M. le président. Monsieur Longeot, l'amendement n° 1 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Jean-François Longeot. Au regard des explications qui m’ont été fournies, à la fois par M. le ministre et par M. le rapporteur – j’ai bien compris ses propos sur l’important effet de seuil des élus –, je retire l’amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi modifiant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour permettre, à titre exceptionnel, de différer d’un an la création d’une nouvelle intercommunalité.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 200 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 203 |
Contre | 119 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour cinq minutes. Il va de soi que cette interruption sera décomptée des quatre heures allouées au groupe du RDSE cet après-midi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Candidature à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l'évaluation interne
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe écologiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.
Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
5
l'offre de soins dans les territoires ruraux
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux, organisé à la demande du groupe du RDSE.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps imparti au groupe du RDSE est fixé à quatre heures. Compte tenu de la précédente interruption de séance, je serai dans l’obligation d’interrompre ce débat à dix-huit heures quarante. Je demande donc à tous les orateurs de respecter strictement leur temps de parole afin que Mme la secrétaire d'État dispose d’un temps de réponse correct.
La parole est à M. Raymond Vall, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Raymond Vall, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux, proposé par notre groupe, traite un sujet qui préoccupe aujourd’hui tous les Français, puisque tous les territoires sont progressivement concernés.
C’est pourquoi j’avais interpellé Mme la ministre de la santé dans le cadre des questions d’actualité au Gouvernement le 22 mars dernier. Sa réponse, que beaucoup ont perçue comme inadaptée, voire inacceptable, au regard de la gravité de la situation, rend ce débat plus que jamais indispensable.
Face à un constat d’échec quant à la pérennisation de l’offre de soins dans les territoires ruraux et périurbains, des décisions efficaces et réalistes doivent être prises d’urgence.
En effet, madame la secrétaire d'État, si, comme on l’entend souvent, la France n’a jamais compté autant de médecins, les inégalités territoriales n’ont jamais été aussi flagrantes.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins lui-même, dans l’édition 2015 de l’Atlas de la démographie médicale, constate que 83 % des départements français sont concernés par une perte d’effectifs en médecine. Cette diminution du nombre de praticiens est imputable non seulement aux départs en retraite non remplacés, mais aussi à une dépréciation constatée dans les facultés de médecine pour cette spécialité, malgré l’augmentation du numerus clausus.
Certes, il y a eu des mesures concrètes.
Plus de 600 maisons de santé plurisciplinaires ont été aménagées et on en prévoit 1 000 à l’horizon 2017. Mais certaines d’entre elles manquent déjà de médecins !
Les contrats d’engagement de service public et les contrats de praticien territorial de médecine générale montent en puissance. Mais, de l’aveu même du ministère, ces dispositifs nécessitent des améliorations pour être plus efficaces.
Malgré les différentes mesures des pactes territoire-santé, le bilan n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, la France compte aujourd’hui 192 déserts médicaux qui concernent 2,5 millions d’habitants ; 26,4 % des médecins inscrits au tableau de l’ordre ont plus de 60 ans et ce sont donc près de 52 000 praticiens qui souhaiteront prendre leur retraite dans moins de cinq ans.
Or le resserrement du numerus clausus dans les années quatre-vingt-dix provoquera une diminution de près de 10 % du nombre de médecins entre 2010 et 2020. Par ailleurs, 25 % des diplômés n’exercent jamais la médecine. Enfin, il n’y a pas toujours de cohérence entre le numerus clausus et le nombre de postes proposés à l’internat. Celui-ci est défini par la capacité d’accueil des centres hospitaliers et non par rapport aux besoins des territoires.
Comment peut-on imaginer attirer des médecins en milieu rural ou périurbain, alors que, durant toute la durée de leurs études, peu de rencontres sont organisées hors du milieu hospitalier pour leur permettre de découvrir les conditions d’exercice de la médecine générale dans ces territoires ?
Madame la secrétaire d'État, les élus sont désarmés et même désespérés. Ils ont tout essayé. Je n’énumérerai pas ici tout ce que les élus locaux sont obligés de faire. Quand on veut monter une maison médicale, c'est deux à trois ans, voire cinq ans, de travail !
Les élus locaux en sont arrivés à financer des loyers à des prix très modérés, à salarier des médecins et à essayer de trouver, s’il le faut, un emploi pour le conjoint du médecin. La réalité est difficile pour eux. Peuvent-ils faire plus ? Certainement pas ! Encore une fois, ils sont désespérés et il faut absolument que nous prenions des décisions, car il y a urgence. À cela s’ajoute le fait que vont rapidement être mis en place les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, ce qui inquiète également les élus.
L’Association des maires de France est allée voir récemment Mme la ministre de la santé. Dans son communiqué du 29 mars 2016, elle a souhaité rassurer les élus en indiquant qu’ils seront dorénavant associés à cette démarche, alors qu’elle a pratiquement cessé dans la plupart des territoires.
Bien sûr, il n’est pas question de remettre en cause les GHT, dont chacun reconnaît l’intérêt en termes de mutualisation et de maîtrise des dépenses. Mais tels qu’ils sont définis et présentés dans le texte actuel, les GHT concentreront le pouvoir de décision au niveau du directeur de l’établissement pivot, plaçant pratiquement sous tutelle les centres hospitaliers locaux. L’avis du comité stratégique auquel participeront les élus n’est que consultatif. Il s’agit là d’une centralisation administrative sans précédent que les associations nationales d’élus – Assemblée des communautés de France, Association des maires ruraux de France, Association des petites villes de France, Association nationale des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des pays – dénoncent dans un manifeste du 2 avril 2016. J’espère que nous pourrons rediscuter de la rédaction du décret d’application. Les élus demandent que les hôpitaux locaux de proximité soient considérés comme des établissements « partenaires », et non comme des établissements sous tutelle.
Si cet équilibre de partenariat n’est pas rétabli, l’Association nationale des centres hospitaliers locaux prévoit la disparition de 300 hôpitaux de proximité sur les 1 300 existants dans les trois ans, ce qui est en totale contradiction avec l’objectif de la ministre rappelé dans son dernier communiqué : « Tous les établissements, quels que soient leur taille et leur positionnement dans l’offre de soins, joueront un rôle majeur dans les GHT […] et [participent] donc à l’égalité d’accès aux soins au cœur des territoires. »
Madame la secrétaire d'État, vous en conviendrez, la situation est intenable, et nous avons perdu suffisamment de temps.
Depuis 2009, tous les rapports concluent à la nécessité d’engager des réformes de fond.
Je vous renvoie aux propositions formulées dans le rapport d’information de notre collègue Hervé Maurey, intitulé Déserts médicaux : agir vraiment, que nous sommes nombreux à soutenir, ainsi qu’à celles du Conseil national de l’Ordre des médecins dans son livre blanc Pour l’avenir de la santé.
Il est nécessaire de réformer fondamentalement les études de médecine en favorisant au plus tôt la connaissance et la pratique de plusieurs modes d’exercices médicaux par les étudiants. J’en discutais aujourd'hui avec le vice-président de l’ordre des médecins : il est tout à fait d’accord pour reconnaître que la formation des jeunes médecins se fait surtout en milieu hospitalier fermé et qu’ils n’ont que peu d’occasions, voire aucune, d’aller sur le terrain voir comment s’exerce la médecine en milieu rural ou périurbain.
Il faut également renforcer les obligations de stage par une diversification des modes de pratiques et une période d’une durée revalorisée en cabinet de ville.
Enfin, une régionalisation des épreuves classantes nationales et l’ouverture de postes d’internes en adéquation avec les particularités de la région en termes de démographie médicale sont indispensables pour répondre précisément aux besoins des territoires.
Ce sont des mesures de moyen et de long terme. Dans l’attente des effets que produiront ces mesures, je vous demande une décision d’urgence : il faut définir une durée pendant laquelle il sera demandé par convention aux jeunes médecins de s’installer en milieu rural.
On ne peut pas ignorer que la plupart des acteurs de santé, qu’il s’agisse des pharmaciens, des infirmiers, des kinésithérapeutes, des sages-femmes, des chirurgiens-dentistes et des orthophonistes, en sont arrivés là plus ou moins rapidement. Aujourd'hui, le conventionnement existe pour tous ces acteurs.
Je ne parle évidemment pas seulement des médecins généralistes. On connaît, dans ces territoires ruraux comme ailleurs, la problématique des spécialistes. Il faut attendre entre trois et douze mois pour avoir un rendez-vous avec un orthophoniste, et il y a, en plus, de grandes différences de tarifs.
C'est la raison pour laquelle il est aujourd’hui nécessaire, pour accompagner la reconquête des territoires ruraux, que nous allions jusqu’à la suppression des aides financières, quelles qu’elles soient, lorsque les médecins s’installent dans des territoires surdotés. Là aussi, il y a un problème. On peut trouver dans des territoires surdotés des médecins exonérés de cotisations URSSAF ! Par conséquent, il est temps de recentrer tous nos efforts, et ce dans les meilleurs délais, sur la problématique de la ruralité et du périurbain, d’autant que celle-ci commence même à s’étendre aux petites villes.
Ensuite, comme je l’expliquais, il faut s’assurer que la mise en place des groupements hospitaliers de territoire n’aggrave pas le problème d’accueil des jeunes médecins. En effet, la première interrogation de ces derniers lorsqu’on les rencontre porte non seulement sur la présence d’une maison de santé, mais encore sur l’existence d’un hôpital rural de proximité, qui leur permet de maintenir un rapport avec le patient. La politique ambulatoire trouve, là aussi, une concrétisation : l’existence d’un lien entre le médecin, le patient et la famille. Ce lien est assuré par l’hôpital de proximité, que la ministre a affirmé plusieurs fois vouloir pérenniser.
Madame la secrétaire d’État, je vous demande avec solennité de mesurer la gravité de la situation et de répondre à la détresse et à l’injustice que subissent nos concitoyens quand leur pays ne leur garantit plus l’égalité d’accès aux soins.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France n’a jamais eu autant de médecins et, pourtant, leur présence sur le territoire est très inégalement répartie. Contrairement aux idées reçues, si les territoires ruraux isolés sont particulièrement touchés, des villes moyennes et des métropoles sont également concernées.
Le vieillissement des praticiens et la difficulté à trouver des remplaçants expliquent en partie ce phénomène de désertification médicale, d’autant que, chaque année, 25 % des médecins diplômés de la faculté française décident de ne pas s’inscrire à l’ordre pour exercer d’autres professions. Il est évident que les jeunes médecins qui ont fait huit ans d’études hésitent à venir s’installer dans les zones rurales où le bureau de poste, l’école et les petits commerces ont bien souvent disparu.
À la fois confident, assistant social, soignant aussi bien de l’âme que du corps, le médecin de campagne, comme en témoigne le film de Thomas Lilti sorti sur les écrans il y a deux semaines, est malheureusement une espèce en voie de disparition, tout comme les maternités de proximité, dont nous avons débattu l’année dernière. La fermeture de ces structures obligera ainsi les femmes à parcourir jusqu’à une heure de route pour aller accoucher, ce qui aggravera les inégalités territoriales du point de vue de l’accès aux soins et pourra mettre en danger la sécurité des mères et des nouveau-nés.
Maintenir une offre de soins satisfaisante sur l’ensemble de notre territoire est une impérieuse nécessité ; un retour en arrière dans ce domaine ne serait ni compréhensible ni acceptable. De nombreuses initiatives locales, pour le moins originales, tentent de remédier à la pénurie de médecins : l’opération « SOS Villages », la plateforme d’offres d’emploi de médecin trocundoc.com, l’organisation de généralistes datings ou encore l’Instal’box, qui propose aux professionnels de santé de passer deux jours tous frais payés et en famille dans un département, pour découvrir un lieu où ils pourraient exercer.
Si ces initiatives locales prêtent à sourire, elles reflètent aussi une situation dramatique pour bon nombre de nos communes rurales, qui souffrent de la pénurie de médecins.
Je sais, madame la secrétaire d’État, que la lutte contre la désertification médicale est l’une des préoccupations du Gouvernement. J’en veux pour preuve les résultats du pacte territoire-santé lancé fin 2012, qui vise à améliorer l’accès aux soins de proximité, à réduire les inégalités entre les territoires et à lutter contre les déserts médicaux. Ce dispositif a permis l’installation de plus de 500 professionnels dans des territoires manquant de médecins.
En outre, je sais que le pacte territoire-santé 2 prévoit l’installation, d’ici à 2017, de 1 000 généralistes et spécialistes. Ce pacte contient de nouvelles mesures pour « que chaque Français puisse se faire soigner facilement près de chez lui partout sur le territoire ». Cela se traduira notamment par une augmentation du numerus clausus dans dix régions manquant de médecins et le développement de la télémédecine. Ces mesures vont certes dans le bon sens, mais suffiront-elles à lutter contre les déserts médicaux ?
Évoquons également la mise en place des maisons de santé pluridisciplinaires, dispositif qui participe pleinement à la diversité de l’offre de soins dans nos territoires ruraux. La médecine libérale évolue et le développement de ces structures est en effet indispensable pour attirer les jeunes médecins qui hésitent de plus en plus à travailler de manière isolée. La mutualisation des ressources médicales leur offre un certain confort de travail et leur permet d’assurer un meilleur suivi des patients.
De la même façon, si nous nous réjouissons de la création, par la loi de modernisation de notre système de santé, des groupements hospitaliers de territoire, nous nous inquiétons de la trop faible place laissée aux élus locaux dans leur gouvernance, lesquels ont, je le rappelle, une connaissance très précise de leur territoire et de ses besoins en santé.
Notre collègue Raymond Vall l’a parfaitement démontré : l’offre de soins dans nos territoires ruraux soulève de fortes inquiétudes et nous impose de mettre en place une véritable réforme, plus contraignante. Les pistes qu’il a évoquées et que préconise le Conseil national de l’Ordre des médecins sont particulièrement intéressantes et mériteraient que l’on s’y attarde pour améliorer notre système de santé, aujourd’hui en grande souffrance.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Les questions relatives aux soins occupent une place majeure dans les préoccupations de nos concitoyens et elles constituent un enjeu central du lien social dans les territoires ruraux français. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, abordera dans quelques instants le fond du problème, à savoir la reconnaissance du métier et la nécessité que l’on connaisse, dans notre pays, le coût réel de la santé.
Pour ma part, je souhaite insister aujourd’hui sur un problème bien concret affectant les soins en milieu rural de montagne et soulignant les inégalités croissantes d’accès à la santé.
Madame la secrétaire d’État, je vous ai déjà sollicitée à ce sujet par voie postale, ainsi que, le 4 février dernier, au travers d’une question orale sans débat, mais, à ce jour, je n’ai toujours pas reçu de réponse de votre part. Aussi, je souhaite à nouveau vous alerter, ainsi que mes collègues ici présents, sur un sujet qui peut concerner d’autres départements de montage. En effet, avoir un débat sur l’offre de soins, c’est bien, mais répondre aux inquiétudes des professionnels de santé qui interviennent chaque jour dans ces zones, c’est encore mieux.
La caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère a annoncé voilà quelques mois sa décision de ne plus prendre en charge, pour les professionnels de santé installés en plaine, les indemnités kilométriques des trajets de montagne au tarif applicable à cette zone, et ce même si le domicile du patient se situe, lui, en zone de montagne. Cela conduit à une différence de 15 centimes par kilomètre parcouru pour administrer des soins à domicile en zone montagneuse.
Cette modification de la prise en charge kilométrique va largement affecter les professionnels de santé du département de l’Isère et elle soulève de nombreuses interrogations au sein des professions concernées, infirmières et soignants à domicile.
Alors que l’ensemble des élus locaux et nationaux et l’État, que vous représentez, madame la secrétaire d’État, appellent à l’adéquation de l’aménagement du territoire aux besoins des populations, il semble aujourd’hui nécessaire de prendre en compte la réalité du quotidien des professionnels pour démontrer la nécessité de moyens destinés à assurer l’égal accès aux soins. Or cette décision de la CPAM, qui se fonde sur l’article 13 de la nomenclature générale des actes professionnels, laquelle fait d’ailleurs l’objet d’interprétations variables entre départements – cela pose problème –, met en péril les soins à domicile dans ces zones souvent difficiles d’accès.
À titre d’exemple – j’ai moi-même rencontré des professionnels de santé –, pour un trajet de 4 kilomètres dans une zone auparavant concernée par la tarification applicable à la montagne, le changement d’indemnité et d’abattement kilométriques entraîne une diminution des indemnités de 1,90 euro par aller-retour, soit 1 387 euros par an pour un soin quotidien.
Alors que les trajets en montagne s’avèrent plus longs et plus coûteux – en raison des contraintes géographiques et de l’usure accrue des véhicules – qu’en plaine, cette modification de la prise en charge des indemnités kilométriques par la CPAM de l’Isère renforcera, dans un avenir proche, l’apparition de déserts médicaux dans ces secteurs montagneux, où, par ailleurs, la demande en soins augmente.
De même, la CPAM de Savoie a modifié les modalités de remboursement kilométrique des professionnels de santé, notamment des infirmières, sur la base d’une nouvelle interprétation du calcul des indemnités, bien qu’aucune loi n’ait modifié les textes en vigueur.
Tout cela m’inquiète ; c’est source de déstabilisation pour l’offre de soins en milieu rural montagnard. Les décisions prises par les différentes CPAM dans ces zones montagneuses menacent directement l’offre médicale dans ces secteurs ; c’est dramatique et nous ne pouvons pas l’accepter. C’est pourquoi il me paraît important, madame la secrétaire d’État, que des mesures concrètes soient prises rapidement pour mettre en cohérence les actes avec le discours s’opposant à l’émergence de déserts médicaux.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe UDI-UC.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les difficultés liées à l’accès aux soins dans les territoires ruraux, mais aussi dans certaines villes petites ou moyennes, sont inquiétantes, d’une part, parce que c’est une réalité pour des millions de Français et, d’autre part, parce que le phénomène ne fait que s’accroître.
Aujourd’hui, on recense en métropole 192 déserts médicaux, dans lesquels vivent 2,5 millions de personnes. Ce constat est d’autant plus inquiétant que la France n’a jamais compté autant de médecins généralistes : ils sont à peu près 200 000, soit environ 1 pour 300 habitants.
Toutefois, s’il n’y a jamais eu autant de médecins, ils n’ont jamais été aussi mal répartis sur le territoire. En outre, l’existence de ces zones sous-médicalisées a des effets cumulatifs : les autres professionnels de santé – pharmaciens, kinés et autres – disparaissent avec le médecin, créant ainsi de véritables déserts médicaux.
Les territoires ruraux, disais-je, ne sont pas les seuls touchés puisque, selon une étude de l’Association des petites villes de France, les habitants de petites villes se trouvent parfois à 30 minutes de transport d’un médecin généraliste.
Les écarts de densité varient d’un département à l’autre, dans un rapport de un à quatre, mais également d’une spécialité à l’autre. Ainsi, l’oto-rhino-laryngologie, la dermatologie et la rhumatologie sont les spécialités les plus touchées, avec une conséquence directe sur les délais d’attente d’une consultation. Les chiffres sont éloquents : en moyenne, il faut 40 jours pour avoir un rendez-vous chez un gynécologue et 133 jours chez un ophtalmologue, délai pouvant s’allonger jusqu’à 18 mois à Châteauroux !
Comment expliquer une telle évolution ?
Tout d’abord, la population médicale est vieillissante, notamment pour les médecins généralistes. À cela s’ajoute, ensuite, l’augmentation de la population âgée, la plus demandeuse de soins de proximité, mais aussi la moins mobile.
Enfin, l’activité libérale est de moins en moins attractive, ce qui s’explique avant tout par les contraintes du métier. Ainsi, en 2012, 9,5 % des médecins dits « entrants » ont choisi d’exercer la médecine libérale tandis que 69 % de ces médecins choisissaient le salariat. Par ailleurs, 25 % de nos nouveaux médecins sont recrutés à l’étranger. L’hôpital public devient par conséquent le premier employeur de généralistes, alors même que les centres hospitaliers sont inégalement répartis sur le territoire, ce qui aggrave les disparités territoriales.
Les jeunes médecins, qui s’installent rarement dans les zones fragilisées, laissent donc sans successeur les médecins de zones sous-dotées. La jeune génération aspire, très légitimement, à d’autres conditions de travail : des horaires raisonnables et conciliables avec une vie de famille et des loisirs, et la proximité avec une ville pour permettre au conjoint de travailler.
Face à ces constats inquiétants, le Gouvernement a mis en place le pacte territoire-santé, dont l’ensemble des mesures sont incitatives. La plupart des solutions proposées ont donc pour objectif d’attirer de jeunes praticiens dans ces territoires : bourse d’études ou encore contrat de praticiens territoriaux de médecine générale.
En la matière, nous devons aussi souligner le volontarisme des élus locaux, mes collègues l’ont déjà fait. En ce sens, la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires représente sans aucun doute une solution puisque les pratiques des médecins ont fortement évolué vers le travail en groupe. Ces maisons sont instituées en concertation avec les collectivités territoriales, qui les financent largement, et se développent avant tout à l’échelon communal ou intercommunal.
Toutefois, elles nécessitent avant tout une forte implication des professionnels de santé, un accompagnement renforcé de l’agence régionale de santé, l’ARS, mais aussi le soutien financier de l’État, car elles ne peuvent être qu’un projet immobilier.
Pourtant, force est de constater que l’effet de ces dispositions est trop limité. Compte tenu de la gravité de la situation, il faut accélérer le déploiement de la télémédecine et de la délégation de soins. En réalité, il convient de donner aux différents acteurs politiques – les collectivités territoriales et l’État, via les agences régionales de santé – les outils et les moyens suffisants pour trouver une solution adaptée à chaque territoire.
Mon collègue Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a rappelé avec force, lors des débats sur la loi de santé, combien il est vain de penser que l’incitation suffira à amener les médecins dans les zones démédicalisées. Le conventionnement sélectif, mis en place pour les infirmières libérales en 2008, est un outil qui a démontré son efficacité, le nombre d’installations dans les zones sous-dotées ayant augmenté de plus de 30 %.
À cet égard, il convient d’évoquer la proposition de mon collègue Jean-François Longeot, rapporteur pour avis au nom de la commission de l’aménagement du territoire sur la loi de santé, d’appliquer la règle « une entrée pour un départ ». Il s’agit non pas de contraindre les médecins ni de leur interdire de s’installer où ils le souhaitent, y compris en zone surdotée, mais simplement de contenir l’hémorragie en conditionnant le conventionnement d’un nouveau médecin en zone surdotée au départ à la retraite ou au déménagement d’un médecin installé.
Après la régulation de l’installation de médecins, il faut aussi évoquer la nécessaire professionnalisation des études de médecine, avec la systématisation d’une immersion précoce dans l’environnement professionnel. Il s’agirait d’instaurer un stage d’initiation à la médecine générale dès la seconde année de formation. L’initiative prise en ce sens en Aveyron a ainsi permis d’attirer 35 médecins, dont 20 généralistes.
Néanmoins, on ne peut pas aborder les politiques de santé de proximité sans aborder aussi la question épineuse de la gouvernance. Les élus locaux, par leur parfaite connaissance de leur territoire et par leurs nombreuses initiatives en matière de santé, sont des acteurs incontournables de la politique d’accès aux soins. Nous ne prétendons pas incarner les politiques de santé ; nous voulons juste être mieux informés et plus consultés. En particulier, nous attendons de l’ARS d’être davantage associés aux processus de décision affectant directement nos territoires et d’être mieux accompagnés dans nos initiatives.
Les groupements hospitaliers de territoire prévus par la loi de santé doivent permettre une meilleure prise en charge du patient, mais aussi une plus grande égalité d’accès à des soins de qualité. Toutefois, les hôpitaux sont ancrés dans un territoire et, à ce titre, les élus locaux ne peuvent pas être écartés de leur gouvernance. Dès lors qu’ils fournissent des soins de qualité, il faut préserver les hôpitaux de proximité pour assurer le suivi de toutes les populations, notamment les plus fragiles, et pour désengorger les hôpitaux centres.
Madame la secrétaire d’État, la désertification est un constat largement partagé. Nous ne saurions donc en rester là compte tenu de ses conséquences du point de vue de la dégradation de l’état de santé de tous nos concitoyens et de la dévitalisation tant des territoires ruraux que des villes moyennes et petites. Il est urgent et impératif d’agir en rassemblant tous les acteurs de l’offre de soins pour faire évoluer un modèle devenu insuffisant. (MM. Yves Détraigne, Cyril Pellevat et Jacques Mézard applaudissent.)