M. le président. Nous passons à la discussion du projet de loi, dans le texte de la commission.
projet de loi pour la régulation de la vie publique
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PEINE D’INÉLIGIBILITÉ EN CAS DE CRIMES OU DE MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 107 est présenté par MM. Cabanel, Montaugé, Sueur, Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 197 rectifié bis est présenté par M. Labbé et Mme Archimbaud.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 44, il est inséré un article L. 44-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 44-1. – Ne peuvent faire acte de candidature les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions suivantes :
« 1° Les crimes ;
« 2° Les délits prévus aux articles 222-27 à 222-31, 222-33 et 225-5 à 225-7 du code pénal ;
« 3° Les délits traduisant un manquement au devoir de probité prévus à la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV du même code ;
« 4° Les délits traduisant une atteinte à la confiance publique prévus aux articles 441-2 à 441-6 dudit code ;
« 5° Les délits de corruption et de trafic d’influence prévus aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;
« 6° Les délits de recel, prévus aux articles 321-1 et 321-2 dudit code, ou de blanchiment, prévus aux articles 324-1 et 324-2 du même code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;
« 7° Les délits prévus aux articles L. 86 à L. 88-1, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 109, L. 111, L. 113 et L. 116 du présent code ;
« 8° Le délit prévu à l’article 1741 du code général des impôts.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » ;
2° Le 3° de l’article L. 340 est ainsi rétabli :
« 3° Les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions mentionnées à l’article L. 44-1. » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 388, les mots : « loi n° 2017-286 du 6 mars 2017 tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats » sont remplacés par les mots : « loi n° … de … pour la régulation de la vie publique » ;
4° Au dernier alinéa de l’article L. 558-11, après la référence : « L. 203 », sont insérés les mots : « ainsi que le 3° ».
II. – Le a du 3° du I de l’article 15 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales est ainsi rédigé :
« a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« “I. – Le titre Ier du livre Ier du présent code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, à l’exception des articles L. 15, L. 15-1, L. 46-1 et L. 66, est applicable à l’élection :” ; ».
III. – Les I et II du présent article s’appliquent :
1° S’agissant des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers de Paris, à compter du premier renouvellement général des conseils municipaux suivant la promulgation de la présente loi ;
2° S’agissant des conseillers départementaux, à compter du premier renouvellement général des conseils départementaux suivant sa promulgation de la présente loi ;
3° S’agissant des conseillers régionaux, des conseillers à l’Assemblée de Corse, des conseillers à l’assemblée de Guyane et des conseillers à l’assemblée de Martinique, à compter du premier renouvellement général des conseils régionaux suivant la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l'amendement n° 107.
M. Henri Cabanel. On ne peut pas dire que l’on veut rétablir la confiance des citoyens envers l’action publique si l’on ne montre pas à ces derniers que nous voulons réellement nous ancrer dans l’exemplarité et que nous souhaitons une équité entre les élus et eux-mêmes.
La bonne intention, c’est bien, mais les Français attendent des actes ! L’obligation faite aux candidats d’avoir un casier vierge pour ce qui concerne la probité et les atteintes physiques est une attente forte des citoyens, relayée par de nombreuses associations.
Aussi, l’amendement que nous présentons a pour objet de répondre à la double nécessité d’exemplarité et d’équité. Nous en avons déjà largement débattu dans cet hémicycle dans le cadre de l’examen de la loi Sapin II. Je rappelle d’ailleurs que cela figurait dans le programme du candidat Emmanuel Macron.
Ces sujets troublent le débat politique, ainsi que l’action de milliers d’élus qui travaillent pour l’intérêt général avec abnégation et qui sont pourtant amalgamés avec les affaires d’une poignée d’autres. Nous ne pouvons nous exonérer de ces prises de position à l’heure où nous débattons d’un projet de loi dont l’objet est de rétablir la confiance.
En effet, plus de 300 professions exigent un casier vierge pour toute candidature, alors que, aujourd'hui, un candidat à une élection peut s’en exonérer. Comment faire comprendre cela à des Français qui, dans leur grande majorité, pensent que cette obligation existe déjà ?
Lors du dépôt au Sénat des deux propositions de loi visant à instaurer une obligation de casier vierge, lesquelles ont également été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale par Fanny Dombre Coste, l’anticonstitutionnalité du dispositif a été évoquée. Pourtant, le texte a été adopté par l'Assemblée nationale, et de nombreux experts affirment sa constitutionnalité. Je vous demande donc de penser à l’image que nous donnons de nos hémicycles, à la volonté et à la sincérité que nous nous devons de porter, à la nécessité de prouver nos changements de pratique.
Aujourd'hui, ne nous enfermons pas dans les combats de juristes, car ceux-ci sont décalés avec la défiance des citoyens, qui ne voient dans ces querelles que l’envie des élus de ne surtout rien bousculer et ironisent sur le fait que si l’obligation de fournir un casier vierge était votée, il n’y aurait plus de candidat aux élections…
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l'amendement n° 197 rectifié bis.
M. Joël Labbé. Mes chers collègues, cela me fait bizarre d’intervenir en tant que sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe, mais c’est ainsi…
Tout d’abord, je souscris pleinement aux explications qui viennent d’être avancées par notre collègue Henri Cabanel. D’ailleurs, c’est à cause d’un problème technique que je n’ai pas cosigné son amendement.
Mon amendement vise également à rendre obligatoire la production d’un casier vierge de certaines infractions pour les candidats aux élections municipales, départementales et régionales. Il s’agit du bulletin n° 2, dont il est possible de demander l’effacement des condamnations après un certain temps, ce qui répond à la crainte d’une inéligibilité permanente, qui serait contraire aux droits de l’homme.
De plus, cet amendement est de nature à éviter soigneusement de mentionner les atteintes aux biens, ce qui permet de garantir que des militants politiques s’étant livrés à des actes de désobéissance civile puissent se présenter à des élections. Je pense en particulier aux faucheurs volontaires d’OGM, que je salue (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Michel Raison. Pas des faucheurs, des destructeurs !
M. Joël Labbé. … aux actes de résistance contre la ferme des mille vaches ou aux démonteurs des McDonald’s, qui luttent contre l’industrialisation à outrance de notre agriculture, ou encore aux actions des « faucheurs de chaises », qui luttent contre l’évasion fiscale. (M. Alain Bertrand applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 232 rectifié bis, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Bertrand et Collin, Mme Costes, M. Guérini, Mme Jouve et M. Requier, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 44, il est inséré un article L. 44-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 44-1. – Ne peuvent faire acte de candidature les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions suivantes :
« 1° Les crimes ;
« 2° Les délits prévus aux articles 222-27 à 222-31, 222-33 et 225-5 à 225-7 du code pénal ;
« 3° Les délits traduisant un manquement au devoir de probité prévus à la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV du même code ;
« 4° Les délits traduisant une atteinte à la confiance publique prévus aux articles 441-2 à 441-6 dudit code ;
« 5° Les délits de corruption et de trafic d’influence prévus aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;
« 6° Les délits de recel, prévus aux articles 321-1 et 321-2 dudit code, ou de blanchiment, prévus aux articles 324-1 et 324-2 du même code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;
« 7° Les délits prévus aux articles L. 86 à L. 88-1, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 109, L. 111, L. 113 et L. 116 du présent code ;
« 8° Le délit prévu à l’article 1741 du code général des impôts.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » ;
2° Le 3° de l’article L. 340 est ainsi rétabli :
« 3° Les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions mentionnées à l’article L. 44-1. » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 388, la référence : « loi n° 2017-286 du 6 mars 2017 tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats » est remplacée par la référence : « loi n° … du … pour la régulation de la vie publique » ;
4° Au dernier alinéa de l’article L. 558-11, après la référence : « L. 203 », sont insérés les mots : « ainsi que le 3° ».
II. – Le a du 3° du I de l’article 15 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales est ainsi rédigé :
« a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« “I. – Le titre Ier du livre Ier du présent code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, à l’exception des articles L. 15, L. 15-1, L. 46-1 et L. 66, est applicable à l’élection :” ; ».
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Ces derniers mois nous l’ont montré, la conformité aux lois de la République est l’une des premières qualités que nos concitoyens recherchent chez leurs représentants. Pour répondre à cette attente, le Gouvernement propose de rendre quasiment automatique le prononcé des peines complémentaires d’inéligibilité lorsqu’un individu est condamné pour avoir commis un crime ou certains délits.
De notre point de vue, cette solution n’est pas complètement satisfaisante, puisque, et, d’une certaine manière, à juste titre, le principe d’individualisation des peines fait obstacle à ce que la peine d’inéligibilité soit absolument automatique. Il restera donc toujours possible de passer entre les gouttes.
De plus, la solution proposée par le Gouvernement réserve la quasi-automaticité de cette peine complémentaire à une liste limitée de délits, dont on peut contester l’exhaustivité.
Enfin, même si, pour ces crimes et délits, le prononcé de l’inéligibilité deviendra la règle et non plus l’exception, il faut souligner que l’avancée attendue est moindre, puisque, à l’heure actuelle, les magistrats disposent déjà de cette possibilité.
C’est pourquoi nous proposons de revenir à la proposition adoptée en février dernier par l'Assemblée nationale, qui pose comme préalable à la candidature à une élection le fait de présenter un bulletin n° 2 de casier judiciaire vierge, ce qui ne fera pas porter au juge la difficile responsabilité de définir la vertu politique des uns et des autres.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Le paradoxe de ces amendements, c’est qu’ils paraissent plus sévères que le texte, tel qu’il a été approuvé par la commission des lois, alors que, en réalité, ils le sont moins. En effet, l’effacement d’une mention sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire peut se faire à partir d’un délai de six mois après la condamnation.
La règle risque d’être appliquée de manière très aléatoire : dans un cas, le condamné aura demandé et obtenu l’effacement dans les délais nécessaires pour présenter sa candidature ; dans l’autre, il n’aura pas pris cette précaution.
Par ailleurs, la Haute Assemblée se doit de protéger les droits fondamentaux. Or quel droit est plus fondamental que celui, pour un citoyen français, de se présenter à une élection ?
N’oublions pas que le nombre de candidats aux élections est considérable. Pour m’en tenir à l’exemple des élections municipales, tous les six ans, plus de 1,5 million de Français se présentent aux élections. Cette question que nous traitons n’est donc nullement anecdotique. Au contraire, nous discutons de la mise en œuvre d’un droit fondamental. Personnellement, j’estime qu’il est choquant de ne pas prévoir l’intervention d’un juge pour décider d’une inéligibilité.
Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à suivre la position du Gouvernement, qui, comme Mme la garde des sceaux le soulignera certainement dans quelques instants, est plus respectueuse des droits fondamentaux et assure l’égalité entre les personnes condamnées ; elle est en outre plus sévère que l’option proposée par les auteurs des amendements, puisque certains délits et les crimes mettant en cause la probité d’un candidat dans l’usage des deniers publics entraîneront une condamnation à dix ans d’inéligibilité, que le juge ne pourra écarter qu’en motivant sa décision, dans la mesure où, ce faisant, il dérogera à la règle que le législateur aura fixée.
Une règle plus sévère, égale pour tous et qui ne s’appliquera pas rétroactivement sans l’intervention d’un juge : compte tenu de ces avantages du dispositif dans sa version actuelle, j’invite nos collègues à retirer leurs amendements, auxquels je serais fermement défavorable s’ils étaient maintenus.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement souscrit, bien entendu, à l’objectif de renforcement de la probité des candidats aux élections politiques. Seulement, il a écarté au moment de l’élaboration du projet de loi l’idée d’interdire à des personnes ayant été définitivement condamnées de faire acte de candidature à une élection, qui lui a paru soulever un risque constitutionnel, d’ailleurs signalé par le Conseil d’État dans son avis.
En effet, il existe un doute sur la constitutionnalité d’une mesure susceptible d’être analysée comme une peine automatique, portant atteinte, de ce fait, au principe d’individualisation des peines tel qu’il découle de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est pourquoi le Gouvernement a fait le choix d’une peine d’inéligibilité obligatoire prononcée explicitement par le juge, en fonction d’une décision spécialement motivée, et qui pourra être écartée expressément en raison des circonstances de l’espèce.
Comme la commission, le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Monsieur Cabanel, l’amendement n° 107 est-il maintenu ?
M. Henri Cabanel. Oui, monsieur le président, je le maintiens.
M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 197 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. Non, monsieur le président : je le retire au profit de l’amendement, plus complet, de M. Cabanel.
M. le président. L’amendement n° 197 rectifié bis est retiré.
Madame Laborde, l’amendement n° 232 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Puisqu’il ne plaît pas, je le retire, monsieur le président. Mais il n’en sera pas toujours ainsi !
M. le président. L’amendement n° 232 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur amendement n° 107.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous discutons d’un projet de loi qui vise à restaurer la confiance de nos concitoyens et à « moraliser » la vie politique. Or il me semble que le premier moyen de gagner la confiance de nos concitoyens est de faire ce qu’on leur a promis !
Je ne crois pas m’être trompée en entendant à plusieurs reprises le Président de la République annoncer qu’il rendrait impossible la candidature aux élections parlementaires des personnes ne disposant pas d’un casier judiciaire vierge. Et voilà que, soudain, on trouverait des raisons pour ne pas tenir cet engagement ?
Je sais bien que c’est à la mode, puisque le président de l’Assemblée nationale lui-même, après avoir annoncé qu’il soutiendrait le candidat issu des primaires, en a soutenu un autre… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour ma part, je considère que, quand on promet, on tient !
J’en viens au fond de l’affaire.
M. Alain Gournac. C’est mieux !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Premièrement, ce que nous proposons n’est pas contradictoire avec la procédure défendue par le Gouvernement, mais complémentaire de celle-ci. Deuxièmement, l’incertitude constitutionnelle, qui pourrait être un argument – j’insiste sur le conditionnel –, sera vite tirée au clair : on saura donc si le problème est technique ou de fond.
À la vérité, le seul motif d’invalidation retenu par le Conseil constitutionnel contre les dispositions figurant dans la loi Sapin II était qu’elles relevaient du domaine organique. Si donc l’amendement de mon collègue Cabanel, que pour ma part je crois tout à fait conforme à la Constitution, n’est pas adopté, vous ne pourrez pas vous dérober sur le fond – en effet, il s’agit bien d’un débat de fond – lors de l’examen du projet de loi organique !
Les deux mécanismes sont, je le répète, complémentaires, puisque les nouvelles dispositions ne s’appliqueront qu’aux délits commis après la promulgation de la loi, tandis que la procédure fondée sur le casier judiciaire vise les délits antérieurs. Or ce qu’attendent nos concitoyens, c’est justement qu’il n’y ait pas de passe-droits, de combines, pour essayer de se soustraire à l’exigence de probité ! (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. À cet argument du respect de l’engagement pris, qui est un argument très fort, madame la garde des sceaux, j’en ajouterai plusieurs autres.
Dois-je vous rappeler que le Conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision du 18 novembre 1982, que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu » ?
Or notre amendement tend à respecter aussi bien la liberté de l’électeur que l’indépendance de l’élu, dans la mesure où il ne vise que des comportements malhonnêtes ayant été prouvés et condamnés lors de procès réguliers et contradictoires.
En outre, madame la garde des sceaux, nous n’entendons aucunement instaurer une peine. L’inscription d’une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire n’est pas une peine prononcée par le juge, mais la conséquence effective et de plein droit de cette condamnation sur le fondement du code de procédure pénale. Elle n’a en aucune façon le caractère d’une peine complémentaire, et le juge n’intervient que pour déroger à la règle en ordonnant une non-inscription. Il est donc inadéquat, monsieur le rapporteur, de qualifier de « punitif » le dispositif que nous proposons.
Enfin, si ces dispositions demeurent punitives aux yeux de certains, il faut rappeler que la jurisprudence constitutionnelle, que, madame la garde des sceaux, vous ne pouvez ignorer, a évolué depuis la censure de l’article 7 du code électoral, de sorte qu’il n’existe pas d’interdiction de principe des peines obligatoires.
Dans sa jurisprudence la plus récente, que vous connaissez très bien, le Conseil constitutionnel subordonne leur conformité au principe d’individualisation des peines en se fondant sur un certain nombre de critères, que remplit la condition d’éligibilité. En conséquence, si l’inscription d’une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire est de droit, elle n’est pas automatique, le juge pouvant à tout moment ordonner son omission.
En définitive, il existe un lien manifeste entre, d’une part, l’infraction prise en compte pour apprécier l’éligibilité d’une personne et la gravité de celle-ci, et, d’autre part, l’exercice d’un mandat électif. J’espère, madame la garde des sceaux, que vous aurez été sensible à notre argumentation en faveur de l’amendement de M. Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 107.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l’article 131-26-1, il est inséré un article 131-26-2 ainsi rédigé :
« Art. 131-26-2. – Par dérogation à l’avant-dernier alinéa de l’article 131-26 et à l’article 131-26-1, le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité mentionnée au 2° de l’article 131-26 et à l’article 131-26-1 est obligatoire à l’encontre de toute personne coupable de l’une des infractions suivantes :
« - les crimes prévus par le présent code ;
« - les délits prévus aux articles 432-10 à 432-15, 433-1 et 433-2, 434-9, 434-9-1, 434-43-1, 435-1 à 435-10, et 445-1 à 445-2-1, ainsi que le blanchiment de ces délits ;
« - les délits prévus aux articles 441-2 à 441-6 ;
« - les délits prévus aux articles L. 86 à L. 88-1, L. 91 à L. 104, L. 106 à L. 109, L. 111, L. 113 et L. 116 du code électoral ;
« - les délits prévus aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou lorsqu’ils résultent de l’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, ainsi que le blanchiment de ces délits ;
« - les délits prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier ;
« - les délits prévus aux articles L. 113-1 du code électoral et 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
« - les délits prévus aux articles LO 135-1 du code électoral et 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ;
2° Le dernier alinéa des articles 432-17 et 433-22 est supprimé ;
3° À l’article 711-1, les mots : « de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique » sont remplacés par les mots : « de la loi n° … du … pour la régulation de la vie publique ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 108 rectifié, présenté par Mme Rossignol, MM. Sueur et Leconte, Mmes Blondin et Bonnefoy, M. Botrel, Mmes Cartron et Conway-Mouret, M. Duran, Mmes Féret, Génisson et Lepage, MM. Lozach, Marie et Mazuir, Mmes Meunier et D. Michel, MM. Roger et Roux, Mmes Tasca et Yonnet, M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« – les délits prévus aux articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Le présent projet de loi prévoit des peines complémentaires automatiques d’inéligibilité pour les personnes exerçant une fonction publique ayant commis des atteintes à la probité. Il retient un large bloc d’infractions, étendant ainsi ce qui avait déjà été prévu par la loi Sapin.
Toutefois, les élus ne sont pas seulement des détenteurs de l’autorité publique ; ils sont aussi des employeurs disposant de collaborateurs, voire d’un cabinet. Ils peuvent commettre des infractions et faire l’objet de condamnations pénales dans le cadre de ces relations de travail.
Nous connaissons tous le cas de ce maire, dont j’aurai la délicatesse de ne pas nommer la commune, qui, condamné pour agression sexuelle à l’égard de l’une de ses employés, a néanmoins échappé à une peine d’inéligibilité et continue tranquillement d’exercer ses fonctions, alors que sa victime, elle, est complètement détruite et ne peut plus travailler.
De là le présent amendement, qui est soutenu par l’ensemble de mon groupe et que la commission des lois a, je crois, accueilli favorablement. Il vise à étendre la peine d’inéligibilité obligatoire aux condamnations pour harcèlement sexuel ou moral.
Il s’agit, bien entendu, de la probité des élus et de leur exemplarité, mais aussi de la protection qu’il convient d’assurer à des salariés qui, dans le cadre d’un lien de subordination très particulier, de relations de travail tout à fait spécifiques, ne bénéficient pas toujours du cadre collectif et des protections garantis à d’autres salariés.