Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Économie » rassemble les programmes qui ont pour objet d’encourager l’emploi, la compétitivité, les exportations, la concurrence et la protection des consommateurs. Ils sont au nombre de quatre, dont le récent programme « Plan “France très haut débit” », qui devrait financer la couverture intégrale du territoire en internet fixe à très haut débit d’ici à 2022.
Cette mission doit être l’un des vecteurs, l’un des bras armés d’une nouvelle façon, pour l’État, d’intervenir dans l’économie. L’État français, traditionnellement « État stratège », doit en effet repenser son rôle dans une économie mondialisée. Il doit savoir associer volontarisme politique et libération des énergies. Il doit rompre avec la logique de l’« État pompier », qui réagit avec éclat aux crises ponctuelles, sans être capable de dessiner une vision industrielle de long terme. Il doit, enfin, accompagner les mutations du monde du travail, sans laisser un seul travailleur au bord du chemin, sans se résigner à la chute vertigineuse de l’emploi industriel que nous connaissons depuis quelques années.
La France sans ses usines : le titre du livre de Patrick Artus et de Marie-Paule Virard n’est pas seulement le signe d’un déclin industriel inexorable ; il met en évidence un risque pour notre cohésion sociale et notre modèle de société.
Cet effort industriel n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’État ; il est également le fait des régions, dont la compétence en matière de développement économique doit être mieux articulée avec celle des administrations centrales. Je voudrais saluer ici l’action de Xavier Bertrand à la tête de la région Hauts-de-France : ses efforts constants en faveur de la reconversion des anciens territoires industriels portent leurs fruits et constituent un modèle de pragmatisme et d’efficacité.
Sans tissu industriel robuste, il n’est pas de puissance exportatrice. Par exemple, les excédents commerciaux titanesques de l’Allemagne sont le fruit de politiques de long terme pour renforcer le Mittelstand, le puissant réseau de PME et d’ETI allemandes.
Si la France est encore le sixième exportateur mondial de biens et services, ses exportations représentant près de 30 % de son produit intérieur brut, les chiffres du commerce extérieur, depuis quelques années, ne sont pas à la hauteur des attentes. Le solde des échanges de biens a baissé de près de 30 % en quatre ans. Le déficit commercial de la France s’est creusé en septembre 2017 de 500 millions d’euros, pour atteindre 4,7 milliards d’euros, selon les chiffres des services des douanes. Sur douze mois, le déficit cumulé de la France atteint 60,8 milliards d’euros, contre 48,1 milliards d’euros en 2016, soit une aggravation abyssale et extrêmement inquiétante.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que regretter la diminution des crédits alloués au commerce extérieur. Par exemple, vous n’avez pas augmenté, madame la secrétaire d’État, les crédits affectés à la COFACE et à Business France,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Pierre Decool. … dont les programmes d’aide à l’export sont nécessaires à l’accompagnement de nos PME à l’international.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Decool. La France ne compte que 125 000 entreprises exportatrices, contre 350 000 en Allemagne. Votre projet de budget ne pas prend pas en compte ce retard criant, dont le comblement devrait être une priorité politique.
Pour terminer, je m’attarderai sur le plan France Très haut débit. Lors de la conférence des territoires du 17 juillet 2017, le Président de la République s’est engagé sur l’objectif d’une couverture du territoire en haut débit d’ici à 2020 et en très haut débit d’ici à 2022. Cela s’est traduit, dans le projet de loi de finances pour 2018, par l’allocation de 208 millions d’euros de crédits au programme 343. Nous estimons néanmoins que ce montant est insuffisant pour que les engagements du Président de la République puissent être tenus.
La couverture numérique est essentielle à la survie de nos territoires, à leur dynamisme et à leur développement. Nous souhaitons que ce budget traduise sincèrement les dépenses afférentes et que soit précisées les modalités de mise en œuvre opérationnelle du plan France Très haut débit.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, déçu par le manque d’ambition de cette mission, ne votera pas ses crédits en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, reconduit cette année encore, représente à lui seul 20,8 milliards d’euros de crédits, soit plus de 72 % du montant total de la dépense fiscale rattachée à la mission.
Encore aujourd’hui, de l’aveu même du comité de suivi du CICE, il reste difficile d’évaluer les effets réels du dispositif. Ce comité s’accorde toutefois pour estimer à 100 000 le nombre d’emplois préservés grâce à celui-ci entre 2013 et 2015. La fourchette allant de 10 000 à 200 000, cela manque tout de même de précision… Si l’on retient le chiffre de 100 000 emplois préservés, le coût de la mesure s’établit à 20 000 euros par emploi, ce qui, somme toute, est bien plus cher que les emplois aidés !
L’emploi n’est pas le seul bénéfice du CICE, heureusement ! Le CICE a permis à un certain nombre d’entreprises de reconstituer leurs marges, et parfois d’investir, ce qui est une bonne chose. Cependant, quand on y regarde de plus près, il a surtout permis à un grand nombre de grandes entreprises d’augmenter les dividendes pour leurs actionnaires, sans aucun bénéfice pour l’emploi et pour l’investissement. Je pense notamment à la grande distribution, premier secteur bénéficiaire du CICE, dont certains acteurs ont même profité de l’aubaine pour supprimer des emplois, ce qui est un comble !
Alors, mes chers collègues, plutôt que de financer le versement de dividendes, ne serait-il pas temps de recentrer le CICE sur un certain nombre d’objectifs et de secteurs dont on sait qu’il leur manque un petit coup de pouce pour pouvoir embaucher, investir, innover ? Nous espérons que cette proposition sera prise en compte dans les réflexions sur les mesures à venir.
Concernant les autres crédits de la mission, on peut souligner la pertinence, reconnue par tous, de certains mécanismes, comme le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, dont le recentrage en 2015 a permis une plus grande efficacité des dépenses, en particulier en faveur du commerce local de centre-ville ou de centre-bourg, notamment dans nos espaces ruraux. C’est pourquoi nous soutiendrons nous aussi l’amendement qui tend à porter les crédits alloués au FISAC à 30 millions d’euros.
En ce qui concerne la fibre, nous voulons croire à l’annonce faite par le Président de la République d’une couverture numérique en très haut débit de l’ensemble du territoire d’ici à 2022. Nous espérons vraiment que le Gouvernement tiendra ses engagements. Dans le Morbihan, beaucoup de doutes ont été exprimés. Il faudra que la puissance publique s’impose pour faire en sorte que les travaux soient accélérés.
Par ailleurs, l’inquiétude est grande au sein des associations de protection des consommateurs agréées. En effet, le programme 134 se voit amputé de 40 % de ses crédits, ce qui pose un certain nombre de questions, s’agissant aussi bien des subventions directes que reçoivent ces associations que des crédits alloués à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, eux aussi en diminution. On peut se demander comment, dans ces conditions, nous allons pouvoir maintenir le même niveau de protection des consommateurs. Je pense par exemple à l’application de la loi relative à la consommation et de son volet consacré à l’interdiction de l’obsolescence programmée, ou au respect des normes alimentaires en matière de résidus de pesticides.
Avant de conclure, je voudrais évoquer brièvement le projet « Industrie du futur ». En effet, nous disposons d’un vivier de start-up technologiques dans l’ensemble des domaines prometteurs que recouvre aujourd’hui l’appellation « French Tech ». Soutenir la structuration et le développement de ces filières est une nécessité, si l’on veut éviter de se retrouver dans la situation de domination écrasante des géants américains de l’internet que nous vivons actuellement. C’est pourquoi nous saluons ce projet, en insistant sur les efforts que nous devons poursuivre en matière de formation professionnelle, afin d’accompagner les évolutions du marché du travail vers les nouveaux métiers qui vont rapidement émerger dans ces domaines. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission budgétaire me fait penser à cette chanson de Barbara : « À chaque fois, à chaque fois, […] on refait le même chemin. » Chaque année, c’est la même chose, et on ne voit guère de progrès…
Le constat qui a été dressé est accablant : superposition des structures, cacophonie, doublons, inconséquences. Business France, petite lueur dans la nuit, n’est pas assez doté. Nous proposera des amendements visant à y remédier.
Madame la secrétaire d’État, je voudrais plaider pour la diplomatie parlementaire économique et la coopération décentralisée.
Nous sommes nombreux ici à bien connaître qui la Chine, qui les pays du Golfe, qui le Caucase ou l’Iran, et à avoir noué au cours des années des liens avec les secteurs économiques, à avoir créé des synergies. Nous connaissons nos territoires et ses acteurs, nous savons les mettre en relation avec des partenaires étrangers.
Le service de coopération décentralisée doit donc être au cœur des dynamiques du commerce extérieur. Il y a quelques années, notre ancien collègue Jean-Claude Peyronnet, dressant un inventaire, avait relevé que huit régions entretenaient, chacune dans la plus parfaite ignorance de l’action des autres, une coopération avec la Chine…
En matière de coopération décentralisée, je voudrais citer l’exemple de la coopération entre Lyon et Dubaï, qu’Élisabeth Lamure connaît bien pour y avoir beaucoup œuvré. Elle a permis, outre l’établissement d’une ligne aérienne directe entre Lyon et Dubaï, un développement très significatif des affaires. Cette réussite tout à fait remarquable n’est due qu’au territoire, à la chambre de commerce et aux élus.
Il y a quelques années, Mme Bricq, alors ministre du commerce extérieur, avait tenté d’étendre à l’ensemble des régions le modèle de l’agence d’attractivité de l’Alsace, qui fonctionne très bien.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Malheureusement, elle n’a pas pu mener ce projet à son terme. Il est tout de même dommage que l’on ne puisse pas dupliquer les opérations qui marchent, au lieu de toujours réinventer l’eau chaude.
Je me suis amusée à dresser un état des lieux des outils à disposition des collectivités territoriales pour les aider à asseoir leur coopération.
Parmi les autorités étatiques, on trouve la Commission nationale de la coopération décentralisée, qui a notamment pour mission de collecter les informations et de les centraliser – alors qu’il faudrait plutôt, au contraire, les diffuser ! –, le délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales, flanqué bien sûr d’une délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales, ainsi que d’une mission opérationnelle transfrontalière chargée de conduire trois missions, dans un dialogue avec les autorités nationales et européennes – je ne sais pas de quelles autorités il s’agit, mais en tout cas pour notre part nous n’avons pas de rapports avec elle : veiller aux intérêts des territoires transfrontaliers, aider les porteurs de projet, mettre en réseau les acteurs et les expériences. Son dernier rapport date de 2008 ; il serait intéressant de savoir ce qu’elle a fait ces dix dernières années !
On trouve également des instances de concertation des politiques de coopération régionale pour l’outre-mer – je laisserai à nos collègues ultramarins le soin de nous en dire plus à ce sujet –, l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France, le Conseil des communes et des régions d’Europe.
Ont bien sûr disponible été mis en place des moyens financiers, des cofinancements multiples et variés, un programme formidable appelé « NUTS », dont j’ignore s’il est très opérationnel, des programmes de coopération territoriale France-Espagne-Andorre, France-Belgique, Deux Mers, Rhin supérieur, France-Angleterre, Grande Région, Espace alpin, Espace atlantique, Espace méditerranéen, etc., ainsi qu’un fonds d’urgence humanitaire, des politiques de développement, des instruments de cohésion territoriale… Je m’arrêterai là ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Madame la secrétaire d’État, pour en finir, il faudrait que vous confiiez à des parlementaires une mission visant à dresser un état des lieux et à évaluer tous ces outils, en vue d’instaurer un guichet unique.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. En l’état de notre économie, diviser nos forces n’est absolument plus acceptable. Le dispositif actuel est d’une totale inefficacité. Le Sénat est l’endroit idéal pour organiser la coopération décentralisée : nous connaissons nos territoires, nous connaissons les acteurs, nous sommes parties à l’équipe « France ». Nous avons la France et son rayonnement en partage : il serait grand temps de mettre de l’ordre dans la maison ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le budget pour 2018 de la mission « Économie » s’inscrit dans une trajectoire qui conjugue notamment deux objectifs étroitement liés : le redressement économique et productif de la France ; la contribution à la restauration progressive des comptes publics de la nation. À cet égard, il s’inscrit dans la continuité du précédent.
Je ne reviendrai pas sur le niveau des crédits des quatre programmes, pour lesquels on constate une certaine stabilité. Mon propos sera plutôt centré sur la question de la place et du rôle de l’État dans la politique industrielle dont notre pays a besoin pour retrouver le rang et les emplois qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Sur la question majeure de la place de l’industrie dans notre production, nous partons de loin. La régression de la production industrielle au cours des décennies passées a été considérable, se traduisant par la perte de plus de 3 millions d’emplois depuis 1980.
Après avoir cru, pendant plus de trente ans, que les pays industrialisés s’acheminaient tous vers une société postindustrielle, dans laquelle les activités de services supplanteraient les activités de production, on constate aujourd’hui l’émergence d’un modèle hyperindustriel, fondé sur la convergence de la productique, du numérique et des services, les coûts très bas du transport maritime engendrant la spécialisation des productions et la reconfiguration des chaînes de valeur à l’échelle du monde.
Dans ce contexte de mondialisation, et donc de concurrence exacerbée, la question de fond est celle de la définition de la stratégie industrielle que le Gouvernement entend mener pour relever les grands défis de la compétitivité et de l’emploi.
C’est l’objet du programme 305, « Stratégie économique et fiscale », et du programme 134, « Développement des entreprises et régulations », dédié au soutien aux entreprises qui s’adaptent aux modes collaboratifs, lesquels prévalent désormais pour rester dans la course.
Sur la question de la transformation des filières, en quoi, madame la secrétaire d’État, votre action se distingue-t-elle de la politique mise en œuvre depuis la sortie du rapport Gallois, qui avait dressé le constat d’un décrochage industriel de la France ? Cette politique s’était traduite par la démarche dite de « nouvelle France industrielle », déclinée initialement sous la forme de trente-quatre plans regroupés en neuf « solutions industrielles » et un projet « Usine du futur ». Je n’oublie pas non plus l’instance de partage que permet l’alliance « industrie du futur ». Quelle appréciation portez-vous sur l’écosystème qui a été mis en place dans notre pays avec les industriels eux-mêmes ? Ces industriels nous disent, quand nous les rencontrons, qu’ils ont besoin de stabilité et de visibilité s’agissant des mesures qui leur sont appliquées. Quelle valeur ajoutée le Gouvernement entend-il apporter par rapport à ce qui existe aujourd’hui et qui produit des résultats encourageants ? Quelle place, forcément nouvelle, l’État doit-il prendre dans ce contexte ? Doit-il se limiter au développement de politiques fiscales et d’allégement des charges, comme le donne à penser le projet de budget pour 2018, ou doit-il aller plus loin ?
Personnellement, je crois qu’il faut aller plus loin dans le soutien à l’organisation industrielle du futur et à la montée en gamme de l’offre. L’État ne peut se borner à agir sur la compétitivité-coût, qui n’est qu’un aspect de la problématique de la compétitivité.
Par ailleurs, on peut se demander quelle politique de soutien l’État entend mener à l’endroit de l’économie industrielle de nos territoires, souvent ruraux, souvent structurés en pôles de compétitivité, étant donné le très faible niveau des crédits qu’il est prévu de lui consacrer dans ce projet de budget. Cette ligne budgétaire connaît même une baisse de 1 million d’euros…
Le ministre de l’économie et des finances, auditionné par notre commission, a évoqué le concept d’« État stratège ». Qu’entendez-vous concrètement par cette notion ?
À cet égard, nous avons besoin d’une clarification de la doctrine du Gouvernement en matière de participation de l’État au capital des entreprises œuvrant dans des domaines relevant de l’intérêt général et de la souveraineté nationale. L’audition récente de M. le ministre de l’économie et des finances par la commission des affaires économiques, à propos notamment d’Alstom et de STX, ne nous a pas permis de comprendre où l’État veut aller en la matière. Il ne faudrait pas que, à terme, l’État qui se veut « stratège » se transforme en spectateur ou en commentateur de décisions prises par d’autres, au détriment de notre souveraineté et de nos emplois.
À partir de 2012, l’État s’est doté d’une doctrine en matière d’actionnariat, qui vise, pour les « entreprises jouant un rôle stratégique pour l’intérêt national, […] à protéger les intérêts économiques et patrimoniaux du pays en veillant à la mise en œuvre d’une stratégie économique, industrielle et sociale exemplaire, garante de la préservation sur le territoire national des emplois et des compétences ».
Cette doctrine a été confortée par l’instauration du droit de vote double, qui permet de renforcer le rôle de l’État au sein des entreprises. Une nouvelle gouvernance des entreprises à participation publique a aussi vu le jour, permettant de doter l’État de plus grandes capacités d’influence dans les sociétés dont il détient une majorité du capital.
Aujourd’hui, la vente de 10 milliards d’euros de titres va diminuer drastiquement les actifs de l’État. Au bénéfice de qui interviendra cette cession massive de titres ? Quelle recette financière procurera-t-elle au budget de l’État, sachant qu’actuellement le rendement de ces actifs est supérieur à celui des marchés ?
Quant au fonds de soutien à l’innovation, qu’une partie de ces recettes de cession est censée alimenter, comme le souligne le rapport pour avis d’Alain Chatillon sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », il devrait financer l’innovation à hauteur de 200 millions à 300 millions d’euros. L’État dépense par ailleurs 8,5 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros hors dépenses fiscales. L’ordre de grandeur n’est pas du tout le même. On ne comprend pas quelle nécessité il y aurait de céder ces 10 milliards d’euros d’actifs.
On voit, par cet exemple, qu’il y a un grand besoin de clarification de la doctrine de l’État en matière de participation au capital, dans le cadre de la stratégie de développement économique qu’entend mettre en œuvre le Gouvernement.
D’autres points mériteraient d’être abordés, mais je conclurai en disant que, compte tenu des incertitudes qui pèsent pour l’instant sur la stratégie que le Gouvernement compte développer en matière économique, nous nous abstiendrons sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail réalisé par les différents rapporteurs des crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2018. C’est un thème auquel je suis très sensible, en tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure, sénateur du Rhône.
Si les crédits de la mission « Économie » affichent une certaine stabilité, il existe néanmoins une grande disparité selon les programmes : baisse de 7 % des autorisations d’engagement pour le plan France Très haut débit, augmentation de 17,5 % des autorisations d’engagement pour le programme 134, « Développement des entreprises et régulations ».
Au-delà des écritures comptables et du savant équilibre entre autorisations d’engagement et crédits de paiement, les crédits de la mission « Économie » représentent aussi un signal envoyé au monde de l’entreprise.
Je souhaite évoquer deux sujets qui me préoccupent, relatifs au programme « Développement des entreprises et régulations ».
Le premier tient à l’action n° 21, Développement du tourisme, qui pâtit d’une baisse de 67 % de ses autorisations d’engagement et de 56 % de ses crédits de paiement. En effet, le Gouvernement a décidé de supprimer tous les crédits d’intervention jusqu’alors affectés à cette action. Les actions en faveur du tourisme se limiteront donc, pour la mission, à des dépenses fiscales liées à l’application d’un taux réduit de TVA et aux chèques-vacances.
La mobilisation complète du Gouvernement, annoncée par le Premier ministre lors du conseil interministériel du tourisme du 26 juillet, a entériné l’absence d’un ministère dédié. C’est désormais le ministère de l’Europe et des affaires étrangères qui a la responsabilité de ce secteur, pesant 8 % de notre PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects.
La France est la première destination touristique mondiale, et nous ne pouvons que nous en féliciter, mais les actions doivent largement dépasser la promotion de la destination France à l’étranger. Élue d’un territoire de montagne, où le tourisme est un vecteur économique important, voire essentiel, je ne pense pas que rattacher le secteur du tourisme au ministère des affaires étrangères soit un bon signal. Je rappelle que le tourisme en montagne représente 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et que 30 % de la clientèle est d’origine étrangère. Nous devons mettre en œuvre des logiques économiques qui nous permettent de rendre nos territoires attractifs et nos entreprises compétitives. C’est un gisement de croissance et d’emplois non délocalisables précieux pour notre pays ; il mérite toute notre attention.
Mon second sujet de préoccupation concerne le FISAC. Alors que ce dispositif destiné à financer des opérations de création, de maintien, de modernisation, d’adaptation ou de transmission des entreprises du commerce, de l’artisanat et des services a été réformé en 2015, les crédits prévus pour 2018 sont largement insuffisants. Comment 1 million d’euros pourraient-ils permettre de préserver ou de développer le tissu d’entreprises de proximité et de répondre aux appels à projets pour conduire des opérations collectives, individuelles ou spécifiques au plan national ?
Le Sénat s’est penché sur ce sujet, en particulier nos collègues membres du groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. En effet, la France voit nombre de ses centres-villes et centres-bourgs se vider et mourir lentement. Si le phénomène est continu et unanimement constaté, il n’est pas inéluctable. Des moyens financiers appropriés doivent être consacrés à cette problématique.
En conclusion, je voterai ces crédits sous réserve que des améliorations puissent y être apportées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Vaspart. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Économie » regroupe un ensemble de dispositifs en faveur des entreprises, notamment des PME des secteurs de l’artisanat, du commerce et de l’industrie, ainsi que les crédits des administrations, autorités administratives indépendantes et opérateurs chargés de leur mise en œuvre.
Je n’insisterai pas sur les dispositifs de soutien à l’économie concernés, sur lesquels les précédents orateurs sont déjà largement intervenus. Je rejoins les propos de Mme Goulet : certains dispositifs sont redondants et peu lisibles pour les entreprises, spécialement les petites et moyennes, qui n’ont pas de services dédiés à la compréhension des méandres et subtilités parfois tatillonnes de l’administration. En ce domaine comme ailleurs, il y a un grand besoin de clarté et de simplification.
Je préfère évoquer un sujet qui me tient à cœur : la transmission d’entreprise, essentielle pour l’économie de notre pays. Au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises, créée en 2014 et excellemment présidée par Élisabeth Lamure,…
M. Dominique de Legge. C’est vrai !
M. Michel Vaspart. … je travaille avec Claude Nougein, depuis maintenant un an, à améliorer sensiblement le cadre législatif des transmissions et cessions d’entreprise, pour tout type d’entreprise et tout secteur.
C’est un réel besoin, dont j’ai pu mesurer l’importance, et même l’urgence, ce mardi au salon Transfair de la transmission d’entreprise, qui se tenait au palais Brongniart, où je suis intervenu en séance plénière. J’y ai entendu, de la part des professionnels de la transmission – avocats, notaires, experts-comptables –, un éloge de la délégation sénatoriale aux entreprises et de la qualité du travail sénatorial qui m’a réjoui et que je tenais à partager avec tous mes collègues.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi d’évoquer le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le PACTE, en cours d’élaboration à Bercy.
Je dirai d’abord un mot sur la méthode, puisque l’association des parlementaires était évoquée, au travers du recours au concept inédit et intéressant de binôme chef d’entreprise-parlementaire. Il semble que les parlementaires n’aient en réalité guère été sollicités, ou alors seulement ceux siégeant sur certaines travées. J’étais moi-même demandeur, car, voilà près d’un an maintenant, nous avons produit, dans le cadre de la délégation sénatoriale aux entreprises, un rapport contenant vingt-sept propositions d’ordre financier, fiscal, social, ou portant sur la communication, l’animation de réseaux…
Faute d’avoir été consulté pour la rédaction de ce projet de loi, j’attire l’attention sur le contenu de la proposition de loi que nous allons déposer, dont nous débattrons dans cet hémicycle pour alimenter le texte du Gouvernement.
Les besoins sont simples. Il faut mieux connaître les réalités statistiques et économiques, en dotant l’INSEE de pouvoirs complémentaires. Il faut simplifier le cadre juridique de la transmission, supprimer certaines obligations déclaratives. Il faut encore, s’agissant de transmission intrafamiliale, modifier le pacte Dutreil, instaurer un taux unique pour les droits d’enregistrement, faciliter la reprise par les salariés – mais en supprimant les articles 18 et 19 de la loi Hamon –, expérimenter certains dispositifs, notamment pour les entreprises agricoles et artisanales, redonner confiance aux chefs d’entreprise en leur administration, à commencer par Bercy. Il y a là un très gros travail à effectuer !
Nos entreprises ont besoin de reprendre confiance ; les paroles et les grandes déclarations ne suffiront pas, elles attendent des actes. Elles ont besoin d’être placées dans des conditions comparables à celles de leurs concurrentes européennes. Elles ont besoin de stabilité, de confiance envers leur administration.
J’espère vous avoir convaincue, madame la secrétaire d’État, que la transmission et la cession d’entreprise constituent un enjeu majeur pour l’économie de notre pays. Nous espérons être largement associés aux travaux en cours. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)