M. Sébastien Meurant. À cette heure avancée, nous tenons à notre droit d’amendement. Je présenterai donc un amendement déposé par notre collègue Henri Leroy, que nous avons été nombreux à cosigner.
Il s’agit d’ajouter un alinéa au code de la construction et de l’habitation ainsi rédigé : « L’ensemble des personnes précitées doit veiller à l’authenticité des pièces produites dans le cadre d’une demande. À cette fin, elles disposent d’un accès au répertoire national mentionné à l’article L. 114–12–1 du code de la sécurité sociale et aux avis d’imposition des demandeurs. Il leur est également possible de solliciter directement auprès de leur employeur la copie de leur contrat de travail ainsi que les trois dernières fiches de paie. »
Cet amendement a pour objet d’utiliser une des marges de manœuvre mentionnées au f du 1 de l’article 6 du règlement général sur la protection des données. Les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux pourront désormais contrôler l’authenticité des pièces qui leur sont communiquées dans le cadre d’une demande de logement locatif social. Ainsi, une telle possibilité offerte au responsable de traitement répond à deux intérêts légitimes que sont la lutte contre la fraude et l’égalité de traitement des administrés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Le présent amendement nous éloigne de l’objet du projet de loi. Il vise à renforcer drastiquement certains instruments de lutte contre la fraude sociale. Il autoriserait ainsi désormais l’accès des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux au Répertoire national commun de la protection sociale, qui est un traitement de données sensibles puisqu’il concerne le numéro de sécurité sociale, l’un des traitements les plus protégés, au contrat de travail des demandeurs de logements sociaux et à leurs trois dernières fiches de paie. Ces informations pourraient même être directement obtenues auprès de l’employeur. La commission n’y est pas favorable.
Cet amendement ne s’articule pas bien avec les autres dispositions du texte. Le projet de loi encadre désormais bien plus strictement l’usage du numéro de sécurité sociale ; il s’agit d’une donnée sensible, très identifiante. Les données contenues dans le Répertoire portent en outre sur des informations sensibles qui concernent des publics particulièrement vulnérables. À rebours de l’intention protectrice du projet de loi, le présent amendement élargirait l’accès au Répertoire national pour de nouvelles finalités, sans prévoir de garanties spécifiques en contrepartie.
En outre, cet amendement met à la charge des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux une nouvelle obligation de vérifier l’authenticité des pièces produites par les demandeurs d’un logement locatif social. Des bailleurs sociaux nous ont fait part de leur hostilité au dispositif et de leur crainte des contentieux qu’occasionnerait pour eux cet amendement.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Meurant, l’amendement n° 44 rectifié sexies est-il maintenu ?
M. Sébastien Meurant. Il s’agit d’un amendement politique, monsieur le président, que je souhaite maintenir. Les collectivités locales sont en première ligne : cet article vise à donner aux responsables locaux, en cas de doute, le pouvoir de contrôle. C’est un outil de justice, tout simplement, que de ne pas donner un logement social à quelqu’un qui ne produirait pas des pièces authentiques. Je ne comprends pas ces pudeurs.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Les amendements dont nous avons débattu jusqu’à maintenant étaient à peu près tous en lien avec le texte ; le débat était de bon niveau. Je ne voterai donc pas cet avant-dernier amendement ayant trait au logement, en particulier au logement locatif aidé. Un projet de loi spécifique nous sera soumis dans les mois qui viennent : ce sera le bon moment de lancer ce type de débat politique, mais peut-être pas à minuit et demi, à la fin du texte concernant le RGPD. (M. Sébastien Meurant s’exclame.)
Par ailleurs, sur le fond, je ne suis pas sûr que le fait de permettre aux collectivités et aux bailleurs sociaux l’accès à ces pièces aille dans le sens de la simplification, de la bonne foi. L’atteinte aux libertés publiques est beaucoup plus grave. Or tout le droit de la protection des données personnelles est fondé sur le principe de proportionnalité, principe que l’on retrouve dès que l’on traite de libertés publiques. Généraliser ce type de droit au profit des collectivités et des bailleurs sociaux me paraît complètement disproportionné par rapport à l’objectif. Ce serait même un mauvais signal envoyé par le Sénat, qui est également, dans son domaine, le gardien des libertés publiques.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Il convient tout de même d’être attentif à cet amendement, car les bailleurs sociaux, en louant des logements, rencontrent de plus en plus de problèmes sociaux inouïs. M. le président de la commission, qui a été à la tête d’un département pendant plusieurs années, le sait bien. Ces problèmes sociaux ont des répercussions importantes. On est parfois confronté à des détournements de l’objet primaire de la location, face à des mineurs qu’il faut ensuite protéger, ou à des bénéficiaires du RSA aux difficultés desquels on ne saura pas répondre…
Je pense donc qu’il faut croiser les données. Le Répertoire national commun de la protection sociale est bien réglementé. Les travailleurs sociaux des départements peuvent obtenir des données, selon certaines conditions d’habilitation, à travers ce répertoire.
Alors, est-ce le bon véhicule ? Je l’ignore ! Toujours est-il qu’il faudra en tenir compte. Dans les départements limitrophes de la grande couronne parisienne, notamment, se pose un problème nouveau, que l’on ne connaissait pas il y a quelques années, produisant des coûts très importants pour les départements, les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, avec des enfants, des familles en difficulté… Il faudra bien trouver les solutions permettant un certain nombre de vérifications : il y va de la sécurité de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote, et en deux minutes trente ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il me faudra beaucoup moins de temps, monsieur le président, madame la garde des sceaux. Dernièrement, j’ai déjà fait un rappel au règlement pour m’étonner que plusieurs des amendements que j’avais déposés avec d’autres collègues aient été jugés irrecevables en vertu de l’article 45 de la Constitution.
Je constate aujourd’hui que mes collègues ont pu déposer les leurs, et je m’en réjouis d’ailleurs ! Je rappelle que, pendant des décennies, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, nul n’a jamais invoqué l’article 45 pour empêcher des parlementaires de déposer des amendements. Les raisons pour lesquelles un certain nombre d’amendements ont été refusés, dans une loi pourtant qui portait sur la confiance et, avant l’été, sur l’égalité et la citoyenneté, s’appliquent de manière totalement aléatoire. Elles auraient très bien pu s’appliquer à cet amendement (Mme la garde des sceaux le confirme.), tout le monde le comprend.
Je pose donc de nouveau la question – et je la reposerai : de deux choses l’une, ou bien l’on respecte le droit d’amendement de manière large, et les collègues estimant qu’une disposition est sans rapport avec le texte votent contre, ou l’on applique une règle stricte, mais en ce cas il faut la définir ! Il faut que l’on nous explique pourquoi un amendement est contraire à certains intitulés tellement larges qu’on ne comprend pas l’objet du texte. Il y a donc un vrai problème.
Pour ma part, je défends le droit d’amendement. Je suis totalement opposé, je le dirai autant qu’il le faudra, à l’usage aléatoire de l’article 45 de la Constitution. Personne ne nous le demande ; le Sénat est seul responsable dans cette affaire. Monsieur le président, je sais que vous serez un avocat, d’ailleurs vous l’êtes, absolument remarquable pour relayer mes propos auprès des hautes autorités du Sénat.
M. le président. Je vous en donne acte, monsieur Sueur, mais il me semble que c’est la commission, et non la Séance, qui est compétente pour trancher cette question.
La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Nous touchons là à des libertés individuelles, notre collègue du centre l’a souligné, qui doivent être protégées. Il faut être extrêmement prudent, dans le domaine du logement, en ouvrant l’accès à certains documents à des opérateurs.
Je comprends l’objectif de cet amendement et de l’amendement suivant, qui est parfaitement légitime de la part des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales. Je suggère que cette problématique soit traitée dans le cadre du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou projet de loi ELAN, examiné au mois de juin prochain.
Pour ma part, je ne voterai pas ces amendements, qui me paraissent trop dangereux du point de vue des libertés individuelles. Néanmoins, ces amendements soulèvent un véritable problème qu’il faudra aborder dans le cadre de la future loi ELAN.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Si ces amendements n’ont pas été déclarés irrecevables par la commission, c’est précisément parce qu’elle a voulu faire preuve de beaucoup de souplesse…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Je l’en félicite !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … afin que nous puissions avoir un large débat. Ces amendements nous semblent poser un problème extrêmement sérieux, qui méritait un débat. D’ailleurs, le fait que beaucoup d’entre vous se soient inscrits dans ce débat le prouve…
Je voudrais saluer les propos de M. Savary comme de Mme Primas, présidente de la commission des affaires économiques. En effet, même si nous en avons débattu ce soir, une telle difficulté à résoudre suppose d’inscrire la réflexion dans un cadre qui lui soit propre, d’autant plus que la question de l’insolvabilité de compatriotes en situation précaire se pose non seulement pour les bailleurs sociaux, mais aussi pour beaucoup de propriétaires, souvent eux-mêmes impécunieux, qui sont confrontés à une pratique de concitoyens en difficulté pour lesquels le loyer est la variable d’ajustement la plus facile à utiliser pour faire face au quotidien, en éloignant le versement de leur dette de logement. Aussi, la recherche des moyens pour les bailleurs sociaux, comme pour les propriétaires privés, de rétablir un équilibre qui s’est parfois rompu me paraît totalement légitime.
Notre collègue Henri Leroy ne pouvait pas être présent ce soir, mais j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui de sa proposition, qui est inspirée par des motifs que je crois dignes d’être pris en considération. Après avoir dit cela, je suggère que nous reprenions ce débat avec la commission des affaires sociales et avec la commission des affaires économiques. Il viendra suffisamment vite pour que l’on ne regrette pas de l’avoir différé ce soir.
M. Jean-Pierre Sueur. Espérons que les autres commissions prendront exemple sur la libéralité et l’ouverture d’esprit de la commission des lois, en acceptant les amendements !
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Je vais retirer les deux amendements, bien que je n’en sois pas l’auteur, mais je prends note de ce qui a été dit.
La véritable question soulevée était celle de l’authenticité des documents. L’objet est clair, circonstancié. Qui peut la vérifier ? En bout de chaîne, ce sont les bailleurs sociaux ou les collectivités qui sont confrontés au terrain et me semblent dignes de confiance. Les maires, officiers d’état civil, sont soumis au secret professionnel, et les bailleurs sociaux également. C’est pourquoi je ne comprends pas certaines réserves qui ont été émises ce soir. Nous réexaminerons ces dispositions prochainement, et sans doute à une heure un peu plus raisonnable. La question de l’authenticité des documents me paraît fondamentale pour l’égalité de traitement entre les personnes ayant droit à des logements sociaux, certaines produisent des documents authentiques tandis que d’autres fournissent des documents qui peuvent être sujets à caution.
Je retire cet amendement, et je retirerai le suivant, qui est du même acabit.
M. le président. L’amendement no 44 rectifié sexies est retiré.
L’’amendement n° 45 rectifié sexies, présenté par M. H. Leroy, Mmes Micouleau, Puissat et Gruny, M. Paccaud, Mme Berthet, MM. Meurant, Piednoir, Vial, Courtial, Grosdidier, Charon et Lefèvre, Mmes Eustache-Brinio, Giudicelli et Garriaud-Maylam, MM. Chaize, Savary et Babary, Mmes Troendlé, Lopez, Deromedi, Lamure, Deseyne et Bories, MM. Milon, Bonhomme, Grand, de Nicolaÿ et Danesi, Mmes Deroche, Morhet-Richaud, Imbert et de Cidrac et MM. B. Fournier, Bonne, Laménie, Savin, Leleux, Husson, Panunzi, Gremillet et Sol, est ainsi libellé :
Après l’article 24
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 2° de l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale, après les mots : « d’aide sociale », sont insérés les mots : « ou pour l’attribution d’un logement locatif social ».
M. Sébastien Meurant. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
(Le projet de loi est adopté.) - (Applaudissements.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 22 mars 2018 :
À dix heures trente :
Trois conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
- Projet de loi autorisant la ratification de l’accord instituant la Fondation internationale UE-ALC (n° 249, 2017-2018) ;
Rapport de M. Yannick Vaugrenard fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 356, 2017–2018) ;
Texte de la commission (n° 357, 2017–2018).
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole n° 16 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (n° 304, 2017–2018) ;
Rapport de M. Hugues Saury fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 358, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 359, 2017–2018).
- Projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille (STCW-F) (n° 582, 2016–2017) ;
Rapport de M. Philippe Paul fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 354, 2017–2018) ;
Texte de la commission (n° 355, 2017–2018).
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2017–1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (n° 292, 2017–2018) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier fait au nom de la commission des finances (n° 348, 2017–2018) ;
Rapport d’information de M. Jean-François Rapin fait au nom de la commission des affaires européennes (n° 345, 2017–2018) ;
Texte de la commission (n° 349, 2017–2018).
À quatorze heures trente :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2017–1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (n° 292, 2017–2018) ;
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 22 mars 2018, à zéro heure quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD