Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en juillet 2013, j’étais intervenu dans le débat sur l’actualisation de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et je reconnaissais bien volontiers mon ignorance des réalités sociologiques, historiques et politiques de ce territoire. Depuis, je pense m’être un peu rattrapé, notamment en me rendant sur place dans le cadre d’une étude triennale sur le foncier menée par la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Je suis toujours convaincu que la spécificité du modèle calédonien depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 est sans équivalent. Ce modèle est, néanmoins, l’héritage d’une histoire complexe, marquée par de violents affrontements entre communautés autour de la question de l’accession à l’indépendance.
La signature des accords de Matignon avait mis un terme à plusieurs années de tensions ayant atteint leur paroxysme lors de la tragédie de la grotte d’Ouvéa.
Ces accords ont été suivis par celui de Nouméa et par sa traduction juridique, la loi organique du 19 mars 1999, qui prévoyait des transferts progressifs de compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie et la tenue d’une consultation de la population entre 2014 et 2018 pour décider de l’avenir institutionnel de cette collectivité.
Ce moment est aujourd’hui arrivé, mais l’une des questions essentielles de l’organisation de la consultation, qui devrait avoir lieu en novembre prochain, repose sur la composition du corps électoral qui y participera.
Il existe en Nouvelle-Calédonie trois listes électorales distinctes, selon les règles fixées par la loi organique précitée de 1999.
La première, dite liste électorale générale, regroupe les électeurs participant aux élections nationales françaises.
La deuxième, dite liste électorale spéciale, permet aux électeurs inscrits de participer à l’élection des assemblées délibérantes spécifiques de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, pour la troisième liste, à savoir la liste électorale spéciale à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté, les critères d’inscription sont plus restrictifs : les électeurs qui pourront participer au référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie doivent se trouver dans l’un des huit cas prévus à l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999.
C’est l’inscription sur cette troisième liste qui fait l’objet de difficultés. Aujourd’hui, environ 160 000 électeurs y sont inscrits, tandis qu’entre 10 000 et 22 000 personnes pourraient demander à y figurer, si elles étaient inscrites sur la liste électorale générale.
Le 2 novembre dernier, sous l’égide du Premier ministre, le XVIe comité des signataires de l’accord de Nouméa a trouvé un consensus sur les modalités d’organisation du référendum d’autodétermination.
Le présent projet de loi organique est la traduction de cet accord politique.
Il permettra d’inscrire d’office sur la liste électorale générale les électeurs qui n’y figurent pas et qui ont leur domicile réel dans une commune située en Nouvelle-Calédonie ou y habitent depuis six mois au moins, conformément au droit commun.
Il permettra également de procéder à l’inscription d’office sur la liste électorale spéciale des électeurs nés en Nouvelle-Calédonie et domiciliés de manière continue pendant trois ans, lesquels seront réputés y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux.
Par ailleurs, il prévoit que les électeurs inscrits sur les listes électorales des communes éloignées de Bélep, de l’île des Pins, de Lifou, de Maré et d’Ouvéa, mais résidant sur la Grande-Terre, pourront voter à Nouméa dans des bureaux de vote communaux délocalisés.
Enfin, il rendra possible l’ouverture d’une période de révision complémentaire de la liste électorale spéciale pour l’élection des membres du congrès et des assemblées de province, la présence sur cette liste étant également l’un des critères au titre duquel il est possible d’être inscrit sur la liste électorale spéciale.
Ce texte, qui est d’une importance capitale pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, marque l’engagement pris par ce gouvernement d’honorer sa parole et de permettre la plus large représentation à cette consultation, afin qu’elle se déroule dans des conditions sereines et transparentes et que le résultat qui en découle se révèle par conséquent incontestable.
Ce résultat, quel qu’il soit, ne devra pas opposer deux camps : celui du « oui » et celui du « non ». Il devra permettre de continuer la construction de cette communauté de destin des Calédoniens, chère aux élus de ce territoire, notamment mes collègues et amis, Pierre Frogier et Gérard Poadja.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Patrick Kanner, Jean-Pierre Sueur et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Gérard Poadja. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très ému de m’adresser à vous aujourd’hui, parce que le projet de loi organique que nous examinons me donne l’occasion de vous parler de mon histoire et, au travers d’elle, de l’histoire du pays.
Vous me connaissez sous le nom de Gérard Poadja. Mon nom en païci – l’une des vingt-huit langues kanakes de la Nouvelle-Calédonie – est Pounou ; c’était le nom du frère de mon père. Mon père est Auguste Poadja, grand chef du district de Poindah.
Tous deux ont été engagés volontaires (Marque d’approbation de M. Jean-Claude Requier.) au sein du Bataillon du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle pas moins de 2 000 Calédoniens, dont un millier de Kanaks, ont participé à la défense du monde libre.
Mon père était stockman, ces cow-boys calédoniens qui, à l’époque, dans les années 1930 à 1950, conduisaient sur plusieurs centaines de kilomètres les troupeaux de bovins de la province Nord jusqu’à Nouméa, afin d’alimenter la capitale en viande.
Il a ensuite été éleveur sur sa propriété. C’était la concrétisation d’un rêve, mais ce rêve s’est fracassé à partir de 1983-1984 sur ce que l’on appelle pudiquement chez nous « les événements ». Nuit après nuit, notre cheptel a été abattu à coup de sabre et de tamioc ; nos champs ont été saccagés, nos barrières coupées, notre famille menacée.
Nous avons dû abandonner notre propriété, comme beaucoup d’autres Calédoniens de toutes origines de la Grande-Terre et des îles. Nous avons dû le faire, parce que, à ce moment-là de l’histoire, nous n’étions pas, politiquement, du bon côté ; nous étions du côté de la France, de la République.
Aujourd’hui, presque quarante ans après, je continue de défendre les convictions de mes vieux au sein de Calédonie Ensemble, principale formation politique non indépendantiste de Nouvelle-Calédonie.
Madame la ministre, mes chers collègues, si je délivre devant vous aujourd’hui cette part d’intimité qui n’a pas souvent sa place dans les palais de la République, c’est parce que mon engagement pour que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République française est un engagement de longue date, dont ma famille a payé le prix dans sa chair et dans son sang.
Peut-être comprenez-vous mieux maintenant mon attachement viscéral à la paix ! Celle qui a été tissée depuis que deux hommes d’exception, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ont su se serrer la main au lendemain du terrible drame d’Ouvéa.
Cette paix qui, trente années durant, au travers des accords de Matignon et de Nouméa, nous a permis de bâtir un vivre ensemble calédonien, dans lequel chacun, quelle que soit son origine ethnique, a appris, au fil du temps, à comprendre l’autre et à le respecter.
Nous arrivons aujourd’hui au terme de cet accord. Une consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté doit être organisée au plus tard en novembre 2018.
Cette consultation majeure pour l’avenir de notre pays aboutira à un résultat, dont ni la légitimité ni la sincérité ne doivent pouvoir être remises en cause.
C’est pourquoi, lors du XVIe comité des signataires de l’accord de Nouméa, les partenaires politiques se sont unanimement mis d’accord sur trois points majeurs : inscrire d’office sur les listes électorales générale et référendaire tous les natifs du pays, qu’ils soient kanaks ou non kanaks ; favoriser le vote personnel des électeurs, en créant des bureaux de vote décentralisés pour les inscrits des îles qui résident sur la Grande-Terre ; encadrer de manière plus rigoureuse le recours au vote par procuration.
Chacun de ces engagements a été respecté et, autant que nécessaire, repris dans les amendements que j’ai moi-même présentés lors de la réunion de la commission des lois.
Pour autant, cette consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté porte en elle un vice originel : elle réduit de manière frontale les Calédoniens à ce qui les oppose, avec les risques de tensions ethniques, politiques et sociales qui en découlent.
Comment, dès lors, poursuivre l’œuvre de réconciliation et de paix de ceux qui nous ont précédés, tout en respectant cette échéance prévue par l’accord de Nouméa ?
En conscience, nous, indépendantistes et non-indépendantistes, avons proposé d’adopter, avant le référendum, une déclaration solennelle sur le patrimoine commun de tous les Calédoniens.
