexes, afin de « construire » un véritable projet intercommunal.
Pour autant, tous les représentants des territoires ne demandent pas de délai supplémentaire exprimant même, pour certains, le souhait d’aboutir le plus rapidement possible dans la mise en œuvre, car, il faut bien l’admettre, la réflexion intercommunale n’en est pas au même état d’avancement en tous points de notre territoire national.
À cet égard, je veux remercier les cent présidents des associations départementales des maires qui ont répondu de manière significative à notre consultation. En résumé, les réponses convergent absolument toutes vers un même souci : réussir de la meilleure façon possible la mise en œuvre des schémas.
Je veux également remercier les associations nationales d’élus locaux, l’Association des maires de France, ainsi que l’Assemblée des communautés de France, de leur écoute et de leurs remarques, qui, elles aussi, convergent sur deux grands principes : la nécessité de ne pas modifier les schémas départementaux de coopération intercommunale, qui, depuis le 31 mars, sont une affaire réglée, mais aussi le constat de délais très contraints, en tout cas beaucoup plus contraints que ceux qui sont définis par la précédente réforme, dans le cadre de la loi de réforme des collectivités territoriales.
Sur le premier point, il me semble que nous sommes tous d’accord. D’ailleurs, la modification des schémas n’est pas du tout évoquée dans la proposition de loi : nous ne remettons pas en cause les schémas départementaux. Laissons aujourd’hui aux communes le soin de s’exprimer sur les projets de périmètre. À partir du 15 juin 2016, elles auront l’obligation de répondre dans un délai de soixante-quinze jours. Il est, d’ailleurs, préférable qu’elles répondent – comme on le sait, qui ne dit mot consent !
Sur le second point, je me permets de rappeler la position de l’Assemblée des communautés de France, au-delà du communiqué de presse de soutien à la proposition de loi, qui considère que le « délai moyen de préparation » des fusions d’EPCI est d’environ quinze mois. Une telle durée permet d’éviter l’apparition ou de garantir un meilleur traitement des difficultés liées à l’harmonisation des compétences, au rapprochement des fiscalités, à la répartition des sièges, ou encore à la réorganisation des services.
Pour ce qui concerne l’harmonisation des compétences, cette proposition de loi, en autorisant le report d’une année de la mise en œuvre du schéma, permet, dans les situations les plus complexes, de laisser davantage de temps à la discussion et au rapprochement des points de vue sur le transfert des compétences obligatoires et, en même temps, de rester dans le calendrier du mandat s’agissant des compétences facultatives et optionnelles, dont je vous rappelle, mes chers collègues, qu’elles s’exercent en quelque sorte de façon territoriale pendant une, voire deux années. Il convient donc de stabiliser cet ensemble avant les élections municipales de 2020.
C’est d’ailleurs un sujet sensible dans les intercommunalités qui exerçaient des compétences liées aux services à la personne et qui doivent fusionner avec des intercommunalités de plus grande taille, lesquelles, bien souvent, n’ont pas retenu ce type de compétence.
Avec cette hypothèse de report d’une année, le régime des compétences sera ainsi complètement stabilisé en 2020.
C’est un sujet d’importance que ce calendrier, car il permettra de garder l’un des principes de la loi NOTRe consistant à ne pas faire glisser d’un mandat sur l’autre, et donc vers de nouveaux élus, la mise en œuvre d’une nouvelle intercommunalité.
Pour ce qui est de la fiscalité, il faut bien reconnaître la complexité de certaines situations : taxe professionnelle unique, fiscalité additionnelle, fiscalité mixte… Pour autant, dans de très nombreuses intercommunalités, on ajoute un nouveau régime fiscal transitoire à celui qui est déjà en vigueur depuis la loi de 2010.
Il faut enfin relever certaines difficultés liées aux nouveaux conseils communautaires nés de la volonté des élus ou de celle des préfets et qui sont allés beaucoup plus loin que les seuils fixés par la loi. Sont visées des communautés de très grande taille, dites « XXL », dont on a du mal à concevoir les modes de gouvernance. Nous devons garder à l’esprit, à chaque instant, que les communes et leurs élus sont au cœur du dispositif de l’intercommunalité.
Comme je l’ai indiqué en préambule, tous les territoires ne sont pas au même stade d’avancement. Cette proposition de loi a vocation non pas à imposer une modification des délais, mais à proposer une clause permettant de faciliter la mise en œuvre des projets de fusion.
Nous avons recentré ce texte, avec l’accord de son auteur, sur les cas de fusions de communautés – les plus nombreux –, ce qui permet de ne pas « ralentir » les projets d’extension de périmètre prêts au 1er janvier 2017.
Nous avons également pensé que la saisine de la commission départementale de la coopération intercommunale devait être définie dans le cadre de cette proposition de loi.
Ainsi, avant le 31 juillet 2016, et ce avant que les communes ne se déterminent sur le projet préfectoral de périmètre, le préfet ou 20 % des membres composant la CDCI pourront saisir la commission départementale de la coopération intercommunale afin d’obtenir ce délai supplémentaire d’une année.
Les conditions de majorité ont également été redéfinies pour être portées à 50 % des membres composant la CDCI, ce qui nous semble, tout en étant très représentatif, beaucoup plus souple que la majorité des deux tiers, extrêmement difficile à obtenir.
Voilà, mes chers collègues, en quelques mots – j’ignore s’ils sont de sagesse, monsieur Mézard –, les éléments que je souhaitais livrer à votre réflexion sur un texte qui vise simplement, comme vous l’aurez compris, à mettre du lien dans la construction de l’intercommunalité de notre pays, texte que je vous encourage à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui prétend faire écho à l’inquiétude qui serait celle de certains de nos élus, plus particulièrement les maires.
À cet égard, le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est parfaitement dans son rôle. Je tiens à saluer l’initiative prise par les auteurs de cette proposition de loi, notamment Jacques Mézard, qui me permet de poser tranquillement les termes de ce débat et, je l’espère, de rassurer bon nombre d’entre vous.
Huit mois, jour pour jour, après la promulgation de la loi NOTRe, adoptée après bien des débats par les deux chambres, à l’issue d’une commission mixte paritaire dont le travail de synthèse aura permis de construire un accord équilibré entre l’Assemblée nationale et le Sénat, vous posez de nouveau la question du calendrier de mise en œuvre de son volet intercommunal, alors même que les procédures ne sont pas terminées.
L’auteur de la proposition de loi et le rapporteur ont rappelé, avec talent, que la loi NOTRe a fixé, dans son article 33, un nouveau seuil démographique minimal de 15 000 habitants pour les intercommunalités, tout en permettant certaines adaptations – largement utilisées – dans la construction des schémas.
Ce seuil, comme vous le savez, résulte d’un accord en commission mixte paritaire. Il a fait l’objet de beaucoup de discussions et de nombreux échanges – je n’y reviens pas.
Il s’agit de créer des intercommunalités d’une taille suffisante pour disposer des moyens budgétaires et techniques – je pense en particulier à l’ingénierie territoriale – leur permettant d’exercer leurs compétences de manière optimale au profit des habitants, en synergie, pour ne pas dire en osmose, avec les communes membres de ces intercommunalités.
Cet objectif est d’ailleurs « presque unanimement partagé », comme le rappelle l’exposé des motifs de cette proposition de loi. Ses auteurs soulignent que, dans l’intérêt général, ce processus « doit aboutir à la détermination de territoires équilibrés dans lesquels l’action publique sera facilitée et optimisée au service de nos concitoyens ».
Ce seuil est néanmoins pondéré et fait l’objet de plusieurs aménagements en fonction des particularismes reconnus des territoires, notamment insulaires et de montagne, ou de ceux qui disposent d’une faible densité de population.
Les EPCI ayant connu une fusion récente – après 2012 – peuvent également, s’ils le souhaitent, voir leur périmètre inchangé, selon la clause dite « de repos ». Tout cela est connu, mais il est bon de le rappeler.
Par ailleurs, je sais que l’appréciation qui a été portée sur le seuil de population par les représentants de l’État dans les départements a fait l’objet d’une étude de la mission sénatoriale de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des lois de réforme territoriale, dont je tiens à saluer les rapporteurs.
Enfin, même si je reconnais la qualité de vos travaux, je me permets de vous rappeler que ce seuil de 15 000 habitants n’est, au sens de la loi, qu’un minimum en dessous duquel aucune intercommunalité ne pouvait être constituée et que, de surcroît, il devait être envisagé à l’aune de tous les autres critères.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour redessiner la carte intercommunale, les préfets, après un long travail de concertation avec les élus, ont soumis dès le mois de septembre aux commissions départementales les projets de schémas départementaux.
Après cette première présentation, les conseils municipaux et les conseils communautaires ont été invités à se prononcer entre les mois d’octobre et de décembre derniers.
Il ressort de ces consultations que les avis ont été très majoritairement favorables, dans plus de la moitié des départements.
Ces projets ont ensuite été examinés, entre le 1er janvier et jeudi dernier, date butoir, par les membres des CDCI qui ont pu les amender – ils ne se sont pas gênés pour le faire – à la majorité des deux tiers.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous informer que, à ce stade, le nombre d’EPCI passerait de 2 061, au 1er janvier 2016, à 1 249, au 1er janvier 2017, soit une baisse de 39%.
Mme Françoise Laborde. C’est bien ce que nous disions !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Certes, monsieur Mézard, je ne dirai pas que cette phase a suscité partout un consensus généralisé…
Toutefois, a contrario, il est tout aussi inexact de prétendre qu’elle s’est mal passée, puisque tous les schémas ont été adoptés par les élus locaux, le plus souvent à de larges majorités. Je le sais d’autant mieux que je continue de siéger dans une CDCI, ce qui me permet de faire des travaux pratiques. Je ne me contente pas, comme vous le prétendez, d’aller chercher mes informations auprès de la haute administration, que l’on critique beaucoup, mais dont nous avons bien besoin. Je suis sur le terrain et je connais tout aussi bien que vous les sujets dont nous parlons.
Aujourd’hui, force est de le reconnaître, une concertation satisfaisante a été conduite dans la grande majorité des départements et les élus ont pleinement pris leurs responsabilités.
D’ailleurs, dans de nombreux départements, les CDCI ont exercé leur pouvoir d’amendement, parfois même en proposant un schéma plus ambitieux encore que les propositions du préfet ; c’est le cas dans quatorze départements.
M. Jacques Mézard. Ce sont des inféodés ! (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Au final, les amendements adoptés par les CDCI sont très nombreux et ont permis, dans la plupart des cas, d’aboutir à un consensus.
Je relève que rares ont été les propositions de retour au statu quo. De nombreuses communautés, qui respectaient déjà les nouveaux seuils imposés par la loi, ont souhaité s’inscrire dans un processus de fusion. Elles ont ainsi explicitement affirmé, dans le cadre des CDCI, leur volonté de gagner en efficacité et de peser davantage à l’échelle des nouvelles régions. Elles ont compris la nécessité de disposer d’une masse critique beaucoup plus importante.
Ce bilan est globalement positif, même si je n’ignore pas la persistance de certaines crispations.
La proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise souligne ainsi, dans son exposé des motifs, que « l’absence de délai pour la mise en œuvre de ces nouvelles intercommunalités est incompatible avec une mise en place harmonieuse et efficace des dispositions prévues par la loi », établissant un comparatif avec la précédente réforme globale de la carte intercommunale engagée en 2010.
L’article unique de ce texte a donc pour objet de prévoir la possibilité d’accorder un délai supplémentaire d’un an pour la mise en œuvre de certaines intercommunalités.
Je veux saluer le travail que vous avez effectué, monsieur le rapporteur, ainsi que celui de la commission des lois, qui a adopté un certain nombre de précisions rédactionnelles et procédurales, afin de mieux circonscrire les possibilités d’intervention de la CDCI pour proposer de tels reports.
Toutefois, la question de fond demeure : qu’apporterait un tel report ? Est-il nécessaire, utile, voire opportun ?
Je vais, avec la même franchise que M. Mézard, vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, de façon claire, mon opinion : je ne suis pas favorable au principe d’un délai supplémentaire. Après la concertation doit intervenir le temps de la décision et de son application.
Il reste encore neuf mois pour parachever la mise en place des nouvelles intercommunalités. Qu’aurions-nous à gagner à porter ce délai à vingt mois ?