M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe CRC.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier le groupe du RDSE d’avoir initié ce débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux. C’est une question d’importance, que l’on peut élargir, plusieurs collègues l’ont souligné, à la pénurie de l’offre de soins dans un certain nombre de zones urbanisées.
Quoi qu’il advienne, l’ensemble du groupe CRC espère que, à l’issue de ce débat, des mesures pourront être engagées par le Gouvernement pour moderniser et améliorer l’offre de soins dans notre pays, en particulier dans les territoires ruraux.
Que constatons-nous sur l’ensemble du territoire ? Les inégalités d’accès aux soins tendent à augmenter dans les zones rurales, mais également dans les quartiers populaires. L’apparition de déserts médicaux dans certaines zones surdenses tend à généraliser les difficultés d’accès aux soins.
À cela s’ajoute la mauvaise répartition territoriale des professionnels de santé. Alors que, depuis 2005, la France a perdu 3 500 généralistes, la population a crû de 3 millions de personnes, faisant ainsi reculer la densité de généralistes de 8,5 %. Malgré le relèvement sensible, en 2011, du numerus clausus, le nombre de médecins en activité ne retrouvera son niveau actuel qu’en 2030 ; pendant ce temps, la population continuera de vieillir.
Les études prévoient d’ici à 2030 une diminution du nombre de médecins de 25 % dans les territoires ruraux. Le non-remplacement des départs en retraite des médecins baby-boomers amputera donc d’un quart le nombre de médecins exerçant en zone rurale.
Cette situation n’est pas isolée puisque le nombre de médecins exerçant en couronne périurbaine ou dans une commune multipolarisée diminuera de 10 % et le nombre de médecins exerçant dans un pôle urbain sans CHU de 6,2 %.
Si l’on ajoute à cette situation les conséquences de la création par la loi de modernisation de notre système de santé des groupements hospitaliers de territoire, qui vont supprimer les structures de proximité – Françoise Laborde a évoqué le drame des maternités –, l’accès aux soins dans les territoires ruraux et urbains va encore se dégrader.
Pour lutter contre les inégalités territoriales de santé, il faut donc s’attaquer en priorité à la répartition géographique des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux. Or cette répartition est très inégale, et les pénuries de ressources médicales s’aggravent.
La théorie économique libérale de l’autorégulation, selon laquelle les médecins s’implanteront dans les lieux où ils pourront percevoir les revenus les plus élevés, c’est-à-dire là où la demande est plus importante que l’offre, est contredite par les faits.
Dès lors, si la liberté d’installation ne permet pas naturellement de parvenir à un équilibre territorial de l’offre médicale, les pouvoirs publics doivent prendre des mesures incitatives, voire plus contraignantes.
Une première approche, fondée sur la persuasion, consiste à respecter strictement la liberté d’installation des médecins tout en les incitant à mieux se répartir sur le territoire.
Ainsi, depuis une dizaine d’années, les mesures d’aide à l’installation dans les zones déficitaires se multiplient. Elles sont financées par les collectivités locales – je pense aux bourses d’études en troisième cycle, aux aides à l’installation, aux subventions d’investissement ou encore aux exonérations fiscales –, mais aussi par l’assurance maladie – je pense à la rémunération forfaitaire, à la modulation des cotisations sociales, etc. Ces mesures incitatives n’ont malheureusement pas permis jusqu’à présent d’inverser la tendance des départs non remplacés des médecins.
Pour garantir l’égalité d’accès aux soins et mettre en œuvre une réelle couverture territoriale, ne faudrait-il pas agir de manière plus contraignante ? Les études dans le domaine de la santé étant le fruit d’investissements publics, est-il absurde de proposer que les professionnels de santé contractualisent leur installation sur le territoire ?
Pour sa part, le groupe CRC estime que, en contrepartie du financement des études de santé, les jeunes diplômés devraient s’engager à exercer dans le service public ou dans les zones qualifiées de désert médical pendant au moins cinq ans. Une telle pratique est en vigueur dans l’éducation nationale, les enseignants commençant par exercer dans les zones en difficultés. Pourquoi, madame la secrétaire d’État, ne pas expérimenter ce processus dans le domaine de la santé ?
En parallèle, il faut également revoir la formation des professionnels de santé afin de revaloriser les professions de médecin généraliste et de soignant.
Pour relever les défis à venir, il est également nécessaire d’augmenter le numerus clausus à la hauteur des besoins estimés.
Enfin, les problèmes d’installation des médecins libéraux traduisent une crise des vocations. Aujourd’hui, les femmes, mais aussi les hommes qui achèvent leurs études de médecine souhaitent pouvoir profiter de leur vie sociale, quitte à en rabattre sur leurs rémunérations.
La solution consiste pour ces jeunes médecins à se regrouper dans les territoires, au sein de structures où s’exercent plusieurs spécialités. Dans cet esprit, les centres de santé sont une solution concrète répondant à leurs aspirations. Les centres de santé, organismes gestionnaires publics ou privés à but non lucratif, à ne pas confondre avec les maisons de santé libérales, constituent la meilleure réponse de proximité, d’accessibilité et de démocratie sanitaire.
Les 357 centres de santé actuels sont développés sur le fondement d’une évaluation territoriale permettant de définir des zones prioritaires d’implantation, du point de vue tant économique que géographique, en vue de rétablir une égalité d’accès aux soins.
Comme le préconise le professeur Vigneron, le Gouvernement doit lancer un plan de développement des centres de santé de premiers recours sur l’ensemble du territoire national. Il faudrait en créer 400 en France pour répondre aux besoins en matière de santé.
Ce plan de développement doit s’accompagner d’une revalorisation des moyens des centres de santé existants afin que ces derniers puissent remplir leurs missions. Je les rappelle ici : délivrance des soins ambulatoires, prévention, promotion de la santé, éducation thérapeutique, pratique de l’IVG ambulatoire.
Ces missions, qui sont actuellement toutes assurées grâce au tiers payant, permettent de supprimer les barrières financières d’accès aux soins.
Vous le voyez, madame la secrétaire d’État, des solutions crédibles et alternatives existent pour améliorer l’offre de soins sur l’ensemble de notre territoire partout où l’on constate une pénurie de professionnels de santé, notamment dans les zones rurales ; j’en ai évoqué un certain nombre. Le Gouvernement a désormais le choix, madame la secrétaire d’État, et j’en appelle à vous en particulier, entre les mettre en œuvre ou laisser les inégalités d’accès aux soins s’aggraver. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, bien des petites villes et bien des quartiers sont en effet touchés par la désertification médicale. Cela étant dit, le monde rural et les zones de montagne sont plus particulièrement et structurellement sous-dotés en médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes.
Dans son rapport de février 2016 portant sur l’accessibilité potentielle locale, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, l’IRDES, souligne que quand la moyenne équivalent temps plein est de 66 % pour l’ensemble des Français, elle est de 59,9 % pour les communes rurales isolées. Les communes rurales appartenant à de grands pôles sont sous-dotées à 49,3 %.
Le paradoxe est grand. Une étude de septembre dernier portant sur les aspirations des Français est pourtant des plus formelles : alors que 65 % des Français sont des citadins, 64 % d’entre eux souhaitent vivre à la campagne. Alors que les territoires ruraux sont très attractifs pour l’ensemble des Français, ils ne le sont pas assez pour les médecins, généralistes ou spécialistes, et leurs familles.
D’ici à trois ans, une grande proportion de médecins partira à la retraite. Certains seront remplacés, d’autres non. Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, 27,5 % des médecins ont ainsi plus de soixante ans.
Des spécialités entières disparaissent de certains territoires. Ainsi mon département ne compte-t-il plus que trois gynécologues libéraux pour 165 000 habitants. Obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue peut demander plusieurs mois et nécessiter ensuite de parcourir des centaines de kilomètres pour s’y rendre. Or le département des Alpes-de-Haute-Provence est considéré par le schéma régional d’organisation des soins, le SROS, non pas comme un désert médical, mais comme un département à risque de désertification.
Il y a, à n’en pas douter, un réel décalage entre ces chiffres et le vécu des patients. Le ratio entre la densité de médecins et la population ne me semble pas être le seul critère pertinent pour évaluer les inégalités territoriales et donc pour améliorer la couverture des territoires moins bien dotés.
Je souhaite à ce titre que nous changions de logiciel : il faut passer du ratio entre nombre de médecins et nombre de malades à une logique d’accès réel aux soins. À cet égard, j’évoquerai la situation des zones de montagne et des zones touristiques.
Le rapport Laclais-Genevard sur l’acte II de la loi montagne en préparation rappelle très justement que « les caractéristiques géographiques […] et climatiques […], ainsi que la faible offre de transports en commun, rendent de manière ponctuelle ou permanente les conditions d’accès aux services de santé difficiles ».
Nous devrons de la même manière réfléchir à la prise en compte des zones touristiques, qui présentent des fluctuations importantes de population. Des difficultés d’accès aux soins sont possibles en dehors des saisons touristiques, malgré une densité apparente de professionnels qui semble correcte, voire élevée. Une durée de trente minutes pour accéder à un médecin n’a pas la même signification partout, notamment quand il s’agit d’un médecin traitant qui est amené à refuser des patients supplémentaires.
Mes chers collègues, voilà quelques mois, nous nous félicitions tous ensemble de la signature des accords de Paris. Nous avons ici l’occasion de concrétiser notre engagement. Je propose que nous intégrions le critère de déplacement, de temps de transport, dans tous les schémas d’organisation du système de santé. Nous y gagnerons en qualité de vie bien sûr, mais aussi financièrement, car la prise en charge des transports coûte cher à la sécurité sociale.
Mes chers collègues, La COP 21 est aussi un outil d’aménagement du territoire pertinent pour l’offre de soins.
Dans ce contexte, de nombreuses décisions – de bonnes décisions ! – ont été prises ces dernières années. Bien des expériences locales ont été menées, certaines ont été des réussites, d’autres ont été loin de l’être. C’est la coexistence de tous ces leviers qui permettra d’obtenir des résultats, à la condition que ces possibilités soient connues de tous les médecins, en devenir ou souhaitant s’installer.
L’organisation de la table ronde sur la démographie médicale par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat du 17 février dernier a été à ce titre particulièrement riche d’enseignements.
Premier enseignement : les maisons médicales répondent aux aspirations des médecins, des professions paramédicales, des hôpitaux, mais aussi des élus. À cet égard, je me réjouis de la décision du Gouvernement de soutenir la création de maisons de santé, dont le nombre sera supérieur à 1 000 en 2017, contre 170 en 2012. Je souhaite que les nouveaux schémas régionaux d’organisation des soins veillent scrupuleusement à ce maillage afin qu’il n’y ait pas de concurrence territoriale entre les maisons médicales. À défaut, des élus se retrouveront avec des bâtiments vides, après avoir consenti des investissements importants.
Deuxième enseignement, et non des moindres : il est nécessaire de mettre en place une politique territoriale de santé encore plus fine au cours de la formation des jeunes médecins, en particulier lors de leurs stages d’internat. Ces derniers pourraient plus souvent avoir lieu dans des territoires moins dotés, avec des conventionnements augmentant la part des gratifications correspondantes.
C’est la raison pour laquelle je souscris pleinement à l’annonce qui a été faite lors de la conférence de la santé de février 2016 de créer un numerus clausus régional, tant pour les généralistes que pour les spécialistes. Ce numerus clausus gagnerait sans doute à être élaboré en étroite collaboration avec les SROS.
Troisième enseignement : il faut concentrer les politiques publiques sur les jeunes générations. Les tentatives pour convaincre des médecins en zones surdotées de s’installer dans des zones moins dotées ont donné assez peu de résultats. Le recours à des médecins européens, en particulier roumains, a eu du succès dans certains endroits, mais il s’est aussi révélé fragile. Le plus grand vivier de médecins réside donc parmi les jeunes générations ou les primo-installations.
À cet égard, je salue les annonces faites lors de la conférence de la santé qui vont dans ce sens, notamment la réforme de la formation initiale ou les passerelles entre les professions paramédicales et médicales. Le recrutement de 1 700 contrats de jeunes médecins en milieu rural, contre 350 en 2012, est notable.
Pour autant, et c’est un point auquel je tiens particulièrement, je souhaite vivement que l’on décrive aux étudiants dans les facultés de médecine la réalité de l’exercice du métier de médecin en milieu rural, lequel est très différent du métier de médecin généraliste en ville.
Il s’agit d’un métier très polyvalent, qui crée du lien social. Le film Médecin de campagne est un beau témoignage de cette réalité. Il s’agit aussi d’un métier de haute technicité, permettant une pratique médicale variée, de la traumatologie aux premiers dépistages d’ophtalmologie.
En outre, ces médecins utilisent bien entendu les dernières avancées de la télémédecine. L’accès au très haut débit est donc indispensable à la pratique médicale en milieu rural. De la même manière, ces médecins disposent bien souvent d’un matériel de pointe et de plateaux techniques, par exemple des rétinographes, nécessitant de lourds investissements.
Je propose donc que des aides spécifiques soient allouées aux médecins équipés de ces matériels de dépistage ou de premier secours. Au final, l’assurance maladie serait gagnante et le parcours de soins préservé.
Je souhaite enfin que nous réfléchissions à la création d’une nouvelle spécialité médicale, celle de médecin rural. Cette nouvelle classification permettrait de reconnaître la spécificité de ce métier, sa technicité, et de revaloriser le traitement des médecins l’exerçant.
Les territoires ruraux ne sont pas seulement des handicaps territoriaux à compenser, ils sont aussi des lieux d’innovation et d’excellence technique, y compris dans le domaine médical. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, pour le groupe écologiste.
M. Hervé Poher. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est nul besoin d’être diplômé de la faculté pour s’apercevoir que notre système médical n’est pas très en forme, particulièrement en milieu rural, où il présente des symptômes inquiétants.
C’est logique, car en France, on n’a jamais su faire du préventif. Puisqu’on fait du curatif, il faut avant tout établir un diagnostic étiologique, c’est-à-dire examiner et analyser les causes de cette situation afin de trouver des pistes et quelques solutions ! Des solutions, certains oseront vous en proposer. Mais en médecine, comme en politique, si l’on ne traite pas la cause, la rémission risque d’être de courte durée.
Vous me pardonnerez donc d’énumérer des causes ayant parfois été maintes fois évoquées, mais les piqûres de rappel ont souvent leur utilité. Pour ma part, je ne parlerai que du problème de la démographie médicale en milieu rural, car c’est mon domaine.
Ce problème résulte de la conjonction – je dis bien : de la conjonction – de réglementations, d’orientations et d’évolutions dont nous sommes tous, les décideurs politiques, le monde médical et la société en général, collectivement responsables. Aucun élément n’est responsable à lui seul.
Premier élément : le numerus clausus, qu’on ne peut pas ne pas évoquer. Oui, bien sûr, nous le savons, il n’y a jamais eu autant de médecins qu’en ce moment et ils sont mal répartis sur le territoire, mais une erreur stratégique et une mauvaise appréciation de la chronologie du temps médical expliquent cet état de fait. Je vais m’expliquer très schématiquement.
Les médecins des années cinquante, qui ont créé les réseaux en milieu rural, ont été accompagnés et remplacés par les étudiants des années soixante-dix, qui eux-mêmes seront accompagnés et remplacés par les étudiants des années quatre-vingt-dix et deux mille.
Or le numerus clausus est apparu en 1971 et a été au plus bas en 1995. Le numerus clausus a été instauré afin de limiter le nombre de médecins, au motif que plus il y a de médecins, plus on dépense, ce qui n’est pas entièrement faux. C’est d’ailleurs pour la même raison que l’on a malencontreusement aidé certains médecins à prendre une retraite anticipée. Il est toujours ennuyeux de ne raisonner qu’en termes financiers !
Ce n’est donc pas un hasard si nous constatons aujourd'hui le manque de médecins : c’est parce que la première génération de médecins « numéruclausés », les étudiants de 1971, ceux qui ont expérimenté le numerus clausus, prennent leur retraite en ce moment. L’arrivée de médecins étrangers n’a pas atténué le malaise et le desserrement du numerus clausus en 1999 a été trop tardif.
Deuxième élément : la formation. Il y a eu, au fil des décennies, un changement notable de la formation des médecins. Avant, on disait d’un généraliste qu’il était un omnipraticien. On lui apprenait à faire plein de choses en plus de la médecine généraliste : de la petite chirurgie, de la pédiatrie, de la gynécologie, de l’obstétrique, de l’ORL, etc. Tous ces actes peuvent être bien utiles en milieu rural. Et quand on sait faire parce qu’on a appris, on a moins d’angoisse ! Cette polyvalence a malheureusement disparu parce que les spécialistes voulaient se réserver certains actes et que la menace de la judiciarisation n’incitait pas les médecins à en faire plus.
Alors le médecin aux mains nues, perdu dans la campagne, c’est encore possible, mais cela a maintenant des limites.
Troisième élément responsable dénoncé par beaucoup : l’hospitalo-centrisme, soit le fait que les études médicales se déroulent principalement à l’hôpital. Or ce n’est pas à l’hôpital qu’on apprend véritablement la médecine ; ce n’est pas à l’hôpital qu’on découvre le métier de médecin. C’est sur le terrain !
Quatrième élément, et erreur fondamentale : sous prétexte que les études de médecine comprennent de la physique, de la chimie et de la biochimie, les candidats doivent avoir un profil scientifique. Or, pour être médecin, surtout médecin généraliste, il faut être non pas un matheux, mais un philosophe et un humaniste. Un médecin n’est pas un ingénieur ou un technicien. Il peut l’être, certes, mais s’il n’est que cela, il ne fait pas un très bon médecin.
Cinquième et dernier élément : force est de reconnaître que les jeunes médecins ont des objectifs de vie différents aujourd'hui, qu’ils ont une autre conception du confort de vie et de leur profession.
Associés les uns aux autres, tous ces éléments expliquent l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Alors que faire, sachant que toutes les mesures incitatives n’ont pas été probantes ou qu’elles ont été un échec, selon la Caisse nationale d’assurance maladie et le Conseil de l’ordre, d’après les déclarations qu’ont faites, au sein même de cette maison, leurs représentants ?
Il faut continuer à réformer les études médicales, le mode de sélection, la formation, les stages, la pratique du terrain, sans avoir peur de bousculer certains ordres établis et certains corporatismes ou poujadismes professionnels.
Il faut bien sûr favoriser les regroupements, les maisons médicales, inventer de nouveaux fonctionnements, sans oublier que l’ordinateur et le téléphone ne remplaceront jamais le contact direct, sauf à accepter un certain pourcentage d’accidents. Dans ce cas, nous n’avons pas la même conception de la médecine.
Permettez-moi maintenant de prononcer un « gros mot » : il faudra bien, un jour, toucher à la liberté d’installation. Nous savons que cela ne plaît pas aux syndicats médicaux, à l’Ordre, que cela ne plaît pas forcément au Gouvernement non plus, et que les lobbies sont puissants, mais il faudra y venir tôt ou tard, c’est une évidence.
Ayant une certaine expérience en tant que médecin et en tant qu’élu, j’affirme qu’il y a des constantes qui ne peuvent et qui ne doivent pas changer : la médecine n’est pas qu’une boîte à sous, elle est avant tout un service public. Le médecin généraliste a par définition un rôle de traitant, mais il a aussi, dans ses gènes, un rôle social, qu’il soit médecin à Paris ou toubib en rase campagne. C’est bien parce qu’il y a enchevêtrement du rôle, des images et des fonctions que des petites communes sont un peu perdues quand elles n’ont plus de médecin.
Les solutions ne seront jamais exclusivement financières. Elles seront un peu éducatives, un peu philosophiques, beaucoup réglementaires. C’est vrai, je l’avoue, c’est un peu compliqué pour les décideurs politiques, mais la médecine, ce n’est pas qu’un métier. Poser un diagnostic, trouver le bon traitement, c’est parfois aussi un peu compliqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons recouvre un défi immense : garantir un accès à des soins de qualité pour l’ensemble de la population, sur tout le territoire. Les enjeux sont le respect d’un droit fondamental à la santé pour tous, du principe de continuité du service public et de celui de l’égalité devant le service public de santé, sans oublier l’enjeu de la vitalité des territoires.
Le constat s’impose : les territoires ruraux manquent cruellement de médecins. Nombreux sont les habitants de milieux ruraux qui se plaignent de cette pénurie tant de médecins généralistes que de spécialistes, de délais d’attente très longs pour obtenir un rendez-vous, voire du refus de certains médecins qui ne souhaitent pas augmenter leur patientèle de les recevoir.
Ce manque d’offre de soins est lié au vieillissement des médecins qui exercent en milieu rural et de la non-installation de jeunes médecins dans ce dernier.
Le problème ne tient pas au nombre de médecins en France, puisque celui-ci est suffisant ; c’est un problème de répartition des médecins, ceux-ci jouissant du droit de libre installation et s’installant principalement en milieu urbain.
Il convient donc de s’interroger sur les freins à leur installation en milieu rural.
Ces freins sont multiples : solitude, éloignement de l’hôpital, qui demeure un lien d’échanges entre praticiens et de formation, changement de mentalité marqué par une volonté de conjuguer vie de famille et vie professionnelle - précisons qu’un médecin sur deux est une femme.
Les freins à la première installation, que ce soit en milieu urbain, périurbain ou rural, tiennent aussi à la complexité administrative et au coût de la première installation.
Je tiens en outre à souligner le problème des jeunes Français qui font leurs études à l’étranger en raison d’un numerus clausus trop restreint en France. Environ 15 000 Français partent désormais étudier à l’étranger et un quart des nouveaux médecins exerçant en France ont acquis leur diplôme à l’étranger.
Quels dispositifs pouvons-nous mettre en œuvre pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires ruraux ?
Les incitations financières existantes ne permettent pas de combler le déficit. Les maires ruraux dépensent parfois des sommes importantes pour attirer un médecin dans leur commune. Il convient de veiller à trouver le juste degré d’intervention eu égard à la libre installation des médecins et aux contraintes pesant sur les finances locales.
Nous devons garder à l’esprit que ce n’est pas au milieu rural de s’adapter à l’offre de soins ; c’est à l’offre de soins de s’adapter au milieu rural et aux besoins des populations.
Les réflexions sur ce sujet doivent conduire à des innovations en matière d’organisation des soins. Je pense notamment à de nouvelles pratiques telle la télémédecine ou médecine à distance. Il s’agit d’une solution d’avenir. Les professionnels de santé doivent prendre en compte le progrès technologique et informatique pour accomplir leurs missions. Cela permettra en outre de lutter contre l’explosion des dépenses de santé.
Sur le plan purement organisationnel, cette pratique permet à la plupart des établissements hospitaliers de remédier au problème de la désertification médicale et d’offrir ainsi aux patients la possibilité d’accéder à des soins appropriés sans avoir nécessairement besoin de se déplacer physiquement ni de patienter longuement pour être reçus par le premier praticien disponible. En effet, la maîtrise du coût et la maximisation du gain de temps constituent également des avantages directement procurés par cette nouvelle pratique.
La télémédecine a néanmoins des limites. Pour les personnes âgées ou seules, le contact physique avec le professionnel de santé est important, celui-ci jouant un véritable rôle social. De plus, les personnes âgées n’ont pas toutes accès à l’internet. Toutefois, à long terme, cette difficulté sera levée.
Une autre limite réside dans le fait que l’administration doit s’adapter. L’interopérabilité avec les différents systèmes de dossiers médicaux informatisés doit être améliorée, afin que ceux-ci puissent être associés à la télémédecine. En ce qui concerne l’assurance maladie, la tarification des actes et l’utilisation de la carte Vitale doivent être adaptées.
Enfin, la médecine repose sur quatre volets : interrogatoire, observation, palpation, auscultation. Ces deux dernières ne peuvent bien sûr être effectuées à distance. La télémédecine est un outil, mais les consultations physiques doivent toujours avoir lieu.
Les personnes doivent aussi devenir davantage actrices de leur santé. Les programmes de responsabilisation, d’éducation à la santé doivent être développés.
De nombreuses innovations pratiques ont vu le jour, se soldant tantôt par des échecs, tantôt par des succès prometteurs. Je pense ici aux nouvelles formes d’installation telles que le bus mobile, dans lequel un médecin donne des consultations, ou la mise en circulation de véhicules équipés de matériel médical.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 avait créé les maisons de santé. Les résultats sont bons : les maisons de santé se développent et fonctionnent bien. Les maisons pluridisciplinaires ou centres de santé municipaux sont nombreux.
Pour inciter les étudiants à envisager de travailler en zones déficitaires, peut-être faudrait-il davantage de mise en réseaux, pour faire le lien entre le professionnel déjà installé et les futurs praticiens, les clichés sur le milieu rural étant nombreux.
Les Français vivent de plus en plus vieux, les besoins ne diminuent pas ; nous devons donc promouvoir toute nouvelle idée pratique allant dans le sens d’une amélioration de l’offre de soins dans les territoires ruraux. (Mme Françoise Gatel applaudit.)