M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, tortueux et long est le chemin qui doit mener de l’égalité formelle, proclamée dès 1789, à l’égalité réelle, tant promise mais si difficile à atteindre. Le présent texte répond à la noble ambition de nous en rapprocher, tout au long de ses nombreux articles, démultipliés à l’envi, en bis, ter, quater…
La recherche de l’égalité des droits et la valorisation de la citoyenneté doivent sous-tendre toute politique gouvernementale, et il est encourageant que ces deux objectifs fondent le présent projet de loi.
Si l’on peut regretter que ce texte revienne sur des lois récemment adoptées ou rejetées par le Parlement, je tiens à saluer le travail de nos deux rapporteurs. Il a permis de recentrer quelque peu le texte et de lui redonner une cohérence qu’il n’avait pas ou plus.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Je déplore par ailleurs que la procédure accélérée ait été utilisée, alors que ces questions nécessitent un débat apaisé.
Ce texte comportait initialement des propositions très intéressantes. En matière de logement social, la clarification des critères prioritaires d’attribution et les nouvelles obligations en termes de mixité sociale sont bienvenues.
Sur ce point, s’il faut tenir compte de la situation locale, il n’est pas judicieux de laisser à la libre négociation, sans aucun encadrement, la fixation du taux de ménages les plus démunis à loger en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il ne faut pas exonérer d’une telle obligation les collectivités ayant la capacité de la remplir.
Pour ce qui concerne l’obligation de construire des logements sociaux prévue par la loi SRU, le texte parvient à un compromis acceptable pour tenir compte des spécificités de chaque commune et adapter le dispositif à la demande de logements.
Mes chers collègues, il n’est pas aisé de trouver l’équilibre idéal entre l’objectif de l’égal accès de tous au logement et celui de mixité sociale. Des efforts restent à accomplir ; nous y reviendrons.
En ce qui concerne la politique en faveur de la jeunesse, notre groupe se réjouit, en particulier, de la montée en puissance du service civique. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, c’est une proposition de loi du RDSE, déposée sur l’initiative d’Yvon Collin, qui a donné naissance au service civique. Le projet de loi que vous nous présentez en poursuit la construction, développant la diversification des structures d’accueil, étendant l’accès du dispositif aux étrangers et prévoyant la reconnaissance de cet engagement dans l’enseignement supérieur ou au titre des concours de la fonction publique.
Si certaines dispositions visent à accompagner les jeunes dans l’exercice de leur citoyenneté ou à encourager leur participation plus active à la vie de la cité, elles cachent parfois l’incapacité des gouvernements successifs à garantir à une jeunesse de plus en plus précarisée des conditions d’existence dignes : un toit, une éducation de qualité, un emploi.
Malgré les efforts déployés, une partie des jeunes ne s’en sort pas. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, et de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, publiée la semaine dernière, un sans-abri sur dix est diplômé de l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, je partage la volonté du Gouvernement de renforcer les contrôles sur l’instruction à domicile et les établissements privés hors contrat. Sans qu’il s’agisse pour nous d’entraver la liberté d’enseignement et la liberté pédagogique, je soutiendrai des amendements en ce sens.
À notre sens, outre le contrôle sur l’instruction dispensée aux enfants, il convient de vérifier par un contrôle médical qu’il n’y a pas, par exemple, de signes d’isolement, de désocialisation, de mauvais traitements ou d’influence sectaire. Certes, les dérives ne sont pas majoritaires, mais elles existent et doivent être combattues avec force, dans l’intérêt de l’enfant et de la défense des valeurs de la République.
Je regrette donc que nos amendements aient été frappés d’irrecevabilité financière alors que le gage a été levé sur d’autres amendements impliquant pourtant une augmentation indispensable des moyens de l’inspection… Il y a, semble-t-il, des progrès à faire s’agissant de l’application de l’article 40 de la Constitution.
En matière de lutte contre les inégalités à l’école, nous devons éviter l’écueil du nivellement par le bas, ce qui aboutirait en définitive à conforter les inégalités.
La lutte contre les inégalités doit commencer sur les bancs de l’école. Depuis quinze ans, des études nous alertent sur la panne de l’ascenseur social à l’école. C’est le plus grand défi que nous devons relever, avec celui de l’emploi.
M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde. Dans cette logique, nous devons rester vigilants. Les dispositifs proposés doivent profiter en priorité à l’école publique, plutôt qu’à l’enseignement privé, qui recueille les élèves les plus favorisés. (M. Jean-Claude Carle le conteste.)
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas vrai en Seine-Saint-Denis !
Mme Françoise Laborde. Cette tendance nous éloigne totalement de l’objectif de mixité sociale.
Mais, pour réussir, il faut d’abord convaincre. Comme l’exprimait très justement le très radical Édouard Herriot : « Une démocratie bien comprise n’est pas un régime qui maintienne artificiellement entre les hommes une égalité chimérique ; c’est un régime de libre sélection qui n’assigne d’autre limite à l’ascension sociale que les limites mêmes de l’effort et de la volonté de l’individu. »
Pour conclure, dans l’ensemble, ce texte contient des mesures positives, et d’autres plus incertaines. Mais, ce qui apparaît comme une évidence, c’est qu’il ne suffira pas à mettre un terme aux inégalités croissantes dans notre pays ; en la matière, en effet, la loi et la volonté politique ne peuvent suffire. C’est donc un travail de très long terme qui doit associer et engager l’ensemble des acteurs et, bien au-delà, des Français.
Enfin, les membres de mon groupe partagent les réserves que le Défenseur des droits a exprimées, lors de son audition au Sénat, eu égard à l’absence de mesures pour combattre les inégalités territoriales en matière de services publics.
Mes chers collègues, à cette heure, nous ignorons encore à quelle rédaction du texte aboutiront nos travaux. C'est la raison pour laquelle, fort logiquement, les membres du RDSE détermineront leur vote à l’issue des débats, le 18 octobre prochain. (Applaudissements sur les travées du RDSE. –M. Jean Desessard et Mme Frédérique Espagnac applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, ces deux dernières années ont été marquées par des événements particulièrement dramatiques, qui ont aussi montré l’ampleur des fractures sociales présentes dans notre pays et celle du sentiment d’abandon qu’éprouve une partie de la population. Exclusion sociale, marginalisation des personnes vulnérables, discrimination, non-accès aux droits : il est plus que temps de s’occuper prioritairement de remédier à ces fêlures profondes qui divisent et minent notre République.
Le texte initial du Gouvernement contenait plusieurs propositions fortes. Malheureusement, de nombreuses dispositions phares ont été supprimées par la commission spéciale du Sénat, et le texte sur lequel nous travaillons aujourd’hui n’est pas du tout à la hauteur des enjeux.
Le titre Ier du projet de loi traite de la jeunesse. Il comportait, à l’origine, de bonnes dispositions : le renforcement du service civique, des mesures pour donner plus d’autonomie et de capacité d’initiative aux jeunes, une plus grande représentation de la jeunesse dans les conseils locaux, une meilleure information des jeunes sur leurs droits.
À ce propos, nous voudrions insister sur un point : il faut, nous semble-t-il, parler de toute la jeunesse. Rappelons que, en France, selon les chiffres donnés en 2013 par le Conseil d’analyse économique, près de 2 millions de jeunes ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation ; ils sont complètement invisibles.
Le projet de loi prévoit justement de renforcer le service civique, dont le critère d’accès est non pas le niveau de compétences, mais l’engagement des jeunes. C’est une très bonne chose, mais encore faut-il avoir les moyens d’aller chercher les jeunes qui ne connaissent pas le dispositif. Actuellement, l’objectif de mixité sociale n’est pas suffisant. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que l’Agence du service civique disposera des moyens de travailler en ce sens ?
Le titre II est relatif, quant à lui, au logement social. Les écologistes sont très attachés au principe de mixité dans le logement social affirmé à l’article 20 : l’objectif de 25 % de logements sociaux attribués, dans les quartiers hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, aux 25 % des demandeurs de logement aux revenus les plus faibles est très loin d’être disproportionné ! Malheureusement, ce principe a été remplacé, dans le texte que nous examinons aujourd'hui, par une simple proposition de contractualisation par commune. Nous défendrons le retour à la version initiale.
Nous étions également favorables aux mesures complétant la loi SRU prévues à l’article 29. Là encore, le dispositif a été supprimé par la majorité sénatoriale, qui a remplacé les objectifs chiffrés par une contractualisation au cas par cas. Les communes seront simplement tenues de ne pas passer sous la barre des 15 % de logements sociaux. Selon nous, c’est là une véritable régression, au regard de l’ampleur des besoins en matière de logement social.
Par ailleurs, il nous semble important d’aborder d’autres thématiques liées au logement ; nous avons déposé des amendements en ce sens. Je pense notamment à la lutte contre l’habitat indigne, à l’hébergement d’urgence – le moins que l’on puisse dire est que ce problème se pose avec force ! –, à l’habitat mobile, à la domiciliation des sans-abri ou au logement des jeunes et des étudiants.
Enfin, le titre III du projet de loi vise à renforcer la lutte contre le racisme et les discriminations. Il a été enrichi par de bonnes dispositions à l’Assemblée nationale. Malheureusement, beaucoup ont été supprimées par la commission spéciale du Sénat. Nous déposerons un certain nombre d’amendements tendant à les rétablir.
Il nous semble important de poursuivre la mobilisation pour l’accès aux droits. Nous parlons aujourd’hui d’égalité et de citoyenneté : le citoyen a des devoirs ; il a également des droits, et la République se doit de garantir l’accès de tous à ces droits. Or, de fait, nombreux sont ceux qui n’ouvrent pas leurs droits sociaux, parce qu’ils ne les connaissent pas ou parce que, perdus dans les méandres administratifs, ils finissent par y renoncer.
Le non-recours aux droits, dont l’incidence financière a été chiffrée à près de 6 milliards d’euros en 2014, ne représente pas une économie pour les finances publiques, bien au contraire ! En effet, ses conséquences sociales et sanitaires entraînent des dépenses énormes. Nous ferons un certain nombre de propositions de simplification, afin de faciliter le recours aux droits.
Je terminerai en exprimant un souhait du groupe écologiste. Nous espérons que la discussion qui s’ouvre aujourd'hui sera pragmatique et s’appuiera sur les réalités du terrain, sans être envahie par des postures idéologiques ou par les démarches démagogiques ou populistes qui sévissent aujourd'hui dans notre pays ! Certes, nous sommes en période préélectorale, mais nous souhaitons que puisse s’affirmer au Sénat une volonté commune de renforcer et de renouveler la mobilisation pour l’égalité et la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, sur ce projet de loi, l’Assemblée nationale a adopté de très nombreux amendements, portant le nombre d’articles de 41 à 217.
Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, le texte a fait l’objet d’un examen par une commission spéciale, présidée magistralement, dans notre assemblée, par notre collègue Jean-Claude Lenoir. Je tiens à saluer le travail très important accompli par les deux rapporteurs, Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone.
Les sénateurs du groupe socialiste et républicain ont tenu à participer à l’enrichissement du texte, en déposant des amendements et, surtout, en essayant de rétablir certains des nombreux articles supprimés par la majorité sénatoriale en commission spéciale.
Sous couvert d’une prétendue volonté de simplification et de cohérence, les rapporteurs et la majorité sénatoriale ont recouru sans mesure…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Apparemment, c’est fini, les compliments !
M. Jacques-Bernard Magner. … aux irrecevabilités des articles 41 et 45 de la Constitution.
M. Didier Guillaume. Scandaleux !
M. Jacques-Bernard Magner. Ils ont ainsi écarté un très grand nombre d’amendements.
M. Didier Guillaume. Incroyable !
M. Jacques-Bernard Magner. Je ne m’explique pas que l’amendement relatif à l’utilisation des biens mal acquis devenus propriété de l’État à des fins d’intérêt public ou social ou celui visant à instaurer une information des jeunes sur la mobilité internationale aient pu être jugés irrecevables au titre de l’article 41 de la Constitution.
M. Philippe Dallier. Parce que cela relève du domaine réglementaire !
M. Didier Guillaume. Drôle de conception de la démocratie !
M. Jacques-Bernard Magner. Ces amendements, à l’instar de beaucoup d’autres que nous avions soumis à la commission spéciale, tendaient à rétablir des articles adoptés par l’Assemblée nationale. Nous ne comprenons pas qu’ils aient pu être ainsi rejetés et écartés du débat en séance publique.
M. Philippe Dallier. Faites un effort…
M. Jacques-Bernard Magner. Le groupe socialiste et républicain souhaite obtenir des explications des rapporteurs et du président de la commission spéciale sur ce point de procédure.
Au-delà de cette critique portant sur la forme, qui a cependant des conséquences fâcheuses pour notre débat démocratique, je souhaite rappeler que, depuis 2012, outre la création de 60 000 postes dans le secteur de l’éducation,…
Mme Françoise Férat. Où sont-ils ?
M. Jacques-Bernard Magner. … de nombreuses mesures ont déjà été mises en œuvre, qui font de la jeunesse la priorité de l’action du Président de la République et du Gouvernement.
M. François Bonhomme. C’est flagrant…
M. Jacques-Bernard Magner. J’en citerai quelques-unes pour vous rafraîchir la mémoire, mes chers collègues : le plan « priorité jeunesse » et la garantie jeunes, la création de 250 000 emplois d’avenir (M. Philippe Dallier s’exclame.), la revalorisation des bourses étudiantes, la montée en charge du service civique, pour atteindre 53 000 missions en 2015, 110 000 en 2016 et 150 000 en 2017,…
M. François Grosdidier. Et malgré tout ça, le chômage augmente ?
M. Jacques-Bernard Magner. … le soutien à la mobilité internationale, notamment avec la revalorisation des crédits du programme Erasmus +, la mise en place du cautionnement locatif étudiant pour favoriser l’accès au logement…
Afin de suivre de manière très opérationnelle le déploiement concret de ces mesures, des comités interministériels à la jeunesse, à l’égalité et à la citoyenneté ont été installés sous votre autorité, monsieur le ministre.
Ainsi, l’engagement citoyen est au cœur du quinquennat de François Hollande, à travers la priorité et les moyens accordés au développement de la citoyenneté. (M. Philippe Dallier s’esclaffe.)
Cet objectif politique a revêtu une acuité particulière et un caractère d’urgence depuis l’année dernière. En réaction aux attentats du mois de janvier 2015 et à la réactivation, sous un jour nouveau, de fractures anciennes de notre société, le Gouvernement a fait de la réaffirmation et du rassemblement autour des valeurs de la République un objectif impérieux, inscrit au sein d’un plan d’ensemble que l’on peut intituler « La République en actes », concrétisé lors du premier comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, au printemps de 2015.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, ce que souhaitent les jeunes aujourd'hui, c’est non pas seulement des mots, mais aussi des actes !
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Jacques-Bernard Magner. Ainsi, soixante mesures concrètes d’intervention ou d’expérimentation ont été mises en œuvre sur tout le territoire, avec pour objectifs, d’une part, la promotion de la citoyenneté, et, d’autre part, la lutte contre les inégalités et les discriminations. Certaines de ces actions nécessitent une adaptation ou un prolongement législatif. Le présent texte est le complément nécessaire et pragmatique de l’action de l’État.
Au travers de ce projet de loi, il s’agit donc d’aller plus loin dans la culture de l’engagement au service de l’intérêt général, de la société dans son ensemble et, prioritairement, de la jeunesse, en créant les conditions d’un parcours citoyen généralisé, depuis l’école primaire jusqu’à la terminale. La consécration en serait l’engagement dans le service civique, puis dans la réserve civique. Ce parcours sera matérialisé par un livret citoyen, remis à tous les jeunes dès l’âge de seize ans. Cet âge nous paraît d’ailleurs tardif : pourquoi ne pas remettre le livret citoyen dès le cours préparatoire, afin que toutes les démarches citoyennes puissent effectivement y être consignées, à l’école, au collège, au lycée ?
Le parcours citoyen généralisé soulève en outre la question de la valorisation de l’engagement dans le second degré. Pourquoi celui-ci serait-il réservé aux étudiants, qui ne forment pas l’intégralité d’une classe d’âge ?
La mesure phare de ce projet de loi, en matière de citoyenneté, réside dans la création des conditions d’un service civique universel. J’espère qu’il existe un large consensus, dans notre assemblée, sur ce dispositif.
Cependant, on ne peut pas parler d’engagement sans évoquer notre tissu associatif. En France, on dénombre aujourd'hui 1,3 million d’associations, qui emploient 2 millions de personnes, soit 10 % de l’emploi privé, et rassemblent 16 millions de bénévoles et 23 millions de membres.
L’association est un creuset de l’engagement. C’est pourquoi nous sommes très attachés au rétablissement du congé pour responsabilités associatives. Cette mesure, sur laquelle le Haut Conseil à la vie associative travaille depuis plusieurs années, est attendue par le secteur associatif. Malheureusement, la majorité sénatoriale l’a supprimée en commission spéciale.
À ce sujet, nous ne pensons pas que les services de Bercy doivent garder le monopole de la définition du caractère d’intérêt général d’une association, même si cette reconnaissance a des conséquences fiscales. Il faut sortir la notion d’intérêt général de son sens strictement fiscal.
Tout comme nous croyons à la pédagogie active – partir du faire pour maîtriser les concepts –, nous croyons à la citoyenneté active : s’impliquer dans un projet pour se sentir citoyen et développer des attitudes civiques. En parallèle des 300 heures d’enseignement moral et civique dispensées sur l’ensemble de la scolarité, développons au sein de l’école le débat démocratique, les projets citoyens, le tutorat par les pairs, pour plus de fraternité et de solidarité. Allons jusqu’au bout de cette démarche de promotion de la citoyenneté active en reconnaissant la prémajorité associative.
Faisons confiance aux jeunes en leur permettant de construire de vrais projets associatifs en autonomie, en autogestion, oserai-je dire ! Le réseau national des juniors associations accompagne ainsi un millier d’associations de fait, créées et gérées par des mineurs.
Oui, des mineurs sont présidents d’association, et cela ne crée pas de problème ! Oui, ils gèrent des budgets, sans difficulté majeure ! Alors, ne soyons ni frileux ni méfiants : le cadre formel d’une association est bien plus protecteur pour les mineurs que des pratiques informelles hors de tout cadre.
Nous vous proposerons donc de rétablir l’article 15 ter, relatif à la prémajorité associative, et, dans le même esprit, l’article 15, sur l’extension du droit de publication des mineurs.
Nous nous inscrivons en faux contre l’analyse de Mme la rapporteur Françoise Gatel, selon laquelle la reconnaissance de nouveaux droits aux mineurs de seize ans constituerait une remise en cause de la majorité à dix-huit ans. En effet, il existe déjà de nombreuses dispositions de sous ou sur-majorité.
Concernant le volet du titre II relatif à la mixité sociale dans l’habitat, les divergences au sein de notre assemblée sont également édifiantes.
Le projet de loi était sous-tendu par l’ambition de mettre en place de nouveaux dispositifs pour assurer une meilleure répartition territoriale des attributions de logements sociaux. En effet, les chiffres montrent une augmentation constante du nombre de ménages à faibles revenus dans les quartiers qui en comportent déjà une proportion importante.
Réserver un quart des logements sociaux aux ménages les plus pauvres hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville a donc le mérite de mettre en œuvre autrement la mixité sociale, avec des résultats rapidement évaluables.
Le texte prévoyait également de poser les bases d’une réflexion intercommunale sur les attributions de logements sociaux, pour éviter les situations de blocage. Il donnait à l’État des moyens forts et concrets pour assurer le respect des objectifs de mixité.
Après l’examen du projet de loi par la commission spéciale, cette ambition a perdu toute portée. La mise en œuvre des exigences de mixité relèverait non plus de la loi, mais de contrats de moyens et d’objectifs signés localement. Le même traitement a prévalu pour le dispositif de la loi SRU. Le projet de loi, afin de répondre à une demande forte des élus, prévoyait un recentrage de ce dispositif sur les territoires où la pression, en termes de demande de logement social, est avérée, en particulier sur les territoires agglomérés ou, en tout cas, bien desservis par les transports en commun.
Autre réponse apportée par le Gouvernement, toutes les communes nouvellement entrantes dans le dispositif de la loi SRU seront exonérées de prélèvements SRU pendant trois ans. En contrepartie de ces ajustements, le Gouvernement attend une contribution rigoureuse à l’effort de construction de logements sociaux sur les territoires où les besoins en logements sociaux existent.
Au rebours de cette volonté, en commission spéciale, la majorité sénatoriale a vidé le dispositif de la loi SRU de son objet essentiel : la construction de logements locatifs sociaux sur tous les territoires. Mes chers collègues, est-ce vraiment le moment de réduire la pression en faveur de la construction de logements sociaux ?
Pis encore, la commission spéciale a supprimé tout financement public pour la construction de nouveaux logements sociaux pour les communes qui en comptent déjà 50 % sur leur territoire. Cette mesure fait écho à celle qui a été prise au printemps par la région d’Île-de-France de mettre un terme au financement de logements très sociaux dans les communes qui en comptent déjà plus de 30 %.
Mais, chers collègues de la majorité sénatoriale, que proposez-vous pour que les communes déficitaires se mettent enfin à construire des logements sociaux ?
M. Philippe Dallier. Ne dites pas « enfin » ! Regardez les chiffres !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Elles le font déjà !
M. Jacques-Bernard Magner. Votre position de retrait pénalisera, au contraire, des communes très engagées dans la construction de logements sociaux. Des programmes de construction vont être retardés, voire bloqués. Nous constatons d’ailleurs qu’une telle position ne fait pas l’unanimité dans vos rangs.
Sans surprise, le groupe socialiste et républicain proposera de revenir à l’esprit du texte du Gouvernement sur tous les sujets que je viens d’évoquer.
Avant de conclure, je voudrais encore aborder deux points essentiels.
L’illettrisme, dont il est question à l’article 35, nécessite une prise en charge particulière et adaptée. Il relève non seulement d’un problème linguistique, mais aussi d’une non-maîtrise des compétences de base, notamment en lecture et en calcul. Actuellement, les actions de lutte contre l’illettrisme sont coordonnées avec succès par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, l’ANLCI. Parmi les mesures de la « République en actes » figure la création d’une agence de la langue française, dont la mission de préfiguration a été confiée à M. Thierry Lepaon. Monsieur le ministre, les inquiétudes sont grandes de voir le traitement de la question très spécifique de l’illettrisme dilué parmi les missions d’un organisme aux compétences certes élargies, mais dont la création peut fragiliser l’existence de l’ANLCI. Qu’en est-il du rapport que M. Lepaon devait remettre le 30 septembre dernier ? Quel sera l’avenir de l’ANLCI ?
Par ailleurs, la majorité sénatoriale utilise des arguties juridiques pour refuser un débat sur le délit d’entrave numérique à l’IVG, comme si elle voulait éviter de réitérer l’épisode de l’article 17 bis de la loi « santé », relatif à la suppression du délai de rétractation de sept jours en matière d’IVG. Nous savons tous que les femmes en détresse peuvent être manipulées par des groupuscules antiavortement, mais la majorité préfère fermer les yeux sur ce fait en se drapant dans une rigueur législative toute sélective.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est faux !
M. Jacques-Bernard Magner. Pour notre part, nous souhaitons défendre ce droit fondamental des femmes ô combien menacé aujourd’hui, y compris en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mes chers collègues, les mesures phare de ce projet de loi en matière de citoyenneté modèleront durablement notre société, si tant est qu’elles s’inscrivent dans une volonté politique durable. Durant le débat à venir, les sénatrices et les sénateurs socialistes n’auront de cesse de défendre les valeurs fortes portées par ce projet de loi, au nom de l’égalité et de la citoyenneté, solides piliers de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, les attentats perpétrés sur notre sol depuis le mois de janvier 2015 ont effectivement été le révélateur des profondes fractures qui traversent aujourd’hui notre société.
Les Français ont pris conscience qu’une partie de la jeunesse s’était peu à peu détachée de la République, vivant dans le déni de son appartenance à la communauté nationale et dans le rejet des valeurs qui fondent notre contrat social.
Au printemps dernier, près de quinze mois après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le Gouvernement a présenté ce projet de loi intitulé « Égalité et citoyenneté », censé, selon l’exposé des motifs, répondre à ces problématiques.
L’approche choisie par le Gouvernement sous-entend donc que les inégalités et le manque de mixité sociale sont en cause dans les phénomènes de radicalisation, de communautarisme et de rejet des valeurs républicaines. C’est peut-être le cas, mais, pour nous, le mal est, à l’évidence, bien plus profond.
Les « territoires perdus de la République » souffrent aussi d’un laisser-aller de l’État, qui a trop longtemps accepté de voir son autorité bafouée et fermé les yeux sur les atteintes à l’ordre public et le repli communautaire.
Quant à notre système scolaire, il ne remplit plus, depuis bien longtemps, son rôle de brassage, de transmission de notre langue, de notre culture et de notre récit national.