Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Bruno Gilles, Mmes Valérie Létard, Catherine Tasca.
2. Financement de la sécurité sociale pour 2017. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public, du projet de loi, modifié.
Suspension et reprise de la séance
Secrétaires :
Mmes Valérie Létard, Catherine Tasca.
3. Questions d'actualité au Gouvernement
examen du projet de loi finances pour 2017
Mme Michèle André ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
la réforme du statut de la polynésie française
Mme Lana Tetuanui ; Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer ; Mme Lana Tetuanui.
M. Pierre Charon ; M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Michel Amiel ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
M. Ronan Dantec ; Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité ; M. Ronan Dantec.
urbanisation des « dents creuses »
M. Michel Le Scouarnec ; Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Michel Le Scouarnec.
sécurité et lutte contre le terrorisme
M. Gilbert Roger ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
M. Daniel Chasseing ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Daniel Chasseing.
Mme Jacky Deromedi ; Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; Mme Jacky Deromedi.
M. Jacques-Bernard Magner ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
4. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
6. Candidatures à deux commissions d'enquête et deux missions d'information
7. Candidature à une commission
8. Candidature à une délégation sénatoriale
9. 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. – Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes
10. Nomination des membres de deux commissions d'enquête et deux missions d'information
11. Nomination d'un membre d'une commission
12. Nomination d'un membre d'une délégation sénatoriale
13. Communication relative à une commission mixte paritaire
14. Retrait d’une question orale
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
15. Normes agricoles et politique commerciale européenne. – Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne
M. Michel Magras, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Gisèle Jourda, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution européenne
Adoption de la proposition de résolution européenne dans le texte de la commission.
16. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 18 novembre 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Financement de la sécurité sociale pour 2017
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2017 (projet n° 106, rapport n° 114 [tomes I à VIII], avis n° 108)
Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, mes chers collègues, notre assemblée a achevé d’examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, le PLFSS, en première lecture.
Quel bilan tirer de nos débats ?
Tout d’abord sur la forme, je tiens à remercier, comme je l’ai fait vendredi dernier, Mme la ministre Marisol Touraine, ainsi que le président de la commission des affaires sociales, le rapporteur général et tous les rapporteurs pour la qualité des réponses apportées lors de l’examen de nos soixante amendements restés en lice en séance publique.
Je veux aussi dire notre satisfaction d’en avoir fait adopter certains, contribuant ainsi à l’amélioration de la qualité des soins et au renforcement de notre système de protection sociale. Je pense, en particulier, à l’extension de la responsabilité des entreprises mères à l’égard des entreprises qu’elles contrôlent en cas de fraude aux cotisations sociales. Je pense également à l’amendement visant à demander la réalisation d’un rapport sur la révision de la liste des pathologies ouvrant droit aux congés de longue durée pour les agents de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, à l’extension du versement de l’aide au congé maternité ou paternité à l’ensemble des médecins ou encore à la suppression de l’article 43 quater sur les négociations en cours entre l’assurance maladie et les syndicats des chirurgiens-dentistes. Mais, sur le fond, nos désaccords avec le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, que j’ai détaillés dans mon intervention générale, sont très profonds.
Je dénonce une nouvelle fois la logique de restrictions budgétaires, avec un objectif national de dépenses d’assurance maladie à 2,1 %, reposant sur des économies de 4,1 milliards d’euros sur les dépenses, ce qui est un coup dur non seulement pour les agents hospitaliers, l’ensemble des professionnels de santé et d’action sociale, mais également pour les patients.
Comment continuer d’ignorer qu’ils subissent déjà, tous et toutes, la baisse des moyens, le non-remplacement des départs à la retraite, les fermetures de services, les suppressions de lits ? Et les conséquences négatives des groupements hospitaliers de territoire, les GHT, ne sauraient se faire attendre !
Comment continuer d’ignorer les demandes réitérées de négociations de la part des infirmiers et infirmières, des psychologues ou encore des orthophonistes, pour ne me limiter qu’à ces trois exemples ?
Si la majorité sénatoriale a refusé les tableaux d’équilibre budgétaire, c’est pour des raisons inverses à celles de notre groupe. Elle a en effet jugé les objectifs de baisse des dépenses pour 2017 insuffisants pour rétablir l’équilibre.
Les mesures proposées par la droite, au Sénat, sont d’ailleurs éclairantes en la matière : suppression de la mise à contribution des fournisseurs de produits du tabac, suppression du « mécanisme W », qui est pourtant destiné à limiter le prix exorbitant de certains médicaments, report de la limite d’âge de la retraite des médecins dans la fonction publique et le secteur public, de soixante-sept à soixante-treize ans, et suppression du tiers payant généralisé.
Face à ces mesures régressives, nous avons fait entendre une voix originale en proposant, notamment, des recettes nouvelles pour financer la prise en charge à 100 % des soins par la sécurité sociale. Nous sommes intervenus pour dénoncer le prolongement du pacte de responsabilité et de solidarité ainsi que les exonérations de cotisation accordées aux entreprises, qui font perdre 20 milliards d’euros de recettes par an.
Pourquoi refuser de voir, madame la secrétaire d'État, que le fondement même de notre système de sécurité sociale, reposant sur les cotisations des salariés et des employeurs, est de plus en plus fragilisé par ces exonérations, si ce n’est pour démanteler notre système de protection sociale en le livrant au système assurantiel ?
Alors oui, les comptes de la sécurité sociale peuvent être amenés à l’équilibre, mais pas comme cela ! Pas au détriment de l’accès aux soins pour toutes et tous, ni au détriment des conditions d’exercice des professionnels de santé des secteurs public et privé.
Ainsi, plutôt que d’étendre le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, aux indépendants, nous avons proposé de supprimer les exonérations sur les bas salaires, qui créent justement de véritables trappes à bas salaires. De même, nous avons défendu la majoration des cotisations patronales pour les entreprises abusant du temps partiel. Malheureusement, ces amendements ont été rejetés, la majorité sénatoriale comme le Gouvernement y étant défavorables. Et plutôt que de réduire les dépenses, nous avons suggéré d’augmenter significativement les recettes de la sécurité sociale au travers de plusieurs amendements. La mise à contribution des revenus financiers et la modulation des cotisations patronales, selon les politiques salariales et environnementales des entreprises, auraient pu permettre, par exemple, le financement à 100 % des dépenses des étudiants.
Par ailleurs, nous avons démontré qu’il était possible, à condition d’en avoir la volonté politique, de financer l’adaptation de la société au vieillissement. À cet effet, mon collègue Dominique Watrin a proposé la création d’une contribution de solidarité des actionnaires au taux de 0,3 % sur l’ensemble des dividendes des entreprises.
Face au renoncement aux soins, à la souffrance des personnels de santé, nous avons notamment soumis l’idée, en veillant à ne pas tomber sous le couperet de l’article 40 de la Constitution, de supprimer les dépassements d’honoraires ou encore de mettre en place un moratoire sur les fermetures de services ou d’établissements de santé. Là encore, nos amendements ont été retoqués, alors que de nombreuses mobilisations ont cours ; je pense aux luttes emblématiques en Île-de-France, notamment dans le Val-d’Oise, mais aussi en Bretagne et dans bien d’autres régions.
D’ailleurs, pour sortir des hôpitaux de l’endettement massif, nous avons proposé, sans succès, le lancement d’un audit citoyen pour connaître les créanciers et exiger l’annulation de la part illégitime de la dette.
Concernant les travailleurs handicapés, qui sont particulièrement oubliés dans ce PLFSS, ma collègue Annie David est intervenue très fortement en leur faveur, proposant d’ouvrir les voies d’accès à la reconnaissance du statut de travailleurs handicapés aux travailleurs qui ne peuvent pas accéder au dispositif de retraite anticipée. Elle a aussi demandé une meilleure information et une prise en charge des bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, en remettant en cause, une fois de plus, le caractère solidaire de notre système de santé, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 est aux antipodes d’une politique de justice sociale. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la droite n’ait cessé de revendiquer la paternité de bon nombre de réformes engagées, notamment concernant les retraites, en proposant d’aller plus loin. Pas plus que le texte originel – et même bien au contraire ! –, cette version aggravée par la majorité sénatoriale n’est de nature à répondre aux besoins de santé des populations.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Louis Carrère applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, c’est dans un calendrier haché et contraint que nous avons examiné la semaine dernière le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, après une première lecture à l’Assemblée. À cet égard, je tiens à remercier le rapporteur général et tous les rapporteurs qui, sous la houlette du président de la commission des affaires sociales, ont minutieusement analysé ce budget, dont la complexité technique s’aggrave d’année en année. Merci aussi aux services de la commission toujours aussi précieux qu’efficaces.
De ces débats, je relèverai trois points.
Le premier concerne la partie « recettes », que la majorité sénatoriale a adoptée, en rejetant cependant les articles d’équilibre. Ce vote positif a permis d’examiner les dépenses et de corriger, dans ces divers articles, ce qui nous paraît plus logique et réaliste pour une meilleure qualité des soins pour nos concitoyens, tout en respectant des conditions financières contraintes.
Par ce rejet, nous avons simplement voulu démontrer le montage pour le moins sophistiqué de ce budget, avec des transferts, des reports, des sous-estimations, pour arriver à présenter un budget prétendument en équilibre, en masquant un déficit certes réduit, mais réel, notamment du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse. À trop vouloir prouver, on perd la crédibilité, et on devient inaudible pour la grande majorité de nos concitoyens. Et c’est bien ce qu’il vous arrive, madame la secrétaire d'État, avec le dernier budget de la mandature !
Concernant les observations pour le moins modérées de la Cour des comptes, qui souligne la fragilité des équilibres, le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics m’a reproché d’avoir repris la formule, certes lapidaire, d’un hebdomadaire qui titrait à propos du budget de la sécurité sociale : « Le ministre du budget s’assoit dessus ». C’est pourtant bien la vérité, et M. le rapporteur général s’est efforcé de le démontrer tout au long de la discussion.
Ma deuxième observation porte sur la méthode employée pour conduire la politique de santé depuis cinq ans.
J’en conviens, un ministre de la santé n’a pas vocation à se faire adorer par les professionnels de santé, pas plus qu’il n’a l’obligation de tout faire pour en être détesté. (Rires et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Et pourtant, que constatons-nous ? Les personnels soignants hospitaliers étaient dans la rue la semaine dernière ; les médecins n’ont cessé d’être combattus, encadrés, contrôlés, notamment dans l’exercice libéral ; vous voulez encadrer les chirurgiens-dentistes par la contrainte plutôt que par la négociation conventionnelle ; et je ne suis même pas sûr que les pharmaciens vous seront reconnaissants de l’autorisation à pratiquer la vaccination contre la grippe que vous leur avez délivrée, ce qui, dans les faits, constituera une obligation avec les contraintes de responsabilité que cela entraîne.
L’industrie du médicament n’a pas été oubliée au cours de ces années. Vous avez mis en place une panoplie impressionnante de mesures aussi complexes qu’opaques pour celui qui veut innover : indice K ; indice L, scindé dans ce budget en indices Lv et Lh ; indice W. Or les industriels dans ce domaine plus que dans d’autres ont besoin de visibilité pour s’engager dans des programmes de recherche. Vous neutralisez les effets positifs de l’impôt recherche, et c’est fort dommage.
Mais après tout, être rejeté par les professionnels de santé, si cela concourt à une amélioration de la santé de nos concitoyens, pourquoi pas ?
Malheureusement, les grands défis n’ont pas été relevés, et ce n’est pas l’instauration du tiers payant qui réglera les problèmes ; il n’était d’ailleurs réclamé par personne, à l’exception de quelques cas, qu’il eût été simple de traiter. Avec l’état des finances publiques, c’était loin d’être une urgence pour notre pays. C’est, en revanche, un affichage politique à la veille d’une période électorale majeure.
Finalement, au cours de cette mandature, vous n’aurez traité que très partiellement les grands défis pour assurer un égal accès aux soins pour tous. J’ajouterai même : un accès à des soins de qualité égale sur l’ensemble du territoire.
Concernant la désertification, dont nous avons beaucoup parlé, une mesure s’impose : l’ouverture du numerus clausus.
Il faut former plus de médecins dans nos facultés françaises (Mme Françoise Férat opine.)…
M. Alain Joyandet. Très bien !
M. Gilbert Barbier. … et éviter la sélection par l’argent, qui conduit nos jeunes, dont les familles aisées ont les moyens, à aller acquérir un diplôme en Belgique, en Bulgarie, en Espagne ou au Portugal. (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Certaines mesures ponctuelles d’aide à l’installation sont intéressantes, mais, de grâce, évitons cette dernière trouvaille qu’est l’interdiction d’installation en zones sur-denses sans départ d’un médecin !
S’agissant du trop grand nombre d’établissements hospitaliers, vous ne présentez pas de plan coordonné visant à rationaliser les équipements pour les rendre plus performants.
Nous voulons tous, j’en conviens, une médecine de qualité avec un égal accès aux soins. Mais nous divergeons fondamentalement sur les moyens d’y parvenir. Curieusement d’ailleurs, les ministres ont avoué, à plusieurs reprises au cours des débats, un défaitisme subliminal (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.), en brandissant la menace que représenterait l’application des projets des candidats à la primaire de la droite et du centre.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. C’est vrai !
M. Gilbert Barbier. Ce sont des choix politiques, des philosophies différentes, et les Français trancheront l’an prochain.
Pour l’heure, je remercie mes collègues du groupe du RDSE de m’avoir permis de m’exprimer, même si la grande majorité d’entre eux n’ont pas la même approche que moi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Alain Gournac applaudit également.)
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous avons terminé vendredi dernier en début de soirée l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, après une semaine de débats, des débats un peu hachés, mais de qualité, je tiens à le souligner. Nous avons su, les uns et les autres, exposer nos points de vue sans nous lancer des invectives, en essayant de convaincre de manière constructive, parfois un peu combative, mais c’était nécessaire…
La campagne pour la primaire de la droite et du centre n’a finalement eu que peu d’influence sur les discussions, sauf peut-être lorsque certains – pas toujours des parlementaires d’ailleurs ! – ont orienté le débat sur des considérations plus politiques, en lien avec le programme des candidats. C’est un terrain sur lequel nous ne souhaitions pas aller, quand bien même nous ne partagions pas les mêmes positions. Cela ne nous a pas empêchés d’opposer au Gouvernement nos désaccords, sur lesquels je reviendrai de manière plus détaillée.
Avant d’aller plus loin, je tiens à saluer le travail de mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, de l’ensemble des rapporteurs et des services de la commission des affaires sociales. Nous avons beaucoup travaillé, et j’en suis fier. Je remercie également Alain Millon pour la qualité des échanges que nous avons eus au sein de la commission.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je le dis d’emblée, le groupe UDI-UC votera le PLFSS pour 2017…
M. Gérard Roche. … tel que modifié par le Sénat. La version sénatoriale de ce texte est en effet plus sincère et plus juste que celle qui nous a été initialement présentée. (M. Jean Desessard s’exclame.) En ne votant pas les articles d’équilibre, nous avons manifesté notre désaccord avec la méthode utilisée par le Gouvernement pour présenter des comptes à l’équilibre, ou presque.
Oui, la situation s’améliore année après année, on le reconnaît, mais, si nous souhaitons tous le retour à l’équilibre des comptes – il y va de l’avenir de la protection sociale de notre pays ! –, cela doit résulter non pas d’artifices comptables, uniquement destinés à embellir la présentation du budget, mais de réformes structurelles, profondes, dans chaque branche de la sécurité sociale.
Sans rechercher l’exhaustivité – je ne dispose que de quelques minutes ! –, je souhaiterais développer plusieurs sujets qui m’ont semblé bien résumer la teneur de nos échanges.
L’économie collaborative a été au cœur d’un débat lancé dès l’examen du texte en commission. Le Gouvernement entendait proposer des seuils au-delà desquels une activité de location de meublé de courte durée ou une activité de location de biens meubles était considérée comme une activité professionnelle. Le rapporteur général a proposé un seuil unique – 15 691 euros par an –, qui a été adopté, ce qui permet de clarifier la situation et de la simplifier. Il n’était évidemment pas question de pénaliser outre mesure l’économie collaborative, il s’agissait de prévoir les conditions susceptibles d’assurer l’équité entre les acteurs concernés. Nul doute qu’il faudra revenir de manière plus détaillée sur un tel sujet.
Pour ce qui est de la branche famille, je tiens vraiment à saluer la création d’une agence nationale de recouvrement des pensions alimentaires. C’est un sujet très important, et cette initiative permettra, j’en suis sûr, de lutter plus efficacement contre les impayés.
En revanche, je regrette que l’ONDAM, objectif national de dépenses d’assurance maladie, ait été construit sur des hypothèses bien trop optimistes, reposant sur des mesures auxquelles une majorité d’entre nous s’est opposée, à savoir la modulation des allocations familiales et la réforme du congé parental. Je pourrais également ajouter le décalage de la prime à la naissance, manœuvre de trésorerie qui pénalise les familles. C’est pourquoi nous avons rejeté cet ONDAM.
En outre, j’ai malheureusement dû nuancer les propos que Mme la ministre Marisol Touraine a tenus devant la commission, affirmant que les régimes de retraite étaient « sauvés pour des décennies ».
Beaucoup d’articles relatifs à la branche vieillesse, dont j’étais le rapporteur, étaient de nature technique et n’appelaient à ce titre que peu de remarques de notre part. Néanmoins, je regrette particulièrement le manque de réformes structurelles courageuses visant à assurer l’équilibre de cette branche.
En déficit de 2,2 milliards d’euros en 2017, cette branche est pénalisée par le très lourd déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui s’élèvera à 3,9 milliards d’euros en 2017. Or ce n’est pas en le privant de 1,7 milliard d’euros de ressources pour l’année à venir qu’on améliorera la situation de ce fonds et de la branche.
Concernant la branche maladie, je souhaite revenir sur un débat qui nous a occupés assez longuement, la désertification médicale, un sujet abordé par notre collègue Gilbert Barbier.
Nous avons en effet discuté de l’opportunité de mettre en place de nouvelles mesures contraignantes pour lutter contre la désertification médicale via un amendement déposé par certains de mes collègues et que j’avais d’ailleurs initialement cosigné.
En proposant la constitution d’une mission visant à évaluer les bonnes pratiques mises en œuvre avec succès dans certains territoires, le rapporteur général a, je crois, trouvé une solution de compromis, que je salue. Les dispositifs à développer doivent impliquer davantage les professionnels concernés, qui, eux-mêmes, doivent prendre leurs responsabilités afin d’assurer le service public, qui est leur mission fondamentale. C’est un projet de territoire qu’il faut mettre en œuvre par adhésion, et non par contrainte. Cela me semble maintenant possible, car certains syndicats de médecins ont pris conscience de cette mission de service public qu’ils ne remplissaient plus.
Bien d’autres sujets mériteraient d’être évoqués, mais je ne peux résumer en quelques minutes plusieurs jours de débat. Je l’ai dit au début de mon intervention, les membres du groupe UDI-UC voteront le PLFSS pour 2017 tel que modifié par le Sénat. Mais il restera encore beaucoup à faire.
La protection sociale devra rester au cœur de l’action du prochain quinquennat, en vue d’assurer la pérennité de notre système de retraite, de notre assurance maladie, de notre politique familiale et de la protection contre les maladies professionnelles ou les accidents du travail. Des réformes ont été conduites ; d’autres devront l’être, plus structurelles et plus ambitieuses, sans jamais oublier, derrière la rigueur des chiffres, notre devoir d’assurer notre mission humaniste de solidarité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste. (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur général, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le dernier PLFSS du quinquennat est en quelque sorte le résultat de l’action du Gouvernement et des propositions que les parlementaires ont faites depuis cinq ans.
Les chiffres le montrent, le déficit de la sécurité sociale a été fortement réduit dans sa globalité, et nous nous en réjouissons. Les dépenses de la branche famille ont diminué, à tel point que celle-ci est en train de devenir excédentaire. Il est vrai que cette situation est essentiellement due à la réforme des allocations familiales, modulées désormais en fonction du revenu des parents.
Les dépenses de la branche vieillesse diminuent, elles aussi, ce qui permet de mettre fin au déficit qu’elle accusait. Toutefois, cette diminution est imputable à l’allongement de la durée des cotisations, après l’adoption de deux lois successives : celle de 2010 et celle de 2014.
Au regard de l’état actuel du marché du travail, augmenter régulièrement l’âge de la retraite ne constitue pas, à nos yeux, une solution pérenne. Il est temps de repenser notre modèle social à l’aune de l’évolution du travail, de plus en plus volatile, de plus en plus rapide, robotisé, numérisé. Pour ce faire, comme l’a indiqué notre collègue Jean Desessard au début de l’examen de ce texte, les écologistes avancent des pistes sérieuses, comme le partage du travail et le revenu de base.
Même si nous n’adhérons pas forcément à toutes les réformes entreprises, nous ne sommes pas convaincus malgré tout que le rejet du budget en bloc par la droite sénatoriale soit une bonne solution.
Concernant les branches famille et vieillesse, ce dernier PLFSS présentait de bonnes mesures. Les dispositions relatives au recouvrement des créances de pensions alimentaires constituent une protection très souhaitable pour les parents isolés, les familles monoparentales, dont le parent est d’ailleurs souvent une femme. Nous saluons également la simplification des aides des particuliers employeurs, ainsi que, dans la branche vieillesse, l’extension du bénéfice du taux réduit ou nul de la CSG – contribution sociale généralisée –, qui va dans le bon sens, car cela favorise les retraités les plus fragiles.
La branche accidents du travail-maladies professionnelles est, quant à elle, encore en excédent, pour la troisième année consécutive. Cependant, nous regrettons que cet excédent ne soit pas davantage utilisé pour améliorer la santé des travailleurs, en développant la prévention, car, comme nous l’avons souligné au cours des débats, les besoins en la matière sont immenses. Nous notons avec satisfaction que la plupart de nos propositions sur ce sujet ont été retenues, concernant l’information des bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et la réduction des inégalités entre les fonctionnaires et les salariés du privé pour la procédure d’attribution d’une rente au conjoint survivant.
La branche maladie est à part, puisque de gros efforts sont encore nécessaires pour la faire revenir à l’équilibre. Malgré tout, les chiffres montrent que son déficit a été réduit depuis quelques années. Si nous nous en réjouissons sur le fond, nous insistons fermement sur le fait que ces réductions ne peuvent se faire sur le dos des plus vulnérables. En outre, elles ne peuvent être pérennes que si l’on met – enfin ! – la prévention au cœur du dispositif de santé d’une façon beaucoup plus systématique.
En ce sens, nous avions déposé plusieurs amendements concernant l’accès aux soins, la santé environnementale et la lutte contre les maladies chroniques non transmissibles, à l’origine de 80 % des dépenses remboursées par l’assurance maladie. Nous regrettons que ceux-ci n’aient pas été acceptés, alors même qu’ils auraient permis de créer progressivement, à moyen et long termes, de nouvelles recettes pour la sécurité sociale.
Le texte tel qu’il a été présenté au Sénat comportait plusieurs mesures très positives, prévoyant plus d’accès aux soins et permettant de lutter notamment contre le tabagisme, avec l’article alignant le prix du tabac à rouler sur celui des cigarettes, qui a été maintenu ; et nous en remercions nos collègues. Malheureusement, d’autres mesures ont été supprimées, comme la création d’une taxe sur le chiffre d’affaires des cigarettiers, une mesure de justice fiscale nécessaire, et le renforcement de l’accès aux soins dentaires, qui constitue pourtant un véritable problème dans notre pays.
De façon plus générale, le problème de l’accès aux soins reste très important. Entre 15 % et 30 % des Français déclarent avoir renoncé à des soins ou repoussé des soins d’une année sur l’autre faute de moyens financiers, selon plusieurs études de la DREES, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, et de l’IRDES, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, notamment. Entre 2014 et 2015, le renoncement a augmenté de 6 % ! Nous ne comprenons pas pourquoi la majorité sénatoriale a supprimé l’article prévoyant la généralisation du tiers payant au détour d’un amendement, avec des arguments que nous contestons.
Nous avons ainsi entendu, lors de nos débats, que le tiers payant généralisé serait inefficace pour réduire le renoncement aux soins dans la mesure où les patients aux revenus modestes en bénéficieraient déjà par l’intermédiaire de la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire. Cet argument n’est pas valide.
En effet, le plafond de revenu mensuel pour pouvoir demander la CMU-C est de 721 euros pour une personne seule, un plafond en dessous du seuil de pauvreté, qui se situe aujourd'hui, selon les estimations, autour de 960 euros. Or, aujourd'hui, dans notre pays, beaucoup de salariés pauvres, modestes ou appartenant à la classe moyenne sont au-dessus de ce plafond et de celui de l’ACS, l’aide au paiement d’une complémentaire santé, et ont absolument besoin du tiers payant pour se soigner.
Face à ce constat, grave, la suppression du tiers payant par le Sénat est, à nos yeux, absolument inacceptable. Nous espérons très sincèrement que cette mesure sera rétablie dans la version finale du PLFSS.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : même si certains de nos amendements ont été adoptés, les modifications qui lui ont été apportées par le Sénat nous obligent à voter contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. En effet, dans sa version issue des travaux de notre assemblée, il ne nous semble pas en accord avec les grands principes qui ont inspiré les fondateurs de la sécurité sociale ni avec la nécessité d’une solidarité nationale forte dans une période où notre pays a besoin de cohésion sociale pour faire face à une crise économique et sociale très grave. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, à l’issue d’une semaine de débats vifs, animés, mais, je tiens à le souligner, respectueux des convictions de chacun, nous allons, dans quelques instants, nous prononcer sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.
L’Assemblée nationale nous avait transmis un texte dense, ambitieux et cohérent, aboutissement de près de cinq ans de travail pour moderniser notre système de protection sociale dans une société en pleine évolution.
Je salue à nouveau l’engagement personnel et la détermination de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé et des secrétaires d’État qui l’accompagnent. Je remercie tous les membres du Gouvernement qui ont pris part à nos débats pour leur effort de pédagogie.
Sur le plan financier, le retour à l’équilibre du régime général en 2017 (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.), avec un déficit de 400 millions d’euros et une projection excédentaire de 2 milliards d’euros pour 2018, est, ne vous en déplaise, chers collègues de la droite, une garantie de confiance et de pérennité pour notre modèle social.
La reprise économique a participé à ce redressement, mais la réduction constante des déficits depuis 2012 résulte des mesures courageuses prises par le Gouvernement tout au long de ce quinquennat, mesures qui n’ont pas conduit à des déremboursements, ni à de nouvelles franchises ou à de nouveaux forfaits, comme en témoigne l’augmentation de la part prise en charge par l’assurance maladie obligatoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand et Mme Hermeline Malherbe applaudissent également.)
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Gestion rationnelle et justice sociale, dans une vision d’avenir : telles ont été les lignes directrices de l’action du Gouvernement.
Au-delà d’une sécurité sociale redressée – ce n’est pas rien ! –, le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui nous a été présenté comporte des dispositifs opportuns, justes et efficaces. Ainsi de l’exonération des cotisations d’assurance maladie au profit des indépendants les plus modestes et de la dégressivité des exonérations accordées aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise, destinée à prévenir les effets d’aubaine, mais aussi de l’obligation d’affiliation au RSI pour les particuliers tirant un revenu supérieur à un certain plafond de la location de meublés pour de courtes durées.
Je pense également à l’augmentation de la taxe sur le tabac à rouler, si souvent consommé par les plus jeunes, et à la mise en place d’une procédure unique et simplifiée pour le recours à des tiers déclarants, ou encore à la création d’un fonds pour le financement de l’innovation pharmaceutique.
Le même souci de justice a conduit à l’exonération totale ou partielle de CSG pour 500 000 retraités et à la prise en charge intégrale des frais de santé des victimes d’actes de terrorisme.
Enfin, l’ONDAM pour 2017 a été calculé afin de prendre en compte la revalorisation du point d’indice de la fonction publique et d’autres mesures en faveur des personnels des hôpitaux et des médecins.
Oui, des points de vigilance demeurent. C’est le cas du déficit de 3,8 milliards d’euros du Fonds de solidarité vieillesse, qui a été souligné en boucle par la majorité sénatoriale, oublieuse que, lors du précédent quinquennat, les comptes de ce fonds sont passés en une seule année, de 2008 à 2009, d’un excédent de 810 millions d’euros à un déficit de 3,2 milliards d’euros…
Nous mesurons la charge de travail à l’hôpital et nous voulons saluer le dévouement et l’engagement dont font preuve, en toute circonstance, les personnels de santé. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
Traduction d’une politique fondée sur le mouvement, l’innovation et la modernisation au service d’une seule ambition : l’égalité d’accès à la santé, y compris aux médicaments innovants, pour tous nos concitoyens sur tous les territoires, le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement est résolument tourné vers l’avenir.
L’attitude adoptée par la droite sénatoriale n’en est que plus surprenante. Sur plusieurs sujets, comme la politique familiale, les débats de fond sont légitimes. Mais pourquoi s’appliquer à détricoter le texte, à le dénaturer ?
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez contesté la fin du déficit de la sécurité sociale pour 2017, accusant le Gouvernement de subterfuges comptables, d’insincérité et de tuyauteries.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Dans cette logique, vous avez rejeté les différents tableaux d’équilibre. Pourquoi refuser à tout prix de reconnaître des réalités qui devraient nous rassembler par-delà nos divergences ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Maquillage !
M. Yves Daudigny. N’est-il pas dangereux d’alimenter ainsi le doute permanent sur la parole politique et sur la responsabilité des élus ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. Hubert Falco. Souffrez que nous soyons en désaccord avec votre politique !
M. Yves Daudigny. Surprenante, l’attitude de la droite sénatoriale l’est encore davantage compte tenu de l’absence de propositions alternatives.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Chers collègues de la majorité sénatoriale, quelle est votre stratégie globale ? Selon vous, faut-il plus de dépenses ? Moins de dépenses ? Approuvez-vous la consultation à 25 euros, l’augmentation du point d’indice ? Nous ne le savons pas !
Pour ce qui est des dispositions que vous avez adoptées, elles témoignent d’une vision réductrice de la sécurité sociale. Je pense tout particulièrement à la suppression du tiers payant généralisé et à celle du fonds pour le financement de l’innovation pharmaceutique.
Trop rares ont été les occasions de dépasser les clivages partisans au service du seul intérêt général. C’est dans cet esprit que le groupe socialiste et républicain a voté, contre l’avis du Gouvernement, l’amendement tendant à exonérer de cotisations retraite les médecins retraités reprenant une activité partielle dans une zone sous-dense et qu’un large accord s’est formé pour réécrire l’article consacré aux biosimilaires.
Au moins avons-nous pu débattre, ce qui risque de nous être refusé pour le projet de loi de finances. Je remercie Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, d’avoir permis aux sénateurs de s’exprimer.
Permettez-moi d’exprimer, pour finir, l’inquiétude que m’inspirent les programmes des candidats de la droite et du centre (Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), que vous soutenez, chers collègues de la majorité sénatoriale, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Ces programmes, il faut les lire,…
M. Philippe Dallier. Vous allez vous instruire !
M. Jean-Louis Carrère. Ils ne les ont pas lus !
M. Yves Daudigny. … car ils ne prévoient rien de moins que la suppression du tiers payant généralisé, la fin des 35 heures à l’hôpital et le report à 65 ans de l’âge de départ à la retraite. Plus grave encore : on annonce une redéfinition des rôles respectifs de l’assurance publique et de l’assurance privée, qui mettrait fin aux « jours heureux » (M. Jean-Claude Frécon opine.) bâtis sur la seule solidarité !
M. Jean-Louis Carrère. Avec Fillon, tout serait démoli !
M. le président. Il faut conclure, monsieur Daudigny.
M. Yves Daudigny. Le texte qui résulte de nos travaux illustre le fossé qui sépare, en matière de protection sociale, les conceptions de la droite et les valeurs de la gauche dans l’exercice des responsabilités gouvernementales. C’est pourquoi, en toute conscience, nous voterons contre et nous appelons à le rejeter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, après l’examen par la Haute Assemblée du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, nous allons statuer dans quelques instants sur un texte profondément modifié par rapport à celui adopté par l’Assemblée nationale.
M. Charles Revet. Heureusement !
M. Alain Milon. Au nom de mon groupe, je tiens, tout d’abord, à saluer le travail du rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, ainsi que de l’ensemble des rapporteurs, Caroline Cayeux, Gérard Dériot, Gérard Roche, René-Paul Savary, et Francis Delattre, pour la commission des finances. Leurs travaux nous ont permis d’examiner ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec objectivité et lucidité.
Le Gouvernement entendait démontrer qu’il avait définitivement réussi à rétablir l’équilibre des comptes, que le gouvernement précédent aurait laissé partir à la dérive. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.)
M. Dominique Bailly. C’est exactement cela !
M. Alain Milon. Nous avons marqué notre désaccord de fond avec cette approche. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons d’abord rappelé la contribution décisive de la réforme des retraites de 2010 à l’amélioration des comptes de la branche vieillesse.
Nous avons ensuite contesté la politique menée depuis 2012 en matière de retraite, qui s’est traduite par une seule réforme paramétrique, l’allongement de la durée de cotisation, et par de nombreuses mesures contestables, comme les hausses de cotisations vieillesse, qui affaiblissent la compétitivité des entreprises, l’élargissement déraisonnable et coûteux de la retraite anticipée pour les carrières longues et la création du compte pénibilité, perçue par les entreprises, à juste titre, comme un casse-tête et une contrainte supplémentaire, voire un frein à l’emploi.
Nous avons également dénoncé une politique familiale marquée par la modulation des allocations familiales, qui signe la fin de leur universalité, et par la réforme du congé parental : deux mesures qui représentent, à notre sens, des économies injustes au détriment des familles.
Notre politique familiale comporte, de longue date, de nombreux dispositifs destinés à répondre spécifiquement aux situations des familles dont les ressources sont les plus modestes. Il n’en demeure pas moins qu’elle accordait aussi à chaque foyer, indépendamment de son niveau de revenus, une forme de compensation des charges familiales. Or, avec la réduction combinée du quotient familial et des allocations familiales, cet élément constitutif fort de notre politique familiale est désormais dangereusement fragilisé.
Notre désaccord s’est traduit par le rejet des objectifs de dépenses et de recettes et par la suppression de certaines mesures de transfert et de ponction, principalement destinées à améliorer artificiellement la présentation des comptes.
Pour cela, nous avons subi de nombreuses critiques, selon lesquelles nous ne proposerions pas de contre-mesures. Pourtant, notre collègue Catherine Deroche a, dans la discussion générale, présenté la réflexion de fond entreprise par notre groupe en vue de proposer les grandes orientations qui définiront la protection sociale de demain. N’imaginez pas que nous sommes à court d’idées !
Limiter l’intervention de l’administration à une juste régulation, redynamiser l’exercice libéral de la médecine, donner une plus grande autonomie de gestion aux hôpitaux publics, favoriser le travail complémentaire du secteur public et du secteur privé et réaffirmer le rôle de l’assurance maladie dans le financement de notre système de protection sociale sont autant de mesures qui illustrent le changement de cap que nous appelons de nos vœux.
Par ailleurs, nous nous félicitions de la suppression de certains articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je pense en particulier à trois d’entre eux.
L’article 19 bis, relatif aux clauses de désignation pour la couverture prévoyance en entreprise, qui constituait une nouvelle tentative de contournement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel s’est déjà prononcé sur l’inconstitutionnalité des clauses remettant en cause les libertés d’entreprendre et de contractualiser.
L’article 43 quater, qui concerne la négociation conventionnelle avec les chirurgiens-dentistes.
Enfin, l’article 52 bis, qui a trait aux tarifs de radiologie.
Nous avons jugé que ces articles allaient peser d’une manière démesurée sur les négociations conventionnelles en cours.
De nombreuses dispositions ont également été modifiées. Ainsi des articles relatifs à la création d’un avantage financier versé durant le congé maternité ou paternité des médecins conventionnés : alors qu’il était réservé aux médecins exerçant en secteur 1, nous avons voulu en faire bénéficier l’ensemble des médecins, quels que soient leur secteur et leur zone d’activité. Je pense aussi à la retraite anticipée des travailleurs handicapés : nous avons rétabli la possibilité pour les titulaires de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la RQTH, de faire valoir leur droit à la retraite anticipée.
Nous avons eu un débat riche sur la question des déserts médicaux. Le problème actuel, à mon sens, est celui d’une désaffection des étudiants en médecine pour la spécialité de médecine générale, notamment en zone rurale. Les différentes mesures prises, comme la création des maisons de santé et diverses incitations financières, ont eu un effet insuffisant sur cette situation.
M. Jean-Pierre Sueur. Que proposez-vous ?
M. Alain Milon. Une réflexion pourrait être menée sur l’accès des généralistes au secteur 2, en plus de la réalisation d’actes techniques rémunérateurs. Je rappelle que la plupart des complémentaires santé assurent le remboursement des actes médicaux sur la base du double du tarif conventionnel. Les Français paient donc un service dont ils ne peuvent bénéficier chez les médecins généralistes, car ceux-ci sont interdits de secteur 2.
Enfin, je me félicite de la suppression du tiers payant généralisé et obligatoire (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.), étant donné que les médecins le pratiquent systématiquement quand ils voient une famille en difficulté.
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Alain Milon. Pour mon groupe, cette mesure remet en cause le lien direct entre patients et médecins, un élément pourtant essentiel de cette relation bien particulière. C’est le coup de grâce porté à l’exercice libéral au profit d’un système administré ! (Exclamations sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Berson. C’est risible !
M. Alain Milon. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons tous le même objectif : l’égalité de toutes les Françaises et de tous les Français devant l’accès aux soins. Mais les moyens préconisés pour le réaliser ne sont pas les mêmes dans notre camp et dans l’autre.
Nous restons très préoccupés par la situation des comptes sociaux. Je vous rappelle que le tendanciel pour 2017 s’établit à 8 milliards d’euros de déficit et que le déficit calculable à partir de ce que vous nous avez proposé pourrait être de l’ordre de 4,1 milliards d’euros, FSV compris !
La majorité sénatoriale a modifié le projet de loi de financement de la sécurité sociale en profondeur. Nous pensons être parvenus à un bon texte et nous invitons nos collègues à le voter ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (De nombreux sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et sortent de l’hémicycle.)
M. Jean-Louis Carrère. Certains de nos collègues semblent pressés de quitter l’hémicycle !
M. Simon Sutour. Ils ne seront pas éclairés !
M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les bonnes nouvelles sont rares : quand il y en a, pourquoi s’en priver ? Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, tel que présenté par le Gouvernement, contient plusieurs bonnes nouvelles.
Au niveau national, le régime général de la sécurité sociale sera presque à l’équilibre l’année prochaine.
Mme Françoise Férat. Oh là là !
M. Robert Navarro. Au niveau des collectivités territoriales, la constitution d’équipes de médecins libéraux remplaçants auprès des agences régionales de santé permettra de soutenir ceux qui sont installés en zone sous-dense. Ce n’est qu’un premier pas, mais qui mérite d’être salué.
Nous devons aller plus loin, notamment en permettant aux élus ruraux d’être davantage représentés dans les conseils territoriaux de santé et mieux intégrés au sein du collège des collectivités territoriales par les agences régionales de santé.
Renforcer la présence médicale sur l’ensemble du territoire pose aussi la question du numerus clausus pour les zones déjà bien pourvues, une question qui doit être sur la table.
Nous devons aussi envisager une redéfinition de la délégation des actes, comme la possibilité donnée aux pharmaciens de pratiquer des vaccins.
Je voterai contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 dans sa version issue des travaux du Sénat, à cause surtout de l’article 10, dangereux à plus d’un titre. Oui, il faut que tous les revenus soient soumis à l’impôt et aux cotisations sociales ; mais je n’imaginais pas que la majorité sénatoriale durcirait ainsi la fiscalité des gîtes ruraux et de l’économie collaborative.
Pour cette dernière, je propose une mesure juste et de bon sens : que les plateformes prélèvent elles-mêmes les charges sociales et l’impôt sur la base de ce que paient les micro-entrepreneurs, dès le premier euro et de façon libératoire. Imposer l’affiliation au RSI dès 40 % du plafond annuel de la sécurité sociale relève, excusez-moi de le dire, d’une folie fiscale furieuse !
Les particuliers qui ont investi dans des gîtes ruraux ne peuvent se le permettre, et c’est aussi une menace de taille pour le tourisme et l’économie collaborative. C’est, enfin, condamner la débrouille de ceux, nombreux dans les métropoles, qui ne peuvent payer leur résidence principale que par ce biais. J’espère donc que l’Assemblée nationale corrigera cet article 10, au moins pour revenir à sa rédaction initiale ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Mireille Jouve et M. Alain Bertrand applaudissent également.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Bruno Gilles, Valérie Létard et Catherine Tasca, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 67 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 148 |
Le Sénat a adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier, au nom de Marisol Touraine, l’ensemble des membres de la Haute Assemblée, car les travaux qui ont été conduits au Sénat sur ce texte ont été très riches.
Je tiens en particulier à saluer Mme et MM. les rapporteurs, ainsi que M. le président de la commission des affaires sociales. Je tiens également à saluer les services de la commission et l’ensemble du personnel administratif du Sénat, qui ont contribué à la bonne conduite de nos débats.
Le texte tel qu’il a été adopté par votre assemblée se trouve évidemment amputé d’une partie de ses mesures fortes. D’autres dispositions auxquelles le Gouvernement était défavorable ont par ailleurs été adoptées. Nous ne doutons pas que la navette parlementaire permettra de rétablir ces mesures.
Je veux insister une nouvelle fois sur les mesures structurelles qui figurent dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, en cohérence avec la politique conduite depuis 2012. En renforçant les équipes ambulatoires, en recentrant l’hôpital sur ses compétences de recours, en améliorant le maillage territorial, en garantissant l’accès aux soins grâce au tiers payant généralisé et au développement de l’innovation, nous modernisons notre système de protection sociale.
Nous avons rétabli l’équilibre du régime général de la sécurité sociale tout en renforçant les droits sociaux de nos concitoyens. Nous avons modernisé notre politique sociale pour assurer une meilleure prise en charge et un meilleur accompagnement de nos concitoyens. Je pense à l’ambitieux plan d’accès aux soins dentaires, mais aussi évidemment, en tant que secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l'autonomie, aux moyens considérables prévus par ce texte dans le secteur médico-social.
Avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, nous amplifions une dynamique qui renforcera la confiance des Français dans leur modèle social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Mes chers collègues, comme à chaque fois, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect et l’écoute des uns et des autres.
Je demande également à chaque intervenant de respecter le temps de parole qui lui est imparti.
Au cours de cette séance de questions, M. Jean-Claude Gaudin me remplacera au fauteuil de la présidence, et je l’en remercie.
examen du projet de loi finances pour 2017
M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce jeudi 24 novembre, le Sénat aurait dû entamer, comme chaque année, l’examen en séance plénière du projet de loi de finances, et ce pour plusieurs semaines, jusqu’au 13 décembre prochain.
Dans ce budget, des choix essentiels ont été faits. Je citerai, entre autres mesures, une nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu de 1 milliard d’euros, prévue dans le quantum global, qui ciblera les classes moyennes et touchera 5 millions de foyers fiscaux,…
M. Albéric de Montgolfier. Mesure non financée !
Mme Michèle André. … la réforme du prélèvement à la source, qui bénéficiera à tous les Français et leur permettra de mieux faire face aux différents événements de la vie, ou la poursuite de la diminution des dépenses de l’État, associée au financement de nos priorités, au premier rang desquelles l’emploi, l’éducation et la protection des Français, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières.
La commission des finances a accompli un travail de qualité. Notons que sur la quasi-totalité des missions budgétaires examinées, la plupart ont été adoptées. Toutefois, pour un certain nombre d’entre celles qui ont été rejetées, il nous a semblé que la majorité ne savait pas s’il y avait trop de crédits ou pas assez…
La droite déposera donc une motion tendant à opposer la question préalable. De ce fait, et pour la première fois depuis vingt-quatre ans, le Sénat n’examinera pas le budget !
M. Simon Sutour. C’est scandaleux !
Mme Michèle André. Je m’étonne, lorsque l’on prétend incarner l’alternance, que l’on ne soit pas en mesure de présenter un budget alternatif ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe écologiste.)
Hasard du calendrier sans doute, la Commission européenne vient justement de faire savoir à la France qu’elle validait son projet de budget et qu’elle considère que l’objectif d’un déficit sous les 3 % du PIB sera respecté l’année prochaine, n’en déplaise à certains…
Monsieur le Premier ministre, puisque la majorité sénatoriale a choisi de ne pas examiner le budget pour 2017, pourriez-vous présenter dans cet hémicycle les grandes mesures concrètes (Exclamations amusées sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) qui contribueront à améliorer la vie des Français l’an prochain et dont la majorité sénatoriale ne veut pas débattre ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la présidente Michèle André, vous l’avez dit, et je le constate, la majorité sénatoriale a annoncé qu’elle rejetterait le budget de la France pour 2017 sans même véritablement l’examiner ou le discuter (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Jean-Louis Carrère. Regardez-moi ces démocrates !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je réponds à Mme la présidente Michèle André, qui m’invite à vous donner un certain nombre d’informations.
Je regrette profondément le choix de la droite sénatoriale.
Mme Catherine Troendlé. Il s’agit d’un choix responsable !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je le regrette pour l’institution sénatoriale. Je suis d’autant plus surpris par cette décision que le président du Sénat, que je respecte évidemment infiniment (Exclamations amusées sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), avait déclaré à la fin du mois de septembre qu’il souhaitait que le Sénat examine le budget. Il avait même affirmé – j’imagine qu’un grand nombre de sénateurs partageait cette position – que ce serait l’occasion pour le Sénat, en tout cas pour sa majorité, de construire un budget d’alternance. Il s’agit donc d’une occasion manquée, notamment devant les Français. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Je regrette également ce choix pour la qualité du débat public : l’examen du budget de la Nation est l’un des temps forts, sinon le moment le plus important d’une session parlementaire,…
M. Jean-Louis Carrère. Eh oui !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … et compte parmi les missions essentielles des parlementaires, députés ou sénateurs. Il s’agit en outre d’un moment de confrontation politique utile, surtout au Sénat, où les débats sont courtois, où chacun peut avancer ses idées pour le pays, projet contre projet !
M. Hubert Falco. Le débat aura lieu, ne vous inquiétez pas !
M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai l’impression qu’il a d’abord lieu cette semaine et qu’il aura lieu ensuite !
Ce débat est d’autant plus important que nous nous trouvons à un moment décisif pour l’avenir du pays : la Nation va choisir son destin.
Pourquoi refuser le débat et ne pas exposer clairement son projet ? En réalité, ce choix s’explique très simplement : la majorité sénatoriale refuse de présenter un budget alternatif, car je ne la crois pas capable de le faire ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce n’est pas que vous n’en soyez pas capables sur le plan technique – je n’en doute pas un seul instant –,…
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas sûr ! Ils ne savent pas compter !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … mais vous en êtes incapables sur le plan politique ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Si vous avez pris une telle décision à ce moment clé, c’est pour masquer les divisions qui existent. (Exclamations sur mêmes travées.)
Vous allez refuser le débat, alors que les Français veulent savoir comment le plan d’économies de 100 milliards à 150 milliards d’euros que vous annoncez sera réalisé. Il faut dire clairement au pays comment vous comptez faire pour supprimer 300 000 à 500 000 emplois publics.
Mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, assumez votre programme devant les Français : l’augmentation de la TVA, la baisse de l’impôt sur les sociétés, la suppression de l’ISF, la fin des trente-cinq heures… Faites-le, votez-le, vous en avez le pouvoir, ici, au Sénat !
Et surtout, dites-nous – puisque j’ai souvent entendu parler de sérieux budgétaire – comment l’un de vos candidats, François Fillon, aujourd’hui, me semble-t-il, favori – même s’il faut bien sûr respecter le vote des électeurs dimanche prochain –, fera pour assumer la hausse du déficit à 4,7 % du PIB en 2018,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On fera comme vous !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … en proposant des mesures particulièrement injustes pour les classes moyennes et les couches populaires tout en ne permettant pas de préparer l’avenir du pays et en faisant peser cet avenir sur notre jeunesse. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la présidente de la commission des finances, et j’en termine, le budget que nous présentons est un budget sérieux,…
M. Manuel Valls, Premier ministre. … et qui respecte bien sûr nos engagements européens : notre déficit s’établira à moins de 3 % en 2017 ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) C’est important pour l’indépendance et la souveraineté de la France ; c’est important pour la crédibilité de sa parole ; c’est important, évidemment, pour la relation que nous avons avec nos principaux partenaires. (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, nous assumons le financement de nos priorités, que ce soit la sécurité des Français – il y en a qui assument moins de policiers et moins de gendarmes pour protéger nos compatriotes (Nouvelles marques d’impatience sur les mêmes travées.) –, l’éducation et la jeunesse, ou la volonté de sauvegarder notre modèle de protection sociale.
Voilà ce qui sera au cœur d’un débat, projet contre projet, un débat essentiel pour l’avenir de la Nation ! J’aurais souhaité que ce débat ait lieu ici, au Sénat ; il aura bien sûr lieu devant nos compatriotes. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Mireille Jouve et M. Alain Bertrand applaudissent également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
la réforme du statut de la polynésie française
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le Premier ministre, le gouvernement de la Polynésie française sollicite une réforme de son statut depuis le début de l’année 2015.
Les principales orientations de cette réforme ont été exposées à la fin du mois de février 2015 au président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis le 9 mars 2015 à Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des outre-mer.
Ces modifications statutaires ont été examinées par les représentants du pays et le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française.
En février 2016, le Président de la République a solennellement reconnu dans son discours de Papeete la contribution de la Polynésie française à la constitution de la force nucléaire française et les impacts des essais nucléaires sur la vie des Polynésiens dans les domaines sanitaires, environnementaux, économiques et sociaux.
En mai 2016, il avait été convenu entre Paris et la Polynésie française d’inscrire la reconnaissance du fait nucléaire et les principaux engagements de l’État, complétés par les accords de Papeete, dans le statut de la Polynésie française. Cette réforme statutaire devait être intégrée à un projet de loi organique, dont la discussion devait débuter au Sénat au mois d’octobre dernier.
Or, à ce jour, force est de constater que le projet de loi organique n’a toujours pas été soumis à l’examen du Conseil d’État ni à la consultation de l’Assemblée de la Polynésie française.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous confirmer que le Gouvernement a bien l’intention de faire adopter cette loi organique, tant attendue par les Polynésiens ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je vous remercie pour cette question. Comme vous l’avez indiqué, un très important travail a été réalisé localement au cours de l’année 2015. Le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française et les services de la présidence ont identifié conjointement des pistes d’amélioration du statut de la Polynésie française. Le pays a remis trois rapports à mon ministère pour présenter les modifications nécessaires.
Tout au long des semaines qui ont suivi, le ministère des outre-mer et la présidence de la Polynésie française ont mené un important travail de concertation afin de mieux cibler les priorités. Certaines modifications nécessitaient une expertise particulière, plus fine, qui a mobilisé d’autres ministères, entraînant par conséquent l’organisation de réunions interministérielles.
Les avancées qui figurent aujourd’hui dans le projet de loi organique sont majeures et reprennent, madame la sénatrice, les engagements du Président de la République annoncés à Papeete au mois de février 2016, que ce soit au sujet de la dotation globale d’autonomie ou de la reconnaissance du fait nucléaire en Polynésie française.
Le texte préparé conjointement avec la Polynésie française est fidèle à ce qui a été annoncé. Je salue d’ailleurs l’excellent travail qui a été réalisé en concertation étroite et quasi quotidienne entre l’État et la Polynésie française sur ce sujet. Nous avons franchi chaque étape ensemble, du début à la fin. Ce projet de loi organique a été mûri en totale coconstruction.
D’ultimes ajustements sont néanmoins encore nécessaires, avant que le projet puisse être soumis à la consultation du pays et à l’examen du Conseil d’État.
Je vous l’annonce, madame la sénatrice, notre ambition est de présenter ce texte en conseil des ministres au mois de janvier 2017. Vous le voyez, le Gouvernement, comme il s’y est engagé, met tout en œuvre pour que ce projet de loi organique puisse aboutir dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour la réplique.
Mme Lana Tetuanui. Merci, madame la ministre. Mais, franchement, me dire que le projet de loi organique sera présenté en conseil des ministres en janvier 2017, cela signifie que ce sont d’autres qui finiront le travail engagé par certains ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Ma question s'adressait à M. le ministre de l’intérieur, que je salue.
Je vais trahir un secret, mais je vous informe que l’on m’a téléphoné pendant le déjeuner pour me dire que ce serait Mme Ségolène Royal qui me répondrait. On m’a ensuite dit que ce serait M. Vidalies. Finalement, c’est Mme Pompili – je la salue également – qui répondra à ma question ! (Sourires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le 9 septembre dernier, Anne Hidalgo a décidé de fermer les voies sur berges de la rive droite de la Seine. (Exclamations amusées sur les mêmes travées.) Au mépris de la concertation, la maire de Paris a passé outre le refus des riverains et l’avis défavorable de la commission d’enquête. Drôle de conception de la démocratie !
Le comité régional de suivi et d’évaluation des impacts de la piétonnisation des voies sur berges rive droite a rendu un deuxième rapport d’étape.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Pierre Charon. Ses conclusions sont cinglantes :…
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Pierre Charon. … la fermeture des voies sur berges vise à diminuer le trafic automobile, mais elle le renforce sur les quais et les rues situées aux alentours !
M. Alain Néri. On n’est pas au Conseil de Paris ici !
M. Pierre Charon. Depuis quinze ans, on constatait une baisse régulière du trafic dans Paris intra-muros. Aujourd’hui, la circulation augmente de nouveau, entraînant des embouteillages supplémentaires :…
M. Simon Sutour. C’est une question du mardi matin !
M. Pierre Charon. … sous prétexte de libérer les berges, on encombre la voirie !
M. Jean-Louis Carrère. Vous n’avez qu’à venir en province !
M. Pierre Charon. On observe également une hausse significative du niveau de bruit, bruit que vous faites allégrement, mes chers collègues ! (M. Alain Néri s’exclame.)
L’environnement n’en sort pas indemne. Sachant qu’un véhicule à l’arrêt, c’est davantage de pollution, les reports de circulation consécutifs aux fermetures de voies augmentent le taux de dioxyde d’azote.
Cette opération de communication se transforme en enfer pour tout le monde : les riverains et les automobilistes, les Parisiens comme les Franciliens ! Même le préfet de police a prudemment demandé une expérimentation de six mois. Et cette mesure doit être réversible, monsieur Cazeneuve. Or Mme Hidalgo encourage des constructions qui ne font que présager un aménagement définitif des voies sur berges !
On veut imposer par la force une mesure qui pénalise Paris et toute l’Île-de-France ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je demande au ministre de l’intérieur, par la voix de Mme Pompili, de me dire ce qu’il envisage de faire dans un dossier géré de manière irresponsable et sectaire du début à la fin. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC. – M. David Assouline proteste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Cette semaine est pleine de grandes surprises, monsieur Charon : c’est donc moi qui vais vous répondre. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au fond, la question que vous évoquez, à savoir la congestion des grandes métropoles par les véhicules automobiles et ses conséquences sur la santé publique, avec des milliers de morts chaque année, se pose partout dans le monde. Nul ne peut s’exonérer d’y répondre, mais les réponses sont différentes.
Certaines sont beaucoup plus abruptes que celle que vous abordez, puisqu’elles visent tantôt des péages urbains, tantôt des interdictions. Notre responsabilité collective est évidemment, en face, de développer le transport collectif, qui est une réponse nécessaire.
Ce débat fait partie de l’affrontement démocratique. Mme Hidalgo et la liste qui a obtenu la confiance des Parisiens n’ont pris personne par surprise, puisque, vous le savez, cette proposition figurait parmi celles que la majorité des habitants de la capitale ont acceptées. (Mme Annie Guillemot applaudit. – Mme Catherine Procaccia et M. Pierre Charon s’exclament.)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Mme Hidalgo et la majorité n’ont fait que mettre en œuvre ce à quoi elles s’étaient engagées ; cela mérite d’être rappelé.
Depuis se déroule un débat au cours duquel chacun veut désigner ses propres experts et prendre des initiatives qui sont parfois singulières. Ainsi, je tiens à le rappeler pour que le dossier soit complet, un amendement a tout simplement visé, pour répondre à cette situation, à transférer la compétence voirie à la présidence de la région.
M. Roger Karoutchi. C’est normal !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. On pourrait expliquer au maire de Bordeaux que c’est le président Rousset qui va exercer cette compétence, ou au maire de Toulouse que ce sera la présidente de la région. Tout cela n’est pas sérieux ! (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Le sérieux, c’est la garantie que l’État doit apporter. Pendant six mois aura lieu une observation, il y a une expertise, qui doit être non pas partisane, mais partagée. Je vous le répète, l’ensemble des éléments d’information que le préfet détient seront communiqués à tous. À l’issue de cette phase, une décision sera prise.
L’inertie n’était pas une option ; la démocratie est au rendez-vous de ce qui a été fait. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
fermeture des commissariats
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du RDSE.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Elle concerne la gestion des effectifs de police et des horaires d’ouverture des commissariats, en particulier dans mon département.
Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à saluer votre action ainsi que celle de la police en général dans le contexte actuel particulièrement difficile. Comme on dit, la critique est aisée, mais l’art est difficile.
Au moment où la grogne des policiers ces derniers mois a interpellé l’ensemble de nos concitoyens sur les difficultés de nos forces de l’ordre, je ne vous cache pas mon inquiétude face à des informations révélées par le journal La Provence faisant part d’une restructuration dans tout le département des Bouches-du-Rhône, sans concertation avec les élus ni même les syndicats.
Deux secteurs en particulier seraient concernés : pour Marseille, des commissariats fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec des brigades de roulement risquent de se voir transformés en simples guichets, fermés à dix-neuf heures ; pour Vitrolles-Marignane, il s’agit d’un jumelage qui regroupe en fait six communes, soit environ 100 000 personnes, en une seule circonscription, sans parler de la zone de Plan de campagne.
Si je ne peux que saluer vos annonces sur la généralisation des patrouilles à trois et me réjouir de la mise en place d’une réforme des cycles horaires visant à améliorer le confort de travail des policiers, notamment en leur garantissant de plus longues périodes de repos, de onze heures, je crains que toute réorganisation prétendument sur l’ouverture nocturne des commissariats ne mène, lentement mais sûrement, à la fermeture définitive de ces commissariats, qui représentent pourtant des éléments essentiels pour la sécurité et la vie de nos territoires, même si nous sommes d’accord sur la nécessité de la présence de policiers sur le terrain.
Aussi, monsieur le ministre, je me dois de vous demander quelle est, au-delà de la posture convenue d’appel au dialogue, votre position sur cette réflexion qui dépasse largement l’inquiétude de mon département et s’étend de manière plus générale au maillage territorial des forces de l’ordre, y compris des gendarmeries en zone rurale. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, puisque nous avons déjà échangé sur ce sujet ce week-end, vous savez très exactement quelle est ma position. Je vais la réexposer devant le Sénat de façon très claire.
D’abord, le Gouvernement a la volonté de mettre plus de policiers dans des quartiers justifiant une intervention plus forte de la police – cela vaut également en milieu rural avec la gendarmerie. Pour cela, il faut que des policiers sortent des écoles de police pour que l’on puisse les déployer partout sur le territoire national.
Il faut augmenter les effectifs et les répartir là où la délinquance est la plus forte afin d’obtenir les meilleurs résultats. Près de 450 élèves sortaient des écoles de police voilà cinq ans, ils seront 4 600 cette année – je viens d’achever la tournée des écoles de police –, c’est-à-dire dix fois plus. Cela me permettra, aux Pennes-Mirabeau comme à Marseille, de poursuivre l’augmentation des effectifs. C’est là l’essentiel pour continuer à obtenir, comme c’est actuellement le cas, de bons résultats en matière de lutte contre la drogue (M. Michel Amiel opine.), les atteintes aux biens ou les organisations criminelles. (M. Michel Amiel opine de nouveau.)
La préfecture de police de Marseille a la volonté d’obtenir des résultats meilleurs en mettant plus de policiers sur la voie publique, jour et nuit. J’ai demandé au préfet de police de ne pas mettre en œuvre cette réforme aussi longtemps que la discussion avec les élus n’aura pas eu lieu et que nous n’aurons pas trouvé un accord avec eux. En effet, les maires étant notamment des acteurs déterminants de la lutte contre la délinquance, une réforme ne peut pas être bonne si elle ne les associe pas étroitement à cette lutte.
À Marseille, je vous le confirme, il y a des propositions, mais il n’y a pas une réforme qui sera mise en œuvre sans l’accord des élus. (M. Bruno Gilles s’exclame.) Si, au terme de la discussion, l’accord n’est pas trouvé ou si d’autres propositions émergent, nous ferons en sorte d’en tenir compte. Car dans cette ville comme ailleurs, l’objectif est simple : plus de policiers dans la rue – c’est pourquoi plus de policiers sortent des écoles – pour lutter contre la délinquance, faire reculer le crime organisé en France et permettre que la République affirme partout ses prérogatives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
COP 22
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. Ronan Dantec. Ma question s'adresse à Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité.
La tenue de la COP 22 à Marrakech a clos la présidence française de la COP 21. Accord universel sur le climat à Paris en décembre, entrée en vigueur inespérée de cet accord dès le 4 novembre dernier grâce à sa ratification rapide et massive, le bilan diplomatique de la France sur le front de la lutte contre le changement climatique est impressionnant.
Après la COP 22 de l’action portée par le gouvernement marocain, la France doit maintenant tenir son rang dans la réalité de ses propres politiques de réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, les résultats sont ici moins flamboyants.
Ainsi, après une baisse moyenne de 0,7 % par an depuis dix ans, les émissions en CO2 liées au transport en France ont remonté de près de 1 % en 2015, annihilant ainsi les efforts menés dans d’autres domaines. De plus, voilà quelques jours, la Cour des comptes a publié un rapport sévère sur « l’incohérence et l’inefficacité de la fiscalité verte », en soulignant notamment les nombreuses exonérations dont bénéficient les transports routier et aérien, très émetteurs de CO2.
Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre ou renforcer dans les prochaines semaines pour que, dès 2017, l’évolution des émissions de CO2 du transport français devienne compatible avec les objectifs de cet accord de Paris que la France a elle-même tant porté ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la biodiversité.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Dantec, la COP 22, qui est la première COP après l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, bien que marquée malheureusement par l’ombre de l’élection américaine, a confirmé que tous les pays continuent à s’engager avec la même dynamique que celle de la COP 21.
Comme l’a dit M. le Président de la République, cette dynamique est irréversible en droit, dans les faits et dans les consciences.
La COP 22, vous l’avez dit, a été la COP de l’action. Nous sommes effectivement entrés dans une phase de mise en œuvre avec des solutions concrètes. Nous avons déjà obtenu, au niveau international, un certain nombre de satisfactions, avec notamment la feuille de route pour la mobilisation de 100 milliards de dollars par les pays développés. La transparence sur les financements permet de renforcer la confiance et de penser désormais à l’ensemble des flux financiers, publics et privés, que nous devons orienter vers l’économie bas carbone.
En ce qui concerne la France, vous avez raison, nous devons évidemment rester exemplaires. Nous continuons à nous impliquer dans le processus. Nous le ferons en appliquant les objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, au travers des territoires à énergie positive et zéro déchet, dont 400, en France, sont déjà engagés, des territoires hydrogènes qui développent la mobilité propre, des aides à la mobilité électrique – voiture, et deux-roues l’an prochain – et au vélo, des villes respirables qui luttent contre la pollution de l’air, en pesant sur les négociations sur le transport aérien et le transport maritime international, en apportant un concours financier de la France aux initiatives de la société civile.
La France s’impliquera également dans les suites de la loi sur la reconquête de la biodiversité, qui est étroitement liée au climat.
Je vous l’annonce aussi, le Gouvernement lance un programme de végétalisation en ville pour lutter contre les îlots de chaleur.
Comme vous le voyez, il y a encore beaucoup à faire, notamment dans les domaines dont vous avez parlé. Mais nous sommes en marche ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – En marche ! et rires ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.
M. Ronan Dantec. Il est évident que la mobilité piétonne est un enjeu en soi…
Je souhaiterais juste revenir sur un point : je regrette, comme M. le Premier ministre, que nous n’ayons pu discuter le projet de loi de finances au Sénat. Nous avions rédigé des amendements portant notamment sur l’amortissement des véhicules utilitaires au gaz, vrai enjeu de filière industrielle en France, avec un impact très important en termes d’émissions de CO2. Les résultats de cette COP ne seront irréversibles que si nous donnons l’exemple, y compris aux Américains. (M. Jean Desessard applaudit.)
urbanisation des « dents creuses »
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
M. Michel Le Scouarnec. Ma question s'adresse à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable.
La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a pour objet de lutter contre la consommation excessive de foncier agricole. Mais, dans nos territoires ruraux, c’est tout le contraire qui se passe.
Nul ne conteste le bien-fondé des lois SRU, ALUR et Littoral. Mais pourquoi, au nom de la loi ALUR, interdire de construire dans les « dents creuses » des hameaux, terrains en friche, isolés entre des maisons existantes ?
Lors d’une réunion avec la DREAL de Bretagne, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, j’ai pu mesurer le fossé entre, d’une part, les attentes de mesures concrètes des élus et des propriétaires de terrains et, d’autre part, le discours des représentants des services de l’État, bien loin de la réalité.
Madame la ministre, des milliers de personnes sont concernées par cette dévalorisation de leurs propriétés. Je ne citerai qu’un exemple. À Kervignac, commune du Morbihan, environ 200 terrains sont concernés. Avec une moyenne de 500 mètres carrés par lot, cela fait plus de 10 hectares qui pourraient être déduits de l’étalement urbain, et donc rester en terres agricoles.
Les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, les STECAL, ne sont pas la solution globale. Tout concourt en faveur de l’abandon de cette mesure qui pose tant de difficultés aux élus pour leur plan local d’urbanisme, ou PLU, et qui heurte tant de petits propriétaires, loin d’être des spéculateurs. Écoutez-les, c’est urgent et cela nous concerne tous !
Construire dans les « dents creuses » est une exigence de justice et d’espoir pour un monde rural insuffisamment pris en considération. Nous réclamons ainsi la reconnaissance de ce que porte la ruralité en termes de potentiels humains et économiques.
Au-delà du nécessaire accompagnement des collectivités et de nos concitoyens, quelles véritables mesures envisagez-vous pour aménager la législation en cohérence avec la réalité des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Delphine Bataille et M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de l'habitat durable.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le sénateur Le Scouarnec, vous m’interrogez sur un sujet dont nous débattons avec vous-même et nombre de vos collègues députés bretons depuis plusieurs mois, ce qui nous a conduits à organiser, vous l’avez dit, un atelier de travail le 3 novembre dernier avec la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, sur l’application cumulée de la loi Littoral, de la loi ALUR et des STECAL, les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées.
En effet, des difficultés apparaissent aujourd’hui notamment, je tiens à le souligner, dans la compréhension de ces mesures par les élus locaux et par les juridictions. Lors de cet atelier législatif et juridique, auquel vous avez participé, nous avons pu en particulier confronter les positions de la Cour administrative d’appel avec celles du tribunal administratif, qui nous ont montré qu’un certain nombre de dispositions législatives n’étaient aujourd’hui pas appliquées par les élus locaux pour utiliser notamment ces « dents creuses ».
Quel est l’objectif ? D’une part, vous l’avez dit, de limiter l’étalement urbain, qui est une réalité de cette région, et, d’autre part, de se doter de dispositions législatives compréhensibles, explicables et qui permettent, dans le même temps, de répondre aux besoins de logement dans ce département.
C’est la raison pour laquelle, comme je m’y étais engagée auprès de vous en juillet dernier et nous continuerons en ce sens, après cet atelier régional, nous allons mettre en place un atelier dans chaque département de la Bretagne…
M. Éric Doligé. Il faut vous dépêcher.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. … pour examiner, grâce à des études de cas particuliers, réels, les difficultés législatives qui se posent et, surtout, conseiller les élus locaux dans l’élaboration de leurs plans locaux d’urbanisme.
Enfin, j’ai bien sûr l’intention, avec l’appui de mon ministère, d’animer ce réseau « littoral et urbanisme », en vue de répondre à vos difficultés actuelles. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour la réplique.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la ministre, je sais que vous nous écoutez un peu, mais, selon moi, nous n’avançons pas suffisamment. L’heure n’est ni aux « mesurettes » ni aux rustines.
Dans le Morbihan, environ la moitié des communes ont formulé un vœu en ce sens. La demande est forte ; sachez répondre positivement à toutes ces attentes si justifiées. Si vous ne le faites pas maintenant, d’autres le feront plus tard. Il serait dommage de rater une belle occasion, d’autant que, j’y insiste, cela fait tout de même un an que je vous interroge, Mme Pinel et vous-même. Les règles ne sont pas claires. Je souhaite que les élus et la population puissent être éclairés à ce sujet dans les prochains mois, voire dans les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. François Marc applaudit également.)
sécurité et lutte contre le terrorisme
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Gilbert Roger. Ma question s'adresse à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre, lundi, le Président de la République annonçait que sept personnes impliquées dans la préparation d’un attentat terroriste sur le sol français avaient été arrêtées à Marseille et à Strasbourg.
Je souhaite tout d’abord adresser nos félicitations à la Direction générale de la sécurité intérieure, qui a réalisé un travail remarquable, au terme d’une enquête de plus de huit mois mobilisant des moyens exceptionnels.
Les interpellations de ce dimanche portent à 418 le nombre des interpellations d’individus en lien avec des réseaux terroristes réalisées depuis le début de l’année 2016.
Je sais que la détermination du Gouvernement pour combattre le terrorisme est totale, et que tous les moyens sont mis en œuvre pour lutter contre cette menace protéiforme.
Depuis 2013, trois lois ont été adoptées au Parlement, permettant d’adapter le cadre législatif de la France aux nouvelles formes de menace, en aggravant les mesures répressives, en étendant l’application du code pénal aux infractions de nature terroriste commises à l’étranger par des ressortissants français ou par des étrangers résidant habituellement en France, en introduisant dans le droit français des mesures de police administrative novatrices en matière d’accès ou de sortie du territoire ou sur les contenus illicites des sites internet. Ce sont également les moyens de la police, de la justice, de l’armée et les services de renseignement qui ont été renforcés. C’est, enfin, l’état d’urgence qui a été prorogé, à la suite des terribles attentats qui ont ensanglanté la France le 14 juillet dernier.
Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer dès à présent les mesures que le Gouvernement compte continuer de prendre pour protéger les sites sensibles de notre territoire ou les manifestations d’envergure – je pense notamment au marché de Noël de Strasbourg, qui accueille chaque année plus de deux millions de personnes – et alors que, semble-t-il, aucune cible précise n’a pu à ce stade de l’enquête être mise au jour ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Roger, je voudrais d’abord m’associer à l’hommage que vous venez de rendre à la Direction générale de la sécurité intérieure et, à travers elle, à l’ensemble des services de renseignement qui, par leur action, dans un contexte de menace terroriste extrêmement élevée – plus élevée que jamais –, concourent à la protection des Français contre le risque de crimes de masse.
L’enquête à laquelle vous venez de faire référence a engagé ces services de renseignement depuis plus de huit mois. C’est une enquête longue, méticuleuse qui a mobilisé beaucoup de moyens, et qui a permis d’aboutir à un excellent résultat, puisque ces sept arrestations concernent des individus qui voulaient frapper le territoire national par le biais d’attentats, vraisemblablement de grande ampleur, que nous avons démantelés, en tout cas je l’espère – l’enquête le révélera –, de façon très significative.
Bien entendu, nous sommes dans une action constante. Les 418 arrestations qui ont eu lieu depuis le début de l’année ont permis de déjouer des attentats. Ont ainsi été évités un attentat en 2013, quatre en 2014, sept en 2015, soit au total, si l’on compte ceux que nous avons empêchés depuis le début de l’année 2016, dix-sept attentats déjoués depuis maintenant trois ans.
Comment faisons-nous pour atteindre ces objectifs, même si le risque zéro n’existe pas, puisque notre pays a été très durement frappé ?
Premièrement, nous augmentons les moyens des services de renseignement – 2 000 emplois créés.
Deuxièmement, nous accroissons les crédits de ces services pour leur permettre de se moderniser par-delà les personnels – 263 millions d’euros dans le cadre du plan de lutte antiterroriste.
Troisièmement, nous réorganisons les services de renseignement. Nous avons redonné beaucoup de moyens au renseignement territorial. Nous avons recréé le renseignement territorial. Nous avons recréé des emplois dans le renseignement territorial et créé la Direction générale de la sécurité intérieure.
Enfin, nous avons instauré davantage de transversalité entre les différents services de renseignement, français, européens ou autres, pour que l’échange d’informations permette d’obtenir de bons résultats, comme cela s’est produit voilà deux jours, et de protéger les Français.
Par ailleurs, avec l’opération Sentinelle et la mobilisation de patrouilles dynamiques, nous assurons la protection des grands événements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
situation de l’élevage
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Chasseing. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
La crise agricole nécessite des réformes structurelles pour redonner de la compétitivité à notre agriculture.
D’une part, la filière élevage, de viande, lait, est dans un état désespéré : la vente du lait toujours au-dessous du prix de revient entraîne de nombreuses faillites ; en outre, des difficultés de plus en plus importantes apparaissent dans la vente des vaches grasses ou des broutards en raison des prix très bas.
D’autre part, les zones défavorisées sont visées par le projet de diminution de leur périmètre : or ces zones à handicaps naturels doivent absolument être conservées ; sinon, nous risquons de nous orienter vers une désertification de certains territoires.
Par ailleurs, de nombreux agriculteurs n’ont pas reçu le solde des aides de la politique agricole commune pour 2015 et l’acompte pour 2016 pourtant prévu initialement pour le mois d’octobre. Ils ne pourront pas honorer leurs échéances de décembre. Il est tout de même incroyable d’en arriver là !
Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur la création d’un outil de gestion des risques au niveau de la PAC, notamment lors de fluctuation des prix, pour assurer un revenu minimum à nos agriculteurs ? Quel est également votre avis sur la demande de l’Europe visant à réviser les zonages des zones défavorisées ?
Enfin, qu’envisagez-vous pour solder les versements PAC à échéance fixe afin de sortir les agriculteurs durablement du flou dans lequel ils se trouvent constamment ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Élisabeth Doineau et Annick Billon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, le premier sujet que vous avez évoqué porte sur le paiement des aides de la PAC.
J’ai reçu ce matin la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, pour discuter des conditions dans lesquelles ces derniers versements devaient être effectués et examiner les problèmes techniques auxquels certains se heurtent.
Vous avez évoqué les soldes de 2015 : 99,7 % des exploitants ont touché leurs aides, et moins d’un millier de dossiers doivent encore être réglés. Nous allons les régler avec la profession agricole et la mobilisation des services de l’État.
Nous avons aussi versé près de 89 % de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, que vous connaissez en particulier dans votre département. Il reste 4 000 dossiers ; ce matin, la discussion a porté sur l’objectif de les clore d’ici à la fin de l’année. (M. Daniel Chasseing s’exclame.) Il s’agit de faire en sorte que ce que nous avons mis en place, à savoir plus de 1 milliard d’euros pour l’ICHN, soit effectivement versé sur les comptes des agriculteurs à cette échéance, ce qui est un vrai transfert pour l’élevage.
Vous avez ensuite évoqué deux sujets.
S’agissant de la crise des marchés du lait, je vous le signale, après les mesures de maîtrise de la production que nous avons obtenues à l’échelle européenne après six mois d’efforts, nous avons retiré près de 1 million de tonnes de poudre de lait sur le marché. Les prix commencent à remonter. (M. François Bonhomme s’exclame.) Il faut maintenant que les négociations commerciales qui vont avoir lieu intègrent cette hausse nouvelle, modeste mais réelle, du prix du lait pour les producteurs. C’est ainsi que nous pourrons répondre à cet enjeu.
Sur la question des broutards, pour éviter qu’il n’y ait trop de viande sur un marché où la consommation baisse et où nous exportons plus de vifs, nous avons pris une mesure spécifique de maîtrise, en permettant aux éleveurs qui engraissent des broutards d’obtenir une aide de 150 euros pour stopper le niveau des carcasses à 360 kilogrammes : là aussi, l’objectif est de faire remonter les prix de la viande. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. François Bonhomme. Et le redécoupage ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. Plusieurs systèmes efficaces sont possibles pour assurer le revenu des agriculteurs : un système assurantiel, abondé à 65 % par l’Europe – il n’a jamais été appliqué, mais il est possible –, avec un complément de l’État, qui pourrait intervenir après une chute des cours sur trois mois en dessous du prix de revient ;…
M. Didier Guillaume. Et les économies ?
M. Daniel Chasseing. … un système de stockage européen en cas de surproduction ; une baisse des charges permanentes pour maintenir la compétitivité et une diminution des normes ; le versement de la PAC à échéance fixe – indispensable.
Monsieur le ministre, notre agriculture, avec ses exploitations familiales, est la condition de l’aménagement de nos territoires ruraux. Des solutions efficaces doivent être mises en place pour la maintenir et permettre enfin à nos agriculteurs d’avoir un revenu suffisant pour faire vivre leur famille. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre, qui est parti.
Les nouveaux chiffres du chômage sont repartis à la hausse : 10 % de la population active est sans emploi.
Le bilan de l’emploi sur le quinquennat qui s’achèvera bientôt est gravissime : 600 000 chômeurs de plus depuis 2012 pour la catégorie A, et 1,2 million toutes catégories confondues. (Ça va mieux ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Que de souffrance sociale, personnelle et familiale derrière ces chiffres !
La jeunesse, érigée en priorité du quinquennat, est la principale victime d’une hausse quasi continue durant toutes ces années.
Au niveau européen, le constat est tout autre.
Les taux de chômage ont baissé dans vingt-cinq États européens. Dans la zone euro, ils sont au niveau le plus bas depuis 2011. L’Allemagne est à 4,2 %, le Royaume-Uni connaît, avec 4,8 %, le taux le plus bas depuis onze ans. Il n’y a donc pas de fatalité.
La France, malheureusement, arrive en queue de peloton, passant du quatorzième rang en 2012 au vingt-deuxième aujourd’hui.
Voilà le vrai et triste bilan chiffré de cinq ans de mandat du Président de la République ! (Bravo ! sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, l’écart avec nos voisins se creuse, et ce sont les Français qui en sont les victimes. Jusqu’où faudra-t-il aller concernant cet écart avec les autres pays européens pour vous convaincre que c’est la politique menée depuis cinq ans qui est directement en cause, que c’est l’absence de réforme d’envergure qui a conduit la France dans cette situation dramatique pour nos concitoyens et plus particulièrement pour les jeunes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cadic et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Madame la sénatrice, d’après les données de l’INSEE publiées la semaine dernière, le taux de chômage aurait effectivement légèrement progressé au troisième trimestre de 0,1 point (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), pour atteindre 9,7 % de la population.
Ce résultat est encore provisoire. (Nouvelles exclamations et sourires sur les mêmes travées.) Il est donc inutile d’en tirer des conclusions trop hâtives, et ce d’autant plus que cette légère augmentation intervient après une baisse de 0,3 point enregistrée au deuxième trimestre, cette baisse étant, elle, madame la sénatrice, ferme et définitive.
Ce résultat trimestriel provisoire n’efface pas la tendance que nous constatons sur la durée. Je vous le rappelle, sur un an, nous enregistrons la baisse la plus forte depuis huit ans. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette tendance est cohérente avec les bons résultats en matière de création nette d’emplois : plus de 145 000 emplois salariés marchands créés en un an, preuve que les dispositifs engagés par le Gouvernement – Pacte de responsabilité, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, aide à l’embauche pour les petites et moyennes entreprises – donnent des résultats.
Elle est également cohérente avec la baisse du nombre de demandeurs d’emploi sans activité constatée depuis le début de l’année – moins 90 000 inscrits en catégorie A – ou depuis un an – moins 60 000.
Ces résultats sont encourageants, madame la sénatrice. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons réussi à relancer la création d’emploi et a engagé une baisse du chômage. Pour autant, ces résultats ne sont pas suffisants :…
M. Alain Gournac. C’est bien parti !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. … nous devons les consolider, les amplifier. C’est pour cette raison que le Gouvernement a donné la priorité aux crédits concernant la lutte contre le chômage et pour l’emploi dans le budget 2017 que vous avez refusé d’examiner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour la réplique.
Mme Jacky Deromedi. Madame la secrétaire d’État, les chiffres du chômage témoignent de l’échec patent de votre politique, et ils sont incontestables !
Les grands pays, notamment sociaux-démocrates, ont tous conduit des réformes ambitieuses,…
M. Jean-Louis Carrère. Ah ! Belle vision de la social-démocratie !
Mme Jacky Deromedi. … qui, grâce aux résultats qu’elles ont obtenus, ont rendu espoir et confiance à leur peuple. (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Combien de jeunes et de moins jeunes devront s’expatrier pour nourrir leur famille, puisque nous ne sommes pas capables de les garder chez eux, en France ?
M. Roland Courteau. Et François Fillon, que fait-il ?
Mme Jacky Deromedi. Ces chiffres, qui désespèrent les Français, sont tout ce qui restera de ce quinquennat ! (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cadic applaudit également.)
relations école-entreprise
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour le groupe socialiste et républicain. (MM. Alain Néri et Michel Berson applaudissent.)
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, tout d’abord, je tiens à le dire haut et fort dans cet hémicycle : je regrette profondément que la majorité sénatoriale ait refusé de discuter le budget de l’éducation nationale pour l’année 2017 (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), comme tous les autres budgets, d’ailleurs.
Pourtant, l’éducation nationale, c’est un budget de 93 milliards d’euros (M. Alain Gournac s’exclame.), dont près de 69 milliards d’euros pour l’enseignement scolaire. Et ces crédits sont en augmentation de 4,5 % par rapport à 2016,…
M. Philippe Dallier. Formidable !
M. Jacques-Bernard Magner. … après une progression de près de 12,7 % sur les cinq dernières années.
L’école, c’est le premier budget de la Nation.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques-Bernard Magner. C’est notre priorité absolue. Or, vous le savez, il a fallu à la fois rattraper les années de casse du gouvernement précédent (Mais oui ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) – je vous rappelle les 80 000 suppressions de postes – et refonder l’école de la République. (M. Antoine Lefèvre sourit.)
De grands chantiers ont déjà été entrepris durant les cinq dernières années. J’en cite quelques-uns : la création de 60 000 postes d’enseignants ; la construction d’une véritable formation des enseignants ; la mise en place d’une nouvelle organisation du temps scolaire ; la lutte contre le décrochage scolaire, qui permet aujourd’hui de passer sous la barre de 100 000 décrocheurs ; la mise en œuvre d’une école inclusive, avec les moyens qui s’y rattachent ; la lutte contre les violences et les inégalités en milieu scolaire ; le développement de l’éducation artistique et culturelle à l’école.
Madame la ministre, aujourd’hui, vous mettez l’accent sur un autre chantier, tout aussi important à nos yeux : l’orientation et l’insertion professionnelle des jeunes.
M. Marc Daunis. Majeur !
M. Jacques-Bernard Magner. À ce sujet, vous venez de prendre plusieurs initiatives dans le cadre de la semaine École-Entreprise qui se déroule actuellement dans notre pays. Pouvez-vous nous en préciser le contenu ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Aline Archimbaud et Hermeline Malherbe ainsi que M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question.
M. Philippe Dallier. Téléphonée !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Bien sûr, l’école doit apporter aux élèves des connaissances, des compétences et une culture commune. Cependant, dans le même temps, elle doit toujours veiller à les préparer à leur insertion professionnelle. Elle ne peut pas se dédouaner de cette mission, qui, je le rappelle, est inscrite au code de l’éducation. En conséquence, elle doit entretenir des liens étroits avec l’entreprise, avec la sphère économique, avec le monde professionnel.
En réalité, en cette semaine École-Entreprise, je n’annoncerai pas de nouveaux chantiers : je ferai le point sur tout ce qui a été accompli, en la matière, depuis le début de ce quinquennat. Ces initiatives n’ont jamais fait les gros titres des journaux. Pourtant, elles sont absolument essentielles. En voici quelques exemples.
Tout d’abord, les élèves devaient jusqu’à présent attendre la classe de troisième pour faire leur première expérience du monde professionnel, sous la forme du stage d’observation que tout le monde connaît. Depuis l’année dernière, nous proposons ce que nous appelons le parcours Avenir.
Ainsi, depuis la classe de sixième, en continu, chaque année et systématiquement, les élèves bénéficieront de visites d’entreprise ; des professionnels viendront à leur rencontre au sein de leur classe ; les élèves eux-mêmes pourront créer des mini-entreprises. Parallèlement, le stage de troisième sera conservé.
Ensuite, nous avons décidé d’agir en faveur de ceux qui, précisément, ne parvenaient pas à trouver leur stage de troisième. Cette situation était insupportable. Elle constituait une première expérience de la discrimination. Depuis cette année, et ce sur ma demande, 330 pôles de stages ont été créés sur l’ensemble du territoire. Constituées à l’échelle des bassins d’emploi, ces brigades ont pour mission d’obtenir des stages aux jeunes qui n’en ont pas trouvé par eux-mêmes.
Enfin, nous nous sommes penchés sur les problématiques d’orientation. Pour être bien vécue, celle-ci doit être choisie par les élèves. Les enfants choisissent leur orientation en troisième. Grâce aux dispositions que je viens d’indiquer, ils seront mieux éclairés durant leur scolarité au collège. En outre, cette année, s’y ajoutera la nouveauté suivante : lorsqu’ils arriveront en seconde professionnelle, les élèves pourront, jusqu’aux vacances de la Toussaint, changer d’orientation s’ils estiment que celle-ci ne leur convient pas.
Monsieur le sénateur, voilà quelques exemples des nouveautés mises en œuvre par le Gouvernement. J’en suis persuadée, ces mesures resserrent les liens entre l’école et le monde professionnel. Ainsi, elles améliorent l’orientation de tous les élèves ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Aline Archimbaud et Hermeline Malherbe ainsi que M. Alain Bertrand applaudissent également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 16 novembre dernier prennent effet.
5
Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
6
Candidatures à deux commissions d'enquête et deux missions d'information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres :
- d’une part, de la commission d’enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l’avenir de l’espace Schengen, créée sur l’initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement ;
- d’autre part, de la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisations et leur suivi dans la durée, créée sur l’initiative du groupe écologiste en application du même droit.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats établies par les groupes ont été publiées.
Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle la désignation des membres :
- d’une part, de la mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 », créée sur l’initiative du groupe UDI-UC en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement ;
- d’autre part, de la mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, créée sur l’initiative du groupe du RDSE en application du même droit.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, les listes des candidats établies par les groupes ont été publiées.
Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
7
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de Paul Vergès, décédé.
Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
8
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Louis Pinton, décédé.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
9
2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales
Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, le débat sur les conclusions du rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales (rapport n° 425, 2015–2016).
La parole est à Mme la présidente de la délégation. (Applaudissements.)
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un honneur d’ouvrir ce débat, même si je dois commencer mon propos par deux tristes constats.
Premièrement, les statistiques relatives aux violences conjugales ne se sont pas substantiellement améliorées au cours des dernières années. En 2010, 146 femmes et 28 hommes sont morts sous les coups de leur conjoint. En 2014, le nombre des victimes s’élève encore à 143, et même 200 personnes si l’on tient compte des suicides consécutifs et des enfants victimes.
Deuxièmement, la révélation des faits est toujours aussi difficile. Chaque année, les enquêtes recensent environ 200 000 femmes victimes de violences conjugales. Mais moins de 14 % d’entre elles portent plainte. À l’évidence, les victimes ont encore peur, elles ont encore honte et elles se taisent toujours.
Voilà le constat qui a conduit la délégation, à l’unanimité, à se poser une question simple : dix ans après la loi 2006, au terme du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, et après dix années de parfaite continuité des politiques publiques, quelles que soient les majorités en place, pourquoi les violences conjugales ne reculent-elles pas plus fortement ?
L’unanimité des groupes représentés au sein de la délégation ont concouru à ces travaux. En outre, signe que cette question est, à nos yeux, cruciale, tous les groupes ont nommé un corapporteur au titre de ce rapport, qui, au demeurant, a été adopté à l’unanimité le 11 février dernier.
Je tiens à remercier l’ensemble de mes collèges du travail qu’ils ont accompli dans un délai relativement court : non seulement Roland Courteau, qui est engagé de très longue date sur ce sujet, mais aussi Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, qui sont très investies dans le fonctionnement de notre délégation, quels que soient les débats auxquels elle se consacre.
À quelques jours de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, et à la veille de la discussion budgétaire, nous engageons ici un débat crucial et significatif sur l’état de notre société. En effet, la place des femmes et la protection des plus faibles sont les marqueurs du degré de civilisation d’une société.
J’en viens au contenu du rapport. Son seul intitulé est éloquent : « 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales ». En d’autres termes, malgré une véritable mobilisation des pouvoirs publics et des autorités politiques, malgré des outils toujours plus nombreux – le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ou HCE, vient d’ailleurs de dresser le bilan du dernier plan mis en œuvre –, la situation ne s’améliore pas suffisamment : à nos yeux, les progrès ne sont pas assez substantiels.
Au terme de ce travail, nous avons adopté treize recommandations, que je regroupe par facilité en quatre axes : la réponse judiciaire ; la gouvernance ; les violences sur les enfants ; et la prise en charge des conséquences psychotraumatiques. Je précise que je n’évoquerai pas toutes nos préconisations, mais seulement les principales d’entre elles.
Le premier axe est celui de la réponse judiciaire.
À ce titre – je le répète –, notre constat est simple : les victimes ont toujours peur. Elles ont peur de porter plainte, car leur protection n’est pas encore suffisamment assurée. Nous avons notamment voulu tirer le bilan de l’ordonnance de protection. Adopté en 2010, ce texte est un très bon outil. Malheureusement, son bilan est mitigé et variable selon les départements. Le principe n’est pas en cause, mais la procédure mérite d’être améliorée : dans ce cadre, il est nécessaire de se mettre à la place des victimes.
Nous recommandons notamment que les auteurs présumés de violences soient convoqués pour comparaître devant la justice non plus par courrier recommandé, qu’ils oublient parfois de retirer, mais par huissier de justice.
Nous recommandons que les victimes bénéficient immédiatement de l’aide juridictionnelle, sans que celle-ci soit conditionnée à la délivrance d’une ordonnance de protection.
En outre, nous soutenons bien évidemment la généralisation, sur l’ensemble du territoire, du dispositif de téléprotection « grave danger «
. Il faut veiller à ce que ces fameux boîtiers ne fassent jamais défaut.
À l’inverse, nous émettons un message de prudence quant aux conséquences parfois négatives de la médiation pénale en cas de violences familiales, même quand la victime a manifesté son accord. Il peut être absolument désastreux de remettre en contact le bourreau et sa victime, notamment lorsque le couple a des enfants.
Naturellement, pour atteindre ces objectifs, il est essentiel d’assurer une parfaite coordination locale entre les magistrats. À cet égard, j’attire votre attention sur l’initiative déployée à Paris : la création d’un conseil de juridiction réunissant les magistrats du siège et du parquet, la police et les services municipaux pour élaborer un schéma départemental des violences. Il nous semble bon que cette expérience puisse être reproduite dans d’autres départements. Il s’agit manifestement d’un dispositif efficace.
Le deuxième axe est celui de la gouvernance, dont cette dernière recommandation pourrait également relever.
Dans ce domaine, force est de poser une question qui, j’en conviens, est assez classique : celle des moyens accordés aux associations. Ces dernières accomplissent un immense travail. Malheureusement, et comme d’habitude pour ce qui concerne les femmes en général, on a un peu trop tendance à partir du principe que cette action relève du bénévolat – je me permets de vous renvoyer à un autre rapport établi par le HCE.
Des efforts budgétaires sont donc nécessaires pour soutenir les associations dans la durée. J’ajoute que ces moyens ne sont pas démesurés au regard du coût colossal des violences conjugales : je rappelle que leur coût est estimé à 3,5 milliards d’euros.
De plus, pour apporter des réponses parfaitement adaptées, il est crucial d’améliorer encore la connaissance statistique des situations de violence. À ce titre, nous avons été favorablement impressionnés par l’observatoire de Seine-Saint-Denis, lequel est placé sous la présidence très efficace d’Ernestine Ronai. Cette initiative devrait, elle aussi, être généralisée à d’autres départements.
Le troisième axe renvoie à une question absolument centrale, que nous avons tenu à mettre en lumière via notre rapport : le sort réservé aux enfants.
En la matière, les chiffres font froid dans le dos. En 2014, 35 enfants sont morts par suite de violences au sein d’un couple, et 110 autres sont devenus orphelins. En outre, en 2014, 140 000 enfants vivaient dans un foyer où leur mère était victime de violence.
La question est simple : comment ces enfants peuvent-ils se construire ?
Je ne reprendrai pas le débat très pertinent mené il y a quelques années par Michèle Meunier et Muguette Dini. Leurs travaux avaient conclu à la nécessité de privilégier l’intérêt de l’enfant par rapport au maintien de la cellule familiale.
Pour notre part, nous nous sommes interrogés sur le retrait de l’autorité parentale, notamment en cas de meurtre de l’un des deux parents. Si nous n’avons pas tranché ce débat, je ne vous cache pas que je m’interroge. Comment laisser l’autorité parentale à un père qui vient de tuer la mère de son enfant ?
En revanche, nous avons été unanimes à recommander que l’exercice du droit de visite en cas de violences conjugales s’effectue dans un cadre très sécurisé. Nous recommandons ainsi la généralisation de la mesure d’accompagnement protégé, ou MAP, qui permet précisément un droit de visite dans des espaces neutres et protégés.
Nous considérons également que les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment creusé la question de la prise en charge des auteurs de violences. Si les intéressés ne font pas l’objet d’un suivi, ils récidiveront ! À ce propos, nous avons été assez favorablement impressionnés par diverses structures que nous avons visitées à Lens ou à Arras. Ces structures sont dédiées à la prise en charge des auteurs de violences. Elles aussi mériteraient d’être déployées sur l’ensemble du territoire.
Enfin, quatrième axe, la délégation s’est particulièrement inquiétée de l’insuffisante prise en charge des victimes.
Sur ce sujet, je tiens à insister sur deux points.
Premièrement, les conséquences psychotraumatiques que ces violences infligent aux victimes sont insuffisamment prises en charge. C’est probablement la principale lacune du dispositif actuel. Nous recommandons par conséquent de généraliser les cellules d’urgence médico-psychologique interdisciplinaires, comme c’est le cas, là aussi, en Seine-Saint-Denis.
Deuxièmement, la victime ne peut pas mener à bien une reconstruction personnelle, elle ne peut pas commencer une seconde vie si elle n’a pas accès à un nouveau logement lui permettant de s’éloigner de son bourreau.
C’est là une dimension essentielle de la lutte contre les violences conjugales. Bénéficier d’un logement, à la suite d’un jugement et plus encore en cas d’urgence, est crucial pour permettre à la victime et à ses enfants de recommencer sa vie. Aussi, nous demandons que les violences conjugales soient un motif prioritaire d’attribution d’un logement social. Nous souhaiterions que le ministère en charge du logement nous communique, chaque année, des données quantifiées sur ce sujet.
Mes chers collègues, je le répète : depuis plus de dix ans, tous les gouvernements et la grande majorité des partis politiques se sont clairement engagés dans la lutte contre les violences conjugales. De nombreux outils juridiques ont été créés, de nombreux dispositifs existent.
Reste maintenant à se donner les moyens de ses ambitions.
Reste maintenant à afficher une intransigeance absolue, une tolérance zéro face à toutes les violences faites aux femmes.
Bien entendu, nous distinguons ces différents sujets, pour lesquels les curseurs sont différents. Mais il n’en est pas moins vrai que toutes les violences faites aux femmes, que ce soit la traite, la prostitution, les mutilations sexuelles, les viols, le harcèlement ou les violences conjugales, relèvent toutes d’un même sujet.
Si, comme je le disais en ouvrant mon propos, la place des femmes est le marqueur d’une société civilisée, il nous reste encore beaucoup du chemin à parcourir ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui a demandé l’organisation de ce débat parlementaire dix ans après le vote de la loi du 4 avril 2006, a publié un rapport-bilan de la décennie 2006-2016, dont le titre vaut constat : Un combat inachevé contre les violences conjugales.
Permettez-moi de citer en introduction de mon propos les articles 212 et 213 du code civil lus par les officiers d’état civil célébrant un mariage : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » ; ils « assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. » Le respect mutuel est ainsi rappelé aux futurs mariés, tout comme l’autorité parentale à l’article 371-1 dudit code. Pourtant, comme l’a rappelé notre présidente Chantal Jouanno, les statistiques des violences conjugales sont toujours aussi cruelles. Nous pouvons donc être fiers que notre délégation ait contribué, depuis sa création, à l’émergence d’un droit nouveau, reconnaissant les violences conjugales comme un délit au même titre que toutes les violences.
En 2010, j’ai eu l’honneur de rédiger un rapport consacré à la violence au sein des couples – quels qu’ils soient, préciserai-je – sujet encore tabou, réalité occultée, le plus souvent perpétrée dans le huis clos familial avec un très faible taux de révélation. En effet, 90 % des victimes n’osent pas porter plainte par peur de perdre leur logement ou la garde des enfants. Pour éviter que le domicile conjugal ne devienne lieu de non-droit, nos travaux avaient conclu à de sages recommandations. Pour n’en citer que deux, je rappellerai l’ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement, y compris psychologique.
La loi de 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, traduisant une prise de conscience collective à la fois sociale, judiciaire et législative. Dans son article 11, elle modifie le code pénal en faisant émerger le délit de viol entre époux. Si, en 1810, le « devoir conjugal » était une obligation qui rendait le viol inconcevable entre époux, ce n’est plus le cas aujourd’hui bien que les obstacles restent encore nombreux pour prouver cette infraction. La présomption de consentement a été supprimée par la loi de 2010, et toute relation sexuelle forcée par un conjoint constitue désormais un viol aggravé, puni de vingt ans d’emprisonnement aux termes de l’article 222-24 du code pénal.
Le volet législatif ayant trait aux violences conjugales ne cesse donc de se construire, délivrant un message clair à la fois aux auteurs et aux victimes des comportements anormaux qu’ils infligent ou qu’elles subissent.
À l’issue du bilan de cette décennie, nous avons formulé de nouvelles recommandations s’inscrivant dans la continuité des recommandations formulées en 2010.
La délégation salue la montée en puissance de l’ordonnance de protection et indique, par exemple, que la formation des magistrats doit aussi se faire au plus près de leur juridiction avec un réseau national de référents spécialisés, afin de mieux prendre en compte les victimes et les conséquences traumatologiques des violences subies. Les référents « violences » sont un maillon essentiel dans les tribunaux, les cours d’appel, les commissariats de police ou les brigades de gendarmerie, le domaine de la santé et le secteur médico-social. Il me semble également nécessaire que des référents « violences » soient nommés dans les écoles.
La délégation déplore que le financement des hébergements d’urgence reste encore trop fragile, tout comme l’accès au logement social.
Les boîtiers de téléprotection « grave danger » ayant fait leurs preuves, elle invite à les généraliser.
Enfin, les experts auditionnés ont insisté sur les dangers pour les victimes de recourir à la médiation pénale, même avec leur accord, dans les cas de violences familiales.
En 2010, j’avais souhaité mettre l’accent sur la formation des personnels à la prise en charge des victimes. Aujourd’hui, je pense que la priorité doit être donnée à la protection des enfants exposés aux violences physiques et psychologiques, dont le sort a trop longtemps été passé sous silence. Nous devons aller encore plus loin, les répercussions des violences conjugales sur l’enfant vulnérable étant désormais mieux connues et reconnues : syndrome de stress post-traumatique, retards dans le développement physique, troubles du comportement, conduites à risque, dépression, désinvestissement de la scolarité, brutalités à l’égard des autres, voire de la mère.
Ne perdons pas de vue que la majorité des séparations traitées par le juge aux affaires familiales sont conflictuelles. L’enfant est alors confronté à des questionnements de loyauté face à ses deux parents, et il devient ainsi objet de chantage.
En guise de conclusion, je tiens à réaffirmer que les violences conjugales sont illégales comme toute forme de violence. Elles s’inscrivent dans un rapport de domination par lequel l’un des conjoints s’assure le pouvoir sur l’autre. Les motifs qui justifient le passage à l’acte ne sont que des prétextes pour garantir le pouvoir recherché dans un rapport d’inégalité entre les deux parents.
La destruction par un autre de la capacité d’agir d’un sujet est l’objet même de la violence et de l’emprise comme l’affirme Édouard Durand, magistrat et membre du Haut Conseil à l’égalité entendu par la délégation le 17 novembre. Ce paradigme ne doit pas être supporté par les enfants. Il faut les aider à en sortir le mieux ou le moins mal possible, pour retrouver sécurité et stabilité, repères affectifs, éducatifs et sociaux.
Pour que le domicile conjugal ne soit plus un lieu de non-droit, les dispositions législatives ne suffisent pas. Elles doivent être accompagnées non seulement d’un effort de subvention aux associations de terrain, mais aussi de formation, d’éducation transversale et volontariste ainsi que, bien sûr, d’information à l’intention du grand public. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la première pensée qui me vient à l’esprit est qu’un tel débat ne devrait pas avoir lieu. Nous ne devrions pas, en France, au XXIe siècle, avoir à traiter la question des violences conjugales. Nous ne devrions pas voir à la une des journaux des femmes ayant subi, pendant des années, parfois des décennies, les coups de leur mari – des cas inverses existent également, même s’ils sont bien plus rares. Ces situations devraient appartenir aux siècles passés, lorsque la femme n’était pas considérée comme l’égale de l’homme.
Pourtant, mes chers collègues, le débat qu’organise la délégation aux droits des femmes est important, essentiel, car les violences conjugales font toujours partie du quotidien de très nombreuses femmes. La désignation d’un rapporteur par groupe est le gage d’une réelle prise en compte de cette problématique par le Sénat, et je la salue vivement.
« Un combat inachevé » : le choix du titre du rapport de la délégation est évocateur. Depuis une quinzaine d’années, nous avons voté des lois – quatre grandes lois – et le Gouvernement a mis en œuvre quatre plans interministériels pour lutter contre ces violences. Les services concernés sont mobilisés, compétents, dévoués. Pourtant, comme le rappelait Chantal Jouanno, aujourd’hui encore, en France, une femme meurt en moyenne tous les trois jours victime de violences conjugales. Et c’est sans compter les nombreuses victimes de troubles psychologiques qui découlent d’années de haine et de violence !
Qu’est-il encore possible de faire pour lutter contre ce fléau ?
Lors des nombreuses auditions de la délégation, plusieurs intervenants ont appelé à une pause législative. Le rapport ne propose donc pas de nouvelle loi, mais plutôt une amélioration des procédures et des outils existants avec le cadre législatif en place. Je le souligne, car nous avons malheureusement trop souvent la tentation de recourir à la loi pour traiter toutes les questions auxquelles nous sommes confrontés.
Les procédures et outils que sont l’ordonnance de protection, le téléphone grave danger, ou TGD, et les mesures d’accompagnement existent et se développent. À ce titre, je voudrais revenir sur l’exemple du département de la Seine-Saint-Denis.
En tant qu’élue centriste, je suis particulièrement sensible aux expérimentations menées au sein des collectivités locales. Les outils que les structures locales développent sont le fruit d’un travail de terrain, d’une réflexion entre plusieurs acteurs, d’une véritable coordination visant l’efficacité concrète.
Ainsi, dans le cadre de l’observatoire départemental des violences envers les femmes, l’ensemble des acteurs concernés a mis en œuvre plusieurs expérimentations : la mise en place du dispositif de protection pour les femmes victimes de violences, le TGD, que je mentionnais à l’instant ; la montée en puissance des ordonnances de protection ; la prise en charge de la mesure d’accompagnement protégé des enfants ; la prise en charge des enfants mineurs orphelins lorsqu’un des parents a été tué par son conjoint.
L’ensemble de ces dispositifs fait l’objet d’une convention entre les acteurs, notamment l’observatoire départemental, le procureur de la République, le tribunal de grande instance, la direction de la sécurité de proximité, la direction centrale de la sécurité publique, des associations, la région, la préfecture.
Si ces mesures concernent avant tout la prise en charge de situations d’urgence, le département expérimente également la prise en charge des victimes sur le long terme via des consultations de psychotraumatologie. Je veux ici redonner les chiffres mentionnés dans le rapport : en 2014, 567 personnes, dont 444 femmes, 97 enfants et 26 hommes, ont pu bénéficier de cette prise en charge. Nous devons nous inspirer de ces initiatives et ne pas sous-estimer le mal-être résultant de violences antérieures ainsi que les troubles psychologiques qui en découlent.
La deuxième étape consiste à renforcer la cohérence judiciaire. À ce titre, les résultats variables de l’application de l’ordonnance de protection d’un département à l’autre démontrent la nécessité d’une formation de tous les acteurs en même temps.
La réponse judiciaire, pénale, est extrêmement importante, mais elle n’est pas à elle seule suffisante.
Je suis particulièrement sensible à la question de l’emprise à laquelle ont été confrontées les victimes de violences conjugales. Ces violences laissent très souvent des séquelles qui empêchent d’aller de l’avant et conduisent à ce qu’on appelle l’engrenage des violences, par lequel les victimes deviennent à leur tour auteurs. Cela peut être évité par une prise en charge psychologique sur le long terme. À ce titre, la prise en charge de l’enfant est essentielle. Quels que soient le degré et le niveau de violence, l’enfant est toujours victime.
Les conséquences des violences conjugales peuvent également être perpétuées par l’attitude de l’ex-conjoint s’agissant de la pension alimentaire. Permettez-moi de souligner à ce sujet la création d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous venons d’adopter en première lecture.
J’ai été saisie, à l’occasion de l’examen de ce texte, d’une demande que je tenais à porter à votre connaissance s’agissant de la pension de réversion. Conformément au droit en vigueur, la pension de réversion est égale à 50 % de celle du fonctionnaire et elle est attribuée quels que soient l’âge et le montant des ressources du bénéficiaire. Ainsi, un conjoint violent, même condamné, peut bénéficier d’une pension de réversion. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur une évolution possible des conditions d’attribution d’une pension de réversion au regard de condamnations pénales pour violences conjugales.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme Annick Billon. Cela pourrait prendre la forme d’un élargissement de l’indignité à la succession du conjoint dans le cas de violences, y compris de violences n’ayant pas entraîné la mort.
Madame la ministre, mes chers collègues, le combat contre les violences conjugales est inachevé, c’est une évidence. Gageons que la prochaine fois que nous nous réunirons sur le sujet, ce sera pour constater une amélioration notable de la situation. D’ici là, encourageons et accompagnons les acteurs concernés afin qu’ils puissent poursuivre leurs efforts sur le terrain dans un cadre uniforme au niveau national. Je ne doute pas que le rapport de notre délégation y contribuera. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la présidente de la délégation, madame la ministre… Je pense qu’il faut remercier nos dix collègues de sexe masculin qui nous font l’amitié d’être parmi nous. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. Alain Gournac. Ah ! Bravo !
Mme Corinne Bouchoux. C’est le Sénat à l’envers ! L’hémicycle du Sénat, une assemblée qui compte 25 % de femmes, est aujourd'hui composé à 80 % de sénatrices… Pourquoi faut-il, sur ce sujet qui concerne tout le monde – les auteurs sont à 95 % de sexe masculin et les victimes sont très souvent des femmes –, que ce soient toujours aux mêmes de s’exprimer ?
Puisque le Sénat n’examinera pas les crédits de votre ministère cette année, madame la ministre, et que nous ne siégerons pas le 8 mars en raison des élections, je voudrais profiter de ce débat pour vous remercier sincèrement, ainsi que la présidente Jouanno, pour le travail qui a été mené sur ce dossier. Je persiste à croire que si nous pouvions travailler sur tous les sujets de façon aussi constructive et posée qu’à la délégation aux droits des femmes, la France irait mieux et les débats seraient plus sereins, y compris dans cette assemblée.
Tout ayant été dit dans les trois interventions précédentes – je partage tout à fait les propos de mes collègues – et l’excellent rapport, que j’invite tout le monde à lire, ayant été synthétisé de manière très pertinente, j’insisterai simplement sur deux points.
Premièrement, il n’est pas toujours nécessaire de faire plus de lois. Appliquons les textes qui existent et consacrons-leur des moyens ! C’est, me semble-t-il, une remarque de bon sens.
Deuxièmement, le phénomène des violences conjugales est complexe et systémique. Il se situe sur un continuum de violences faites à un individu, le plus souvent à une femme. C’est pourquoi la lutte contre les violences conjugales commence avec la prime éducation, aussi bien à l’école qu’en famille.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
Mme Corinne Bouchoux. Sans doute suis-je une utopiste – sur certaines travées aujourd’hui clairsemées de cet hémicycle ces idées ne plairont peut-être pas –, mais si nous parvenions à éduquer les enfants dans nos familles avec moins de préjugés, si nous pouvions lutter contre tous les stéréotypes à l’école – je sais que cela est fait –, nous pourrions davantage nous situer dans la prévention que dans la répression et la réparation. Nous savons à quel point les préjugés sont importants dans les dynamiques de violence.
Cela a été dit, les plans de lutte contre les violences conjugales vont dans le bon sens, mais des choses restent à améliorer. À cet égard, un point nous semble particulièrement important : je veux parler de la formation. Je pense bien évidemment à la formation des acteurs du quotidien – les juges, les policiers, les gendarmes, les travailleurs sociaux, les bénévoles des associations, sans lesquelles nous ne pourrions rien faire –, mais aussi à celle de tous les citoyens. Je rappelle que l’article 51 de la loi d’août 2014 vise à délivrer une formation sur les violences à tous les professionnels qui travaillent sur ces questions. L’objectif est de développer la connaissance des dispositifs existants et la capacité à évaluer la vraisemblance du danger. Il est parfois compliqué de ne pas s’immiscer dans la vie privée ; en effet, comment dénoncer sans s’immiscer ? Enfin, il convient de veiller à ne pas mettre la victime en présence de l’auteur.
Sur ce dernier point, des idées contre-productives ont parfois circulé. Pour ma part, je voudrais faire une minute de réclame à mon département. Au tribunal de grande instance d’Angers, un dispositif, dont le coût est très raisonnable, permet, grâce à une double captation vidéo, d’effectuer une confrontation entre l’agresseur et la victime sans les mettre à dix centimètres l’un de l’autre. Certains pourraient penser que c’est un peu gadget. Or pas du tout ! Le garde des sceaux a pu constater sur place la semaine dernière que ce dispositif fonctionne très bien. Il serait important que d’autres départements recourent à cette procédure.
Je profite du temps de parole qu’il me reste pour dire que, si les violences faites aux femmes sont un phénomène très grave, dramatique – il existe une journée symbolique pour le rappeler –, il y a un sujet qui n’est pas sans lien avec cette question : ce sont les violences faites aux enfants. Je pense par exemple aux abus sexuels commis sur des enfants. Dans son numéro de décembre, le mensuel Psychologies Magazine lance un appel à rénover les politiques publiques en matière de prise en charge des enfants victimes d’abus sexuels. C’est une cause aussi importante que celle qui nous réunit aujourd'hui, et je sais que vous y serez très sensibles. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, qui est l’un des deux orateurs dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. Roland Courteau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on aurait pu croire qu’en ce début de XXIe siècle les violences à l’égard des femmes ne seraient qu’un lointain et mauvais souvenir, c'est-à-dire un mal d’un autre âge… On aurait pu croire qu’à l’aube du troisième millénaire la question des inégalités entre les femmes et les hommes appartiendrait à un lointain passé. La réalité nous rappelle de façon implacable qu’il n’en est rien et que des lois et des plans de lutte sont toujours et encore nécessaires aujourd’hui.
Certes, depuis une dizaine d’années, les choses bougent. Plusieurs lois ont été adoptées, plusieurs plans ont été lancés. Depuis, les tabous sont tombés. Depuis, le voile du silence pour les victimes s’est déchiré. Depuis, les victimes sont mieux protégées, les auteurs plus sanctionnés et la lutte contre les violences au sein des couples est une politique publique à part entière. Nous ne pouvons que nous en réjouir, madame la ministre.
Indubitablement, nous avons avancé, même si, force est de le constater, la délégation aux droits des femmes a relevé des lacunes persistantes dans la prise en charge des victimes, de leurs problèmes et de leurs souffrances. Dès lors, et au-delà des nombreux points positifs apportés par la loi du 4 avril 2006 – pardonnez-moi de rappeler qu’elle est issue d’une proposition de loi déposée sur mon initiative –, la loi du 9 juillet 2010, la loi du 4 août 2014 et les différents plans triennaux, la délégation a souhaité insister sur quelques pistes d’amélioration. Je n’en citerai que quelques-unes.
Je pense plus particulièrement à l’application de l’ordonnance de protection, dont les résultats sont très variables d’un département à l’autre. Nous souhaitons notamment que la convocation de l’auteur des violences se fasse systématiquement par voie d’huissier pour éviter des délais trop longs.
Concernant le téléphone grave danger, qui a déjà sauvé de nombreuses vies, nous souhaitons une augmentation de l’attribution des boîtiers sur tout le territoire. Madame la ministre, j’aurai l’occasion de revenir en décembre sur un autre dispositif électronique prévu par l’article 6 de la loi de 2010, plus précisément dénommé « anti-rapprochement ».
Nous nous sommes également interrogés sur le possible retrait systématique de l’autorité parentale par le juge en cas de meurtre d’un parent par l’autre et demandons au garde des sceaux de diligenter une mission d’information sur ce point.
Nous avons fait un certain nombre de recommandations sur la nécessité de mailler le territoire en solutions d’hébergement sécurisées, adaptées, afin de favoriser le travail de reconstruction physique et psychologique des victimes. Cela passera également par l’accès à des logements pérennes.
Nous devons par ailleurs poursuivre les efforts pour prendre en compte le traitement des violences psychologiques et organiser la formation des professionnels.
Comme le souligne le Haut Conseil à l’égalité, gardons-nous d’oublier les situations de vulnérabilité. Je pense en particulier aux jeunes femmes, aux femmes réfugiées, aux femmes handicapées et, bien sûr, aux enfants. Plus de 70 % des femmes handicapées seraient victimes de violences, le seul fait d’être une femme handicapée multipliant les risques de violences conjugales.
Nous insistons en outre sur une meilleure prise en compte de la situation des enfants victimes à part entière des violences conjugales, et pas seulement témoins. Il y a urgence, pour ces enfants comme pour leurs mères, à renforcer la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences conjugales, qui peuvent les handicaper à vie. Or force est de constater que le dispositif français présente quelques faiblesses. C’est pourquoi la délégation propose la mise en place dans un premier temps d’un centre de psychotraumatologie par département.
Même remarque concernant le suivi des auteurs de violences, ceux-là mêmes qui pensent que la masculinité se définit par la domination et les droits sur les femmes – et c’est un homme qui vous le dit au nom des hommes ici présents – : des stages de responsabilisation s’avèrent nécessaires, mais la création de centres d’accueil, comme le Cheval bleu, à L’ensemble, ou le Home des Rosati, à Arras, l’est plus encore. Certes, un grand nombre de ces demandes représentent des coûts importants, mais ceux-ci doivent être rapportés au coût global de ces violences, que l’on estime à plus de 3,7 milliards d’euros.
Cela étant, si nous voulons à moyen terme contribuer à éradiquer ce fléau que constituent les violences à l’égard des femmes, une information consacrée à la transmission des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, à la lutte contre les préjugés sexistes devra être dispensée à tous les stades de la scolarité. C’est une disposition que j’avais contribué à introduire dans la loi de juillet 2010 et qui m’a permis, en quelque dix ans, de rencontrer plus de 12 000 élèves de collèges et de lycées et de les sensibiliser sur ce sujet. En effet, l’égalité des filles et des garçons est la première dimension de l’égalité des chances que l’école doit garantir aux élèves.
Avec la délégation aux droits des femmes, nous avons mené un véritable travail sur l’appréhension et la déconstruction des stéréotypes sexistes, aussi bien dans le monde des jeux et jouets, avec Chantal Jouanno, que dans les manuels scolaires, qui ne sont pas tous forcément des vecteurs d’égalité entre les femmes et les hommes, tant s’en faut. C’est pourquoi vous comprendrez ma stupéfaction en entendant le pape nous indiquer que « les manuels scolaires propagent un sournois endoctrinement à la théorie du genre ». Chers collègues, on peut être pape et mal informé.
L’école publique doit enseigner qu’il ne faut pas hiérarchiser entre un sexe et un autre et qu’il faut lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes.
Puisque nous baignons, hélas, dans les stéréotypes sexistes, sans parfois même nous en rendre compte, nous n’en apprécions que davantage encore le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme que vous avez lancé récemment, madame la ministre. Nous attendons l’annonce par vos soins du cinquième plan interministériel, confiants que nous sommes de sa pertinence au regard des efforts réalisés par le Gouvernement ces dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Françoise Férat et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question des violences conjugales et des violences faites aux femmes touche toute la société. Cela a été dit, la France connaît 200 000 victimes par an, dont 14 % seulement portent plainte, et 140 000 enfants vivent dans un foyer où ont lieu des violences conjugales. En 2014, on dénombrait 143 décès du fait du conjoint ou ex-conjoint, hommes et femmes confondus. Les femmes étaient au nombre de 118. Il faut ajouter à cela 34 enfants mortellement victimes des violences d’un de leur parent.
Le rapport intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes couvre un large spectre de la question.
Ces problématiques touchent tous les territoires. Les territoires ruraux, comme le département des Hautes-Alpes, ne sont pas épargnés par ce terrible fléau.
Le dispositif législatif a permis une prise de conscience de la gravité de ce phénomène. Permettez-moi à ce sujet de souligner l’excellent travail conduit par la délégation sous la présidence de notre collègue Chantal Jouanno.
L’ordonnance de protection, créée par la loi du 9 juillet 2010, a élargi les prérogatives du juge aux affaires familiales pour renforcer la protection et la mise à l’abri des victimes de violences, et ce, indépendamment d’une procédure pénale ou de divorce pour contourner l’autocensure des victimes, qui, souvent, n’osent pas porter plainte. En zone rurale, c’est une difficulté non négligeable. En effet, tout le monde se connaît, et les jugements trop hâtifs ou la peur du qu’en-dira-t-on sont un frein supplémentaire pour venir dénoncer les violences commises au sein de la cellule familiale et du couple en particulier. Je tiens d’ailleurs à souligner l’excellent travail réalisé dans les territoires par les forces de l’ordre que sont la gendarmerie et la police et par un maillage de proximité entre l’État, le département et les communes avec des professionnels très bien formés et toujours à l’écoute.
L’application de l’ordonnance de protection s’avère toutefois inégale selon les tribunaux de grande instance. La réticence de beaucoup de magistrats viendrait du fait que l’ordonnance remet en cause d’une certaine manière la présomption d’innocence.
Je voudrais également citer le centre d’information sur les droits des femmes et des familles, qui met en place de nombreuses actions contre les violences conjugales et propose un accueil de jour pour les victimes de violences au sein du couple.
Comme le souligne un rapport d’évaluation et comme me l’ont confirmé les membres du réseau, le manque de structure d’hébergement reste une problématique non résolue à ce jour. En zone rurale, par exemple, il n’existe pas de solution temporaire comme les hôtels. Il est alors impossible de mettre à l’abri des femmes en danger. Pis, face à cette pénurie de logements, comment protéger efficacement les victimes ?
Selon une enquête de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale auprès des services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, et des associations qui accompagnent les victimes, il existe quelques difficultés à surmonter pour améliorer la prise en charge. Cette enquête identifie une insuffisance, voire une absence de structures spécialisées dans la prise en charge des victimes de violences conjugales, des difficultés liées à l’évaluation des situations individuelles, un déficit non seulement de convention entre les SIAO et les associations, mais aussi de pilotage global par les services de l’État. Il est donc urgent de garantir un accès à un hébergement d’urgence. À défaut, les différents dispositifs mis en œuvre s’avéreront inefficaces et ne permettront pas aux différents textes de produire les effets attendus.
Enfin, de l’avis général, le dispositif du « téléphone grave danger », ou TGD – un téléphone portable disposant d’un bouton d’urgence et d’une géolocalisation qui renvoie la victime à une plateforme disponible en permanence en cas de danger imminent –, semble être un succès dans la mesure où il a effectivement contribué à sauver des vies. Délivré par le procureur de la République pour six mois renouvelables, ce dispositif fonctionne non seulement parce qu’il est techniquement efficace, mais surtout parce qu’il se base sur un fort maillage territorial associant la police, un opérateur privé, le conseil départemental, les magistrats et les associations. C’est bien la preuve que la lutte contre les violences conjugales fonctionne lorsque toutes les parties sont associées et que l’ensemble des acteurs et des relais est coordonné.
Le problème, là encore, est que ce dispositif, si efficace soit-il, souffre d’inégalités de répartition à l’échelle du territoire national. Pour 2016, le Gouvernement s’était fixé pour objectif de déployer 500 TGD. L’obstacle, on l’aura compris, est principalement financier. Nous le regrettons, car même si le nombre de victimes reste stable, ce phénomène est encore loin d’être endigué.
Je conclurai en évoquant la question – déjà abordée dans le rapport – des observatoires départementaux des violences envers les femmes. Présents dans un faible nombre de territoires, ne faudrait-il pas les généraliser dans les départements ruraux ou comportant des zones isolées ? (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat. Je tiens tout d’abord à dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce rapport, aux côtés de la présidente, Chantal Jouanno, et de mes collègues corapporteurs.
Il me semble que ce rapport peut être utile. J’en ai fait personnellement l’expérience en le présentant à un certain nombre de professionnels et d’élus de mon département du Val-de-Marne. Je pense, en particulier, au président du TGI, à la juge aux affaires familiales, à la bâtonnière, ainsi qu’à la vice-présidente du conseil départemental, chargée de l’observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes, et bien sûr aux associations de terrain. Comme nous, ils ont tous ressenti le besoin de disposer d’un bilan de notre arsenal législatif assez complet, qui comporte quatre plans interministériels de prévention et de lutte – demain verra le lancement d’un cinquième plan – et plusieurs lois traitant de cette problématique. Ensemble, nous avons besoin de comprendre pourquoi, malgré tous ces dispositifs, les violences conjugales continuent d’être un véritable fléau, avatar d’une société patriarcale.
Les chiffres ont été rappelés. Je regrette fortement que les médias en fassent essentiellement état dans la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Las, dès le lendemain, les violences ne font plus partie de l’actualité et sont traitées comme de simples faits divers, souvent sous la rubrique des crimes passionnels.
M. Roland Courteau. C’est malheureusement vrai !
Mme Laurence Cohen. C'est la raison pour laquelle je souhaite que ce moment de restitution puisse aider le législateur que nous sommes à améliorer la politique de prévention, de sensibilisation, d’éducation et de sanction des coupables.
Je voudrais centrer mon propos sur quatre points qui me paraissent particulièrement importants à la suite de nos auditions et de nos déplacements.
Tout d’abord, je veux souligner le caractère innovant de l’ordonnance de protection qui peut être obtenue indépendamment du dépôt d’une plainte par la victime. Toutefois, cinq ans après sa mise en place, le bilan de ce dispositif nous semble assez mitigé. Bien évidemment, cela n’enlève rien au caractère particulièrement innovant de cette procédure. La question qui se pose est celle des conditions de sa mise en œuvre : d’une part, sa montée en puissance est assez limitée ; d’autre part, le dispositif soulève certaines difficultés, tant pour les magistrats que pour les victimes.
Dans l’esprit du législateur de l’époque, cette nouvelle mesure visait des objectifs très ambitieux : elle devait permettre de mettre à l’abri, dans les meilleurs délais, une femme en danger sans présager la culpabilité de l’auteur des violences, tout en organisant provisoirement les modalités de la séparation. Cependant, comme le souligne très justement Luc Frémiot, avocat général à la cour d’appel de Douai, l’application des ordonnances de protection varie d’un TGI à l’autre, ce qui risque « d’aboutir, à terme, à une disparité de traitement entre les justiciables ».
Ensuite, même si la loi de 2014 prévoit la délivrance de ces ordonnances dans les meilleurs délais, force est de constater que cela peut également varier d’un département à l’autre : en moyenne, il faut trente-six jours en Seine-Saint-Denis entre le dépôt de la demande au tribunal et la décision du magistrat ; en Val-de-Marne, il faudrait compter environ trois semaines. Ces délais sont longs et peuvent évidemment s’expliquer par un contexte de pénurie des effectifs et d’une justice en souffrance. À quand des moyens dignes d’une justice du XXIe siècle ?
En résumé, ce dispositif est essentiel, mais il faut encore en améliorer la mise en œuvre. Je vous renvoie, faute de temps, à la recommandation n° 1 que nous avons faite.
Le bilan dressé montre que le dispositif de téléprotection « grave danger » permet de sauver des vies. Il répond réellement à des situations d’urgence, ce que ne fait pas, comme nous venons de le voir, l’ordonnance de protection.
Au moment de l’élaboration de ce rapport d’information, on nous avait dit que l’objectif était d’atteindre 500 appareils en circulation sur l’ensemble du territoire national d’ici à la fin de 2016. Je souhaiterais savoir, madame la ministre, si cet objectif sera atteint. Je relaie ici l’une de nos recommandations, à savoir la généralisation de ce dispositif et l’augmentation du nombre de boîtiers existants.
La prise en compte globale du phénomène des violences passe par la prise en charge de l’auteur de ces mêmes violences. Cela apparaît indispensable pour notre groupe de travail, aussi bien en tant que mesure de soins que de prévention de la récidive. Malheureusement, les centres d’accueil pour hommes violents sont très rares en France, contrairement au Canada.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Je voudrais insister sur un dernier point que je considère comme l’une des recommandations les plus fondamentales, à savoir le besoin de sensibilisation et de formation de tous les professionnels concernés : magistrats, avocats, ensemble des auxiliaires de justice, professionnels de santé, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux, associations, personnels de l’éducation nationale – comme cela a été souligné, les enfants sont aussi très souvent les victimes collatérales des violences conjugales.
La délégation a notamment proposé, dans cet esprit de formation renforcée pour les professionnels, qu’un juge référent « violences » soit présent dans chaque cour d’appel. Ce besoin de formation est apparu particulièrement criant lors du procès de Jacqueline Sauvage, montrant, d’une part, que les dispositifs existants ne sont pas forcément adaptés au vécu de ces femmes et, d’autre part, que les relais extérieurs – alors que plusieurs signalements avaient été faits – n’ont pas su, pas pu, pas voulu accompagner jusqu’au bout cette femme et ses enfants avant qu’elle ne commette son acte.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Laurence Cohen. Cette logique a abouti au prononcé d’une peine plus que disproportionnée aux yeux de bon nombre d’entre nous. Il en est résulté cette forte mobilisation pour que le strict cadre légal ne soit pas appliqué et que Mme Sauvage puisse enfin retrouver la liberté.
Je vous invite à consulter les travaux de Muriel Salmona sur la dimension de la mémoire traumatique afin de mieux comprendre la complexité de ce qui se joue pour ces victimes.
Je termine en disant que nous avons également conclu à la nécessaire généralisation des observatoires des violences envers les femmes à l’ensemble des départements, ainsi qu’au renforcement des effectifs de la MIPROF, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
Je lance un appel solennel en faveur des associations, obligées de mettre la clef sous la porte, car privées de subventions. Je pense particulièrement à l’association Regain, structure d’hébergement d’urgence, à laquelle le conseil départemental du Bas-Rhin vient de supprimer son aide financière.
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !
Mme Laurence Cohen. Les moyens doivent être à la hauteur, car, au-delà de l’intérêt, disons « social », d’endiguer les violences conjugales, leur coût s’élève à 2,5 milliards d’euros par an selon un rapport intitulé Où est l’argent pour les droits des femmes ? du Haut Conseil à l’égalité, de la Fondation des femmes et du Conseil économique, social et environnemental, notamment. J’en profite pour rappeler que ce même rapport souligne la faiblesse du budget consacré aux droits des femmes – le plus petit budget de tous les ministères –, qui ne représente que 0,006 % du budget général. Même en ajoutant les budgets transversaux concernés, on est bien loin du compte !
Je conclus de façon plus personnelle en rappelant que le groupe CRC a déposé au Sénat, en 2013, une proposition de loi très complète, rédigée en lien avec le collectif national pour les droits des femmes, afin de lutter contre toutes les violences faites aux femmes. Il convient en effet d’adopter une loi-cadre, à l’instar de l’Espagne.
J’espère, mes chers collègues, que nous allons contribuer, à travers ce rapport, à faire reculer le fléau des violences conjugales et que nous serons nombreuses et nombreux à nous rendre à la manifestation nationale du 25 novembre, à l’appel des associations féministes et des organisations syndicales et politiques progressistes. Nous devons être mobilisés au niveau institutionnel, mais aussi dans la rue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC. – Mme Christiane Kammermann et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a fait des droits des femmes l’une de ses priorités. Parmi les actions transversales menées pour l’égalité femmes-hommes, la lutte contre les violences faites aux femmes constitue une véritable politique qui intègre en son sein celle contre les violences conjugales.
Je rappelle que la MIPROF a été mise en place en 2013.
En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a renforcé les dispositifs légaux et permis l’avènement de nouveaux moyens tels que la mise en œuvre d’une ordonnance de protection pour garantir la sécurité des victimes et leur maintien, autant que faire se peut, au domicile conjugal. Toutefois, le bilan de cette mesure est encore trop limité, malgré une certaine amélioration, si j’en crois l’étude récente du Haut Conseil à l’égalité. Il faut en effet clarifier et simplifier la cohérence juridique de ce dispositif et développer les offres d’hébergement sur tous les territoires, urbains et ruraux.
Il y a aussi la généralisation du dispositif de téléphone grave danger, si importante pour le maillage territorial, mais cela demande aux associations qui en ont la charge des investissements et des financements importants.
Je rappelle également le doublement des intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries et la formation des professionnels à l’accueil des victimes pour les accompagner réellement dans le dépôt de plainte. Comme vous l’avez souligné, madame Jouanno, les victimes ont souvent honte et seulement 14 % d’entre elles franchissent le pas.
Enfin, les collectivités territoriales s’engagent activement dans cette lutte par des conventions et protocoles départementaux spécifiques et permettent l’adaptation de ces dispositifs au plus près non seulement des territoires, mais aussi des femmes.
Rappelons également que la France a ratifié la convention d’Istanbul en juillet 2014. Il incombe aux États parties de lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes en prenant des mesures pour les prévenir, pour protéger les victimes et poursuivre les auteurs. Ce traité international – le premier juridiquement contraignant – engage les États à agir de manière efficace. Le GREVIO, organe d’experts indépendants, est chargé de suivre la mise en œuvre effective du traité dans les États concernés. Comme je viens de l’apprendre, la France fera l’objet d’une procédure de suivi et d’une évaluation des mesures législatives prises en la matière à l’automne 2017.
En dépit de toutes ces mesures, les chiffres sont là. Force est de constater que ce phénomène ne connaît pas de baisse suffisamment significative, même si, chaque année, la date du 25 novembre permet de raviver un peu les consciences, de manière trop éphémère. Arte diffuse justement ce soir un documentaire sur les violences faites aux femmes.
Le Haut Conseil à l’égalité souligne, dans un rapport du mois de septembre dernier, que le budget spécifique consacré aux droits des femmes, en dépit du développement de politiques en faveur de l’égalité aux niveaux national et local, demeure restreint : 27 millions d’euros en 2016, soit 0,33 euro par habitant, contre 0,54 euro en Espagne, alors que le seul coût estimé des violences faites aux femmes dans notre pays est de 2,5 milliards d’euros par an ! Les associations, véritables piliers dans cette lutte contre les violences conjugales, manquent encore des moyens suffisants pour remplir leurs missions.
Ce bilan du quatrième plan, certes inachevé, est prometteur. Il s’agit là d’un enjeu central pour notre société du XXIe siècle dans un contexte international violent et nuisible aux droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Christiane Kammermann et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous pourrions nous féliciter de l’efficacité d’un arsenal législatif important contre les violences conjugales, la lecture de ce rapport ainsi que les cas de violence auxquels nous sommes tous confrontés dans nos territoires témoignent que le combat est loin d’être achevé.
Force est de constater que ces violences engendrent un contentieux atypique puisqu’il s’agit d’un phénomène d’ampleur, à la fois indifférent aux catégories sociales ou à la géographie de nos départements, et qu’il n’existe finalement que peu de données fiables dans la mesure où il relève du huis clos et de l’intime.
Dans les Alpes-Maritimes, nous sommes particulièrement confrontés aux violences conjugales puisque mon département est tristement classé parmi les trois plus meurtriers chaque année – treize morts en 2015…
Cette problématique fait donc l’objet d’une attention particulière afin d’apporter une réponse locale cohérente avec une mobilisation des associations, des élus et des services de l’État pour accompagner au mieux les femmes en grande détresse. La métropole Nice-Côte d’Azur, le conseil départemental, les communes et les associations spécialisées ont ainsi passé plusieurs conventions afin de créer un véritable réseau opérationnel centré sur l’hébergement, la prévention et l’accompagnement dans les procédures de droit commun.
À Nice, afin de répondre à une prise en charge sans délai des victimes et faire en sorte qu’elles bénéficient d’une protection, des places d’accueil d’urgence existent. Un centre d’accueil de jour, labellisé par l’État, a également été créé pour leur assurer un accueil pérenne et un soutien personnel. Cette structure est très précieuse, car ses partenariats institutionnels et associatifs démontrent le rôle considérable et essentiel de la concertation locale dans le parcours d’orientation des victimes. Plus de 200 femmes y ont été prises en charge en 2015. Elles y parviennent après avoir été dirigées par les hôpitaux, les assistantes sociales, les commissariats, les élus ou le centre d’hébergement et de réinsertion sociale de la ville.
En outre, renforcer le parcours d’orientation des femmes victimes de violences passe aussi par une maîtrise locale des données. À côté du rôle prépondérant joué par les associations, qui fournissent une remontée d’informations importante, nous avons créé un observatoire local des violences conjugales, en cours d’extension au niveau de la métropole, ce qui permettra de mieux cerner l’ampleur des violences conjugales sur un territoire de quarante-neuf communes et un bassin de vie de plus de 550 000 habitants.
Concernant la prévention, comme dans douze autres départements depuis 2014, les Alpes-Maritimes ont expérimenté le téléphone grave danger – malheureusement, ce dispositif de téléprotection a prouvé son efficacité… – en coordination avec une association départementale, l’HARJES, les services de police et le procureur de la République. Je partage donc la recommandation de la délégation visant à augmenter les attributions de TGD sur l’ensemble du territoire.
En matière judiciaire, je tiens à souligner les efforts menés à l’échelle de mon département, notamment depuis la reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes grande cause nationale par le gouvernement de François Fillon en 2010.
Il faut bien reconnaître que les services de police et de justice ont longtemps considéré, par le passé, que ces violences relevaient de la sphère privée, dans laquelle il convenait de ne pas s’immiscer. Une convention locale relative au traitement des dépôts de plainte a donc été élaborée pour harmoniser le traitement de la parole des victimes, avec une attention toute particulière dès la première prise en charge.
De plus, avec un protocole passé entre les deux tribunaux de grande instance des Alpes-Maritimes, les services de police et de gendarmerie, les associations labellisées d’aide aux victimes et la ville de Nice, la réponse judiciaire est particulièrement concertée.
Toutefois, les victimes soulignent un certain nombre de difficultés personnelles persistantes qui rejoignent celles relevées dans le rapport en matière de détection des violences par l’environnement extérieur, de dépôt de plainte en l’absence de blessure, d’autonomie financière et d’emploi et, enfin, de logement. Sur ce dernier point, en ma qualité de présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je rappellerai que les femmes victimes de violences conjugales figurent déjà parmi les cinq publics prioritaires dans la loi pour l’attribution d’un logement social.
L’élargissement aux victimes de « violences familiales » – recommandation n° 6 du rapport – ne pourrait malheureusement pas être suivi d’effet dans un territoire tendu comme les Alpes-Maritimes, puisque le nombre de logements sociaux serait insuffisant pour répondre à l’ensemble des besoins.
Pourtant, la question du domicile est effectivement le cœur du problème. Je partage donc la volonté de voir l’ordonnance de protection, qui permet d’évincer du domicile conjugal le concubin violent, fonctionner à l’avenir comme une mesure de protection immédiate. Dans la plupart des cas, paradoxalement, ce sont les victimes qui quittent le domicile pour leur sécurité, se retrouvant ainsi en situation de grande précarité.
Cependant, les victimes doivent bénéficier du logement, à la stricte condition qu’il soit un lieu de sécurité et de protection. Sans éloignement immédiat du logement de l’auteur des violences, une forme d’injustice sociale vient s’ajouter aux souffrances des victimes, l’ordonnance de protection restant alors au stade de vœu pieux.
Toutefois, ces obstacles ne sauraient nous faire douter que le combat n’avance jamais assez vite. Tant qu’il persistera un espace de souffrance et de violence, c’est à nous, parlementaires, qu’il incombe non seulement de voter les évolutions législatives nécessaires, mais aussi de porter, de communiquer et d’offrir une visibilité accrue aux mesures existantes et qui fonctionnent déjà dans nos territoires pour endiguer ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Christine Prunaud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les violences faites aux femmes représentent une atteinte grave aux droits fondamentaux. Nous avons tous, dans cet hémicycle, la volonté de faire cesser ce fléau. À cet égard, je remercie nos collègues de la délégation aux droits des femmes de leur travail.
Depuis l’introduction dans le code pénal d’un délit spécial de violences commises au sein du couple en 1994, de nombreuses avancées doivent être soulignées et saluées. En effet, l’arsenal juridique pour prévenir et lutter contre les violences conjugales s’est affiné. Je pense, par exemple, à l’ordonnance de protection, mise en place par la loi de 2010, puis améliorée par la loi de 2014, qui en a prolongé la durée.
Pour autant, nous restons extrêmement mobilisés sur ce sujet, conscients du chemin qu’il nous reste à parcourir, notamment pour tous les Français et Françaises établis hors de France. Il est important que nos ressortissants, où qu’ils soient, sachent que la France s’engage dans la lutte contre les violences faites aux femmes par-delà les frontières.
Les chiffres restent plus qu’alarmants : en février 2016, l’Observatoire national des violences faites aux femmes estimait qu’au moins 200 millions de femmes et de filles, dont 44 millions âgées de moins de quinze ans, ont subi une mutilation sexuelle dans trente pays. En 2014, 4 % des femmes immigrées vivant en France et 2 % des filles d’immigrés nées en France, âgées de vingt-six à cinquante ans, ont subi un mariage non consenti. Selon l’UNICEF, environ 250 millions de femmes dans le monde ont été mariées avant l’âge de quinze ans. Vous serez d’accord pour convenir qu’il s’agit bien d’une violence.
Mme Corinne Bouchoux. Oui !
Mme Claudine Lepage. Afin de renforcer la protection de nos ressortissantes résidant hors de France, j’avais interrogé Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, notamment chargé des Français de l'étranger, sur la mise en place de « référents violences faites aux femmes » dans les consulats.
Avoir un interlocuteur bien formé, qui parle votre langue, est extrêmement important lorsque vous êtes victime de violences à l’étranger. Je me réjouis donc de la réponse de Matthias Fekl, qui m’a indiqué qu’un « travail de recensement des structures locales susceptibles d’accueillir à l’étranger les victimes des mariages forcés et de violences en général a été engagé » et que « l’ensemble des agents consulaires sont formés à ces thématiques au sein de l’institut de formation des agents à l’administration consulaire ».
Par ailleurs, madame la ministre, lors de votre audition par la délégation, vous m’avez confirmé que l’action internationale – c’est-à-dire dans les consulats – serait renforcée dans le cadre du cinquième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes qui doit être dévoilé dans quelques jours.
L’ampleur, la gravité et le caractère protéiforme des violences faites aux femmes, qui ne sont pas que conjugales, supposent une lutte sans relâche. Ce travail passe par un renforcement des dispositifs de protection des victimes. C'est la raison pour laquelle je regrette vivement que certaines mesures, comme le dispositif anti-rapprochement dont l’expérimentation était prévue par la loi de 2010, n’aient pu être mises en place ou que la proposition de prolongation du délai de prescription de l’action publique du délit d’agression sexuelle n’ait pas abouti. Il est pourtant insupportable d’envisager qu’un agresseur ne soit pas traduit devant les tribunaux. Une réflexion devrait être engagée sur ce sujet afin que les personnes ayant subi des agressions sexuelles – pas seulement au sein du couple – puissent être reconnues comme victimes par la justice. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier très sincèrement les membres de la délégation aux droits des femmes, en particulier sa présidente et les rapporteurs, pour leur travail de grande qualité sur ce sujet particulièrement complexe et douloureux pour de nombreuses familles.
La lutte contre les violences conjugales s’inscrit dans un contexte sociétal global, notamment en termes d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes. Il est aujourd’hui indispensable de développer les structures d’accueil et de garde d’enfants pour permettre aux femmes de ne plus subir le travail à temps partiel qui nuit à leur carrière, entraîne des disparités salariales avec les hommes et ne leur ouvre qu’une petite retraite.
Je m’associe bien évidemment aux treize recommandations du rapport, en insistant sur les besoins en logements d’urgence, sur la formation à l’écoute et sur la prise en charge des femmes battues par les partenaires juridiques et sociaux et par les personnels de gendarmerie et de police qui les reçoivent.
L’éducation nationale a un rôle considérable à jouer dans la lutte contre les stéréotypes. Il s’agit de faire en sorte que les femmes ne s’interdisent pas certaines professions.
De même, le congé parental doit être partagé entre conjoints pour éviter que seules les femmes ne s’arrêtent de travailler.
Il convient également de soutenir les actions de sensibilisation à l’éducation sexuelle et à la contraception au collège, dès la classe de sixième, afin d’éviter les IVG traumatisantes.
La Journée défense et citoyenneté pourrait être un lieu d’échange pour sensibiliser les jeunes aux valeurs d’égalité et de respect que nous défendons toutes et tous.
La tâche reste immense. Nous devons consacrer les moyens humains et financiers nécessaires. Le budget consacré aux violences faites aux femmes est malheureusement bien faible.
La mobilisation de tous les acteurs est indispensable : l’ensemble des administrations et services de l’État, qu’il s’agisse de l’intérieur, de la santé, des affaires sociales, de la justice, de l’éducation nationale, des collectivités territoriales, ou des associations – je rends hommage à tous ces bénévoles. Nous sommes en effet tous concernés, en secteur urbain comme en secteur rural.
Ne baissons pas les bras ! Ce combat passe par l’affirmation sans relâche de l’égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens moi aussi à saluer le travail réalisé par vos rapporteurs. Le travail de la délégation aux droits des femmes est pour moi une source précieuse d’étude, de recherche, d’exploration et d’innovation. En l’occurrence, la mobilisation transpartisane que vous avez mise en place est remarquable et plus que jamais nécessaire pour faire face à ce phénomène insoutenable – souvent –, révoltant – toujours – et tenace que constituent les violences faites aux femmes.
Je veux d’abord revenir sur le titre du rapport : 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. Voilà dix ans, le gouvernement lançait le premier plan d’actions contre les violences faites aux femmes ; quatre ans après, en 2010, était rédigée l’ordonnance de protection, qui est encore un dispositif phare de la protection des femmes victimes de violences conjugales et, désormais également, de violences sexuelles. Ces dix années consacrent l’intensification de l’action publique dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Les moyens mobilisés n’ont cessé d’augmenter et les politiques publiques se sont structurées autour des différents plans successifs, permettant une action interministérielle efficace et ambitieuse.
Votre éclairage est d’autant plus important que je lancerai demain le cinquième plan triennal de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, avec pour perspective la journée internationale du 25 novembre.
Cela a été dit, chaque année, 223 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Tous les deux jours et demi, une femme décède sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Selon mes chiffres, 122 femmes en sont mortes l’année dernière et 100 depuis le début de l’année 2016. Même si nos chiffres ne sont pas exactement identiques, ils disent la même chose, ce qui me paraît le plus important. Quant aux enfants, ils sont les victimes directes de ces meurtres.
Ces violences sont insupportables, car elles signifient que, pour des milliers de femmes, la vie constitue un grand danger. Être une femme, c’est vivre à risque pour nombre d’entre elles. Toutefois, personne ne peut dire exactement combien de femmes décèdent sous des coups mortels.
M. Roland Courteau. Sans compter les suicides !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, c’est l’un des sujets sur lesquels il faudra travailler et affiner l’expertise. On peut en effet présumer que de nombreux suicides de femmes sont liés aux violences conjugales.
Ces violences interpellent d’autant plus que le foyer familial est, dans notre idéal collectif, synonyme de protection et de solidarité. Les avancées législatives et les campagnes de sensibilisation permettent de bousculer ces certitudes et, surtout, de mieux reconnaître les violences qui s’exercent au sein du couple.
Aujourd’hui, les violences conjugales sont certainement la forme la plus connue des violences faites aux femmes. Mais il est important de souligner que les violences ne se traduisent pas seulement par des coups portés par un époux. Nous parlons de violences au pluriel, celles-ci s’exerçant sous différentes formes – sexuelles, physiques, psychologiques ou économiques –, dans des espaces divers – au travail, dans l’espace public, à l’école, à l’université – et pouvant potentiellement toucher toutes les femmes, quels que soient leur situation ou leur niveau de vie. Dans la grande majorité des cas, les victimes connaissent l’auteur des violences, qu’il s’agisse du conjoint, d’un membre de la famille ou d’un proche.
À la source de toutes ces violences, on retrouve un seul et même phénomène : le sexisme, le machisme. Les violences constituent la forme la plus exacerbée de la domination masculine. Ce sexisme qui se banalise justifie la domination physique, psychologique et symbolique des hommes sur les femmes.
Les différentes manifestations du sexisme se nourrissent entre elles. Tous les comportements et les propos qui stigmatisent, infériorisent, délégitiment les femmes constituent le terreau des violences faites aux femmes. Diffuser à longueur de journée des publicités et des clips dans lesquels les femmes sont immanquablement représentées comme des objets, multiplier les blagues et les propos déplacés adressés aux femmes autour de la machine à café, renvoyer sans cesse les femmes à leurs moindres compétences : tout cela fonde l’existence des violences et participe à leur banalisation et à leur légitimation. C’est pourquoi je conçois le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme que j’ai lancé le 8 septembre dernier comme un outil de prévention à part entière des violences faites aux femmes. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Vous l’avez dit, nous sommes dans une dynamique de progrès. Les nouvelles dispositions législatives et les mesures du quatrième plan Violences ont permis de créer de nouveaux outils non seulement pour mieux protéger et accompagner les femmes victimes de violences, mais aussi pour mieux les prévenir.
Nous pouvons l’affirmer avec assurance, jamais le droit n’a été aussi complet qu’aujourd’hui. Dès août 2012, nous avons rétabli le délit de harcèlement sexuel. Vous vous souvenez sans doute de la question prioritaire de constitutionnalité, qui avait conduit le Conseil constitutionnel à abroger le délit de harcèlement sexuel. Petite anecdote, l’homme poursuivi pour harcèlement qui avait déposé cette question prioritaire de constitutionnalité vient d’être condamné. Bien mal acquis ne profite jamais !
La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 a renforcé les dispositifs de lutte contre les violences : généralisation du téléphone grave danger, éviction du domicile du conjoint violent, stages de responsabilisation pour les auteurs et renforcement de l’ordonnance de protection.
Cette année, la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a été adoptée par le Parlement. Ce texte historique reconnaît enfin la prostitution comme une violence en soi.
Le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, en cours d’examen, comporte également une série de mesures en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Une fois le cadre juridique posé, il est absolument nécessaire de garantir l’application de la loi et l’accès au droit des femmes victimes. C’est pourquoi le quatrième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a été lancé, en 2014, autour d’axes et de mesures que vous connaissez toutes et tous parfaitement.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié ce matin l’évaluation de ce quatrième plan. À la veille du lancement du nouveau plan triennal, je tiens donc à partager avec vous ces derniers éléments d’évaluation, qui viennent compléter le travail que vous avez mené dans le cadre votre rapport.
Les moyens spécifiques consacrés aux violences faites aux femmes ont été doublés sur toute la durée du quatrième plan, pour atteindre 66 millions d’euros sur trois ans. C’est non seulement une condition essentielle de réussite, mais aussi une priorité de l’action de mon ministère, puisque la lutte contre les violences faites aux femmes représente près de 75 % du budget alloué au ministère des droits des femmes.
Je le précise, dans la mesure où le projet de loi de finances ne sera pas discuté ici, ce budget augmentera de 8 % en 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il aura enregistré une hausse de 50 % depuis le début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Giraud. Très bien ! Bravo !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Une très large partie de ce budget est directement attribuée aux associations, qui mènent un travail tout à fait remarquable sur le terrain en prenant à bras-le-corps des situations complexes, délicates et bien souvent dangereuses, y compris pour les bénévoles. C’est pourquoi, dans le cadre du quatrième plan, douze associations ont bénéficié d’une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens pour près de 4 millions d’euros.
Le quatrième plan a permis de déployer des dispositifs de repérage, de protection et d’accompagnement sur l’ensemble du territoire. La dénonciation des violences a ainsi pu être mieux accompagnée.
Le 3919, numéro unique pour orienter les femmes victimes de toute violence, a été renforcé et rendu plus visible. Les intervenants et intervenantes du 3919 ont ainsi été en mesure de répondre à un véritable besoin, puisque ce sont plus de 50 000 femmes par an qui sont écoutées, contre seulement 25 000 avant le quatrième plan. Ce chiffre a donc doublé. Voilà un indicateur tangible de la libération de la parole des femmes sur les questions de violence.
De nouveaux lieux d’écoute de proximité ont également été ouverts. Le quatrième plan a permis de renforcer leur présence sur l’ensemble du terrain, puisque dix nouveaux départements ont pu être couverts. Nous disposons aujourd’hui de 327 lieux d’accueil dans la quasi-totalité des départements.
Toutefois, seulement 10 % des femmes victimes portent plainte. Or, comme le souligne votre rapport, la plainte permet de mobiliser tous les outils de protection et de sanction prévus par le droit pénal. C’est pourquoi le protocole « plainte » a été établi : il s’agit de réaffirmer le principe du dépôt de plainte et d’améliorer la réponse apportée à toute femme qui révèle une situation de violences auprès de la police ou de la gendarmerie. Désormais, quatre-vingt-dix ressorts de tribunaux de grande instance sont couverts et cinq supplémentaires le seront prochainement.
Pour que la victime puisse trouver, dès sa première visite en commissariat ou en brigade, les réponses utiles susceptibles de la rassurer sur l’hébergement, la prise en charge des enfants ou l’accompagnement judiciaire, social et sanitaire, 260 intervenants sociaux – soit une augmentation de plus de 40 % en trois ans – sont désormais présents dans les commissariats et brigades de gendarmerie, dans la quasi-totalité des départements.
De nouveaux dispositifs ont également été déployés pour mieux protéger les femmes victimes. Ainsi 1 550 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence ont-elles d’ores et déjà été créées. Nous atteindrons donc l’objectif fixé par le Président de la République de 1 650 nouvelles places en 2017. Je le précise, 40 % d’entre elles sont situées dans des établissements spécialisés dans la prise en charge des femmes victimes de violences, tandis que 60 % sont situées dans le parc généraliste.
En outre, 1 737 ordonnances de protection ont été prononcées en 2015, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2014. Même si de plus en plus de magistrats mobilisent cette ordonnance, sa mise en œuvre est très inégale selon les différents territoires, comme le souligne votre rapport.
Nous avons également généralisé le téléphone grave danger. Depuis septembre 2014, 530 TGD ont été déployés et attribués à plus de 600 femmes. Pour 89 % des alertes, il s’agissait d’une demande d’intervention. Dans 28 % des cas, l’alerte a conduit à l’interpellation de l’agresseur.
Par ailleurs, 160 espaces de rencontre existent désormais et permettent la continuité des relations entre l’enfant et son père, sans nouvelle mise en danger des enfants ou du parent victime.
Afin de responsabiliser les auteurs de violences au sein du couple, de prévenir la réitération des actes de violence, des stages de responsabilisation ont été expérimentés dans dix services pénitentiaires d’insertion et de probation. On dénombre quatre-vingt-quatre dispositifs dans cinquante-huit départements. Le décret qui permettra la généralisation de ce dispositif sur l’ensemble du territoire sera publié en janvier 2017.
Le bilan du quatrième plan le montre, les départements qui se sont lancés tôt dans l’expérimentation des différents dispositifs sont ceux qui se sont le mieux mobilisés. C’est par exemple le cas pour le téléphone grave danger : 89 TGD ont été déployés ces deux dernières années dans le Bas-Rhin ; 93 en Seine-Saint-Denis et 48 à Paris. Mais ces trois départements étaient précurseurs en la matière ! Quand on regarde la liste de la répartition des téléphones grave danger, on identifie précisément les départements dans lesquels ces téléphones ne constituent pas encore un outil dont les magistrats se sont suffisamment emparés.
La formation des professionnels, qui constitue un axe important du quatrième plan, sera également un volet essentiel du cinquième plan. Elle est primordiale, car en permettant aux professionnels de s’approprier les dispositifs existants, que nous élaborons au Parlement et que vous votez, nous nous assurons que ces derniers sont véritablement mobilisés. Elle permet d’améliorer le repérage, l’accompagnement et la protection des victimes.
Au terme du quatrième plan, ce sont plus de 300 000 professionnels qui auront été formés par la MIPROF. Dans les services d’urgence, nous avons formé des référents. Issus de 483 établissements de soins, ils sont au nombre de 575. Nous développons progressivement un formidable réseau de travailleurs sociaux, magistrats ou professionnels de santé, qui ne sont pas des spécialistes exclusivement dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, mais sont formés, alors qu’ils exercent des disciplines diverses, à intégrer dans l’exercice de leur métier le repérage et l’accompagnement des femmes victimes de violences.
Malgré ces efforts, le phénomène des violences faites aux femmes reste massif. Faut-il pour autant se résigner, considérer l’action publique comme vaine et les violences comme une fatalité ? C’est, à mon sens, tout le contraire ! Il convient à la fois de mesurer les progrès réalisés et d’observer le maintien des violences à un haut niveau. Nous sommes face à une culture de la violence envers les femmes. Cela ne se résout pas uniquement par des lois et des dispositifs.
Nous disposons aujourd’hui d’outils concrets qui font leurs preuves lorsqu’ils sont mobilisés. Notre enjeu, désormais, est de tout mettre en œuvre pour permettre aux femmes d’accéder à leurs droits.
Plutôt qu’un combat « inachevé », je dirai que la lutte contre les violences faites aux femmes est un combat qui doit continuer d’être mené sans relâche. Un jour, je l’espère, celui ou celle qui sera à ma place ou à la vôtre, madame la présidente de la délégation, pourra dire que le combat est achevé. Malheureusement, cet horizon n’est pas encore accessible.
Pour le moment, nous avons la conviction qu’il ne faut jamais relâcher la lutte contre les violences faites aux femmes. Plusieurs de vos recommandations rejoignent les orientations du cinquième plan, notamment en ce qui concerne la formation des professionnels et la meilleure prise en charge des enfants victimes de violences conjugales.
Je révélerai au conseil des ministres qui se tiendra demain le contenu de ce cinquième plan. Je peux d’ores et déjà vous dire que nous consoliderons les dispositifs qui ont fait leurs preuves dans le cadre du quatrième plan, et cela grâce à une augmentation du budget alloué, qui a été multiplié par deux par rapport à 2014.
Afin de faciliter davantage la révélation des violences, le 3919 et le dispositif des intervenants sociaux dans les commissariats et brigades de gendarmerie seront consolidés, la formation des professionnels – médecins, policiers, gendarmes et, c’est nouveau, sapeurs-pompiers – qui constituent le premier recours des femmes victimes de violences sera systématisée.
Afin de mettre les victimes à l’abri, parfois dans l’urgence, les lieux d’écoute de proximité seront renforcés grâce à une plus grande amplitude horaire. L’offre d’hébergement d’urgence sera amplifiée pour parvenir à 2 000 places dédiées aux femmes victimes de violences et les dispositifs de protection dans l’urgence seront davantage et mieux mobilisés.
Afin de permettre la reconnaissance des violences subies et la condamnation des conjoints violents, les autorités judiciaires seront systématiquement informées des faits déclarés, le constat de preuve sera facilité et les professionnels de justice seront formés.
Afin d’accompagner les victimes vers une réelle autonomie, une offre de soins psychotraumatiques sera développée. Là encore, nous avons un effort de formation à mener, car nous ne disposons pas des ressources humaines nécessaires pour répondre aux besoins. Ce sera incontestablement l’un des sujets centraux de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, évoqué la question du viol conjugal. Pour révéler les violences, encore faut-il les identifier comme telles ! Nous lancerons demain une campagne sur les réseaux sociaux visant à déconstruire les stéréotypes associés aux violences. Pour la première fois, nous évoquerons dans une campagne officielle de communication publique le viol conjugal. Le slogan est le suivant : « Même si c’est sa femme, si elle ne veut pas, c’est un viol. »
Les enfants témoins de violences sont des victimes. Assister aux violences commises par le père sur la mère a des conséquences sur les enfants : en tant que témoins, ils deviennent des victimes. Un mari violent n’est pas un bon père, contrairement à ce qu’on entend encore parfois dans un certain nombre de professions.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Laurence Rossignol, ministre. La protection des mères et des enfants doit être assurée pendant la séparation : dans ces situations, la médiation familiale pour fixer l’exercice de l’autorité parentale a été interdite par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
La protection sera également garantie après la séparation : l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires, l’ARIPA, assurera l’intermédiation. Cette agence jouera un rôle contre les violences physiques, mais aussi économiques faites aux femmes, puisque le non-paiement des pensions alimentaires relève de ce type de violence. Les espaces de rencontre seront consolidés. Des espaces de rencontre protégés et une mesure d’accompagnement protégé seront expérimentés. J’ai signé ce matin en Seine-Saint-Denis une convention à cet effet.
Une nouvelle catégorie insuffisamment prise en compte par les plans précédents est celle des jeunes femmes de dix-huit à vingt-cinq ans, particulièrement exposées aux violences dans leurs relations avec les hommes et sur internet. Elles mobilisent pourtant peu les dispositifs existants, ne se sentant pas concernées. En effet, elles associent la violence conjugale à celle qui s’exerce dans un couple installé, qui représente à leurs yeux la conjugalité.
Afin de faciliter l’identification et la révélation des violences, une meilleure visibilité des lieux d’accueil de proximité est nécessaire pour ces jeunes femmes. Pour leur proposer une protection et un accompagnement adapté, cent solutions d’hébergement spécialisées dans la prise en charge des dix-huit à vingt-cinq ans sans enfants seront créées.
Par ailleurs, les jeunes femmes sont davantage exposées à une nouvelle forme de violence, le cybersexisme, qui va du harcèlement en ligne au partage de photos à caractère intime. Si la loi sanctionne désormais mieux ces violences, il est nécessaire de rappeler aux victimes que le droit les protège. Un guide sera publié à cet effet et une liste des commissariats dans lesquels les enquêteurs et enquêtrices sont formés à la lutte contre les violences sur internet sera diffusée.
Il est une autre catégorie de femmes insuffisamment soutenues ; je veux parler des femmes vivant en milieu rural.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Dans les territoires ruraux, les dispositifs peuvent être moins nombreux et moins accessibles. Il est clair qu’on ne pourra pas couvrir l’ensemble des territoires et des cantons avec des associations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il convient donc de trouver un autre angle d’accès.
Nous nous sommes appuyés sur ce qui existait dans les territoires ruraux, à savoir une présence associative. Des permanences d’écoute seront créées dans les maisons de services au public, sur la base de conventions signées avec les centres d’information sur les droits des femmes et des familles, les CIDFF, présents en zones rurales. L’idée est assez simple : il s’agit de former, dans les zones rurales, au repérage des violences faites aux femmes.
Par ailleurs, la mobilité sera facilitée par la prise en charge des transports : l’expérimentation de « bons taxis » sera menée dans vingt-cinq départements.
Des actions concrètes visent également à renforcer l’accès aux droits des femmes handicapées, qui sont victimes de violences spécifiques, des femmes résidant dans les territoires d’outre-mer et des femmes étrangères.
Enfin, en lien avec le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme, nous continuerons d’attaquer collectivement le problème à la source. Nous sommes toutes et tous concernés. Chaque prise de position, chaque initiative prise en ce sens, est précieuse.
La semaine dernière, j’ai participé au lancement d’une charte sur le traitement journalistique des violences faites aux femmes, dénoncé par le collectif Prenons la Une. Pour rendre compte des affaires de violences conjugales, elle recommande notamment de bannir l’usage des termes « drame familial » ou « crime passionnel ». Quand un homme tue sa femme et ses enfants, ce n’est pas un drame familial comme peut l’être un drame de la route en cas d’accident mortel. Il y a un assassin et des victimes, que les termes « drame familial » font disparaître, comme si tous étaient acteurs. Quant à l’expression « crime passionnel », elle n’a rien à faire dans la description des violences. Comment peut-on laisser entendre que l’amour et la passion auraient quelque chose de compatible avec la violence ? Or les mots « crime passionnel » laissent entendre que la violence et l’amour pourraient cohabiter.
Cette démarche engage les rédactions à ne plus utiliser un tel vocabulaire. En matière de violences faites aux femmes, tout est important, car il s’agit de s’attaquer à des représentations inacceptables tendant à la banalisation ou à l’humour en matière de violences. C’est donc avec ce type d’actions que nous avançons collectivement.
Vous le voyez, il n’y a aucune résignation ni aucun découragement de notre part, bien au contraire. Laurence Cohen a évoqué la nécessité de mobiliser les pouvoirs publics, mais aussi les associations et le mouvement social dans la rue. Le nombre de femmes victimes de violences étant évalué à 230 000, on peut penser que chacun en connaît au moins une, dans son quartier ou sur son lieu de travail. La mobilisation collective, c’est aussi la compréhension et le repérage des « signaux faibles », qu’il convient d’apprendre à identifier. Il faut savoir quoi dire à une femme qu’on pense être victime de violences, pour l’accompagner ensuite vers des professionnels qui la prendront en charge.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de ce rapport, qui m’est fort utile en tant que ministre chargée de lutter contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales.
10
Nomination des membres de deux commissions d'enquête et deux missions d'information
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d’enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l’avenir de l’espace Schengen.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Pascal Allizard, Michel Billout, Jean Bizet, François-Noël Buffet, Olivier Cigolotti, René Danesi, André Gattolin, Mmes Pascale Gruny, Gisèle Jourda, MM. Philippe Kaltenbach, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jacques Legendre, Didier Marie, Rachel Mazuir, Cédric Perrin, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Jean-Louis Tourenne, Yannick Vaugrenard et Jean-Pierre Vial membres de la commission d’enquête.
Je rappelle également que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisations et leur suivi dans la durée.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Gérard Bailly, Jérôme Bignon, Gérard César, Roland Courteau, Ronan Dantec, Michel Delebarre, Mme Évelyne Didier, MM. Daniel Gremillet, Jean-François Husson, Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-François Longeot, Hervé Poher, Rémy Pointereau, Mme Sophie Primas, MM. André Trillard, Raymond Vall et Alain Vasselle membres de la commission d’enquête.
Par ailleurs, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ».
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame MM. Jacques Bigot, Philippe Bonnecarrère, Mme Corinne Bouchoux, MM. Henri Cabanel, Pierre Camani, Mmes Agnès Canayer, Karine Claireaux, MM. Pierre-Yves Collombat, René Danesi, Mme Catherine Di Folco, M. Daniel Dubois, Mme Nicole Duranton, M. Christian Favier, Mme Corinne Féret, M. Michel Forissier, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Gatel, Catherine Génisson, MM. Alain Gournac, Didier Mandelli, Mmes Colette Mélot, Danielle Michel, MM. Robert Navarro, Cyril Pellevat, Michel Raison, Mme Sylvie Robert et M. Bernard Vera membres de la mission d’information.
Je rappelle également que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame M. Michel Amiel, Mme Aline Archimbaud, M. Jacques Bigot, Mmes Maryvonne Blondin, Françoise Cartron, M. Daniel Chasseing, Mme Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mmes Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, M. Alain Dufaut, Mmes Catherine Génisson, Corinne Imbert, Anne-Catherine Loisier, M. Pierre Médevielle, Mmes Marie Mercier, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Marie-Françoise Perol-Dumont, Christine Prunaud, M. Jean-François Rapin, Mme Stéphanie Riocreux, M. René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger et M. Henri Tandonnet membres de la mission d’information.
11
Nomination d'un membre d'une commission
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée, et je proclame Mme Gélita Hoarau membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement de Paul Vergès, décédé.
12
Nomination d'un membre d'une délégation sénatoriale
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée, et je proclame M. François Bonhomme membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Louis Pinton, décédé.
13
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
14
Retrait d’une question orale
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question orale n° 1556 de M. Daniel Chasseing est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
15
Normes agricoles et politique commerciale européenne
Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires européennes et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de la proposition de résolution européenne sur l’inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Michel Magras et plusieurs de ses collègues (proposition n° 65, rapport et texte de la commission nos 127, rapport pour avis n° 102).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne.
M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier le président de notre délégation à l’outre-mer, Michel Magras, de m’avoir cédé le temps de parole qui lui était dévolu en qualité de premier signataire de la proposition de résolution européenne.
La proposition de résolution que j’ai l’honneur, avec mes collègues Michel Magras, Catherine Procaccia, Jacques Gillot et Gisèle Jourda, de soumettre à l’approbation du Sénat est très directement issue des travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Elle reprend une partie des préconisations destinées aux instances européennes du rapport de la délégation sur la nécessaire adaptation des normes agricoles outre-mer, rendu public au mois de juillet dernier. Elle comprend également un volet consacré aux effets des accords commerciaux, volet qui poursuit notre action en faveur d’un rééquilibrage des négociations européennes. Ces deux sujets, celui des normes agricoles et celui des accords de libre-échange, sont intimement liés, comme nos débats récents sur les traités commerciaux avec le Canada et avec les États-Unis le démontrent à l’envi.
Les agriculteurs et les éleveurs ultramarins sont confrontés à une hypertrophie normative ; ce ne sont pas les seuls… Si notre proposition de résolution met la focale sur la situation en outre-mer, c’est aussi, et surtout, parce que les problèmes d’inadéquation des normes à la réalité concrète y sont exacerbés et se manifestent dans toute leur absurdité. C’est également parce que les conséquences de la « mal-norme » sont particulièrement douloureuses dans des territoires ultramarins fragilisés par la crise, frappés par un chômage endémique et menacés par la concurrence des pays tiers voisins, jusque sur leurs propres marchés locaux.
Cette inadéquation des normes appelle des solutions d’acclimatation et de régulation différenciées selon les territoires. Si nous parvenons à faire bouger les lignes à l’échelon européen pour défendre les intérêts de nos outre-mer, qui sont bel et bien pour la France des intérêts nationaux, c’est l’ensemble du secteur agricole dans l’Hexagone qui bénéficiera de nouvelles souplesses et de nouvelles simplifications. C’est notre conviction.
Notre proposition de résolution européenne intervient dans un contexte très particulier, marqué à la fois par la multiplication des projets d’accords de libre-échange et par des projets de modification des règlements européens de 2007 sur la production biologique et de 2009 sur les pesticides. Nous devons profiter de cette fenêtre d’action pour faire avancer nos positions dans les cercles bruxellois. C’est pourquoi notre texte vise à dénoncer l’inadéquation du cadre réglementaire phytosanitaire et de la politique commerciale de l’Union et à demander une réorientation au service du développement endogène des RUP, les régions ultrapériphériques.
Depuis plusieurs années, les filières agricoles des outre-mer ont consenti de très importants efforts pour faire face à la concurrence internationale en modernisant leur outil de production et en revoyant leur stratégie de commercialisation. Les gains de compétitivité réalisés ne sont pas dus à une baisse quelconque des standards sociaux et environnementaux. Bien au contraire, les outre-mer se sont engagés dans une politique vertueuse de mieux-disant social et environnemental, marquée notamment par une réduction drastique de l’emploi des herbicides, fongicides et pesticides, avec d’ailleurs le soutien financier de l’Union européenne.
Ces efforts d’adaptation sont toutefois menacés d’être réduits à néant par des politiques européennes inadaptées et incohérentes entre elles. En effet, l’architecture de la réglementation phytosanitaire européenne est faite pour les conditions tempérées de l’Europe continentale, qui s’accompagnent d’une moindre pression de maladies et de ravageurs. Elle ne tient pas compte des caractéristiques de l’agriculture en milieu tropical. Les RUP restent ainsi dans l’angle mort.
Cela contribue fortement à la prégnance des usages orphelins dans les outre-mer. Ainsi, 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les RUP françaises sont couverts ; la moyenne nationale française s’établit à un taux de couverture de 80 % des besoins.
Les filières de diversification sont très impactées, mais les grandes cultures de la banane et de la canne ne sont pas épargnées, car elles sont à la merci d’une perte d’homologation d’une poignée de produits absolument indispensables à la survie même des plantations. Les procédures d’homologation sont directement responsables de l’indisponibilité de solutions phytopharmaceutiques dans les RUP, alors même que celles-ci existent dans les pays tiers concurrents qui exportent leurs productions vers l’Union européenne.
Les RUP subissent la concurrence des pays tiers à l’export sur le marché européen pour leurs produits phares que sont la banane, le sucre et le rhum. Ils la subissent aussi sur leurs marchés locaux pour les produits issus des filières de diversification végétale et animale.
La porosité des outre-mer aux importations légales et illégales des pays tiers est avérée : la Guadeloupe vis-à-vis de la Dominique, notamment en exploitant les failles du contrôle à Marie-Galante, la Martinique face à Sainte-Lucie, la Guyane vis-à-vis du Suriname et du Brésil, Mayotte face aux Comores et La Réunion à l’égard de Madagascar.
Cette porosité contribue à enfermer les économies ultramarines dans un cercle vicieux. Plus la concurrence sur le marché local est rude, plus les filières de diversification végètent et ne peuvent ni résoudre le problème des usages orphelins ni s’engager dans des démarches de labellisation ou d’agriculture bio. Les économies des outre-mer restent éminemment dépendantes des grandes cultures de la banane et de la canne. Or celles-ci sont elles-mêmes fragilisées par le changement climatique – salinisation, sécheresse, épisodes violents – et surtout touchées de plein fouet par la multiplication des accords de libre-échange. L’Union européenne troque trop facilement les productions agricoles tropicales des RUP contre l’ouverture putative des marchés industriels et de services des pays tiers. La seule réponse de l’Union européenne est de prévoir des compensations financières via le POSEI, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité.
Cela ne fait que miner les capacités de développement endogène des RUP et accroître leur dépendance aux subventions. Les outre-mer ont besoin d’un cadre normatif adapté, propice à la mise en valeur de leur potentiel agricole. Ils ont aussi besoin d’une politique commerciale qui leur permette de lutter à armes égales avec leurs concurrents.
Aujourd’hui, seuls les outre-mer disposant de la maîtrise normative, comme la Nouvelle-Calédonie, paraissent bénéficier d’un corpus normatif et de systèmes de contrôle adaptés à leurs besoins de développement des activités agricoles.
Les membres de la délégation à l’outre-mer n’ont eu de cesse d’alerter le Gouvernement et les autorités européennes sur la nécessité de prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques. Nous avons ainsi fait adopter des résolutions sur la banane, sur la politique de la pêche, sur la fiscalité du rhum et, encore cette année, sur les sucres spéciaux pour infléchir les termes de l’accord commercial avec le Vietnam. Elles n’ont pas été vaines, puisqu’elles ont contribué à arracher à la Commission européenne soit des prorogations de dispositifs de protection, soit des inflexions des équilibres négociés avec des pays tiers. Il n’en reste pas moins que la Commission européenne n’a pas encore modifié en profondeur et de manière pérenne son approche des outre-mer.
J’en veux pour preuve l’adhésion prochaine de l’Équateur à l’accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou conclu au mois de décembre 2012. L’Équateur est déjà le premier exportateur de bananes sur le marché européen. L’abaissement des droits de douane après son adhésion à l’accord de libre-échange provoquera inévitablement un afflux d’importations qui frappera durement nos planteurs. Ce pays traite ses bananes quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Par comparaison, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.
C’est dans cette politique inéquitable que réside le nœud du problème. Il paraît aberrant de procéder simultanément à l’abandon des tarifs douaniers et au démantèlement des protections non tarifaires. C’est pourquoi nous estimons indispensable que les autorités communautaires garantissent la cohérence entre elles des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union européenne. Nous invitons en particulier la Commission européenne à acclimater les normes en matière d’agriculture et d’élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités de la production en milieu tropical.
Il reste beaucoup à faire, en particulier à l’échelon européen, pour défendre les intérêts de nos territoires, trop facilement oubliés. L’adoption de notre proposition de résolution permettra d’associer l’ensemble du Sénat à notre action et de soutenir très directement les efforts de nos collègues parlementaires européens, non seulement français mais aussi espagnols et portugais, pour faire reconnaître les spécificités des régions ultrapériphériques.
Pour conclure, permettez-moi de revenir brièvement sur le rapport qui a donné naissance à notre proposition de résolution. Son élaboration nous a donné l’occasion de découvrir une autre facette de la richesse des outre-mer.
Nous avons appris à connaître toute une gamme de champignons, bactéries et ravageurs. Je mentionne par exemple le papillon piqueur des agrumes et le citrus greening, la lucilie bouchère, dont le nom latin signifie « mouche mangeuse d’hommes », ou encore la fourmi manioc. Nous avons aussi découvert avec intérêt combien l’inventivité de nos chercheurs était inépuisable et leur contribution irremplaçable. Ils ont mis au point en particulier des méthodes de synchronisation de la floraison des ananas par charbon enrichi à l’éthylène et des techniques de piégeage de masse du charançon de la patate douce par confusion sexuelle ; je ne vous expliquerai pas tout en détail. (Sourires.) Tous ces noms évocateurs vous laissent imaginer l’étendue de notre champ d’investigation.
Nous souhaitons ardemment que ces efforts et ces trésors de créativité soient récompensés. Nous entendons, par le truchement de la présente proposition de résolution européenne, faire entendre la voix des outre-mer à Bruxelles et vaincre les obstacles qui entravent le développement de leur agriculture. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Magras, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crains qu’il n’y ait quelques redites dans mon intervention – je vous prie de m’en excuser par avance –, mais le sujet l’impose.
Nos agriculteurs ultramarins veulent produire et exporter en se positionnant sur des secteurs haut de gamme. C’est un combat honorable et difficile, face à une concurrence impitoyable et alors que les acteurs ne jouent pas à armes égales.
Au début de l’année 2016, nous sommes intervenus par voie de résolution pour rappeler que l’Union européenne avait très opportunément financé la modernisation de la filière canne à sucre ultramarine et son positionnement sur les sucres roux. À l’unanimité, nous avons estimé absurde de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement le marché des sucres spéciaux à des pays où le coût de la main-d’œuvre était dix-neuf fois moins élevé. Il s’agissait en l’occurrence du Vietnam, qui risquait de se voir offrir un boulevard pour se positionner sur ce segment.
Notre démarche a été couronnée de succès – cela vient d’être rappelé –, puisque l’accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux. Partant de 20 000 tonnes indifférenciées, on en est finalement arrivé à une limitation spécifique de 400 tonnes pour les sucres roux. Cela change tout !
Madame la ministre, je tiens à vous remercier, ainsi que l’ensemble du Gouvernement, de votre mobilisation sur ce dossier. Je vous invite à prêter une attention toute particulière au sort réservé aux productions ultramarines dans les mandats de négociation. En effet, le caractère flou du mandat confié à la Commission européenne, comme dans le cas du traité transatlantique, peut être extrêmement préjudiciable.
Ainsi que cela avait été alors annoncé, je vous présente aujourd’hui un texte plus général, même s’il répond aussi à une préoccupation immédiate concernant le secteur de la banane. La version initiale de ce texte a été cosignée par cinq membres de la délégation à l’outre-mer : Éric Doligé, que vous venez d’entendre, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia et moi-même. La commission des affaires européennes a pleinement souscrit à ce travail, puisqu’elle a adopté la proposition de résolution sans modification et à l’unanimité. Comme son intitulé l’indique, ce texte comporte deux volets : les normes agricoles européennes et la politique commerciale de l’Union.
Le thème des normes agricoles a été abordé par notre commission des affaires économiques au milieu de l’année 2016, mais principalement sous l’angle hexagonal. Dans son excellent rapport d’information, notre collègue Daniel Dubois constate que l’avalanche de réglementations handicape l’agriculture métropolitaine, qui est pourtant l’une des plus performantes du monde, et il invite à retrouver le chemin du bon sens avec seize propositions.
Nous sommes ici aujourd’hui pour rappeler que la situation est encore bien pire pour les outre-mer. Cela ressort du rapport d’information élaboré par la délégation sénatoriale à l’outre-mer. En 300 pages, qui rendent compte des nombreuses auditions effectuées auprès des acteurs de terrain, nous démontrons que les dispositifs phytosanitaires conçus pour l’Europe continentale s’imposent dans les régions ultrapériphériques en ignorant totalement les caractéristiques de l’agriculture en zone tropicale, tant et si bien que cette application uniforme conduit à une véritable impasse agricole.
Un seul exemple parmi tant d’autres : la fameuse fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane, est capable de détruire, en vingt-quatre heures seulement une culture de patates douces, d’ignames ou d’agrumes. Or aucune solution efficace ne peut être utilisée aujourd’hui sur des cultures de plein champ. En bref, la sécurité des récoltes ultramarines n’est pas garantie. Comme cela a été rappelé, 29 % des « usages phytosanitaires », c’est-à-dire les moyens de défense contre les attaques des ravageurs, sont couverts dans les départements d’outre-mer, contre 80 % en métropole. Pourtant, les produits existent, et ils sont utilisés par nos concurrents. Mais, en Europe, les procédures d’homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Le marché ultramarin est trop étroit pour amortir le coût des formalités administratives.
Quand les produits sont autorisés, c’est leur mode ou leur fréquence d’utilisation qui fait l’objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l’Équateur, pays déjà mentionné, qui est le premier exportateur de bananes, traite ses cultures quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Pendant ce temps, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.
Nous ne demandons évidemment pas à abuser des produits phytopharmaceutiques. Nous voulons simplement être traités de manière équitable face aux concurrents qui, comme nos régions ultrapériphériques, ont droit d’accès sur le marché européen.
Voilà pour vous donner un aperçu de la situation inextricable que nous connaissons face à une concurrence sans merci !
Pour réduire ces handicaps, la délégation à l’outre-mer a énoncé vingt recommandations. C’est le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution. J’en résume ici les trois axes.
Premièrement, adapter les normes, ainsi que les processus d’homologation pour garantir la sécurité des récoltes. Sortons du labyrinthe des procédures en dressant une liste positive de pays dont les procédures d’homologation sont équivalentes à celles de l’Union européenne.
Deuxièmement, mieux contrôler les échanges pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs.
Troisièmement, promouvoir une stratégie de labellisation des produits ultramarins pour orienter les productions vers le haut de gamme et les marchés de niche.
L’autre grand volet de la proposition de résolution porte sur les accords commerciaux et concerne plus particulièrement le secteur de la banane.
Je rappelle que, conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l’Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l’Union européenne seront passés de 176 euros à 75 euros par tonne entre 2009 et 2020. Les volumes importés ont bondi, et la perte de parts de marché qui en résulte pour nos producteurs concernés met en péril l’avenir de la filière.
Sur le papier, des mécanismes de protection sont prévus en cas d’augmentation excessive des importations de bananes depuis les pays partenaires. Dans la pratique, jamais depuis 2013 la Commission européenne ne les a activés, alors que l’évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.
En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère un déclenchement quasi automatique dès que les seuils de déclenchement prévus sont atteints. Elle demande également la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de 2020. Il faut aussi disposer de mesures fiables des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des outre-mer. La résolution appelle enfin, comme nous l’avons déjà demandé à plusieurs reprises, à la réalisation systématique d’études d’impact préalables sur les outre-mer des accords commerciaux passés par l’Union européenne.
Tous ces éléments démontrent le caractère crucial des enjeux pour nos outre-mer et l’importance des initiatives prises par le Sénat en la matière. Aussi notre commission des affaires économiques vous invite-t-elle à approuver la présente proposition de résolution, qui repose sur un objectif de rationalisation des politiques européennes actuellement contradictoires, sur le principe d’une plus grande loyauté de la concurrence internationale et sur une stratégie de montée en gamme des produits agricoles ultramarins. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Gisèle Jourda, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos agricultures d’outre-mer sont prises en étau : d’un côté, l’ouverture croissante des marchés européens aux productions des pays tiers ; de l’autre, l’inadaptation du cadre réglementaire sanitaire et phytosanitaire aux besoins des producteurs locaux.
Je commencerai par le cadre réglementaire.
L’agriculture de nos RUP est fortement pénalisée par rapport à la concurrence des pays tiers pour l’accès et l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce cadre réglementaire apparaît en effet à la fois rigide et inadapté. Les normes nationales et européennes sont conçues pour une application uniforme sur la base des seuls besoins du climat européen tempéré. L’Agence européenne de sécurité des aliments reconnaît d’ailleurs elle-même que les spécificités des régions ultrapériphériques ne sont pas prises en compte dans ses travaux.
Les entreprises agrochimiques sont également peu incitées à développer une offre spécifique de produits phytosanitaires pour des marchés de faible taille. Ainsi, seulement 29 % des besoins phytosanitaires sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole. Les agriculteurs des régions ultrapériphériques sont souvent démunis face aux ravageurs et aux dévastateurs tropicaux, comme la fourmi manioc, que nos deux collègues ont déjà évoquée. A contrario, leurs concurrents des pays tiers peuvent avoir recours à une palette de produits beaucoup plus large dès lors qu’ils respectent les limites maximales de résidus de pesticides.
Vous le voyez, la compétition est donc déloyale. Cela menace nos trois grandes filières exportatrices : la banane, le sucre et le rhum.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui, fruit d’un travail approfondi de notre délégation à l’outre-mer, sollicite tant notre gouvernement que la Commission européenne pour agir dans deux directions prioritaires.
En premier lieu, il faut prévoir un volet spécifique en milieu tropical – c’est vital ! –, afin d’assouplir le recours aux semences conventionnelles, à la culture sur claies et au traitement par des produits d’origine naturelle.
En second lieu, il s’agit d’obtenir une dispense d’homologation pour tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs.
L’ouverture du marché européen à certains produits de pays tiers dont nos outre-mer sont de grands producteurs est un autre point sensible.
Ainsi, l’impact sur la filière de la banane des accords de libre-échange conclus en 2012 par l’Union européenne avec l’Amérique centrale et les pays andins est source d’inquiétudes. Ces accords prévoient une réduction substantielle des droits de douane à l’importation des bananes dans l’Union européenne. Depuis la mise en œuvre des accords avec ces pays, leurs exportations de ce produit vers l’Union européenne ont fortement augmenté et augmenteront encore avec l’arrivée de l’Équateur.
Certes, des dispositifs de protection sont prévus : une clause de sauvegarde bilatérale et un mécanisme de stabilisation. Mais, et c’est dramatique, la Commission européenne n’a jamais estimé opportun de recourir à ces outils, alors même que l’évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.
La proposition de résolution européenne suggère opportunément quatre principales pistes d’action : l’activation sans délai de ces mécanismes par la Commission, donc la suspension des droits préférentiels dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints ; la prorogation de ces mécanismes au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019 ; la création d’observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des régions ultrapériphériques ; la réalisation systématique par la Commission européenne d’études d’impact préalables des accords commerciaux sur les régions ultrapériphériques.
Mes chers collègues, la proposition de résolution européenne préconise des solutions de nature à rétablir un juste équilibre entre producteurs concurrents et une protection justifiée pour nos producteurs ultramarins. Votre commission des affaires européennes vous invite à l’adopter. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette intervention devant vous me permet de rappeler quelques vérités, quelques fondamentaux, d’exprimer les convictions qui m’animent et d’exposer les combats du gouvernement auquel j’appartiens.
J’ai eu l’occasion de développer ces éléments de contexte à Madère devant les présidents des neuf régions ultrapériphériques – les RUP – européennes quelques jours après ma prise de fonctions rue Oudinot. Il est important de les retracer aujourd'hui.
À l’instar des départements et collectivités d’outre-mer en France, les RUP souffrent, au sein d’une certaine Europe, d’un regard distinct, souvent paternaliste, parfois méprisant, toujours mal informé.
Force est de constater – hélas ! – que l’écart de richesse et de développement entre les RUP et l’Europe continentale ne s’est pas suffisamment résorbé. Il a même tendance à s’accroître de nouveau depuis les années 2008 et 2009.
Selon les dernières données d’Eurostat du mois de février dernier présentant les PIB régionaux pour l’année 2014, depuis la crise, le rattrapage de la moyenne communautaire en termes de PIB par habitant s’est interrompu en général dans les RUP. Il est donc inexact de prétendre que les RUP seraient des territoires « privilégiés », comme je l’ai entendu ici ou là.
Le niveau de vie moyen dans les DOM représente 66 % de la moyenne au sein de l’Union européenne, soit un taux inférieur à celui de la Hongrie et de la Pologne qui est de 68 %.
Le niveau de vie de La Réunion, quant à lui, est inférieur à celui de la Lituanie : 70 % de la moyenne européenne contre 75 %.
La deuxième région la plus pauvre d'Europe, c’est Mayotte, dont le niveau de vie est égal à 31 % de la moyenne de l’Union européenne.
Contrairement à certaines idées reçues, les RUP restent donc empreintes de précarité et de pauvreté, d'autant plus que les contraintes structurelles – éloignement, insularité – demeurent. Il est par conséquent plus que jamais nécessaire de maintenir un niveau optimal de dépenses publiques en faveur de ces territoires : la puissance publique doit continuer à investir pour l'avenir des outre-mer et leur cohésion sociale.
Nous demandons donc la solidarité européenne, ni plus ni moins. Cette solidarité ne saurait être assimilée à de l'assistanat. Au contraire, elle doit nous permettre de prendre nos destins en main en valorisant nos atouts. Dans cette optique, les RUP doivent être mieux connues et reconnues.
Car l'économie des RUP est avant tout structurée par leur appartenance à l’Union européenne, sous réserve des adaptations et dérogations permises par les traités à l'attention desdites collectivités, en vertu de l'article 349 du traité de Lisbonne.
Cet article, emblématique pour nous, a été fort opportunément consolidé le 15 décembre dernier par un important arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, qui réaffirme clairement la possibilité d'adaptations du droit de l'Union européenne en faveur des RUP dès lors qu'il s'agit de dispositions ou politiques spécifiques.
En effet, la Commission doit mieux prendre en compte les RUP dans ses politiques publiques. Tel est le sens que je retiens de son document du mois de juin 2012 et, surtout, de la lettre de Jean-Claude Juncker au Président de la République, le 2 septembre 2015.
La Commission, à cet égard, ne manque pas une occasion de déclarer que les RUP font l'objet de toutes ses attentions. Nous devons collectivement veiller à ce que, sur le terrain, ces paroles soient bien suivies d'effets.
Tout se passe effectivement comme si, après l'impulsion politique, le temps passant, la permanence des handicaps et la spécificité de la situation des RUP étaient oubliées, voire occultées. Or ces territoires possèdent des atouts formidables, qui ne demandent qu'à être exploités grâce à des aides et des politiques appropriées. Encore faut-il leur en donner les moyens et laisser les RUP se développer sans entraves ! Car il existe, s'agissant des outre-mer, une suspicion permanente et tatillonne, particulièrement stigmatisante, qui limite leur développement.
Deux points, à cet égard, m'interpellent tout particulièrement.
Je voudrais d’abord évoquer, en quelques mots, le dossier du règlement général d’exemption par catégorie, le RGEC.
Pour qu'il reste adapté aux caractéristiques des RUP, le présent texte ne doit pas devenir un instrument de plafonnement des aides au fonctionnement dans nos régions. Il doit au contraire demeurer un mécanisme de soutien pour nos économies. L'image de l'Union européenne en dépend. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé – et obtenu – certaines adaptations dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler les « lettres de confort ».
Preuve du pragmatisme de la Commission, l'existence de ces lettres de confort démontre également, mesdames, messieurs les sénateurs, la nécessité absolue d'une adaptation réelle et profonde du droit communautaire aux réalités économiques ultramarines. Sinon, le système ne fonctionne tout simplement pas.
Certes, depuis près de deux ans, le dossier avance. À l'issue d'intenses débats techniques et après l'intervention personnelle du Président de la République au mois de septembre dernier, le gouvernement français a obtenu l'enclenchement d'une révision rétroactive du RGEC pour les RUP.
Un texte rénové devrait être publié d'ici à mars 2017 et le prochain forum des RUP. Nous travaillons avec pugnacité pour aboutir d'ici là. Nous œuvrons, avec le soutien des socio-professionnels des DOM, la Fédération des entreprises des départements d’outre-mer, la FEDOM, et l’association EURODOM, pour que des solutions pragmatiques soient trouvées dans le cadre des traités actuels.
Concrètement, nous souhaitons d’abord que l'octroi de mer soit sorti du périmètre de calcul des taux maximaux d'aides ; ensuite, que la notion de surcoûts soit mieux reconnue ; enfin, que le mode de contrôle des aides par entreprise soit neutralisé.
Nous avons bon espoir de trouver une issue favorable dans les semaines à venir. Je m'en entretiendrai lundi prochain avec la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager.
Deuxième point que je veux évoquer devant vous : la prise en compte des RUP dans la négociation des accords commerciaux de libre-échange.
Pour nous, c'est clair : il faut défendre les intérêts des Européens, et non pas une idéologie, fût-elle prétendument vertueuse, car favorable au libre-échange. Il nous appartient d'être vigilants dans la défense des intérêts des RUP, car, il faut bien le reconnaître, il peut être tentant, dans les grandes tractations internationales, de sacrifier nos économies insulaires et les acteurs locaux, qui pèsent si peu en comparaison des grandes entreprises implantées au cœur du continent.
Oui, ces régions fragiles subissent la concurrence d'États tiers non soumis aux mêmes réglementations sociales, fiscales ou environnementales. On le constate lors des négociations agricoles, les concurrents des pays tiers étant singulièrement avantagés par un moindre niveau d'exigences environnementales.
Les socio-professionnels comprennent donc d'autant moins que les intérêts des RUP soient délibérément oubliés, voire sacrifiés, au nom d'un libre-échange de plus en plus perçu, par nos compatriotes, comme dogmatique. Nous l’avons vu récemment avec l'affaire de l'accord avec le Vietnam qui imposait initialement aux RUP les conséquences d'une politique commerciale communautaire trop souvent synonyme de concessions unilatérales.
Il faut le rappeler d'emblée, les acteurs économiques ultramarins ont la volonté de se conformer aux règles communautaires. Mais celles-ci ne sauraient relever du dogme. Elles doivent prendre en compte les réalités locales, notamment sociales, démographiques et – c'est l'occasion d'en parler plus en détail ce soir – agricoles.
La proposition de résolution qu’il est proposé à la Haute Assemblée d’adopter vise à provoquer une prise de conscience, aux échelons national et européen, des périls qui menacent l'agriculture des régions ultrapériphériques.
L'enjeu économique et social est de première importance pour les outre-mer, qui, tout le monde le sait, connaissent un niveau de chômage et de pauvreté dramatiquement élevé, qu'aucun département de l'Hexagone ne supporterait. Je l'ai rappelé à l'Assemblée nationale le mois dernier, et j’aurai l’occasion de le souligner devant vous en janvier prochain, lorsque je présenterai le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer.
L’agriculture représente ainsi, dans les cinq DOM, une valeur ajoutée évaluée à 844 millions d'euros en 2013, soit environ 2,4 % de la valeur ajoutée totale, contre 1,7 % dans l'Hexagone. Cette proportion atteint même 3,1 % en Martinique, soit presque deux fois plus qu'en métropole.
La filière canne-rhum représente près de 40 000 emplois dans les DOM, dont 22 000 directs. La filière banane joue également un rôle économique fondamental – 37 000 emplois en dépendent, directement ou indirectement – et garantit la viabilité de la desserte maritime.
Les trois grandes filières exportatrices – celles de la banane, de la canne à sucre et du rhum – ont réalisé d'importants efforts en matière de qualité et de respect des normes environnementales, dans l'objectif d'assurer une montée en gamme, devant être reconnue à sa juste valeur par les consommateurs européens.
Parallèlement, l'Union européenne a très opportunément financé la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement sur les sucres haut de gamme. Il faut en effet reconnaître l'indéniable engagement consenti par l'Union européenne au profit des RUP. Sur la période 2014-2020, sont ainsi prévus 859 millions d'euros au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural, ou FEADER, soit 7,5 % du total dévolu à la France entière, alors que les RUP représentent 3,2 % de la population nationale.
C'est un effort important, alors que l’argent public est rare. J'en profite pour rappeler que ces fonds doivent être programmés, engagés et consommés le plus rapidement possible ; c'est pour moi une impérieuse priorité.
Il serait donc absurde, voire criminel, de compromettre tous ces efforts de long terme par rigidité normative ou par l’ouverture brutale du marché européen à des pays où le coût de la main-d'œuvre est entre quinze et vingt fois moins élevé que dans nos outre-mer.
Avant d’entrer plus en détail dans les sujets soulevés et d’évoquer les propositions que vous formulez dans le présent texte, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite également vous faire part du fait que les autorités françaises préparent un document officiel, qui sera transmis à l’échelon européen pour contribuer à l'élaboration d'une nouvelle communication de la Commission européenne relative aux RUP, courant 2017.
Cette contribution officielle de la France comprend un volet relatif à l'agriculture et à la forêt, sur lequel je travaille avec le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Vos travaux permettront, sans aucun doute, d'enrichir ce document.
J’en viens au volet de la proposition de résolution consacré aux normes agricoles.
Le constat de la délégation sénatoriale à l’outre-mer est très clair, et je le partage : les normes nationales et européennes sont imbriquées et conçues pour une application uniforme, sur la base d'un climat tempéré. L'agriculture des régions ultramarines se situe donc dans ce que vous avez très justement appelé un « angle mort réglementaire ».
Dans ces conditions, il n'est guère surprenant de constater l'indisponibilité de nombreux usages phytosanitaires. On estime aujourd'hui que seulement 29 % des besoins phytosanitaires sont couverts en moyenne pour toutes les cultures d'outre-mer, contre 80 % en métropole.
Les cultures secondaires sont les plus pénalisées. Celle des ananas, en particulier, a accusé au cours des dernières années une chute de production très importante, car un seul produit phytosanitaire est autorisé pour la protéger.
Des dérogations sont possibles, mais dans un cadre très limité. C’est d'autant plus vrai que, la délégation l’a souligné, les interprétations françaises des normes européennes peuvent être maximalistes, si on les compare aux pratiques au sein des autres États membres de l'Union européenne.
Mme Vivette Lopez. C’est bien de le reconnaître !
Mme Ericka Bareigts, ministre. Sur ce point comme sur d'autres, si la vigilance et le principe de précaution s'imposent, il faut sortir du complexe du bon élève. Il s'agit donc d'inviter la Commission européenne à acclimater les normes européennes agricoles au milieu tropical.
Le ministère de l'agriculture prend de plus en plus largement en compte les régions ultrapériphériques. J’en profite d’ailleurs pour saluer l'action de Stéphane Le Foll.
Ainsi, le ministère peut délivrer des autorisations de mise sur le marché en urgence, en cas de crise phytosanitaire. Ses services suivent attentivement les besoins des filières agricoles ultramarines, notamment ceux des grandes cultures exportatrices.
À cela s'ajoutent les activités des instituts de recherche nationaux : l'Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, l’IRSTEA. Ces trois organismes publics dépensent en moyenne 60 millions d’euros par an dans les outre-mer.
Le travail de ces différentes institutions témoigne donc d'une volonté de remédier aux contraintes normatives pesant sur les agriculteurs ultramarins. Pour moi, il est important que cet effort public soit maintenu, voire amplifié, durant les prochaines années.
Parallèlement, je souhaite saluer les efforts entrepris et les importants progrès enregistrés en matière environnementale, au regard de la qualité des produits, par les producteurs agricoles ultramarins.
J'en veux pour preuve, à la suite à la mise en œuvre des plans successifs « Banane durable », la production de la banane française dans les Antilles, qui a considérablement diminué son recours aux produits phytosanitaires : moins 85 % en dix ans, avec un usage dix fois moins important que dans certains pays voisins.
Pour les espèces cultivées en outre-mer et soumises à la réglementation européenne, la demande de dérogation à cette réglementation que vous formulez ne nous paraît pas forcément constituer la priorité pour parvenir à la diffusion de variétés résistantes aux ravageurs. L'enjeu est avant tout de résoudre la difficulté à identifier les variétés résistantes et leurs mécanismes de résistance, ainsi que de créer des variétés intégrant ces résistances. Il s'agit donc plutôt d'une problématique de recherche.
À cet égard, il conviendrait de demander à la Commission européenne un soutien adapté en faveur des organismes de recherche que j’ai mentionnés tout à l'heure, et de pouvoir développer davantage de démarches partenariales.
Dans le même objectif, je vous annonce ce soir que le ministère de l'agriculture va très prochainement publier une nouvelle version du plan « Semences et plants pour une agriculture durable ». L’une des actions de ce plan porte spécifiquement sur les territoires ultramarins : elle prévoit de définir des objectifs de sélection des variétés pour les principales espèces tropicales cultivées dans les outre-mer.
J'en arrive au développement de l'agriculture biologique dans les outre-mer. Vous avez souhaité donner une place centrale, dans votre proposition de résolution, à la question de l'équivalence des normes biologiques entre les RUP soumises à la réglementation européenne et les pays tiers qui exportent vers les RUP, les normes applicables entraînant une concurrence sur les mêmes produits agricoles tropicaux.
Il ne sera pas possible d'évoquer ce soir tous les aspects de ces problèmes, très techniques. J'aborderai seulement un point clé.
Afin de clarifier davantage encore les règles qui s'appliquent dans les pays tiers, dans le nouveau projet de règlement bio en cours de révision, la Commission européenne a proposé, ce que la France soutient fortement, de remplacer le régime d'équivalence délivrée aux organismes certificateurs par un régime de conformité. Cela constituera un gage de confiance pour le consommateur et garantira des conditions de concurrence équitables pour les producteurs européens. Le Conseil et le Parlement européen appuient cette proposition. Vous le constatez, nous avançons dans la bonne direction.
Sur l'ensemble de ce dossier, l'approche défendue par les autorités françaises est de réussir à maintenir un standard européen exigeant. C’est tout aussi essentiel en métropole que dans les RUP, au regard de l'importance de ce marché pour l'Europe dans son ensemble, à l’échelle mondiale.
Ce qu'il faut que l'on parvienne à faire, c'est imposer nos critères aux autres pays, sur les produits tropicaux comme sur les autres. Pour cela, l'un des leviers à activer plus fermement, au-delà du renforcement de la réglementation européenne et de l'assurance de la bonne tenue des contrôles douaniers, c’est la recherche permanente d'une meilleure valorisation des productions tropicales françaises.
La qualité de nos productions, au plan environnemental, sanitaire et social, par rapport notamment à celle de certains de nos voisins, doit nous rendre fiers. Des instruments existent dans la réglementation européenne, comme le logo RUP, pour mettre en avant la qualité des produits européens. Il convient de renforcer de tels mécanismes.
De la même manière, pour ce qui est de la consommation locale, le renforcement de l'usage de la mention valorisante « produit pays » s’impose. Une véritable politique alimentaire en faveur de la qualité et des produits locaux doit être conduite, en particulier à destination des jeunes générations et de la restauration collective. Il faut diffuser, défendre et valoriser nos saveurs d'outre-mer.
J’en viens à la question des accords commerciaux.
En matière de commerce, la situation, vous l’avez souligné et je l’ai moi-même rappelé dans mes propos introductifs, est préoccupante et déséquilibrée.
Ainsi, en 2015, les bananes de Guadeloupe et de Martinique ne représentaient que 4,5 % de l'approvisionnement de l'Union européenne. Pour ce qui concerne le sucre, en 2014, la part de marché des DOM français s'élevait à 2,5 %. Celle-ci, s’agissant du rhum, atteignait certes 24 % du marché européen, mais elle était en diminution de moitié par rapport au niveau de 1986, année où elle s’établissait à 51 %.
Or, nous le savons, les régions ultrapériphériques ne sauraient concurrencer les pays tiers sur le terrain des coûts salariaux et de la protection sociale. Personne de sensé, heureusement, n'envisage un nivellement par le bas ; ce serait absurde et mortifère.
Le maintien et le développement des parts de marché des producteurs ultramarins reposent donc exclusivement sur une stratégie de montée en gamme.
Juridiquement, des mécanismes de protection sont prévus sous deux formes : la clause de sauvegarde spécifique et le mécanisme de stabilisation. Mais vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, jamais, depuis 2013, la Commission européenne n'a activé ces dispositifs.
Je tiens à souligner devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que la position de la France est constante : la politique commerciale européenne doit répondre, Mme la rapporteur l’a rappelé, aux exigences d'ambition, d'équilibre et de bénéfice mutuel.
Le Gouvernement, par la voix de Matthias Fekl, porte ce message depuis 2015 et l’a encore fait récemment, s'agissant du projet de traité transatlantique.
Le Premier ministre, Manuel Valls, l’a également souligné avec force, il faut que l'Europe, en matière de négociations commerciales, sorte de l'innocence. Nos intérêts économiques et nos emplois doivent prévaloir sur les théories, les postures et les dogmes.
Le Gouvernement a pleine conscience des enjeux pour les régions, notamment pour les RUP et leurs filières. Il est attentif, à l’échelon européen, à la prise en compte des territoires ultramarins dans les négociations.
Vous avez eu notamment l'occasion de débattre de la place des sucres spéciaux dans l'accord entre l'Union européenne et le Vietnam conclu en 2015. L'accord commercial a fait l’objet d’évolutions pour être pleinement satisfaisant.
C'est pourquoi la France insiste pour que les études d'impact que présente la Commission soient désormais aussi solides et rigoureuses que possible avant tout accord, et prennent dûment en compte les sensibilités agricoles des États membres de l'Union européenne, ce qu'elle s'est engagée à faire.
La France est ainsi active à l’échelon européen pour que des solutions concrètes soient trouvées afin d’améliorer le suivi du marché de la banane et de rendre les dispositions de sauvegarde plus opérationnelles.
S'agissant du mécanisme de stabilisation et de la clause de sauvegarde, les dispositions permettant leur déclenchement sont trop contraignantes et les délais incompressibles d'analyse du marché limitent l'efficacité des dispositifs et la capacité de la partie européenne à réagir rapidement.
Quant aux bases de données permettant le suivi du marché de la banane, les autorités françaises souhaitent, sur ce point aussi, proposer des évolutions. L'amélioration de l'outil statistique outre-mer est d'ailleurs l’un des objectifs importants contenus dans les dispositions du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer.
Il est également nécessaire de ne pas s'arrêter à de simples études de prix ou de marché. Ce qui fait la stabilité du marché européen, c'est aussi et surtout la situation économique et sociale réelle de ses producteurs. Celle-ci doit être évaluée dans chaque région et dans les territoires ultramarins évidemment, par le biais d’une étude sur l'évolution de l'emploi et de la prise en compte des différences en termes de structures, de capacités de production et d'exportation.
Enfin, je veux conclure mon propos en vous remerciant, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de votre engagement au service des outre-mer et de vos travaux. Ils nous permettent d'enrichir tant notre réflexion que notre action et de mener des politiques publiques toujours plus pertinentes pour les outre-mer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, ce gouvernement est déterminé à défendre les intérêts des RUP au sein de l'Union européenne.
Les spécificités des outre-mer doivent être pleinement prises en compte afin de soutenir l'activité économique et l'emploi – surtout l’emploi – au sein de ces territoires.
Nos régions sont riches de leur agriculture, de la qualité de leur production et de leur savoir-faire : nous pouvons en être fiers.
Les outre-mer disposent de formidables atouts. Donnons-leur toutes les chances d'en tirer pleinement avantage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd'hui permet de rappeler clairement que le secteur agricole constitue un pilier essentiel de l'économie des outre-mer et un levier clé du développement économique de ceux-ci.
Ces territoires combinent un fort potentiel naturel et de grandes fragilités structurelles. L'essor de leur agriculture est bridé par des contraintes de tous ordres : éloignement et insularité qui renchérissent les intrants, étroitesse des marchés intérieurs, virulence et récurrence des aléas climatiques. En particulier, le fait de devoir faire appel à l'expertise de l'Hexagone pour procéder aux analyses et aux diagnostics phytosanitaires et vétérinaires peut poser des problèmes de délais et de coûts.
Au-delà de ces difficultés structurelles, il est important de souligner à quel point les régions ultrapériphériques, aussi éloignées soient-elles du continent européen, font partie intégrante de l'Union européenne et contribuent au dynamisme, à la prospérité et au rayonnement de cette dernière sur l’ensemble du globe. Néanmoins, il faut sans cesse le rappeler aux institutions européennes, qui ont tendance à uniformiser les normes pour l'ensemble de l'Union européenne et à les résumer aux contraintes continentales, sans prendre en compte les spécificités des RUP.
Il convient de mentionner que les régions ultrapériphériques représentent pour l'Europe un véritable gisement. Avec leurs 4,3 millions d'habitants, elles occupent une immense partie du territoire maritime européen, qu’elles hissent au premier rang mondial. À cela s'ajoutent 80 % de la biodiversité européenne, une économie non délocalisable, avec des produits agricoles uniques, des destinations touristiques paradisiaques et des sites industriels de pointe, comme ceux qui concernent l'aérospatial.
Pour autant, il ne faut pas oublier que les RUP doivent faire face à des contraintes liées à leur localisation, leur géographie, leur éloignement. Nous devons en tenir compte.
Nous en sommes tous conscients dans cet hémicycle, et ce depuis longtemps. Grâce à vous tous, mes chers collègues, notre nation mène une politique spécifique envers ses outre-mer. Mais il est fondamental que l'Union européenne en ait également pleinement conscience.
Juridiquement, la prise en compte de cette spécificité existe bien, grâce à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Mais dans les faits, on ne peut que regretter sa faible invocation.
Or les territoires ultramarins doivent surmonter des difficultés intrinsèques, notamment en matière de développement économique. Ainsi, la politique européenne doit permettre de réduire les écarts avec les territoires continentaux. On peut citer, par exemple, les problèmes liés au coût des transports, des personnes et des marchandises qui renchérissent grandement le coût de la vie et diminuent la compétitivité de ces territoires.
Il est donc impératif que les institutions européennes adaptent les règlements européens aux régions ultrapériphériques. Inversement, contraindre celles-ci à adopter des règlements européens inappropriés à leur situation accroît leurs difficultés.
Nous devons par conséquent continuer à défendre des programmes spécifiques, sectoriels en faveur de certaines filières, comme celles des technologies de l'information et de la communication, des transports ou des énergies renouvelables. Nous voulons que ces régions soient des territoires d'avenir, avec des projets pilotes et expérimentaux.
Les institutions européennes ont l'obligation de prendre en compte les spécificités des RUP.
L'Union européenne veut créer un partenariat clair avec les RUP qui s'articule autour de cinq grands piliers : améliorer l'accessibilité, accroître la compétitivité, renforcer l'intégration régionale, soutenir la dimension sociale du développement et s’adapter au changement climatique, qui affecte tout particulièrement ces territoires.
Avec cette proposition de résolution européenne, le Sénat estime nécessaire de garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l'Union européenne, et invite la Commission européenne à adapter les normes européennes réglementant l'agriculture et l'élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des productions en milieu tropical.
En guise d’illustration, j'aimerais apporter un témoignage sur la situation en Guyane, où j'ai eu la chance de me rendre en mission, situation qui illustre parfaitement les difficultés ressenties par les agriculteurs exploitants et les éleveurs.
Pour développer l'agriculture et l'élevage, des terres actuellement couvertes de forêts doivent d’abord être déforestées. Cette première étape est déjà complexe à cause de la géographie et du relief accidenté. Ensuite, les exploitants doivent ensemencer la terre en herbe. Pour cela, ils doivent utiliser des semences uniquement produites au Brésil et capables de s'adapter à la terre et à l'humidité.
Néanmoins, les exigences européennes imposent des contraintes communautaires sur ces semences, que les agriculteurs guyanais, en conséquence, ne peuvent pas acheter directement au Brésil. Les semences doivent être transportées en Europe avant de repartir vers la Guyane… Notez la logique ! D’autant que, au terme de ce transport, le coût des produits phytosanitaires peut être quatre fois plus élevé qu’au Brésil ou au Surinam voisin. On voit bien les travers qui se produisent en termes de compétitivité…
Je ferai maintenant une remarque rapide concernant les questions sanitaires. Lorsqu’un animal est malade en Guyane, certains prélèvements sanguins ne peuvent être analysés que dans des pays fort éloignés. Le temps d’acheminer les prélèvements et d’en obtenir les résultats, un élevage complet peut être perdu.
Au final, ces exemples, loin d’être anecdotiques, reflètent la complexité, mais surtout l’incohérence de certaines décisions communautaires applicables dans les RUP. Cette situation a des effets directs sur le développement économique de ces dernières.
Les politiques européennes doivent non seulement prendre en compte les contraintes effectives et la diversité des régions, mais aussi assurer une meilleure cohérence dans leur mise en œuvre.
C’est un sujet malheureusement récurrent, puisque, en 2011, en 2012 et en 2014, nous avons déjà adopté des résolutions allant dans le même sens. J’avais d’ailleurs eu le plaisir, au nom de la délégation à l’outre-mer, d’être le rapporteur de deux d’entre elles qui relevaient l’incohérence de la politique commerciale.
Le positionnement du Sénat doit permettre au Gouvernement de défendre des problématiques françaises. Pour cela, la présente proposition de résolution européenne est très claire dans les objectifs poursuivis : acclimater les normes européennes agricoles aux RUP ; autoriser pour les RUP la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux – nous notons et approuvons votre souhait, madame la ministre, d’encourager davantage la recherche et d’inventer une solution par ce moyen ; autoriser la certification de l’agriculture biologique par un système participatif de garantie, ou SPG ; inciter la Commission européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane.
La délégation sénatoriale à l’outre-mer a souhaité traduire les recommandations de son rapport d’information sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l’agriculture dans les outre-mer dans cette proposition de résolution européenne.
Avant de conclure, je souhaite remercier les auteurs et les rapporteurs de ce texte. Notre assemblée doit être celle de tous les territoires français. Notre rôle est donc de comprendre les spécificités de ceux-ci et d’adopter les mesures au plus près de leur réalité.
Le groupe UDI-UC votera par conséquent sans réserve en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord vous dire mon plaisir de participer à ce débat en tant que représentant du groupe écologiste, mais aussi en tant que Breton. Nous sommes au moins deux dans cet hémicycle !
M. Joël Guerriau. Trois !
M. Joël Labbé. Vous êtes, vous, mon cher collègue, à la périphérie de la Bretagne… (Sourires.)
Cela étant, je ne sais qui a trouvé cette dénomination « région ultrapériphérique », « RUP »… Je vous ai écoutée avec attention, madame la ministre : vous avez parlé à plusieurs reprises de « l’outre-mer » ; cette expression est bien plus jolie ! Réfléchissons-y ensemble, car comment qualifiera-t-on demain les populations de ces territoires ? Nous devons y prendre garde.
Quoi qu’il en soit, nous examinons une fois de plus un texte visant à alléger les normes agricoles.
Qu’il faille par certains aspects aménager les normes européennes aux spécificités tropicales des régions éloignées, cela semble être de bon sens.
On peut même voir une ouverture intéressante dans le fait d’utiliser des semences non inscrites au catalogue officiel, ce qui permettrait de mettre en culture des semences plus adaptées aux terroirs et aux climats spécifiques de ces régions, ainsi que des semences anciennes dont, malheureusement, le patrimoine est trop peu exploité.
Vous avez évoqué la recherche, madame la ministre ; dans ce domaine, il y a des travaux de recherche fondamentale à mener !
Toutefois, il ne faudrait pas que cela rende possible la mise en culture de variétés issues des nouvelles techniques d’édition du génome, en dehors de tout contrôle, les risques étant encore mal évalués et la dangerosité de ces produits étant équivalente, voire supérieure, à celle des OGM.
Concernant l’allégement du cahier des charges de l’agriculture bio, nous ne pouvons pas cautionner certains éléments de ce texte. En effet, comme l’a rappelé récemment M. le ministre de l’agriculture lors de son audition au Sénat, le lien au sol est essentiel dans notre agriculture. Nous ne pouvons donc avaliser une agriculture qui renierait ce lien, et ce d’autant moins pour l’agriculture bio.
Qu’il faille soutenir le développement des filières bio, y compris dans les outre-mer, c’est une évidence. Elles connaissent d’ailleurs, comme partout dans nos territoires, une forte progression depuis quelques années.
Les gros producteurs en monoculture font pression pour alléger le cahier des charges de l’agriculture bio, mais cela conduirait à une dévalorisation généralisée de la filière et des labels bio français et européens. Il faut, au contraire, soutenir les véritables démarches de transition, qui mêlent la polyculture élevage, les productions biologiques maraîchères et vivrières, ainsi que l’arboriculture.
Le texte que nous examinons contient de très bonnes mesures. Il est ainsi demandé à la Commission européenne de supprimer les tolérances à l’importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l’Union européenne. Il est recommandé, par ailleurs, à la Commission « d’établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l’eau » ; ce dernier point laisse songeur lorsque l’on connaît l’ampleur de la pollution au chlordécone aux Antilles.
On ne peut décemment interdire les importations sous prétexte de pollution diffuse et permettre à nos exploitations durablement polluées d’être certifiées bio !
La proposition de résolution évoque également les homologations de produits phytosanitaires. Il y a là, madame la ministre, un enjeu important.
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt avait enregistré dans son article 50 un principe d’homologation simplifié pour les produits dits « de biocontrôle ».
À ce jour, la situation est au point mort. J’ai rencontré personnellement trois responsables de PME industrielles du secteur dont l’activité et les perspectives de croissance et d’emploi, sans compter la dynamique à l’international, sont bloquées, car le décret en Conseil d’État qui devait intervenir n’est toujours pas paru – ou, plus exactement, les décrets parus se révèlent inopérants.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ne connaît pas de procédure simplifiée, c’est regrettable. Elle ne s’avoue pas davantage en mesure d’élargir la liste des préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP. À peine une centaine d’entre elles a été autorisée par décret sur une liste de près de 700 substances naturelles que nous avons soumise à l’Agence. Or leur usage permettrait de réduire drastiquement les problématiques rencontrées, y compris dans nos régions ultrapériphériques, sans avoir recours à des produits phytopharmaceutiques dont la dangerosité pour les populations et l’environnement est avérée.
Mes chers collègues, ne faisons pas l’erreur de croire que c’est en abaissant les exigences de qualité du label bio ou en autorisant des produits chimiques interdits par ailleurs que nous allons aider l’agriculture de nos régions tropicales. Nous le ferons, au contraire, en libérant les solutions innovantes et propres qui sont déjà à notre portée et qui n’attendent que leur autorisation par l’ANSES. Là encore, madame la ministre, des travaux de recherche spécifiques aux territoires d’outre-mer doivent être menés. Il convient également d’accompagner tous les agriculteurs qui le souhaitent vers une véritable transition agricole. Ne nous trompons pas de combat !
Pour marquer l’ensemble de ces réserves, le groupe écologiste a le grand regret de s’abstenir sur ce texte.
M. Éric Doligé, auteur de la proposition de résolution européenne. Déception !
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Je tiens d’abord à remercier la délégation à l’outre-mer, à l’origine de cette proposition de résolution, qui fait suite à son rapport du mois de juillet 2016. Ce texte constitue une nette avancée dans le domaine de la production agricole des régions d’outre-mer. Mais tout n’est pas réglé, loin de là.
En effet, comme l’a très souvent souligné Paul Vergès, la question principale pour les productions agricoles d’outre-mer, mais aussi pour les autres productions industrielles, reste la mise en place des accords de partenariat économique, les APE, qui remplacent les accords de Lomé et de Cotonou. Il s’agit de créer des zones de libre-échange entre les anciens pays colonisés d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et les pays européens qui les ont colonisés.
À ce titre, ces accords sont une menace considérable pour les productions ultramarines. En effet, à ce jour, personne n’est capable de définir clairement ce qu’ils contiennent.
En outre, les outre-mer n’ont jamais été entendus. C’est la France qui a défendu, ou tenté de défendre, les intérêts ultramarins. Cette stratégie de défense, s’il s’agit bien de cela, ne repose sur aucune analyse chiffrée. Ainsi, il n’y a jamais eu, préalablement à la ratification de ces textes, une quelconque étude d’impact sur les conséquences pour les économies ultramarines des accords envisagés.
Comme le TAFTA, ou Transatlantic Free Trade Agreement, et les autres documents de libéralisation des échanges, les APE sont victimes d’une opacité totale. Comment peut-on se satisfaire de réponses à l’emporte-pièce, telles que celles du Gouvernement ?
Je citerai un exemple. À Paul Vergès, qui voulait savoir quelles productions agricoles pourraient être importées sur le sol réunionnais au titre des APE, le ministère des affaires européennes a répondu, en des termes surréalistes : « Certaines lignes tarifaires correspondant à des produits sensibles ne seront pas libéralisées immédiatement. » Quelles sont ces lignes, quels sont ces produits ? Aucune réponse n’a été donnée à cet égard. (L’oratrice, saisie par l’émotion, interrompt son propos quelques instants. – Applaudissements et marques d’encouragement sur plusieurs travées.)
Comment, dès lors, le monde agricole ultramarin peut-il se préparer à l’arrivée de productions provenant des pays de leur zone géographique ? Comment peut-il définir une stratégie de développement ou de diversification ?
C’est dans ce contexte d’incertitude, de flou et d’impréparation totale que je plaide pour la mise en place de clauses de sauvegarde automatiques, voire d’un moratoire avant l’application des APE dans les outre-mer. Cela suppose une présence ultramarine aux côtés de la France dans la délégation européenne qui négocie ces accords.
La commission du commerce international du Parlement européen commence à prendre la mesure du danger de ces APE sur les économies d’outre-mer. J’en veux pour preuve l’amendement qui a été adopté pour protéger les producteurs de bananes des Antilles. En effet, la production de ces derniers était menacée par la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne, d’une part, le Pérou, la Colombie et l’Équateur, d’autre part.
Dans l’attente d’une ratification officielle tant par la Commission européenne que par le Conseil européen, le vote de cet amendement ouvre la voie à la protection d’autres productions. Je pense notamment à la canne à sucre. (L’oratrice, des sanglots dans la voix, s’interrompt de nouveau.) Je suis désolée, mes chers collègues, je n’avais pas prévu qu’il serait si difficile pour moi de prendre aujourd’hui la place de Paul Vergès…
La canne à sucre est un secteur clé de l’économie réunionnaise. Mais cette filière aura-t-elle encore un avenir après 2017 ? Au mois de septembre prochain interviendra la fin des quotas sucriers et du prix garanti. Comment les producteurs réunionnais et antillais pourront-ils aborder cette échéance ? À La Réunion, 18 000 emplois sont en jeu. Le Gouvernement a mis en place des structures pour aider les betteraviers à traverser cette étape, mais il a purement et simplement oublié les producteurs de canne.
La filière canne à sucre-rhum-bagasse de La Réunion va-t-elle connaître le sort du géranium et du vétiver, secteurs qui avaient subi un gros choc social et économique ? Pour la canne, les conséquences seront infiniment plus grandes.
Il est donc indispensable que, du côté du Gouvernement, l’on se saisisse de toutes les opportunités pour préserver les intérêts agricoles des outre-mer. Nous n’avons pas le sentiment que tel soit le cas.
Ainsi, nous ne pouvons qu’être inquiets lorsqu’un membre du Gouvernement déclare, au Sénat, le 21 juin dernier : « Nos départements et régions d’outre-mer se situent en effet à proximité de ces pays et peuvent donc exporter une partie importante de leur production vers ces territoires. »
Le Sénat, lui, est pleinement conscient des enjeux. Il a adopté, au mois de janvier dernier, la proposition de résolution visant à une meilleure prise en compte des RUP dans la politique commerciale de l’Union européenne, spécifiquement les incidences de la libéralisation du marché du sucre.
Pour en revenir à la proposition de résolution qui nous est aujourd’hui présentée, il est bien évident qu’il est impératif d’adapter les normes européennes à nos situations spécifiques.
Rappelons que les RUP françaises souffrent de handicaps structurels et conjoncturels considérables. À cet égard, citons la question du prix de revient des productions agricoles : celui des productions des pays avoisinant nos outre-mer est extrêmement bas, étant donné le niveau de salaire qui y est appliqué.
En outre, les pays voisins des RUP ne sont pas soumis aux règles phytosanitaires européennes. Et parfois ils utilisent des produits interdits sur le sol européen. Néanmoins, au nom de la sacro-sainte libéralisation des échanges, l’Europe tolère l’importation de produits comportant des substances, que, par ailleurs, elle interdit.
Relevons aussi la question de la recherche et des moyens de celle-ci appliquée à ces « petits marchés » que sont les outre-mer. Au nom du profit, les recherches spécifiques ne sont pas financées. Les agriculteurs font donc face à une absence d’alternative.
Pour terminer, je tiens à souligner l’intérêt de la création d’observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP que sont celles de la banane et de la canne. Il s’agit de disposer de mesures fiables, publiques et transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers, mesures qui, je le souligne, ne peuvent être effectuées en remplacement de l’étude d’impact que nous demandons sur la mise en place des APE.
J’adhère aussi à cette idée d’un meilleur contrôle des importations et des certifications des produits des pays tiers.
Cette proposition de résolution répond donc à des problématiques particulières et soulève de véritables questions de fond. Le groupe CRC la votera. (Applaudissements. – M. Joël Labbé et quelques sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les régions ultrapériphériques françaises font, bien entendu, partie intégrante de la Nation. Mais eu égard à leur éclatement géographique, à l’exiguïté de leur territoire, à la faiblesse de leur marché d’exportation, à leur grande dépendance vis-à-vis de la France et de l’Europe en matière d’importation et à la fragilité de leurs économies en raison de phénomènes climatiques, ces régions doivent trouver des applications différenciées de la réglementation française et européenne pour mieux tenir compte de ces spécificités.
Je le sais, mes chers collègues, plusieurs régions de la France hexagonale connaissent certaines de ces difficultés, mais, à la différence de nos régions, elles ne les cumulent pas.
La délégation sénatoriale à l’outre-mer, sous l’égide de son excellent président, Michel Magras, s’est donc tout naturellement saisie de cette épineuse question des normes applicables en outre-mer et consacre le premier volet de son document y afférent à l’application des normes sanitaires et phytosanitaires.
La présente proposition de résolution fait donc suite au rapport d’information de la délégation adopté le 7 juillet dernier et intitulé Agricultures des outre-mer : pas d’avenir sans acclimatation du cadre normatif.
Les auteurs de ce rapport de qualité, Catherine Procaccia, Jacques Gillot et Éric Doligé, ainsi que Gisèle Jourda et Michel Magras ont souligné l’importance en termes d’enjeux socio-économiques de la production agricole dans les collectivités d’outre-mer que « l’éloignement de l’Hexagone et l’étroitesse des surfaces disponibles exposent au double défi de la réduction de la dépendance alimentaire et de l’identification de ressources de développement endogène. »
La production agricole de ces régions est menacée par la concurrence intense de pays tiers, liés à l’Union européenne par des accords commerciaux de libre-échange, ainsi que par l’application de normes sanitaires et phytosanitaires européennes et françaises bien souvent inadaptées aux besoins des producteurs locaux, les produits n’ayant pas été éprouvés en milieux tropicaux.
Aussi, le rapport évalue l’application de la réglementation européenne et française, dresse les défauts de procédures d’homologation et dénonce les lacunes des systèmes de contrôles des importations de productions agricoles de pays tiers. Il apparaît clairement à la lecture de ce document que les politiques en matière agricole peuvent se révéler particulièrement préjudiciables à nos régions en raison des contradictions intrinsèques qu’elles comportent et des distorsions de concurrence que celles-ci induisent.
La concurrence est d’autant plus déloyale quand les partenaires commerciaux de l’Union européenne n’appliquent pas les mêmes normes sociales, environnementales ou en matière de sécurité sanitaire. Les coûts de production sont moindres et les produits très probablement de moins bonne qualité, conséquence d’une rémanence plus longue des pesticides et autres produits chimiques.
L’usage déséquilibré des produits phytosanitaires par ces pays nuit à nos régions ultramarines, dont les producteurs se sont engagés dans une démarche volontariste, afin de réduire l’utilisation des produits chimiques, surtout après le désastre du chlordécone.
L’objet de la présente proposition de résolution est donc d’inciter à une prise de conscience des autorités françaises et européennes de la nécessité d’intégrer les spécificités des régions ultrapériphériques françaises, tout en augmentant le niveau d’exigence à l’égard des pays partenaires de l’Union européenne ; sans quoi, comme le souligne le rapport de Gisèle Jourda, la dynamique de montée en gamme entreprise par les producteurs de nos régions ultrapériphériques pourrait être réduite à néant.
Or il apparaît aujourd’hui que le maintien et le développement des parts de marché des producteurs ultramarins reposent particulièrement sur cette stratégie qualitative.
De même, la proposition de résolution prévoit que les accords de libre-échange entre l’Union européenne et les pays tiers et les instruments de défense de nos marchés doivent être reconsidérés.
D’une part, les critères et les procédures de déclenchement de la clause de sauvegarde spécifique doivent être revus, de manière que l’Union européenne puisse suspendre le droit de douane préférentiel prévu par les accords de libre-échange en cas de besoin. D’autre part, les mécanismes de stabilisation doivent être révisés, car, s’ils existent, ils sont inadaptés et n’ont jamais été actionnés, malgré l’importation massive de produits similaires qui perturbent effectivement le marché.
Dès lors, le groupe du RDSE soutient pleinement la proposition de résolution présentée par la délégation à l’outre-mer et se positionne clairement en faveur de la défense d’une agriculture ultramarine de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, politique commerciale européenne et normes agricoles applicables à nos régions ultrapériphériques, voilà deux sujets de préoccupation lourds pour les territoires ultramarins dont les économies restent largement structurées autour de deux grandes filières héritées d’un autre âge, la banane et la canne.
Ces sujets reviennent dans notre hémicycle de façon récurrente, car le Sénat reste indéfectiblement attentif au sort de nos territoires, et je salue encore une fois l’initiative du président Gérard Larcher d’avoir engagé, en 2009, la création d’une mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer, laquelle a conduit à la mise en place en 2011, par le président Jean-Pierre Bel, de notre délégation.
Selon une expression chère à Aimé Césaire, la délégation agit comme « éveilleur de conscience », vis-à-vis tant des gouvernements successifs que des instances européennes, notamment la Commission.
La délégation remet d’ailleurs inlassablement sur le métier la question des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, mais aussi celle de la nécessaire prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques, prenant ainsi le relais des préconisations 35 et 54 du rapport d’information de 2009.
Permettez-moi de rappeler les termes de cette dernière préconisation qui, malheureusement, n’a guère été suivie d’effet à ce jour : « Tenir compte davantage des spécificités des régions ultrapériphériques dans le cadre des accords de partenariat économique avec les pays ACP et mettre en place un mécanisme spécifique et régulier d’évaluation de ces accords au regard de leur impact sur l’économie des DOM. »
Dans le prolongement de ce rapport fondateur, Éric Doligé et moi-même avions déposé, voilà cinq ans déjà, une proposition de résolution européenne pour dénoncer l’indifférence de la Commission européenne aux répercussions, sur les agricultures ultramarines, des accords commerciaux conclus avec les pays producteurs concurrents, sans véritables garde-fous, au nom du dogme du libre-échange.
Or les effets collatéraux de ces accords menacent gravement les centres vitaux de l’économie de nos outre-mer, exposés à la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes sociales, salariales ou sanitaires. L’effet est même tangible sur les marchés locaux, inondés par une concurrence déloyale à bas coûts !
Parallèlement à cette vigilance qu’elle n’a cessé d’exercer sur les effets en outre-mer des politiques de l’Union européenne, avec quatre autres propositions de résolution relatives à la défense, respectivement de la banane, du secteur de la pêche en 2012, du rhum des DOM en 2013 et, dernièrement, des sucres spéciaux, la délégation à l’outre-mer a engagé une réflexion globale sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux agricultures ultramarines.
Ses recommandations ont été consignées dans l’excellent rapport d’information d’Éric Doligé, Jacques Gillot et Catherine Procaccia ; certaines d’entre elles seront reprises dans le rapport prochainement publié d’Odette Herviaux, qui s’est vue confier par le Premier ministre une mission sur la simplification des normes agricoles. Elle recommande, à juste titre, dans ce document que des représentants des outre-mer siègent dans le comité de rénovation des normes en agriculture, installé au mois de mars dernier.
Est également proposée la possibilité pour les RUP d’autoriser une culture locale d’une variété végétale résistante aux ravageurs tropicaux, sans que celle-ci soit nécessairement inscrite au catalogue européen des variétés.
Est enfin soulignée la nécessité de requalifier les importations de produits bio provenant de pays tiers, car cette qualification est trompeuse pour le consommateur, dès lors que ces produits bio venus de l’extérieur ne répondent pas au même degré d’exigence que ceux qui sont fabriqués sur le territoire européen.
La proposition de résolution européenne dont nous discutons aujourd’hui a le mérite de souligner la complémentarité des problématiques posées par la politique commerciale de l’Union, d’une part, et l’inadéquation des contraintes phytosanitaires qui pèsent sur les agricultures ultramarines, d’autre part.
Les procédures en vigueur et le spectre normatif en matière agricole ignorent en effet la dimension tropicale et la petite taille de nos marchés. C’est la double peine, et ce alors même que les agricultures de nos outre-mer sont vertueuses et pourraient être des ambassadrices des valeurs sociales et environnementales de l’Union européenne dans les différents océans. J’en veux pour preuve le retour de la biodiversité dans nos bananeraies, notamment en Guadeloupe et à la Martinique.
La communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 définissant la stratégie de l’Union à l’égard des RUP laissait miroiter une embellie pour la prise en compte effective des contraintes spécifiques et de la diversité de ces régions, ainsi qu’une meilleure cohérence entre elles des politiques européennes.
Or force est de constater que l’objectif n’est pas encore atteint, et même que la Commission européenne rechigne à actionner les mécanismes de stabilisation des marchés qu’elle a pourtant acceptés. Il ne faut cesser de le répéter, elle campe sur son interprétation restrictive de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE, malgré les évolutions jurisprudentielles favorables de la Cour de justice de Luxembourg qui, en 2015, ont étendu au droit dérivé la faculté de déroger ou d’adapter consentie par cet article. Vous l’avez dit, madame la ministre, mais il faut remettre encore l’ouvrage sur le métier. Pour faire entrer un clou dans un mur, il faut donner plusieurs coups !
Mes chers collègues, la France enrichit l’Europe de sa diversité territoriale et humaine ; elle doit continuer à défendre ses particularités et à affirmer ses modèles de qualité. Battons-nous inlassablement pour défendre cette juste cause, qui est également la clé du développement de nos économies ultramarines !
Pour toutes ces raisons, avec le groupe socialiste et républicain, je vous appelle à voter des deux mains la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne est issue des travaux que nous avons effectués et qui ont déjà été rappelés. Nous avons découvert tant d’aberrations que nous ne pouvions pas ne rien faire. Nous voulons faire vivre nos préconisations, qui sont précises et concrètes : le dépôt d’un texte destiné à interpeller les autorités européennes nous est apparu comme une suite logique.
Pour simplifier les normes agricoles outre-mer, les efforts doivent être menés à l’échelon à la fois national et européen. En France, le ministère de l’agriculture et l’ANSES commencent à prendre conscience des spécificités ultramarines. C’est une véritable avancée, si l’on considère le rapport que j’ai rendu en 2009 sur le chlordécone aux Antilles.
L’extrême fragilité des filières ultramarines, confrontées à de nombreux usages orphelins, n’a pas été encore complètement prise en compte. Le ministère de l’agriculture a créé un comité des usages orphelins outre-mer et a rénové le catalogue des usages agricoles pour faire toute leur place aux cultures tropicales. L’ANSES s’est dotée d’un référent outre-mer qui dialogue avec les filières en amont de la procédure d’homologation. Ce sont des évolutions intéressantes, mais encore insuffisantes pour remplir l’objectif d’une couverture à hauteur de 49 % en 2017 des besoins phytosanitaires, objectif que les autorités françaises se sont elles-mêmes fixé.
Il faut donc aller plus loin. Il est temps d’adapter aux spécificités des outre-mer les limites maximales de résidus, les LMR. Il est clair que les prescriptions associées aux autorisations de mise sur le marché, ou AMM, des produits phytosanitaires doivent être différenciées selon le climat, quoi qu’en pense Joël Labbé. Les conditions d’utilisation, comme la dose, le nombre d’applications, les cadences et les délais des traitements avant récolte, ne peuvent plus être définies de façon uniforme en outre-mer comme en Europe, car ce sont toujours les producteurs des DOM qui en pâtissent.
Pour réduire les usages orphelins et accélérer le déploiement d’une couverture phytosanitaire adaptée outre-mer, nous préconisons d’obliger les firmes pétitionnaires à joindre à tout dossier d’AMM des analyses portant sur l’utilisation du produit sur cultures tropicales. En contrepartie, les firmes bénéficieraient simultanément de l’AMM et de l’extension de celle-ci pour l’usage tropical. Cela réduirait immanquablement les délais et les coûts au bénéfice des producteurs ultramarins.
Actuellement, la plupart des produits phytopharmaceutiques utilisés ne sont pas homologués directement, notamment pour la banane, la canne à sucre, l’ananas. Ils le sont pour les grandes cultures de l’Hexagone, comme celles du blé, du maïs, de la tomate, et suivent ensuite une deuxième procédure d’extension d’autorisation pour usage mineur sur une culture tropicale. Nous souhaitons au contraire fusionner les procédures et forcer les firmes à fournir des données sur les cultures tropicales qui permettront de mieux calibrer les AMM et les conditions d’utilisation. Si nous y parvenons, ce sera une petite révolution !
Il nous paraît également essentiel d’assurer un traitement spécifique des substances indispensables à la survie des cultures. La France doit rester vigilante sur de nombreux dossiers. En particulier, elle doit veiller au maintien d’une couverture en herbicide pour la canne. À l’échelon européen, le Royaume-Uni était désigné comme État membre rapporteur pour étudier l’Asulox, dont l’AMM doit encore être renouvelée. Après le Brexit, personne ne peut nous dire si cette procédure se conclura.
Le ministre de l’agriculture devrait aussi prendre garde à ajuster les autorisations de traitement en urgence. On nous a cité, à moult reprises, l’exemple d’un fongicide autorisé en urgence pendant cent vingt jours pour protéger les plants de melon. Le seul problème est que la période fixée correspondait à la récolte du melon des Charentes, mais pas à celle du melon de Guadeloupe. Les maraîchers guadeloupéens en ont fait les frais.
Par ailleurs, certaines interprétations françaises des normes européennes sont maximalistes. Je vous remercie, madame la ministre, de l’avoir reconnu ! Ainsi, des préparations comme les biostimulants, qui sont à la frontière entre les fertilisants et les produits phytosanitaires, ne sont pas évaluées de la même manière partout. En France, si le biostimulant a un effet sur les mécanismes de défense de la plante contre un bioagresseur, il doit suivre la procédure d’AMM des pesticides. En revanche, l’Espagne et l’Allemagne évaluent ces produits comme de simples fertilisants et les font bénéficier d’une procédure d’autorisation beaucoup plus souple.
Force est de constater que les principaux blocages pénalisant les agricultures ultramarines se situent à l’échelon européen. Nos territoires d’outre-mer demeurent largement invisibles pour les autorités communautaires, qui ne les prennent en considération ni dans l’élaboration des normes phytosanitaires ni dans l’évaluation des risques.
En particulier, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, l’EFSA, a clairement admis devant nous que les spécificités de l’agriculture des RUP n’étaient pas prises en compte dans ses travaux. En d’autres termes, les RUP restent délibérément hors du champ d’investigation de l’Agence, qui n’est donc pas en mesure d’infléchir ses avis.
Par exemple, le potentiel de contamination des eaux souterraines par une substance active est évalué par l’EFSA en considérant neuf lieux représentatifs des grandes zones de productions agricoles en Europe. Le site de Châteaudun est retenu pour la France, continentale comme ultramarine. Les conditions spécifiques des sols et des climats en milieu tropical ne sont pas considérées malgré d’énormes différences qui jouent sur la diffusion des polluants. Difficile, il faut l’avouer, d’extrapoler quelque chose de la culture du blé dans la Beauce pour définir des normes applicables aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion…
De même, les évaluations d’exposition des consommateurs aux résidus de pesticides sont basées sur les régimes alimentaires inclus dans un modèle appelé PRIMo, qui prend en considération vingt-deux régimes européens. Aucun régime ultramarin n’en fait partie. Les spécificités alimentaires des populations caribéennes ou de l’océan Indien sont totalement ignorées. Mais c’est en matière d’encadrement des moyens de lutte biologique que les normes européennes apparaissent les plus pénalisantes. Cela ne peut manquer de surprendre, alors que leur faible nocivité en fait une alternative de choix aux traitements chimiques.
Nos instituts de recherche, comme l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, y travaillent activement et sont déjà fortement implantés outre-mer. Mais, comble du paradoxe, ce sont les pays tiers avec lesquels nous menons des coopérations qui sont en mesure d’exploiter ces techniques !
La question des normes applicables aux phéromones est particulièrement importante. Certaines phéromones pourraient être utilisées pour compenser les usages orphelins sur les cultures fruitières et légumières des DOM. Mais les phéromones sont considérées comme des substances actives au plan européen. Elles sont soumises à la procédure du règlement « pesticides » de 2009 et doivent obtenir une AMM, comme n’importe quel produit phytopharmaceutique. Malgré leur efficacité, les méthodes de l’INRA pour lutter contre le charançon de la patate douce, par exemple, ne peuvent pas légalement être utilisées par les producteurs en l’absence d’AMM, même si cette phéromone n’est pas en contact avec la culture et n’est pas dispersée dans l’environnement.
Malheureusement, la longueur et le coût de la procédure d’homologation sont trop élevés pour intéresser une firme. Nos instituts de recherche français n’ont ni les moyens financiers ni la vocation de s’y substituer, si bien que les résultats de la recherche restent lettre morte dans les territoires pour lesquels ils ont été mis au point.
Le problème est identique pour l’emploi de substances naturelles. Des produits de traitement à base d’extraits d’huiles essentielles, autorisés en Floride ou en Californie, ont été développés par l’INRA et le CIRAD, notamment pour lutter contre le citrus greening, qui décime les agrumes. Ces travaux valorisent des traditions locales, issues d’un savoir-faire ancien. Mais la réglementation est telle que l’EFSA évalue ces substances naturelles comme s’il s’agissait de produits chimiques.
Nous préconisons en réponse une mesure forte pour dynamiser la lutte biologique : il faut dispenser d’homologation tous les moyens de biocontrôle, phéromones et extraits de plantes, dès lors qu’ils sont développés et validés par les instituts de recherche nationaux, comme l’INRA et le CIRAD. Pour réduire les usages orphelins et rétablir en même temps la balance entre les outre-mer et les pays tiers, je demande, comme mes collègues, à la Commission européenne d’établir une liste positive de pays dont les procédures d’homologation sont équivalentes à celles de l’Union. À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l’usage en outre-mer d’un produit déjà homologué dans l’un des pays de la liste.
Par ailleurs, nous devons faire cesser les importations de pays tiers où les conditions de production sont laxistes. En l’état du droit européen, les denrées des pays tiers, dès lors qu’elles respectent les limites maximales de résidus de pesticides, sont acceptées sur les marchés européens, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs européens.
Nos propositions sont fortes et ambitieuses, mais à la hauteur des problèmes auxquels est confrontée l’agriculture de nos outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me contenterai de faire une rapide synthèse, car l’essentiel a été dit. Dans les interventions précédentes, ont été exposées la philosophie et la stratégie qui sous-tendent cette proposition de résolution.
Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que les agriculteurs ultramarins pâtissent de politiques européennes très favorables aux pays tiers. Il suffit pour s’en convaincre de constater d’une part, la multiplication d’accords de libre-échange qui mettent en péril les grandes filières exportatrices et, d’autre part, le faible degré d’exigence des normes imposées aux produits agricoles importés depuis ces pays.
Pour rétablir une concurrence saine et loyale, le cadre normatif de commercialisation dans l’Union européenne doit être plus strict que le seul respect des limites maximales de résidus. C’est pourquoi nous demandons à la Commission européenne d’assurer la cohérence des normes de production et des normes de mise sur le marché pour résorber le handicap des RUP, tout en améliorant la protection du consommateur européen.
Il est en outre indispensable de développer l’information de ce dernier sur deux points : les conditions de travail dans les pays tiers et le différentiel de qualité environnementale entre leurs productions et celles des RUP.
Qui peut savoir que les bananes vendues comme biologiques en provenance de la République dominicaine sont traitées avec des substances qui sont interdites aux planteurs conventionnels des Antilles ? Pour l’instant, l’Union européenne accepte l’étiquetage biologique de productions agricoles importées de pays tiers qui ne respectent pas son propre cahier des charges défini par un règlement de 2007 sur l’agriculture biologique.
Pour assurer la transparence de l’information apportée aux consommateurs et rétablir l’équilibre entre les RUP et leurs concurrents, nous préconisons l’interdiction de l’étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsque ne sont pas respectées les mêmes normes que celles qui sont appliquées aux producteurs biologiques européens.
Les producteurs ultramarins sont engagés dans une stratégie de montée en gamme et de certification. C’est à la fois une démarche ambitieuse et leur seule perspective de survie face à la concurrence de plus en plus féroce des pays à bas prix.
En particulier, les perspectives de développement du bio sont bridées par une réglementation européenne qui n’est pas adaptée au contexte tropical des RUP. C’est pourquoi, dans la refonte en cours du règlement de 2007, il faut prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical. Cela offrirait l’opportunité d’assouplir le recours aux semences conventionnelles, d’autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d’origine naturelle. D’ailleurs, ces produits sont utilisés dans l’agriculture traditionnelle et dans les jardins créoles. Leur fabrication et leur utilisation à plus grande échelle pourraient ouvrir de nouvelles perspectives de développement industriel en matière de chimie verte dans nos territoires.
Nous préconisons plus spécifiquement d’autoriser la certification de l’agriculture biologique par un système participatif de garantie, comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, ce qui rendra facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitants des RUP et allégera les coûts et les délais. Aujourd’hui, en effet, ces organismes payants ne sont pas présents dans les territoires ultramarins, ce qui renchérit et rallonge les procédures, et finalement décourage les agriculteurs ultramarins.
La proposition de résolution européenne que nous soumettons aujourd’hui à l’approbation du Sénat répond à un véritable projet politique : nous devons arrêter de penser seulement les outre-mer au travers du prisme des fonds structurels. Il faut dépasser la logique des subventions et compensations pour pousser le développement endogène de nos territoires. Sans une acclimatation des normes européennes, nous n’y parviendrons pas !
Madame la ministre, lorsque nous avons présenté cette proposition de résolution devant la délégation, nous avions conclu en soulignant la nécessité d’avoir un accompagnement fort et une politique engagée du Gouvernement. À vous entendre, j’ai compris que vous étiez une combattante, décidée à faire de l’agriculture des RUP un élément de développement à la hauteur des problèmes que rencontrent aujourd’hui les outre-mer. Continuez cette politique ; avec nous à vos côtés, le combat devrait pouvoir être gagné ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de résolution européenne
Le Sénat
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 206, 207 et 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (grande chambre) du 15 décembre 2016 – Parlement européen et Commission européenne contre Conseil de l’Union européenne, soutenu par le Royaume d’Espagne, la République française et la République portugaise (Affaires jointes C-132/14 à C-136/14),
Vu le règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n° 396/2005 du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil,
Vu le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91,
Vu le règlement (CE) n° 669/2009 du 24 juillet 2009 de la Commission portant modalités d’exécution du règlement (CE) n° 882/2004 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contrôles officiels renforcés à l’importation de certains aliments pour animaux et certaines denrées alimentaires d’origine non animale et modifiant la décision 2006/504/CE,
Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil,
Vu le règlement (UE) n° 283/2013 de la Commission du 1er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux substances actives,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, présentée le 24 mars 2014,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 19/2013 portant mise en œuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l’accord commercial entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Colombie et le Pérou, d’autre part, et le règlement (UE) n° 20/2013 portant mise en œuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les bananes prévus par l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Amérique centrale, d’autre part, présentée le 26 mai 2015,
Vu le projet de rapport n° 2015/0112(COD) du 18 juillet 2016 de Mme Marielle de Sarnez au nom de la Commission du commerce international du Parlement européen sur la proposition de règlement précédente,
Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012,
Vu le document d’orientation du 4 mars 2016 destiné à harmoniser les études de dissipation des pesticides chimiques en milieu terrestre au champ, mis au point par l’Agence européenne de sécurité des aliments, par l’Agence américaine de protection de l’environnement et par l’Agence Santé Canada,
Vu la réponse du 23 février 2015 apportée par M. Phil Hogan au nom de la Commission européenne à la question écrite E-011032-14 du 18 décembre 2014 de M. Younous Omarjee, posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen, sur les conséquences de la suppression des quotas sucriers sur le marché du sucre de l’Union européenne,
Vu la réponse du 17 mai 2016 apportée par M. Vytenis Andrukaitis au nom de la Commission européenne à la question écrite E-001040-16 de Mme Mireille d’Ornano du 3 février 2016, posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la révision du règlement sur les pesticides de 2009,
Vu la réponse du 3 juin 2016 apportée par Mme Corina Creţu au nom de la Commission européenne à la question écrite E-003154-16 du 20 avril 2016 de Mme Cláudia Monteiro De Aguiar, MM. Gabriel Mato, Younous Omarjee, Louis-Joseph Manscour et Maurice Ponga, Mme Sofia Ribeiro, M. Ricardo Serrão Santos, Mme Liliana Rodrigues et M. Juan Fernando López Aguilar posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la fermeture de l’unité spéciale de la Commission pour les régions ultrapériphériques,
Vu la réponse du 23 juin 2016 apportée par M. Phil Hogan au nom de la Commission européenne à la question écrite P-003927-16 du 11 mai 2016 de M. Louis-Joseph Manscour, posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen, sur la filière canne-sucre des RUP face aux négociations commerciales,
Vu la résolution du Sénat n° 105 (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne,
Vu la résolution du Sénat n° 68 (2015-2016) du 26 janvier 2016 relative aux effets des accords commerciaux conclus par l’Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques,
Considérant que les régions ultrapériphériques (RUP) constituent un atout pour l’Union européenne et qu’il est dans son intérêt de soutenir ces territoires « dans l’exploitation de toutes les possibilités de croissance intelligente, durable et inclusive sur la base de leurs atouts et de leur potentiel endogène », conformément aux orientations de la Commission européenne dans sa communication de 2012 exposant sa stratégie pluriannuelle pour les RUP,
Considérant que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet l’édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres, notamment « leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits »,
Considérant que les filières agricoles des RUP jouent un rôle économique et social vital dans ces territoires et constituent, au sein de leur environnement régional, des modèles porteurs des valeurs de l’Union européenne en matière sociale et environnementale,
Considérant que les normes et les procédures applicables à l’agriculture des RUP françaises en matière sanitaire et phytosanitaire trouvent leur origine pour l’essentiel dans des règlements européens d’application directe qui y imposent les mêmes dispositifs et les mêmes procédures qu’en Europe continentale, sans aucune prise en compte des caractéristiques de l’agriculture en contexte tropical,
Considérant que l’application uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées, sans forte pression de maladies et de ravageurs, conduit à une impasse qui menace directement la survie des filières agricoles des RUP,
Considérant que les filières agricoles ultramarines souffrent de la prégnance des usages phytosanitaires orphelins, de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique menacée par des retraits soudains d’homologation de substances actives, de l’absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, d’un encadrement inadapté des conditions d’utilisation des produits phytosanitaires en climat tropical et de dérogations difficiles à mettre en œuvre,
Considérant que les agriculteurs des RUP subissent de surcroît les effets d’une politique commerciale de l’Union européenne très favorable aux pays tiers, tant en termes de conclusion d’accords de libre-échange qui mettent en péril les grandes filières exportatrices comme la banane, le sucre et le rhum, qu’au regard du faible degré d’exigence des normes alimentaires imposées aux denrées importées depuis ces pays,
Considérant que, face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité-coût est insurpassable, du fait de niveaux de salaire et de conditions de travail nettement moins élevés et onéreux que dans les RUP, la préservation des barrières tarifaires et non-tarifaires est indispensable pour protéger les marchés des RUP,
Considérant que les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords de libre-échange ont fait la preuve qu’ils étaient actuellement inopérants, en particulier lors de l’application des accords sur la banane avec la Colombie et le Pérou et avec les pays d’Amérique Centrale, dans la mesure où la Commission européenne a décidé de ne pas déclencher ces dispositifs malgré des dépassements répétés des quotas d’importation,
Considérant que l’adhésion de l’Équateur à l’accord avec la Colombie et le Pérou ne peut manquer de porter préjudice aux producteurs de banane des RUP, alors que l’Équateur est déjà le premier exportateur de bananes vers l’Union européenne et qu’il bénéficiera désormais du même démantèlement tarifaire massif qui a déjà permis au Pérou de tripler ses exportations,
Considérant que les outre-mer doivent tenter de résister sur leurs marchés traditionnels à l’export, comme sur leurs marchés locaux, en endossant un handicap normatif dont l’Union européenne exonère les pays tiers,
Considérant que les denrées des pays tiers, dès lors qu’elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs de l’Union européenne, sont acceptées sur les marchés européens, où elles concurrencent sévèrement les productions des RUP,
Considérant que, pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l’Union européenne doivent exiger des conditions de production excédant le seul respect des LMR,
Considérant que les contrôles des importations de denrées alimentaires dans les RUP, même selon les modalités renforcées prévues par les règlements européens, sont insuffisants et régulièrement contournés, ce qui aboutit à la commercialisation frauduleuse de produits ne respectant pas les LMR sur les marchés ultramarins,
Considérant que les producteurs ultramarins sont engagés dans une stratégie de montée en gamme et de certification qui ne pourra porter ses fruits tant que certaines productions des pays tiers bénéficient parallèlement de labels de qualité européens sans pour autant respecter pleinement les exigences communautaires,
Considérant que les perspectives de développement de la production biologique, qui constitue une voie d’avenir possible pour les agricultures ultramarines, sont bridées par une réglementation européenne défavorable et par le cumul des normes sur l’agriculture biologique et sur les produits phytosanitaires, qui avantage à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP,
Considérant que la réglementation européenne sur l’agriculture biologique n’a jamais été élaborée en tenant compte du contexte tropical des RUP, alors que leurs concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont défini des règles d’agriculture biologique adaptées au climat tropical et que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, grâce à leur statut d’autonomie, ont su également élaborer une norme d’agriculture biologique en harmonie avec leur environnement régional océanien,
Considérant que certaines productions biologiques des pays tiers, moins vertueuses du point de vue environnemental et de la santé des agriculteurs que leurs homologues conventionnelles des RUP, envahissent le marché européen en profitant d’un étiquetage biologique qui entretient une confusion trompeuse pour le consommateur européen,
Estime nécessaire de garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union européenne, conformément à l’article 207 du TFUE, aux termes duquel « il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l’Union »,
Invite la Commission européenne à acclimater les normes européennes réglementant l’agriculture et l’élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des productions en milieu tropical,
Préconise de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d’homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs, efficaces et conformes à la mutation agroécologique,
Recommande à la Commission européenne d’établir une liste positive de pays dont les procédures d’homologation de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes à celles de l’Union européenne afin de permettre aux autorités françaises d’autoriser directement un produit homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage,
Propose d’autoriser pour les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés,
Demande à l’Agence européenne de sécurité des aliments de compléter les référentiels pédoclimatiques et d’habitudes alimentaires qu’elle utilise afin de prendre en compte les caractéristiques propres des RUP au moment de l’évaluation des risques,
Recommande, à l’occasion de la refonte du règlement sur la production biologique de 2007, de prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical afin d’assouplir le recours aux semences conventionnelles, d’autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d’origine naturelle,
Préconise d’autoriser la certification de l’agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitations implantées dans les RUP,
Invite la Commission européenne à assurer la cohérence des normes de production et des normes de mise sur le marché pour résorber le handicap normatif des RUP tout en veillant à la protection du consommateur européen,
Demande à la Commission européenne de supprimer les tolérances à l’importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l’Union européenne,
Recommande à la Commission européenne d’établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l’eau,
Préconise l’interdiction de l’étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsqu’ils ne respectent pas les mêmes normes que les producteurs biologiques européens,
Demande à la Commission européenne d’activer les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords commerciaux et, ainsi, de suspendre les droits préférentiels octroyés aux pays tiers, dès que les importations en provenance de ces derniers dépassent les seuils de déclenchement fixés dans l’accord,
Incite la Commission européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane avec les pays d’Amérique latine afin d’assurer aux producteurs ultramarins une visibilité et une protection pérenne,
Souhaite la création d’observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP, la banane et la canne, afin de disposer de mesures fiables, publiques et transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers avec la périodicité pertinente et ainsi d’alerter rapidement la Commission européenne et les États membres en cas de perturbation grave du marché européen et des marchés locaux, pour déclencher sans délai les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation,
Appelle la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu’il lui revient de négocier en menant des études d’impact préalables et recommande au Gouvernement d’exercer la plus grande vigilance sur la définition du mandat de négociation et sur le suivi de l’application des accords commerciaux, dont les Parlements nationaux doivent être tenus précisément informés,
Juge nécessaire de développer l’information du consommateur sur les conditions de travail pour les producteurs des pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les RUP.
M. le président. Sur le texte de la commission, je n’ai été saisi d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. Je tiens à féliciter tout d’abord les auteurs de la proposition de résolution européenne et les rapporteurs pour la qualité de leur travail sur cette question, eux qui ont ciblé les lacunes de la politique européenne vis-à-vis de nos territoires et l’incompréhension des États membres face à nos spécificités.
Je rappelle par ailleurs que le Conseil économique, social et environnemental, en 2014, plaidait déjà pour une « Europe ultramarine » au travers d’une résolution qui n’a malheureusement pas trouvé écho auprès de nos partenaires, alors même qu’elle comportait des dispositions à caractère programmatique qui me semblent aller dans le bon sens, puisqu’elle portait sur des enjeux déterminants pour l’avenir du secteur agricole dans chacune des collectivités ultramarines.
Aujourd’hui, la situation est identique, alors que l’outre-mer présente un terrain exceptionnel de dynamisme agricole, en raison des atouts et des avantages comparatifs naturels propres aux collectivités ultramarines. Nos collectivités connaissent également des difficultés structurelles importantes, qui appellent encore et toujours une action déterminée de la part des pouvoirs publics. Or les différents instruments financiers européens dédiés aux outre-mer ne permettent pas aux territoires ultramarins de s’inscrire véritablement dans les objectifs que s’est fixés l’Union européenne dans le cadre de la stratégie UE 2020.
J’ajoute que la politique européenne menée actuellement va à l’encontre de nos intérêts, puisque nous subissons de plein fouet une absence d’harmonisation des normes européennes applicables aux produits et services entre les RUP et les pays tiers situés dans leur environnement géographique. Cela crée de facto des distorsions importantes de concurrence qui se font croissantes dans le cadre d’accords commerciaux mis en œuvre par l’Union.
Je vise en l’occurrence les conséquences désastreuses des accords de libre-échange signés entre l’Union européenne et des pays tiers, tels que le Vietnam, qui se serait vu accorder un contingent de 20 000 tonnes de sucre, alors même que la filière canne-sucre-rhum-bagasse est un pilier fondamental de la vie économique de nos départements d’outre-mer.
Ainsi, les accords bilatéraux à venir, qui tendent à abaisser les barrières douanières pour le sucre, sont une menace très sérieuse pour nos planteurs, qui doivent respecter des normes environnementales et sociales beaucoup plus strictes que celles de leurs concurrents.
De la même manière, je me suis opposé à un amendement dans cette enceinte, la semaine dernière, relatif à une surtaxation des rhums ultramarins et j’évoquai les difficultés rencontrées par nos producteurs soumis à un quota de 120 000 hectolitres d’alcool pur depuis 2011, que la Commission européenne refuse de rehausser de 20 % malgré les requêtes déposées. Cela conduira à terme le circuit de la grande distribution, qui est le circuit principal de vente du rhum des DOM, à se tourner vers les rhums des pays tiers pour répondre à la hausse de la demande du marché.
Ces deux exemples constituent un tout petit aperçu de l’énorme fossé qui existe entre la réalité de nos territoires, au travers de la survivance de nos productions agricoles, et la perception qu’a l’Union européenne des marchés sur lesquels elle dicte ses règles.
C’est pourquoi je voterai cette proposition de résolution, qui constituera – je l’espère ! – les prémices d’une nouvelle politique européenne plus à l’écoute de nos véritables besoins.
M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Je tiens à remercier mes collègues à l’origine de cette proposition de résolution européenne sur l’inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques. Ce texte, de grande qualité, dresse un bilan juste quant à la situation de l’agriculture des régions ultrapériphériques et en tire les conclusions notamment en termes de réglementations phytosanitaires.
Ces conclusions rejoignent celles du rapport d’information que Jérôme Bignon et moi-même avons eu l’honneur de rédiger sur les solutions territoriales en outre-mer au changement climatique. Nous avions présenté six thématiques majeures, notamment la définition de modèles agricoles robustes et résilients.
Au lendemain de la COP 22, qui se veut la conférence de l’action, nous devons donner toute la visibilité nécessaire aux capacités d’innovation de nos territoires. Certains d’entre eux, qui se caractérisent par leur nature archipélagique, à l’image de la Guadeloupe, sont aux avant-postes de la vulnérabilité climatique. Ils sont également à l’avant-garde, en particulier en matière de définition de stratégies d’adaptation et de conception de projets innovants en favorisant le développement local, pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire en 2050.
De nombreuses initiatives ont vu le jour, s’inscrivant dans un mouvement structurel de transformation des modèles de production et de consommation.
S’agissant des questions relatives à l’amélioration de l’étiquetage et à l’information du consommateur, deux exemples montrent que le consommateur est parfois induit en erreur par la labellisation ou l’étiquetage. Ainsi, 80 % de la banane bio écoulée en Europe provient de la République dominicaine ; elle bénéficie d’une aura positive grâce à ce label, alors qu’elle est traitée avec du Banole, qu’elle est donc moins respectueuse de l’environnement et soumise à davantage de traitements que la banane conventionnelle des Antilles.
Permettez-moi, mes chers collègues, de citer un seul exemple : celui du jardin créole. C’est un jardin de subsistance à partir duquel il est possible de tirer tous les aliments nécessaires à la vie humaine : glucides, lipides, protéines, vitamines et oligoéléments. Il permet de moins dépendre de l’élevage pour la production de protéines, ce qui signifie à la fois produire plus de protéines par surfaces mobilisées et consommer moins d’intrants.
C’est un paradoxe que 80 % de l’alimentation des Guadeloupéens, mais d’autres également, soit importée, alors qu’il existe une grande diversité de cultures qui peuvent s’épanouir sur le sol du territoire considéré. Si l’autosuffisance alimentaire et l’autarcie sont utopiques, il demeure une marge de progression importante. Il convient donc de ne pas laisser perdre le savoir associé à la culture du jardin créole et d’en poursuivre la transmission.
Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de cette proposition de résolution.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de résolution européenne sur l’inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques.
(La proposition de résolution européenne est adoptée.)
M. le président. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Magras, rapporteur. Je veux d’abord dire à Gélita Hoarau que nous comprenons tous son émotion. Il n’est sans doute pas facile de succéder à cette tribune à un homme politique comme Paul Vergès, dont nous connaissons la grandeur des engagements, non seulement pour La Réunion et la France, mais bien au-delà.
J’aimerais maintenant rassurer mes amis écologistes. L’agriculture ultramarine se veut une agriculture d’excellence. Elle le prouve chaque jour. Notre démarche consiste à demander non pas le développement d’une agriculture au rabais, mais simplement une adaptation des normes aux réalités de nos territoires. L’Europe ne doit pas autoriser l’entrée sur son marché de produits agricoles en provenance de pays qui ne respectent pas les mêmes règles.
Je vous remercie, mes chers collègues, de vos propos. Je suis fier d’avoir demandé au président du Sénat d’autoriser ce débat en séance. Nous avons constaté que cette discussion était nécessaire. Dorénavant, il s’agit non plus d’une proposition de résolution, mais bien d’une résolution du Sénat, que le président du Sénat vous transmettra, madame la ministre.
Mais, au-delà de ce débat sur ce texte, vous nous avez présenté, madame la ministre, votre conception de l’engagement au service des outre-mer, en particulier dans le domaine de l’agriculture, et nous vous en remercions.
Le Sénat n’en restera pas là, si vous y souscrivez, mes chers collègues. En accord avec la commission des affaires européennes, nous espérons défendre cette résolution à l’échelon de l’Union européenne, sans porter atteinte aux missions et aux fonctions des parlementaires européens, mais, au contraire, en les accompagnant. L’Europe est une grosse machine, mais nous finirons par la faire bouger si nous en avons l’ambition, ce qui est mon cas !
16
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 23 novembre 2016 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe du RDSE)
Débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France.
Débat sur le thème « Sauvegarde et valorisation de la filière élevage ».
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures trente à minuit :
(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional (n° 497, 2015-2016) ;
Rapport de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois (n° 51, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 52, 2016-2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD