compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

Mmes Valérie Létard, Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Bilan du « choc de simplification » pour les entreprises

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, sur le bilan du « choc de simplification » pour les entreprises » (rapport d’information n° 433).

La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, corapporteur.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, corapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en demandant l’organisation de ce débat, la délégation aux entreprises a voulu se faire l’écho des centaines d’entrepreneurs qu’elle a rencontrés depuis sa création.

Depuis deux ans, nous sillonnons le territoire ; partout, le poids de l’administratif est vécu par les entreprises comme l’un des premiers blocages à leur développement.

Ce blocage se décline en excès de normes, en maquis de règles, en rigidité, en instabilité : plus les entreprises se voient imposer de règles, plus leur espace de liberté est réduit, ce qui nuit à leur créativité et à leur croissance. Ce poids pèse surtout sur les petites et moyennes entreprises, qui sont moins armées pour suivre l’emballement du droit.

Le coût du fardeau administratif est réel. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, l’estime à 60 milliards d’euros. Mais ce coût se mesure aussi en emplois perdus.

Selon le critère du poids de la réglementation, la France est classée 115e sur 138 pays par le Forum économique mondial. C’est une piètre performance ! Il s’agit donc d’un enjeu économique majeur, car notre compétitivité et notre attractivité sont affectées.

De nombreux pays européens l’ont bien compris et se sont saisis du problème. On peut se demander si la France a bien pris la mesure de l’enjeu, même si le Président de la République a annoncé en mars 2013 un « choc de simplification ».

Qu’en est-il quatre ans plus tard ? La délégation aux entreprises s’est saisie de cette question en adoptant le rapport Simplifier efficacement pour libérer les entreprises, qu’elle avait confié à Olivier Cadic et à moi-même.

Pour élaborer ce rapport, nous avons effectué des déplacements en Europe afin de comprendre la démarche de simplification menée par plusieurs de nos voisins : l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas.

Nous avons ensuite entendu à Paris une vingtaine d’acteurs qui sont au cœur du sujet : d’abord, les représentants des entreprises et de ceux qui les accompagnent pour gérer la complexité ; ensuite, les institutions chargées de la simplification, à commencer par le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, M. Jean-Vincent Placé, qui aurait dû être présent aujourd’hui. Comment interpréter sa défection, monsieur le secrétaire d'État ? Vous nous direz si nous devons y voir un désintérêt pour le sujet, ce que je n’espère pas, ou, peut-être, l’expression d’une difficulté à assumer un bilan délicat…

Nous avons également entendu des acteurs extérieurs au Gouvernement, mais bien placés pour analyser la situation française, que ce soit à l’Assemblée nationale, à la Cour des comptes ou chez France stratégie. Enfin, nous avons exploré certaines idées avec les membres de think tanks et des universitaires.

La volonté de simplification, affichée en haut lieu, a-t-elle produit des résultats pour les entreprises françaises ?

L’inflation législative ne date pas d’hier, mais, fait nouveau, elle va en s’accélérant. Si le nombre de projets de loi évolue peu, leur volume augmente, notamment à la faveur de leur examen au Parlement : le nombre d’articles des projets de loi est en moyenne doublé à l’issue de la navette.

On a tôt fait d’accuser les parlementaires, mais le Gouvernement est comptable du cinquième de cette dérive imputée aux amendements. En outre, pour légiférer, le Gouvernement recourt à l’ordonnance aussi bien qu’au projet de loi, contribuant ainsi directement à l’hyperactivité législative, sans l’aide du Parlement. S’ensuit mécaniquement un emballement réglementaire, toutes ces normes enchevêtrées créant de la complexité et de l’insécurité juridique.

L’Union des industries chimiques nous a transmis une courbe frappante qui manifeste l’emballement normatif depuis une quinzaine d’années, et encore ne concerne-t-elle que le domaine de l’hygiène, de la santé et de la sécurité. Il aurait été intéressant d’avoir la même courbe en matière fiscale ou de droit du travail.

La France resserre encore un peu plus cet étau normatif en transposant souvent les directives européennes au-delà des obligations standards, ce qui disqualifie nos entreprises et, même, les incite à délocaliser leur production.

Cela fait des années que l’on tente d’améliorer la situation sans grand succès visible, malgré le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, un secrétaire d’État dédié, un conseil de la simplification pour les entreprises et un gouvernement qui se félicite d’avoir initié 463 mesures de simplification.

Toutefois, l’élan initial s’est rapidement essoufflé. Le 10 juin 2015, M. Thierry Mandon annonçait, pour le 1er juillet 2015, la mise en place d’un comité permettant d’expertiser les études d’impact du Gouvernement. Ce comité n’a pas vu le jour, M. Mandon a changé de portefeuille une semaine plus tard et, depuis lors, trois ministres se sont succédé à ce poste en trois ans !

Le Conseil de la simplification pour les entreprises, malgré son dynamisme, a produit des mesures en tout genre. Notre rapport les classe en catégories : anecdotiques, symboliques, anti-Kafka, sans-papiers, sécurisantes, en trompe-l’œil, à la réputation simplificatrice carrément usurpée, voire à effet boomerang

Tout cela forme un tableau pointilliste : la politique de simplification n’arrive pas à convaincre, prise entre effets d’annonce et difficultés de mise en œuvre. D’ailleurs, 43 % des mesures annoncées par le Conseil de la simplification ne sont pas effectives. On évoquera des blocages, qui tiennent à la résistance au changement de ceux à qui profite la complexité, mais il faut aussi reconnaître que la volonté politique du Gouvernement a été défaillante.

Pourtant, le Gouvernement soutient que son action a dégagé une économie potentielle pour les entreprises d’environ 5 milliards d’euros annuels. Un tel chiffrage, effectué à partir des études d’impact produites par l’administration, reste invérifiable. Aucun audit préalable n’a été fait. Surtout, il néglige le coût qui résulte du flux parallèle d’obligations nouvelles : pénibilité, compte personnel de formation, transition énergétique… Si les entreprises ne ressentent pas un choc de simplification, elles ressentent assurément un choc de réglementation !

Or il est tout à fait possible de réussir : nos voisins d’Europe du Nord, eux, ont misé durablement sur l’amélioration de leur réglementation. L’Union européenne elle-même s’est engagée dans une telle démarche : sous l’impulsion du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le flux de textes nouveaux a objectivement ralenti.

Que conclure de nos déplacements en Europe ? Là où elle fonctionne, la simplification est un objectif politique, généralement transpartisan, qui mobilise l’ensemble du Gouvernement. L’évaluation préalable des coûts y est perçue comme un moyen de rendre efficace la décision politique, pas de s’y substituer. La simplification obéit à une méthodologie rigoureuse et repose sur des objectifs et le suivi d’indicateurs. Surtout, des résultats chiffrés et vérifiés sont obtenus. L’Allemagne a ainsi allégé le coût de la bureaucratie pour ses entreprises de 14 milliards d’euros entre 2006 et 2011. Enfin, la réduction du stock de règles s’articule souvent avec une régulation du flux de normes, grâce à une règle de compensation entre création et suppression de normes.

Dans tous ces pays, un organe indépendant contrôle la qualité des études d’impact, sur lesquelles repose le pilotage de la simplification pour les entreprises. Chacun de ces organes est doté d’un collège de quelques membres experts issus du monde économique, sans mandat politique ni fonction administrative. Il rend un avis qui est publié en même temps que le texte du projet de loi ou de règlement envisagé.

La majorité sénatoriale s’est également saisie du sujet et a présenté de nombreuses propositions. Des mesures d’ordre général, comme le one-in, two-out ou la fin de la surtransposition des normes européennes.

Nous avons également fait adopter au Sénat des mesures attendues par les entreprises, malheureusement balayées d’un revers de main par le Gouvernement : la mise en place d’une date fixe annuelle pour l’application des nouvelles obligations pesant sur les entreprises, la diminution des délais de paiement à trente jours fin de mois ou encore la transformation du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en allégement de charges.

Sur le volet du droit du travail, la majorité sénatoriale a également été une force de propositions ; Jean-Baptiste Lemoyne y reviendra certainement.

Je laisse maintenant le soin à Olivier Cadic de présenter la suite du rapport de la délégation : il analysera la situation française, au regard des enseignements que nous avons pu tirer de nos observations à l’étranger, et vous présentera les propositions de la délégation aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le corapporteur, dont l’intervention sera, à sa demande, accompagnée d’une présentation PowerPoint sur les écrans de l’hémicycle.

M. Olivier Cadic, corapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la simplification en France, c’est comme la Pénélope d’Homère : elle travaille beaucoup, mais elle ne produit pas de résultat. (Sourires.) Tel Ulysse, notre délégation propose une odyssée en quatre étapes pour simplifier la vie des entreprises et augmenter notre efficacité.

À l’étranger, la simplification est un processus méthodique. Chez nous, elle tient plutôt du mirage politique. C’est le fameux « choc de simplification », qui a eu trois visages en trois ans.

Si la démarche a le mérite de se vouloir pragmatique en cherchant à montrer des résultats immédiats et si elle est servie par des acteurs dynamiques, elle prend la simplification par le petit bout de la lorgnette.

La simplification, c’est un instrument de compétitivité qui doit s’imposer aux politiques sectorielles. Or les ministères continuent à élaborer des normes indépendamment les uns des autres, et à en rajouter par rapport aux règles européennes sans se soucier de l’impact économique global. Bref, les acteurs de la simplification s’épuisent en vidant la mer avec une cuillère.

Depuis la loi organique de 2009, une étude d’impact doit être présentée, de même que pour tout nouveau texte réglementaire pour vérifier l’opportunité d’une nouvelle législation. Le principe semble acquis, mais les ordonnances, les propositions de loi et les amendements y échappent encore.

Surtout, l’exercice reste trop formel pour être utile : ces études d’impact sont de qualité inégale et sont souvent réalisées au dernier moment. Le Parlement ne s’en est donc pas emparé. Et le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel, le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d’État n’a pas permis d’en améliorer la qualité, si bien que notre pays continue à légiférer pour un oui, pour un non, avec entrain, ce qui rend fous les entrepreneurs !

Quant à l’évaluation rétrospective des lois, elle est loin d’être systématique. Même si tout n’est évidemment pas chiffrable, il n’y a que la comparaison dans le temps et dans l’espace qui permette de mesurer l’écart produit par une réglementation publique.

Dans ce contexte, annoncer la suppression d’une norme pour toute norme nouvelle, la fin des surtranspositions de textes européens et la généralisation des tests PME sans appliquer ces mesures ne peut que créer de la désillusion.

Pour s’attaquer à la simplification, la France traite le symptôme plutôt que le mal.

Nous devons assumer notre responsabilité collective et nous interroger sur nos méthodes, sans quoi le fardeau administratif des entreprises ne pourra pas être allégé.

Nous proposons donc quatre étapes dans l’odyssée qui nous mènera à bon port.

La première consiste à penser la simplification comme un processus qualité. Quelle entreprise peut fonctionner sans service qualité ? Ce n’est pas un hasard si certaines entreprises réussissent alors que d’autres disparaissent.

Nous devons créer ce service qualité pour la règle de droit. Sous la houlette du Premier ministre, un réseau dédié au sein du Gouvernement mobilisera tous les ministères sur cette question : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Sa première mission sera de chiffrer la charge administrative supportée par les entreprises : il s’agit de savoir où nous en sommes et de pouvoir nous comparer avec nos voisins. On nous oppose que ce chiffrage coûterait 3 millions d’euros. Qu’est-ce par rapport aux gains substantiels que nous pouvons attendre de cette méthode qui a fait ses preuves chez nos voisins ?

Nous pourrons ensuite arrêter des objectifs de réduction nette de la charge bureaucratique – comme l’a fait l’Allemagne, à hauteur de 25 % en quatre ans –, des indicateurs et des règles pour y parvenir.

L’établissement d’un plan de réformes globales, au début de chaque mandat, évitera que les dispositions juridiques applicables aux entreprises soient modifiées plus d’une fois par législature. Leur impact sera étudié en amont, leurs objectifs seront chiffrés et les indicateurs à suivre définis : l’étude d’impact deviendra ainsi l’outil principal de qualité de la norme.

Une clause de révision devra aussi être insérée dans chaque loi pour évaluer son efficacité dans les cinq ans suivant son adoption. Ainsi, l’élaboration des lois obéira à un processus d’amélioration continue. La roue de Deming décrit ce cercle vertueux : préparer, exécuter, contrôler, ajuster.

La deuxième étape consiste à alléger le stock normatif. Nous avons deux siècles de lois derrière nous : pour commencer, il faut élaguer le stock de normes et l’alléger des règles devenues obsolètes avant d’en créer de nouvelles.

La collaboration déjà engagée entre entreprises et administration doit se poursuivre : il faut réévaluer la nécessité des règles et procédures qui compliquent la vie des entreprises.

L’objectif est de parvenir à des simplifications substantielles.

Ce travail doit mieux être articulé avec l’échelon européen, à la fois avec Bruxelles et avec les autres États européens. Nous devons comparer la performance de notre réglementation avec celle d’États voisins qui partagent des exigences comparables aux nôtres, en termes de santé publique, de protection du consommateur et de sécurité industrielle.

Les salariés français sont-ils en meilleure santé que leurs voisins grâce à l’existence d’une médecine du travail ? Nos raffineries pétrolières sont-elles plus sûres grâce à une législation plus stricte ? Non : les raffineries françaises concourent pour 26 % des accidents en Europe alors qu’elles ne représentent que 10 % des sites. L’efficacité des règles juridiques doit s’apprécier à l’aune de résultats concrets.

La troisième étape consiste à concevoir la régulation au service des entreprises. Pourquoi faire porter la responsabilité à un fonctionnaire de déterminer ce qui est autorisé ou pas ? Passons d’un système où tout est interdit sauf ce qui est autorisé à un système où tout est autorisé sauf ce qui est interdit. Ainsi nous libérerons non seulement les entreprises, mais aussi l’administration.

La régulation doit se faire par objectif et non par moyen. Plus libre, l’entreprise sera plus responsable.

Il convient aussi de porter à l’échelon européen nos exigences nationales. La transposition de directive doit se faire de manière stricte. Si, ensuite, nous voulons poser des exigences supplémentaires, cela doit faire l’objet d’un texte distinct, dont l’impact devra être évalué.

Enfin, notre pays doit cesser d’anticiper sur les règles européennes à venir.

La quatrième étape consiste à mieux légiférer. Le Parlement est comme une usine à produire des lois. Seul un processus qualité pour leur élaboration peut garantir leur efficacité et leur simplicité.

En amont, il faut associer les entreprises à l’élaboration des lois : acceptons de prendre ce temps-là, car il est déterminant pour améliorer non seulement la qualité, mais aussi la légitimité, et donc l’effectivité de la loi.

La réalisation d’un test PME sur les projets de textes qui leur sont applicables doit devenir obligatoire. Faciliter les expérimentations en amont est aussi un moyen de mieux calibrer les règles avant leur adoption.

Nous devons également miser sur l’étude d’impact préalable, qui doit être approfondie, et poser d’abord la question de l’utilité d’une nouvelle règle. L’étude d’impact devrait être rendue également obligatoire pour les projets d’ordonnances et les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour.

Surtout, sa qualité doit être contrôlée par le Conseil de la simplification pour les entreprises, dont nous proposons de transformer les missions et la composition pour en assurer l’indépendance. Le Conseil rendrait un avis consultatif, mais public sur l’étude d’impact, afin de créer du débat public et de l’émulation entre ministères.

Enfin, au Parlement, la procédure d’examen des textes pourrait être améliorée. Nous suggérons un débat d’orientation préalable avant d’attaquer l’examen d’un projet de loi concernant les entreprises. Nous proposons de réfléchir à de nouveaux outils pour endiguer le gonflement des textes au cours de la navette. Nous voulons qu'un nouveau regard soit porté sur l’activité des parlementaires, un regard qui ne se réduise pas à mesurer combien de textes ou d’amendements ils déposent. Nous demandons une mise à jour de l’étude d’impact après la première lecture. Enfin, nous voulons développer une culture d’évaluation préalable au Parlement.

Le contrôle de l’efficacité des lois adoptées doit également être renforcé. Leur déclinaison réglementaire doit mieux respecter la volonté du législateur.

Voici l’essentiel de nos propositions pour simplifier efficacement et libérer nos entreprises. Il s’agit de revoir en profondeur nos façons de faire, au bénéfice de la compétitivité de nos entreprises. « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein.

La délégation aux entreprises vous propose tout simplement de changer de manière de faire de la politique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 28 mars 2013, le Président de la République lançait le programme dit du « choc de simplification », censé rendre plus lisibles et plus rapides les normes et les procédures administratives pour les citoyens et les entreprises.

Un premier projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives fut voté le 20 décembre 2014.

Le sujet n’est pas mineur pour notre pays. Un Français sur quatre estime ses relations avec l’administration complexes. Pis, selon le Global Competitiveness Report, le classement international de la France en termes de fardeau administratif s’est dégradé au fil des années pour atteindre la 121e place en 2015.

Du point de vue des entreprises, les contraintes administratives sont une réalité bien connue. Démarches longues, procédures complexes, multiplicité des interlocuteurs, renseignements inadaptés à des situations particulières, manque de réactivité des services sont des phénomènes qui pèsent particulièrement sur nos PME et nos TPE.

Pourtant une simplification de 25 % des charges ferait économiser 15 milliards d’euros aux entreprises, dégagerait des gains de productivité et, in fine, contribuerait à soutenir la croissance et à libérer l’emploi.

Les Français ne demandent qu’à entreprendre librement et à prendre des initiatives, comme l’a montré le succès du statut d’auto-entrepreneur, mais ils ne pourront le faire que dans un cadre administratif favorable susceptible de comprendre et de répondre à leurs attentes.

La loi du 20 décembre 2014 a mis en place un certain nombre de mesures allant dans le bon sens, mais largement insuffisantes. Elles sont mises en place pour la première fois par un secrétariat d’État dédié explicitement à la simplification depuis juin 2014.

Ont été ainsi votées, entre autres mesures, la réduction du nombre de commissions locales compétentes en matière d’aménagement du territoire et de services au public, la suppression ou la simplification des régimes d’autorisation préalable et de déclaration pesant sur les entreprises ; la simplification du code du commerce ; la transposition de deux directives sur les marchés publics ; la suppression d’obligation de déclaration pour la participation au développement de la formation professionnelle.

Au regard de l’immensité de la tâche de simplification à accomplir, au niveau tant local que national, cette loi paraît bien timide. Il faut d’ailleurs noter qu’en février 2016 seulement 56 % des mesures à destination des entreprises étaient effectives.

Lors du déplacement de la délégation sénatoriale aux entreprises, dont je suis membre, dans mon département des Hautes-Alpes le 30 juin 2016, avec sa présidente Élisabeth Lamure et nos trois collègues Michel Canevet, Guy-Dominique Kennel et Michel Vaspart, la rencontre avec les entreprises et les acteurs de terrain avait permis de mesurer que la complexité et, surtout, l’instabilité normative sont des griefs récurrents faits à l’État. Nous avons fait le même constat lors de chacun de nos déplacements.

Un an et demi après le vote de la loi, l’édiction permanente de nouvelles normes, notamment sur l’accessibilité, l’environnement ou les enseignes, réduit les marges et empêche la création d’emplois. Un dirigeant d’une PME locale ironisait également sur le fait qu’il aurait besoin d’un équivalent temps plein administratif uniquement pour s’adapter aux mises à jour normatives de notre législation !

Il apparaît enfin que l’inadéquation de notre réglementation à la réalité des PME reste un problème majeur. Le cadre réglementaire de l’accès aux marchés publics s’avère particulièrement difficile à appréhender. Les règles de rédaction écartent de fait nombre de PME par manque de compétences. La réglementation est bien souvent inadaptée au caractère saisonnier de l’économie locale. On pourrait évoquer aussi le manque d’interlocuteurs fiables capables d’aider des entreprises, qui ont le sentiment d’être livrées à elles-mêmes dans les abysses administratifs.

Si le « choc de simplification » a certes permis quelques avancées, elles sont systématiquement remises en cause par les législations et des contraintes supplémentaires. Dans les Hautes-Alpes comme dans les autres départements, le compte pénibilité et le futur prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu sont des sources d’inquiétudes pour nos entrepreneurs, car ces mesures sont non seulement difficiles à mettre en place, mais aussi très coûteuses.

Et ce ne sont pas seulement les entrepreneurs qui sont victimes de ce trop-plein normatif ! Ce sont d’abord les employés, dont les salaires pourraient augmenter si leurs entreprises ne subissaient pas un tel fardeau.

On assiste en réalité au mouvement suivant : un pas de simplification en avant, deux pas de complexité en arrière.

Le principal problème en France reste le volume de la législation, auquel le Gouvernement n’a jamais osé s’attaquer : 400 000 normes, 10 500 lois, 127 000 décrets… Et les parlementaires que nous sommes n’y sont pas étrangers ! Ces textes sont-ils tous nécessaires ?

Au Royaume-Uni ou en Italie, par exemple, l’édiction d’une nouvelle norme doit obligatoirement passer par la suppression d’une autre. La France devrait s’inspirer de ce système. Chaque loi votée devrait comporter un volet « simplification ». La fin de la surtransposition du droit communautaire, déjà prolifique en matière normative, relève également du bon sens.

Le numérique permet une rapidité d’exécution et une réduction des coûts impossibles auparavant. Par exemple, pourrait être mise en place une déclaration fiscale unique et dématérialisée regroupant les impôts, la TVA, la formation continue, les déclarations de cotisation sur la valeur ajoutée et de cotisation foncière des entreprises, ainsi que la déclaration sur les dividendes et intérêts.

En matière de droit du travail aussi la simplification tarde à aboutir. Permettre le référendum d’entreprise, instaurer une instance représentative unique fusionnant les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les comités d’entreprise et les délégués du personnel, faire en sorte que les accords collectifs s’imposent effectivement au contrat de travail, instaurer la présomption de licéité de l’accord collectif sont autant de mesures qui simplifieraient réellement les relations des entreprises avec les administrations et libéreraient les énergies.

L’administration, quant à elle, doit se recentrer sur les rescrits en matière de droit du travail pour une meilleure adaptation aux réalités de terrain.

Pour toutes ces raisons, il est indispensable pour l’économie française que nous allions beaucoup plus loin dans la simplification afin que le « choc de simplification » ne reste pas une formule politique ou le nom d’un ministère, mais une réalité pour les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Ladislas Poniatowski. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la simplification de la vie des entreprises est une question récurrente de cette législature.

Déclinée au gré des débats – simplification des normes agricoles, simplification administrative, création du Conseil d’évaluation des normes –, la simplification comme une incantation résoudrait à elle seule tous les maux dont souffre notre économie. Le débat de ce matin n’échappe pas à cette règle, puisqu’il faudrait, selon ses initiateurs, alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer la compétitivité de celles-ci, et même leur vie.

Pourtant, malgré l’affichage, la prolifération normative n’a pas cessé de s’accentuer, comme M. Cadic l’a souligné : accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, loi Macron, loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, loi Travail, loi Sapin – encore cette liste n’est-elle pas exhaustive. Pour faire moins de normes, faisons plus de normes, en somme !

Or cette inflation normative, bien réelle, n’est pas due qu’au zèle des administrations de l’État. Cette vision caricaturale minimise l’impératif constitutionnel de clarté du droit. Il n’y a pas de volonté perverse de quelques administrateurs, mais l’exigence de produire la norme la meilleure au service de la sécurité juridique, voire, parfois, de corriger des erreurs du Parlement.

De plus, si la norme peut être contraignante à l’égard de certains, il faut rappeler que, à plus long terme, elle en protège d’autres : c’est le cas au premier chef du droit du travail, mais aussi des procédures administratives.

Pour autant, nous ne nions pas les difficultés rencontrées quotidiennement par nos entreprises. Seulement, cette exacerbation est en grande partie liée à l’insuffisance des moyens mis au service des PME et des TPE, au retrait de l’État et, il ne faudrait pas l’oublier, à la diminution du nombre de fonctionnaires.

De fait, les restructurations des services administratifs s’intensifient, dans le sillage des orientations de la révision générale des politiques publiques : réduction de personnel, mutualisations de fonctions, privatisations larvées de services publics. Or ces évolutions, que nous constatons sur nos territoires, sont autant de moyens directs ou indirects en moins pour accompagner les entreprises.

Elles expliquent aussi les nombreuses dérogations au nouveau principe du droit administratif selon lequel le silence gardé par l’administration vaut consentement, alors qu’il valait traditionnellement rejet. En effet, la suppression de nombreux services ne permet pas une prise de décision administrative dans les deux mois. On peut le regretter, mais ce sont bien les politiques d’austérité qui ne permettent pas d’évolutions significatives en la matière.

C’est pourquoi nous craignons que, derrière le leitmotiv de la simplification, ne se cache en réalité une volonté pure et simple de déréglementation, de dérégulation, bref de « moins d’État » ; M. Cadic ne s’en est d’ailleurs pas caché.

Au demeurant, on peut lire dans un rapport d’information de la commission des lois, intitulé Le droit des entreprises : enjeux d’attractivité internationale, enjeux de souveraineté, que « la situation des entreprises françaises n’est pas préoccupante du point de vue du droit qui leur est applicable ». Ainsi, selon un sondage réalisé par KPMG en octobre dernier, seuls 16 % des chefs d’entreprise pensent qu’une simplification du code du travail contribuerait au développement de l’activité de leur entreprise, et ils sont seulement 8 % à penser que la simplification des procédures administratives pourrait retentir sur leur activité.

En revanche, l’inquiétude face à l’accès au crédit reste très vivace chez les entrepreneurs. Ainsi, pour de nombreuses PME, les solutions de financement proposées par les banques demeurent insatisfaisantes. Il est nécessaire, par exemple, que les conditions des crédits à court terme soient plus abordables, avec des frais bancaires allégés.

C’est pourquoi nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, pensons que, a minima, une concertation avec l’ensemble du secteur bancaire devrait être organisée, territoire par territoire, pour dresser un état des lieux, repérer les dysfonctionnements et tenter de les surmonter. Cela ne serait cependant qu’un minimum, car il faudrait en réalité une véritable réforme du système bancaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, ainsi que des critères de crédit aux entreprises, lequel devrait être réorienté vers l’investissement utile, avec des taux d’intérêt d’autant plus bas que le crédit serait destiné à l’emploi, aux salaires et à la formation.

Il faudrait aussi encadrer véritablement la sous-traitance, comme en Allemagne, et étendre la responsabilité des entreprises donneuses d’ordres.

De même, il est indispensable de mieux contrôler les circuits d’aide publique. En effet, les grandes sociétés, dont le chiffre d’affaires réalisé hors de France est de plus en plus important, canalisent une grande part des milliards d’euros d’aides publiques, sans pour autant créer de l’emploi ou assurer un rapport de sous-traitance fiable et équitable.

Enfin, il faut renforcer le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Une des raisons des difficultés que rencontrent de nombreuses PME est la faiblesse de la demande intérieure : chômage, précarité, bas salaires, tous ces phénomènes minent la demande salariale, tandis que les politiques d’austérité budgétaire dépriment la demande publique.

Bref, vous l’aurez compris, si nous souscrivons à certains éléments de l’état des lieux dressé par Mme Lamure, comme la complexification du droit, la multiplication de textes législatifs sans réelle cohérence et la pratique contestable des ordonnances, nous n’approuvons pas toutes les propositions de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Si la coproduction législative avec les entreprises peut être une piste, il ne faut pas oublier que l’État est le garant de l’intérêt général et de l’indépendance à l’égard du lobbying de certains grands groupes, qui est une réalité non contrôlée.

Le nombre de normes risque de continuer à croître, comme l’a souligné le Conseil d’État : « la multiplication des sources externes, le droit européen en particulier, en même temps que l’apparition de nouveaux domaines » sont naturellement des facteurs de la complexité croissante du droit. En réalité, le libéralisme économique entraîne une inflation de pans entiers du droit, par exemple dans les domaines de la bourse et de la concurrence, ou encore de l’énergie.

On le voit, ce débat n’est pas neutre politiquement. Il aura été utile, tout au moins si nous en tirons cette conséquence que l’évaluation qualitative doit l’emporter dans tous les cas sur une évaluation trop souvent faussement comptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)