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Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 2.
Article 2 (suite)
Mme la présidente. L’amendement n° 511, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 163, première phrase
Après les mots :
l’employeur peut
insérer les mots :
à la demande de certains salariés,
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. L’instauration des horaires individualisés de travail répondait à une logique simple : articuler le mieux possible les vies professionnelle et personnelle – nécessité d’arriver à son travail ou d’en partir plus tôt ou plus tard, ou encore obligation de s’absenter en journée. La création de ce dispositif suivait clairement la volonté des salariés dans un dialogue constructif avec l’employeur.
Le code du travail prévoit actuellement des garde-fous pour que ces horaires individualisés ne soient pas une option supplémentaire de modulation du temps de travail. Ainsi, l’article L. 3122-23 précise que l’instauration du dispositif répond « aux demandes de certains salariés » et exige que les comités d’entreprise ou les délégués du personnel « n’y soient pas opposés ».
Qu’en sera-t-il si le nouvel article L. 3121-46 est adopté en l’état ? L’évocation de la volonté des salariés aura disparu et l’accord préalable des comités d’entreprise ou des délégués du personnel sera transformé en un simple avis.
Quelles en seront les conséquences ?
En premier lieu, les horaires individualisés risquent de devenir un nouveau mode de modulation des heures de travail. Ainsi, un employeur pourra faire varier le temps de travail des salariés en fonction de l’activité de l’entreprise. Or cette logique ne tient pas l’épreuve du terrain, les temps morts dans les entreprises n’existant en réalité jamais, car les salariés profitent des baisses d’activité de la production pour faire ce qu’ils n’ont pas le temps de faire d’habitude, notamment de la maintenance.
En second lieu, cette réforme affaiblit doublement les organisations représentatives des salariés, d’une part, parce que l’individualisation à outrance des horaires de travail empêche de fait l’organisation collective des travailleurs et, d’autre part, parce qu’elle prive les salariés élus d’un droit de veto sur une mesure ayant des conséquences sociales tangibles pour l’ensemble des salariés.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement.
Mme la présidente. Les amendements nos 345 et 886 rectifié sont identiques.
L’amendement n° 345 est présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 886 rectifié est présenté par MM. Collombat, Amiel, Bertrand et Guérini et Mmes Jouve et Malherbe.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 163, première phrase
Après le mot :
avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l’amendement n° 345.
M. Yves Daudigny. La mise en place d’horaires individualisés correspond souvent à un souhait des salariés de disposer d’une plus grande commodité de gestion de leur temps personnel et familial.
On peut d’ailleurs le noter, la répartition des tâches au sein de la famille demeurant telle que nous la connaissons, ce sont les femmes qui acceptent ou demandent le plus souvent cet aménagement, pour des raisons de commodité personnelle et familiale.
Toutefois, il convient de maintenir une protection des salariés, qui ne mesurent pas toujours que ce dispositif va entraîner la disparition des heures supplémentaires et donc des majorations de salaire correspondantes.
C’est pourquoi nous demandons le rétablissement de l’avis conforme du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. À défaut, l’inspection du travail serait habilitée à autoriser la mise en place d’horaires individualisés.
Mme la présidente. L’amendement n° 886 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 512, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 173
Remplacer les mots :
collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche
par les mots :
de branche ou, à défaut, par un accord d’entreprise ou d’établissement
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. La question du report des heures en horaire individualisé ou des heures perdues – fausse apparence de liberté de choix du salarié – se pose avec un intérêt particulier dans un secteur comme celui du bâtiment.
Plus de 86 % des entreprises de cette branche comptent moins de 20 salariés, une grande part des entreprises de moins de 10 salariés étant dans le périmètre de la branche. Une proportion de 10,5 % des entreprises compte de 20 à 49 salariés et donc 2,5 % seulement des entreprises du secteur dépassent le seuil de création obligatoire d’un comité d’entreprise. Plus de 45 % des salariés du secteur travaillent dans de petites entreprises et seulement 16 % d’entre eux travaillent dans des entreprises de 100 salariés et plus.
Ainsi, on voit clairement le danger qui existe à accorder la priorité à l’accord d’entreprise dans un tel tissu économique : a priori, peu de place pour le dialogue social et le risque de voir se développer des accords dérogatoires dans un peu moins de 6 000 entreprises employant un peu moins de 60 000 personnes. Dans un univers comme celui du bâtiment, largement marqué par la sous-traitance et par le travail détaché ou intérimaire, cela peut être particulièrement préjudiciable aux 200 000 salariés des très petites entreprises, les TPE.
Par ailleurs, rappelons que la profession prévoit notamment l’application d’horaires individualisés pour le personnel sédentaire des ateliers, une activité incombant en particulier aux salariés reconnus handicapés, directement visés par cette discussion. Là encore, la course à l’échalote de l’accord le moins favorable en matière d’horaires individualisés constituera un obstacle à l’emploi de ces travailleurs, qui peuvent être nombreux.
Pour les autres, cela entraînera l’allongement de la durée du travail sans la garantie de contreparties fiables et incontestables, soit tout le contraire de ce dont notre pays a besoin.
Mme la présidente. L’amendement n° 513, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 179 à 231
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer le dispositif relatif aux conventions de forfaits.
Aujourd’hui, la durée hebdomadaire de travail d’un salarié travaillant au forfait jours peut atteindre 78 heures par semaine, durée qui ne peut être qualifiée de « raisonnable », pour reprendre les mots du Comité européen des droits sociaux. Ce comité a en outre jugé que la procédure de négociation et le contenu des accords de mise en place de ce forfait n’offrent pas de garanties suffisantes.
Cela n’a pas empêché le Gouvernement et, surtout, la commission des affaires sociales de faciliter le recours à ce dispositif en autorisant les entreprises de moins de 50 salariés à signer des conventions de forfait en heures ou en jours en l’absence d’accord collectif, tout en ouvrant la possibilité de fractionner le repos quotidien de ces salariés.
Encore une fois, il s’agit d’encourager prioritairement la négociation d’entreprise, échelon où les salariés sont plus fragiles, mais aussi de l’ouvrir aux entreprises dont on sait qu’elles n’auront pas les moyens d’assurer le suivi de la charge de travail des cadres.
L’objectif est de mettre en place les conditions permettant d’avoir des salariés corvéables à merci – c’est ce qui est le plus sournois dans ce dispositif –, y compris dans les entreprises de moins de 50 salariés. En effet, ces conventions de forfait permettent, via la réduction des effectifs d’encadrement dans l’entreprise, de faire peser l’obligation de résultat non plus sur le collectif que constitue l’entreprise, mais sur chaque salarié individuellement.
Or, quand on fixe des objectifs de plus en plus élevés à des salariés qui n’ont aucune prise sur les processus dont dépend leur « productivité », on a de fortes chances d’aboutir à des impasses. En effet, selon de nombreuses enquêtes sur le mal-être au travail, voire sur le suicide, c’est l’incapacité des manageurs d’évaluer la charge de travail de leurs subordonnés qui est précisément pointée par les juges.
En outre, en permettant en toute légalité de faire travailler les salariés 50 heures, 60 heures ou 78 heures par semaine, des centaines de milliers d’embauches sont ainsi « économisées » par les entreprises.
Enfin, avec le forfait jours, l’employeur ne payant pas les heures supplémentaires réellement travaillées, ce sont des milliards d’euros de cotisations sociales qui ne sont pas acquittés.
Tel est le sens de notre amendement de suppression.
Mme la présidente. L’amendement n° 839, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 187
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 3121-… – La mise en œuvre d’une convention individuelle de forfait en heures sur l’année requiert l’accord des inspecteurs du travail qui examinent la demande en prenant compte la situation du marché local de l’emploi, le bien-fondé des motifs qui ont conduit l’employeur à formuler à son salarié cette proposition de convention individuelle de forfaits en heure et les conséquences qui pourraient avoir une telle organisation sur la santé du salarié.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Les dispositions d’ordre public prévues par l’alinéa 187 de l’article 2 en ce qui concerne les conventions individuelles de forfaits en heures marquent un recul important par rapport au droit existant.
Il faut noter par ailleurs que la limitation à 218 jours par an de la convention a disparu des dispositions d’ordre public.
L’arbitraire du chef d’entreprise devient donc assez évident, comme l’indique la lecture de l’article L. 3121-58 créé par l’article 2, qui dispose que « l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail » – plusieurs de mes collègues ont d’ailleurs demandé ce que signifie « raisonnable ».
Ne perdons jamais de vue la philosophie de votre texte, madame la ministre. Le fait de renvoyer à la négociation collective un tel chapitre du droit du travail permettra, avec l’inversion de la hiérarchie des normes que vous prônez, d’établir des accords défavorables aux salariés par rapport aux accords de branche ou aux conventions collectives.
Avec notre amendement, nous proposons d’inverser la donne en exigeant l’accord de l’inspection du travail pour la mise en œuvre d’une convention individuelle de forfait en heures. Les inspecteurs du travail devront examiner la demande en prenant compte la situation du marché local de l’emploi et le bien-fondé des motifs qui ont conduit l’employeur à faire cette proposition à son salarié.
J’insiste sur le dernier point de notre amendement. L’inspection du travail devra examiner les conséquences possibles de cette convention sur la santé du salarié. Nous savons bien que cette préoccupation est forcément déterminante dans les choix patronaux, d’autant plus que la médecine du travail éprouve de plus en plus de difficultés à prendre en charge cette question, en raison du manque criant de moyens dans ce secteur de la santé pourtant essentiel pour les salariés.
Mme la présidente. L’amendement n° 840, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 187
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 3121-53-1. – Un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, en présence d’un médecin du travail avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, les conséquences de cette application sur l’état de santé général du salarié, ainsi que l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Avant toute chose, il faut rappeler, madame la ministre, que le forfait en jours a été profondément réformé et simplifié par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
Pour le dire rapidement, M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, avait considérablement déréglementé leur usage et les dispositions d’ordre public qui prévalaient auparavant ont diminué au fil des années. Ainsi, le statut des salariés est précarisé et la soumission aux exigences de l’employeur, notamment en matière de temps de travail, est renforcée.
Or votre projet de loi, madame la ministre, porte par ailleurs de graves coups à la médecine du travail. En effet, ce texte instaure le tri des salariés à suivre sur le plan médical. Tel serait le « progrès social » auquel vous voulez nous faire croire…
Comme le demande justement le syndicat Force ouvrière, qui participe, je vous le rappelle, à l’action aux côtés de la CGT, de la FSU, de Solidaires et d’un grand nombre d’organisations de jeunesse, le sigle « MT » signifiera-t-il demain « médecin trieur » et non plus « médecin du travail » ? Bref, la médecine du travail concernera-t-elle avant tout les seuls travailleurs à risques ?
En fait, votre texte va profondément réduire la fonction préventive de la médecine du travail au profit d’une médecine sécuritaire de sélection, de tri et de contrôle de la santé des seuls travailleurs à risques.
Cette question, dans le cadre de l’examen des dispositions relatives aux conventions de forfait, est essentielle. En effet, ces salariés sont particulièrement exposés et la médecine du travail doit les accompagner, au moyen, notamment, d’un entretien annuel avec un médecin du travail. Cette exigence est valable pour tous les salariés ; elle l’est encore plus pour cette catégorie.
Notre amendement est donc un amendement de justice, c’est pourquoi je vous demande de l’adopter.
Mme la présidente. L’amendement n° 514, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 188 à 244
Remplacer ces alinéas par quinze alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 3121-54. – Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année les cadres qui cumulativement :
« 1° Disposent d’une réelle autonomie de décision dans l’organisation de leur emploi du temps ;
« 2° Dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
« 3° Dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée.
« Art. L. 3121-55. – La convention de forfait en jours prévue à l’article L. 3121-39 détermine le nombre de jours travaillés par an, dans la limite de deux cent dix-huit jours, ainsi que la durée annuelle prévisionnelle en heure à partir de laquelle le forfait est établi. Le taux de majoration applicable à la rémunération des heures supplémentaires, c’est-à-dire des heures effectuées au-delà du nombre d’heures prévisionnel et dans la limite des deux cent dix-huit jours, ne peut être inférieur à 25 %.
« La durée quotidienne maximale de travail des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne peut excéder dix heures. Cette durée maximale de travail est susceptible de dérogations ponctuelles dans des conditions fixées par convention ou accord de branche, ou, à défaut, par accord d’entreprise ou d’établissement. Ces dérogations ne peuvent pas conduire à méconnaître le temps de repos quotidien minimal prévu à l’article L. 3131-1.
« La durée hebdomadaire maximale de travail des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne peut excéder quarante-huit heures. Cette durée maximale de travail est susceptible de dérogations ponctuelles dans les conditions décrites par convention ou accord de branche, ou, à défaut, par accord d’entreprise ou d’établissement. Ces dérogations ne peuvent pas conduire le salarié à travailler plus de 60 heures hebdomadaires.
« Les organisations liées par une convention de forfait en jours ouvrent des négociations sur ce thème dans les six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s. Elles disposent d’un an pour conformer les conventions et accords à ces nouvelles dispositions.
« Art. L. 3121-56. – Un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.
« Le suivi du temps et de la charge de travail du salarié en forfait en jours, organisé conformément aux accords collectifs prévus à l’article L. 3121-39, est placé sous la responsabilité de l’employeur.
« Le salarié déclare chaque semaine à son employeur sa durée de travail hebdomadaire. En cas de dépassement récurrent des durées maximales de travail prévues à l’article L. 3121-55, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces durées. »
« Art. L. 3121-57. – En cas de dépassement récurrent des durées maximales de travail prévues à l’article L. 3121-55, un salarié, un délégué du personnel, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le comité d’entreprise ou le comité central d’entreprise peuvent alerter l’employeur.
« L’employeur informe le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de chaque alerte. Lorsqu’au moins deux alertes sont déclenchées sur les douze derniers mois, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, à défaut, le comité d’entreprise, peut recourir à un expert.
« Lors de chaque alerte l’employeur procède sans délai à une enquête avec l’institution qui l’a déclenché et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. Si c’est un salarié qui a déclenché l’alerte, l’enquête est menée avec le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, à défaut, les délégués du personnel.
« En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou l’institution qui a déclenché l’alerte ou mené l’enquête, si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la forme des référés.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. La Cour de cassation a récemment invalidé plus de dix conventions de forfait cadres, soit au motif du manque d’autonomie réelle des salariés concernés par ces forfaits, soit pour cause de non-respect des durées maximales de travail, c’est-à-dire pour des raisons de respect de la santé des salariés.
Pour ces mêmes motifs, la France a été condamnée à de multiples reprises par le Comité européen des droits sociaux pour non-conformité du dispositif de forfait jours avec la Charte sociale européenne.
En effet, s’il signifiait, au départ, indépendance et autonomie pour les cadres et certains salariés, qui n’avaient ainsi pas à justifier leurs horaires, le forfait est aujourd’hui un sacerdoce. Corvéables à merci, enchaînant des journées de travail interminables et des week-ends entrecoupés de mails professionnels, les cadres n’en peuvent plus.
Cette dérive était prévisible : ne plus encadrer les horaires est une bonne chose, mais cela devait nécessairement s’accompagner d’un encadrement de la charge de travail.
Certaines décisions de jurisprudence ont ainsi sanctionné des conventions de forfait conclues avec des directeurs marketing qui n’avaient de directeur que le nom et, surtout, qui n’avaient aucune autonomie.
Notre amendement vise à encadrer ces forfaits, de manière à mettre notre droit en conformité avec le droit européen, mais aussi et surtout avec les impératifs de protection de la santé des salariés.
Il est ainsi proposé de fixer des durées maximales de travail journalières et hebdomadaires et de suivre avec attention l’évolution de la charge de travail par un système d’alerte. En bref, il s’agit de faire respecter les dispositions d’ordre public, notamment celles du respect de la santé des travailleurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 515, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 198 et 199
Compléter ces alinéas par deux phrases ainsi rédigées :
Le cadre autonome décide librement de ses prises de rendez-vous, de ses heures d’arrivée et de sortie, de la répartition de ses tâches au sein d’une journée ou d’une semaine, de l’organisation de ses jours de repos. Il ne peut par conséquent se voir imposer des horaires précis qu’à titre exceptionnel ;
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Cet amendement de repli vise à encadrer le recours au forfait jours. En effet, alors que les 35 heures ont cherché à réduire l’emprise du travail et à améliorer les conditions de vie, les assouplissements qui ont suivi leur institution ont inversé la logique initiale.
En effet, en définitive, le recours au forfait jours a permis aux entreprises, certes, de simplifier la gestion de la durée du travail de leurs salariés, mais, surtout, d’augmenter substantiellement la durée de travail. Dès lors, nous sommes loin du discours sur la nécessité d’adapter l’aménagement du temps de travail à des salariés dits « autonomes ».
Pour être autonome dans l’organisation de son temps de travail, le salarié doit pouvoir organiser concrètement son temps en fonction des missions qui lui sont confiées.
L’éligibilité au forfait jours découle donc non pas systématiquement du degré de responsabilité du salarié ou de son expertise, mais bien de son degré de liberté dans l’exercice de ses missions. Or cette autonomie est de plus en plus souvent remise en cause et les contraintes liées à des objectifs extérieurs se sont accrues.
Pour mettre fin à des utilisations abusives de ce dispositif, la loi doit donner une définition plus précise de l’autonomie, avant de renvoyer aux partenaires sociaux des branches et des entreprises le soin de déterminer, sur la base de cette définition et au plus près de leurs besoins, les salariés pouvant entrer dans le dispositif dans leur secteur d’activité. En effet, l’autonomie dans l’organisation du travail est bien une condition préalable à la régularité d’une convention de forfait.
Les juges ont déjà eu à se prononcer sur la question : sans autonomie, la convention de forfait est nulle et le salarié a droit au paiement des heures effectuées au-delà de la durée, avec les majorations qui s’appliquent.
Mme la présidente. L’amendement n° 358 rectifié, présenté par Mme Gruny, MM. Bizet, Commeinhes, César, Cambon et Cornu, Mme Garriaud-Maylam, M. Vaspart, Mme Mélot, MM. Houel, Revet, P. Leroy et Mouiller, Mme Cayeux, M. Dallier, Mmes Deromedi, Morhet-Richaud et Primas et MM. Trillard, Lefèvre et Laménie, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 202
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’employeur a fixé des échéances et une charge de travail compatible avec le respect des repos quotidien et hebdomadaire et des congés du salarié, sa responsabilité ne peut être engagée au seul motif que le salarié n’a, de sa propre initiative, pas bénéficié de ces repos et congés.
La parole est à Mme Pascale Gruny. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Cet amendement vise à sécuriser l’employeur, en évitant que sa responsabilité puisse être engagée dans le cas de recours au forfait jours, lorsque le salarié n’a volontairement pas pris ses congés ou repos.
En effet, la situation des cadres en forfait jours qui, par définition, sont en pleine autonomie – sinon, le contrat serait requalifié – pose une difficulté : l’employeur ne peut pas imposer au salarié de prendre ses repos et ses congés. Cependant, si le salarié ne les prend pas, il encourt un risque d’accident ou un risque pour sa santé et, par là même, fait courir un risque à l’employeur.
Madame la ministre, je vous invite à étudier de plus près cette difficulté, qui n’est pas forcément simple à résoudre, mais qui est réelle dans les entreprises.
Entre autonomie et responsabilité, les choses ne sont pas évidentes. (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est un vrai sujet !
Mme la présidente. L’amendement n° 516, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 210
Remplacer les mots :
collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche
par les mots :
de branche ou, à défaut, un accord d’entreprise ou d’établissement
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Le dispositif dérogatoire du forfait jours n’est pas nouveau. Il consiste à mesurer le temps de travail non pas en heures par semaine, mais en jours par an. Faiblement encadré sur le plan législatif, il engendre de très fortes contraintes sur les salariés.
Bon nombre des conventions collectives ont été invalidées par la Cour de cassation au motif qu’elles ne respectaient pas le principe fondamental de garantie de la santé et de la sécurité des travailleurs.
Si, demain, chaque entreprise peut conclure des conventions de forfait jours sans passer par un accord collectif, la Cour de cassation ne pourra plus réaliser son contrôle du respect de la santé et de la sécurité des travailleurs. C’est peut-être d’ailleurs ce qui est visé dans l’histoire ! Avec cette disposition, chers collègues, vous prenez un risque juridique, mais surtout un risque pour la santé et la sécurité des salariés.
EDF, par exemple, a conclu, le 22 février 2016, un nouvel accord de forfait jours pour les cadres. Cet accord prévoit que les cadres volontaires qui opteront pour le forfait jours devront travailler sept à seize jours supplémentaires et qu’ils percevront, en contrepartie, une prime variant entre 7,5 % et 10 % du salaire annuel brut sur douze mois.
Or, à la fin du mois de septembre 2015, face à l’opposition quasi unanime des syndicats et de leurs adhérents, la direction d’EDF avait dû retirer un précédent projet sur le temps de travail, qui instaurait notamment un forfait jours pour les cadres.
L’Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT de l’énergie a estimé, pour sa part, que « les contreparties proposées par la direction restaient insuffisantes pour valider le forfait jours ». Ce projet d’accord « n’apporte ni de véritable garantie du respect des équilibres de vie ni de juste reconnaissance de l’engagement quotidien des cadres. Il porte finalement en lui les germes de nouvelles discriminations entre les salariés d’EDF ». Cet accord va reconnaître une petite partie du travail gratuit produit actuellement par les cadres d’EDF sous forme de prime.
En revanche, il reste plusieurs points noirs à ce jour. Outre le manque de valorisation du travail extra-horaire de l’encadrement et la perte des jours de disponibilité, le plus marquant reste l’absence de moyens de mesure fiables du temps de travail.
Mes chers collègues, cet exemple récent sur le forfait jours démontre clairement la nécessité de laisser les négociations au niveau de la branche plutôt qu’au niveau de l’entreprise, si l’on veut garantir aux salariés et aux cadres des conditions dignes de travail.