M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle lecture qui nous réunit aujourd'hui traduit la divergence majeure entre, d’une part, le Sénat et, d’autre part, le Gouvernement et l’Assemblée nationale, sur le respect du principe de séparation des pouvoirs.
Cette nouvelle lecture est donc fondamentale. J’espère qu’elle sera utile et que les députés comprendront la nécessité de ne pas sacrifier les principes fondamentaux à l’air du temps.
À cet égard, je voudrais, avant toute chose, remercier nos trois rapporteurs. Je salue le travail méticuleux qu’ils ont mené pour trouver, avec leurs homologues de l’Assemblée nationale, les moyens d’élaborer un texte juridiquement stable, économiquement acceptable, humainement honorable, dans une volonté partagée de moderniser la vie économique et de lutter contre la corruption.
L’Assemblée nationale a une propension naturelle à charger la barque dès qu’elle le peut, alors que les textes sont déjà protéiformes. Mais, comme l’a fait remarquer François Pillet, certaines dispositions ont été adoptées de manière cavalière. D’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elles méritent d’être supprimées et ne manqueront pas, si les députés persistaient, d’être signalées dans le recours que nous formerons.
Avec un peu plus d’optimisme, je voudrais évoquer les points d’accord existant entre l’Assemblée nationale et le Sénat – il y en a !
Comme l’a rappelé Daniel Gremillet, les dispositions relatives aux relations contractuelles au sein du monde agricole ont fait l’objet d’un réel consensus entre les deux assemblées. Nous pouvons nous en réjouir, compte tenu de la situation économique du milieu agricole.
« L’agriculture est le parent pauvre de ce texte ! », regrettait fort justement, en première lecture, Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Ainsi, je tiens à le répéter à cette tribune, les dispositions touchant à l’agriculture ont été tirées, pour l’essentiel, de propositions et de discussions de la majorité sénatoriale. Je pense à la formation des prix qui s’appuierait sur des indicateurs de coût de production et de prix du marché. Je pense au renforcement de la contractualisation, avec des organisations de producteurs qui pourraient en être partie prenante et disposer d’un rôle accru dans les discussions avec les partenaires. Je pense encore à la création d’une conférence qui réunirait l’ensemble des acteurs de la filière, c’est-à-dire les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.
En matière de droit bancaire et financier, Albéric de Montgolfier nous le rappelait, de nombreuses dispositions ont fait l’objet d’un accord avant même la réunion de la commission mixte paritaire. Nous ne pouvons que nous en satisfaire, car ces dispositions balayent un spectre large, allant du droit des consommateurs, avec la durée de validité des chèques maintenue à un an et l’obligation d’information des entreprises d’assurance à l’égard des titulaires de contrats de retraite supplémentaire lorsque ceux-ci ont atteint l’âge limite de départ à la retraite, jusqu’au droit des collectivités territoriales, avec l’ouverture aux conseils régionaux de l’accès au fichier bancaire des entreprises, en passant par l’interdiction de la publicité pour les prestataires proposant illégalement des instruments financiers hautement spéculatifs et risqués ou encore par l’intégration d’une clause de révision des prix des marchés publics de fourniture de denrées alimentaires.
Cette ultime lecture illustre bien l’intérêt du bicamérisme. Le Sénat poursuit le travail de construction partagée de la loi, avec un regard toujours indépendant de la pression médiatique. C’est bien dans cet état d’esprit libre que nos rapporteurs ont apporté leur expertise pour faire évoluer le texte et proposer des modifications substantielles aux points de divergence profonde.
Un élément récurrent dans nos discussions parlementaires tient à la tentation de tout gouvernement d’utiliser la voie de l’ordonnance pour légiférer, demandant au Parlement de l’y habiliter. L’ordonnance peut-être un outil juridique constitutionnel pertinent pour réformer efficacement notre pays, mais son utilisation abusive, surtout en fin de mandature, n’est pas un gage de bonne administration. Notre groupe ne peut souscrire à ce procédé. Je crois même qu’il s’agit d’un manque d’honnêteté à l’égard de la représentation nationale, qui manque trop souvent d’information pour donner un blanc-seing – c’est le cas en l’espèce.
Ainsi, l’honnêteté politique oblige nos rapporteurs à proposer au Sénat de refuser certaines habilitations, comme celle qui permettrait au Gouvernement de réformer par ordonnance l’ensemble du code de la mutualité ou celle qui transcrirait directement dans le texte l’actualisation du droit des sociétés.
Si elles ne sont pas cavalières, certaines dispositions ne pouvaient recueillir notre approbation. Je ne reviendrai pas sur le fond de l’ensemble d’entre elles, puisque nos rapporteurs l’ont fait avant moi, mais je pense au périmètre réduit à l’arrondissement pour l’interdiction de vente au déballage, alors que nous souhaitons l’étendre aux arrondissements limitrophes, pour éviter les phénomènes de contournement, ou encore au nouveau délai dérogatoire en matière de délais de paiement pour un secteur d’activité où une telle réforme ne réglera pas les difficultés de trésorerie rencontrées par certaines entreprises.
Pour terminer, je veux rappeler les principes auxquels nous sommes attachés et en faveur desquels nous avons ardemment souhaité marquer notre différence.
Premièrement, ainsi que je l’évoquais en introduction, la séparation des pouvoirs dans nos institutions impose une autonomie des assemblées parlementaires dans la définition des règles applicables dans leur enceinte, y compris s’agissant du régime juridique des relations avec les représentants d’intérêts.
Deuxièmement, je veux insister sur le caractère de défenseurs de l’intérêt public des associations d’élus, malgré leur statut de droit privé. L’AMF, l’ADF, l’ARF ne sont pas des lobbys, monsieur le ministre ! Les élus portent non leurs intérêts personnels, mais ceux de leurs collectivités, qui sont des personnes publiques. L’intérêt public territorial est d’abord un intérêt public, qui participe à l’intérêt général. Il faut de la défiance populiste ou de l’arrogance technocratique, voire les deux, pour le contester aux représentants démocratiquement élus de nos collectivités territoriales. Malgré leur statut, les associations d’élus n’ont pas à être enregistrées comme représentants d’intérêts du fait même de leur objet, ou alors il faudra que nous transformions l’AMF en syndicat intercommunal des 36 000 communes de France… Pourquoi pas ?
Troisièmement, la question du cadre des directives européennes, si formelle qu’elle puisse paraître, est un enjeu économique en soi. C’est pourquoi nous soutenons la proposition de la commission des finances pour que le reporting pays par pays soit aligné sur la directive européenne, ni plus ni moins.
Quatrièmement, le droit des sociétés a été largement balayé de ce texte, qui a pourtant vocation, comme l’indique son nom, à moderniser les entreprises. Nos travaux sur la simplification du droit des sociétés sont attendus par les sociétés de tous types. C’est donc très opportunément que nous réintroduisons dans ce texte les termes d’une proposition de loi transpartisane, déjà adoptée par le Sénat.
Cinquièmement, pour ce qui concerne le logement social, il nous a paru nécessaire de redonner plus de souplesse et de rapidité dans la réalisation des logements locatifs aidés par l’État, en redonnant aux bailleurs sociaux la possibilité de recourir aux marchés publics de conception-réalisation, lesquels permettent aux bailleurs comme à l’État de gagner du temps et de l’argent.
Sixièmement, enfin, le droit de suite des artisans, forces vives de nos territoires, pourra être exercé dans les entreprises jusqu’à cinquante salariés et le maintien au répertoire des métiers devra résulter d’une démarche volontaire.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à dire qu’il s’agit d’un texte protéiforme au titre racoleur, fruit d’une méthode d’élaboration de la loi quelque peu cavalière, dont certaines mesures bafouent même les principes fondamentaux de notre République. Heureusement que nos rapporteurs et les commissions concernées ont su le transformer en un texte économiquement pertinent et juridiquement convenable ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. François Grosdidier. C’est pourquoi les membres du groupe Les Républicains voteront pour ce texte, tel que revu et corrigé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Di Folco applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois. Quel sens de la nuance…
M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois dire que l’intervention de l’orateur précédent m’a fait peur, mais sa conclusion m’a rassuré : tout est bien qui finit bien… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Pour ce qui me concerne, je me concentrerai sur les dispositions dont la commission des finances a été saisie au fond.
Lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, de nombreux articles financiers ont été adoptés dans leur rédaction issue des travaux du Sénat. Nous devons nous en réjouir. C’est notamment le cas d’une grande partie des dispositions que les membres du groupe socialiste et républicain avaient proposées : interdiction aux sociétés n’y ayant pas été autorisées par la loi de procéder à une offre au public de leurs parts sociales ; amélioration des échanges d’informations entre l’ARJEL, l’AMF, l’ACPR et d’autres institutions de régulation ; plafonnement des rachats d’actions de fonds d’investissement en cas de circonstances exceptionnelles.
Pour ce qui concerne l’article relatif à la limitation du montant des frais applicables aux contrats d’assurance obsèques, inséré sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, dont on sait qu’il accorde une grande importance à ces questions, l’Assemblée nationale a opportunément étendu le dispositif aux entreprises qui commercialisent ces contrats sous le régime prévu par le code de la mutualité – nous reparlerons de cette dernière un peu plus tard. Il est urgent d’agir, car, selon une étude réalisée récemment par le magazine 60 millions de consommateurs, ces contrats comportent de « trop nombreux » points noirs.
Enfin, je note avec satisfaction que l’Assemblée nationale a tenu compte de nombreux apports du Sénat, concernant les lanceurs d’alerte dans le secteur financier, la liste des États et territoires non coopératifs ainsi que l’encadrement de l’autoliquidation de la TVA à l’importation, point important pour lutter contre la fraude fiscale. Il s’ensuit que les dispositions financières restant en discussion sont peu nombreuses.
Parmi celles-ci figure la création d’un mécanisme national de résolution des sociétés d’assurance. L’Assemblée nationale a donné à l’ACPR la « possibilité de recourir à un mécanisme dans lequel certains engagements d’assurance seraient, jusqu’à leur extinction, gérés de façon distincte dans une structure de gestion de passifs ». C’est, au fond, une extension de ce que nous avions déjà prévu pour les banques. Le secteur de l’assurance sera désormais lui aussi couvert.
En outre, sont étendus au secteur de l’assurance les pouvoirs macroprudentiels du Haut Conseil de stabilité financière. Celui-ci pourra limiter temporairement les rachats de contrats d’assurance vie en cas de « menace grave et caractérisée » pour la stabilité du système financier. Personnellement, je trouve que cette garantie joue plutôt pour les petits titulaires de contrats d’assurance. Le dispositif devient donc complet. Il est tout à fait normal que ce qui existait pour les banques existe désormais aussi pour l’assurance.
J’en viens à présent aux derniers points d’achoppement.
Pour ce qui concerne la modernisation du code de la mutualité, j’observe que la majorité sénatoriale a adopté une position moins radicale qu’en première lecture. Alors qu’elle avait totalement supprimé la disposition visant à permettre au Gouvernement de moderniser le code de la mutualité, notre commission des finances s’est, cette fois, limitée – si je puis dire – à restreindre le champ de l’habilitation aux « dispositions présentant un caractère urgent et nécessaire ».
Un autre sujet de controverse réside dans la réduction de la durée de validité des chèques. Je déplore, quant à moi, la suppression de l’article 25 du texte, qui prévoyait la réduction de cette durée à six mois. Les arguments avancés par les partisans du maintien à un an sont difficilement recevables. Je rappelle que le projet de loi visait non pas à mettre fin à l’utilisation du chèque, mais à réduire l’incertitude liée au délai d’encaissement des chèques. Nos concitoyens, à commencer par les plus âgés, conserveraient la possibilité d’utiliser des chèques pour tout paiement et verraient leur situation financière sécurisée. J’ajoute, pour reprendre un autre argument qui a été évoqué, que l’on peut d'ores et déjà procéder à des paiements échelonnés par carte bancaire. Nous aurons l’occasion de rediscuter de cette question.
Depuis le début de la discussion du projet de loi, la modernisation de la procédure de surendettement fait l’objet d’un vif débat. Supprimée en première lecture par la majorité sénatoriale, la disposition en ce sens a été rétablie en nouvelle lecture. Je le regrette, car cette réforme ne servira à rien. Elle ne sera pas efficace et fera perdre quatre mois à ceux qui y auront recours.
Enfin, nous devrons débattre de nouveau du reporting financier pays par pays. Je considère que la position du Sénat sur cette question est équilibrée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Je veux vous remercier de l’attention que vous portez à ce projet de loi et du soin avec lequel vous expliquez vos positions et les critiques que peuvent vous inspirer certains de ses articles. Je ne crois pas forcer le trait en disant que, au fond, chaque orateur qui s’est exprimé a trouvé au moins un élément positif dans le texte. Ce n’est pas le cas de tous les projets de loi ! Je voudrais en remercier chacun, même si c’est parfois pour demander au Gouvernement d’aller plus loin dans tel ou tel domaine que certains ont pu louer le texte… Vous n’en disconviendrez pas, madame Assassi, même si je suis sensible à l’ambition de vos convictions dont témoignent vos propos.
Il me semble que nous permettons, ensemble, une avancée assez considérable.
À la suite de plusieurs d’entre vous, je veux insister sur le fait que ce texte résulte d’une coconstruction législative, si vous me permettez l’utilisation de ce terme. Si, par définition, tout projet gouvernemental est une coconstruction, puisque les sénateurs comme les députés peuvent exercer leur droit d’amendement, ce texte l’est tout particulièrement. Pour l’illustrer, je voudrais évoquer deux points, que certains d’entre vous ont soulignés.
Ainsi, c’est au Parlement qu’a été introduit le statut de lanceur d'alerte, sur lequel je reviendrai plus en détail ultérieurement. Je le dis à Mme Blandin, qui a parfois pu montrer du doigt le Gouvernement : c’est sur initiative parlementaire qu’a été mené ce travail. Le statut global des lanceurs d'alerte a en effet été introduit à l’Assemblée nationale, où les débats ont été particulièrement consensuels et ont réuni aussi bien les députés de votre sensibilité politique, madame la sénatrice, que ceux de la mienne.
Il en va de même de la convention judiciaire d’intérêt public, la CJIP, parfois appelée « transaction pénale », qui a elle aussi été introduite par les députés et qui a été confirmée au Sénat. Certains sénateurs, dont vous, monsieur le rapporteur, ont souhaité améliorer certains aspects de cette convention.
Ces deux points, qui ont pu faire l’objet de critiques, par exemple de la part de M. Collombat, résultent donc d’un travail parlementaire dans la construction du projet de loi.
Pour ma part, je suis très heureux qu’un texte de cette nature, qui défend des valeurs, une éthique que nous pouvons tous partager, ait été le support de telles initiatives parlementaires. Je pense que ce qui caractérise les grandes lois républicaines, c’est précisément de n’être pas imposées d’en haut, mais d’être le fruit du débat démocratique et du débat parlementaire. C’est le cas de ce texte. Je tiens à en remercier chacun, quelles que soient par ailleurs les appréciations qui ont pu être portées sur telle ou telle disposition. Nous reviendrons bien sûr, dans le débat, sur les différents sujets qui ont été abordés par les uns et les autres.
Je veux revenir sur deux points qui ont fait l’objet de critiques particulières.
Sur la convention judiciaire d’intérêt public, certains, dont M. Collombat, ont parlé d’une américanisation de la procédure judiciaire. Pardon de le dire ainsi, mais je trouve cette vision vraiment trop simpliste. Il est tout de même permis d’innover ! Il me semble même qu’il y a parfois un devoir d’innovation, de construction de quelque chose de nouveau.
Oui, il s’agit d’une nouvelle procédure, qui n’existait pas antérieurement ! Aujourd'hui, la corruption d’agents, à l’étranger, peut donner lieu à une incrimination, mais pas à une condamnation. Ce qui manque, ce n’est pas la volonté des juges, c’est leur capacité à lutter, au moyen d’un outil adapté, contre ce type de délits, qui sont particulièrement difficiles à poursuivre et pour lesquels il est très difficile d’apporter les éléments de preuve nécessaires à une condamnation en bonne et due forme suivant la procédure normale. C’est donc une volonté d’efficacité qui a été à l’origine de cette proposition. Je veux le saluer. Ce n’est pas le décalque, la copie d’une procédure qui existerait ailleurs.
Je veux le répéter, deux considérations, qui correspondent aux grands principes de fonctionnement de nos institutions judiciaires, qui sont des caractéristiques typiquement françaises, ont été introduites dans ce dispositif.
Premièrement, un juge du siège devra donner son accord à cette convention. Cela ne se fera pas dans un coin entre un procureur et une entreprise ou son avocat : un juge du siège indépendant devra intervenir.
Deuxièmement, la procédure sera publique. Tout le monde pourra connaître la nature et la gravité des faits reprochés et les propositions du procureur ou, d'ailleurs, du juge d’instruction, qui aura également la capacité d’utiliser cette procédure et dont l’indépendance, comme chacun le sait, est particulièrement garantie.
Il ne s’agit donc pas d’introduire une procédure venue d'ailleurs ; il s’agit de mettre en place une procédure efficace, dotée de toutes les garanties dont notre droit français entoure les procédures judiciaires.
Sur la question des lanceurs d'alerte et de leur statut, il me semble, madame Blandin, que vos propos ont peut-être dépassé votre pensée. Vous avez parlé de « démolition » de l’ensemble du système de protection de l’alerte en matière de santé et d’environnement, mais vous savez bien qu’il ne s’agit pas de cela ! Il s'agit d’insérer la protection des lanceurs d'alerte dans ces domaines dans le cadre du statut général des lanceurs d'alerte. Il s’agit non pas de l’amoindrir, mais de faire en sorte que tous les lanceurs d'alerte puissent bénéficier des mêmes mécanismes de protection, notamment – vous avez fortement insisté sur ce point, qui est très important – pour ce qui concerne ce qu’on appelle « la voie d’accès », la manière dont un lanceur d'alerte doit se comporter pour faire connaître les faits qu’il considère comme anormaux, illégaux ou contraires à l’intérêt général. Je rappelle, à ce sujet, qu’il existe une voie interne et une procédure extérieure.
Je sais que, en votre qualité de présidente de cette instance, vous êtes particulièrement attentive aux pouvoirs de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Comme vous le savez, cette commission, dont les compétences sont tout à fait considérables, restera en place. Vous aurez à jouer un rôle extrêmement utile en tant que présidente et animatrice de cette instance dans la bonne mise en œuvre des dispositions législatives dont nous débattons aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux du travail que nous avons accompli, y compris au Sénat, en tenant compte de nos différences et de nos désaccords. Je forme des vœux pour que ce projet de loi demeure longtemps un élément de référence non seulement du travail parlementaire, mais aussi de l’efficacité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la commission demande l’examen par priorité, aujourd’hui, à seize heures quinze, de l’article 16 bis.
M. le président. Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est ordonnée.
Nous passons à la discussion du projet de loi, dans le texte de la commission.
projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
TITRE IER
DE LA LUTTE CONTRE LES MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
Chapitre Ier
De l’Agence de prévention de la corruption
Article 1er
L’Agence de prévention de la corruption est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice, ayant pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par MM. Anziani et Yung, Mme Espagnac, MM. Guillaume, Sueur, Marie, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. - Remplacer les mots :
de prévention de la corruption
par les mots :
française anticorruption
II. - Après le mot :
justice
insérer les mots :
et du ministre chargé du budget
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. En premier lieu, nous proposons de revenir à la dénomination d’« Agence française anticorruption » adoptée par l’Assemblée nationale que nous préférons à celle d’« Agence de prévention de la corruption » retenue par la commission.
En second lieu, la commission a supprimé la double tutelle du ministre de la justice et du ministre du budget sur l’Agence pour ne retenir que celle du garde des sceaux. Il nous semble pertinent, s’agissant d’un texte anticorruption, c’est-à-dire présentant un caractère financier extrêmement prononcé, de permettre au ministre du budget d’exercer une tutelle sur l’Agence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Nous débutons l’examen des articles par une différence de doctrine parfaitement légitime entre le Sénat, d’une part, et l’Assemblée nationale et le Gouvernement, d’autre part.
L’Agence dont il est ici question est une agence de prévention de la corruption. Elle n’est pas un service enquêteur ni un service de répression ; elle n’en a pas les pouvoirs. Elle ne peut donc être confondue avec un service d’enquête tel que l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.
Changer le nom de l’Agence sans modifier ses compétences serait hypocrite. Même avec une commission des sanctions, l’Agence reste avant tout une agence de prévention. C’est d’ailleurs l’argument avancé par le Gouvernement pour justifier le fait que ces sanctions ne relèvent pas du juge judiciaire.
Je tiens à préciser que la dénomination de l’Agence retenue par la commission est celle qui figurait dans le projet de loi initial du Gouvernement. Dans son avis, le Conseil d’État a d’ailleurs relevé que qualifier le service d’Agence française anticorruption serait « susceptible de créer une confusion avec la compétence des autorités judiciaires pour constater des infractions ».
De surcroît, il semble inutile de préciser la nationalité de l’Agence. Parle-t-on du Défenseur des droits « français » ? Du parquet national financier « français » ?
Enfin, il ne paraît pas utile de placer l’Agence sous l’autorité du ministre du budget, alors que le service central de prévention de la corruption est placé sous la seule tutelle du garde des sceaux. Il s’agit, là encore, d’un élément de doctrine différente. Faisons confiance au ministère de la justice !
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui tend à revenir à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Je ne reviens pas sur la question de la dénomination de l’Agence, dont on peut toujours débattre…
Je crois utile que cette agence, chargée de la prévention de la corruption et non de l’engagement de poursuites pour des faits de corruption, ce qui relève de la justice, soit placée sous la double tutelle du garde des sceaux et du ministre chargé du budget. En supprimant cette double tutelle, j’y vois non pas une défiance vis-à-vis du ministre chargé du budget que je suis, mais plutôt une incompréhension de ce que doit être cette agence pour être efficace.
M. le président. L'amendement n° 148 rectifié, présenté par MM. Collombat, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Elle peut, à la demande du procureur de la République financier et sous son autorité, effectuer toutes investigations en rapport avec ces faits.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement tend à permettre à cette nouvelle agence d’assister le parquet financier à compétence nationale si ce dernier en fait la demande.
Je réponds par avance à l’avis négatif que la commission va émettre.
Le texte de la commission dispose que l’Agence a pour mission d’aider « à détecter les faits de corruption ». Qu’est-ce que veut dire « détecter » ? Est-ce qu’on détecte sans mener aucune investigation ?
Cet amendement, dont la portée est d’ailleurs extrêmement limitée, vise à permettre à l’Agence d’effectuer un certain nombre d’investigations à la demande du parquet financier, instance en charge de l’essentiel du travail en la matière.
Soit on veut un texte incohérent – cette hypothèse n’est pas à exclure –, soit on veut faire en sorte que l’Agence serve à autre chose qu’émettre des imprimés.
Encore une fois, ces investigations ne seraient pas menées sur l’initiative de l’Agence, ce qui serait contraire à la doctrine sacrée de la commission, mais à la demande du parquet financier.
Je ne comprends pas – il y a plein de choses que je ne comprends pas d’ailleurs – l’avis négatif que s’apprête à émettre le rapporteur sur cet amendement.