M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner une proposition de loi émanant du président Bruno Retailleau et de ses collègues et visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public.
Aujourd’hui, les propriétaires fonciers qui laissent libre accès à leur domaine, sans toutefois l’autoriser, peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle dans les conditions de droit commun, dans l’hypothèse où des sportifs ou des promeneurs viendraient à se blesser sur leur terrain. Leur responsabilité peut ainsi être recherchée sur le fondement de l’article 1242 du code civil, relatif au régime de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde.
Il résulte, à ce titre, d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que le gardien est celui qui en a l’usage, le contrôle et la direction au moment du fait dommageable, et que le propriétaire est présumé gardien. La seule manière alors pour ce dernier de s’exonérer totalement de sa responsabilité est de prouver un cas de force majeure, ou, à tout le moins, de s’en exonérer partiellement en démontrant que la victime a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage.
Il existe actuellement une exception à ce principe général de responsabilité civile à l’article L. 365-1 du code de l’environnement, lequel prévoit un régime dérogatoire de responsabilité civile des propriétaires ou gestionnaires de certains types d’espaces, tels que les parcs nationaux ou les réserves naturelles.
Rappelons pour mémoire qu’un article L. 160-7 alinéa 4 du code de l’urbanisme, abrogé depuis lors par une ordonnance du 23 octobre 2015, prévoyait que la responsabilité civile des propriétaires des terrains, voies et chemins grevés par les servitudes de passage des piétons sur le littoral, définies aux articles L. 160-6 et L. 160-6-1 du même code, ne pouvait être engagée au titre des dommages causés ou subis par les bénéficiaires de ces servitudes.
En tout état de cause, cet aménagement de la responsabilité des propriétaires étant limité, il est actuellement recommandé aux propriétaires de souscrire une assurance de responsabilité civile pour leur éviter de supporter les conséquences dommageables en cas de préjudice.
Poursuivant un objectif louable, celui de favoriser le développement des sports et activités de nature qui représentent un attrait touristique majeur pour de nombreuses collectivités territoriales, la proposition de loi prévoyait initialement dans un article unique d’étendre l’exception prévue à l’article L. 365-1 du code de l’environnement aux propriétaires et gestionnaires de sites naturels pour les dommages causés ou subis à l’occasion de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisir ou de sports de nature.
La commission des lois a souhaité retenir une autre rédaction et exclure la mise en cause au titre de leur responsabilité sans faute, fondée sur le premier alinéa de l’actuel article 1242 du code civil, de ces propriétaires et gestionnaires de sites naturels ouverts au public et dans lesquels s’exercent les sports de nature ou les activités de loisir, en cas de dommages subis par leurs pratiquants.
La commission a préféré l’application du régime de la responsabilité pour faute. Il a également été décidé d’introduire ce dispositif dans le code du sport.
Si le groupe La République En Marche reconnaît l’intérêt évident d’une telle proposition, nous pensons néanmoins que son insertion dans un processus plus global de réforme de l’ensemble des règles régissant la responsabilité civile, portée prochainement par Mme la garde des sceaux, aurait plus de sens.
Aussi, et parce que vous le reconnaissez vous-même monsieur le rapporteur, ce contentieux est peu abondant, en attendant le jugement en appel, voire en cassation, du cas d’espèce ayant motivé la proposition de loi, nous choisissons de réserver notre position.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, la question soulevée ce soir n’est pas nouvelle.
Le régime de responsabilité des propriétaires de sites naturels avait déjà été débattu en 1984 lors de la discussion du projet de loi relatif à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, en 2005 dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et, plus récemment en 2006, lors de l’examen du projet de loi relatif aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux.
Toutefois, cette proposition de loi a le mérite d’aborder le paradoxe entre la demande croissante d’accès à des sites naturels préservés d’un point de vue écologique et paysager, et une moindre acceptation, supposée, des risques que cela comporte.
Du fait de leur faible aménagement, voire de l’absence de tout aménagement, ces sites comportent des risques naturels qui leur sont inhérents : chutes de pierres, affaissements de terrain, circulation d’animaux sauvages, tous ces risques sont propres à la vie d’un site naturel.
Or le propriétaire ou le gestionnaire d’un site naturel ouvert au public peut être reconnu responsable, sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1, du code civil, si un dommage est causé lors de la circulation du public sur sa propriété, qu’il l’ait ou non autorisée, s’il n’a pas explicitement défendu l’accès à son terrain.
Cette responsabilité de l’article 1242, alinéa 1, du code civil est une responsabilité sans faute, dite « responsabilité objective ». Du seul fait de son caractère de gardien de la chose, le propriétaire pourra être reconnu responsable d’un dommage.
C’est sur le fondement de cet article, dans un jugement datant de 2016, que le tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré la Fédération française de la montagne et de l’escalade entièrement responsable d’un accident grave causé par la chute d’un bloc rocheux sur un site naturel d’escalade survenu en 2010 et l’a condamnée solidairement avec la compagnie d’assurance à verser aux victimes une somme de 1,2 million d’euros à titre de dommages et intérêts.
Cette jurisprudence a suscité un émoi certain dans mon département. Si elle devait être confirmée, elle porterait en germe le risque d’une interdiction d’accès à de nombreux sites naturels. C’est pourquoi il nous est proposé de préserver l’accès à ces sites naturels au travers d’une modification, un allégement du régime de responsabilité que peuvent encourir leurs propriétaires ou gestionnaires.
Si nous partageons les craintes du rapporteur, il faut noter que cette jurisprudence n’est pas stabilisée, puisqu’il s’agit d’un jugement de première instance. D’ailleurs, le 2 février 2017, dans une autre affaire où la responsabilité de l’Office national des forêts était recherchée sur le même fondement de la responsabilité sans faute, à la suite d’un accident dont fut victime un adolescent alors qu’il pratiquait le VTT sur un circuit « sauvage » dans une forêt domaniale, la cour d’appel de Versailles a, au contraire, confirmé le jugement en première instance déboutant la victime et ses parents.
Dès lors, l’examen de cette proposition de loi peut sembler prématuré, car il y a très peu de contentieux et de condamnations sur le fondement de l’article 1242. En outre, cet article n’implique pas une responsabilité automatique du propriétaire ou du gestionnaire, car le juge va se livrer à un examen approfondi des circonstances dans lesquelles s’est produit l’accident, pour décider si le propriétaire est ou non civilement responsable.
Ainsi, si elle semble extrêmement extensive, la responsabilité du fait des choses est toutefois encadrée par le juge, comme le souligne un rapport un groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur la responsabilité civile : « Les juridictions ne font pas un usage abusif de la responsabilité du fait des choses, qui reste encadrée par certains garde-fous. »
De plus, nous ne pouvons éluder la question de l’opportunité de légiférer pour infléchir un jugement de première instance, qui n’est donc pas définitif. Certes, le rapporteur précise qu’il s’agit d’anticiper de futurs problèmes. Toutefois, cela peut sembler précipité, car lorsque le législateur intervient pour remettre en cause une politique jurisprudentielle, il s’agit généralement d’une jurisprudence confirmée en cassation.
Enfin, il est très difficile d’appréhender la réaction des assureurs face à une responsabilité fondée sur la faute. À l’opposé de l’objectif, ne risque-t-on pas de voir se multiplier des mouvements de sécurisation des sites naturels pour éviter une telle responsabilité ? De même, pour reprendre les mots de chercheurs sur la question, « la notion de faute est par ailleurs évolutive dans le temps et l’espace : elle ne peut ainsi être engoncée dans un texte trop précis, sa silhouette se dessinant au gré des décisions de justice et des évolutions sociétales ».
Ainsi, de nombreuses interrogations demeurent même après le passage en commission. Toutefois, la question de la confiance des propriétaires et de l’accès aux sites naturels est une véritable problématique des zones de montagne et la crainte des propriétaires et des gestionnaires après la condamnation de la FFME en première instance est réelle et peut renforcer les difficultés déjà existantes d’accès aux sites naturels privés.
Pour ces raisons, l’amendement du Gouvernement nous paraît un bon compromis. Cependant, dans l’intérêt général, et malgré ces nombreuses interrogations, nous voterons cette proposition de loi réécrite par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je soutiens bien sûr la présente proposition de loi, déposée par mes collègues Bruno Retailleau et Michel Savin, visant à adapter le droit de responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public.
Nous n’avons effectivement pas besoin d’attendre la réforme de la responsabilité civile annoncée par le Gouvernement pour lancer la réflexion sur la responsabilité du fait des choses. Cette proposition de loi est une occasion pour le Sénat de se saisir de la question. En effet, il n’est pas normal que les propriétaires ou gestionnaires de ces terrains engagent leur responsabilité sans faute pour des faits qui ne relèvent pas de leur volonté, sachant de surcroît qu’ils n’ont pas les moyens de contrôler efficacement les accès et les activités s’y déroulant, coupables de n’avoir pas pu prévoir les aléas de la nature.
Cela peut conduire au jugement que vous connaissez et sur lequel je ne m’attarderai pas, lorsque le tribunal de grande instance de Toulouse a condamné le 14 avril 2016, la Fédération de la montagne et de l’escalade, gestionnaire d’un site naturel pour le compte d’une commune, à indemniser à hauteur d’un million d’euros la victime malheureuse d’un accident d’escalade causé par le détachement d’un bloc de pierre de la paroi sur laquelle il progressait.
Les sites naturels ouverts au public devraient pouvoir continuer de l’être sans faire peser une épée de Damoclès d’ordre juridique et financier sur la tête de ceux qui en sont les gardiens. Il faut renouer avec la vision selon laquelle, dans le monde du sport et, en particulier, du sport de nature, le devoir de protection porte sur les risques créés par autrui, non sur ceux qui sont liés aux activités auxquelles l’individu participerait volontairement.
Quand on pratique ce genre de sports ou de loisirs, on est conscient que l’environnement dans lequel on évolue est périlleux. Un simple promeneur est d’ailleurs lui aussi vigilant quand il s’aventure sur ces sites naturels. Si vous choisissez de marcher en forêt, vous savez pertinemment que vous devrez regarder où vous mettez les pieds. Comme le rappelait en commission, notre collègue Jérôme Durain, même Reinhold Messner, premier alpiniste à avoir gravi les quatorze sommets culminant à plus de 8 000 mètres d’altitude, disait que « la montagne n’est ni juste ni injuste, elle est dangereuse ».
Une dérive de la législation actuelle est la déresponsabilisation des usagers. Si dans l’esprit de tous un randonneur venait à devenir un simple consommateur de sport sur un terrain qui lui serait en quelque sorte mis à disposition, comme un tennisman pourrait se plaindre du mauvais état du cours pour lequel il paie, il ne prendrait alors plus en considération les possibles risques liés à l’environnement naturel dans lequel il se trouve, s’attendant à ce que tout soit entièrement organisé.
Ayant l’habitude d’être « surencadré » dans un terrain naturel aménagé dans lequel il se comporte comme un consommateur, il peut être tenté de manière tout à fait inconsciente d’avoir la même attitude en s’aventurant dans les espaces naturels non aménagés. Combien de skieurs se mettent-ils en danger chaque année en hors-piste ?
Par conséquent, la lourde responsabilité sans faute des propriétaires et gestionnaires les incite à entreprendre un aménagement excessif visant à sécuriser les sites et ayant pour conséquence une dénaturation regrettable de ceux qui sont censés rester des espaces naturels. Il y va de l’avenir de nos beaux paysages français. Nul besoin d’aller loin de Paris, imaginez-vous la forêt de Fontainebleau défigurée par une série de filets, de barrières, de rambardes et de signalisations de couleur en tous genres…
D’autres, au contraire, préfèrent tout simplement fermer l’accès de ces sites au public, freinant ainsi le développement des sports de nature et des activités de loisirs en plein air en évolution perpétuelle, alors que notre immense patrimoine naturel nous offre tant de possibilités.
Mes chers collègues, connectez-vous au site internet de l’office de tourisme du département dont je suis élue, l’Eure ; vous y découvrirez un magnifique département, et vous constaterez que, parmi les premières choses que l’on vous propose, figurent ces sports de nature et ces activités en plein air, heureusement encore nombreuses.
Ces activités constituent un atout touristique majeur, comme dans beaucoup de collectivités territoriales. Le temps libre s’accroît, les techniques et le matériel progressent, les connaissances se diffusent et, par conséquent, le niveau de pratique augmente. Il est de notre devoir de protéger ces sites encore ouverts au public, ainsi que leurs propriétaires, leurs gestionnaires, les activités de sports et de loisirs qui y sont proposées, les emplois qui y sont associés et la dynamique touristique qui y est liée. C’est pourquoi il semble nécessaire d’apporter au plus vite une solution à la faiblesse du dispositif légal actuel.
Je voterai donc en faveur de la présente proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le premier alinéa de l’article L. 365-1 du code de l’environnement, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisirs ou de sports de nature, qu’en raison de leurs actes fautifs.
« La responsabilité administrative des propriétaires de terrains, de la commune, de l’État ou de l’organe de gestion d’un espace naturel, à l’occasion d’accidents survenus dans le cœur d’un parc national, dans une réserve naturelle nationale ou régionale, sur un domaine relevant du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, sur les espaces naturels sensibles des départements, sur tout autre espace de nature ou sur les voies et chemins mentionnés à l’article L. 361-1, à l’occasion de la circulation des piétons ou de la pratique d’activités de loisirs, est appréciée au regard des risques inhérents à la circulation dans ces espaces naturels ayant fait l’objet d’aménagements limités afin de garantir la conservation des milieux et, compte tenu des mesures d’information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d’assurer la sécurité publique.
« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires des espaces naturels ouverts au public ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisirs ou de sports de nature, qu’en raison de leurs actes fautifs. »
La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Cet amendement tend à compléter la rédaction du nouvel alinéa que la proposition de loi insérait, dans sa version initiale, à l’article L. 365-1 du code de l’environnement. Il vise à réintroduire cette disposition dans ledit code, tout en répondant aux inquiétudes exprimées par le rapporteur, lors de la réunion de la commission des lois, quant au caractère trop vague de la rédaction initiale.
Cette nouvelle rédaction permettrait de concilier, au sein de la proposition de loi, avec le même objectif, une modification du code de l’environnement et une modification du code des sports.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le premier alinéa de l’article L. 365-1 du code de l’environnement, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans les espaces naturels ouverts au public et sur les voies et chemins mentionnés à l’article L. 361-1, la responsabilité civile ou administrative des propriétaires, de la commune, de l’État ou de l’organe de gestion de ces sites ne saurait être engagée au titre de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisirs ou de sports de nature, qu’en raison de leurs actes fautifs.
« Le premier alinéa est également applicable aux accidents survenus dans le cœur d’un parc national, dans une réserve nationale ou régionale, un espace naturel sensible départemental, sur un domaine relevant du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ou sur les voies et chemins mentionnés à l’article L. 361-1, ou tout autre espace de nature ayant fait l’objet d’aménagements limités, afin d’y garantir la conservation de la biodiversité et des paysages, et pour lesquels des mesures d’information ont été prises, dans le cadre de la police de la circulation par les autorités chargées d’assurer la sécurité publique. »
La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Cet amendement a également pour objet de compléter la rédaction du nouvel alinéa inséré à l’article L. 365-1 du code de l’environnement. Il vise à réintroduire cette disposition, toujours en répondant, mais sous une forme différente, aux inquiétudes du rapporteur.
Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à l’amendement n° 3.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le premier alinéa de l’article L. 365-1 du code de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisirs ou de sports de nature, qu’en raison de leurs actes fautifs. »
La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Cet amendement vise à réintroduire la modification de l’article L. 365-1 du code de l’environnement.
Il s’agit de préserver l’esprit originel de la proposition de loi, notamment son caractère global, en instaurant une disposition excluant la mise en cause des propriétaires et des gestionnaires de sites naturels au titre de leur responsabilité sans faute pour des dommages causés ou subis à l’occasion de la circulation du public ou de la pratique d’activités de loisirs ou de sports de nature, tout en respectant le choix de la commission des lois d’introduire une disposition identique à l’article L. 311-1 du code des sports.
Je le disais au cours de la discussion générale, les dispositions que je propose au travers des trois amendements que je viens de présenter ne suppriment pas la rédaction actuelle de la proposition de loi. Elles complètent celle-ci.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Je veux tout d’abord rendre hommage à Jérôme Bignon, pour sa volonté de trouver une solution à une situation qui, il le rappelait tout à l’heure dans la discussion générale, est complexe.
Toutefois, je veux aussi le rassurer tout de suite en lui indiquant que, très clairement, l’objectif que ses cosignataires et lui-même visent, au travers de ces amendements, est satisfait par le texte de la commission des lois. Je vais tâcher de lui expliquer en quoi.
Le premier alinéa de l’amendement n° 3 – mes chers collègues, je vous prie de m’excuser par avance si je suis un peu long – tend à rétablir la proposition de loi dans sa version initiale. La commission n’est pas favorable au rétablissement de l’article unique de la proposition de loi, pour les raisons qui l’ont conduite à en proposer une nouvelle rédaction.
Le troisième alinéa de cet amendement vise à dupliquer cette rédaction, en remplaçant les termes « sites naturels » par les termes « espaces naturels ouverts au public ». La commission a considéré que ce troisième alinéa, dupliquant le premier, encourait les mêmes critiques, et elle n’y est donc pas favorable.
Quant au deuxième alinéa, il tend à rétablir le texte de l’actuel article L. 365-1 du code de l’environnement, mais seulement pour la responsabilité administrative.
Cette disposition invite ainsi le juge administratif à prendre en compte les particularités des espaces naturels énumérés pour apprécier la responsabilité des propriétaires et gestionnaires de ceux-ci. Elle est donc dénuée de portée normative réelle, puisqu’il ne s’agit, cher Jérôme Bignon, que d’une invitation adressée au juge. Or c’est bien le rôle du juge que d’apprécier, pour chaque contentieux, les circonstances de l’espèce ; le législateur n’a pas besoin de l’inviter à le faire…
Par ailleurs, ce troisième alinéa n’est pas adapté à la responsabilité administrative, qui obéit à des règles particulières. Initialement, cette disposition du code de l’environnement avait été créée pour atténuer la rigueur du régime de responsabilité civile du fait des choses ; puisque ce régime de responsabilité sera écarté, cette disposition n’aura plus lieu d’être.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Il en va de même pour l’amendement n° 2, qui tend à introduire dans le code de l’environnement des dispositions un peu différentes de celles qui étaient prévues par la proposition de loi dans sa version initiale. Cette fois, le dispositif de responsabilité pour faute, introduit au début de l’article L. 365-1, concernerait, de manière générale, non seulement les espaces naturels ouverts au public, mais encore une liste de sites particuliers, énumérés pour la plupart dans l’actuel article L. 365-1 du code de l’environnement.
Cette rédaction pose plusieurs difficultés. En premier lieu, les deux alinéas du dispositif proposé s’articulent mal entre eux ; ils répètent la même chose, avec des termes un peu différents, ce qui rend le dispositif peu compréhensible. Ils me semblent donc contraires aux objectifs de clarté et d’intelligibilité de la loi.
En second lieu, cette rédaction, par l’imprécision des termes utilisés, encourt les mêmes critiques que celles qui ont été formulées à l’encontre de la proposition de loi dans sa rédaction initiale.
Par ailleurs, cette rédaction va bien plus loin que l’objectif des auteurs de la proposition de loi – favoriser le développement des sports de nature et des activités de loisirs de plein air qui se déroulent dans le domaine privé des personnes publiques ou privées –, puisqu’elle pose un principe général d’exonération de responsabilité civile et administrative des propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels, hors les cas d’une faute.
J’insiste sur les mots « et administrative », car cette disposition engloberait les accidents survenus dans le domaine public des personnes publiques, qui sont actuellement soumis au droit administratif. Cela entraînerait donc un transfert, à mon sens excessif, de la charge de la responsabilité de la personne publique vers la victime, laquelle bénéficie aujourd’hui, dans ces hypothèses, de certaines présomptions, comme celle du défaut d’entretien normal de l’espace public par la personne publique.
Pour ces raisons, cher Jérôme Bignon, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; sinon, je serais amené à formuler un avis défavorable.
Enfin, l’amendement n° 1 vise simplement à rétablir le texte de la proposition de loi dans sa version initiale. Pour les raisons très juridiques que j’ai déjà évoquées, la commission a proposé une nouvelle rédaction du texte. Celle-ci porte sur le régime de responsabilité civile, sur les espaces naturels, dont la liste n’est pas donnée, ou encore sur la notion de propriétaire et de gestionnaire, qui écartait les locataires – nous avons donc préféré le terme de gardien.
Là encore, la commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Ces trois amendements ont pour objet d’exclure l’engagement de la responsabilité civile des propriétaires ou gestionnaires de sites naturels en l’absence de faute de leur part.
Je l’ai déjà indiqué, il nous paraît prématuré de modifier le régime de responsabilité applicable. En revanche, cette réflexion aura toute sa place lors de l’examen du projet de réforme globale du droit de la responsabilité civile, qui sera promu par ma collègue Nicole Belloubet.
Par ailleurs, sur le fond, les dispositions proposées excluent involontairement l’application du régime de responsabilité du fait des choses, même pour les simples promeneurs. Cela revient à opposer à ceux-ci la théorie de l’acceptation du risque, ce qui semble excessif et pourrait empêcher que les victimes soient suffisamment indemnisées.
En outre, ces amendements pourraient être source d’une complexité excessive. C’est notamment le cas des amendements nos 1 et 3, qui tendent à distinguer, selon le juge compétent, les conditions d’engagement de la responsabilité des propriétaires et des gestionnaires d’espaces naturels. Cette complexité est encore renforcée par le fait que ces nouvelles dispositions auraient vocation à coexister avec le nouvel article introduit par la présente proposition de loi dans le code du sport.
Aussi, dans ce contexte et eu égard aux changements à venir sur le droit de la responsabilité civile, je ne peux malheureusement qu’émettre un avis défavorable sur ces trois amendements.