Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, MM. Guy-Dominique Kennel, Victorin Lurel.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 64, du projet de loi organique dans le texte de la commission, modifié.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire :
M. Victorin Lurel.
4. Questions d’actualité au Gouvernement
rapport taché sur les migrations européennes
M. Pascal Allizard ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Pascal Allizard.
assurance chômage et retraite des professions agricoles
M. Jean-Marie Janssens ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.
situation politique et sociale en guyane
M. Georges Patient ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Franck Menonville ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
rapport spinetta relatif à l’avenir du transport ferroviaire
Mme Cécile Cukierman ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Cécile Cukierman.
M. Olivier Jacquin ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Olivier Jacquin.
conséquences de la hausse du gazole en zone rurale
M. Daniel Chasseing ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Laurent ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Daniel Laurent.
friche industrielle de vallourec à tarbes
Mme Maryse Carrère ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
pac et diminution des dotations
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
M. Christian Manable ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
organisation de l’enseignement dans le primaire
M. Jean Louis Masson ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean Louis Masson.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
5. « Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires ». – Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
M. Franck Menonville ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Didier Mandelli ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Noëlle Rauscent ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Laurence Cohen ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Marie-Pierre Monier ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Jean-Pierre Decool ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Françoise Laborde ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Frédérique Puissat ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Bernard Cazeau ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Guillaume Gontard ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Jean-Marie Janssens ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Michelle Meunier ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Denise Saint-Pé ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Maryvonne Blondin ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Christophe Priou ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. Pierre Cuypers ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
6. Avenir de l’audiovisuel public. – Débat organisé à la demande de la commission de la culture et du groupe Les Républicains
M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture
M. Roger Karoutchi ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; M. Roger Karoutchi.
M. André Gattolin ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. Pierre Laurent ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. David Assouline ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture, M. David Assouline.
Mme Colette Mélot ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Mireille Jouve ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Dominique Vérien ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; Mme Dominique Vérien.
M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. André Gattolin ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. Pierre Ouzoulias ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; M. Pierre Ouzoulias.
M. Michel Laugier ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. David Assouline ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; M. David Assouline.
M. Éric Gold ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Céline Boulay-Espéronnier ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; Mme Céline Boulay-Espéronnier.
M. Laurent Lafon ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Claudine Lepage ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Maryvonne Blondin ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture.
M. Michel Savin ; Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; M. Michel Savin.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Guy-Dominique Kennel,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 février 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi relatif à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
M. Philippe Dallier. Très bien !
3
Accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (projet n° 152, texte de la commission n° 288, rapport n° 287).
Mes chers collègues, à l’approche du rendez-vous référendaire, nous avons, vis-à-vis de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, mais aussi par respect pour ceux qui, dans leur diversité, ont scellé avec courage et lucidité les accords de Matignon-Oudinot, puis négocié et signé l’accord de Nouméa, l’ardente obligation de tout mettre en œuvre pour que le résultat de cette consultation, terme du processus institutionnel qu’ils ont engagé, soit incontestable.
Nous avons en effet vis-à-vis de cette génération d’hommes et de femmes – j’ai en particulier le souvenir d’un homme dans cet hémicycle –, qui, au-delà des blessures de l’Histoire, ont permis à la Nouvelle-Calédonie d’accomplir, dans le respect de leur diversité et des valeurs de la République, et dans le dialogue, un immense chemin vers un destin commun. Nous avons donc le devoir de garantir la légitimité du scrutin.
L’unanimité rencontrée dans cet hémicycle lors de l’examen des articles montre, et je ne puis que m’en réjouir, la volonté de la Haute Assemblée de garantir cette légitimité, qui est la marque des principes que nous défendons ensemble et de l’attachement particulier du Sénat au devenir de la Nouvelle-Calédonie.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis fait l’unanimité en Nouvelle-Calédonie. On ne peut donc manifestement pas s’y opposer ; il n’est pas logique d’être contre…
Cependant, je voudrais tout de même formuler un certain nombre de réserves, en particulier s’agissant du corps électoral. Dans l’histoire de France, un Français a toujours pu voter partout où il était. Il se trouve que l’un des grands principes de la démocratie, c’est : « Un homme, une voix. » C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu la Cour européenne des droits de l’homme. Or on fait exactement le contraire !
Actuellement, des Français nés en France et habitant depuis plusieurs années en Nouvelle-Calédonie sont privés du droit de vote. Cela me paraît inacceptable ! Quand on est français, on doit pouvoir participer, quelles que soient les circonstances, aux scrutins qui sont organisés sur le territoire français.
Imaginez que, demain, on décide d’exclure du droit de vote, lors d’un référendum organisé en France, des personnes nées à l’étranger, dans tel ou tel pays voisin ou situé de l’autre côté de la Méditerranée. Que n’entendrait-on pas dans la Haute Assemblée ou à l’Assemblée nationale ! Tous les bien-pensants s’insurgeraient en disant que c’est une honte de créer une ségrégation et de ne pas respecter le principe de nationalité. Et là, tout le monde trouve normal de continuer à créer des différences…
Je ne voterai pas contre ce texte, mais je crois qu’il y a là un véritable problème.
Le plus regrettable dans l’histoire, c’est que l’on ne dit jamais qu’il s’agit d’une exception et que l’on ne le refera pas. Certes, on nous dit qu’il ne faut pas s’en faire. Mais si tout était clair, s’il n’y avait aucun problème, on le dirait ! Tout le monde a des arrière-pensées ; tout le monde reporte le problème.
Je ne voudrais pas que la Nouvelle-Calédonie devienne une sorte de zone de non-droit dans laquelle les principes réclamés à cor et à cri par tous les chantres de la démocratie seraient complètement bafoués… avec la bénédiction de ces derniers !
À ce moment-là, pourquoi n’accepterait-on pas la revendication de certains Corses d’exclure du droit de vote les Français nés en France sur le continent ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. Vous le savez très bien : en Corse, il y a des gens qui voudraient que les Français nés sur le continent ne puissent pas voter !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Jean Louis Masson. Ça, c’est inadmissible. C’est la raison pour laquelle, pour ma part, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, prévue par l’accord de Nouméa de 1998, la mise en œuvre de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie nécessite de transcrire dans la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie le résultat de l’accord politique obtenu au sein du comité des signataires de l’accord de Nouméa, tenu le 2 novembre 2017.
Le dépôt tardif du texte sur le bureau du Sénat a introduit une importante contrainte temporelle, avec laquelle nous devons composer compte tenu du nombre important de mesures réglementaires à publier et des délais de recours à respecter avant l’expiration du délai prévu par l’accord, au mois de novembre 2018. Dans son avis du 30 novembre 2017, le Conseil d’État n’a pas manqué de souligner un calendrier particulièrement serré.
Depuis 1998, les tensions se cristallisent essentiellement autour de la composition de la liste électorale spéciale rassemblant les électeurs habilités à prendre part à la consultation sur la pleine souveraineté, ses partisans dénonçant l’exclusion de près de 23 000 Kanaks sur 90 000 en âge de voter, soit une part non négligeable du corps électoral total, qui est de 160 000 personnes.
C’est pourquoi nos collègues Gérard Poadja et Pierre Frogier, ainsi que les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, plaident auprès des partenaires politiques locaux et de l’État la nécessité de procéder à l’inscription d’office de ces quelque 11 000 natifs du pays sur les listes électorales.
La conciliation entre une telle préoccupation et la nécessité de permettre aux nouveaux résidents français de prendre part à la vie démocratique explique la coexistence de trois listes électorales distinctes en Nouvelle-Calédonie.
Conformément à la volonté exprimée lors du XVIe comité des signataires de l’accord de Nouméa, le projet de loi organique soumis à notre examen comprend diverses mesures pour garantir la légitimité du scrutin et favoriser la plus large participation des « populations intéressées » à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, assurant ainsi la sincérité de la consultation à venir.
Le projet de loi organique traduit fidèlement la volonté commune des signataires de l’accord de Nouméa, des représentants des institutions calédoniennes et des formations politiques locales. La commission des lois a approuvé ce texte, moyennant quelques améliorations, auxquelles le groupe du RDSE a souscrit en commission.
Lors de l’examen du texte la semaine dernière, j’ai défendu deux amendements émanant du président du groupe du RDSE, Jean-Claude Requier.
Le premier visait l’information des électeurs que nous considérions comme nécessaire sur les modalités d’exercice du droit d’option, afin de garantir la sincérité du scrutin.
Le second avait pour objet les meilleures conditions d’information des électeurs concernant les modalités d’exercice du droit de vote par procuration. Sur ce point, dans son avis du 23 novembre 2017, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a émis le souhait de voir précisé le vote par procuration. Je rappellerai que l’avis du Conseil d’État souligne une fois encore les lacunes de l’étude d’impact fournie par le Gouvernement s’agissant des mesures relatives au régime des procurations.
L’objectif de notre groupe était d’attirer l’attention de tous les acteurs sur la question des procurations. Mme la ministre de l’outre-mer, que je tiens à remercier, nous a apporté les éléments nécessaires pour nous rassurer sur les modalités pratiques d’information. C’est donc en toute logique que nous avons décidé de retirer ces deux amendements.
Sur le plan strictement législatif, le projet de loi organique entre dans le cadre en vigueur. Pourtant, notre groupe attire l’attention du Gouvernement sur l’organisation même de la consultation.
Le président de la commission des lois, dont j’ai salué l’engagement dans ce dossier, s’est rendu personnellement en Nouvelle-Calédonie au début du mois de janvier, pour s’assurer que le dispositif prévu correspondait bien à la volonté de toutes les forces en présence. Il a souligné en commission des lois, le 7 février dernier, que cette consultation comportait des risques pour la concorde civile en Nouvelle-Calédonie.
Notre collègue Gérard Poadja indiquait également qu’une consultation mal préparée pourrait provoquer des tensions ethniques et politiques. Ainsi, en contribuant à rendre le résultat incontestable, les dispositions de ce projet de loi organique sont de nature à favoriser une consultation référendaire apaisée.
Toutefois, j’aimerais y ajouter une autre préconisation, qui concerne le texte même de la question posée.
Notre groupe insiste sur l’impérieuse nécessité que la question posée pour la Nouvelle-Calédonie soit claire et sans ambiguïté. Les seules réponses possibles doivent être le « oui » ou le « non ».
La formulation de la question ne doit pas être l’occasion d’ouvrir un autre débat. Sinon, les efforts déployés pour rendre incontestable cette consultation voleraient en éclat, et nous risquerions d’ouvrir une crise politique majeure, que ce territoire n’a pas le luxe de s’offrir aujourd’hui. Madame la ministre, j’ai noté la semaine dernière votre détermination à faire en sorte que cette question posée soit d’une « indispensable clarté », pour reprendre vos propos. Le groupe du RDSE salue cette prise de position du Gouvernement.
Toutefois, ne nous y trompons pas : cette consultation ne réglera pas le sujet institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci ne se résume pas à savoir si le territoire doit ou non devenir un État souverain. La réalité est beaucoup plus complexe.
Au-delà de l’aspect strictement législatif et institutionnel, j’aimerais insister sur le fait que tout doit être fait pour que cette consultation ne crée pas une fracture au sein de la population.
En réalité, ce qui se joue depuis quelques décennies en Nouvelle-Calédonie, c’est un « mieux vivre ensemble », que j’associe au troisième pilier de notre devise républicaine : la fraternité.
Dans un contexte que nos collègues calédoniens ont très bien décrit, cette consultation risque de créer une nouvelle fracture entre des populations qui cherchent une nouvelle voie pour mieux vivre ensemble.
Au-delà de la loi, se joue là le destin de populations qui souhaitent avant tout trouver un juste équilibre dans le respect de leurs réalités respectives. Nous ne prétendons pas avoir la solution. Je crois que, sur ce sujet, il appartient aux Calédoniens eux-mêmes de construire cette troisième voie du « mieux vivre ensemble ». Celle-ci ne passe pas seulement par la loi.
Mes chers collègues, vous aurez remarqué que nous avons parlé de « population calédonienne », et non de « peuple calédonien ». Cette dernière notion renvoie du point de vue constitutionnel à une souveraineté qui n’existe pas encore à cette heure. C’est ce que le rapporteur Philippe Bas a précisé à la fin de nos échanges la semaine dernière en se plaçant sur plan strictement juridique.
Il n’y a donc aujourd’hui ni souveraineté actée ni, par conséquent, peuple calédonien. Nous ne saurions qu’inviter les responsables politiques à ne pas entretenir de doute sur ce sujet en employant parfois des termes juridiques inappropriés.
L’allocution de Gérard Poadja la semaine dernière m’a beaucoup touché. Notre collègue disait être kanak, calédonien et français. Faisons simplement en sorte que cette triple appartenance puisse vivre en sérénité dans la République.
Le groupe du RDSE votera le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer nos deux collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie, et tout particulièrement Pierre Frogier, qui s’est exprimé pour notre groupe la semaine dernière. Pierre Frogier était signataire non seulement des accords de Matignon, mais aussi de l’accord de Nouméa.
Avec Pierre Frogier, nous ne venons pas du même point du globe ; lui est tout autant un homme du Pacifique que je suis un homme de l’Atlantique. Mais, ensemble, nous partageons les mêmes convictions, le même patriotisme et le même point de vue. Sur un sujet aussi déterminant que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de la France, tout est affaire de point de vue ; et d’abord, cher Philippe Bas, de point de vue législatif.
Oui, résolument, nous allons voter ce texte, bien préparé par son rapporteur, qui s’est déplacé en Nouvelle-Calédonie. Nous le voterons parce qu’il est la traduction législative et juridique d’un compromis politique sur le corps électoral. Il donnera une force incontestable au résultat référendaire dans quelques mois.
Toutefois, mes chers collègues, nous ne pouvons pas nous contenter de ce point de vue juridique, législatif. Il faut absolument que nous relevions l’horizon, que nous passions du point de vue juridique à un point de vue politique.
En effet, dans cette affaire si déterminante, la question n’est pas seulement celle de la légitimité d’une consultation référendaire. C’est celle, finalement beaucoup plus importante, d’un accord fondamental ; c’est celle du devenir de la Nouvelle-Calédonie et de la France ; c’est celle d’une association tellement importante pour ce territoire et pour notre pays ! Il s’agit évidemment d’un destin commun entre la Nouvelle-Calédonie et la France.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. À cet égard, madame la ministre, je suis frappé, et même parfois désolé par ce que je constate. Nous connaissons les points de vue de tous les acteurs : adversaires comme partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Mais, comme le soulignait Pierre Frogier mardi dernier, le seul dont on ne connaît pas le point de vue, le seul qui refuse obstinément de s’engager, c’est l’État ; c’est le Gouvernement ! Vous avez déclaré voilà quelques jours que l’État devait être un partenaire et un acteur de la discussion. Très bien !
Néanmoins, sur ce sujet fondamental, je pense que l’État doit être beaucoup plus. Certes, il doit être le garant neutre du dialogue, mais il doit aussi défendre ce qu’il incarne. Or qu’est-ce que l’État incarne ? Une unité, une souveraineté, une solidarité entre la France de métropole et la France de l’outre-mer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, on peut parfaitement respecter la neutralité d’un point de vue technique, électoral, tout en exprimant du fond du cœur politiquement l’attachement que nous avons, que vous devez avoir pour la Nouvelle-Calédonie ! Sinon, vous allez prendre trois risques.
Le premier risque, c’est celui de l’imprévoyance. En effet, cette consultation référendaire est un point d’étape dans ce dialogue construit avec difficulté, parfois dans la tension. Ce n’est certainement pas un point d’arrivée. Après le référendum, les problèmes subsisteront ; ils seront peut-être même accentués par une campagne qui risque d’exacerber les antagonismes.
Votre rôle, le rôle de l’État, est de préparer dès à présent le jour d’après, qui sera vraisemblablement celui de la Nouvelle-Calédonie dans la France.
Le deuxième risque – l’orateur précédent y a fait allusion – est celui de l’ambiguïté. Je parle d’une ambiguïté terrible, pas seulement constitutionnelle, mais républicaine, née des propos du Premier ministre sur le sol calédonien !
Quand le Premier ministre dit qu’il y a un « peuple calédonien » amené à s’exprimer « souverainement », cela signifie qu’il existerait un peuple calédonien distinct du peuple français ! Mais au nom de quoi ? Au nom de quelle réalité ? Parce que la Nouvelle-Calédonie se trouve aux antipodes ? Parce qu’une partie de la population a la peau sans doute un peu plus foncée que la nôtre en métropole ? Non, bien sûr ! C’est ignorer ce qu’est la France. La France, c’est cet effort multiséculaire pour conjuguer ce qu’il y a de particulier dans chaque homme et ce qu’il y a de plus universel dans tous les hommes !
Ne tombez pas dans le piège qu’un autre sénateur, Dick Ukeiwé, avait dénoncé à cette tribune, le 24 janvier 1985 : celui de l’ambiguïté. D’ailleurs, pour lever toute ambiguïté, il faudra formuler la bonne question, celle qui n’appellera aucun risque sur l’interprétation du résultat de la consultation référendaire.
Le troisième risque est celui de la distanciation. N’ajoutons pas à la distance géographique avec la Nouvelle-Calédonie une autre distance, plus grave celle-ci : une distance civique.
Au fond, votre attitude de neutralité, d’extériorité, fait courir un risque. Elle interroge. La République est-elle une république extérieure, distante par rapport à la Nouvelle-Calédonie ? Ou peut-elle encore assumer les mots du général de Gaulle, pour qui les Calédoniens sont « un morceau de la France », sont la France australe et ont un rôle français à jouer dans cette partie du monde ?
Madame la ministre, aujourd’hui, ce que votre gouvernement a tant de mal à dire, nous le disons ; je le dis ici, au nom de mon groupe : nous voulons – oui, nous voulons ! – une Nouvelle-Calédonie forte et fière ! Forte de ses atouts, qu’il faudra développer. Fière aussi de ses visages, de tous ses héritages, qu’il faudra continuer à exprimer.
Nous la voulons bien sûr à nos côtés ! En effet, nous ne croyons pas dans la France en Nouvelle-Calédonie ni dans la Nouvelle-Calédonie dans la France ; nous voulons et nous croyons dans une nouvelle Calédonie française !
Nous y croyons au nom du principe non pas d’uniformité, mais de diversité. Nous croyons à cette « composition française » dont Mona Ozouf parlait un jour,…
M. Ronan Dantec. À propos des Bretons ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. … celle qui fait que la République peut intégrer dans son destin toutes les petites patries charnelles pour composer la grande patrie française ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons tout à l’heure voter sur le projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
Tout a déjà été dit mardi dernier sur ce texte décisif pour la Nouvelle-Calédonie. J’aimerais revenir sur les inquiétudes exprimées par certains d’entre nous, sur toutes les travées, concernant l’organisation du référendum ; elles ont consisté à dire que celui-ci risquait finalement de réduire les Calédoniens à ce qui les oppose au lieu de rechercher ce qui les unit. Je les comprends parfaitement.
Néanmoins, l’organisation de ce référendum est un engagement de l’État. Dans notre démocratie, nous ne pouvons que nous enorgueillir de voir l’État respecter ainsi ses engagements. Ces derniers ont été pris à l’issue des événements dramatiques, que nous avons tous en mémoire, de la grotte d’Ouvéa.
L’organisation de ce référendum a été précédée par une dernière réunion du comité des signataires, qui est parvenu à un large consensus.
Par ailleurs, je ne puis m’empêcher d’établir un parallèle avec mon département, celui de Mayotte, même si les élus ultramarins sont les premiers à reconnaître que comparaison n’est pas raison, car les collectivités d’outre-mer ont chacune leurs spécificités. Hormis leur éloignement de l’Hexagone et leur caractère souvent insulaire, chaque collectivité d’outre-mer a sa particularité : les comparaisons ont donc leur limite.
Quoi qu’il en soit, pour en revenir au parallèle avec Mayotte, les Mahorais n’auraient pas compris que l’on ne leur laisse pas la possibilité de s’exprimer. Là aussi, il s’agissait d’un engagement de l’État français. C’est une raison supplémentaire de souligner que l’organisation de ce référendum est un moment très important.
La décision appartient et appartiendra aux Calédoniens, et personne d’autre ne peut décider de l’avenir de leur territoire. Cela étant, à titre personnel, je souhaite que la Nouvelle-Calédonie continue à enrichir le paysage des outre-mer français et à défendre, avec l’ensemble des territoires ultramarins, notre cause dans la République. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)
C’est finalement au sein de la République française que nous avons cette formidable occasion de soutenir notre cause, celle des territoires d’outre-mer. Ce n’est pas facile tous les jours ! (Sourires.)
Tout à l’heure, nous allons tous, ou presque, voter en faveur de ce texte. Mon souhait le plus vif est de voir le même consensus prévaloir lorsqu’il s’agira de voter des textes relatifs aux outre-mer.
En effet, l’enjeu est bien le développement de ces territoires, disséminés sur toutes les mers du globe. La France a cette formidable chance d’être d’ores et déjà présente dans tous les bassins océaniques, sur tous les continents, quand d’autres puissances en sont réduites à se livrer à des manœuvres pour gagner de l’influence sur ces mêmes zones. Profitons de la chance qui est la nôtre !
Je lance donc un message aux Calédoniens : restez avec nous, car c’est tous ensemble que nous pourrons continuer à défendre la cause des outre-mer dans la France ! (Applaudissements sur la quasi-totalité des travées.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte pour lequel nous nous apprêtons à voter est très important. À l’évidence, il va recueillir l’assentiment de notre assemblée.
Cependant, revenons sur le sujet de ce projet de loi organique. Il s’agit aujourd’hui non pas de modifier le corps électoral pour le futur référendum en Nouvelle-Calédonie, corps électoral, dont la composition répond à des critères fixés en 1998, mais bien de traiter de la question de l’inscription d’office d’électeurs pour participer au scrutin, afin que celui-ci comptabilise un maximum d’électeurs potentiels.
Je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des remarques et des mises en garde que j’ai formulées la semaine dernière ; je me limiterai simplement à quelques observations sur les modifications apportées par notre chambre haute.
Au préalable, je formule de nouveau le vœu et l’exigence, à laquelle je souscris avec l’ensemble de mon groupe, que toutes les parties soient respectées et représentées.
Aussi, au sujet des dispositions ajoutées à ce texte par le Sénat, je m’interroge tout de même sur l’intention, semble-t-il tacite, de la disposition prévue à l’article 3 bis, qui, « dans le but d’éviter les dysfonctionnements liés à l’usage très répandu du vote par procuration » tend à encadrer le recours à cette modalité de vote lors de la consultation d’autodétermination.
Quels sont les dysfonctionnements visés ? Il aurait été intéressant de les étayer. En effet, cela nous laisse une impression désagréable de tromperie – mais de qui et pourquoi ? Quoi qu’il en soit, les justificatifs nécessaires qui seront requis pour participer au scrutin par procuration et qui seront définis par décret en Conseil d’État après consultation du gouvernement de Nouvelle-Calédonie ne devront pas nuire à la participation la plus large de la population sur place.
Certes, des bureaux de vote seront délocalisés à Nouméa pour faciliter le droit de vote des habitants des communes insulaires, mais aucune sorte de « contrepartie » n’aurait dû être exigée.
Mes chers collègues, vous conviendrez qu’il est dans l’intérêt de toutes les parties que le taux de participation à ce scrutin soit le plus élevé possible, pour une issue la plus démocratique qui soit. Aussi, ce genre de disposition visant à complexifier le droit de procuration aurait-il pu être évité. En ce sens, nous serons attentifs au décret d’application.
Ma seconde remarque porte sur le décret en Conseil des ministres qui fixera le texte de la question posée aux électrices et aux électeurs lors de la consultation. Nous nous félicitons de l’amendement adopté visant à consulter le Congrès de Nouvelle-Calédonie sur le décret en question.
Nous porterons donc une attention toute particulière à la teneur de la question qui sera posée. En effet, nous savons bien, mes chers collègues, que dans ce genre de consultation chaque mot revêt son importance. Il s’agira, là encore, d’être le plus objectif possible et de retranscrire l’esprit de l’accord de Nouméa, porteur de paix entre les parties représentées.
Il devra en être de même quant aux règles propres à la campagne audiovisuelle qui régiront le temps d’antenne de chacun, et plus largement sur les conditions dans lesquelles va se dérouler la campagne électorale. Il est en effet essentiel qu’elle soit en phase avec la législation existante, mais aussi la plus équitable, la plus citoyenne et la plus démocratique possible.
Encore une fois, je le répète, l’équilibre entre indépendantistes et loyalistes, bien que consolidé par trois décennies de paix, reste fragile de plus d’un siècle d’histoire douloureuse.
Quelle que soit l’issue du scrutin, et nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir dans cet hémicycle, l’État français aura la responsabilité et le devoir d’accompagner les Calédoniennes et les Calédoniens, dans leur diversité, vers le choix d’avenir qu’ils auront fait.
Pour l’heure, gageons que l’organisation de cette consultation sera une réussite, en apportant avec notre vote unanime notre pierre à l’édifice de ce long processus institutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Poadja, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Guillaume Arnell et René Danesi applaudissent également.)
M. Gérard Poadja. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer longuement en commission et lors de la discussion générale sur le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis, je rappellerai simplement l’esprit et la lettre d’un texte fondateur pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France, dans ses relations avec notre pays : le préambule de l’accord de Nouméa. Un préambule qui éclaire le texte que nous examinons aujourd’hui.
On a su, au travers de ce préambule, mettre des mots sur les non-dits de notre histoire commune. On a su parler des « ombres et lumières » de la période coloniale pour reprendre la belle formule de l’accord. On a su reconnaître que le peuple kanak, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie était un peuple colonisé, qui avait été marginalisé aux frontières géographiques, économiques et politiques de son propre pays, selon le texte de l’accord. Un peuple dont l’identité a été niée dans ses fondements mêmes : ses langues, son lien à la terre, son rapport au temps et au monde. C’est pourquoi cette reconnaissance du fait colonial était indispensable.
Toutefois, une autre reconnaissance l’était tout autant : celle des populations qui, tout au long de la période coloniale, venues d’Asie, d’Océanie et d’Europe dans le cadre de la colonisation libre ou pénale, ont, au fil du temps, dans des conditions particulièrement difficiles, mis en valeur la Nouvelle-Calédonie et contribué à son développement.
Ces populations ont, là aussi, par leur participation à la construction du pays, acquis une légitimité à vivre en Nouvelle-Calédonie et à décider de son avenir.
Le texte que nous allons adopter aujourd’hui est la traduction politique et juridique du préambule de l’accord de Nouméa. Il apporte une définition ultime au corps électoral référendaire qui devra se prononcer dans quelques mois sur l’avenir de notre pays.
Ce texte contribue à la définition d’un peuple, le peuple calédonien, ce peuple de toutes les couleurs et de toutes les cultures, qui, par les hasards de l’histoire du monde, est en train de se construire dans une petite île du Pacifique en Mélanésie. Un peuple qui a appris à conjuguer populations autochtones et populations venues d’ailleurs.
Comme l’a souligné dans une belle formule le président du Sénat, notre collègue Gérard Larcher, lors de sa venue devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 23 février 2016 : « Depuis les accords de Matignon, les Calédoniens […] ont refusé que les visions divergentes de l’avenir se règlent par une partition, géographique ou ethnique. […] Mais l’unité du peuple calédonien a prévalu et s’incarne dans la citoyenneté inscrite dans la loi organique du 19 mars 1999. »
Oui, monsieur le président du Sénat, vous avez vu juste : malgré les difficultés, « l’unité du peuple calédonien » a toujours prévalu. Et je souhaite de tout mon cœur que, malgré les inévitables tensions, il en soit de même au lendemain du référendum, pour que les Calédoniens puissent continuer à construire leur destin commun, dans la France et dans la paix.
Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, avec qui j’ai eu le plaisir d’effectuer un déplacement en Nouvelle-Calédonie au début du mois de janvier dernier, mes chers collègues, permettez-moi de saluer tout particulièrement nos collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier et Gérard Poadja, ainsi que l’ensemble des sénateurs ultramarins, qui nous rappellent souvent que nous ne pensons pas assez à l’outre-mer.
Nous sommes amenés aujourd’hui à faire un travail législatif avec une grande modestie, car ce travail est issu des échanges avec le comité des signataires des accords de Nouméa et traduit le vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Nous voyons difficilement comment ne pas respecter ce projet dans la mesure où il paraît conforme à la Constitution, même s’il reviendra bien sûr au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, puisqu’il s’agit d’une loi organique.
Bien évidemment, le groupe socialiste et républicain votera ce texte, puisqu’il s’inscrit dans la logique mise en œuvre en 1988 par Michel Rocard.
Madame la ministre, le Premier ministre, dans son discours en Nouvelle-Calédonie le 5 décembre dernier, a salué Michel Rocard. Il s’est souvenu qu’il était adolescent lorsque ce dernier, en 1988, avait balisé le chemin et avait incarné la puissance et la noblesse de la politique. Les accords de Matignon ont vu le jour, suivis des accords de Nouméa, signés par le Premier ministre Lionel Jospin. Ils conduisent aujourd’hui l’État à organiser un référendum, dans le respect de ces accords, avant la fin de cette année.
Ce référendum doit permettre de répondre à l’attente des indépendantistes, qui ont souhaité la tenue d’un scrutin d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie. Comme l’a rappelé à l’instant notre collègue, le prologue de l’accord de Nouméa a souligné combien « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak, qu’elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie et leur raison de vivre ; de grandes souffrances en sont résultées.
« La décolonisation est aujourd’hui le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps. Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis, par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. »
C’est à eux, dans l’organisation de ce scrutin, de se prononcer sur leur avenir, sur leur destin commun, quel qu’il soit. L’important, et c’est l’objet de ce projet de loi organique, est que nul ne puisse dire ensuite que le scrutin était mal organisé, qu’il n’était pas sincère et que l’expression n’a pas été possible.
Les indépendantistes voulaient que soient inscrits d’office sur les listes électorales un certain nombre d’électeurs kanaks. Toutefois, il fallait prévoir aussi en contrepartie que des natifs de Nouvelle-Calédonie, mais non issus du peuple kanak puissent également voter. L’équilibre a été trouvé. Il fallait permettre aux électeurs des îles Loyauté de venir voter à Nouméa. Pour la première fois, des communes vont organiser sur le territoire d’une autre commune des bureaux de vote pour leurs ressortissants !
Il fallait également répondre à la question des procurations, ce que demandait le Congrès.
Madame la ministre, le Conseil d’État a cherché à vous décourager ; pourtant, comme nous l’avons constaté avec le président de la commission des lois, Philippe Bas, la demande est forte. Quoi qu’il en soit, vous avez su trouver les équilibres nécessaires. Vous avez déposé un amendement, que nous avons voté la semaine dernière, relatif à l’organisation de la campagne électorale, avec l’idée que des accords pourraient être trouvés entre les groupes politiques du Congrès.
Il s’agissait, là aussi, de faire confiance aux territoires, en conformité avec l’esprit qui prévaut depuis trente ans, grâce aux accords de Matignon et de Nouméa, et qui a permis des acquis incontestables, soulignés en 2014 dans le rapport de Sophie Joissains, de Jean-Pierre Sueur et de Catherine Tasca. Cet esprit a aussi permis des acquis importants sur la culture et la coutume kanake, un pouvoir très fortement décentralisé, une organisation très spécifique.
Mes chers collègues, ce référendum est une étape, mais il pourra être suivi, le cas échéant, si un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande, de deux autres référendums dans les deux années consécutives. C’est selon moi à ce moment-là que l’État devra se prononcer.
Si le référendum devait conclure au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, il nous faudra faire des propositions, notamment organisationnelles, s’inspirant de ce qui est en place aujourd’hui – c’est fondamental. Cela permettra sans doute aussi d’éviter les deux autres référendums, s’ils sont demandés ou s’ils étaient suscités.
Nous attendons donc beaucoup de toute cette logique, qui peut aujourd’hui nous paraître surprenante, mais qui a été convenue il y a vingt ans et qui doit à présent être respectée.
J’ai bien entendu ce que nous a dit Pierre Frogier la semaine dernière. Il s’agit de faire en sorte que le processus n’aboutisse pas à des conflits, et reste dans la paix et la construction.
Madame la ministre, j’ai tout à l’heure évoqué le Premier ministre. Il a reconnu que, grâce à Michel Rocard, en Nouvelle-Calédonie une forme politique, sans précédent dans l’histoire et sans équivalent dans le monde, avait été créée. Cette forme politique, dit-il, est « manifeste en Nouvelle-Calédonie ». Il ajoute : « Je pense en particulier à la nécessité des contrepoids et des équilibres entre les institutions ».
Cette force politique, cette capacité d’équilibre, de contrepoids entre les institutions, doit aussi fonder notre République. Si elle a permis depuis trente ans la paix en Nouvelle-Calédonie, j’espère, madame la ministre, que le Premier ministre saura s’en souvenir dans les réflexions actuelles sur la révision constitutionnelle : il faut préserver l’équilibre entre les institutions et l’existence de contrepoids ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat statue aujourd’hui sur un projet de loi essentiel, celui des modalités de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
La route a été longue et semée d’embûches. Trente ans après les accords de Matignon, vingt ans après les accords de Nouméa, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie nourrit encore de nombreuses interrogations, parfois même des tensions.
Depuis des années, la question du corps électoral de cette consultation perturbe le débat public. Les citoyens français vivant aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit l’origine de leur présence sur le sol calédonien, doivent pouvoir, dans des conditions indiscutables, participer à la consultation. C’est ce que prévoit le texte soumis à notre approbation en ouvrant le plus largement possible le corps électoral et en répondant aux particularismes géographiques de certaines communes.
Lors de la séance, à l’écoute de nouvelles propositions, le Gouvernement a proposé l’adoption de deux amendements inscrits dans le prolongement de ces mesures : un premier point concerne le remboursement des dépenses de campagne, pour assurer la transparence et la régularité des scrutins ; un second point concerne la répartition des temps d’antenne et d’intervention pendant la campagne, de manière qu’une stricte équité entre toutes les parties soit respectée, sous l’autorité du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Lorsque ce texte nous a été présenté, la semaine passée, les deux orateurs de notre groupe ont souligné le travail d’apaisement du Gouvernement, ce que l’on pourrait appeler la « méthode Philippe », très largement saluée.