Une déclaration qui nous permettrait de sceller nos convergences sur le destin commun, afin d’assumer plus sereinement nos divergences sur l’avenir du pays lors de la consultation.
Une déclaration sur ce qui fait notre ciment, nos acquis de ces trente dernières années, parmi lesquels le processus de décolonisation et d’émancipation, les valeurs calédoniennes qui nous lient, des institutions singulières à l’échelle de la République, des mémoires heurtées devenues au fil du temps une mémoire commune, et tout ce qui fait que l’on se sent calédonien.
Cette déclaration permettra ainsi d’affirmer ce qui nous rassemble avant de nous prononcer sur ce qui nous divise.
C’est ainsi que nous pourrons maintenir ce que nous avons de plus cher dans notre pays : la paix !
Chers amis, chers collègues, celui qui s’exprime à la tribune est un Kanak, qui appartient à une civilisation millénaire. Il est calédonien, aussi, parce qu’il a décidé de partager son pays avec celles et ceux qui, depuis 165 ans, ont contribué à sa mise en valeur. Il est français, enfin, parce que la grande histoire du monde a voulu que ce soit la France qui, en 1853, prenne possession de cette petite île du Pacifique.
Ce Kanak, ce Calédonien, ce Français aujourd’hui devant vous revendique toutes ces appartenances qu’une grande partie des Calédoniens a appris à conjuguer.
Je souhaite plus que jamais que, au lendemain du référendum, nous soyons capables de continuer à les conjuguer, ensemble, dans la France et dans la paix. Comme l’a dit mon grand frère coutumier Élie Poigoune, leader indépendantiste historique, « la Nouvelle-Calédonie a besoin d’un grand frère, et ce grand frère, c’est la France ».
Vive la Nouvelle-Calédonie ! Vive la République ! Vive la France ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain. – M. le rapporteur félicite chaleureusement l’orateur à sa descente de la tribune.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, rapporteur de ce projet de loi organique, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole après Gérard Poadja, qui a parlé avec son cœur de son histoire, de ce qu’il vit en Nouvelle-Calédonie.
En ce qui me concerne, je dois au hasard de la décision du président de la commission des lois de se rendre en Nouvelle-Calédonie pour procéder à des auditions afin de s’assurer que le texte qui nous est proposé est bien conforme à ce que souhaite le peuple de Nouvelle-Calédonie d’avoir découvert ce territoire. Je le reconnais, j’y ai fait des rencontres tout à fait riches et intéressantes.
Mon cher collègue, je pense que ce que vous venez de dire doit nous inspirer dans l’approche de ce projet de loi organique.
Je ne peux pas m’empêcher, fidèle à mes valeurs et à mes origines politiques, de penser en cet instant à Michel Rocard, Premier ministre, qui, confronté à ces moments de tension dont vous venez de parler, a réussi dans la concertation et le consensus à bâtir les accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie. Grâce à lui, trente ans plus tard, les choses sont peut-être apaisées et un destin commun est possible, même si rien n’est facile.
De ce point de vue, les accords sont très clairs : un scrutin d’autodétermination doit avoir lieu, parce que c’est l’engagement que la République a pris. Dix ans après, et notre collègue Pierre Frogier pourra en parler naturellement mieux que moi, les signataires ont décidé qu’il était trop tôt pour organiser le référendum et qu’il fallait de nouveau vingt années, d’où l’accord de Nouméa. Ce dernier a également mis en place le transfert de toute une série de compétences de l’État vers le congrès de la Nouvelle-Calédonie ou les provinces pour faire en sorte que cette terre si lointaine de la métropole – 17 000 kilomètres – puisse s’organiser de manière plus libre et plus conforme aux besoins du territoire.
Dans le cadre de la recherche d’un consensus, il était même prévu que le référendum devait d’abord être en quelque sorte dessiné par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à partir de 2014, c’est-à-dire au cours du dernier mandat de ce congrès. Une majorité des trois cinquièmes du congrès ne s’étant pas dégagée pour organiser le référendum, il incombe à l’État, conformément aux termes très clairs de la loi organique votée en 1999, d’organiser à présent cette consultation, madame la ministre, dans des délais contraints et compliqués, pour s’assurer que nul ne vienne dire que l’accord de Nouméa n’a pas été respecté.
La question à poser reste compliquée, et nous attendrons avec impatience le décret du Gouvernement. Nous avons parfois été interrogés sur ce point lors de nos entretiens, mais il appartient au Gouvernement de prendre la décision. Fort heureusement, vous avez accepté l’idée de la consultation préalable du congrès, ce qui est de bonne démocratie.
L’organisation de ce référendum doit être totalement incontestable. Il est fondamental que nul ne puisse, au lendemain du scrutin, dire que les dés étaient pipés, que le scrutin n’a pas été bien organisé. C’est le sens de la présence très forte de l’ONU ; c’est le sens également de la présence de magistrats, qui vont être chargés de contrôler les opérations ; c’est le sens aussi de la demande initiale des indépendantistes qu’il y ait des inscriptions d’office, ce qui est une exception dans notre organisation républicaine.
Ce dernier point, notamment, a fait l’objet d’un débat au sein du comité des signataires, qui a abouti à un accord le 2 novembre dernier, et d’un avis du congrès, qui s’est prononcé en faveur de l’inscription d’office des natifs de Nouvelle-Calédonie qui ont le statut coutumier, bien évidemment, mais aussi de ceux qui, n’ayant pas le statut coutumier, peuvent néanmoins justifier d’une présomption, qui n’est pas irréfragable, comme l’a rappelé le président Bas, que leur centre d’intérêts matériels et moraux se trouve bien en Nouvelle-Calédonie.
Tout cela, comme il nous l’a été rappelé, doit être tout à fait conforme à l’accord de Nouméa, lequel stipulait que le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie serait restreint aux personnes établies depuis une certaine durée, c’est-à-dire à celles qui, effectivement, ont leur centre d’intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, de par leur histoire, de par leur naissance, de par leur implantation. Elles seules pourront dire si elles souhaitent que la Nouvelle-Calédonie accède à la souveraineté, à un statut international, et qu’une nationalité néo-calédonienne remplace la citoyenneté calédonienne, etc.
Il faut aussi que chacun ait la possibilité de voter. C’est pourquoi il importe que les personnes inscrites dans les îles ne soient pas obligées d’y retourner ou de donner procuration et qu’elles puissent voter à Nouméa. C’est aussi une exception néo-calédonienne.
Il a également été introduit une limite pour les procurations. Certains le demandaient fortement lorsque nous les avons rencontrés ; d’autres étaient plus sceptiques. Pour ma part, je pense que vous avez bien fait, madame la ministre, de proposer un amendement sur ce point. Nous en avions discuté avec le président de la commission des lois dans l’avion qui nous ramenait de Nouvelle-Calédonie – on a le temps de discuter, lors de ce long voyage –, et nous nous étions demandé comment nous pouvions répondre à cette demande, malgré l’avis négatif du Conseil d’État. Selon moi, il est bon que nous allions au-delà de cet avis.
Enfin, et c’est le sens de votre dernier amendement, il faut que la campagne électorale puisse s’organiser du mieux possible, ces débats, qui ont lieu depuis des années, devant pouvoir continuer sereinement.
Après, que se passera-t-il ?
Si le référendum aboutit à l’autodétermination, la France devra sans doute accompagner l’assemblée constituante, permettre de constituer cet État de Nouvelle-Calédonie, et voir quels sont les partenariats que nous pourrons nouer avec ce territoire.
Dans le cas contraire, et nul ne peut aujourd’hui anticiper sur un tel scrutin, car cela serait la pire des choses, surtout dans cet hémicycle, si la Nouvelle-Calédonie choisit de rester dans la République, elle demeurera néanmoins naturellement un territoire au statut particulier. Comme vous l’avez rappelé, deux autres référendums sont possibles, à condition qu’un tiers du congrès le demande, mais, dans l’intervalle, si le référendum n’aboutit pas à l’autodétermination, il nous faudra bien travailler, sans doute aussi dans cet hémicycle et dans nos commissions, sur la pérennisation du statut particulier pour réussir cette phase.
Ce sera une expérience tout à fait intéressante pour la République.
Je veux vous dire, madame la ministre, en espérant que vous en fassiez part à vos collègues du Gouvernement, que nous avons là une démonstration très claire de l’importance qui doit être donnée aux élus en démocratie. Je me plais à le rappeler au moment où, au sommet de l’État, il me semble que l’on réfléchit à la manière, en quelque sorte, de vider le Parlement de sa substance, alors que l’on voit bien que, en démocratie, les élus ont un rôle fondamental. Sans les élus qui se rencontrent au congrès, sans les élus qui œuvrent au consensus, sans cette capacité de travailler ensemble, malgré des désaccords, on ne réussira pas. Si l’on veut travailler ensemble, il faut un Parlement.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est plus démocratique !
Mme Éliane Assassi. Voilà !
M. Jacques Bigot. Nous en sommes tous ici convaincus, en même temps… (Rires.)
Je le répète, si la Nouvelle-Calédonie choisit de rester dans la République, elle doit continuer à bénéficier d’un statut particulier, parce que sa situation est particulière. J’en suis convaincu, les articles 76 et 77 de la Constitution ne sont en rien transposables à d’autres territoires de la République, même si, en tant qu’Alsacien, je suis issu d’un territoire où certains, parfois, réclament un statut particulier. La République a du sens et, à cet égard, cher collègue Gérard Poadja, nous avons des expériences à partager, car nous savons aussi, en Alsace, quel est le prix de la paix ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jean-Louis Lagourgue. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà près de trente ans maintenant, les accords Matignon-Oudinot mettaient fin à une période de tensions sévères entre la communauté kanake et la communauté européenne sur le territoire calédonien ; trente ans, et derrière nous déjà, une longue série de négociations vers l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Ces accords Matignon-Oudinot avaient prévu un temps de réflexion de dix ans, période de développement supposée instaurer des garanties institutionnelles et économiques pour le peuple kanak, dans l’attente de sa prochaine indépendance. À l’issue de ces dix années, le 5 mai 1998, le Gouvernement a signé l’accord de Nouméa prévoyant le transfert d’un certain nombre de compétences vers la Nouvelle-Calédonie. Faisant exception de domaines clés comme la défense, la sécurité, la justice, ou encore la diplomatie, ce transfert de compétences a marqué la première étape d’une reconnaissance de l’autonomie du territoire calédonien. À Nouméa encore, gouvernement français et représentants kanaks s’étaient entendus sur l’échéance de 2018 pour l’organisation d’un référendum sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
Le présent projet de loi organique a pour objet d’apporter les modifications législatives nécessaires pour faciliter les opérations de vote lors de cette consultation et pour favoriser l’inscription sur les listes électorales.
Il vise notamment à mettre en place une procédure exceptionnelle d’inscription d’office sur les listes électorales générales des communes de la Nouvelle-Calédonie pour tous les électeurs, qui, n’étant pas déjà inscrits sur une liste électorale, ont leur domicile réel dans une commune de la Nouvelle-Calédonie ou y habitent depuis six mois au moins. Il prévoit d’inscrire d’office sur la liste électorale spéciale à la consultation les électeurs nés en Nouvelle-Calédonie et présumés y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux, dès lors qu’ils y ont été domiciliés de manière continue durant trois ans, appréciés à la date de la clôture définitive de la liste électorale spéciale. Ce texte permettra également, s’il est adopté, aux électeurs inscrits sur les listes électorales des communes de Bélep, de l’île des Pins, de Lifou, de Maré et d’Ouvéa de voter à Nouméa pour ce scrutin.
Enfin, il élargit la possibilité d’ouvrir une période complémentaire de révision des listes électorales l’année du scrutin et garantit la sécurité juridique de l’organisation de la consultation.
La commission des lois a enrichi ce projet de loi organique sans en modifier l’équilibre. En effet, deux nouvelles dispositions ont été insérées : l’une encadrant plus strictement le droit de vote par procuration ; l’autre précisant que le décret de convocation des électeurs est pris après consultation à la fois du congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Pour conclure, je dirai qu’il est primordial que ce processus de consultation référendaire se déroule le mieux possible. Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce projet de loi organique, dont les dispositions ont été adoptées, il faut le souligner, à l’unanimité par la commission des lois du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, président de la commission des lois, mes chers collègues, prévue par l’accord de Nouméa de 1998, la mise en œuvre de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie nécessite de transcrire dans la loi organique du 19 mars 1999 le résultat de l’accord politique obtenu au sein du comité des signataires de l’accord de Nouméa, tenu le 2 novembre 2017.
Le dépôt tardif du texte sur le bureau du Sénat introduit une importante contrainte temporelle avec laquelle nous devons composer, compte tenu du nombre important de mesures réglementaires à publier et des délais de recours à respecter avant l’expiration du délai prévu par l’accord, en novembre 2018. Le Conseil d’État n’a pas manqué de souligner, dans son avis du 30 novembre 2017, un calendrier particulièrement serré.
Depuis 1998, les tensions se cristallisent essentiellement autour de la composition de la liste électorale spéciale rassemblant les électeurs habilités à prendre part à la consultation sur la pleine souveraineté, ses partisans dénonçant l’exclusion de près de 23 000 Kanaks sur 90 000 en âge de voter, soit une part non négligeable du corps électoral total de près de 160 000 personnes.
C’est pourquoi nos collègues Gérard Poadja, Pierre Frogier, ainsi que les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, plaident auprès des partenaires politiques locaux et de l’État la nécessité de procéder à l’inscription d’office de ces quelque 11 000 natifs du pays sur les listes électorales.
La conciliation entre cette préoccupation et la nécessité de permettre aux nouveaux résidents français de prendre part à la vie démocratique explique la coexistence de trois listes électorales distinctes en Nouvelle-Calédonie.
Conformément à la volonté exprimée lors du XVIe comité des signataires de l’accord de Nouméa, le projet de loi organique soumis à notre examen comprend diverses mesures pour garantir la légitimité du scrutin et favoriser la plus large participation des « populations intéressées » à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, garantissant ainsi la sincérité de la consultation à venir.
Ce texte traduit par conséquent fidèlement la volonté commune des signataires de l’accord de Nouméa, des représentants des institutions calédoniennes et des formations politiques locales. La commission des lois l’a approuvé, moyennant quelques améliorations auxquelles le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a souscrit. Je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour évoquer deux propositions d’amendement émanant du président de mon groupe, Jean-Claude Requier, concernant, d’une part, l’information des électeurs, que nous considérons nécessaire, sur les modalités d’exercice du droit d’option, afin de garantir la sincérité du scrutin, et, d’autre part, les meilleures conditions d’information des électeurs quant aux modalités d’exercice du droit de vote par procuration.
Sur ce point, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a émis le souhait, dans son avis du 23 novembre 2017, de voir préciser le vote par procuration. Je rappellerai, pour clore ce débat, que l’avis du Conseil d’État souligne une fois encore les lacunes de l’étude d’impact fournie par le Gouvernement concernant les mesures relatives au régime des procurations.
Madame la ministre, sur le plan strictement législatif, votre projet de loi organique entre dans le cadre légal en vigueur. Pourtant, mon groupe attire l’attention du Gouvernement sur l’exercice même qui va se traduire concrètement par l’organisation de la consultation.
Le président de la commission des lois, dont je salue l’engagement sur ce dossier, s’est rendu personnellement en Nouvelle-Calédonie début janvier, avec Jacques Bigot, pour s’assurer que le dispositif prévu correspondait bien à la volonté de toutes les forces en présence.
Monsieur le président, vous avez souligné en commission des lois, le 7 février, que cette consultation comportait des risques pour la concorde civile en Nouvelle-Calédonie. Notre collègue Gérard Poadja, auditionné par cette même commission, indiquait également qu’une consultation mal préparée pourrait provoquer des tensions ethniques et politiques. Ainsi, en contribuant à rendre le résultat incontestable, les dispositions de ce projet de loi organique sont de nature à favoriser une consultation référendaire apaisée, …