Notre collègue Jérôme Bignon, membre du groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie créé sur l’initiative du président Gérard Larcher, a voulu saluer tout particulièrement le travail accompli par les acteurs locaux, notamment par nos collègues parlementaires calédoniens du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Notre collègue Jean-Louis Lagourgue, quant à lui, a souhaité rappeler l’équilibre fragile récemment établi. Il convient de penser dès à présent à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, quel que soit le résultat de cette consultation, afin que le dialogue puisse se poursuivre entre toutes les parties, dans un climat serein.
Penser l’avenir, c’est d’abord trouver ce qui unit la population calédonienne. Le sénateur Pierre Frogier, acteur historique de ces débats, a plusieurs fois évoqué l’éventualité de la tenue de « palabres à l’océanienne », sortes d’états généraux de l’avenir calédonien, rassemblant l’ensemble des forces politiques et la population locale.
Le Gouvernement a montré sa disponibilité et sa responsabilité dans ce dossier, en prêtant l’oreille aux revendications de l’ensemble des acteurs du processus, en dépit de la grande complexité des sujets.
Penser l’avenir, c’est ensuite continuer de prévoir : prévoir l’avenir économique, industriel et social de la Nouvelle-Calédonie. Plusieurs fois, la question de l’industrie du nickel a été évoquée dans ces débats. Il est donc nécessaire qu’une feuille de route soit rapidement dressée, ainsi que le comité des signataires l’a souligné au mois de novembre 2017.
Ce projet de loi, mes chers collègues, c’est la première pierre de la fondation sur laquelle bâtir la Nouvelle-Calédonie de demain. Une grande partie de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui en proie à des difficultés d’emploi et de santé. Il faut envisager des mesures sérieuses d’accompagnement. Tout est à construire : une école plus inclusive, donnant sa chance à chacun ; une société plus tolérante et moins sujette aux addictions et aux violences ; une diminution de la criminalité ; enfin, une hausse de l’emploi.
Tendons la main, soyons à l’écoute de la volonté des Calédoniennes et des Calédoniens. Donnons-leur la chance de pouvoir s’exprimer dans une consultation d’ampleur inédite et soyons respectueux de leur choix, car l’avenir heureux ne peut se bâtir que dans le respect mutuel des uns et des autres.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte, car il offre les garanties d’une consultation ouverte, démocratique et transparente, appuyée sur un corps électoral respecté où chacun trouve sa place et peut s’exprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, dans le texte de la commission, modifié.
Ce scrutin de droit, en application de l’article 59 du règlement, sera ouvert dans quelques instants. Il aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Jacky Deromedi, Guy-Dominique Kennel et Victorin Lurel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 344 |
(Exclamations.)
Contre | 2 |
(Nouvelles exclamations.)
Le Sénat a adopté le projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur la quasi-totalité des travées.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur et président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi organique, voté à la quasi-unanimité, est un message fort envoyé à la Nouvelle-Calédonie.
Je tiens à vous remercier pour l’engagement du Sénat et le travail accompli. À l’occasion de nos échanges, vous avez réussi à améliorer le texte sans remettre en cause l’équilibre politique qui avait été décidé lors du comité des signataires de novembre dernier. C’est toujours un exercice difficile ; encore une fois, merci beaucoup.
Ce texte sera examiné au mois de mars par l’Assemblée nationale, où j’espère qu’il bénéficiera du même soutien que celui qu’il a reçu au Sénat. Vous savez combien ce rendez-vous de l’année 2018 est important pour la Nouvelle-Calédonie et qu’il s’agit d’une priorité de ce gouvernement.
J’ai effectué mon premier déplacement en tant que ministre en Nouvelle-Calédonie. D’autres visites ont été programmées, comme celle du Premier ministre. Nous continuons à travailler avec l’ensemble de ceux qui, sur le territoire, souhaitent œuvrer au quotidien à nos côtés.
J’invite tous ceux qui ne nous ont pas encore rejoints à le faire car, je suis d’accord avec vous tous, c’est ensemble que nous bâtirons un projet pour les Calédoniennes et les Calédoniens qui soit à la hauteur de l’enjeu.
Je vous remercie pour votre confiance. C’est la confiance de la Nation qui s’est exprimée aujourd’hui au travers de votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et des travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Merci, madame la ministre.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire :
M. Victorin Lurel.
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
J’invite chacun à être attentif au temps de parole et – ai-je vraiment besoin de le rappeler ? – à la courtoisie.
rapport taché sur les migrations européennes
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Je souhaite évoquer la crise migratoire à laquelle doit faire face l’Europe, et notamment la France. C’est un sujet de préoccupation majeur qui cristallise les passions et les peurs.
Dans plusieurs États européens, les questions de l’identité et du contrôle des frontières redeviennent centrales et font l’objet de toutes les instrumentalisations. Attisé par la crise migratoire, l’euroscepticisme gagne partout du terrain et pas seulement en Europe centrale et orientale, ce qui, de mon point de vue, n’est pas une bonne chose.
Nous connaissons les conditions de l’accord avec la Turquie, qui a certes sclérosé les flux de Méditerranée orientale, mais d’autres voies d’arrivée demeurent. Et ils sont encore des centaines de milliers de migrants, notamment en Libye, vivant dans des conditions inhumaines, livrés aux trafiquants.
Le Président Macron qui, durant sa campagne, pour des raisons électorales, avait donné des gages à son camp sur les questions migratoires semble opérer aujourd’hui un retour au réalisme en souhaitant – enfin – clairement distinguer le cas des demandeurs d’asile de celui des migrants économiques.
Pourtant, lors d’une récente rencontre à Bruxelles, j’ai entendu des officiels de haut niveau de la Commission m’expliquer que, face à un phénomène historique auquel l’Union européenne ne pouvait se soustraire et, par ailleurs, totalement bénéfique pour combler une natalité européenne en berne, il était impératif de se montrer souples et d’accueillir le plus grand nombre.
Dès lors, que pèsera la position française face à cette vision irresponsable qui semble se dessiner à Bruxelles ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Allizard, la question que vous posez porte sur un sujet grave.
Lorsque nous regardons l’évolution des flux migratoires en Europe, nous nous apercevons qu’en l’espace d’un an – l’année 2017 –, les flux migratoires ont diminué de moitié. En revanche, sur le territoire français, les demandes d’asile ont augmenté de 17 %, atteignant le chiffre de 100 000. Par ailleurs, nous avons empêché d’entrer sur le territoire 85 000 personnes.
Oui, ce sujet est important ; c’est la raison pour laquelle je présenterai demain en conseil des ministres un projet de loi sur l’asile et l’immigration.
La ligne est claire : être capables d’accueillir celles et ceux qui peuvent bénéficier de l’asile parce qu’ils sont victimes de persécutions dans leur territoire, dans leur pays, pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques, et être aussi capables, en même temps, de leur donner un avenir dans notre pays, de ne pas les laisser se marginaliser – c’est tout l’objet du rapport Taché –, tout en faisant montre d’une certaine fermeté.
Pour vous donner quelques éléments d’analyse, si l’on compare le chiffre des éloignements auxquels il a été procédé en janvier de cette année à celui du mois de janvier 2017, on constate que les éloignements ont augmenté de 22 %.
Nous voulons nous aligner sur le droit de nos amis allemands, néerlandais et italiens, afin d’avoir un système européen d’asile qui soit le plus commun possible. (Mme Patricia Schillinger et M. André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre d’État, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, lors de mon récent déplacement à Molenbeek, commune censée illustrer le « modèle » approuvé par les autorités européennes, j’ai plutôt vu le communautarisme, la pauvreté, c’est-à-dire tous les ingrédients de la désintégration sociale.
Entre inefficacité et angélisme, il me semble que l’Union européenne met elle-même en place les conditions d’une défiance à son égard, dont je crains qu’elle ne soit difficile à arrêter. C’est regrettable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti et Claude Kern applaudissent également.)
assurance chômage et retraite des professions agricoles
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Janssens. Monsieur le président, madame la ministre du travail, mes chers collègues, lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à réformer l’assurance chômage, promettant la mise en place d’une indemnisation universelle pour les démissionnaires et les indépendants. Nous attendons les conclusions des négociations entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, et nous discuterons ensuite du projet de loi.
Je m’inquiète, madame la ministre, de la prise en compte de la situation particulière des agriculteurs dans l’élaboration de vos futures réformes.
Chaque semaine, plus de 200 exploitations disparaissent en France. Que deviennent les agriculteurs contraints d’abandonner leur activité ? Ils sont la plupart du temps démunis et sans perspectives.
La semaine prochaine, toute la France agricole sera réunie à Paris.
Cette France doute, madame la ministre. Son activité est remise en cause par les conséquences des traités CETA et MERCOSUR, par le reclassement des zones défavorisées simples, par les crises sanitaires à répétition et par la préparation de l’après-PAC 2020.
Le rôle de l’État est de protéger les hommes et les femmes qui exercent ce métier difficile et ô combien essentiel.
Qu’en est-il lorsque, malgré tous leurs efforts, ils doivent se résigner à abandonner une exploitation souvent familiale depuis plusieurs générations ? Il faut les accompagner, leur permettre de se reconvertir, leur redonner de l’espoir.
Vous défendez les évolutions économiques et les mutations professionnelles. Vous devez aussi protéger les agriculteurs.
Madame la ministre, comment comptez-vous répondre à cette urgence sociale ? Comment la situation des agriculteurs sera-t-elle prise en compte dans vos futures réformes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Jean-Marie Janssens, vous l’avez dit, la question se pose de la protection, et notamment de l’assurance chômage, du filet de sécurité pour les agriculteurs.
Aujourd’hui, les agriculteurs qui exercent leur activité sous le statut de travailleur indépendant ne bénéficient pas d’une protection universelle, générale, contre le risque de chômage lié à la cessation de leur activité.
Selon les dernières données de l’INSEE relatives aux défaillances des exploitations agricoles, les liquidations, redressements judiciaires et placements en sauvegarde ont continué d’augmenter en 2017 dans ce secteur, tandis que le risque de défaillance diminue pour les autres entreprises françaises. Ont été répertoriées 1 281 défaillances d’entreprises agricoles au cours des douze derniers mois, ce qui représente une augmentation de 6,7 % par rapport à l’année précédente. Le phénomène est donc important, et il faut le traiter.
Dans ce contexte en outre, au vu de ce risque, beaucoup de jeunes hésitent à créer ou à reprendre une exploitation agricole. Or, nous en sommes d’accord, les agriculteurs ne sont pas seulement les garants de notre indépendance alimentaire ; ils sont aussi essentiels pour la sauvegarde et le développement de nos territoires et de nos paysages. Nous leur devons donc des garanties nouvelles, afin de leur permettre de gérer les difficultés actuelles, mais aussi celles à venir.
Le Président de la République s’est engagé, en application de son programme, à ouvrir le bénéfice de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, ce qui inclut donc les agriculteurs. L’objectif est de protéger ceux qui s’engagent de façon entrepreneuriale dans une activité non salariée.
Une chose est sûre : nous n’augmenterons pas les cotisations des travailleurs indépendants puisqu’ils contribuent désormais au régime d’assurance chômage à travers la contribution sociale généralisée, la CSG. Dans cette perspective, j’attends les propositions des partenaires sociaux, qui sont en cours de négociation.
Sur ce sujet, l’État a bien sûr l’intention d’agir pour la protection en assurance chômage des travailleurs indépendants, et notamment des agriculteurs. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche.)
situation politique et sociale en guyane
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe La République En Marche.
M. Georges Patient. Monsieur le Premier ministre, les Guyanais, en rébellion permanente contre un système qu’ils jugent inopérant dans les domaines les plus essentiels, notamment ceux de la santé, de l’éducation, de la sécurité et du développement économique, sont très préoccupés, voire « remontés » contre le rythme et l’état d’avancement des accords de Guyane, obtenus après deux mois de mobilisation d’une grande ampleur, une véritable révolution.
Ils attendaient de la concrétisation de ces accords, signés par votre prédécesseur et confirmés par le Président Macron, des avancées notables, rapides dans certains domaines les plus vitaux tels la santé et la sécurité, puisque faisant partie d’un plan d’urgence.
Certes, monsieur le Premier ministre, des mesures ont été prises dans le cadre de ces accords. Deux comités de suivi se sont même tenus, dont le dernier en septembre 2017, un mois avant la venue du Président de la République en Guyane.
Mais depuis, certains critiques de l’action gouvernementale disent que les accords marquent le pas, tout semblant être suspendu aux assises des outre-mer, dont le calendrier de réalisation serait à plus longue échéance que celle qu’escomptaient les Guyanais. Cela est d’autant plus vrai que dans le même temps se tiennent les états généraux de Guyane. Tout cela crée une réelle confusion qui vient s’ajouter au sentiment d’exaspération, au « ras-le-bol », au fameux « nou gon ke sa », comme on l’exprime si bien dans notre langue guyanaise.
Alors, manifestations, débrayages, grèves, violences urbaines et scolaires ont repris de plus belle et renvoient actuellement à la situation qui a précédé les événements de l’an dernier, ce qui fait craindre le pire.
Aussi, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous apporter aux Guyanais des assurances sur le respect par votre gouvernement des accords de Guyane, et ce dans leur totalité, c’est-à-dire des garanties sur la prise en compte, à la fois, du plan d’urgence, du plan complémentaire et du projet institutionnel ou statutaire pour lequel ils opteront ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Georges Patient, le Président de la République, lors de son déplacement en Guyane à la fin du mois d’octobre, a fixé les orientations du Gouvernement pour la Guyane et, plus globalement, pour les outre-mer. Cette « page nouvelle de la relation entre la République et les outre-mer » – je cite ses mots – est celle de la responsabilité partagée.
Vous me demandez au fond, monsieur le sénateur, où en est l’État dans l’exercice de sa responsabilité à l’égard de la Guyane.
Vous l’avez rappelé, les Guyanais, que je connais, ont de fortes attentes à l’égard de l’État dans ses responsabilités les plus fondamentales : la santé, la sécurité et l’éducation.
Je sais aussi les aspirations de la population de Guyane à un modèle de développement plus équilibré.
Tout d’abord, je voudrais dire que l’État a honoré sa parole pour ce qui est du plan d’urgence Guyane. Le budget 2017 tel qu’il a été revu par le Gouvernement et le budget 2018 tel qu’il l’a conçu offrent les traductions concrètes du respect de la parole de l’État. J’en veux pour preuve la mobilisation exceptionnelle des crédits de l’État pour les constructions scolaires, notamment dans l’ouest guyanais : 250 millions d’euros engagés sur cinq ans pour les lycées et les collèges, et 150 millions d’euros sur dix ans pour les écoles.
Nous allons redonner à la collectivité territoriale de Guyane de la capacité à investir pour l’avenir en recentralisant, conformément aux engagements pris par le Président de la République, les dépenses de RSA pour la Guyane.
Dès 2017, dans le cadre du fonds d’urgence prévu par l’État, nous avons apporté 50 millions d’euros supplémentaires pour faire face à l’augmentation rapide, massive, de la dépense en Guyane. Nous allons évidemment poursuivre sur ce chemin.
Mais la politique de l’État, monsieur le sénateur, vous l’avez dit et je pense qu’il est essentiel de l’avoir à l’esprit, ne se résume pas au plan d’urgence du premier trimestre 2017. Celui-ci a permis de répondre rapidement à l’urgence – c’est le cas de le dire ! –, quand l’avenir exige une construction de long terme.
D’abord, un mot sur le pouvoir d’achat : dans beaucoup de collectivités d’outre-mer, le niveau de la taxe d’habitation est très élevé – c’est le cas en Guyane. Cette année, une grande partie des habitants des communes de Guyane pourront constater la baisse massive de cette taxe, compensée aux communes. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Notre engagement en matière de sécurité est renforcé : la Guyane figure parmi les vingt départements reconnus comme prioritaires dans le cadre de la police de sécurité du quotidien.
En matière d’immigration – une question importante –, dans le cadre d’une expérimentation circonscrite à la Guyane, nous allons essayer, expérimenter, à compter de juin prochain, la réduction des délais d’instruction des demandes d’asile.
Monsieur le sénateur, vous le constatez, nous avançons, nous agissons. Il est vrai, j’en conviens volontiers, qu’avant de nous engager très en avant et très loin, nous prenons le temps de la réflexion. C’est d’ailleurs une volonté du Gouvernement dans le cadre des assises des outre-mer, mais aussi de la collectivité dans le cadre des états généraux. Les deux exercices ne sont pas indépendants : ils doivent, je le crois, se compléter à certains égards.
Je veux vous dire, monsieur le sénateur, que les outre-mer sont au cœur de nos politiques publiques. Ils le seront encore davantage avec le Livre bleu outre-mer qui marquera la conclusion des assises en mai prochain. Mme la ministre des outre-mer y est évidemment particulièrement investie.
Nous espérons, à partir de ce Livre bleu, pouvoir construire des politiques publiques dans la durée, efficaces et dotées des moyens appropriés afin que la Guyane, comme toutes les autres collectivités d’outre-mer, soit à la fois une fierté et une richesse pour l’ensemble de la France. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche. – MM. Emmanuel Capus et Joseph Castelli applaudissent également.)
filière forêt-bois
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation et concerne la filière bois.
Monsieur le ministre, notre pays est couvert de 16 millions d’hectares de forêt, soit 29 % du territoire. La France est à la tête de la troisième plus grande surface forestière d’Europe. La filière bois française représente aujourd’hui un véritable gisement d’emplois. On dénombre 440 000 emplois, soit 1,7 % de l’emploi en France. Avec un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards d’euros, elle participe au dynamisme et au développement des territoires ruraux.
Or force est de constater que la filière a perdu depuis 15 ans 20 % de sa valeur ajoutée et 100 000 emplois. Elle pâtit d’un déficit commercial d’environ 6 milliards d’euros par an.
L’augmentation des exportations, notamment vers la Chine, de bois brut non transformé pose la question de l’approvisionnement de la filière. En effet, de nombreuses scieries françaises sont contraintes de fonctionner en deçà de leur capacité.
On constate qu’un certain nombre de pays forestiers concurrents ont contraint la fuite de cette ressource brute, donc non transformée.
Malheureusement, la France, notamment notre région Grand Est, est devenue l’eldorado des traders internationaux. À titre d’exemple, en dix ans, les volumes de chêne brut disponibles pour les scieries françaises ont été divisés par deux.
Différentes mesures ont déjà été prises pour limiter les exportations : je pense notamment au label « transformation Union européenne ». Tous ces dispositifs demeurent néanmoins insuffisants.
Il est nécessaire, d’une part, de mettre en place une véritable politique volontariste et, d’autre part, d’assurer la cohérence des politiques publiques pour faciliter la valorisation locale du bois.
Monsieur le ministre, je sais que vous êtes sensible à cette problématique, pouvez-vous nous informer sur les mesures que vous entendez mettre en œuvre pour répondre à ces défis et sortir la filière bois de la crise qui la ronge ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Menonville, je voudrais tout d’abord excuser Stéphane Travert qui, vous devez le savoir, préside actuellement le Comité national de pilotage des zones défavorisées simples, les ZDS, sujet dont je sais combien il est important pour chacune et chacun d’entre vous ici.
Vous interrogez le ministre de l’agriculture sur un enjeu majeur, celui de l’avenir de la filière bois et de la gestion plus globale de la forêt, avec tous les emplois que vous évoquez. Effectivement, nous savons que, outre l’enjeu d’aménagement du territoire que représente la gestion forestière, il y a aussi ces 440 000 emplois.
Vous avez raison, la Fédération nationale du bois s’inquiète aujourd’hui de l’exploitation massive de grumes. Ce n’est pas un phénomène nouveau : vous l’avez souligné, il a commencé voilà une dizaine d’années. Vous avez aussi mentionné les engagements qui avaient déjà été pris, sous l’autorité de Stéphane Le Foll, par le gouvernement précédent pour que l’on puisse avoir les moyens de défendre cette économie essentielle pour notre territoire.
Il s’agissait, d’abord, d’un durcissement des conditions administratives et sanitaires liées à l’export de grumes, avec, par exemple, l’augmentation du tarif de la certification sanitaire par les services de l’État ou l’interdiction des produits phytosanitaires dangereux, afin qu’il y ait une juste concurrence entre les bois de nos producteurs et ceux qui sont importés.
Je citerai aussi, comme vous l’avez fait, le label de l’Union européenne utilisé par l’Office national des forêts, l’ONF, qui doit garantir l’origine des grumes dans les pays de l’Union européenne.
En ce qui concerne les mesures que nous devons mettre en œuvre, c’est par exemple l’élargissement de ce label UE à l’ensemble de la forêt privée, qui, aujourd’hui, n’est pas dans ce cadre. Nous souhaitons, dans les semaines qui viennent, faire en sorte que cela puisse se mettre en œuvre, et mettre en place une adhésion des producteurs à des coopératives forestières. Nous voulons également contribuer à améliorer le dialogue dans la filière.
L’ONF a été chargé de la mise en œuvre de ces outils par Stéphane Travert, qui conduira, dans les prochains mois, un travail pour que ceux-ci soient renforcés dans le cadre du Grand plan d’investissement. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
rapport spinetta relatif à l’avenir du transport ferroviaire
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre chargée des transports, mes chers collègues, le rapport Spinetta, remis jeudi dernier, a fait l’effet d’une bombe en préconisant tout à la fois : abandon des lignes non rentables, soit 9 000 kilomètres de rail ; filialisation du fret ; privatisation des trois établissements constituant la SNCF ; ouverture à la concurrence totalement libre pour le TGV ; abandon du statut des cheminots, et j’en passe.
Madame la ministre, vous l’avez dit, le statu quo n’est pas une option, le rail doit se moderniser et se développer par l’investissement. Il a besoin de financements nouveaux, d’une vision renforcée de ses missions au service de l’aménagement du territoire et du droit à la mobilité pour répondre aux besoins croissants de la population et des nouveaux modes de vie et de déplacement.
À l’inverse, ce rapport sonne comme une insulte à nos territoires ruraux, périurbains, car supprimer des lignes régionales, c’est détruire la cohésion et l’égalité territoriale.
M. Philippe Bas. Exactement !
Mme Cécile Cukierman. La décision de fermeture de lignes par l’État est une ineptie, tout comme le transfert sur les compétences régionales : les collectivités déjà asphyxiées ne pourront assumer des axes de transports essentiels et structurants pour nos concitoyens.
Avec la parution de ce rapport, la « start-up Nation » érigée comme modèle d’avenir par votre gouvernement montre ses limites ou plutôt ses priorités : libéralisme décomplexé face à la solidarité des territoires, ou encore aménagement européen face à l’aménagement national.
La création de déserts ferroviaires va encourager les gens à utiliser le transport routier, alors que l’argument écologique est avancé.
Votre gouvernement souhaitait faire des transports du quotidien sa priorité absolue. Qu’il commence par ne pas abandonner les transports en région, en évitant la création d’un service public à deux vitesses !
Ma question sera simple : comptez-vous reprendre les préconisations de ce rapport qui condamne le service public ferroviaire et met au ban de nombreux habitants, considérés dès lors comme des Français de seconde zone ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Philippe Bas applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Cukierman, je voudrais vous confirmer que l’objectif du Gouvernement, mon objectif, est d’améliorer la mobilité de tous les Français (M. Jackie Pierre s’esclaffe.), dans tous les territoires (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), en luttant contre les fractures territoriales et l’assignation à résidence.
Dans ce cadre, notre service public ferroviaire joue clairement un rôle essentiel, avec plus de 11 000 trains qui circulent chaque jour et plus de 4 millions de voyageurs. Mais force est de constater que ce service public rencontre de graves difficultés, avec une qualité de service qui n’est pas au niveau attendu par les Français, avec des coûts qui ne cessent de croître, avec une dette qui augmente de 3 milliards d’euros par an. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Pourtant, nous n’avons jamais consacré autant d’argent au service public ferroviaire, avec 20 % de plus aujourd’hui qu’il y a dix ans. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Pourtant, je connais l’engagement des cheminots, dans leur mission de service public, au service des voyageurs. (Mme Sophie Primas s’exclame de nouveau.)
Pourtant, tous nos concitoyens sont attachés au service public ferroviaire.
C’est face à cette impasse, à ces contradictions, que le Gouvernement a souhaité disposer d’un rapport posant une vision globale sur le secteur public ferroviaire. Ce rapport pose un constat sévère, mais malheureusement juste,…
M. Martial Bourquin. Juste ? On pourrait en discuter !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … sur les difficultés que rencontre notre système ferroviaire. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Aujourd’hui, les propositions sont sur la table et, avec le Premier ministre, nous avons engagé une concertation avec tous les acteurs. À l’issue de ces concertations, nous annoncerons la méthode et le calendrier.
S’agissant des petites lignes – ce terme n’est pas adapté, car je sais que ce sont des lignes essentielles pour beaucoup de nos concitoyens –, je le dis clairement : nous avons prévu d’investir 1,5 milliard d’euros dans les contrats de plan. Ces engagements ne seront pas remis en cause. Ce n’est pas à Paris que se décidera l’avenir de ces lignes, mais dans les territoires, avec les régions, au plus près des besoins des voyageurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique, en six secondes !
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, votre gouvernement est en marche, mais nos concitoyens veulent rouler dans des trains qui s’arrêtent dans toutes leurs communes ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
rapport spinetta
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Olivier Jacquin. Madame la ministre chargée des transports, ma question porte sur le même sujet. Nous attendions tous, avec une certaine impatience, les conclusions du rapport Spinetta, tombées jeudi dernier.
Durant cette attente, je songeais à une révolution positive des transports, dans la continuité des propos du Premier ministre qui évoquait « une véritable refondation de la SNCF ». Je songeais au maillage territorial pour tous du XIXe siècle qui aurait été transcendé et adapté aux défis du XXIe siècle et des nouvelles mobilités.
Je songeais à une véritable cure de jouvence pour notre SNCF, ce pilier de notre République, qui a contribué à unifier le territoire.
Mais nous en sommes loin !
Il y a bien sûr quelques bonnes idées et bons principes, mais, pour l’essentiel, nous sommes dans les vieilles recettes, et dans un conformisme libéral qui a montré ses limites appliquées au service public.
M. Jean-François Husson. Qu’avez-vous fait, avec Hollande ?
M. Olivier Jacquin. L’exemple type est la transformation en société anonyme de l’EPIC SNCF Réseau et Mobilités, au motif d’un endettement trop important, qui n’a évidemment pas été provoqué par les cheminots mais bien par les choix d’investissement de l’État. Dans cette société anonyme, le statut des cheminots ne pourra être amené à évoluer que par la négociation, et non par des effets d’annonce.
Madame la ministre, à la suite de ce rapport, dans lequel la place de l’usager n’est encore que trop peu prise en compte, je vous pose plusieurs questions au nom du respect de la parole donnée. Souhaitez-vous maintenir cette approche française de la structuration du territoire par les mobilités ?
Pouvez-vous confirmer que les haltes TGV existantes ne seront pas supprimées alors même que certaines ont été cofinancées par les collectivités territoriales, comme dans ma région Grand Est ?
Enfin, quels moyens seront dégagés pour financer les investissements pour les fameuses lignes à faible trafic prévus dans les contrats de plan État-région ? Quels types de financements peut-on imaginer afin de donner un avenir à ces lignes ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jacquin, je voudrais vous redire que l’engagement du Gouvernement, c’est bien d’améliorer la mobilité pour tous les Français, dans tous les territoires.
Les assises nationales de la mobilité ont, à cet égard, permis de faire remonter de très nombreuses propositions, y compris la nécessité de sortir des zones blanches de la mobilité. Vous savez sans doute que 80 % de notre territoire n’est pas couvert par une autorité organisatrice de la mobilité : par conséquent, personne ne s’occupe de proposer des solutions alternatives à la voiture individuelle dans ces territoires.
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Le service public ferroviaire a clairement un rôle important à jouer dans notre politique de mobilité au service de tous les territoires. Mais, comme je le disais, aujourd’hui, nous sommes face à des impasses, à des coûts qui ne cessent de croître, à une dette qui ne cesse d’augmenter et à une qualité de service qui ne répond pas aux attentes de nos concitoyens.
Nos concitoyens le savent bien : ceux qui vivent avec angoisse le fait de prendre un train et qui se demandent s’ils vont arriver à l’heure au travail ; ceux qui constatent que, pendant qu’on inaugure quatre lignes à grande vitesse au cours des dix-huit derniers mois, 20 % de notre réseau ferroviaire font l’objet de ralentissements. Très concrètement, cela signifie par exemple qu’il faut une heure vingt-cinq minutes pour parcourir les 70 kilomètres séparant Niort de Saintes,…
M. Philippe Mouiller. Ça, c’est vrai !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … et trente-cinq minutes de plus qu’avant pour aller aujourd’hui de Limoges à Paris. Nos concitoyens le vivent au quotidien.
Cela montre bien qu’une réforme s’impose, que le statu quo n’est pas possible. C’est bien dans l’objectif de redonner toute sa fierté à notre service public ferroviaire, auquel nous allons consacrer 36 milliards d’euros dans les dix prochaines années, soit 10 millions d’euros par jour pendant dix ans, de refonder le modèle ferroviaire que le Gouvernement a souhaité ce rapport pour définir une stratégie globale en termes de service public ferroviaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Michèle Vullien et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique en sept secondes, plus vite que le train ! (Sourires.)
M. Olivier Jacquin. Plus vite qu’un train de sénateur…
J’espère, madame la ministre, que ce train de réformes ne sera pas qu’une simple promesse de modernité rentable et concurrentielle ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain.)
conséquences de la hausse du gazole en zone rurale
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, le projet de loi de finances prévoit la hausse de la fiscalité sur le gazole au nom d’un impératif environnemental, que l’on peut partager, mais qui a entraîné une montée des prix à la pompe et du chauffage.
Je suis élu d’un territoire rural et je tiens à vous alerter sur les difficultés rencontrées par les habitants, les professionnels du transport et les agriculteurs.
Les habitants des zones rurales ont besoin de leur véhicule pour se rendre à leur travail et ont souvent de nombreux kilomètres à faire, quelquefois une centaine. Nombre d’entre eux possèdent des véhicules diesel, puisque les gouvernements précédents incitaient à acheter ces voitures, et n’ont pas les moyens financiers d’en changer.
Par ailleurs, les véhicules électriques ne sont pas aujourd’hui adaptés aux territoires ruraux, en raison d’un manque d’accès à des bornes et d’un coût trop onéreux.
Pour défendre activement la ruralité, fragile, il faut conserver le niveau du pouvoir d’achat dans ces territoires. La hausse du prix du gazole ne permet pas aux salariés de profiter des avantages financiers liés à la suppression des cotisations chômage et sociales dans le budget pour 2018.
Il en va de même pour les professionnels du transport, fragilisés par une forte hausse de leurs charges, qui subissent la concurrence de nos voisins européens, lesquels bénéficient d’une main-d’œuvre et d’un gazole moins chers.
À ce sujet, la Cour des comptes propose la simplification du remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. Le Gouvernement aurait engagé une réflexion pour un approvisionnement à taux réduit.
Madame la ministre, voici mes trois questions : quelles sont les mesures envisagées pour améliorer le pouvoir d’achat des habitants des territoires ruraux ? Quelle évolution peut-on envisager pour les transporteurs en ce qui concerne le remboursement de la TICPE ou leur approvisionnement à taux réduit ? Quelle possibilité d’harmonisation européenne des prix du gazole est envisageable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Daniel Dubois et Michel Canevet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Chasseing, vous avez raison, les transports sont trop souvent vécus comme une injustice entre citoyens et entre territoires. C’est la raison pour laquelle notre politique de mobilité doit répondre à cette réalité, et permettre de lutter contre les fractures territoriales et l’assignation à résidence.
C’est bien pour cela que dans la loi d’orientation des mobilités, que nous présenterons prochainement au Parlement, il sera notamment proposé d’assurer la couverture complète de notre territoire par des autorités organisatrices de la mobilité, afin d’offrir des solutions alternatives à l’utilisation de la voiture individuelle, de soutenir la mobilité inclusive et de développer les plateformes de conseil en mobilité.
Dans ce même objectif de lutte contre les fractures territoriales, les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures prévoient un plan de désenclavement du territoire pour sortir des promesses, reportées de contrat de plan en contrat de plan, de mise à niveau de notre réseau routier.
S’agissant de la transition énergétique, notre ambition est bien qu’elle profite à tous nos concitoyens.
Le développement de l’autonomie des véhicules électriques permet d’élargir leur domaine de pertinence. Aujourd’hui, 22 000 bornes de recharge ouvertes au public ont été déployées dans tout le territoire. Nous accompagnons le remplacement des véhicules diesel par des véhicules plus économes et des véhicules propres : une prime de 8 500 euros est versée pour l’achat d’un véhicule électrique et, nouveauté de cette année, une aide de 1 000 à 2 000 euros, pour l’achat de véhicules Crit’air 1 ou 2.
C’est bien pour accompagner la mobilité de tous nos concitoyens et pour prendre en compte les exigences du transport routier que nous avons proposé dans la loi de finances pour 2018 des mesures d’aide et de soutien au suramortissement pour les véhicules GNV et le gel de la TICPE pour le GNV de nos transporteurs routiers. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. Merci, madame la ministre. Vous le savez, les territoires ruraux sont très fragiles. La suppression des charges sociales va dans le bon sens, mais, dans les zones rurales, le budget consacré au transport est très important et a beaucoup augmenté. Il faut donc en tenir compte.
Pour maintenir la vie de ces territoires, il faut des agriculteurs, des retraités, mais aussi des entreprises et des salariés, dont il faut favoriser l’installation et les conditions leur permettant d’y vivre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Olivier Cigolotti et Pierre Médevielle applaudissent également.)
fiscalité agricole
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question porte sur la réforme de la fiscalité agricole. Je souhaite interroger le Gouvernement sur trois sujets importants qui concernent l’avenir de la viticulture, pilier de notre patrimoine culturel.
Tout d’abord, la transmission des exploitations. La viticulture est frappée par la hausse du prix du foncier et l’arrivée d’investisseurs extérieurs. La profession propose qu’un repreneur soit exonéré de droits de mutation sur l’outil d’exploitation, dans l’objectif de préserver un tissu d’entreprises familiales dans nos vignobles.
Ensuite, la création d’une réserve de gestion des risques. Le mécanisme existant de la déduction pour aléas n’ayant jamais remporté l’adhésion des agriculteurs en raison notamment de sa complexité, la profession demande la mise en place d’un dispositif visant à permettre aux entreprises de se constituer une « réserve d’autofinancement » avec des mesures fiscales adaptées.
Enfin, l’engagement des exploitations viticoles dans la certification environnementale. Les vignerons sont de plus en plus nombreux à intégrer dans leurs pratiques une meilleure prise en compte de l’environnement. Or le coût d’une certification est très lourd pour les petites exploitations. Afin d’encourager et d’accompagner les viticulteurs il conviendrait de leur accorder un crédit d’impôt.
Monsieur le Premier ministre, entendez-vous intégrer les présentes attentes de la profession viticole dans le projet de loi de finances 2019 ?
Avant de conclure, je souhaite rebondir sur un précédent débat.
Les représentants de la filière vitivinicole que j’ai récemment rencontrés se veulent des acteurs des politiques de prévention et de pédagogie de nos produits et revendiquent un devoir de responsabilité. Je considère qu’ils sont donc totalement légitimes à être associés avec les pouvoirs publics sur les stratégies nationales de la santé qui les concernent. Je vous remercie de prendre en considération cette demande. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Daniel Laurent, lors des débats parlementaires sur le projet de loi de finances pour 2018 est apparue la nécessité d’une réflexion globale sur la fiscalité agricole.
Le ministre de l’économie et des finances ainsi que le ministre de l’agriculture ont pris l’engagement de mener une concertation de l’ensemble des acteurs du secteur, en associant étroitement les parlementaires. Vendredi dernier a eu lieu le lancement de cette mission de concertation en présence des représentants des organisations syndicales et professionnelles agricoles. Le groupe de travail, que nous avons voulu transpartisan, comprend dix députés et dix sénateurs, désignés selon la représentation et la représentativité des groupes devant chaque assemblée et au choix des deux assemblées.
Sur ce sujet, comme sur d’autres, il nous paraît possible et souhaitable de s’affranchir des clivages politiques. L’objectif est d’aboutir à des propositions ambitieuses et cohérentes qui trouveront leur place dans le prochain projet de loi de finances.
Les enjeux de cette réforme visent notamment à répondre aux points que vous avez soulevés concernant les préoccupations des viticulteurs : il s’agit, en particulier, d’améliorer la résilience des entreprises en encourageant la gestion des risques et des aléas par la constitution de provisions ou d’épargne de précaution ; de renforcer la compétitivité des entreprises agricoles en favorisant les systèmes de production plus performants ; de favoriser la transmission des entreprises agricoles, sujet que vous avez mentionné ; enfin, de prendre en compte la diversification des activités agricoles.
J’ajoute que le travail qui sera mené complétera d’autres chantiers en cours, qui répondent aussi à certaines de vos préoccupations, notamment la loi PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises – et les états généraux de l’alimentation. Ce chantier devra respecter le cadre européen et notre trajectoire budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour la réplique.
M. Daniel Laurent. Je veux vous faire part d’un seul message : les agriculteurs ont besoin de stabilité et de visibilité pour leur avenir.
Monsieur le Premier ministre, la semaine prochaine se tiendra le Salon de l’agriculture : donnez-leur un signe fort en montrant que vous êtes à leur écoute ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
friche industrielle de vallourec à tarbes
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le ministre, le site de Vallourec à Tarbes est dans une situation critique : en décembre dernier, le groupe Vallourec, dont le principal actionnaire n’est autre que l’État, annonçait la vente des sites à une entreprise américaine.
Vous le savez, deux sites ne sont pas concernés par cette reprise, Cosne-sur-Loire, sur lequel ma collègue sénatrice de la Nièvre, Nadia Sollogoub, vous a déjà interpellé, et le site de Tarbes, pour lequel Viviane Artigalas, que j’associe ici à ma démarche, et moi-même sommes mobilisées.
Les délais imposés par Vallourec pour une reprise des sites concernés fixent la date butoir au 28 février prochain : sans candidat sérieux déclaré, l’entreprise fermera, laissant plus de 50 salariés sans emploi sur le site de Tarbes.
Les Hautes-Pyrénées ont payé le prix fort de la désindustrialisation : 7 000 emplois industriels ont été sacrifiés en trente ans au profit de la métropole toulousaine, qui attire à elle toutes les activités. Vallourec est, au-delà d’un bouleversement humain et social, un symbole : celui de l’abandon d’une stratégie industrielle française. Il est temps que l’État intervienne pour endiguer la désertification industrielle des territoires ruraux, où la qualité de vie et le savoir-faire technique sont pourtant au rendez-vous.
Le 26 janvier dernier, le délégué interministériel aux restructurations venait à notre rencontre pour nous assurer que des projets de reprise étaient à l’étude. À huit jours de l’échéance fixée par le groupe Vallourec, nous n’avons toujours aucune assurance d’une reprise : je vous laisse imaginer la détresse des salariés face à cette situation.
Nous pouvons pourtant aujourd’hui compter sur un outil de production adapté ; un client, Nexter, dont l’importance pour l’armée française est plus que stratégique, qui assure 36 % de la production du site ; enfin, un véritable savoir-faire du personnel, ouvert à une diversification de l’activité.
Aussi, monsieur le ministre, l’État consentira-t-il enfin à faire pression sur le groupe Vallourec en sa qualité d’actionnaire pour qu’il ne fasse pas tomber le couperet du 28 février sur la tête des salariés, et permette ainsi à un repreneur de bâtir un projet industriel sérieux dans un délai raisonnable ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Maryse Carrère, nous avons déjà abordé le sujet de Vallourec et de ses difficultés. La mise en vente des activités drilling a permis la reprise d’une partie des sites, mais pas de ceux de Cosne-sur-Loire et Tarbes, qui n’ont pas été repris par National Oilwell Varco, le repreneur du reste de l’activité.
Comme vous l’avez dit, Jean-Pierre Floris, délégué interministériel aux restructurations d’entreprises, s’est déplacé à Tarbes le 26 janvier dernier pour visiter le site et rencontrer les salariés. Il a également reçu le directeur général de la société Vallourec Drilling le 16 février dernier pour faire le point sur la recherche de repreneurs.
Je peux vous assurer que des moyens importants sont mis en œuvre par la société avec un cabinet spécialisé pour donner, d’ici à la fin du mois de février, la visibilité aux salariés quant à l’avenir du site de Tarbes. Des contacts entre la société et des repreneurs potentiels sont en cours. Deux d’entre eux ont visité le site ces derniers jours. Vallourec travaille avec les repreneurs potentiels en vue d’aboutir rapidement au dépôt d’offres de reprise indicatives qui ouvriraient la voie à des discussions approfondies sur ces projets.
Je vous assure que le Gouvernement et les services de l’État maintiennent leur pleine vigilance afin de permettre la poursuite d’activités sur ce site. (M. François Patriat applaudit.)
pac et diminution des dotations
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
La politique agricole commune est l’un des fondements de la politique européenne. L’idée, portée depuis 1957, est simple. Les pays dotés d’un potentiel agricole important bénéficient de transferts nets de la part des pays européens qui ne peuvent subvenir à leurs besoins alimentaires. Il s’agit d’une mesure de solidarité, d’une mesure juste. Il convenait de le rappeler.
Au cours de ces dernières décennies, malgré les coups de boutoir répétés de certains pays non agricoles et des hautes autorités bruxelloises pour en finir avec la PAC, la France a toujours résisté. La défense des agriculteurs en Europe a toujours été une ligne rouge infranchissable.
Il semble pourtant que le Président de la République et votre gouvernement se préparent, pour la première fois dans l’histoire, à rompre avec cette fermeté et à accepter une baisse du budget de la PAC. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Cela ouvrirait une nouvelle ère, celle de l’abandon, en Europe, de nos agriculteurs. Si cela était vrai, au-delà du principe, qui est contestable, le moment de cet abandon serait vraiment bien mal choisi, car nos agriculteurs sont au bord de l’asphyxie – le département du Lot-et-Garonne, dont je suis issue, connaît aussi, hélas, ce désastre. Baisser le budget de la PAC de 10 %, de 15 % voire de 30 %, comme le proposent certains, constituerait une véritable trahison des agriculteurs français.
Monsieur le ministre, une baisse du budget de la PAC est-elle envisagée ? Si oui, le Président de la République sera-t-il alors le premier Président français à l’accepter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat, personne au Gouvernement ni – j’en suis convaincu – au sein de la Haute Assemblée ne souhaite abandonner la PAC. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Là n’est pas la question !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Le ministre de l’agriculture l’a d’ailleurs rappelé hier, à Bruxelles, lors du conseil des ministres de l’agriculture et de la pêche, et au cours de son entretien avec le commissaire européen Phil Hogan, en marge du conseil, la PAC est et restera l’une de nos priorités. (M. Jean-François Husson est dubitatif.)
La France porte évidemment une vision ambitieuse de cette politique intégrée, qui est aussi, je vous le rappelle, la première politique européenne ; il nous faut évidemment défendre une PAC ambitieuse, responsable, qui protège nos agriculteurs et qui libère nos entreprises agricoles, pour transformer le système de production. En effet, il ne suffit pas d’avoir une approche quantitative, il faut également avoir une exigence qualitative sur ce sujet. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Ce n’est pas le problème !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Ainsi, la France devra être offensive pour maintenir le budget de la politique agricole commune, indépendamment de l’impact du Brexit. Il faudra aussi obtenir une simplification de sa mise en œuvre pour les professionnels ; il y va à la fois de l’aménagement du territoire et de notre souveraineté alimentaire – je sais que l’on se retrouvera tous sur ce sujet.
M. Jean-François Husson. Cela dépendra des conditions !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, il ne s’agit pas de se contenter de sommes d’argent, il faut aussi profiter de cette PAC pour que celle-ci soit porteuse d’une ambition environnementale renforcée, permettant la rémunération des services environnementaux. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous n’aimez pas l’environnement ? (Rires sur les travées du groupe La République En Marche. – Les exclamations redoublent sur les travées du groupe Les Républicains.) Je suis assez surpris que vous n’admettiez pas le rôle majeur du monde agricole en matière de préservation de l’environnement (M. Jean-François Husson s’exclame.) ; or il faut bien évidemment rémunérer l’engagement de nos agriculteurs à ce sujet.
Aussi, je vous le dis, la France portera cette ambition, cette exigence financière, certes, mais également cette ambition qualitative, tant pour les agriculteurs que pour l’ensemble des Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État ; votre réponse me réjouit, mais je n’arrive pas à être rassurée. Vous avez du mal à cacher, me semble-t-il, que cette PAC va malheureusement baisser. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Christian Manable. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Imaginez, un seul instant, que vous deviez, après une vilaine chute, marcher avec des béquilles pendant quatre mois. Heureusement, on aurait inventé de nouvelles béquilles plus adaptées, qui vous permettraient de bien mieux vous déplacer, mais, voilà, à cause de leur coût, on ne pourrait vous les donner que pendant le premier mois. Et pour les trois mois qui restent ? Rien, il faudrait rester assis. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Vous trouvez cela stupide ? Eh bien, vous allez adorer le dédoublement des classes de cours préparatoire en zone d’éducation prioritaire, que vous êtes en train d’imposer…
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Absolument !
M. Christian Manable. Ce dédoublement des cours préparatoires constitue une belle ambition, mais à condition d’y mettre les moyens. Il n’est pas raisonnable de penser que les classes rurales soient une variable d’ajustement pour récupérer des postes ; il n’est pas raisonnable de liquider le dispositif « plus de maîtres que de classes » sans laisser le temps nécessaire à son évaluation ; il n’est pas non plus raisonnable de puiser dans les effectifs de remplacement.
Monsieur le ministre, le résultat de votre politique oppose les territoires entre eux, alors qu’il faut tenir compte de la spécificité de chacun.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Christian Manable. Par exemple, dans le département dont je suis élu, la Somme, vous envisagez de supprimer une classe dans la commune de Fressenneville ou encore dans celle d’Eaucourt-sur-Somme. Pourtant, les effectifs y sont quasi stables. Ce n’est donc pas une question démographique, et les parents refusent ces décisions injustes ; d’ailleurs, dans notre département, plusieurs dizaines d’écoles ont été occupées la nuit dernière.
En revanche, il existe une question éducative. La Somme est le deuxième département de France métropolitaine, après l’Aisne, du point de vue du nombre de jeunes ayant une difficulté de lecture – 14,9 %, contre 9,6 % dans le pays –, et l’espérance d’obtenir le baccalauréat est, en Picardie, la plus faible du pays.
Aussi, voici ma question, monsieur le ministre : prendrez-vous en compte les spécificités de nos territoires, en ville comme à la campagne sans, j’y insiste, les opposer l’une à l’autre ? Faites en sorte que la prochaine rentrée scolaire ne s’apparente pas au naufrage du Titanic ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur la plupart des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, n’imaginons pas, regardons la réalité plutôt que le fantasme, et n’alimentons pas le fantasme sur un sujet aussi important que l’éducation de nos enfants.
À la rentrée 2018, dans le premier degré, il y aura 32 650 élèves de moins et, pourtant, il y aura 3 881 professeurs supplémentaires. (M. Jean-François Husson proteste.) Concrètement, cela signifie que, partout en France, dans la ruralité, y compris dans votre département, il y aura davantage de professeurs par élève. Nous n’aurons donc pas fait le choix de soutenir les élèves les plus fragiles dans les quartiers les plus difficiles contre la ruralité ; ces chiffres-là sont faux.
Vous avez évoqué – j’ai bien entendu – trois écoles dans lesquelles il y aura des fermetures de classes, mais je crois qu’il est important pour la représentation nationale, ici présente, de considérer la photographie précise de votre département, la Somme, à la rentrée 2018. Ainsi, il y aura 782 élèves de moins dans les écoles primaires, mais 15 nouveaux postes de professeur. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.) Dans ce département, le vôtre, la carte prévisionnelle, telle qu’elle a été présentée par les services de l’inspection d’académie, prévoit 38 fermetures de classe – vous avez raison, il y aura des fermetures de classe –, contre 77 ouvertures de classe (M. Ladislas Poniatowski s’exclame de nouveau.) ; oui, monsieur le sénateur, et vous le savez !
Vous avez d’ailleurs évoqué l’année dernière, au cours de laquelle une dizaine d’écoles ont été bloquées à la suite de fermetures de classe ; comme quoi, l’année dernière, sous une majorité politique différente, que vous souteniez et moi aussi (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), il y avait donc déjà des fermetures de classe ! En effet, quelles que soient les majorités, chacun sait qu’il y aura évidemment des ouvertures et des fermetures de classe. Il faudrait être aveugle et muet pour considérer que, quand il y a des baisses d’effectif, il faut maintenir des classes ; je crois que personne ne peut tenir ce discours-là.
Par conséquent, nous voyons bien qu’il est inopportun et injuste d’opposer la ruralité aux quartiers (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), notamment dans votre département, monsieur le sénateur, parce que, dans la Somme, département rural, 25 % des écoliers seront bénéficiaires du dédoublement de classes (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) ; voilà la réalité ! Il est donc bien inutile d’opposer la ruralité à l’urbain ; je vous le dis, c’est une fausse polémique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Emmanuel Capus applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
organisation de l’enseignement dans le primaire
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, ma question concerne les fermetures de classe unique en zone rurale (Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), plus précisément à Havange, en Moselle.
Cette commune a une classe unique à tous les cours avec dix-neuf élèves. Au motif d’une légère baisse à la rentrée, l’Éducation nationale vient de programmer sa fermeture.
Ainsi, dans la ruralité, on exige dix-neuf élèves pour maintenir une classe unique à tous les cours, alors que, dans les quartiers urbains dits « sensibles », le Gouvernement a fixé le seuil à douze élèves pour des classes à un seul cours.
M. Ladislas Poniatowski. Eh oui !
M. Jean Louis Masson. C’est donc clair, monsieur le ministre : on déshabille les zones rurales au profit des quartiers à problèmes !
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, pourquoi refusez-vous que, dans la ruralité, les classes uniques à tous les cours bénéficient du même seuil de douze élèves que les quartiers dits « sensibles », où, pourtant, les classes sont à un seul cours ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – MM. Stéphane Ravier et Jean-Claude Luche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, depuis des années, il y a un décalage entre le nombre d’élèves dans les classes rurales et le nombre d’élèves dans les classes urbaines (M. Michel Savin s’exclame.), et c’est une bonne chose. Je suis moi-même élu des Alpes-de-Haute-Provence, j’étais confronté à cette réalité, celle de la distance, de la difficulté de l’accès à l’école.
Je pense que, depuis des années, jamais un urbain n’a prétendu qu’il fallait contester cette réalité, qui avantage, en nombre d’élèves par classe par rapport au professeur, le monde rural ; mais vous êtes en train de faire la mécanique inverse. Selon moi, c’est injuste, car cela revient à considérer que, parce que l’on serait dans une école rurale, on aurait, par nature, des difficultés scolaires et on serait d’un milieu social défavorisé. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Or le déterminisme social, mesdames, messieurs les sénateurs, est une évidence. Vous pouvez râler, mais c’est votre échec collectif ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Le vôtre aussi !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. La réalité du déterminisme social, nous le savons tous, c’est que, selon la catégorie socioprofessionnelle des parents, le lieu où l’on habite, les conditions d’habitation, il y a une injustice fondamentale. Ainsi, quand nous intervenons dans les quartiers les plus difficiles de France et que nous nous adressons justement à celles et ceux qui sont dans la plus grande fragilité, en dédoublant les classes pour les fixer à douze élèves, je me dis que nous faisons acte de justice.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, considérer que des classes de dix-neuf élèves, puisque c’est le seuil que vous évoquez dans le cas de votre département, menaceraient la qualité éducative me semble injuste pour la qualité des enseignants. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
En outre, il est essentiel de noter que, dans votre département aussi, malgré une baisse de 1 003 élèves dans les écoles primaires du département de la Moselle, il y a 20 nouveaux postes de professeur. Or j’ai le souvenir que, pendant deux quinquennats, durant lesquels vous étiez parmi les soutiens actifs de la majorité (M. Jean Louis Masson se lève et proteste. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), chaque année, il y avait des baisses significatives en matière d’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique ; il va vouloir expliquer son « soutien actif »… (Sourires sur diverses travées.)
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, vous dites vraiment n’importe quoi ! Me dire que, moi, j’ai soutenu ces gouvernements… D’abord, je ne soutiens aucun gouvernement, je suis non inscrit. Là, vous racontez vraiment n’importe quoi ! (Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous venez de dire – devant tout le monde ! – que l’on peut supprimer une classe de dix-neuf enfants à tous les cours – si on supprime cette classe, il n’y a plus d’école dans la commune –,…
Une sénatrice du groupe Les Républicains. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Évidemment !
M. Jean Louis Masson. … et vous trouvez cela tout à fait normal ! On prive les élèves de leur école, parce que c’est la ruralité profonde,…
M. Jean Louis Masson. … pour pouvoir créer des postes dans des quartiers dits « à problèmes », où il n’y a qu’un seul cours. Or c’est cela, le scandale, c’est cela, la différence de traitement !
Pourquoi trouvez-vous tout à fait normal que, dans la ruralité, les élèves soient à dix-neuf par classe à tous les cours, et que, s’ils tombent à dix-huit, on supprime leur école ? C’est invraisemblable ! Et vous êtes content de vous, monsieur le ministre… Je vous le dis : c’est une honte ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 8 mars, à quinze heures.
Merci, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
« Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires »
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les conclusions du rapport d’information Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires (rapport d’information n° 615, 2016-2017).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la délégation auteur de la demande.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un honneur d’introduire ce débat sur les conclusions du rapport de la délégation aux droits des femmes relatif à la situation des agricultrices, un sujet méconnu, alors même que 30 % des exploitations sont aujourd’hui dirigées par des femmes, que 36 % des salariés agricoles sont des femmes, et que, depuis toujours, les femmes apportent un tribut essentiel à l’agriculture.
Notre rapport est issu d’un travail de longue haleine, accompli entre février et juillet 2017. Il a été porté par une équipe de six corapporteurs représentant le Sénat dans sa diversité politique de l’époque ; notre délégation est en effet attachée à la méthode du consensus.
Ce rapport donne largement la parole au terrain, au travers du témoignage de plus de cent agricultrices, rencontrées à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat, il y a tout juste un an, le 22 février 2017, puis dans le cadre d’auditions et de tables rondes, ainsi qu’au cours de quatre déplacements en Vendée, en Bretagne, en Haute-Garonne et dans la Drôme.
Le rapport analyse la situation des agricultrices dans sa globalité, au travers de toutes les étapes de leur parcours professionnel : formation, installation, statut, protection sociale, santé, engagement dans les organisations professionnelles agricoles, accès aux responsabilités et retraites. Il évoque aussi les difficultés spécifiques liées à l’articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale pour des femmes qui exercent un métier où la charge de travail est considérable et dont les contraintes d’organisation peuvent être aggravées par un accès parfois inégal aux services publics, aux soins et aux moyens de communication.
Les constats du rapport rendent compte des échos que nous avons recueillis sur le terrain. Certains de ces ressentis concernent tant les femmes que les hommes et reflètent le malaise d’une profession que nous ne pouvions passer sous silence.
Je souligne d’ailleurs qu’une résolution du Parlement européen sur les femmes et sur leur rôle dans les zones rurales, adoptée en mars 2017, rejoint les constats que nous avons établis dans notre rapport.
Premier constat de la délégation : l’insuffisance des revenus et l’impression d’une dégradation régulière de la situation, tant pour les femmes que pour les hommes. Comme l’a exprimé Christiane Lambert, première femme présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA : « Les agriculteurs qui vendent en dessous des coûts de production se lèvent le matin pour perdre de l’argent ». Autre constat : « Le métier a besoin d’être défendu », car il pâtit d’une image négative qui contribue à l’isolement du monde agricole. Christiane Lambert déclare encore : « Nous sommes la profession oubliée »…
En ce qui concerne les difficultés spécifiques aux agricultrices, il est important de rappeler que celles-ci sont les héritières d’une longue invisibilité. Le fait qu’elles aient longtemps été considérées comme « sans profession » nous a tout particulièrement interpellés.
Par ailleurs, la crise oblige de nombreuses agricultrices à travailler à l’extérieur de l’exploitation pour rapporter un revenu, ce qui multiplie par deux leur charge de travail. Nous avons également voulu insister sur les obstacles que rencontrent souvent les jeunes agricultrices pendant leur parcours de formation et d’installation, qu’il s’agisse de l’accès aux stages, plus compliqué, semble-t-il, pour les jeunes filles élèves de l’enseignement agricole, ou de l’accès au foncier.
Enfin, plusieurs points sont souvent revenus dans les témoignages reçus en lien avec l’isolement du monde rural : le besoin de solutions d’accueil des jeunes enfants et les conséquences très préjudiciables, tout particulièrement pour les femmes, de la désertification médicale.
J’en viens maintenant à la présentation de nos 40 recommandations, adoptées à l’unanimité. Celles-ci visent notamment à adapter les critères d’attribution des aides à l’installation au profil atypique des agricultrices, qui exploitent des surfaces généralement plus petites que les hommes et s’installent plus tardivement qu’eux.
Nous formulons également des propositions pour faire en sorte que les agricultrices bénéficient d’une retraite et d’un revenu décents ; c’est un prérequis de toute amélioration de la condition agricole. Ce point n’a même pas fait débat entre nous ; il s’agit là d’une question de dignité. De la même manière, plusieurs de nos recommandations portent sur le statut des agricultrices, notamment sur le recensement des agricultrices sans statut – elles sont aujourd’hui entre 5 000 et 6 000 – et sur la sensibilisation du monde agricole au préjudice lié à l’absence de couverture sociale.
En outre, nous avons été surpris de constater qu’à peine 58 % des agricultrices recourent au service de remplacement en cas de maternité. Cette proportion relativement faible s’explique soit par le coût du service de remplacement, soit par le fait que le profil du remplaçant ne correspond pas toujours aux attentes. Plusieurs de nos recommandations portent donc sur un meilleur accès au congé maternité pour les agricultrices, y compris en cas de grossesse pathologique. À cet égard, je me félicite du chantier ouvert par le Gouvernement pour harmoniser le droit à congé maternité selon les professions, ce qui devrait être, je l’espère, bénéfique pour les agricultrices.
De façon plus générale, nous recommandons d’améliorer la communication sur les services de remplacement, et de sensibiliser les agricultrices aux bénéfices que peuvent leur apporter ces services, car ils leur sont indispensables, que ce soit pour les congés maternité, pour suivre des stages de formation continue ou pour l’exercice de mandats syndicaux ou dans les chambres d’agriculture.
Enfin, un pan entier de nos recommandations concerne la nécessité de renforcer la reconnaissance des agricultrices, afin qu’émergent des modèles auxquels les jeunes filles – les agricultrices de demain – peuvent s’identifier. La mise à l’honneur des agricultrices peut passer par des remises de prix ou de trophées, comme l’a illustré notre colloque du 22 février 2017. Nous recommandons ainsi la poursuite et la généralisation à toutes les régions des « prix des femmes en agriculture ».
Dans certains territoires, ces prix ont été abandonnés au moment de la réforme des régions : ils doivent être réactivés. Les remises de prix pourraient, par exemple, se tenir le 15 octobre, à l’occasion de la Journée internationale de la femme rurale ou, plus classiquement, le 8 mars.
Je souhaiterais connaître le sentiment de la secrétaire d’État sur cette proposition, dont la mise en œuvre, en lien avec les préfectures, ne me paraît pas hors de portée.
En outre, nous avons pu constater le rôle décisif des réseaux d’agricultrices, tel le groupe Égalité-parité : Agriculture au féminin, de la chambre d’agriculture de Bretagne, en tant qu’élément essentiel de l’autonomie professionnelle des femmes, de la diffusion des bonnes pratiques et de prise de confiance en soi. C’est pourquoi l’une de nos recommandations vise à encourager la diffusion de tels réseaux dans d’autres territoires.
Je conclurai par la question centrale de la place des femmes dans la gouvernance agricole. Si la proportion de femmes dans les chambres d’agriculture est en moyenne de 27 % sous l’effet de la loi du 4 août 2014, on constate que les bureaux de ces instances – qui, eux, n’ont fait l’objet d’aucune contrainte législative – demeurent très masculins. Nous proposons donc que la proportion d’un tiers de femmes, prévue par la loi du 4 août 2014, s’étende aux présidences de commissions et aux bureaux des chambres d’agriculture, comme aux instances dirigeantes des syndicats agricoles.
Voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une présentation sans doute trop rapide de notre rapport que je vous invite à lire en détail, ainsi que les actes de notre colloque qui a, voilà un an, rencontré un vrai succès.
Je souhaite souligner que ce travail collectif a été très bien perçu et relayé dans les territoires et qu’il a suscité beaucoup de satisfaction, mais aussi d’attentes, de la part de nos interlocutrices.
Toutefois, des recommandations n’ont de sens que si elles sont suivies d’effet. Il ne faudrait pas que ces espoirs soient déçus. Nous comptons donc sur vous, madame la secrétaire d’État, pour vous appuyer sur notre travail afin de donner un contenu concret à ses recommandations.
Il faut souligner que ce rapport suscite toujours autant d’intérêt : nous avons eu l’occasion de le présenter au salon international des productions animales, le SPACE, de Rennes, en septembre 2017 avec quelques collègues, puis devant la commission nationale des agricultrices de la FNSEA, en décembre dernier.
Pour conclure, je voudrais relever que la prochaine session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, qui se tiendra dans quelques jours à New York, aura pour thème l’autonomisation des femmes et des filles en milieu rural.
C’est dire si notre rapport reste d’actualité,…
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. … y compris au-delà de nos frontières nationales.
Je me réjouis donc que, grâce à l’Union interparlementaire, je puisse participer à cette session et montrer l’intérêt que porte le Sénat français au thème central de cette réunion, dédiée aux femmes rurales. (Applaudissements.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à débattre des conclusions et des recommandations de ce rapport d’information.
Je salue l’esprit de consensus qui a guidé votre réflexion commune. Ce rapport est le fruit des échanges très constructifs que vous avez eus avec les agricultrices, les organisations professionnelles, les institutions sociales et les services de l’État.
Je voudrais souligner la richesse du travail accompli, mais aussi l’importance des enjeux que nous aurons à relever collectivement pour faire progresser très concrètement l’égalité entre les femmes et les hommes partout en France, et particulièrement dans les territoires ruraux.
Traditionnellement, le monde agricole a longtemps été considéré comme un milieu d’hommes en raison de la pénibilité physique des travaux, du temps de travail conséquent, des risques professionnels importants. Cette culture du risque fait partie de ce que l’Institut Catalyst appelle les « normes masculines du pouvoir », bien plus valorisées dès l’enfance chez les petits garçons que chez les petites filles.
La persistance de ces stéréotypes nous conduit à penser que la direction d’une exploitation, ou même seulement un investissement identique, à parts égales, des femmes dans tous les travaux agricoles ne peut – théoriquement – pas constituer une option pour elles.
Et pourtant, comme votre rapport le montre parfaitement, les femmes occupent depuis longtemps une place de premier plan dans la vie des exploitations.
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Elles assument une part importante de l’emploi agricole et contribuent, de manière privilégiée, au dynamisme du milieu rural.
J’en veux pour preuve l’état des lieux dressé dans votre rapport : plus de 150 000 femmes chefs d’exploitation, 60 000 collaboratrices d’exploitation, 42 000 femmes salariées dans la production agricole… Garantir aux femmes les mêmes droits que ceux des hommes dans le secteur agricole constitue donc un enjeu fondamental pour notre pays.
Comme vous le savez peut-être, je suis originaire de Corse et élue de la Sarthe. Je sais donc à quel point les agricultrices sont essentielles à la vie et au dynamisme de la France.
C’est la raison pour laquelle j’ai effectué l’un de mes premiers déplacements, en juillet dernier, avec le ministre de l’agriculture, en Meurthe-et-Moselle. Ce fut l’occasion d’échanges très constructifs avec plusieurs femmes chefs d’exploitation – l’une d’entre elles était seule à la tête de son entreprise, les autres associées du groupement agricole d’exploitation en commun, le GAEC, constitué avec leur époux ou leur frère et partageant les responsabilités de manière égale.
J’ai aussi pu observer cette égalité en acte lors de ma visite du domaine agricole de Valle, premier GAEC de Corse géré par un couple à parité. Plus récemment, lors du voyage officiel du Président de la République en Corse, de nouveau, j’ai pu constater l’investissement remarquable d’exploitantes, notamment au service de l’innovation dans l’agriculture.
Tous ces échanges ont bien sûr renforcé la détermination du Gouvernement à agir en faveur des agricultrices. Je me félicite du fait que nous puissions présenter prochainement la feuille de route ambitieuse que Stéphane Travert et moi-même élaborons, pour faire progresser la place des femmes dans le monde agricole.
La haute fonctionnaire en charge de l’égalité au ministère de l’agriculture a activement participé à vos travaux. À la demande du ministre, elle a travaillé en étroite collaboration avec le service des droits des femmes et de l’égalité pour que cette feuille de route 2018–2020 intègre l’essentiel des propositions présentées dans ce rapport.
Je pense tout particulièrement au soutien renforcé aux projets portés par les femmes, à la promotion de la parité dans les instances représentatives, ou encore à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu rural.
Le ministre de l’agriculture et moi-même assurerons, évidemment dans la durée, la mise en œuvre et le suivi de cette feuille de route.
Conformément à vos recommandations, cet enjeu d’égalité est pleinement pris en compte au sein de l’enseignement agricole qui développe une pédagogie innovante sur les sujets liés à l’égalité filles-garçons. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir au cours de nos échanges.
Comme vous le savez, le Président de la République a choisi de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. L’annonce faite le 25 novembre dernier à l’Élysée est la traduction d’un engagement pris par le Président durant sa campagne, lorsqu’il déclarait : « La loi a changé ; maintenant c’est la vie des femmes qui doit changer ». (M. Michel Savin s’exclame.)
Pour ce faire, il faut agir au plus précis, au plus concret des situations de chaque territoire. L’objectif est le même partout et pour tous : l’égalité entre les femmes et les hommes, ni discutable ni négociable.
Toutefois, les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif peuvent différer d’un territoire à l’autre, en fonction de plusieurs paramètres : l’accessibilité des services publics, la richesse du tissu associatif, la situation économique et sociale, les particularités géographiques.
Repenser la manière dont le service public s’organise partout en France, au plus près des réalités des territoires, voilà l’un des enjeux. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre et moi-même avons lancé, en octobre dernier, le Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, j’étais hier encore en Gironde, à Pessac, et dans le bassin d’Arcachon, pour me rendre compte de la réalité au plus près des territoires.
L’objectif de ce Tour de France est d’identifier précisément les besoins, les attentes des femmes, pour adapter les politiques publiques à la diversité des situations, mais aussi pour partager les bonnes pratiques et faire connaître les dispositifs innovants qui existent à l’échelle des territoires.
En six mois, près de 850 ateliers ont été organisés dans toute la France – métropole et outre-mer – et ont rassemblé plus de 55 000 personnes. À l’issue de ces échanges, je constate que les préoccupations et les demandes qui se sont exprimées dans les zones rurales rejoignent de nombreuses recommandations formulées dans votre rapport, notamment en matière de droits sociaux.
Au cours des deux dernières décennies, la protection sociale des femmes exerçant une activité agricole s’est améliorée, en particulier avec la fin du statut de conjointe participant aux travaux et la création du statut de collaboratrice d’exploitation qui ouvre des droits plus importants singulièrement en matière de retraite.
Vous proposez d’aller plus loin en prévoyant de limiter sa durée dans le temps. J’imagine que nous allons avoir l’occasion de détailler cette mesure dans quelques instants.
Une telle réforme permettrait de compléter l’évolution vers l’égalité des droits, avec la limitation progressive des statuts secondaires et du statut des aides familiaux.
Nul ici ne conteste le fait que ces statuts ont constitué un véritable progrès voilà une vingtaine d’années. Toutefois, il me semble temps de les faire évoluer, notamment pour combattre la précarité dans laquelle ils peuvent maintenir certains et, surtout, certaines de leurs bénéficiaires.
Vous suggérez, dans votre rapport, de limiter à cinq ans la durée du statut de conjoint collaborateur. Cette piste de réflexion doit être étudiée à condition qu’elle corresponde aux attentes des agricultrices. Les femmes qui, aujourd’hui encore, travaillent sur une exploitation sans aucun statut doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Mon collègue ministre de l’agriculture et moi-même serons aussi particulièrement vigilants à garantir les droits des femmes agricultrices à certaines périodes charnières de leur vie. L’arrivée d’un enfant fait partie de ces moments particuliers, votre rapport le souligne.
La réglementation permet aujourd’hui de se faire remplacer pour une durée égale au congé maternité des salariées. Il me semble tout d’abord important de faire connaître plus largement ce droit.
Nous travaillons également à la création d’un congé maternité harmonisé pour permettre aux agricultrices de bénéficier véritablement de ce droit. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Marie-Pierre Rixain, une mission temporaire sur le congé maternité.
Je sais les agricultrices très attachées aux dispositifs existants. Je ne doute pas que cette mission saura être attentive à la recherche d’un équilibre entre ce qui existe et ce que nous pouvons proposer pour améliorer la protection de ces femmes quand elles deviennent mères.
La fin de la vie active est un autre moment particulier de la vie des femmes.
Le plan de revalorisation des petites retraites agricoles, avec l’attribution de points gratuits de retraite complémentaire obligatoire, a surtout bénéficié aux femmes, ce qui est une bonne chose. Toutefois, malgré les efforts consentis, il faut reconnaître que les retraites agricoles sont plus faibles que celles des autres régimes, notamment pour les agricultrices.
Autant de constats qui illustrent la pertinence de votre recommandation visant à limiter l’accès au statut de collaboratrice. Je vous confirme que cette question sera portée par le ministère de l’agriculture à la faveur des travaux sur la réforme globale des retraites.
Bien évidemment, les agricultrices aujourd’hui en activité bénéficieront des évolutions qui seront retenues dans le cadre de cette réforme. C’est la raison pour laquelle, dès la semaine prochaine, je lance, dans la Vienne, notamment avec Jean-Paul Delevoye, une réflexion sur la retraite des femmes.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’évoquer l’ensemble des sujets, mais le débat qui va s’ouvrir nous donnera l’occasion d’aborder certaines questions.
Je voudrais simplement souligner que le ministère de l’agriculture est le tout premier à s’être engagé dans une démarche de budgétisation sensible au genre, comme il en existe depuis des dizaines d’années dans d’autres pays, au Canada ou au Maroc, par exemple. Il s’agit d’une avancée concrète pour le budget consacré aux agricultrices et à la défense de leurs droits.
Je me rendrai mi-mars à New York, auprès des Nations unies. J’ai choisi de consacrer l’un des événements organisés sur place par la France à la question de la place des femmes et de leurs conditions de vie dans les zones rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Michel Savin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, pour la réplique.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci, madame la secrétaire d’État, de ces informations.
Notre rapport a créé de fortes attentes dans les territoires. Certaines de nos quarante recommandations doivent se traduire de manière législative, mais pas seulement. Les territoires doivent aussi s’en emparer.
À la veille du Salon de l’agriculture, il est urgent de répondre à toutes ces attentes. Améliorer la situation des femmes agricultrices, c’est améliorer la situation des familles, améliorer la situation des hommes agriculteurs.
Toutes ces femmes, tous ces acteurs du monde agricole, attendent de vous de vraies réponses, madame la secrétaire d’État.
Ce rapport est le début d’un long travail. Le Sénat et la délégation aux droits des femmes resteront vigilants pour suivre l’application de ces mesures. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement également pour un maximum de deux minutes.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Franck Menonville. Je tiens tout d’abord à féliciter la délégation aux droits des femmes pour cet excellent rapport que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir, n’étant pas membre de cette assemblée lors de sa parution.
Les agricultrices disposent d’un niveau de pension de retraite très modeste. Force est de constater que la retraite moyenne des agriculteurs est inférieure de 38 % à celle du régime général qui s’élève, en moyenne, à 1 300 euros par mois, contre 800 euros pour les agriculteurs et 500 euros pour les agricultrices, quand le minimum vieillesse est de 900 euros par mois, pour un travail à temps plein.
Ces faibles montants s’expliquent notamment par le mode de calcul : la retraite d’un agriculteur est basée sur ses quarante meilleures années, celle d’un salarié du privé sur ses vingt-cinq meilleures années et celle d’un fonctionnaire sur les six derniers mois d’activité.
Madame la secrétaire d’État, ces disparités importantes sont flagrantes et extrêmement pénalisantes. Je voudrais savoir si le Gouvernement entend établir des critères de calcul plus convergents, voire identiques, quel que soit le domaine d’activité, pour tendre à une égalité des droits.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : les montants que vous venez de rappeler, bien trop faibles, ne sont pas acceptables.
En raison de cotisations moins élevées, les retraites de collaborateurs – qui sont majoritairement des collaboratrices – sont nettement inférieures à celles des chefs d’exploitation.
Le montant des retraites allouées aux conjoints d’exploitants a été au cœur des dispositifs de revalorisation des retraites agricoles. Depuis 2011, les collaboratrices d’exploitation sont affiliées au régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO, ce qui contribue à améliorer légèrement le niveau de retraite de ces femmes jusqu’alors affiliées au seul régime de base.
Les femmes sont les principales bénéficiaires du plan de rattrapage des retraites agricoles qui s’est concrétisé dans la loi du 20 janvier 2014. Depuis 2014, 66 points gratuits de RCO sont attribués aux conjoints et aux aidants familiaux justifiant d’une durée minimale d’assurance au titre des années antérieures à la création du régime, et ce dans la limite de dix-sept années.
Le montant de la retraite des chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète a été porté à 75 % du SMIC net par la création d’un complément différentiel de RCO mis en œuvre au 1er janvier 2015.
S’agissant de l’action du Gouvernement, sachez que, ce matin même, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé de la réforme des retraites, a réuni un groupe de travail sur la réforme des retraites, auquel le ministère de l’agriculture et de l’alimentation est bien sûr pleinement associé.
Les réflexions sont en cours et je sais que la spécificité des conjoints d’exploitants est sérieusement prise en compte.
Comme je l’ai dit voilà quelques instants, nous organiserons bientôt dans la Vienne, avec un député national, une députée européenne, Élisabeth Morin-Chartier, et le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, un grand atelier du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes destiné à faire remonter toutes les propositions visant à améliorer le pouvoir d’achat des femmes retraitées, et tout particulièrement celui des femmes retraitées des zones rurales.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, chère Annick, mes chers collègues, elles s’appellent Karen, Catherine, Jacqueline, Émeline, Marie-Blandine, Élodie, Sarah, Nathalie, Ghislaine, Brigitte, Perrine, Marie-Christine, Anne, Sylvie…
Elles vivent dans les départements du Lot, du Doubs, du Maine-et-Loire, du Gers, de Loire-Atlantique, de Haute-Garonne, de la Drôme, des Ardennes, d’Ille-et-Vilaine, du Rhône, de Haute-Marne, du Morbihan, du Loiret, de Meurthe-et-Moselle, de Vendée.
Elles ont en commun d’être « femmes en agriculture ». Elles élèvent des ovins, des vaches laitières et allaitantes, des lapins, des porcs, des chevaux, des volailles. Elles produisent des céréales, des légumes, des fruits, du vin.
Elles sont engagées, parfois militantes, dans les organisations professionnelles agricoles, présidentes de lycée agricole, présidentes de chambre d’agriculture, présidentes de section féminine, élues municipales, départementales, régionales, et ancienne sénatrice, pour l’une d’entre elles.
Elles, ce sont les femmes que j’ai eu la chance de rencontrer, parmi d’autres, en tant que corapporteur, aux côtés de mes cinq collègues, à l’occasion du colloque organisé ici même ou lors de nos déplacements.
Elles ont fait de leur passion un métier choisi et assumé.
Elles se caractérisent par leur esprit d’ouverture. Elles ont le souci de la recherche de valeur ajoutée, une sensibilité aux questions environnementales et sociétales. Certaines accueillent des touristes ou pratiquent la vente directe.
Elles sont vives d’esprit et épanouies.
Pourtant, ce rapport met en exergue les conditions parfois difficiles dans lesquelles elles vivent leur activité, de la formation à la retraite, à l’instar de leurs homologues masculins sur certains aspects.
Aussi, nous avons l’obligation collective de faire vivre ce rapport et ses quarante recommandations pour reconnaître les carences et insuffisances, pour redonner du sens à ce noble métier et de l’espérance à celles qui l’ont choisi.
Il nous appartient désormais, législateur, ministre de l’agriculture – pour l’enseignement agricole –, chambres consulaires, mutualité sociale agricole, banques, coopératives agricoles, collectivités locales et autres acteurs de l’agriculture et de la ruralité de tout mettre en œuvre pour obtenir des résultats à la hauteur des espoirs suscités.
M. le président. Votre question, mon cher collègue !
M. Didier Mandelli. Madame la secrétaire d’État, vos services pourraient-ils assurer le suivi de ces propositions, en liaison avec la délégation aux droits des femmes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Marie Janssens et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la mise en œuvre des recommandations du rapport d’information établi par la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Les services du ministère de l’agriculture ont vocation à examiner très concrètement, une par une, les suites qui peuvent être réservées à l’ensemble des recommandations de ce rapport.
À la demande de Stéphane Travert, la haute fonctionnaire en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes au ministère de l’agriculture, qui a participé activement à vos travaux en 2017, a élaboré une feuille de route sur l’égalité des droits 2018–2020 qui intègre l’essentiel de vos recommandations dont elle s’est inspirée pour faire ses propositions : soutien renforcé aux projets portés par les femmes, promotion de la parité dans les instances représentatives décisionnelles, formation et accompagnement des jeunes filles vers les métiers de l’agriculture, lutte contre les violences faites aux femmes en zone rurale. L’ensemble du ministère en assurera la mise en œuvre et le suivi concret dans la durée.
J’ajoute que ces enjeux sont pleinement pris en compte au sein de l’enseignement agricole qui développe depuis peu une pédagogie innovante sur les sujets liés à l’égalité entre filles et garçons.
Par ailleurs, certaines des recommandations émises dans ce rapport avaient déjà fait l’objet de réflexions ayant conduit à inscrire des dispositions spécifiques dans les textes au cours des dernières années – loi retraite de 2014, loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt… – dont il faut encore évaluer l’impact.
D’autres recommandations, qui concernent plutôt l’aménagement du territoire, seront prises en compte dans les travaux menés par le commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, en partenariat avec le ministère de l’agriculture.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de rappeler que ce métier, particulièrement pour les femmes, est une passion. C’est aussi un choix, et c’est en tout cas une nécessité pour le pays.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour le groupe La République En Marche.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, femme d’agriculteur éleveur dans le Morvan, conjointe collaboratrice depuis la loi de juillet 1999 instituant ce statut, mère de trois enfants, je me sens particulièrement concernée par ce débat.
Comme toute femme, une agricultrice doit pouvoir s’épanouir dans sa vie professionnelle et familiale. Le domaine le plus clivant entre hommes et femmes est celui de la maternité. D’où mes différentes questions.
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en place un service de remplacement entièrement pris en charge permettant à ces agricultrices d’avoir une grossesse sereine sans risque de complications, de soigner leur enfant quand il est malade ?
Comment allez-vous permettre le développement de solutions d’accueil pour la petite enfance en milieu rural ?
Quelles structures innovantes, prenant en compte les contraintes des métiers de l’agriculture, ce qui implique de pouvoir recourir à des formules souples – accueil régulier, occasionnel, en urgence… – et flexibles – horaires décalés, week-ends, jours fériés, période estivale –, allez-vous mettre en place ?
Enfin, comment établir cet équilibre, cette égalité, cette équité entre, d’une part, les agricultrices et, d’autre part, les actrices économiques des autres secteurs d’activité qui bénéficient aujourd’hui de ces solutions ?
L’histoire nous permet d’affirmer que ce serait la meilleure façon d’assurer la relève dans ce monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Merci de cette question, madame la sénatrice, qui concerne des sujets passionnants, mais elle est si vaste que je n’aurai pas assez de deux minutes pour répondre à tous les points que vous avez évoqués.
Certaines agricultrices m’ont raconté la réalité de leur situation : faute de mode d’accueil de la petite enfance, elles sont parfois contraintes d’aller travailler sur l’exploitation agricole avec des enfants en bas âge, au mépris des règles de sécurité, et qu’elles cachent lors des contrôles. Il ne s’agit pas d’un choix, mais d’une nécessité si elles veulent travailler.
Je suis tout à fait d’accord avec vous : le mode d’accueil des enfants en bas âge est un vrai sujet pour les jeunes mères agricultrices.
Un certain nombre d’expérimentations sont mises en œuvre. Depuis près de quinze ans, la MSA mène une politique volontariste en versant la prestation de service unique, la PSU, à parité pour les enfants qui relèvent du régime agricole, en finançant des initiatives locales, en construisant avec les territoires qui en sont dépourvus, en accompagnant l’expérimentation de microcrèches et en suscitant l’innovation.
La MSA soutient l’ensemble des formules d’accueil des jeunes enfants en visant la réduction des inégalités territoriales et l’effectivité du libre choix des parents.
La mise en place d’un congé maternité harmonisé était l’un des engagements de campagne du Président de la République. Nous avons décidé qu’il fallait en priorité s’occuper de celui des femmes agricultrices.
C’est pour cette raison que, dans la feuille de route qu’il m’a remise, le Premier ministre m’a demandé de travailler sur cette question du congé maternité harmonisé. C’est aussi pourquoi nous avons, avec la ministre des solidarités et de la santé et la ministre du travail, confié une mission temporaire à la présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale sur le congé maternité.
Elle doit réfléchir à la meilleure manière d’instaurer un véritable congé maternité pour les femmes agricultrices et pour les femmes travaillant dans le milieu agricole. Elles doivent pouvoir bénéficier non seulement de l’indemnité de remplacement déjà existante, mais aussi – si elles le souhaitent –, d’un véritable congé maternité.
Je rappelle enfin que les agricultrices arrêtées en début de grossesse, qui ne sont plus en état d’assurer leur travail pour raison médicale, peuvent bénéficier des indemnités journalières de maladie, ce qui est bien normal.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en abordant ce débat, les mots passion, courage, engagement me viennent immédiatement à l’esprit, aussitôt suivis par les mots pénibilité, préjugé et invisibilité.
Ainsi, le monde agricole n’échappe pas à ce que vivent les femmes en général, quel que soit le secteur d’activité concerné.
Une fois de plus, les travaux de la délégation démontrent l’apport indéniable des femmes dans l’agriculture, comme dans tous les domaines.
Permettez-moi de remercier les six corapporteurs – cinq sénatrices et un sénateur – en regrettant que n’apparaissent pas « sénatrices et sénateurs » sur la couverture du rapport, mais seulement « sénateurs », comme il est de règle, paraît-il, dans notre Haute Assemblée.
Je vous invite, mes chers collègues, à lire le livre d’Éliane Viennot Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, ce qui devrait aider à changer cette règle bien arbitraire !
Ma première question portera sur la présence des femmes dans les instances dirigeantes du monde agricole. Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la parité y soit respectée ? Par parité, madame la secrétaire d’État, j’entends 50 %.
Ma deuxième question sera axée sur le statut juridique de la femme conjointe ou collaboratrice d’agriculteur, car beaucoup d’entre elles travaillent encore sans un véritable statut. Quelles sont vos intentions pour améliorer cette situation ?
Enfin, pour présenter ma dernière question, je m’appuierai sur le témoignage d’une agricultrice du département des Côtes-d’Armor, cher à ma collègue Christine Prunaud : « J’aime mon métier, il me demande beaucoup d’investissements et de persévérance. » et de continuer « il ne me laisse que peu de temps pour les loisirs, car c’est plus qu’un métier… Je commence ma journée de travail à six heures du matin qui ne s’achève qu’à dix-neuf heures trente ! ».
Les questions sociales sont prépondérantes dans ce secteur d’activité : faibles revenus, retraites insignifiantes, non-reconnaissance du travail de ces femmes… Quelles mesures comptez-vous prendre, madame la secrétaire d’État, pour apporter un peu d’espoir aux femmes agricultrices en améliorant profondément leurs conditions de vie ?
J’ai entendu que vous réfléchissiez, que vous aviez travaillé sur cette question. Au-delà des réflexions, il y a nos recommandations et il faut des moyens, comptez-vous les mettre en œuvre ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est indispensable de réfléchir avant de mettre en œuvre des politiques publiques. Le rapport dont nous discutons aujourd’hui nourrit cette réflexion.
Votre question porte, en premier lieu, sur la parité dans les instances représentatives agricole. Lors des dernières élections, en 2015, les femmes représentaient 45 % du corps électoral de la mutualité sociale agricole.
Au sein des conseils d’administration des 35 caisses locales, la proportion d’administratrices croît régulièrement depuis quarante ans. Entre 1974 et 1999, la part des femmes a crû fortement puisqu’elle est passée de 7,2 % à 26,1 % ; depuis, elle n’augmente plus que légèrement, passant 27,1 % en 2005 à 28,8 % en 2015.
Sur les 35 caisses locales, 7 sont présidées par des femmes pour les cinq années à venir.
Au niveau central, si vous me permettez cette expression, la parité est en train d’être atteinte : sur les 25 administrateurs élus, 12 sont des femmes
Mais j’observe là encore la persistance de ce que l’on appelle le plafond de verre, puisque, malgré cette relativement forte proportion de femmes, le président et le vice-président sont des hommes.
Pour les prochaines élections de la MSA, qui auront lieu en 2020, une réflexion est actuellement menée pour déterminer les conditions dans lesquelles pourront être appliquées les dispositions de l’ordonnance n° 2015-950 du 31 juillet 2015 relative à l’égal accès des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration des mutuelles.
Pour ce qui concerne les chambres d’agriculture, lors des échanges avec les syndicats dans le cadre de la préparation du prochain renouvellement des membres, le ministre de l’agriculture a proposé que les bureaux des chambres puissent appliquer la règle de mixité d’ores et déjà retenue pour l’élection des membres de chambre lors du scrutin de 2013, à savoir un candidat de chaque sexe par groupe de trois candidats.
Tous les syndicats ont fait part de leurs difficultés. Toutefois, il nous reste encore un peu de temps pour les convaincre du bien-fondé d’une telle demande de parité dans ces instances.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, en 2017, 58 % seulement des agricultrices ont exercé leur droit au congé de maternité. Elles demeurent pourtant exposées à des conditions de travail difficiles, qu’il s’agisse du port de charges lourdes ou du risque d’exposition aux pesticides et aux maladies touchant les animaux.
Cette situation, qui soulève de graves enjeux de santé publique pour la mère et l’enfant, s’explique par les défaillances des services de remplacement.
En cas de grossesse, les employés de ces services permettent en théorie à l’agricultrice d’être remplacée dans son exploitation. Toutefois, agricultrices et syndicats agricoles ont mis en exergue l’inadéquation, voire la carence, de l’offre de remplacement, le manque d’information et les réticences psychologiques des agricultrices à laisser leur exploitation à un tiers.
Surtout, la question du coût de ce remplacement suscite de l’inquiétude auprès de nombreuses agricultrices, en particulier depuis vos déclarations, madame la secrétaire d’État, selon lesquelles les agricultrices seraient les premières à bénéficier de la mise en place du congé de maternité unique et de l’octroi d’une indemnité journalière harmonisée, quel que soit leur statut professionnel.
Le monde agricole s’interroge sur la pertinence d’une telle indemnité au vu des spécificités de la profession. En effet, alors qu’un remplacement agricole coûte 145 euros par jour, les indemnités de maternité ne s’élèvent, pour les salariés du privé et du public, qu’à 80 euros environ.
Madame la secrétaire d’État, les indemnités journalières permettront-elles de couvrir les frais de remplacement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, je rappelle que le congé de maternité de toutes les non-salariées agricoles, chefs d’exploitation, mais aussi collaboratrices ou aides familiales implique, à l’heure actuelle, la prise en charge financière par la MSA du coût du service de remplacement.
J’ajoute que l’allocation de remplacement, particulièrement bien adaptée, d’après ce que nous disent les agricultrices, à l’activité agricole, n’a pas d’équivalent dans les autres régimes des indépendants ni pour aucune profession libérale. Même si le nombre de bénéficiaires a progressé de façon importante depuis 2010 – 60 % de femmes ont bénéficié d’une allocation de remplacement de maternité en 2015 –, il nous faut lever tous les freins au recours au service de remplacement.
Vous l’avez dit, en tant que secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, je porte le projet du Président de la République de création d’un congé de maternité harmonisé pour toutes les femmes, quel que soit leur secteur d’activité, l’idée étant de protéger les femmes et non pas les statuts. Toutes les améliorations qui peuvent être apportées pour la protection de ces femmes et de leurs enfants sont bienvenues.
Je reconnais pour ma part la particularité du secteur agricole, dont les métiers justifient le maintien du recours au service de remplacement dans le cadre de la maternité. Il n’a jamais été question de le remettre en cause. Je sais que les femmes agricultrices y sont très attachées. Le congé de maternité harmonisé auquel nous sommes en train de travailler n’a nullement pour vocation de se substituer à l’indemnité de remplacement. Il s’agit de créer un complément permettant de reconnaître la spécificité de l’activité d’agricultrice.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, mon intervention portera sur l’installation des agricultrices, et plus précisément sur leur accès aux aides à l’installation et aux terres.
L’installation est un enjeu majeur pour l’agriculture dans son ensemble, alors que le nombre d’agriculteurs en Europe baisse de 25 % tous les dix ans. Les personnes qui souhaitent s’installer en tant qu’exploitante ou exploitant se heurtent à deux difficultés : d’une part, l’accès aux capitaux pour les aider à financer leurs investissements de départ et, d’autre part, l’accès à la terre, dans un contexte d’accroissement de la pression foncière.
Nous avons pu le constater au travers de nos échanges avec les agricultrices, ces difficultés sont plus prononcées pour les femmes. En effet, celles qui souhaitent s’installer ne sont pas toujours éligibles aux aides à l’installation, ou le sont plus difficilement que les hommes. En 2010, seulement 28 % des nouvelles installées ont bénéficié de la DJA, la dotation jeunes agriculteurs, contre 39 % des hommes installés au même âge.
Il existe principalement deux causes à cette situation. Tout d’abord, avant la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, pour bénéficier de la DJA, le projet devait uniquement remplir des conditions minimales de surface. Depuis lors, les conditions d’activité minimale d’assujettissement prennent en compte des critères de temps de travail et de revenus générés en plus de la surface minimale. Toutefois, nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour juger de leurs éventuels effets bénéfiques pour les agricultrices. Mais bien souvent, les surfaces exploitées par les femmes sont inférieures à celles qui le sont par les hommes.
Ensuite, le critère d’un l’âge limite fixé à quarante ans pour prétendre à cette aide peut pénaliser les femmes, dont les projets d’installation sont souvent plus tardifs que ceux des hommes. Pour prendre en compte ces spécificités, conformément aux recommandations du rapport, nous avons proposé de mettre à l’étude une évolution des critères d’attribution de la DJA, de façon à les rendre plus compatibles avec le profil des agricultrices.
Nous avons ainsi proposé trois dispositions : la modulation du critère de surface d’exploitation pour l’obtention de la DJA ; le remplacement du critère d’âge limite par un critère fondé sur la notion de première installation à titre principal ; la possibilité de considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle justifiant la non-réalisation des engagements prévus dans le plan d’entreprise.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Pierre Monier. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire part de votre avis sur les trois propositions que je viens de vous soumettre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous souhaitez connaître mon avis sur trois propositions relatives à l’aide à l’installation des agricultrices.
La première de ces propositions concerne la modulation du critère de surface minimale d’exploitation pour l’obtention de la DJA. Vous le savez, il n’y a plus de surface minimale pour l’obtention de cette aide. Désormais, ce sont les notions de viabilité, de soutenabilité et de pérennité qui sont appréciées pour l’accès aux aides à l’installation.
En effet, quelle que soit la surface de l’exploitation, il convient de permettre à un futur chef d’exploitation de vivre de son métier et de concilier ses besoins professionnels et personnels. Une exploitation de petite taille en termes de surface peut s’avérer viable en fonction des activités mises en place et des modes de production.
S’agissant du critère d’âge limite, il est fixé, vous l’avez rappelé, à quarante ans par la réglementation européenne. Effectivement, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 définit un jeune agriculteur comme une personne qui n’est pas âgée de plus de quarante ans au moment de la présentation de la demande, qui possède des connaissances et des compétences professionnelles suffisantes et qui s’installe pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef de ladite exploitation.
Une évolution de ce critère d’âge nécessite d’être abordée à l’échelle de l’Union européenne, par exemple à la faveur des discussions relatives à la PAC post-2020.
Enfin, concernant la possibilité de considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle justifiant le report des engagements du plan d’entreprise, sachez que la circonstance exceptionnelle ne peut être retenue que si la situation rencontrée par le jeune agriculteur répond aux conditions cumulatives suivantes : ne pas être prévisible, ne pas dépendre d’une raison de convenance du jeune agriculteur et avoir des conséquences directes sur le non-respect d’un engagement. Cependant, des réflexions peuvent être menées, afin de tenir compte de l’évolution de la structure familiale pendant la période d’engagement et d’évolutions majeures comme la féminisation du métier de chef d’exploitation. Une nouvelle fois, l’ouverture des échanges relatifs à la PAC post-2020 me semble être le cadre approprié pour aborder ce sujet au niveau de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, ma question concerne les retraites des agricultrices, en particulier des conjointes collaboratrices d’agriculteurs.
Les agricultrices perçoivent une pension de retraite figurant parmi les plus basses de toutes les catégories socioprofessionnelles. En juillet dernier, nos collègues Annick Billon, Corinne Bouchoux, Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Didier Mandelli et Marie-Pierre Monier signaient un rapport excellent, mais alarmant sur cet état de fait. Ils formulaient une quarantaine de recommandations pour sécuriser les parcours et les statuts de ces femmes, en particulier leurs retraites.
En 2018, les retraites agricoles sont deux fois et demie plus faibles que la moyenne des retraites. Les retraites des agricultrices, mes chers collègues, sont souvent encore plus basses, en particulier lorsque ces femmes sont seules ou lorsqu’elles ont le statut de conjointe ou d’aide familiale.
Avec environ 500 euros par mois, contre 800 euros en moyenne pour les agriculteurs, il est impossible pour ces femmes de vivre décemment. Cette différence s’explique notamment par des carrières plus courtes, un plus grand nombre d’emplois occupés et un faible niveau de cotisation. Au XXIe siècle, nous ne pouvons accepter cette misère humaine et devons agir rapidement en faveur de ces femmes.
Plusieurs options sont aujourd’hui sur la table des négociations : une revalorisation des retraites agricoles, une évolution de leur base de calcul, le passage à une bonification forfaitaire pour enfant et une information systématique des agricultrices sur leurs statuts et leurs droits.
Madame la secrétaire d’État, quels moyens sont envisagés par le Gouvernement pour mettre fin à l’injustice sociale dont sont victimes les femmes agricultrices, en particulier les conjointes collaboratrices d’agriculteur ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, votre question porte sur les projets du Gouvernement en matière de mode de calcul des retraites des agricultrices. Cela fait plusieurs fois que l’on m’interroge sur ce sujet, ce qui témoigne de la préoccupation importante dont il fait l’objet et que je partage.
De façon générale, il existe une inégalité concernant les retraites entre les femmes et les hommes, puisque, en moyenne, les hommes – hors agriculteurs – touchent 1 600 euros par mois de retraite, alors que les femmes ne perçoivent que 900 euros par mois. Cette inégalité et ces faibles pensions se retrouvent, de façon exponentielle, chez les agriculteurs et agricultrices.
Dans le régime des non-salariés agricoles, à même statut et même situation, les femmes ont théoriquement des droits identiques à ceux des hommes. Toutefois, vous l’avez rappelé, en raison de leur parcours, de cotisations moindres, d’interruptions de carrière, elles se retrouvent avec des montants de pension inacceptables, qui ne leur permettent pas de vivre décemment.
C’est un sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Pour cette raison, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, achève ses consultations en la matière. J’ai eu un entretien avec lui la semaine dernière, et nous avons abordé cette question, à laquelle il est particulièrement sensibilisé. Nous irons ensemble dans la Vienne, pour faire en sorte que, aux niveaux national et européen, la question du montant de la retraite des femmes agricultrices devienne une priorité. Le Gouvernement fera des propositions efficaces en ce sens très prochainement.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en demandant ce débat, la délégation aux droits des femmes n’imaginait pas que l’actualité nationale rejoindrait à ce point nos préoccupations concernant le secteur agricole. Produire de la qualité, être formé et passionné ne suffit plus, pour les agricultrices et agriculteurs, à nourrir sa famille, comme le prouvent les récentes manifestations.
L’un des leviers à notre portée, c’est de combattre les inégalités persistantes en pérennisant la place des femmes dans les exploitations agricoles. Les femmes ont le choix entre trois types de statut professionnel : celui de cheffe d’exploitation ou d’associée ; celui de salariée ; ou celui de conjointe collaboratrice. Cette dernière peut être reconnue ayant droit du chef d’exploitation, sous son numéro de sécurité sociale. Si elle peut, avec ce statut, bénéficier de prestations, celles-ci ne concernent ni la retraite ni les accidents du travail.
Une catégorie échappe à tout classement, celle des 5 000 agricultrices sans aucun statut, assumant moult responsabilités dans l’exploitation, mais très précarisées, souvent dans un grand dénuement, que l’on découvre, hélas, à l’occasion d’un veuvage ou d’un divorce.
Pour pallier cette situation, la délégation propose d’engager trois types de mesures : recenser les agricultrices sans statut et déterminer avec elles celui qui leur serait le plus approprié ; sensibiliser les femmes aux préjudices sociaux qu’elles subissent par cette absence de statut ; enfin, face aux insuffisances du statut de conjoint collaborateur, la délégation préconise de le rendre transitoire pour cinq ans maximum, le temps pour l’intéressée d’affiner son projet professionnel et de choisir le statut le plus adapté à sa situation.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : avez-vous l’intention de pérenniser le statut des agricultrices, essentiel pour l’avenir des agriculteurs et pour celui de la profession ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur le statut des femmes dans l’agriculture.
En 1999, la création du statut de collaborateur-collaboratrice a permis d’améliorer les droits à la retraite de base, en donnant accès à la retraite proportionnelle au conjoint ou à la conjointe travaillant sur l’exploitation. Depuis 2010, les GAEC sont possibles entre époux et, en 2011, les femmes sous le statut de collaboratrice ont eu accès à la retraite complémentaire obligatoire. En 2014, le plan de revalorisation a bénéficié aux collaboratrices d’exploitation en leur donnant des points gratuits de retraite complémentaire obligatoire. Pour autant, les retraites des femmes restent inférieures à celles des hommes, en raison notamment d’un effort contributif inférieur.
Vous l’avez souligné avec raison, il y a une situation particulière pour ce qui concerne les 5 000 agricultrices sans aucun statut, qui sont largement évoquées dans le rapport qui nous a été remis. C’est un sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Nous étudierons avec le ministre de l’agriculture la possibilité de travailler à un recensement. C’est pour cette raison que le Gouvernement est favorable à la limitation dans le temps du statut de collaboratrice, voire à sa suppression progressive.
En effet, seul le statut de chef d’exploitation permet d’avoir un statut plein et entier et de percevoir l’intégralité des droits à la retraite.
Le statut de collaborateur existe aussi dans d’autres catégories socioprofessionnelles, notamment pour les artisans et commerçants. Toutefois, son évolution doit aujourd’hui être envisagée, dans le contexte de la réforme globale menée notamment par Jean-Paul Delevoye.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains.
Mme Frédérique Puissat. Madame la secrétaire d’État, au cours de votre intervention, vous avez évoqué les différents moments qui jalonnent la vie des agriculteurs et agricultrices. Toutefois, vous avez omis d’évoquer les périodes durant lesquelles la santé est défaillante.
Ma question croise agriculture et social et porte sur l’impact, pour la conjointe, de la situation d’un exploitant agricole en attente de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la RQTH.
En amont, réaffirmons que, comme toute activité, l’agriculture se conjugue au pluriel. Si l’on est en Beauce ou à 1 000 mètres d’altitude, si l’on fait le choix d’élever des escargots ou un troupeau de bovins, les conditions d’exploitation doivent être appréciées de façon différente.
Soulignons aussi que, si chef d’exploitation se conjugue au féminin, les capacités d’une femme et d’un homme divergent. Il est plus complexe pour une femme que pour un homme d’exercer certaines tâches très physiques.
Souvent, l’âge avançant ou bien à la suite de postures inappropriées, les agricultrices ou agriculteurs se trouvent confrontés à des complications physiques qui peuvent les empêcher partiellement d’exercer leur activité. Dès lors que le handicap touche le conjoint, c’est l’exploitante qui doit accomplir certaines tâches, avec parfois de nouvelles charges insupportables physiquement.
La première des difficultés tient à ce statut de travailleur handicapé à temps partiel, qui n’existe pas dans les textes : seul un taux de handicap, variable, est reconnu, ce qui rend d’autant plus complexe l’étude des dossiers.
La deuxième tient à la durée des procédures, dont tout le monde connaît la complexité. Dans une telle situation, l’agricultrice se voit soumise à une double peine : l’attente d’une décision concernant son dossier et des charges physiques souvent insupportables.
Nous savons qu’il existe dans certains départements une procédure accélérée de RQTH pour les agriculteurs. Madame la secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que cette procédure pourrait être généralisée à tous les départements et tous les dossiers, afin que les exploitants puissent bénéficier d’un soutien plus rapidement ? Je pense surtout aux activités où des besoins urgents en termes de récoltes ou de traitements peuvent exister.
Une disposition pourrait également viser une meilleure coordination de ces dispositifs complexes. Par ailleurs, pourquoi ne pas envisager une pratique de dons de jours équivalente à celle qui a été adoptée dans le cadre du texte sur le don de jours aux aidants ? Il faut ouvrir un débat sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui révèle, n’ayons pas peur de le dire, l’un des angles morts de ce que nous proposons en direction des agricultrices.
D’abord, je veux rappeler qu’il n’existe pas de régime particulier. Par conséquent, toutes les situations que vous évoquez relèvent du régime général. Vous avez raison de le dire, faire le choix ou devenir agriculteur ou agricultrice par nécessité, cela ne signifie pas ne jamais être malade.
Vous avez évoqué la question difficile de l’accès aux soins, notamment lorsqu’on est agriculteur dans la Beauce, et il en est de même dans la Sarthe. Mais il existe d’autres zones de déserts médicaux. Je pense notamment à l’outre-mer ou aux zones insulaires comme la Corse.
Quant à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, elle relève du régime général. Toutefois, j’entends tout à fait votre questionnement et les spécificités attachées aux agriculteurs. Dès ce soir, j’interrogerai plus longuement mon collègue ministre de l’agriculture et ma collègue secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Je reviendrai ensuite vers vous pour vous apporter une réponse plus détaillée.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux dans un premier temps féliciter pour son travail l’équipe des six corapporteurs qui apporte à notre assemblée des éléments de connaissance et de compréhension très approfondis et pertinents.
Parmi les constats dressés, on relève la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle. Comment en effet conjuguer une vie très prenante d’agricultrice avec un rôle tout aussi prenant de mère de famille ? Promouvoir l’attractivité du métier d’agricultrice implique, entre autres, de se poser la question de la garde d’enfants.
Agriculture et ruralité vont de pair. Nous savons pourtant que les secteurs ruraux sont, en France, les plus dépourvus en termes d’outils d’accueil de la petite enfance.
D’ores et déjà, il a été annoncé que la prochaine convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et les caisses d’allocations familiales comportera la création de places en crèche. Celles-ci devront répondre territorialement aux besoins des parents, en lien avec les communes ou les intercommunalités.
Dans le cadre de cette négociation, n’y a-t-il pas une attention particulière à avoir en matière d’accès au service public de la petite enfance, en développant de telles structures dans les secteurs ruraux ? À titre d’exemple, il conviendrait de prendre en compte les horaires de travail atypiques du secteur de l’élevage.
La même problématique peut être soulevée pour l’accueil des enfants de six à dix-sept ans pour ce qui concerne l’offre de loisirs sans hébergement. Là encore, le rôle de l’État via la CAF peut être décisif.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de nous donner les orientations du Gouvernement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, sur la période 2016-2020, conformément aux engagements de la convention d’objectifs et de gestion conclue avec l’État, la MSA continuera de soutenir les projets en faveur de la petite enfance dans les territoires ruraux, là où l’offre d’accueil des jeunes enfants est insuffisante, inadaptée, notamment en termes d’horaires, vous l’avez dit, ou déséquilibrée.
D’abord, 235 microcrèches accueillant moins de dix enfants ont ouvert leurs portes entre 2008 et 2016. Elles bénéficient de l’appui de la MSA et de ses partenaires, notamment la CAF et les PMI. Elles sont particulièrement adaptées aux besoins des territoires ruraux et offrent près de 2 500 places à 7 500 familles bénéficiaires.
Ensuite, les LAEP, les lieux d’accueil enfants-parents, situés dans des zones rurales, sont ouverts aux enfants de moins de six ans lorsque ces derniers sont accompagnés d’un adulte, pour participer à des temps conviviaux de jeux et d’échanges. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un mode d’accueil, c’est un mode de socialisation pour les jeunes enfants et, parfois, pour les parents.
Les solutions innovantes concernent majoritairement les horaires atypiques, l’accueil d’urgence, l’accueil saisonnier, les horaires extrêmes, l’accueil les week-ends et les jours fériés et l’accueil des enfants différents en milieu ordinaire.
Depuis 2016, une centaine d’innovations ont ainsi été repérées et répertoriées. En partageant l’expérience acquise et grâce à un nouveau dispositif, la MSA veut favoriser l’émergence de nouveaux projets, qui participeront à la qualité de vie des familles dans les territoires ruraux. Plus récemment, elle a contribué à la mise en place de haltes-garderies itinérantes, qui sont hébergées dans des bus circulant de commune en commune.
Vous m’interrogez également, monsieur le sénateur, sur les mesures en faveur de l’accueil des enfants de six à dix-sept ans dans le cadre de l’accueil de loisirs sans hébergement, ou ALSH. La MSA apporte un soutien financier à quelque 30 000 familles, pour environ 4,5 millions d’euros en 2016. La très grande majorité des ALSH en zone rurale accueille sans distinction les enfants de trois à onze ans, et la moitié propose des activités au-delà de onze ans.
Pour l’avenir, nous pensons que la MSA doit mener une étude complémentaire auprès des familles pour connaître leur perception des ALSH, ainsi que leurs attentes quant à leur évolution. Il convient également de cartographier les appels à projets et les démarches actuelles de la CAF et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale. Un groupe de travail dédié à l’ALSH, des référents « enfance » au sein de la MSA et des partenaires institutionnels doivent être mis en place sur chaque territoire ciblé, afin de construire une démarche véritablement ancrée dans le terrain et répondant aux besoins que vous venez d’exposer, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’organisation de ce débat et de ses riches travaux.
Vous me pardonnerez de m’éloigner légèrement des quarante préconisations pour aborder un autre sujet, celui des femmes et de l’agriculture biologique, que le rapport évoque sans l’approfondir, faute de données suffisantes. Néanmoins, le dernier recensement agricole de 2010, mentionné dans ce document, révèle que, parmi les exploitations agricoles gérées par des personnes de moins de quarante ans, 6,9 % d’exploitations certifiées bio sont gérées par des femmes, contre 5,3 % par des hommes. Dit autrement, cela signifie que, parmi les exploitants agricoles bio de moins de quarante ans, 56,6 % sont des exploitantes, contre 24 % dans l’ensemble de la filière.
Les pistes d’explication pour décrire ce phénomène sont balbutiantes, et la Fédération nationale d’agriculture biologique enquête actuellement sur ce sujet. Les résultats de ce travail seront présentés à l’occasion d’un colloque le 10 avril prochain. Aussi, pour éviter de tomber dans le stéréotype de genre, nous nous concentrerons sur les facteurs socio-économiques, plus objectifs.
Ainsi, 30 % à 50 % des agriculteurs et agricultrices bio se lancent hors cadre familial. Nous connaissons tous le problème de l’accès au foncier. Il est bien plus aisé, pour commencer, d’acquérir une petite parcelle plutôt qu’une exploitation importante. Or, sur de petites surfaces, le bio, associé aux circuits courts, est bien plus rentable que le conventionnel.
L’agriculture bio est également nettement moins mécanisée, ce qui nécessite un apport en capital moindre. L’activité est plus facilement diversifiable – agrotourisme, vente directe – pour accroître sa rentabilité.
On le voit, sans même prendre en compte d’autres considérations telles que la santé, le respect de la terre ou la qualité des produits, il est moins coûteux de se lancer en bio. Cet intérêt économique se traduit manifestement par un bien meilleur accès des femmes au statut d’exploitante.
Madame la secrétaire d’État, partagez-vous ce constat ? Afin d’atténuer les inégalités de sexe, peut-on compter sur votre concours pour défendre, au sein du Gouvernement, un soutien durable à l’agriculture biologique et une politique foncière favorisant l’accès à la terre de nouvelles arrivantes ou arrivants ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je partage votre constat, monsieur le sénateur, s’agissant du lien entre agriculture bio et lutte contre les stéréotypes de genre, si l’on peut le formuler de cette manière.
Vous avez raison, les femmes s’engagent tout particulièrement dans l’agriculture biologique. D’ailleurs, les exploitations agricoles que j’ai eu l’occasion de visiter depuis que je suis en poste en tant que secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et qui sont dirigées par des femmes sont des exploitations en agriculture biologique.
Il semble y avoir plusieurs raisons à une telle situation. Nous n’aurons pas le temps de les développer cet après-midi, mais je note la date du colloque que vous avez mentionné. Je rappelle simplement l’existence de VIVEA, le fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant, qui s’engage à accompagner les agriculteurs et agricultrices vers l’agriculture biologique.
Vous avez indiqué ne pas vouloir détailler toutes les questions liées à l’agriculture biologique, et notamment celle de la santé. Je rappelle cependant l’existence du plan Ecophyto 2+, qui vise à réduire l’utilisation des produits dangereux et à supprimer celle des produits les plus dangereux pour les exploitations agricoles. Cette question est liée à celle que vous avez évoquée. Elle peut motiver les femmes agricultrices à se lancer dans la création ou la reprise d’une exploitation agricole biologique.
Par ailleurs, des travaux sont en cours concernant les emballages des produits agricoles, notamment des pesticides, afin, d’une part, de réduire considérablement leur taille et, d’autre part, de permettre l’incorporation, très technique, des produits dans le pulvérisateur, sans avoir à soulever ou ouvrir le bidon. Le dispositif – un système de transfert sans contact – permettra en outre de limiter drastiquement l’exposition aux substances chimiques dangereuses. Car les conséquences sur la santé des agricultrices sont parfois plus importantes, même si l’évolution de ces protections est souhaitable pour les femmes comme pour les hommes dans les exploitations agricoles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Janssens. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, alors que le nombre d’agriculteurs diminue de 25 % tous les dix ans en Europe, il est impératif de favoriser l’insertion de nouveaux exploitants, en particulier celle des femmes.
Les agricultrices se heurtent à des difficultés d’installation plus prononcées que celles que rencontrent leurs homologues masculins, car elles héritent rarement d’une exploitation et font face à des coûts d’accès à la terre et aux capitaux très élevés.
Afin de lutter contre ces inégalités, des dispositifs d’aide ont été mis en place, comme la dotation jeunes agriculteurs, la DJA, qui garantit un soutien financier en cas de première installation.
Dans les faits, une partie des agricultrices se trouve cependant exclue de l’accès à cette dotation, en raison de critères d’attribution rigides et inadaptés.
Pour en bénéficier, il faut en effet exploiter une surface minimale, ce qui pénalise fortement les agricultrices, lesquelles s’installent en général sur des surfaces beaucoup plus petites que les hommes.
Quant à la limite d’âge, fixée à quarante ans, et à la nécessité de présenter un plan d’entreprise sur cinq ans, ces critères ne prennent pas en compte les possibles maternités, qui peuvent retarder l’âge de l’installation et la mise en œuvre du plan.
À l’aune de ces incohérences, la délégation aux droits des femmes préconise d’adapter les conditions d’attribution de la DJA au profil des agricultrices, en aménageant le plan d’entreprise en cas de grossesse, ou en remplaçant le critère d’âge limite par un critère fondé sur la notion de première installation à titre principal.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de faciliter l’installation des agricultrices ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, le constat que vous dressez est très juste. Ayant répondu tout à l’heure à la question que vous posez sur la limite d’âge de quarante ans, je ne me répéterai pas. Je répondrai en revanche à une autre de vos questions, qui est très pertinente elle aussi : celle de l’orientation et de l’insertion des femmes dans le monde agricole.
Je pose d’abord un constat, sous la forme d’un chiffre simple : il y a 50 % de filles dans l’enseignement agricole. Cela nous montre que les métiers de l’agriculture sont aussi attractifs pour les femmes que pour les hommes, pour les jeunes filles que pour les jeunes garçons. C’est donc par la suite, monsieur le sénateur, en lien avec tous les éléments que vous avez très justement listés, que se produit un effet d’entonnoir, une sélection, un empêchement de ces jeunes filles à créer leur propre exploitation.
C’est dès l’orientation, néanmoins, que nous pouvons agir. L’enseignement agricole a en effet un double objectif : former ces jeunes et les préparer à être les citoyens de demain.
À cette fin, outre le face-à-face avec les élèves, l’enseignement agricole anime des politiques éducatives dans les champs de la citoyenneté, des valeurs de la République, de la santé, du projet professionnel. Il y a là, me semble-t-il, un levier très important dans la manière dont l’enseignement agricole peut armer les jeunes filles en matière de construction pérenne et de développement de leur projet professionnel, dans tous ses aspects : dans l’aspect très concret, très pragmatique, mais aussi dans l’aspect très business, n’ayons pas peur des mots, dudit projet.
Les bonnes pratiques et les capacités d’innovation pédagogique de l’enseignement agricole en matière d’éducation à l’égalité entre filles et garçons sont reconnues notamment par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et sont souvent citées. Ces actions sont portées par un réseau qui existe depuis 2002, le réseau Insertion-égalité des chances. Je citerai, à titre d’exemple, des semaines thématiques organisées sur le thème « Santé, sexualité, développement de l’adolescent et stéréotypes de genre » en quatrième et en troisième ; des formations à destination des équipes enseignantes sont également mises en place.
Le recensement de toutes les actions menées dans les établissements agricoles, que nous avons effectué à l’occasion du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes, montre bien leur dynamisme. Un exemple : le colloque mené au lycée viticole de Mâcon, avec des témoignages forts, posant la question des préjugés sur les stéréotypes de genre et la manière dont on peut mieux accompagner les jeunes filles dans la création ou la reprise d’une exploitation agricole.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. En outre, concernant l’accueil des jeunes en formation – 30 % d’entre eux sont en internat –, la dernière enquête sur le climat scolaire montre que les jeunes filles sont satisfaites à plus de 85 % de l’internat et de l’ambiance qui y règne entre les élèves.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que vous disposez de deux minutes pour répondre aux orateurs.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, à mon tour de saluer le travail de mes six collègues et ex-collègues de la délégation et de les remercier, en particulier d’avoir ouvert à la réflexion du point de vue féministe des champs quasiment en jachère jusqu’ici.
Parmi toutes les recommandations formulées par la délégation, je retiens la trentième, celle qui a trait à la santé des femmes agricultrices.
Le rapport préconise la mise en œuvre d’une évaluation scientifique des conséquences, sur la santé maternelle et infantile, et plus généralement sur l’organisme des femmes, de l’exposition aux produits utilisés : manipulation de médicaments vétérinaires, utilisation de pesticides – vous venez d’évoquer la question, madame la secrétaire d’État.
La Haute Assemblée a très récemment débattu de la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharamaceutiques. Ces échanges nous ont permis de mesurer pleinement les responsabilités des autorités, du monde agricole et des industriels en matière de prévention sanitaire. Si de tels dispositifs d’indemnisation peuvent être mis en place, c’est parce qu’il existe désormais une connaissance scientifique suffisamment large des phénomènes, de l’impact des molécules phytosanitaires et des précautions à prendre.
Très récemment, et encore ce matin, la presse révélait les dernières avancées de la recherche française, mettant en évidence les effets toxiques de l’exposition aux pesticides.
Le même effort doit être engagé pour mieux connaître les effets des médicaments vétérinaires et des produits phytosanitaires sur les femmes agricultrices enceintes, sur le développement de leur fœtus, voire sur les difficultés – certaines personnes ont témoigné en ce sens – que les agricultrices peuvent rencontrer pour tomber enceintes ou pour mener à terme leur grossesse.
Madame la secrétaire d’État, ces témoignages nous alertent ; nous nous devons donc de mettre en œuvre une telle évaluation scientifique, afin de sensibiliser les femmes exposées, de développer des messages de prévention et de partager les bonnes pratiques. Ainsi répondrons-nous aux inquiétudes et aux attentes de la profession, et, plus largement, de la population rurale.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, cette trentième proposition a également retenu notre attention – vous avez pu le constater plus tôt au cours du débat.
Vous avez raison de le souligner, c’est la connaissance scientifique qui nous a permis de disposer d’une appréhension vraiment fine des conséquences de l’utilisation de ces produits et de mettre en place un système de protection des femmes contre les produits phytosanitaires et contre les pesticides.
J’ai rappelé tout à l’heure l’existence du plan Écophyto 2+, visant, disais-je, à réduire l’utilisation de ces produits et surtout à supprimer celle des plus dangereux d’entre eux.
Je veux rappeler également que le code du travail impose que les machines et les équipements de travail soient conçus de manière à ne pas exposer les utilisateurs à des risques pour leur santé et pour leur sécurité.
Vous savez – cela a été dit précédemment – que le ministère de l’agriculture a réalisé une cartographie des risques auxquels sont exposées les femmes agricultrices, pour ce qui concerne particulièrement deux problèmes : les questions de reproduction et de fertilité, de grossesse et de développement de l’enfant. Les risques sont multiples, mais les connaissances scientifiques, bien qu’elles progressent considérablement, restent insuffisantes pour pouvoir les évaluer d’une manière pleinement satisfaisante pour nous tous, pour ces femmes en particulier.
C’est pourquoi une campagne de sensibilisation devrait bientôt être lancée ; plusieurs caisses locales de la mutualité sociale agricole ont déjà conduit de telles campagnes. La protection de la santé des femmes agricultrices me semble véritablement une condition sine qua non du bon exercice de leur profession, mais également, à plus long terme, du maintien de l’attractivité de ces filières pour les jeunes générations.
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, mes chers collègues, je salue l’initiative d’organiser un débat sur les femmes et l’agriculture. Les questions, en la matière, ne manquent pas : les petites retraites agricoles, la formation professionnelle notamment.
À mon tour, mes chers collègues, je souhaite rendre hommage à toutes ces femmes agricultrices et femmes d’agriculteurs dont le courage et la force font toute mon admiration. Je sais la place qu’elles occupent dans l’agriculture française, particulièrement dans mon département, très agricole, la Mayenne.
Je souhaite rendre hommage, donc, à toutes ces femmes souvent qualifiées d’« invisibles », qui travaillent dans l’élevage, la viticulture, le maraîchage et autres cultures, dans des conditions physiques et psychologiques parfois difficiles, et dont le statut n’a pas été, pendant trop longtemps, reconnu. Oui, la vie de ces femmes est faite de sacrifices et d’engagements forts, de passion.
La féminisation du milieu agricole augmente. On ne peut que s’en féliciter. Deux exemples me semblent significatifs : un quart des dirigeants ou codirigeants d’exploitation agricole sont des femmes ; le nombre de femmes qui font librement le choix de devenir agricultrice ne cesse d’augmenter.
Bien souvent, la question de la conciliation entre les vies professionnelle et personnelle se pose, notamment pour les femmes qui sont mères ou qui souhaitent le devenir.
Cette question représente aussi un frein, pouvant éveiller la réticence de celles qui désireraient exercer cette profession.
Il est de notre devoir et de notre responsabilité d’accompagner ces femmes et leur famille dans la maternité, mais aussi dans l’éducation des enfants. Nous devons, en la matière, avoir un rôle de facilitateurs.
Aujourd’hui, c’est à un risque sanitaire que nous sommes confrontés : 58 % des femmes agricultrices qui attendent un enfant ne prennent pas leur congé de maternité, parce qu’elles sont mal informées sur leurs droits, ou encore en raison du coût ou du problème de l’offre de remplacement – cette dernière difficulté est un vrai problème également pour les hommes agriculteurs, s’agissant de la formation professionnelle ou de l’engagement dans les organisations professionnelles.
L’année dernière, madame la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, vous avez annoncé la mise en place d’un projet pilote au sein du ministère de l’agriculture en matière de budget « genré ». Il s’agirait d’identifier les bénéficiaires des financements publics et de déterminer si ces derniers servent également les intérêts des hommes et ceux des femmes. Il s’avère en effet que la répartition des subventions est déséquilibrée.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Guillaume Chevrollier. Il serait intéressant, par exemple, de réinjecter les excédents dans le financement de la maternité. Qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Et pourquoi le ministère de l’agriculture a-t-il été choisi pour cette expérimentation ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Merci, monsieur le sénateur, pour votre question, et, de manière plus générale, pour l’exposé que vous avez réalisé des conditions de travail des agricultrices.
Nous avons en effet décidé – il s’agissait d’un engagement de campagne du Président de la République – de mettre en place un budget dit « sensible au genre ».
Un tel budget existe depuis longtemps dans de nombreuses collectivités ; il s’agit même, en France pour certaines collectivités, d’une obligation légale. Un tel document est également réalisé depuis des années par de nombreux États, comme le Canada ou le Maroc. Le choix de commencer par le ministère de l’agriculture s’est fait sur la base du volontariat, tout simplement : le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, est très sensible à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il a fait, avec Laura Flessel, acte de candidature commune pour expérimenter ce budget sensible au genre.
L’idée est simplement de calculer l’argent qui est directement consacré, dans les politiques publiques, aux hommes et aux femmes. C’est ce calcul très fin qui permet de savoir s’il existe une iniquité des financements publics.
Par exemple, une collectivité locale finançant un skate-park dont on sait qu’il sera occupé à 90 % par des jeunes garçons pourra constater, via la budgétisation sensible au genre, qu’il y a là une iniquité de financement des équipements publics.
C’est ce travail qui sera mené avec le ministère de l’agriculture. Nous procéderons par étapes : cette démarche sera expérimentée, dans un premier temps, pour les budgets opérationnels de programmes concernés par le document de politique transversale Égalité, piloté par la DGCS, la direction générale de la cohésion sociale. En l’occurrence, il s’agit des programmes 142, « Enseignement supérieur et recherche agricoles », 143, « Enseignement technique agricole », et 149, « Économie et développement durable des entreprises agricoles, agroalimentaires et forestières ».
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste.
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, je souhaite évoquer la féminisation des instances dirigeantes, qui a une importance clé dans le combat pour l’égalité, en ce qu’elle permet de donner la parole aux femmes, de susciter des vocations, d’inspirer, d’illustrer des réussites au féminin.
Depuis l’entrée en vigueur du décret du 29 juin 2012 et de la loi du 4 août 2014, les chambres d’agriculture comptent désormais obligatoirement un tiers de femmes élues – la moyenne nationale est actuellement de 27 %. Ce chiffre correspond peu ou prou à la démographie de la profession. Le problème se situe ailleurs. Comme dans beaucoup d’autres secteurs, les instances dirigeantes restent très masculines.
Si les chambres d’agriculture élues en 2013 ont vu, relativement aux précédentes, leur ouverture aux femmes, cette ouverture ne s’est pas traduite au sein des bureaux, lesquels n’ont fait l’objet d’aucune obligation juridique – vous y faisiez référence tout à l’heure, madame la secrétaire d’État.
À titre d’exemple, le conseil d’administration de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, ne compte qu’une femme pour trente-trois hommes, et son bureau, une élue pour treize hommes.
Sur les quatre-vingt-quatre chambres départementales d’agriculture, trois d’entre elles seulement sont présidées par des femmes.
La délégation aux droits des femmes avait par conséquent recommandé que soit appliqué le système de proportion minimale d’un tiers de femmes au sein des instances dirigeantes des différentes chambres d’agriculture, de l’APCA, des syndicats agricoles, des coopératives agricoles.
Madame la secrétaire d’État, une modification de la loi est-elle envisagée sur ce plan ?
Quelle stratégie entendez-vous mettre en œuvre pour encourager la féminisation de la gouvernance professionnelle ? Plusieurs leviers existent : rôles modèles, réseaux féminins, meilleure répartition des tâches dans la cellule familiale pour libérer du temps libre, législation, etc.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous posez une question cruciale. Je ne reviens pas sur le constat, puisque vous l’avez très justement dressé.
La parité complète sur les listes électorales sera atteinte à compter du deuxième renouvellement des chambres départementales d’agriculture et des chambres régionales d’agriculture qui suit la promulgation de la loi, soit en 2020 – les prochaines élections des chambres d’agriculture auront lieu en 2019.
Dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que j’évoquais tout à l’heure, est inscrite l’amélioration de la représentation des femmes au sein des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, la représentation minimale de chaque sexe dans les collèges des conseils d’administration étant fixée à 30 % des membres.
Comme vous le savez sans doute, mesdames, messieurs les sénateurs, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation est engagé, en 2018, dans une démarche de double labellisation, égalité et diversité. Dans le cadre de cet engagement, il a pris la décision de veiller au respect des mêmes principes d’égalité et de parité chez les opérateurs qui sont sous sa tutelle.
Je partage évidemment ce sujet de préoccupation ; je puis vous dire que mon collègue Stéphane Travert et moi-même veillerons de près à ce que la parité, dans ces instances, devienne le plus vite possible une réalité.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, chère Annick, mes chers collègues, il est des secteurs de l’activité humaine dont la féminisation fut d’abord perçue comme une contrainte, pour se révéler finalement une opportunité.
Vous conviendrez aisément qu’il en est ainsi de la politique comme de l’agriculture.
Aussi ne peut-on que se féliciter de l’excellent travail effectué par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les femmes et l’agriculture ; la présentation de son rapport vient aujourd’hui clôturer un cycle de plus d’un an de colloques, de rencontres, d’auditions et de témoignages, au plus près de la réalité des agricultrices et de leurs territoires.
C’est donc avec fierté que la fille d’agricultrice que je suis souhaite se faire l’écho de la recommandation 34 dudit rapport, visant à encourager les jeunes filles à choisir le métier d’agricultrice.
Il s’agit d’un métier certes exigeant, mais ô combien prioritaire en matière d’économie, d’écologie, et surtout de santé publique.
Aussi est-il primordial de susciter des vocations et d’orienter les jeunes filles vers ces filières malheureusement peu ou mal connues, en les informant dès le collège sur la multiplicité des métiers et sur les opportunités de poursuite d’études ; en améliorant la connaissance des professionnels de l’éducation et de l’orientation sur les débouchés dans le milieu agricole ; en communiquant sur tous les supports, y compris sur internet et les réseaux sociaux, avec un vocabulaire adapté et des images s’adressant tant aux filles qu’aux garçons ; en valorisant davantage les bonnes pratiques et en insistant sur les aides à l’installation et les moyens existant pour accompagner les jeunes agricultrices et agriculteurs ; en créant, enfin, des internats et des structures d’accueil et d’hébergement adaptés aux filles, tant en formation initiale qu’en formation continue.
À n’en pas douter, ces recommandations de la délégation participent à valoriser le métier d’agricultrice, trop souvent sous-estimé. Les agricultrices constituent un maillon essentiel dans la revitalisation de territoires fréquemment en proie à la désertification rurale.
Il est donc indispensable de lever les freins qui pèsent sur la création ou la reprise d’exploitation par des filles.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Victoire Jasmin. Une telle politique pourrait être un vecteur d’innovations en matière de diversification des productions ou de transformation agroalimentaire.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur les actions conduites par le Gouvernement pour la diversification des choix d’orientation scolaire et professionnelle en direction des jeunes filles. Le réseau Insertion-égalité des chances anime des actions de sensibilisation spécifiques et des appels à projets auprès des établissements, pour faire réfléchir à la fois les élèves et l’ensemble du monde éducatif à ce sujet.
À titre d’exemple, le projet Filagri accompagne les filles minoritaires dans leur formation ; il a mobilisé huit régions pendant quatre ans.
Un guide à destination des équipes, dans les établissements, vise également à mieux accompagner les apprenants dans leurs projets personnels, scolaires et professionnels. Il a été conçu avec une attention spécifique à l’égalité entre filles et garçons, pour encourager l’orientation des jeunes filles en direction de ces filières.
Je crois, comme vous, madame la sénatrice, à l’importance des rôles modèles. C’est pour cette raison que nous renforçons notre communication destinée à valoriser des femmes qui exercent des métiers dans lesquels les hommes sont fortement représentés, dans l’agriculture et dans d’autres secteurs. J’étais hier sur le bassin d’Arcachon ; une députée, Sophie Panonacle, a remis une médaille de l’égalité à une femme ostréicultrice en présence de lycéens et de lycéennes, afin qu’ils puissent se projeter dans ce type de rôle. Il faut multiplier ce genre d’initiatives, particulièrement dans le domaine de l’agriculture.
Enfin, le Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes a fortement mobilisé les lycées agricoles, qui ont travaillé dans ce cadre au regard porté sur les métiers de l’agriculture par les jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, ce rapport, dont je salue moi aussi la pertinence, nous permet de mesurer le chemin parcouru depuis les années 1960 pour faire progresser les droits et la condition des femmes agricultrices.
Mais, mes chers collègues, ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Le tableau qui y est peint nous appelle également à nous retrousser les manches, tant les actions à mener sont structurantes.
En 1949, Simone de Beauvoir écrivait : « C’est le travail qui peut seul garantir à une femme une liberté concrète. » Cette liberté demeure à conquérir pour les femmes agricultrices. En effet, les conditions dans lesquelles celles-ci exercent leur métier nous interpellent, diront certains, nous révoltent, diront d’autres.
La faiblesse des revenus a des répercussions sur leur statut, leur protection sociale et le montant de leur retraite. Si cette problématique n’est pas exclusivement féminine, elle se pose avec d’autant plus de vigueur pour les femmes agricultrices en raison de la création récente du statut de conjoint collaborateur et de l’accès tardif au statut de chef d’exploitation.
Les chiffres sont éloquents : la retraite moyenne d’une femme agricultrice se situe entre 500 et 600 euros. Le minimum vieillesse, quant à lui, est d’environ 800 euros. Dans certaines situations, les plus préoccupantes, la retraite s’élève à 40 euros seulement !
Cette situation doit appeler une réponse ambitieuse, tant il semble anormal que des années de travail soient in fine moins rémunératrices et moins protectrices que le minimum vieillesse.
Madame la secrétaire d’État, les agricultrices sont les « héritières d’une longue invisibilité », comme le soulignent les auteurs du rapport. Il est de notre devoir de ne pas faire de ces femmes les prisonnières de cet héritage.
Le salon de l’agriculture ouvre dans quatre jours ; allez-vous leur tendre la main ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet – vous l’avez dit, madame la sénatrice, à raison –, les métiers de l’agriculture sont pourvoyeurs d’emplois. Il est donc essentiel de travailler plus encore à améliorer leur image, y compris auprès des jeunes filles.
Ce thème a été largement évoqué lors de l’atelier 13 des états généraux de l’alimentation, Renforcer l’attractivité des métiers de l’agriculture et des filières agricoles et développer la formation. Les branches agricoles et le ministère de l’agriculture vont notamment travailler à la réalisation d’une campagne de communication sur ce sujet.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué également d’autres thèmes, qui sont liés à celui que je viens de mentionner, en particulier la question des retraites. Je ne me répète pas : j’ai parlé tout à l’heure des pistes de travail sur lesquelles planche le Gouvernement, avec notamment le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Mais j’entends bien votre interpellation et vous assure une nouvelle fois qu’il s’agit d’un sujet majeur sur lequel l’ensemble du Gouvernement est mobilisé.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, je dois dire que depuis sa sortie, en juin 2017, ce rapport a connu une notoriété sans cesse croissante. Il est devenu, pourrait-on dire, un best-seller, et aussi un outil de travail utilisé par les réseaux de femmes agricultrices, qui nous permet à nous, sénatrices et sénateurs, d’aller à leur rencontre et d’échanger avec eux sur toutes les recommandations qui y sont faites.
Il traite différents sujets, et surtout celui de la diffusion de l’information concernant les droits des femmes, au moment de leur installation notamment. La MSA, la mutualité sociale agricole, doit assurer l’organisation de campagnes d’information beaucoup plus poussées.
Nous avons parlé de l’articulation des temps, vie professionnelle, vie familiale, et, ajouterai-je, vie personnelle. Sur ce point, à ce stade du débat, vous avez bien entendu déjà répondu, madame la secrétaire d’État – vous avez répondu à beaucoup de questions, et proposé des solutions innovantes. J’y ajouterai les bus itinérants de garde d’enfants, qui circulent chaque jour dans une commune différente et apportent des solutions.
La section des agricultrices de la FDSEA, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles, du Finistère s’est réunie jeudi dernier en assemblée générale. Je peux vous dire, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que ce rapport a été discuté. Justement, les membres de la section ont mis en exergue la proposition d’étendre le dispositif de remplacement ou de mettre en place un chèque emploi service prépayé utilisable pour la garde d’enfants, mais également pour les tâches ménagères, qu’il ne faut pas oublier ! Telle sera l’une de leurs recommandations de travail pour l’année 2018.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Maryvonne Blondin. J’aurais voulu évoquer les violences faites aux femmes, monsieur le président …
M. le président. Le temps qui vous était imparti est écoulé, ma chère collègue !
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, j’ai entendu la fin de votre intervention, sur les violences faites aux femmes. Il s’agit bien sûr d’un sujet de préoccupation ; nous pourrons, si vous le souhaitez, en débattre plus longuement.
Il n’y a pas, me semble-t-il, de plus beau destin, pour un rapport du Sénat, que de devenir un best-seller et un outil de débat et de discussion. C’est la vocation première d’un tel document. Je salue donc le fait que chacune et chacun s’en empare et le fasse vivre, dans les politiques publiques ou dans sa vie quotidienne, faisant de ce rapport, après sa publication, une forme de média d’échange prolongé.
Plus particulièrement, madame la sénatrice, l’une des questions que vous me posez porte sur la mise en place des dispositifs de remplacement, dont le coût serait pris en charge, comme pour les maternités, en cas d’enfant malade.
J’ai évoqué tout à l’heure la question des bus itinérants et des modes d’accueil innovants. Actuellement, vous savez que seul le congé de maternité est pris en charge par la MSA. En cas de maladie très grave, il est possible de bénéficier de l’allocation journalière de présence parentale ; ce droit est ouvert aux personnes qui assurent la charge d’un enfant gravement malade. Mais cette allocation ne permet bien sûr pas de financer le remplacement de la mère par un salarié agricole. À l’heure actuelle, rien ne permet d’assurer ce financement.
Mais il s’agit d’une question importante, que, attentifs, justement, au rapport dont nous débattons aujourd’hui, mon collègue le ministre de l’agriculture, mais aussi ma collègue la ministre des solidarités et de la santé, qui est également concernée par ce sujet, et moi-même allons regarder de très près.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains.
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux avant tout saluer le travail remarquable réalisé dans le cadre de la rédaction de ce rapport, sur l’initiative de la délégation aux droits des femmes – cela a été dit, mais il faut le souligner de nouveau, surtout à l’époque des prix littéraires et des best-sellers. (Sourires.)
Mme la secrétaire d’État a rappelé la loi. Mais il y a aussi l’esprit de la loi, et, de ce point de vue, je pense qu’il est possible d’anticiper.
Au conseil régional des Pays de la Loire, nous avons une commission de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de la mer, et elle compte trois femmes agricultrices, dont l’excellente présidente Lydie Bernard, qui non seulement irrigue la région Pays de la Loire, mais rayonne aussi à l’Association des régions de France.
Cela étant, dans nos régions, nous avons tous des exemples des difficultés que rencontrent les agricultrices pour porter une exploitation. En effet, il faut se former pour s’installer tout en faisant face à une charge de travail importante et à une administration qui prend toujours plus de temps et de place !
Même s’il est souvent une passion, ce métier doit s’accompagner d’une meilleure protection sociale et d’un vrai statut.
L’exploitation familiale d’autrefois a largement muté pour tendre vers la gestion d’une véritable entreprise. Le rapport décrit d’ailleurs bien la variété des situations et des profils qui comportent toujours les mêmes contraintes et difficultés et s’accompagnent de conditions d’emploi souvent moins favorables que dans d’autres secteurs.
Dans la région Pays de la Loire, la démarche des agricultrices est souvent tournée vers le qualitatif et les circuits courts ; je pense notamment aux filières du sel, de l’élevage, du maraîchage ou de la viticulture.
Parmi les quarante recommandations du rapport, il me semble que les points suivants sont prioritaires et demandent que des solutions soient mises en œuvre très rapidement. Je pense, d’abord, au statut, avec un parcours de formation initiale adapté. Je pense, ensuite, à la revalorisation du montant de base des retraites agricoles, incluant une bonification forfaitaire variable selon le nombre d’enfants. Il importe aussi d’encourager l’accès des agricultrices aux responsabilités et de renforcer la féminisation de la gouvernance de la profession, notamment pour ce qui concerne les chambres d’agriculture – cela a été fait notamment dans les départements de la Mayenne et du Maine-et-Loire où nous avons des exemples de femmes agricultrices qui occupent les plus hautes responsabilités. Je veux enfin souligner l’importance de faciliter l’accès aux aides, à l’installation et aux terres. Dans notre région, nous aurons à vivre, en Loire-Atlantique, l’après- Notre-Dame-des-Landes, dont l’enjeu est la gestion future de centaines d’hectares.
Si ces seuls points étaient rapidement traités, nous ferions une avancée considérable au bénéfice des femmes agricultrices !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, j’ai déjà répondu, lors des échanges précédents, à un certain nombre des questions que vous me posez. Je vais donc consacrer mon développement à la question du taux de formation professionnelle continue des femmes, sujet qui n’a pas encore été traité cet après-midi.
Vous le savez, les femmes, qui représentent 30 % des contributeurs au fonds de formation, n’en bénéficient qu’à hauteur de 9 %, contre 14 % globalement.
VIVEA, qui est le fonds de formation des agriculteurs, mène une action spécifique sur le sujet. Pleinement conscient du défi à relever, il le soutient activement et l’a inscrit dans son plan stratégique pluriannuel.
Le ministère de l’agriculture est représenté par le commissaire du Gouvernement au conseil d’administration de VIVEA. Il a ainsi pu constater le souci qui anime les membres de ce fonds afin de faire progresser les choses, instituant notamment un suivi précis des indicateurs de progrès en ce domaine. Ce sujet est d’autant plus important pour les femmes que près de la moitié des exploitantes de moins de quarante ans ne sont pas passées par l’enseignement agricole. Seulement un cinquième des hommes sont dans ce cas, cela a été dit tout à l’heure.
Les femmes sont souvent plus diplômées de l’enseignement supérieur que les hommes, mais elles s’installent dans la plupart des cas plus tard et sans avoir bénéficié des formations idoines qu’elles suivront en formation professionnelle continue. Cette question, nous l’avons longuement évoquée dans le cadre des échanges précédents.
Je reste très vigilante sur le thème de la parité dans l’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie. À cet égard, il m’a été remis ce matin, dans le cadre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, un rapport qui contient un certain nombre de préconisations. Nous allons bien évidemment les mettre en lien avec les actions portées par le ministère de l’agriculture.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains.
M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le rappellent nos excellents rapporteurs, au nom de la délégation aux droits des femmes : « Ce sont les femmes qui, pendant les guerres, ont fait tourner les exploitations agricoles ». Cette constatation souvent évoquée doit rester dans nos esprits.
L’épouse du chef d’exploitation a longtemps été considérée comme sans profession.
En 2014, 113 200 femmes étaient chefs d’entreprise, ce qui représente 25 % de l’effectif global.
Par ailleurs, 5 000 femmes d’exploitants agricoles occupant un emploi salarié dans l’entreprise de leur conjoint ne sont pas déclarées à la mutualité sociale agricole, la MSA, et sont donc considérées comme sans emploi.
Aujourd’hui, elles souhaitent un véritable statut qui leur assure une protection sociale adaptée et une retraite calculée sur les meilleures années de leur vie professionnelle.
Afin de survivre à l’agriculture, l’équilibre se fait souvent par l’exercice d’un métier extérieur. Je salue le mérite de ces femmes qui composent ainsi entre deux mondes, permettant très souvent de sauver l’exploitation.
Un couple d’agriculteurs vit en moyenne, selon une récente enquête de la MSA effectuée en 2017, avec à peine 354 euros par mois. Telle est la vérité, madame la secrétaire d’État !
Dès lors, comment valoriser la féminisation croissante de la profession agricole et encourager l’accès des femmes aux responsabilités dans les instances agricoles ? Cette démarche est indispensable.
Les femmes apparaissent comme les nouveaux catalyseurs du monde agricole. Je considère que leur avenir dépend d’une solide formation. Elles pourront davantage reconvertir une partie du secteur agricole en secteur de services.
Favoriser leur installation permettrait de pérenniser les exploitations, sans négliger pour autant la production.
Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous indiquer le plan envisagé par le Gouvernement pour conforter la place des exploitantes agricoles, qui, de jour en jour, font vivre le tissu rural ?
Quelles sont les suites proposées pour les aides à l’entrepreneuriat ou le remplacement en cas de congé de maternité et l’aide à domicile ?
Enfin, quelles mesures d’action locale adaptées à chaque territoire rural proposez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, votre question englobe un certain nombre de sujets. J’ai déjà répondu à une partie d’entre eux, précédemment. Soucieuse de ne pas me répéter, je note votre volonté de faire en sorte que l’on encourage l’orientation, sujet abordé tout à l’heure notamment à propos de la place des jeunes filles dans les lycées agricoles et de l’attractivité des métiers. Vous souhaitez également encourager l’installation. Nous avons évoqué la PAC post-2020 et les discussions qui pourraient s’engager pour favoriser cette installation et, au-delà, la pérennisation. Nous avons aussi évoqué et détaillé des politiques publiques de soutien aux agricultrices ; à ce sujet, mon collègue le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, s’appuiera sur un certain nombre des propositions formulées dans le rapport sénatorial dont tout le monde salue la qualité.
Vous avez parlé du congé de maternité. J’ai déjà répondu à un certain nombre de questions à ce propos. Je ressens en effet sur ce sujet une forte attente de la part des agricultrices. Je veux de nouveau vous rassurer sur ce point et préciser que ce qui est en cause, c’est bien l’harmonisation des congés de maternité. Il n’est, bien sûr, aucunement question de mettre la fin au système tel qu’il existe actuellement avec les indemnités de remplacement.
J’en viens à l’autonomisation des filles et des femmes dans le cadre de l’enseignement agricole, qui est l’une des questions liées à leur orientation. Il est bon de le rappeler, les méthodes pédagogiques développées par l’enseignement agricole sont centrées sur une forme de construction commune et de conduite du projet. De caractère très concret, elles sont l’ADN même de cet enseignement agricole. Elles cherchent à développer l’autonomie des jeunes femmes, à les rendre actrices de leur parcours, de leur formation et, plus généralement, de leur parcours professionnel.
Tel me paraît vraiment être le fil rouge de tous les sujets que vous évoquez, monsieur le sénateur : l’autonomisation, l’émancipation économique, mais aussi sociale des femmes agricultrices. L’enjeu consiste tout simplement à leur permettre de vivre de leur travail et de ce qu’elles produisent, non seulement pour elles et pour leur exploitation, mais aussi pour la France tout entière.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer à mon tour l’excellent travail réalisé par nos collègues de la délégation aux droits des femmes. Le thème des femmes et de l’agriculture, qui a donné lieu l’an dernier à un colloque et à un rapport d’information, permet de mettre un éclairage sur une réalité mal connue et sur des situations qu’il convient de corriger. C’est pourquoi j’espère que de nombreuses préconisations qui ont été formulées et qui relèvent, pour bon nombre d’entre elles, du bon sens paysan, seront retenues.
On ne peut que se réjouir, en effet, du nombre de femmes qui rejoignent chaque année le monde agricole en France. Elles entendent mener un projet professionnel qui est aussi le choix d’un mode de vie et qui a été très souvent mûrement réfléchi. Les femmes s’installent souvent plus tard que les hommes et avec un niveau d’études supérieur. Autrement dit, à l’issue d’un cursus plus complet, les nouvelles agricultrices ont une formation qui leur permet de mettre en place des projets innovants, lesquels s’inscrivent davantage dans l’air du temps et répondent mieux aux attentes des consommateurs.
C’est ainsi que, en 2017, dans mon département, les Hautes-Alpes, sur 47 nouvelles installations, 17 ont des femmes comme chef d’exploitation.
Le pastoralisme n’est pas en reste puisque de plus en plus de jeunes femmes se destinent au métier de bergère ou d’aide-bergère. Cette proportion peut même atteindre les deux tiers selon les territoires.
Or le plan Loup 2018-2023 vient de mettre un coup d’arrêt à cette dynamique. Aucune avancée significative n’a été réalisée pour défendre les troupeaux.
Le dispositif d’utilisation du tir de défense est toujours aussi contraignant pour les éleveurs et les mesures d’effarouchement ont montré leurs limites, avec des attaques de plus en plus nombreuses, puisque 10 000 animaux ont été tués par le loup en 2017 !
Dans le cadre des mesures de sensibilisation des jeunes gens à la diversité des métiers de l’agriculture, je vous demande, madame la secrétaire d’État, si le métier de bergère doit ou non être encouragé auprès des jeunes femmes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous me permettrez, puisque c’est la dernière question, de saluer, en guise de conclusion, l’excellente qualité de ce rapport, même si mon propos n’est pas très original.
C’est, selon moi, grâce à la recherche du consensus qui a guidé l’élaboration de ce rapport que mon collègue Stéphane Travert, ministre de l’agriculture, et moi-même pourrons nous saisir très concrètement des propositions qui ont été faites.
J’en viens à la question particulière que vous soulevez, celle du plan Loup – elle nous éloigne très légèrement du sujet, nous faisant esquisser un petit pas de côté.
Je ne partage pas, madame la sénatrice, l’analyse que vous faites de ce plan tel qu’il vient d’être annoncé. Il me paraît, au contraire, efficace. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je vous fais part de mon avis, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque c’est le mien qui est sollicité ! Le plan Loup est un bon compromis. Il permettra à un certain nombre d’agriculteurs et d’agricultrices de se sentir plus protégés, car ils seront autorisés à se défendre en prenant les mesures indiquées par le ministre.
Comme je l’ai dit, je viens d’un village de la montagne corse. J’ai grandi dans une famille de bergers et je crois que le métier de bergère est un beau métier. Il doit être défendu, car il n’appartient pas seulement au passé. Dans le cadre de la loi et des normes européennes, nous devons mettre en œuvre tout ce qui est possible pour permettre aux femmes bergères de continuer à exercer ce beau métier.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires.
Je veux remercier tous les orateurs. J’adresse également mes remerciements à la délégation aux droits des femmes, à toutes celles et à tous ceux qui ont participé à ce rapport, lequel fait l’unanimité. Je remercie enfin Mme la secrétaire d’État de la qualité et de la précision de ses réponses.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Avenir de l’audiovisuel public
Débat organisé à la demande de la commission de la culture et du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et du groupe Les Républicains, sur l’avenir de l’audiovisuel public.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que les orateurs de la commission et du groupe qui ont demandé ce débat disposeront d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission auteur de la demande.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, face à la mutation numérique, je me suis attachée de longue date à ce que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication réfléchisse et travaille, en lien avec la commission des finances, à l’avenir de l’audiovisuel.
Ainsi, il y a bientôt trois ans, était engagé au Sénat le débat sur une profonde réforme de l’audiovisuel public à l’occasion de la publication du rapport de nos collègues, que je salue, Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. Les recommandations de ce rapport demeurent très largement d’actualité.
Cependant, nous avions sans doute encore sous-estimé l’ampleur de la révolution technologique en cours qui menace jusqu’à la pérennité d’un secteur audiovisuel, privé comme public d’ailleurs, exposé aux coups de boutoir de la concurrence des grandes plateformes américaines, bouleversant totalement nos usages et nos modèles économiques.
Nous sommes, en fait, face à une situation que l’on pourrait résumer ainsi : l’audiovisuel public est-il encore capable de répondre aux attentes de tous ses publics, notamment des plus jeunes, qui ont accès à des milliers de programmes sur des plateformes numériques ?
Les programmes publics se distinguent-ils suffisamment des programmes privés – par leur audace, leur spécificité, leur qualité – pour justifier un financement public à hauteur de 3,7 milliards d’euros ?
Ces entreprises publiques ont-elles bien pris la mesure des évolutions en cours et sont-elles prêtes à changer de logiciel pour relever le défi, ce qui implique nécessairement de modifier certaines habitudes ?
Autant le dire tout de suite, la réponse à ces trois questions est loin d’être évidente ! Les plus jeunes de nos concitoyens ne regardent plus la télévision publique, dont les téléspectateurs ont largement dépassé la moyenne d’âge de soixante ans. Ses programmes sont considérés comme peu innovants et peu exportables. Quant à la situation financière de ces entreprises, il faut distinguer Arte, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, qui font des efforts pour contrôler leurs dépenses, de France Télévisions et Radio France, dont les coûts de structure poursuivent, malgré les efforts, leur progression, notamment quant à la masse salariale.
Au-delà des missions à redéfinir, c’est aussi le financement de ces entreprises qui pose question. Parce que l’innovation technologique coûte cher, l’audiovisuel public doit dégager des marges de manœuvre financières en faisant des économies sur ses structures.
Pour ce qui est des ressources, c’est l’incertitude qui domine. Outre que la publicité – elle compte pour environ 400 millions d’euros s’agissant de France Télévisions et Radio France – banalise l’offre publique, elle est aujourd’hui accaparée par les plateformes numériques et ne peut donc constituer une ressource d’avenir.
Le paiement de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP, reste fondé sur la possession d’un téléviseur. Or le taux d’équipement baisse à mesure que progressent les nouveaux usages sur les supports numériques. Une réforme de la CAP est donc devenue indispensable.
Dans ces conditions, nous devons faire un choix. Soit l’audiovisuel public – notamment France Télévisions – poursuit sur la pente de la banalisation de son offre, et c’est la légitimité même d’un financement public qui pourrait être – tôt ou tard – posée. Soit on estime que cet audiovisuel public a un rôle à jouer en termes de culture, d’éducation et de démocratie – ce que je crois profondément –, et alors il faut mettre en œuvre une réforme systémique.
Ce choix de société doit concerner tous les Français. C’est pourquoi nous sommes heureux d’ouvrir aujourd’hui, en votre présence, madame la ministre, ce grand débat d’intérêt national.
Autant le reconnaître, il n’y a pas d’unanimité pour défendre le service public ! Il y a ceux qui ne jurent que par la course à l’audience et à la publicité, pour le privé comme pour le public. Il y a ceux qui estiment que l’audiovisuel public coûtera toujours trop cher et qu’il faut réduire ses moyens. Il y a ceux, de moins en moins nombreux, qui jugent qu’il ne faut rien changer et qu’il faut continuer à augmenter les dépenses de l’audiovisuel public. Il y a enfin, et c’est nouveau, toute une partie de la population qui considère qu’elle ne doit payer que ce qu’elle consomme et refuse donc – par principe – d’acquitter une redevance.
Ce débat, nos voisins suisses sont en train de le conduire, et ils le trancheront, le 4 mars prochain, par un référendum sur le maintien ou non de la redevance. Si la suppression de celle-ci est adoptée, la Société suisse de radiodiffusion et télévision, la SSR, ses 17 radios et 7 chaînes de télévision, ainsi que ses 6 000 salariés devront cesser leur activité d’ici à un an.
Face à cette menace, la SSR a pris acte de la nécessité de se transformer avec un maître mot : rendre accessible l’ensemble des contenus télévisés et radiophoniques sur une plateforme globale multisupport et renforcer l’attractivité de ses programmes. Cette priorité donnée aux contenus est partagée par la Radio-télévision belge francophone, la RTBF et par la BBC britannique. Elle doit être le fil d’Ariane de la réforme qu’il nous revient de conduire en France.
Renforcer la spécificité de l’audiovisuel public ; donner la priorité à l’audace, à l’innovation, à la rigueur ; regrouper l’ensemble des programmes sur une même plateforme numérique ; opérer des mutualisations de services par thématique – information, culture, sport, territoires : telle doit être notre ambition.
Nous devons aller jusqu’au bout de la révolution des usages et ne pas nous apitoyer sur des structures qui nous sont, certes, familières, mais qui sont vouées à se transformer radicalement si elles veulent perdurer. D’ici peu, les téléspectateurs regarderont d’abord leurs programmes de manière complètement délinéarisée et sur internet à travers les télévisions connectées. Pour la radio, on peut penser que la 5G attendue pour 2020 constituera également une nouvelle frontière permettant de dépasser l’antique FM et ses problèmes de pénurie de fréquences.
Le changement de paradigme technologique emporte la nécessité de repenser l’organisation des sociétés de l’audiovisuel public et, donc, de leur gouvernance. La commission continue de penser que la création d’une holding permettrait d’assurer la coordination des moyens et le développement d’une offre nouvelle dans le respect des identités des entreprises et des personnels.
Nous n’avons jamais proposé de fusion, car cette forme de rapprochement aurait aussi un coût social important, dont il appartient au Gouvernement de mesurer l’ampleur. C’est l’option qui a été privilégiée par nos voisins suisses, belges et britanniques, mais elle comporte le risque d’y laisser beaucoup de temps et d’énergie, au détriment d’une mise en œuvre rapide des adaptations nécessaires.
Ce qui importe – au-delà des systèmes et des schémas de rapprochement –, c’est de permettre aux salariés de ces sociétés de retrouver confiance dans l’avenir de l’audiovisuel public. Pour cela, soyons pragmatiques !
L’audiovisuel public a besoin d’être incarné par une personnalité dont la mission consistera à garantir, devant la Nation, l’indépendance de l’institution, la déontologie de l’information, le respect du pluralisme et l’équité de la répartition des crédits issus de la CAP entre les différentes entreprises, sans préjudice notamment pour la chaîne franco-allemande Arte et l’audiovisuel extérieur, qui font un travail remarquable. À cet égard, je déplore, au regard des responsabilités de la présidente de France Médias Monde, l’absence de discernement qui a mis un terme de manière mécanique à son mandat.
Compte tenu de cette ambition, nous devons trouver un mode de nomination indiscutable, sachant que tout ou presque a été essayé dans ce domaine, sans donner satisfaction.
Un consensus semble se dessiner pour prévoir une nomination par le conseil d’administration. Il va de soi que cette modalité de nomination n’aura de sens que si l’indépendance des membres du conseil d’administration est garantie, ce qui signifie que la représentation des tutelles soit simplifiée.
Des missions réaffirmées, une ambition culturelle et éducative renforcée, des personnels remobilisés, une gouvernance commune et indépendante instaurée, ces piliers de la réforme doivent être consolidés par une profonde modernisation de la contribution à l’audiovisuel public pour garantir, dans la durée, les moyens nécessaires à l’accomplissement des missions. Là encore, la proposition formulée par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, en 2015, d’une contribution forfaitaire universelle sur le modèle allemand apparaît comme le chemin le plus solide pour boucler cette réforme systémique.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous devons penser cette réforme pour les quinze ou vingt années à venir. En toute logique, nous devons également nous interroger sur l’adaptation de la régulation au nouveau contexte marqué par le numérique. Nous avons déjà eu ces réflexions, mais nous devons de nouveau les avoir. Faut-il rapprocher le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, qui sont tous deux confrontés à l’émergence d’opérateurs de télécommunications devenus des poids lourds des médias ? Ainsi, il nous faut conduire ce travail.
Avec le développement de la réception par la fibre, l’avenir de la télévision numérique terrestre, la TNT, est également en jeu, et donc la réglementation imposée aux grandes chaînes qui repose sur l’attribution d’une licence de diffusion hertzienne. Une simplification de cette réglementation constitue un horizon sans doute incontournable pour permettre un développement de la production française, notamment à l’export.
Il en est de même, madame la ministre, de la chronologie des médias, qui a besoin d’être modernisée. Nous avons fait des propositions en juillet dernier pour favoriser les comportements vertueux de ceux qui investissent dans le cinéma. Nous souhaitons qu’un accord soit trouvé, faute de quoi le législateur devra tirer les conséquences de cette situation.
On le voit, tous ces changements sont liés. C’est donc à une réforme globale qu’il faut penser.
Comme je vous l’ai écrit, madame la ministre, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est prête et compte jouer tout son rôle dans le débat qui va s’engager à partir de maintenant. Nous poursuivons d’ailleurs nos travaux et nous engagerons très prochainement un travail de fond sur France 3 et France Bleu, les chaînes des territoires, et sur bien d’autres sujets encore.
Pour l’heure, c’est un point d’étape, voire de départ, que nous souhaitons avoir tous ensemble en votre présence, madame la ministre. Mes collègues vont avoir beaucoup de questions à vous poser, et nous comptons sur vous pour y répondre de manière que vos réponses enrichissent durablement notre réflexion. (Applaudissements.)
M. le président. Merci, madame la présidente, d’avoir tenu à la seconde près votre temps de parole !
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais le choix du téléspectateur-auditeur-citoyen n’a été aussi varié et aussi large qu’aujourd’hui, et cette diversité de choix devrait se renforcer encore sous l’effet de la concurrence et de l’arrivée de nouveaux acteurs issus du numérique. En France même, il y a cinq chaînes d’information continue, plusieurs chaînes consacrées au sport – gratuites et payantes –, une multitude de chaînes dédiées au cinéma et à la production audiovisuelle, aux séries, des chaînes de musique, et la même diversité s’observe sur les ondes radiophoniques.
Dans ces conditions, quelles sont les justifications de l’existence d’un audiovisuel public qui bénéficie chaque année de plus de 3,7 milliards d’euros de fonds publics et de 400 millions d’euros de recettes publicitaires ? La question se pose, en effet, et nous l’entendons de-ci, de-là.
Pour ma part, et je partage avec la commission de la culture cette idée forte, j’ai la conviction qu’un audiovisuel public puissant est nécessaire, pour autant que son offre soit différenciée et qu’il joue un rôle de référence, en particulier dans l’information et l’accès à la culture.
L’explosion des offres audiovisuelles, le développement des réseaux sociaux exigent, de mon point de vue, la présence d’un axe public fort qui se distingue dans le paysage global de l’audiovisuel ; nous y reviendrons.
L’existence d’un pôle audiovisuel extérieur puissant est une nécessité. C’est la vision de la France dans le monde, même si on peut parfois s’interroger sur l’intérêt que des fonds publics financent des programmes en langue anglaise. Voilà sans doute une piste de réflexion sur des économies ou des redéploiements possibles. Mais France Médias Monde, qui, dans ce système-là, n’a que peu de valeur ajoutée par rapport à la BBC et à CNN, fait un travail remarquable pour l’image de la France à l’extérieur.
Les programmes de Radio France sont, pour l’essentiel, conformes aux attentes, même si des doublons peuvent exister avec certaines offres privées, ainsi entre France Musique et Radio Classique.
Le bilan de la chaîne franco-allemande Arte est, pour sa part, conforme au projet de ses concepteurs : ouverture culturelle et internationale, exigence et accessibilité des programmes, invitation à la curiosité et à la découverte, ambition européenne.
L’enjeu principal est donc double. Il est temps, tout d’abord, de redéfinir les missions de France Télévisions, qui a aujourd’hui une double identité, à la fois publique et commerciale. Il faudra lever cette ambiguïté ; c’est le rôle du législateur. Depuis des années, l’absence de décision sur ce sujet a compliqué la gouvernance et la gestion du groupe.
Nous sommes convaincus que rien ne justifie de payer une redevance annuelle de 139 euros pour des programmes souvent disponibles gratuitement sur les chaînes privées. Rien ne justifie, non plus, de conserver des programmes aussi coûteux que, peut-être, le sport si aucune valeur ajoutée éditoriale n’est apportée et si les mêmes épreuves sont diffusées, avec autant de publicité, sur les chaînes privées. Il nous revient, enfin, de nous interroger sur l’usage qui est fait des 400 millions d’euros consacrés chaque année à la production audiovisuelle, compte tenu du caractère peu innovant et insuffisamment marquant des programmes ainsi financés.
Le second enjeu concerne la transition numérique, qui doit nous conduire à nous interroger. Le contribuable est en droit d’accéder à tous les programmes du service public sur une même plateforme accessible sur tous les supports, ce qui nécessiterait un regroupement des contenus produits par les différentes sociétés de l’audiovisuel public.
Au lieu de cela, France Télévisions s’est engagé en solitaire dans la construction d’une plateforme de vidéo à la demande par abonnement, ou SVOD, payante et coûteuse à développer, sans proposer une offre vraiment distincte. Que faut-il penser de ce projet, qui a d’ailleurs pris beaucoup de retard ?
Madame la ministre, nous souhaitons que l’avenir de l’audiovisuel public passe par une clarification de ses missions, de son périmètre et de ses projets.
L’audiovisuel public n’a ni les moyens financiers ni les compétences technologiques pour concurrencer une grande part du privé dans le paysage médiatique qui s’annonce. Il doit tracer une voie complémentaire, avec des exigences et des moyens spécifiques, comme mon collègue André Gattolin et moi-même le proposions en 2015.
Comment donner la priorité à la culture, à l’éducation, au débat démocratique, à la curiosité et à l’ouverture, tout en continuant de subir la pression de l’audimat et des recettes publicitaires ? Tranchons cette contradiction en assumant qu’un service public de qualité est incompatible avec une gestion commerciale !
Un premier pas a été fait l’année dernière, sur l’initiative du Sénat, par la suppression de la publicité dans les émissions jeunesse.
Les regroupements et la clarification des missions du service public de l’audiovisuel doivent permettre d’engager une nouvelle étape fondée sur la différenciation de son offre, un financement spécifique, à travers la réforme de la CAP et la recherche d’une qualité accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste – Mme Colette Mélot et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe auteur de la demande. (Mme Marie-Christine Chauvin applaudit.)
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. C’est le Président de la République, et non pas moi, qui, voilà quelques semaines, dénonçait le gâchis qu’est l’audiovisuel public. Je regrette ce gâchis, mais je le constate. Aujourd’hui, si nous envisageons une énième réforme de l’audiovisuel public, c’est bien qu’il existe des problèmes de coût, de fonctionnement, de gouvernance et de mission. Cela fait beaucoup pour un seul secteur !
Tout le monde est responsable ; à droite comme à gauche, chacun a voulu sa réforme, chacun a voulu son mode de désignation des présidents de chaînes, pensant pouvoir ainsi exercer une influence surréaliste. Cela s’est souvent retourné contre les auteurs de ces changements.
Aujourd’hui, l’audiovisuel public nous coûte 3,7 milliards d’euros, sans compter les recettes publicitaires ; c’est beaucoup d’argent. Je tiens à prévenir dès à présent mes collègues de la commission de la culture : la commission des finances est plutôt hostile, pour ne pas dire très hostile, à une éventuelle extension de la redevance qui constituerait en réalité, pour les Français, un prélèvement supplémentaire de plusieurs centaines de millions d’euros par an, et ce pour un résultat dont – c’est le moins que l’on puisse dire – on n’est pas certain.
Peut-être, madame la ministre, avant d’envisager une extension de cette redevance, devrait-on demander à l’audiovisuel public, au-delà des questions de gouvernance, de faire des économies de gestion. On le demande bien aux particuliers, aux collectivités, aux entreprises. Peut-être l’audiovisuel public, en se réorganisant, en veillant à ne pas encourir de dépenses excessives sur certains domaines, pourrait-il de même s’efforcer de rationaliser sa dépense.
En parlant de rationalisation, j’ai récemment eu l’occasion de lancer une étude sur les coûts de production. On ne peut pas dire que, dans ce domaine, les prix soient les mêmes partout ; on ne peut pas dire que, si l’on compare les coûts de production de l’ensemble des chaînes de télévision, il y ait toujours, du côté du service public, un plus par rapport aux chaînes privées.
Il ne s’agit pas de contester le secteur public ; en revanche, je suis de ceux qui pensent qu’il y a peut-être beaucoup de chaînes de service public. S’il existe une autre solution que de réduire leur nombre, trouvons-la ! Il fut un temps où il y en avait moins, et où l’on n’avait pas pour autant le sentiment que le service public était nul ou insuffisant. Fallait-il absolument créer, récemment, une chaîne d’information en continu, quand il en existait déjà autant dans le secteur privé ? Quel est le plus du secteur public dans ce domaine ? Je ne suis pas certain que tout cela ait du sens.
Dès lors, avant d’envisager l’extension de la redevance, avant de demander aux Français un effort supplémentaire pour l’audiovisuel public, peut-être peut-on demander à celui-ci de réformer ses méthodes de gestion, la rigueur de cette gestion, et ses coûts de production.
Peut-être peut-on aussi lui demander de réfléchir à ses missions de service public. Franchement, à comparer l’ensemble des chaînes, je ne suis pas absolument certain que l’on sente tout de suite la différence de mission du secteur public : ce jeu, cette émission de variétés sont-ils totalement différents de ce que propose le secteur privé ? Il existe des émissions remarquables sur les chaînes publiques, mais aussi beaucoup d’éléments comparables à l’offre privée. Il faut donc trouver, peut-être, plus de rationalité.
En attendant, madame la ministre, nous participerons volontiers à votre réflexion sur la réforme. Nous vous demanderons seulement de réfléchir avec l’ensemble des responsables aux moyens de réguler la dépense avant de déterminer s’il faut augmenter la recette. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste –Mme Colette Mélot et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la commission de la culture et le groupe Les Républicains d’avoir sollicité ce débat de contrôle, qui me permet de rappeler le sens de la transformation que nous engageons dans l’audiovisuel public, de présenter la méthode que nous avons choisie pour avancer, et de vous faire un point d’étape sur nos réflexions.
Revenons d’abord au sens de cette réforme : pourquoi engager cette transformation de l’audiovisuel public ? C’est parce que le paysage audiovisuel, dans son ensemble, se transforme. En quinze ans, il a subi plusieurs métamorphoses. De nouveaux usages sont apparus : le public de l’audiovisuel se transforme. De nouveaux acteurs existent aujourd’hui ; nous sommes désormais dans un monde d’hyperoffre : on compte 27 chaînes sur la TNT et plusieurs centaines de chaînes sur nos box. De nouveaux contenus sont disponibles, avec l’explosion des séries et des formats web, et l’apparition de nouveaux espaces de diffusion ; de par les GAFAN – Google, Apple Facebook, Amazon et Netflix –, l’audiovisuel est présent sur les réseaux sociaux et sur les sites de recommandation. En somme, le marché audiovisuel n’est plus national : il est de plus en plus mondial.
La transformation de l’audiovisuel public est aujourd’hui incontournable. Plusieurs de nos voisins européens l’ont engagée, comme vous l’avez évoqué dans votre intervention, madame la présidente de la commission. C’est pourquoi je me suis rendue à Londres afin de rencontrer les dirigeants de la BBC ; je suis également allée en Belgique, pour visiter la RTBF, qui a accéléré sa mue en réfléchissant aux contenus et aux publics. L’idée est, non pas d’importer ces modèles étrangers, mais de s’inspirer de ce qui fonctionne.
Or pour permettre à notre audiovisuel public non seulement de s’adapter aujourd’hui aux mutations, mais de les provoquer demain, nous devons dessiner une vision à dix ou quinze ans, comme vous l’avez bien rappelé. Nous sommes en train d’y travailler.
Cet impératif de transformation s’applique aussi à la réglementation et à la régulation de l’audiovisuel.
J’ai déjà annoncé qu’il y aurait une grande loi audiovisuelle. Un projet de loi sera présenté avant la fin de l’année. Il permettra la transposition de la directive Services de médias audiovisuels, dite SMA, et une révision de la loi du 30 septembre 1986. Nous sommes en train de travailler sur ces différents sujets.
Quelle méthode est la nôtre ? La transformation va se nourrir de plusieurs réflexions et, en premier lieu, de celle que j’ai engagée avec les sociétés de l’audiovisuel public. Je réunis tous les mois les dirigeants des six sociétés dans un comité stratégique, qui se focalise sur le renforcement des coopérations entre ces sociétés. Cinq chantiers ont d’ores et déjà été identifiés : la reconquête des jeunes publics, l’international, l’offre de proximité, l’offre en ligne et les synergies sur les ressources transverses. Plus d’une centaine de collaborateurs participent à ces travaux, depuis maintenant plusieurs mois. C’est inédit !
La transformation profitera également des réflexions qui ont lieu dans le cadre du programme Action publique 2022, démarche de modernisation qui engage tous les ministères.
Elle doit aussi pouvoir se nourrir des travaux parlementaires, qui sont particulièrement riches sur ce sujet. Je pense singulièrement aux travaux de votre commission, madame la présidente, travaux dont je salue la qualité. Je connais par ailleurs votre investissement personnel sur ces questions.
Enfin, je souhaite que nous puissions organiser un débat avec les professionnels et nos concitoyens, une fois que nous aurons défini les orientations de cette transformation. En effet, c’est pour eux que nous la menons. En outre, comme vous l’avez bien dit, madame la présidente, ce choix de société doit concerner tous les Français.
Pour ce qui est du calendrier, comme nous l’avons déjà indiqué, nous ferons nos annonces d’ici à la fin du mois de mars. À ce stade, je ne peux donc faire qu’un point d’étape sur nos réflexions, qui ne sont pas finalisées.
La transformation tourne autour de quatre enjeux.
Le premier d’entre eux, ce sont les contenus et les programmes. Nous touchons ici à la raison d’être de l’audiovisuel public : sa singularité et ses missions.
Vous l’avez bien souligné dans vos différentes interventions, madame la présidente de la commission, messieurs les sénateurs : l’enjeu est que l’audiovisuel public réponde aux attentes de tous les publics et propose une offre qui se distingue de celle du secteur privé.
La question centrale est la suivante : comment continuer à faire la différence ? C’est véritablement la boussole de la transformation. Nous avons identifié plusieurs missions prioritaires : j’en évoquerai trois.
La première d’entre elles est l’offre pour la jeunesse. La reconquête des jeunes est une urgence, pour la télévision publique en particulier. En effet, l’âge moyen des téléspectateurs augmente. Pour France 3, il est de 63 ans contre 58 ans en 2012 ; pour France 2, il est de 60 ans, contre 57 ans en 2012. Pour les chaînes privées, l’âge moyen du téléspectateur augmente aussi, mais il reste bien en deçà. Pour M6, il est de 47 ans aujourd’hui ; pour TF1, de 53 ans, soit 10 ans de moins que pour France 3.
L’audiovisuel public offre une différence pour les programmes destinés aux moins de 12 ans de par l’absence de coupures de publicité, grâce à l’adoption de la proposition de loi du sénateur André Gattolin. Il faut maintenant reconquérir les adolescents et les jeunes adultes, qui délaissent la télévision linéaire, mais consomment beaucoup de contenus en ligne et, notamment, de vidéo à la demande. Les deux tiers des 15-24 ans regardent des vidéos en ligne quotidiennement ; un jeune sur cinq est abonné à une offre de vidéo à la demande, contre une personne sur douze pour la moyenne de la population.
L’audiovisuel public doit leur proposer, sur le canal numérique, une offre de contenus culturels, éducatifs et informatifs de référence que les jeunes ne trouveraient pas ailleurs.
Une autre mission prioritaire de l’audiovisuel public est la proximité. L’offre d’informations et de programmes locaux est une spécificité de l’audiovisuel public. Elle est fondamentale pour la vie de nos territoires ; ce n’est pas à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que je l’apprendrai.
Pour renforcer cette mission, je crois à une coopération accrue entre les antennes de France Bleu et France 3, afin de produire davantage d’émissions et de programmes locaux. Les équipes travaillent à des expérimentations, notamment autour d’une matinale.
Enfin, parmi les missions prioritaires, il faut évoquer la culture. Le service public propose déjà une offre à part, avec des émissions comme La Grande Librairie, des œuvres de création, ou encore des retranscriptions de spectacles, notamment sur Arte. Il faut renforcer cette offre ; c’est une demande des Français. De fait, selon un récent sondage JDD-IFOP, une majorité d’entre eux regrette que, sur France Télévisions, il n’y ait pas assez de films, de programmes culturels et de documentaires.
Le deuxième enjeu de la transformation de l’audiovisuel public, après les contenus, est la mutation numérique.
L’investissement dans ce domaine a été jusqu’à présent largement insuffisant : il est de 3 % environ dans le budget de France Télévisions, contre 7 % chez certains de nos voisins européens et 12 % au Canada.
Il convient donc de repenser la stratégie numérique de l’audiovisuel public, à court et moyen terme. Les efforts des sociétés sont aujourd’hui éparpillés ; il faut plus d’investissements et d’offres numériques communes. Les sociétés font à l’heure actuelle des propositions en ce sens.
Il faudra aussi répondre, à terme, à l’enjeu du média global, qui mêle image, son et voix, et qui est présent en linéaire comme en non-linéaire.
Le troisième enjeu de la transformation est la gouvernance de l’audiovisuel public.
Nous avons une volonté claire : renforcer la coordination entre les différentes sociétés. Nous avons ouvert pour cela plusieurs pistes de réflexion. La distinction entre une présidence non exécutive et des directions générales, idée récemment relayée par un article de presse, n’est qu’une option de travail parmi d’autres. Elle est tout simplement issue du parangonnage – pour ne pas dire du benchmark – que nous avons effectué auprès des modèles européens, notamment de la BBC.
À ce stade, nous ne privilégions pas le meccano institutionnel consistant à créer une nouvelle entreprise unique. Nous préférons des méthodes souples d’organisation, qui favoriseraient la mise en œuvre rapide des réformes.
La question d’une nomination des dirigeants par les conseils d’administration se pose. Cette piste a été évoquée par le Président de la République pendant la campagne présidentielle. Elle donnerait aux dirigeants une plus grande assise managériale et impliquerait de revoir la composition des conseils d’administration. Les suggestions émises par le sénateur André Gattolin dans sa proposition de loi nous offrent une base de travail, qui sera complétée par d’autres propositions.
Le financement de l’audiovisuel public constitue le quatrième enjeu de sa transformation.
Ce n’est pas le point de départ de cette transformation, mais son point final, en quelque sorte, une fois repensées les missions et l’organisation du secteur.
Comme je l’ai réaffirmé lors de l’examen du budget pour 2018, il n’y aura pas de retour de la publicité après 20 heures sur France Télévisions. C’est un élément fort de distinction du service public.
S’agissant de la redevance, comme je l’ai déjà dit, je souhaite qu’un débat soit ouvert. À moyen terme, l’évolution des usages pose la question du rendement de cette contribution et de l’équité entre contribuables. Nous aborderons la question sans tabou. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe République et Territoires – Les Indépendants, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement également pour un maximum de deux minutes.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, je voudrais simplement vous demander quelle est votre conception du rôle du CSA.
Dans le cadre de vos réflexions, si vous reteniez, à terme, la création d’une holding de l’audiovisuel public, même si j’entends bien que, pour chacune des chaînes, les conseils d’administration seraient décisionnaires, envisagez-vous que le CSA, dans sa forme actuelle, conserve un pouvoir de décision ?
On a pu récemment constater, au sujet de Radio France, certaines hésitations avant, sinon votre intervention, du moins votre décision de dire certaines choses ; on a eu le sentiment que le CSA se tenait peut-être quelque peu en retrait.
Plus généralement, nous jugeons tous assez curieux que le Conseil soit à la fois juge et partie. En effet, il nomme les responsables des chaînes et juge les décisions prises pendant leur mandat. Il est tout de même assez étrange que celui qui nomme juge en même temps la validité des actions de ceux qu’il a nommés.
Envisagez-vous sur ce point, madame la ministre, un changement profond dans la désignation des futurs responsables des chaînes ? Mais surtout – décision plus immédiate –, dans le cas de figure d’une holding, qui désignerait le président ou la présidente de celle-ci ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, le CSA doit clairement être renforcé dans son rôle de régulateur. C’est d’ailleurs l’enjeu du projet de loi relatif à l’audiovisuel que nous déposerons en fin d’année à l’occasion, notamment, de la transposition de la directive SMA et de la révision de la loi du 30 septembre 1986.
Comme je vous l’ai dit dans mon propos introductif, nous réfléchissons à modifier le mode de nomination des dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public. Plusieurs pistes sont examinées, rien n’est arrêté aujourd’hui, mais il nous semble qu’il faut responsabiliser davantage les dirigeants devant le conseil d’administration. En me rendant au Royaume-Uni à la rencontre des équipes de la BBC, j’ai longuement parlé avec le président de son board qui nous a expliqué la démarche entreprise ; j’ai écouté avec attention l’exposé de ce qu’ils ont mis en place voici un an. Tout cela peut nous inspirer et nous permettre de réfléchir.
Cela dit, si je dois vous répondre d’une phrase, le rôle de régulateur du CSA est clairement au centre de ses missions.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, j’entends bien que rien n’est définitif et qu’il faut attendre l’évolution de la réflexion. Pour ma part, le rôle de régulateur du CSA ne me dérange pas : il faut bien qu’il y ait un organe régulateur.
Ce qui pose problème, à mon sens, c’est que l’on donne à la même institution le pouvoir de nomination et le pouvoir de régulation. Il y a là un sujet qui n’est pas clairement défini et qu’il faudra préciser dans le futur pour éviter des situations comme celle que nous venons de connaître à Radio France.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Madame la ministre, lorsqu’on envisage une réforme profonde de l’audiovisuel public, la première des questions qui doivent servir de base à cette refonte, notamment dans le monde bouleversé des médias, est celle des missions prioritaires de ce service public et de son utilité sociale.
Je crois que, tout comme l’éducation nationale ou les politiques publiques que nous engageons en matière culturelle, l’audiovisuel public doit être autant considéré comme un investissement que comme une dépense. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas réguler et surveiller sa dépense.
Dès les prémisses de l’audiovisuel public, en 1945, un objectif était clair : la Radiodiffusion française, ou RDF, devait informer les citoyens, les divertir, mais aussi les éduquer et enrichir culturellement le plus grand nombre par des programmes ambitieux en matière de création artistique et une démocratisation de l’accès à la culture.
Cette volonté d’accès élargi de nos concitoyens à la culture fait partie des objectifs prioritaires du Président de la République. Ceux-ci sont d’ailleurs clairement incarnés dans les orientations de la mission « Médias, livre et industries culturelles » de la loi de finances pour 2018 qui témoigne d’une volonté accrue en matière de démocratisation.
La France, qui dispose pourtant d’un patrimoine exceptionnel et d’une création culturelle d’une grande vitalité, peine aujourd’hui à les exprimer sur nos grandes chaînes publiques, du fait de la disparition de la plupart des émissions emblématiques de ce traitement culturel.
Madame la ministre, je ne dévoilerai rien en disant que vous êtes ministre à la fois de la culture et de la communication. D’un côté, nous avons des contenus culturels et nous manquons de canaux pour les populariser. De l’autre côté, nous avons un audiovisuel, où des canaux existent, mais manquent singulièrement de contenus culturels. Comment envisagez-vous la synergie entre culture et audiovisuel, et le renforcement de la présence de la culture sur nos chaînes publiques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, comme vous pouvez vous en douter, je suis évidemment très sensible à cette question, en tant que ministre à la fois de la culture et de la communication et, d’une certaine façon, du fait de mon ADN profond, qui est, évidemment, la culture.
Comme je l’ai dit en introduction à ce débat – et je suis loin d’être la seule à l’avoir rappelé –, les Français expriment une demande forte pour davantage de programmes culturels sur nos médias, notamment sur la télévision et la radio publiques. D’ailleurs, l’augmentation d’audience de certaines chaînes culturelles spécifiques constitue d’une certaine façon un indicateur de cette demande. Dans un récent sondage, les Français indiquaient qu’ils voudraient plus de films – presque à 70 % –, plus de culture – presque à 50 % – et plus de documentaires – à 48 % – sur France Télévisions. Il suffit de voir le tollé qu’a suscité l’idée de supprimer certains documentaires sur France Télévisions pour se rendre compte de l’attachement des Français à ces émissions.
La culture est clairement identifiée comme une mission d’intérêt général. C’est donc pour nous un chantier prioritaire au sein de cette réforme. La culture est un marqueur de la singularité du secteur public ; elle est au cœur du soutien qu’il apporte au secteur de la création. En effet, n’oublions pas que France Télévisions représente la moitié des investissements dans la création audiovisuelle française.
L’offre culturelle est aussi identifiée comme un chantier où les coopérations entre sociétés peuvent apporter de la valeur ajoutée ; cela a été relevé dans les comités stratégiques que j’ai réunis. C’est très évident, au niveau que ce soit de l’offre traditionnelle linéaire ou de l’offre digitale. Les dirigeants des sociétés feront donc des propositions en ce sens ; ils sont tous très mobilisés sur ce sujet.
Enfin, selon moi, il ne faut pas opposer programmes de divertissement et programmes culturels. En effet, certains divertissements peuvent être éminemment culturels, instructifs et éducatifs, et susciter un véritable goût pour la culture. La culture peut clairement être divertissante !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Je tiens d’abord à saluer l’initiative de la commission de la culture : sans elle, nous ne serions pas saisis ce soir de ce débat.
Madame la ministre, ma question porte sur la méthode que vous comptez employer. L’avenir du service public audiovisuel est une grande question démocratique qui ne peut pas être traitée par quelques centaines d’initiés.
On entend beaucoup les mots « modernité », « dialogue social », « ambition de service public », mais qu’est-ce qui garantira cela ? Qui décidera, in fine ? Est-ce que ce sera le Gouvernement, tout seul ? Le débat public s’organisera-t-il autour du seul schéma gouvernemental, ou autrement ?
Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos.
Ainsi, quel modèle pour la future organisation des sociétés de l’audiovisuel public : coopération renforcée, holding, fusion ? Manifestement, des schémas sont déjà préemptés au détriment d’autres, alors qu’aucune évaluation publique de ces schémas contradictoire n’a de fait eu lieu. Où est donc le dialogue ? Le dialogue nécessite de mettre sur la table plusieurs hypothèses.
Sur le mode de nomination des dirigeants, c’est la même chose : on nous affirme d’emblée qu’il faut le changer, sans qu’on sache pourquoi – personne ne nous l’a vraiment expliqué. Aura-t-on ensuite la possibilité d’étudier à égalité plusieurs hypothèses quant au mode de nomination, ou bien pourra-t-on seulement amender la proposition gouvernementale ? Nous entrons donc, en vérité, dans des chantiers déjà très balisés.
Pour notre part, nous vous suggérons, madame la ministre, une autre méthode. Je voudrais savoir si vous seriez d’accord pour engager un débat public de six mois, sans schéma gouvernemental préalable, au cours duquel pourraient être exposées toutes les hypothèses en présence : celles des personnels, des créateurs, des syndicats, des directions actuelles, des parlementaires et du public. Ensuite aurait lieu une évaluation contradictoire de ces hypothèses, et des recommandations seraient mises en débat.
Pour votre part, vous venez de nous dévoiler que, dès la fin du mois de mars, le débat s’organiserait déjà autour de vos conclusions, avant même qu’il se soit engagé dans le pays.
En somme, nous proposons une méthode pluraliste et démocratique, qui fait appel à l’intelligence citoyenne. Je crois que le pays a beaucoup d’expertise à faire valoir sur l’avenir du service public et que le service public aura besoin de ces qualités. Êtes-vous prête, madame la ministre, à changer la démarche que vous venez d’annoncer au profit d’une méthode plus ouverte et plus pluraliste ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je vous remercie de m’interroger sur la méthode. À mon sens, nous avons engagé la réflexion de façon innovante et inédite dans ce secteur.
Ce sont évidemment les personnes concernées au premier chef qui ont à réfléchir sur le sujet. C’est pourquoi nous les avons réunies au mois de juillet dernier. Depuis, le comité stratégique se réunit régulièrement et nous amenons les acteurs concernés à se pencher sur des sujets touchant l’intérêt du public par rapport à l’audiovisuel public. Ils ne l’ont pas fait tout seuls – ce n’est pas du tout ainsi que cela s’est passé – : ils ont convié leurs équipes et plus d’une centaine de personnes ont été rassemblées pour mener ces travaux de réflexion. C’est tellement inédit qu’eux-mêmes ont relevé avoir échangé des numéros de téléphone et des adresses mail pour la première fois. C’est un changement radical dans la façon de procéder.
Ensuite, je l’ai souligné, une fois qu’auront été tirées les conclusions de ces travaux, un débat public sera organisé à la fin du mois de mars prochain, sur la base de ces premières orientations, avec les professionnels – je consulte beaucoup –, avec les gens sur le terrain – je me déplace : je me suis rendue à France 2 ou France 3 pour rencontrer les équipes – et avec le Parlement. Une consultation générale suivra, qui permettra l’élaboration d’un projet de loi d’ici à la fin de l’année.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste et républicain.
M. David Assouline. Madame la ministre, l’exercice qui nous réunit aujourd’hui nécessite sans doute d’être direct. Ma question est donc très simple : considérez-vous que le service public de l’audiovisuel est une « honte de la République » et que l’audiovisuel public coûte trop cher à la Nation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. À question rapide, réponse rapide…
Avez-vous remarqué que les audiences avaient augmenté, notamment sur France Inter, France Culture et France Musique ? C’est la fierté des Français ! La première matinale, c’est celle de France Inter. C’est la fierté des Français !
Il n’a jamais été question de honte concernant l’audiovisuel, c’est pourquoi je n’ai pas à répondre sur ce point. Ce qui est important, c’est la façon de réfléchir aux problématiques : comment aborder la réflexion sur l’audiovisuel, à partir des missions qui lui sont dévolues ? Je l’ai rappelé dans mon discours introductif. Il faut travailler sur ces priorités.
Quant à l’argent public, il est ce qu’il est aujourd’hui. Le budget de l’audiovisuel public atteint 3,9 milliards d’euros, alors que celui de la culture est de 3,7 milliards d’euros. C’est une réalité. Compte tenu de ce montant, il faut réfléchir à un audiovisuel public qui assure ses missions et réponde aux attentes des Français en matière de qualité et de singularité.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Madame la ministre, je suis content que vous ayez très clairement affirmé que l’audiovisuel public était la fierté des Français. En effet, ce n’est pas ce que l’on entendait jusqu’à présent pour justifier une réforme.
Bien entendu, la réforme est nécessaire au regard des transformations des usages, de la révolution technologique, de la concurrence qui a changé. Toutefois, ce qui est de l’ordre de la responsabilité des pouvoirs publics dans un environnement concurrentiel, c’est plutôt de faire la promotion du service public, parce qu’il y a des concurrents, et non de faire preuve de dénigrement – tel n’a d’ailleurs pas été le sens de vos propos.
Je tiens à rappeler que France Télévisions, c’est 1,3 million de vidéos vues sur les plateformes numériques, c’est 28,3 % d’audience, c’est France 2 qui a progressé l’année dernière, c’est France 3 dont l’audience est stable et qui est la troisième chaîne sur l’ensemble des chaînes hertziennes, c’est France 5 qui a atteint son plus haut niveau d’audimat dans l’histoire. Cette tendance vaut aussi pour les chaînes que l’on montre du doigt, par exemple France 4, qui a des résultats inattendus parmi la jeunesse, ou France Ô, dont la spécificité est de jouer un rôle social vis-à-vis de l’outre-mer.
Je tiens également à parler de Radio France et de ses audimats, parce qu’on l’oublie, qu’il s’agisse de France Inter, deuxième radio de France, avec des audaces culturelles, ou des émissions de philosophie qui font le plus grand nombre de podcasts.
Oui, madame la ministre, c’est la fierté de la République et c’est cela qu’il faut renforcer dans toute réforme !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, face à l’évolution des usages et des technologies, face à la concurrence des chaînes privées et aux nombreuses contraintes budgétaires, l’audiovisuel public, machine forte de 18 000 salariés et de 3,8 milliards d’euros de budget, s’essouffle, en termes tant de modèle que de contenus. Il nous faut le réinventer : il s’agit là d’un chantier d’ampleur, nous en convenons tous.
Cependant, en élevant l’audiovisuel public français à la hauteur d’un service d’excellence, c’est l’image de la France qui se relèvera : la France des territoires, la France nationale, la France à l’étranger.
Pour cela, nous sommes d’accord, une réforme en profondeur est nécessaire.
Sur la forme, il nous faut sans doute harmoniser la gouvernance, revoir le financement, mutualiser les moyens. Toutes ces questions sont essentielles. Avant tout, il est nécessaire d’adopter une vision claire des missions que le Gouvernement souhaite confier aux médias publics. Il nous faut redéfinir leur périmètre et définir leur raison d’être.
On demande à l’audiovisuel public de remplir trois missions : éduquer, informer et distraire. Actuellement, ces missions se confondent en partie avec l’offre privée ; en partie seulement, car l’éducation citoyenne reste l’apanage du service public.
À l’heure de la désinformation, redonnons une pleine dimension à cette mission d’éducation à la fois citoyenne et populaire. À cette mission originelle, ajoutons celle du rayonnement de la France dans le monde francophone. Faisons de l’audiovisuel public le premier vecteur d’identité et de cohésion nationale sur nos territoires et à l’étranger.
Madame la ministre, ma question est double. Quel rôle voulez-vous donner à l’audiovisuel public dans la lutte contre la désinformation ? Pensez-vous possible de rassembler les médias publics au sein d’un média global, sorte de BBC à la française au rayonnement international ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, vous me posez en fait la question de l’éducation aux médias qui est aujourd’hui au centre de nos réflexions. C’est primordial et essentiel pour prévenir les dérives actuelles en matière d’information, marquées par les théories du complot et les fausses nouvelles. Il ne faut pas oublier non plus la vocation du service public à s’adresser en priorité aux jeunes, mais pas uniquement.
L’audiovisuel public a un rôle décisif à jouer dans ce domaine, j’en suis convaincue. D’ores et déjà, des initiatives sont menées sur les antennes avec des programmes de décryptage et de vérification, par exemple sur France Médias Monde avec l’émission Les preuves, des faits, sur France Info avec Le vrai du faux, sur France Télévisions avec L’instant détox – l’émission C dans l’air propose également des chroniques sur ce thème. C’est véritablement important.
Pour ma part, je me suis rendue dans des écoles dans le cadre de rencontres avec des jeunes sur ce sujet. C’est essentiel auprès des publics scolaires et les jeunes y sont très sensibles. Il est vrai qu’il faut à la fois renforcer ces initiatives et mieux les faire connaître. Ce qu’il faut, c’est aussi mieux faire connaître ce qui se fait dans l’audiovisuel public. De ce point de vue, la nécessité de la transformation est réelle.
Savez-vous que, en Grande-Bretagne, 85 % des jeunes révisent en utilisant la BBC comme support d’information ? Nous ne connaissons pas toutes les richesses dont regorge France Télévisions. C’est très important et nous y travaillons dans le cadre du comité stratégique qui se réunit tous les mois.
J’en viens à l’audiovisuel extérieur et vous confirme, madame la sénatrice, le rôle tout à fait fondamental qu’il a à jouer pour le rayonnement international de la culture française et de la France.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lancée sur l’initiative du Président Jacques Chirac en 2002, la chaîne France 24 a émis pour la première fois le 6 décembre 2006.
M. Jean-Pierre Leleux. Très bien !
Mme Mireille Jouve. Cet outil œuvre depuis au rayonnement de la France à travers le monde. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie ou encore le Qatar s’étaient auparavant dotés de canaux semblables.
Même si les programmes de France 24 n’ont pas prioritairement vocation à être diffusés dans notre pays, il me semble opportun de leur offrir une véritable visibilité nationale, et ce pour plusieurs raisons.
Il s’agit tout d’abord de renforcer l’attractivité internationale de ces programmes. En effet, comment un média peut-il légitimement se vendre auprès de distributeurs internationaux quand, dans son propre pays, un nombre important de citoyens méconnaissent jusqu’à son existence ?
Il convient ensuite de rendre plus acceptable la contribution, par l’impôt, des citoyens au service public audiovisuel. Il nous paraît souhaitable, voire logique, que celles et ceux qui financent la chaîne de la France à vocation internationale puissent y accéder plus largement.
Il faut enfin le faire pour la qualité des programmes diffusés par France 24. Alors que les sujets internationaux sont, à mon sens, « sous-traités » dans la plupart des médias d’information télévisuels, cette chaîne représente une source d’information précieuse pour nos concitoyens. À l’heure de la mondialisation, porter un regard éclairé au-delà de nos frontières ne semble pas superflu. En outre, l’actualité ne se résume pas à une succession de faits divers ou à la phrase politique assassine du jour.
France 24 est désormais accessible depuis la TNT, soit aux seuls Franciliens, soit entre minuit et six heures du matin lorsque France Info TV interrompt ses programmes.
Madame la ministre, nous sommes nombreux à regretter que cette visibilité ne soit pas encore plus grande. Pouvez-vous nous dire si l’offre de France 24, assez complémentaire de l’offre d’informations télévisuelles aujourd’hui proposée, a selon vous vocation à être plus aisément accessible sur le territoire national ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j’entends vos préoccupations, notamment en ce qui concerne la diffusion de France 24 sur le territoire national. Ce sujet n’est pas nouveau et n’est pas sans lien avec la question précédente, à savoir la façon d’accéder aux offres de l’audiovisuel public. Un énorme travail de réflexion reste à mener en la matière, notamment pour développer des outils numériques extrêmement ergonomiques et faciles. Moi-même, parfois, je me perds quand je veux chercher quelque chose : comment faire ? Par quel cheminement ?
L’audiovisuel public est public, dans le sens où il va aussi vers le public. Il ne lui suffit pas de remplir ses missions d’audiovisuel public : il doit aussi les amener jusqu’au public. Voilà véritablement une question importante sur laquelle nous n’avons pas assez travaillé, mais autour de laquelle les acteurs se mobilisent maintenant. Dans ce domaine en effet, la coopération peut plus que jamais être bénéfique pour trouver ensemble les outils.
J’en viens à France 24. Près de 75 % de nos concitoyens peuvent déjà y avoir accès, puisque la chaîne est diffusée sur la TNT en Île-de-France et en outre-mer, ainsi que sur le câble, l’ADSL et le satellite sur l’ensemble du territoire national. Qui plus est, elle est disponible sur tous les supports numériques. Enfin, comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, sa diffusion de minuit à six heures trente, sur la chaîne France Info TV, sur le canal 27, complète cette couverture.
En tout état de cause, la question de la diffusion de cette chaîne sur la TNT sur l’ensemble du territoire national se heurte à l’absence de fréquence hertzienne disponible. En outre, cela aurait certainement un coût qu’il faudrait mettre en regard des missions de service public de France Médias Monde, notamment le rayonnement international de la France.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, depuis de nombreuses années, la réforme de l’audiovisuel public est envisagée à travers le prisme de sa gouvernance et des économies à réaliser. Toutefois, l’audiovisuel public est avant tout un service public. C’est pourquoi le futur projet de loi doit d’abord être projet de loi d’orientation, permettant de clarifier les missions qui lui sont dévolues. Une fois ces missions précisées, il sera temps de réfléchir aux moyens nécessaires pour atteindre les objectifs qui auront été fixés.
Pour parvenir à ce résultat, une réflexion et un débat ouvert sont nécessaires. Un projet partagé est en effet un projet accepté et, souvent, plus facile à financer. Aussi, madame la ministre, quelle méthode allez-vous mettre en place pour parvenir à un consensus sur les objectifs et les moyens ?
Concernant les objectifs – vous l’avez abordé, madame la ministre, à l’instar de Colette Mélot –, j’aimerais insister sur le défi majeur que représente l’éducation des jeunes à l’audiovisuel public. À l’heure où les plus jeunes se désintéressent de nos médias nationaux et sont exposés quotidiennement à des fake news, il faut parvenir à cultiver, divertir et informer notre jeunesse avec des programmes de qualité conçus pour elle, afin que nos enfants se réconcilient avec l’audiovisuel public et prennent l’habitude de l’utiliser.
Pour y arriver, il faudra aussi se poser la question de la forme des programmes, avec le développement des formats digitaux, de la présence sur les réseaux sociaux, ou encore de l’opportunité de fusionner l’ensemble de ces programmes sur une seule chaîne consacrée à la jeunesse.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Sur la méthode, j’ai déjà répondu. Trois étapes sont prévues : un travail en cours avec les sociétés, qui suppose d’aller sur le terrain – c’est très important : rien de tel que d’aller à la rencontre de ceux qui font pour bien mesurer les enjeux –, la consultation publique et un grand débat.
Madame la sénatrice, vous avez à juste titre orienté votre question sur le ciblage d’un public jeune. Vous avez raison. En effet, comme je l’ai dit en introduction, la télévision publique connaît un véritable vieillissement de ses audiences – 58 ans pour France Télévisions et 62 ans pour Arte – et subit une désaffection croissante du jeune public. C’est une évidence absolue.
L’audiovisuel public ne peut durablement s’éloigner du public jeune. L’un de nos paris est d’accompagner cette transformation pour qu’il soit à nouveau en mesure de proposer des programmes attractifs de façon linéaire ou délinéarisée, correspondant aux usages des jeunes et prenant véritablement en compte la problématique de ces derniers.
Des pistes sont déjà en cours. Je pense, notamment en matière d’offre, au Mouv’ ou à cette toute nouvelle plateforme que France Télévisions vient de lancer, Slash, et, comme je l’ai déjà évoqué, aux programmes d’éducation aux médias ou encore aux programmes éducatifs.
Je rappelle encore une fois ce chiffre absolument incroyable : au Royaume-Uni, 85 % des jeunes vont sur la BBC pour travailler, étudier et s’informer. En France, des programmes éducatifs existent, par exemple Educ’ARTE proposé par Arte . Reste que les jeunes ne les utilisent pas, parce qu’ils ne les connaissent pas.
Un gros travail doit donc être mené. Il faut s’adapter à l’évolution des usages et élaborer une véritable stratégie en matière non seulement de contenus, mais aussi de distribution digitale. C’est l’un des cinq chantiers prioritaires que nous menons.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. L’Éducation nationale ne peut-elle pas être associée à ce type de réflexion sur les chaînes éducatives ? Par ailleurs, l’exemple de la BBC me semble très pertinent.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir de l’audiovisuel public est en débat. Le sujet n’est pas nouveau.
Nous sommes nombreux à penser que, depuis trop longtemps, l’audiovisuel public français se situe bien trop loin des aspirations du public et qu’une restructuration en profondeur est absolument nécessaire.
Face à ce qu’il convient d’appeler « une crise du financement », il est devenu indispensable de refonder un nouveau modèle qui permettra de garantir des ressources dans la durée, de clarifier le rôle de l’État et de renforcer la cohérence de l’audiovisuel public. Ce nouveau modèle doit permettre de concilier une meilleure maîtrise des ressources de l’audiovisuel public et de ses dépenses, avec la nécessité de dégager des marges de manœuvre, notamment afin d’améliorer son offre numérique.
Toutefois, avant de parler des moyens, il semble indispensable de réaliser un véritable audit de l’ensemble, un audit sérieux, financièrement analytique, afin de pouvoir identifier de façon certaine et transparente les coûts réels, aujourd’hui noyés dans un ensemble opaque.
Périmètre d’intervention incertain, gestion pléthorique des ressources humaines, retard pris dans le développement du numérique et sa marginalisation dans la maison, filière dispendieuse du service de production interne : c’est un euphémisme de dire qu’une rationalisation est souhaitable.
Que dire des personnels, indiscutablement de bonne volonté dans leur grande majorité, mais qui, par manque de considération, ont peur du changement ? Où en est, par exemple, l’accès à la formation ? Où en est la fameuse GPEC, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Où en est l’audit social, technologique et financier nécessaire à la compréhension de l’ensemble de l’audiovisuel public français et sur lequel s’était engagée Mme Ernotte, présidente de France Télévisions ?
Alors, madame la ministre, mes chers collègues, si une restructuration en profondeur est aujourd’hui absolument nécessaire, elle n’est possible que si des objectifs clairs sont fixés. C’est la raison pour laquelle je souhaite, avant de reparler des moyens à y consacrer, connaître les objectifs clairs du Gouvernement s’agissant de l’avenir de l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je crois avoir répondu un certain nombre de fois sur la clarté des objectifs. Votre intervention contient une réflexion sur laquelle je ne me suis pas encore exprimée et qui est extrêmement importante.
Vous parlez de gestion des personnes, de transformation, etc. Or un des points importants sur lesquels nous avons insisté dans ces comités stratégiques, et qui correspond d’ailleurs au travail sur les synergies possibles de coopération, c’est la formation des personnes.
L’audiovisuel public se transforme. Si l’on se contente de le regarder se transformer, la catastrophe est certaine. Si l’on essaye d’accompagner cette transformation, l’avenir peut exister. C’est la raison pour laquelle le travail sur la formation doit être mené ensemble. Aujourd’hui, chacune des sociétés travaille sur sa formation ; ainsi, l’INA a un partenariat avec l’université, France Télévisions propose de la formation, à l’instar d’Arte ou de Radio France. Il est urgent que ces acteurs se réunissent et se demandent comment accompagner l’audiovisuel public pour qu’il puisse appréhender l’ensemble de ces réformes, en se fondant sur les missions et sur le financement prévu, lequel, faut-il le préciser, n’est pas le plus coûteux par rapport à celui des autres pays européens.
Il faut d’abord penser toutes ces façons de travailler et voir comment aborder la transformation. Pour moi, la question de la formation est essentielle.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, je ne sais pas si c’est l’expression d’une forme de fébrilité qui résulterait de l’annonce d’un grand projet de réforme de l’audiovisuel ou si c’est l’effet de l’impéritie des dirigeants, mais, depuis quelques semaines, on s’agite beaucoup et de manière assez désordonnée à France Télévisions.
Le 29 janvier dernier, on a découvert un nouvel habillage, suivi d’un nouveau décor pour le journal de France 3. Au passage, ce changement d’habillage était programmé dès 2017, mais, à l’heure des négociations budgétaires, on avait un peu de mal à justifier un tel changement : changer l’habillage et l’identité suppose de profonds changements à l’antenne, ce qui n’était pas le cas. Ces choix cosmétiques, qui ont des incidences budgétaires dont on ne connaît d’ailleurs pas toujours l’ampleur, sont tout de même un peu étonnants…
Plus sérieusement, on a appris très récemment – au début de ce mois – l’existence d’un projet de réorganisation profonde de France Télévisions, et ce à la veille de la préparation d’une nouvelle grande réforme. Il a été décidé de changer de stratégie : après un retour à la verticalisation et à l’organisation par chaînes séparées – France 2, France 3 et les autres chaînes –, on en revient à l’idée de la création soudaine d’une organisation transverse, telle qu’elle avait d’ailleurs été envisagée au moment de l’entreprise unique sous la présidence de Carolis. On se retrouve là face à un projet qui est exactement le contraire de celui qu’a présenté Mme Ernotte et pour lequel elle a été désignée par le CSA.
Madame la ministre, tout ce mouvement est assez inquiétant et erratique. La tutelle a-t-elle été informée de cette volonté de modifier aujourd’hui complètement l’organisation de la fiction notamment, ou sommes-nous face à un fonctionnement, comme l’a évoqué mon collègue tout à l’heure, très peu contrôlé d’une manière générale ?
M. Roger Karoutchi. Il est taquin, ce Gattolin ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous êtes au courant de l’indépendance totale des médias et de l’audiovisuel public !
Pour ce qui concerne l’accompagnement de la transformation, je le répète au risque de lasser, nous travaillons ensemble. Nous avons mis en place une méthode inédite, qui non seulement réunit les dirigeants de ces sociétés audiovisuelles, mais s’appuie aussi sur le travail d’une centaine de personnes dans leurs équipes. Beaucoup se sont attelés à la chose et réfléchissent.
Ces réflexions peuvent conduire à des tentatives, voire à des expérimentations. En tout cas, ce qui est clair – nous serons tous d’accord sur ce point –, c’est que, à partir des missions – informer, divertir, amener de la culture –, il faut repenser l’audiovisuel public au regard de tous les chiffres que nous avons partagés, en tenant compte de la nécessité de rendre les choses beaucoup plus lisibles et d’être attentifs au public jeune.
En matière d’audiovisuel public, les urgences sont de diverses natures. Il y a une urgence culturelle, nous l’avons tous souligné. Il y a une urgence sociale : toucher les jeunes, tout en se préoccupant aussi des Français éloignés – on parle beaucoup du numérique, mais il ne faut pas oublier que 30 % des téléspectateurs se trouvent encore sur des territoires éloignés et n’ont pas forcément accès à internet ou ne peuvent pas payer la box. Tous ces problèmes doivent être pris en compte quand on se penche sur ces questions.
Peut-être que cela s’agite beaucoup, mais c’est pour réfléchir et pour transformer.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Les citoyennes et les citoyens de ce pays ont besoin d’informations de qualité, de débats contradictoires, de mises en perspective historiques et philosophiques. Le meilleur antidote contre les « fausses nouvelles » – je le dis en français –, c’est la connaissance, dans la mesure où elle permet à chacune et à chacun de développer son esprit critique.
C’est la grande utilité du service public que d’apporter ces instruments de la critique à tout le monde. Il n’est pas suffisamment dit que ces actions, loin d’être rébarbatives, suscitent l’adhésion franche du public. Sans être injuste, j’aimerais citer l’exemple de France Culture, dont les audiences ont fortement augmenté grâce à une politique de contenus exigeante. Parmi ces productions, il faut citer le développement exceptionnel de la diffusion des contenus sur internet. Je crois que ces succès ne sont pas assez connus ni assez mis en valeur.
Il serait souhaitable que tous ces contenus soient valorisés sur un portail dédié et plus facilement accessible. Je pense notamment à tous ces podcasts – balados, en français – téléchargés à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires qui mériteraient d’être mieux diffusés par le biais d’applications plus adaptées et plus accessibles.
Le service public de l’audiovisuel a besoin d’un plan d’investissement massif pour adapter toutes ces pratiques à l’internet.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous ne faites que conforter ce que j’affirme depuis plusieurs questions en pointant la problématique de l’accès. J’y suis très sensible, d’autant que, dans une autre vie – je peux le dire, ce n’est pas un secret –, j’étais éditeur. Être éditeur, c’est accompagner un livre jusque dans les mains du lecteur.
L’audiovisuel public, c’est la même chose ! Il ne s’agit pas seulement de produire des programmes d’excellente qualité. Vous avez évoqué des programmes radiophoniques, notamment ceux de France Culture, mais il existe aussi des programmes éducatifs : des expériences formidables ont lieu, mais nous ne le savons pas assez.
Il est évident qu’un travail est nécessaire. Sur le numérique, vous l’avez souligné, ce travail est considérable. Dans mon propos général, j’ai insisté sur le fait que le budget consacré au numérique était jusqu’à présent beaucoup trop faible : quelque 2 %, contre 7 % au Royaume-Uni et 12 % au Canada. C’est vous dire que nous sommes encore loin du compte et que nous avons une marge de progression !
Le fait de travailler ensemble et en coopération sera aussi une façon de parvenir à une meilleure accessibilité et à un meilleur affichage de ce qui existe. De grandes avancées sont encore possibles. Cela fait partie des sujets sur lesquels les acteurs réfléchissent ensemble.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Je ferai tout d’abord un aveu : je ne regarde pas la télévision ! Pour autant, je ne fais pas un usage réduit du service public, bien au contraire, il est très important. Comme les jeunes aujourd’hui – et je dois être très jeune ! –, je regarde essentiellement les programmes sur mon ordinateur et sur mon téléphone.
Vous allez bientôt défendre dans cet hémicycle, madame la ministre, un projet de loi visant à lutter contre les fausses nouvelles – je le dis à dessein en français, car c’est la langue de la République…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. J’espère que ce texte consacrera un volet budgétaire très important au développement du numérique, car nous avons véritablement besoin des données de la connaissance. (Mme Françoise Laborde, MM. David Assouline et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier, pour le groupe Union Centriste.
M. Michel Laugier. Madame la ministre, ma question porte sur le devenir de notre audiovisuel public extérieur.
J’aimerais tout d’abord avoir l’assurance, madame la ministre, que l’entreprise France Médias Monde pourra très vite retrouver à sa tête sa présidente Marie-Christine Saragosse, dont le mandat a été suspendu pour des raisons qui s’expliquent, certes, mais qui ne se comprennent pas très bien.
Pensez-vous qu’il sera possible pour elle d’exercer de nouveau ses responsabilités et de retrouver rapidement le poste auquel, compte tenu de l’excellence de son travail, le CSA l’avait reconduite l’année dernière, sans passer de nouveau par une procédure aussi longue qu’inutile ?
Je vous interrogerai ensuite sur votre vision du rayonnement de notre audiovisuel extérieur. Force est de reconnaître que, en à peine treize ans d’existence, France 24 a su faire entendre une voix originale aux côtés de concurrents aussi importants que CNN, BBC World News ou Al Jazeera. Cette voix porte les valeurs de la France et décrypte le monde à travers elles.
Pour porter cette ambition, France 24 mérite mieux. Elle aurait d’ailleurs pu être le socle de lancement de la chaîne d’information française qui a eu le mérite de rassembler France Télévisions et Radio France. Même si ce n’est pas l’orientation qui a été choisie, quelle place envisagez-vous de donner à France 24, dans le cadre d’une nécessaire réflexion plus globale sur le devenir de l’audiovisuel public en général ? Quelles relations cette chaîne peut-elle entretenir avec les autres entreprises de l’audiovisuel public ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, nous pensons bien à Marie-Christine Saragosse. Quelle histoire ! C’est au CSA qu’il appartient de s’occuper de sa renomination. Nous attendons.
Cela étant dit, les équipes sont là et France Médias Monde continue. C’est important, car l’audiovisuel extérieur est un relais capital du rayonnement international de la France. Il a vocation à porter une vision française de l’actualité sur la scène internationale et à promouvoir la francophonie, sujet qui nous tient à cœur, vous le savez.
Pour accompagner cette mission et l’assumer, l’audiovisuel extérieur doit relever des défis considérables liés à l’intensification de la concurrence des médias internationaux. Lorsqu’on visite la BBC, on mesure sa force de frappe à l’international. Il est donc urgent d’amplifier notre évolution numérique et celle des modes de diffusion. Cette question revient en permanence.
Consciente de ces enjeux, j’ai proposé dans le projet de loi de finances d’augmenter les crédits de France Médias Monde de 2,5 %, soit la plus forte hausse de toutes les entreprises de l’audiovisuel public pour 2018. J’ai ainsi entendu poursuivre l’effort important de soutien à l’audiovisuel extérieur engagé par l’État depuis cinq ans. Entre 2013 et 2017, sa dotation a en effet augmenté de 8 %, alors que celle des autres entreprises n’a progressé que de 2 %. Cette hausse a notamment permis l’ouverture d’un service hispanophone en septembre dernier.
L’audiovisuel public extérieur doit aussi bénéficier de coopérations accrues avec l’ensemble des sociétés audiovisuelles. Il existe ainsi des coopérations entre Arte et France 24 sur l’offre hispanophone. D’autres partenariats sont en cours et s’établissent au fur et à mesure des comités stratégiques. J’ai lancé un chantier de réflexion dans ce cadre-là.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste et républicain.
M. David Assouline. Madame la ministre, beaucoup ont évoqué l’exemple de la BBC pour montrer ce qui fonctionne. Je rappelle que la BBC, ce sont cinq chaînes nationales, deux chaînes d’information, dix chaînes de radio, 21 271 employés et un budget de 9 milliards. Notre budget à nous est de 3,9 milliards d’euros et nous avons perdu environ 17 000 salariés dans l’ensemble de l’audiovisuel public. Comparons donc ce qui comparable !
Pour ma part, je dis : chiche ! Soyons aussi forts que la BBC. Donnons les moyens à l’audiovisuel public de faire de la qualité sans réduire son périmètre.
J’ai une question très concrète à vous poser, madame la ministre. Un membre éminent de l’exécutif m’a dit qu’il était normal que l’État nomme les PDG des entreprises publiques, celui de l’audiovisuel public comme celui de la SNCF. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. C’est moi la ministre de la culture et de la communication, et je n’ai pas tenu ce genre de propos, monsieur le sénateur. Écoutez-moi donc ! Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, nous réfléchissons à la gouvernance. Rien n’est arrêté, mais l’audiovisuel public jouit d’une indépendance totale. Vous n’imaginez tout de même pas que nous voulions en revenir à l’ORTF ?
M. David Assouline. Non !
Mme Françoise Nyssen, ministre. Compte tenu de la méthode que nous utilisons, vous pensez bien que nous sommes favorables à une indépendance absolue de l’audiovisuel public, ancrée dans un mode de fonctionnement incluant – pourquoi pas ? – la nomination du président par un conseil d’administration afin qu’il ait une prise directe sur le travail. Quoi qu’il en soit, l’indépendance de l’audiovisuel public est complètement assurée.
Lors des nombreuses réunions de travail que nous avons menées, nous avons rencontré des équipes extrêmement motivées et déterminées, qui avaient conscience qu’elles devaient unir leurs forces. Il s’agit maintenant d’inscrire cette belle ouverture dans la durée. Lors des comités stratégiques, les dirigeants des sociétés et leurs équipes ont effectué un état des lieux faisant apparaître de manière extrêmement clairvoyante la nécessité pour eux de travailler ensemble. Ils ont ainsi ouvert des portes qui ne pourront plus se refermer. Nous allons continuer ainsi.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. À l’issue de votre première réponse, puis de celle que vous venez de faire à l’instant, je vois que le ton a changé. L’heure n’est plus à dénigrer le service public ou à invoquer la nécessité de faire des réductions budgétaires pour justifier une réforme. Vous savez que la puissance numérique a un coût, notamment en termes d’investissements. Je suis également content de vous entendre dire clairement que le mode de nomination du PDG garantira une indépendance totale de l’audiovisuel public. Nous verrons quelle copie vous allez rendre !
Vous avez indiqué que la proposition de M. Gattolin était une base de travail. Il propose certes une nomination des dirigeants par le conseil d’administration, mais sur proposition, dans la quasi-totalité des cas, du Premier ministre. On ne prend pas ainsi le chemin de l’indépendance, mais je suis satisfait que vous tourniez le dos à cette proposition.
M. Alain Fouché. Ce sont des promesses ! (M. Roger Karoutchi rit.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Éric Gold. Madame la ministre, je commencerai par une citation : « Les réformettes, c’est fini pour le service public. Il faut cette fois-ci avoir une grande ambition. Il faut permettre d’opérer des synergies. »
Cette phrase ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été prononcée non par vous, madame la ministre, mais par Hervé Bourges, alors président d’Antenne 2 et de FR3, en 1991. Elle témoigne, s’il en était besoin, que la réforme de l’audiovisuel public est un chantier aussi ancien que périlleux. Cette réforme revêt cependant un caractère d’urgence alors que la révolution numérique bouleverse les usages et les rapports aux contenus audiovisuels de bon nombre de nos concitoyens.
Vous vous êtes attelée à cette réforme avec ambition et détermination, madame la ministre. Vous avez multiplié les entrevues, les groupes de travail. Vous avez ouvert plusieurs dossiers, qui ont été évoqués par les orateurs précédents : financement de l’audiovisuel public, procédure de nomination de ses dirigeants et, surtout, réorganisation fonctionnelle et refonte de l’offre de programmes.
Ma question porte spécifiquement sur le chantier de l’amélioration de l’offre de proximité et concerne plutôt les réseaux France Bleu et France 3, lesquels ont déjà connu une réorganisation afin de leur permettre de s’adapter au nouveau cadre institutionnel des grandes régions.
Une communication de proximité est souhaitable, et souhaitée, par les élus et les téléspectateurs, pour permettre à chacun de s’approprier le nouveau périmètre régional, mais aussi pour conserver et renforcer la notion d’identité locale.
Il est question de rapprochement – immobilier, mais pas seulement – et de programmes en commun, notamment lors de la tranche matinale.
Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les arbitrages qui ont été faits sur les préconisations qui vous ont été adressées et sur le calendrier des prochaines échéances ?
Plus largement, pouvez-vous nous éclairer sur votre vision, votre cap, s’agissant d’un renforcement de l’audiovisuel public de proximité et de qualité, qui associe les personnels et place au centre de ses préoccupations le « citoyen-auditeur-spectateur » ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Vous le savez, l’offre de proximité remplit des missions essentielles pour la cohésion sociale au plus près des territoires, la mise en valeur des événements culturels régionaux et la démocratie locale.
Venant, comme beaucoup d’entre vous, des territoires, ayant été utilisatrice de ces différents médias et ayant été interrogée par eux, vous savez à quel point j’y suis attachée. Je connais leur travail. C’est typiquement le genre d’offre qui n’est pas fournie par les chaînes privées ou par les GAFAN. C’est la spécificité du service public, qui doit jouer pleinement son rôle.
C’est vrai, je suis attachée à une forte coopération entre France Bleu et France 3 afin qu’elles fournissent un service de proximité encore meilleur et plus efficace aux citoyens.
J’ai mesuré, en me rendant dans les antennes de France 3 et de France Bleu, que je connaissais par ailleurs, l’envie des personnels de travailler ensemble, même s’ils éprouvent des craintes. Chez France Bleu, on trouve des gens d’une grande agilité, qui ont envie de travailler et d’être complémentaires. Des coopérations peuvent se mettre en place, comme cela s’est passé à l’échelon national avec France Info. Il faut aller encore plus loin que les premières propositions qui ont été faites afin de mettre en œuvre des coopérations réellement étroites.
Pour ces raisons, j’ai souhaité que l’offre de proximité figure parmi les cinq chantiers prioritaires. J’y attache beaucoup d’importance. Je travaille avec les différentes sociétés sur ce sujet. Plusieurs pistes ont déjà été proposées par les sociétés. Elles pourront donner lieu, comme vous le dites, à des expérimentations, et ce assez rapidement. On pense notamment à des émissions quotidiennes communes.
Cela étant dit, le schéma final n’est pas arrêté, et le calendrier sera celui qui a été donné.
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour le groupe Les Républicains.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la ministre, le 14 février dernier, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est penché sur la procédure de désignation à la tête de Radio France du successeur de Mathieu Gallet, premier PDG à avoir été révoqué pendant son mandat. Cette décision prendra effet le 1er mars prochain.
Le rapport des sénateurs Gattolin et Leleux de 2015 explicite les problèmes soulevés par la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public par le CSA. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, le président Macron a repris ses conclusions et a affirmé vouloir en finir avec ce mode de désignation. Or l’idée de changer rapidement la règle par le vote d’une « petite » loi a été abandonnée. C’est donc bien le CSA qui nommera le successeur de M. Gallet, au terme d’un processus de candidature, d’auditions et de vote s’étalant sur deux mois et demi environ.
Le mode de nomination devra être modifié dans le projet de loi prévu pour la fin de l’année 2018, car nous considérons qu’il est difficile pour le CSA de nommer et de contrôler les dirigeants, c’est-à-dire de jouer son rôle de régulateur. Tel était le sens de vos échanges, madame la ministre, avec mon collègue Roger Karoutchi au début de ce débat. Quel sera l’axe de la réforme de ce point de vue ?
Pourriez-vous, madame la ministre, vous engager un peu plus ce soir et nous dire comment, à l’avenir, seront nommés les présidents et si ce sont les conseils d’administration qui les éliront ? Sur quelle base les membres des conseils d’administration seraient-ils désignés ? Comment comptez-vous réformer ces conseils d’administration ? La loi sur la réforme de l’audiovisuel public promise par le Gouvernement résoudra-t-elle cette question primordiale : comment faut-il nommer ses dirigeants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à ces questions.
Le CSA a lancé la semaine dernière un appel à candidatures au poste de président de Radio France. Il nommera le futur président – ou la future présidente –, je vous en informe, le 14 avril. Ce cadre est de nature à donner de la visibilité à l’entreprise et du temps aux candidats pour préparer leur audition.
Dans l’attente de la nomination d’un nouveau président, c’est le doyen des administrateurs, M. Jean-Luc Vergne, qui assure la transition. Ce qui est important, c’est que Radio France continue. Les équipes sont au travail. Elles sont présentes dans les réunions et au sein du comité stratégique. On travaille.
Quant au calendrier, c’est celui que j’ai donné. Des pistes seront proposées d’ici à la fin du mois de mars.
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour la réplique.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. La désignation des membres des conseils d’administration est une question cruciale, la gouvernance étant au cœur des préoccupations et de l’actualité. Nous allons réfléchir collectivement à cette question, qui est pour nous fondamentale. Je tenais à vous le redire, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon.
M. Laurent Lafon. Madame la ministre, l’un des volets les plus importants de la réforme sera sans doute son financement. Le mode de financement actuel de l’audiovisuel n’est plus adapté, nous le savons. La publicité, en particulier, ne fait plus recette à la télévision.
La bascule des budgets publicitaires entre la télévision et internet a eu lieu plus tôt que prévu. Initialement attendue pour 2018, elle s’est en fait produite dès 2016, les recettes publicitaires ayant été plus élevées sur internet que pour la télévision cette année-là.
Évidemment, la question de la publicité ne se pose pas uniquement d’un point de vue financier. Elle est aussi éditoriale. Doit-il y avoir de la publicité sur les chaînes du service public ? Progressivement, nous sommes allés vers sa suppression. Depuis 2009, il n’y a plus de publicité après vingt heures sur les chaînes de France Télévisions. Le Sénat, vous le savez, a été en pointe pour étendre cette suppression. C’est en effet une proposition de loi sénatoriale qui a supprimé la publicité dans les programmes pour la jeunesse de la télévision publique. Pourtant, le débat est loin d’être tranché. Certains plaident pour le retour de la publicité le soir sur France Télévisions. À l’inverse, des dirigeants de chaînes privées réclament la suppression totale de la publicité sur le service public.
Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce sujet ? Quel est le bilan de la suppression partielle de la publicité sur France Télévisions ? Le retour de la publicité après vingt heures est-il envisageable ? Au contraire, va-t-on vers une suppression complète de la publicité sur France Télévisions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. S’il est une question à laquelle je peux répondre de façon très précise, affirmée et déterminée, c’est celle de la réintroduction de la publicité après vingt heures. Je l’ai déjà dit, nous ne voulons pas revenir sur la suppression de la publicité après vingt heures. Elle n’est pas à l’ordre du jour. Cette suppression est un élément de différenciation important, notamment avec les chaînes privées, dont la publicité est la principale ressource. Ces chaînes ont par ailleurs du mal à faire face à une ponction importante sur le marché publicitaire.
Une consultation sur la publicité a été lancée. Nous sommes en train d’analyser les retours. Une réflexion est en cours, car, vous le savez, il y a des chartes et des outils de régulation. Nous devons nous assurer de la compatibilité des mesures envisagées avec la singularité qui doit être celle du service public. On en revient toujours à cette question : qu’est-ce qu’un service public et comment le différencier ?
En tous les cas, je le répète : nous ne souhaitons pas revenir à la publicité après vingt heures. C’est extrêmement clair.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, je vais moi aussi vous parler de l’audiovisuel extérieur de la France. En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, j’y suis tout particulièrement attachée.
L’audiovisuel extérieur de la France, composé de France Médias Monde et de TV5 Monde, est un outil indispensable pour le rayonnement international de notre pays. En 2017, France Médias Monde a confirmé ses bons résultats d’audience, notamment en Afrique francophone où France 24 est la première chaîne d’information internationale et RFI, de très loin, la première radio internationale. Le lancement de France 24 en espagnol en septembre 2017 montre également l’expansion de ce média à l’international.
Ces beaux succès sont dus au formidable travail et à l’engagement des équipes dirigées par Marie-Christine Saragosse.
Si des synergies sont indispensables, comme l’a montré récemment le lancement de la nouvelle chaîne publique France Info TV, France Médias Monde et TV5 Monde, médias francophones, possèdent, par leur histoire et leur financement, une identité propre.
À l’heure où le Président de la République a fait de la francophonie une priorité, nous devons montrer notre attachement à l’audiovisuel extérieur, qui est l’une de ses plus belles vitrines.
Madame la ministre, la présidence commune aux sociétés France Télévisions, Radio France et France Médias Monde envisagée par le Gouvernement ne risque-t-elle pas de constituer un frein au développement de l’audiovisuel extérieur, dont les missions très spécifiques peuvent difficilement être assujetties aux problématiques de l’audiovisuel national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Nous avons dit et redit à quel point nous étions attachés à l’audiovisuel extérieur. Même si le président était nommé par un conseil d’administration, chaque entité aurait un directeur exécutif. Travailler ensemble n’empêche pas la diversité.
Je cite souvent les propos d’Édouard Glissant, qui parle de « mondialité » plutôt que de mondialisation. Ce n’est pas parce qu’on est ensemble qu’on perd son identité. On travaille avec sa spécificité.
L’audiovisuel extérieur est bien évidemment fondamental pour diffuser l’image de la France et pour nous enrichir des publics auxquels il s’adresse. Il n’y a pas d’antinomie, au contraire. À l’heure où la francophonie est repensée, car il ne s’agit pas seulement d’apporter le français aux autres, mais de faire en sorte que le français s’enrichisse des autres, c’est plus que jamais important.
Une structure unique avec une présidence commune n’empêchera pas chacune des sociétés d’avoir sa parfaite singularité. Peut-être que les synergies que nous cherchons à mettre en place permettront à ces différentes sociétés, dégagées chacune de leurs soucis en matière de formation ou de leurs problématiques de fonctionnement, par exemple, de se consacrer à l’essence de leurs missions.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour le groupe Les Républicains.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, au risque de vous lasser, je vais moi aussi vous parler de l’audiovisuel extérieur, au nom de la commission des affaires étrangères.
Alors que l’audiovisuel public est placé dans une situation sans précédent, compte tenu du départ de Mathieu Gallet et du sort véritablement ubuesque de Marie-Christine Saragosse, le flou entretenu autour de son avenir soulève des questions. La création de la nouvelle chaîne d’information, à laquelle je m’étais opposée, a été très coûteuse. Dans un souci de synergie, nous aurions pu envisager que France 24 joue ce rôle. Je dois dire que je m’étais sentie bien seule en défendant cette option.
Les ambitions affichées de réduction budgétaire auront forcément des conséquences sur l’audiovisuel extérieur, qui reste le parent pauvre de la politique audiovisuelle française. Il ne représente en effet que 7 % de son budget. Or l’audiovisuel extérieur, incarné par France Médias Monde, est un levier essentiel de notre diplomatie d’influence et de notre rayonnement. Cela a été dit et redit. Je ne reviendrai donc pas sur les succès de RFI et de France 24. Malgré certaines restrictions budgétaires, qui lui ont fait perdre des positions, comme à New York, France 24 se développe en Amérique latine et dans le monde arabe également, où elle est très nécessaire.
À l’heure où de nombreux pays, la Russie en tête, font des médias un soft power majeur pour étendre leur influence, la France ne peut pas se permettre d’affaiblir son audiovisuel extérieur. Le Président de la République souhaite procéder à une réforme afin de rapprocher les sociétés de l’audiovisuel public, d’en mutualiser la gouvernance et d’en améliorer l’efficacité. Le but est louable, mais la question de l’autonomie des rédactions se pose. Cette question est d’autant plus importante qu’il s’agit de l’audiovisuel extérieur.
Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur la stratégie adoptée par l’État dans la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public ? France Médias Monde ne doit pas être la variable d’ajustement de l’audiovisuel national. Or cela risquerait d’être le cas si une entité unique devait être créée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j’ai l’impression d’avoir répondu par deux fois déjà à cette question. Je l’ai souligné en réagissant à l’intervention précédente, cette façon d’envisager la gouvernance ne remet absolument pas en cause l’importance et les spécificités qu’il s’agit d’attacher à chaque secteur de l’audiovisuel public, tout particulièrement celui qui, je reprends les chiffres, est le seul à avoir vu sa dotation augmenter entre 2013 et 2017, à hauteur de 8 %, et dont le budget a été encore accru de 2,5 % pour cette année. Dans un contexte de restriction budgétaire certain, voilà tout de même un signe d’attention, d’attachement et de volonté de développement, plutôt que d’attrition, ce qui devrait plus vous rassurer que vous inquiéter.
En outre, vous avez pu vous-même constater tout le travail effectué sur le plan de la francophonie et l’importance que nous accordons à défendre la position de la France dans le monde, et ce à tous les niveaux. Nous entendons promouvoir le dialogue entre les cultures à travers les langues, pour lequel France Médias Monde joue un rôle très important. Son implication au travers du plan Bibliothèques, que j’ai lancé ce matin avec Érik Orsenna, s’inscrit typiquement dans cette démarche. Dans le cadre de cette volonté de développement de ces « maisons de service public culturel » que sont appelées à devenir les bibliothèques, France Médias Monde a élaboré, après y avoir réfléchi ensemble, des modules destinés à l’apprentissage des langues.
Madame la sénatrice, si ce n’est pas vouloir justement jouer cette carte, accompagner France Médias Monde avec détermination et conviction, je ne sais pas ce que c’est !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous verrons les résultats…
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, je vous interrogerai à mon tour sur les projets de rapprochement entre les réseaux de télévision et de radio, en particulier celui de France 3 et de France Bleu.
Cette coopération renforcée s’accompagnerait d’une fermeture des bureaux régionaux de France 2 et d’un recentrage de l’offre régionale de France 3. Or l’information de proximité est bien le cœur de mission de France 3. À la fin de 2017, les antennes locales de France 3 se sont émues de l’annonce de l’arrêt de leur diffusion à compter du 1er janvier 2018.
La direction régionale de France 3 Bretagne avait alors souligné que la réflexion en cours avait pour objectif de maintenir la production des contenus au niveau local par des journalistes sur le terrain, dont la liberté de ton est spécifique à France 3, et de les diffuser sur internet ainsi que sur les antennes régionales, pour atteindre un public plus large.
Cette évolution devrait permettre de rendre plus visible le travail des journalistes locaux, en variant les supports de diffusion. Une telle décision va dans le sens du rapport rendu en 2014 par la mission menée par Anne Brucy, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer. La mission y mettait en évidence l’atout que constitue la télévision régionale et locale et soulignait déjà la nécessité d’en adapter la diffusion aux nouvelles technologies. Mais, de ce rapport, il n’est plus question aujourd’hui…
En Bretagne, France 3 coopère déjà avec le réseau France Bleu pour couvrir des événements sportifs et culturels importants. Il s’agit cependant non pas d’une expérimentation à proprement parler, mais d’une collaboration pragmatique.
Madame la ministre, vous affichez à la fois une ambition pour un service public de qualité et un attachement à une offre d’information de proximité dans les territoires. Dès lors, en quoi consistera exactement le rapprochement entre ces deux réseaux, et quel en sera l’impact ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, votre question est légitime, car il convient effectivement de bien comprendre l’importance et l’intérêt qui sont accordés à une telle offre de proximité. Il s’agit, dans le cadre de cette coopération que vous évoquez, d’imaginer les moyens de la rendre plus intense, plus proche des gens, d’en faire un véritable facteur de cohésion sociale, de répondre davantage à l’attente de nos concitoyens. D’où la nécessité de travailler en ce sens.
Je le disais précédemment au sujet de France Médias Monde, c’est en coopérant que l’on sera d’autant plus armé pour réfléchir vraiment aux contenus et aux missions de service public que l’audiovisuel public doit remplir. Car ce n’est pas dans les offres numériques privées, proposées notamment par les GAFAN, que l’on trouvera un tel attachement.
Il est, pour moi, essentiel de travailler au maintien d’une coopération intelligente. Cela passe effectivement par des émissions partagées, ce qui existe déjà, par exemple, au moment des soirées électorales. Le souhait de travailler ensemble transparaît même dans la volonté de disposer de locaux communs, parce que ce n’est pas forcément l’idéal, pour les personnes sur le terrain, d’être séparées géographiquement. Ce sont de formidables journalistes, avec des équipes à la fois très motivées et extrêmement proches de tous les acteurs locaux, mues par l’envie de fournir une information de référence pour leur territoire.
Madame la sénatrice, soyez assurée que c’est dans ce sens que nous travaillons.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, notamment depuis le vote du budget pour 2018, l’avenir de l’audiovisuel public fait l’objet de toutes les attentions et de moult commentaires, y compris au plus haut niveau de l’État.
Il faut dire que cette question est loin d’être neutre tant les enjeux sont importants et les conséquences bien réelles.
C’est pourquoi je me réjouis que nous puissions aborder ce sujet ce soir au sein de notre Haute Assemblée, car, effectivement, le mode de gouvernance et les outils de l’audiovisuel français ne paraissent plus adaptés à la réalité.
Tout d’abord, parlons de son financement.
Avec une redevance fixée à 138 euros par an, la France se situe dans la fourchette basse par rapport à nos voisins puisque, en Grande-Bretagne, elle s’élève à 202 euros, en Allemagne, à 216 euros, et en Suisse, à 316 euros. Nos amis helvètes vont d’ailleurs se prononcer le 4 mars prochain lors d’une votation sur le bien-fondé de ladite taxe qui finance des chaînes publiques. Ces chaînes linéaires ne sont pas regardées par tous les Suisses, puisque nombre d’entre eux, notamment les plus jeunes, sont abonnés à des chaînes privées.
C’est bien là l’enjeu. Car ce qui pouvait apparaître comme une forme de solidarité territoriale voilà encore quelques années, avec l’objectif d’implanter France 3 dans les régions, n’est plus le reflet de la réalité d’aujourd’hui. D’ailleurs, cette représentation territoriale a-t-elle été seulement effective ? Dans les territoires ruraux, peu peuplés, nous ne pouvons pas dire que nous ayons bénéficié un jour d’un service audiovisuel public qualitatif, représentatif de notre spécificité. Par exemple, mon département, celui des Hautes-Alpes, n’a jamais été couvert par le réseau France Bleu.
Actuellement se pose en effet la double question de la répartition financière et de l’absence de péréquation au bénéfice des départements peu peuplés, ainsi que de la qualité et du pluralisme des programmes indépendamment des critères de rentabilité.
C’est pourquoi, madame la ministre, dans le cadre de la réforme qui pourrait intervenir, je vous demande de préciser les mesures envisagées pour corriger la fracture territoriale dans l’audiovisuel public.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à maintes reprises sur la situation de France 3 et de France Bleu, mais vous abordez la question sous un angle un petit peu différent.
L’on compte effectivement 116 implantations de France 3 sur le territoire, 44 pour France Bleu. Je rappellerai également que la télévision numérique terrestre a été rendue accessible à plus de 97 % de la population française, dépassant ainsi le seuil de 95 % imposé par la loi aux chaînes nationales de télévision. Ce que je dis là est à mettre en rapport avec cette idée de fracture territoriale que vous mettez en avant, du fait que certaines populations n’ont pas accès à la TNT. Afin de garantir un aménagement harmonieux du territoire lors du passage à la télévision numérique, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est assuré que la couverture numérique de chaque département serait égale ou supérieure à la couverture analogique.
Pour les téléspectateurs situés en zone blanche de la TNT, que vous évoquez, la loi a prévu un accès à l’ensemble des chaînes par satellite sans abonnement. Ce dispositif complémentaire garantit à l’ensemble des foyers un accès gratuit aux 27 chaînes de la TNT, la plupart en haute définition.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, madame la sénatrice, en réponse à votre interrogation sur la fracture territoriale. Je veillerai, notamment dans le cadre des réflexions en cours, à maintenir cette équité territoriale d’accès au service public audiovisuel.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Savin. Madame la ministre, vous avez évoqué, dans votre intervention liminaire, plusieurs objectifs : la reconquête des jeunes, la gouvernance, la mutation numérique, le renforcement de la culture. Si nous pouvons partager ces ambitions, je regrette à titre personnel, au moment où nos athlètes font briller les couleurs de la France en Corée du Sud, que la diffusion des compétitions sportives ne figure pas parmi ces objectifs affichés par le Gouvernement.
Je souhaite donc vous questionner sur la place qui sera accordée au sport sur les chaînes publiques et, surtout, sur les moyens qui y seront dédiés dans la perspective de l’accueil des grandes compétitions internationales, notamment des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Aujourd’hui, les tractations sur l’acquisition des droits audiovisuels des Jeux de 2024 sont en cours. Plus que jamais, c’est un défi pour la France, pour France Télévisions, alors que Discovery France a annoncé que ces droits seraient au moins aussi chers que pour un Mondial de football.
La diffusion des Jeux, des compétitions sportives en général, permet de véhiculer des messages de santé publique. Elle est aussi un puissant vecteur de cohésion sociale et a valeur d’exemple pour notre jeunesse. Elle contribue à mettre en avant nos sportifs de haut niveau, à faire découvrir de nombreux sports une fois tous les quatre ans. Elle met en lumière l’enjeu de la promotion du sport féminin et du handisport.
Le CSA, dans une note publiée la semaine dernière, considère qu’une amélioration est à envisager pour retransmettre encore plus d’épreuves en 2024 sur France Télévisions.
Dans le cadre de la rénovation de l’audiovisuel public, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à soutenir pleinement, et donc financièrement, France Télévisions et sa politique en faveur du sport, afin de permettre une très large diffusion de l’ensemble des épreuves et des disciplines des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ? Plus largement, quelle place aura le sport dans ce renouveau de l’audiovisuel public ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, pour la première fois, les droits de diffusion des jeux Olympiques appartiennent à un groupe privé, Discovery, qui, officiellement, attend de l’ordre de 130 millions d’euros en contrepartie de leur revente aux chaînes gratuites. C’est une somme considérable.
Or l’accueil sur notre territoire des jeux Olympiques en 2024 est un événement national extrêmement fédérateur, que tous les Français doivent pouvoir vivre et partager. Je souhaite donc effectivement une large ouverture des jeux Olympiques de Paris sur les chaînes gratuites. C’est d’ailleurs pour cette raison que la compétition est un événement d’importance majeure au regard de la réglementation française. Ce sujet est bien connu de votre collègue David Assouline, qui a rendu un rapport à ce sujet.
Les JO sont une compétition emblématique de France Télévisions, la présence de tout ou partie des épreuves sportives sur les antennes du service public est donc légitimement attendue.
Pour autant, au regard du contexte économique de l’audiovisuel public, nous devons veiller à ce que l’acquisition de ces droits de diffusion ne soit pas réalisée à n’importe quel prix. Des discussions sont actuellement menées avec détermination avec le détenteur des droits pour pouvoir en acquérir au moins une grande partie. J’y suis, dans cet esprit, extrêmement attentive.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Bien sûr, ces droits de diffusion ne sauraient être acquis à n’importe quel prix. Mais il ne faudrait pas non plus tout abandonner, faute de quoi le grand public ne pourrait pas suivre les épreuves. Les JO sont un exemple pour notre jeunesse. On compte sur France Télévisions pour les diffuser.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l’audiovisuel public.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 21 février 2018 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)
Proposition de loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat (n° 589, 2016-2017) ;
Rapport de Mme Annick Billon, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 277, 2017-2018).
À vingt et une heures trente :
Proposition de résolution, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur les directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part (n° 229, 2017-2018) ;
Rapport de Mme Anne-Marie Bertrand, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 301, 2017-2018) et texte de la commission.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD