compte rendu intégral
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Catherine Deroche.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 22 mars 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
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Protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, présentée par M. Philippe Bas et plusieurs de ses collègues (proposition n° 293, texte de la commission n° 373, rapport n° 372).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi.
M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous nous réunissons cet après-midi dans l’hémicycle du Sénat pour traiter d’une question extrêmement grave. Heureusement, dans notre société, une prise de conscience aiguë semble se manifester depuis quelques mois. Le Sénat a voulu prendre le temps de la réflexion et ne pas faire d’annonces précipitées ou improvisées ; ce n’est pas dans sa nature, nous sommes une chambre de réflexion. Nous avons souhaité dresser un diagnostic et évaluer la faisabilité juridique des propositions que nous faisons avant de les présenter.
C’est un groupe de travail pluraliste, animé par Marie Mercier, qui s’est mis en place en octobre dernier. Après quatre mois d’auditions, après avoir entendu plus de cent dix personnalités, il nous a fait un certain nombre de propositions, que j’ai voulu traduire avec Marie Mercier et les membres de ce groupe de travail dans une proposition de loi, un peu plus de dix ans après la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que j’avais eu l’honneur de présenter au Parlement.
Ce texte comporte de nombreuses propositions. Il part d’un constat, hélas ! sans appel. La moitié des victimes des agressions sexuelles dans notre pays sont des mineurs. D’ailleurs, la moitié des agressions sexuelles commises sur des mineurs sont le fait d’autres mineurs. Un grand nombre d’agressions ont lieu dans le cadre familial, alors que la famille est le milieu naturel de la protection des enfants, et seul un petit nombre de faits donnent lieu à des poursuites.
Cette situation n’est pas digne de la France. Nous devons absolument réagir avec force, en traitant la question sous l’angle non seulement de la répression pénale – nos lois pénales n’étant pas si mal faites, elles ne méritent que d’être ajustées à la marge –, mais aussi du développement des actions de protection des mineurs contre les infractions sexuelles, en donnant la priorité à la prévention et à l’accompagnement des victimes. Ce sont des points essentiels, sur lesquels notre rapporteur, qui les a explorés de manière très approfondie, aura l’occasion de revenir.
Je voudrais pour ma part, même si j’ai pris soin de dire que ce n’était sans doute pas le plus important, revenir sur la loi pénale.
La proposition de loi comporte plusieurs dispositions. La première concerne la prescription : il s’agit de porter de vingt à trente ans après le dix-huitième anniversaire la durée pendant laquelle une plainte pourra être déposée.
Je ne vous cache pas que j’ai eu quelques hésitations avant d’accepter l’allongement du délai de prescription. En effet, le but que nous devons rechercher, c’est que la plainte soit déposée le jour même, le lendemain, la semaine suivante, au plus tard, et non pas trente ans après. (Mme Françoise Gatel approuve.) Car la véritable protection vient de la capacité de la victime et de son entourage à assumer la gravité de l’événement au moment où il s’est produit. Ce n’est pas après avoir souffert en secret et en silence pendant trente années que le moment sera venu de porter plainte, alors que l’auteur de l’acte ne sera peut-être plus en vie ou, en tout cas, s’il l’est encore, que la capacité d’administrer la preuve de l’agression deviendra beaucoup plus aléatoire.
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Philippe Bas. Si j’ai accepté l’allongement du délai de prescription, c’est parce que j’ai compris que de nombreuses victimes, qui n’ont pas porté plainte au moment de l’agression, l’ont refoulée tant il leur était douloureux d’assumer son existence, au point d’être entrées dans un processus de déni, que les médecins appellent l’amnésie post-traumatique, qui fait que, tout simplement, les faits sont ignorés pendant longtemps.
Nous aurons une discussion sur la prescription. Certains d’entre vous souhaitent que le viol sur mineur soit un crime imprescriptible. La commission des lois n’y est pas favorable. Que dirions-nous aux parents d’enfants assassinés, aux enfants de parents assassinés, aux victimes du terrorisme si, dans la hiérarchie de l’horreur, nous considérions que le viol sur mineur se distingue des autres crimes à un tel degré que, pour ce crime, il y aurait imprescriptibilité, tandis que, pour les autres, on en resterait à vingt années ? Mais nous en reparlerons.
Je voudrais souligner un deuxième point s’agissant de la loi pénale. Nous avons souhaité aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans : actuellement fixée à cinq ans, nous porterions la peine à sept ans ; quand les circonstances aggravantes sont caractérisées, la peine pourrait atteindre dix années d’emprisonnement.
Troisième point, la répression des viols commis à l’encontre des mineurs. Il est très difficile de rechercher des voies d’amélioration de la loi pénale dans ce domaine. Il faut concilier plusieurs exigences. La première, c’est de protéger tous les enfants (Mme Esther Benbassa opine.), et pas seulement une partie d’entre eux. Une victime de quinze ans et un mois mérite la même protection qu’une victime de quinze ans moins un mois.
Il importe, ensuite, d’être réaliste. L’âge de la maturité sexuelle n’est pas le même pour tous ni sous tous les cieux, si bien que le critère d’âge n’est pertinent qu’en moyenne. Or on ne peut condamner un agresseur en fonction de comportements moyens, on doit le condamner en fonction de comportements réels.
Il y a une troisième exigence à concilier avec les deux premières : c’est tout simplement le respect des droits de la défense. Une infraction pénale exige, pour être constituée, la preuve d’éléments matériels, d’une part, et la preuve d’une intention criminelle caractérisée, d’autre part. D’où l’impossibilité, chacun le sait depuis toujours, de prévoir qu’il suffise que la victime ait moins qu’un certain âge pour caractériser non pas une simple infraction, mais un viol, en faisant de l’âge de la victime un élément constitutif de ce viol. Cela reviendrait à créer une présomption irréfragable de culpabilité, c’est-à-dire une présomption qui ne permet pas à l’accusé de démontrer son innocence. Nous vivons dans un État de droit, cela n’est pas acceptable. C’est même inconstitutionnel. Cette inconstitutionnalité est tellement manifeste que nous ne saurions envisager une telle solution, même si le Gouvernement, dans une certaine précipitation, madame la secrétaire d’État, l’avait mise sous la table voilà quelques mois. Mais il s’est heureusement rallié à l’avis, tout à fait prévisible, du Conseil d’État sur ce point, et a adopté, la semaine dernière, des dispositions évidemment beaucoup plus modérées, à vrai dire tellement modérées qu’elles n’ajoutent rien à la loi actuelle, sinon, entre deux virgules, une interprétation de ladite loi pénale, qui entendrait faciliter les condamnations.
Nous, nous ne voulons pas d’une disposition qui serait seulement de portée cosmétique. Nous voulons une disposition réellement protectrice. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu d’inverser la charge de la preuve, de telle manière que, dans deux hypothèses – si l’enfant n’a pas de discernement, quel que soit son âge, même s’il a plus de quinze ans ; ou si l’écart d’âge entre la victime et l’auteur de l’acte est important, par exemple, un mineur de onze ans agressé par un majeur de vingt-huit ans –, il y aurait alors une présomption de contrainte qui caractériserait le viol.
À ce moment-là, le débat judiciaire portera non pas sur le consentement de la victime, ce qui la placerait dans l’obligation de se justifier au cours du procès, mais sur l’attitude de l’agresseur et sur l’exercice de la contrainte, et la défense de l’agresseur aurait à prouver que celui-ci n’a pas exercé de contrainte, car la contrainte serait présumée.
Je voudrais vous dire, mes chers collègues, au moment d’achever mon propos, que cette présomption de contrainte, qui repose sur le comportement de l’auteur de l’acte, est un moyen de rendre plus efficace la répression.
J’attends maintenant du Gouvernement qu’il entende le Sénat et qu’il se donne les moyens de ses propres ambitions, pour améliorer la prévention des agressions sexuelles et l’accompagnement des victimes. Force est de constater que le budget du programme 137 dédié à l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas, et de nombreuses associations d’aide aux victimes le disent, à la hauteur des ambitions que le Gouvernement proclame. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled et Mme Nathalie Delattre applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Dany Wattebled et Mme Nathalie Delattre applaudissent également.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail, mes chers collègues, le problème des violences sexuelles s’est toujours posé dans l’histoire de l’humanité. Ce qui a évolué, c’est leur prise en compte en fonction des modèles de sociétés, des classes sociales, des contextes historiques, politiques, culturels, religieux, moraux et scientifiques.
Dès le code d’Hammourabi, en 1792 avant Jésus-Christ, l’interdit du viol et de l’inceste était posé par le sixième roi de Babylone. Depuis 1832, avec la création de l’attentat à la pudeur, le code pénal français réprime de manière spécifique les violences sexuelles commises à l’encontre d’un mineur. La société française a toujours été sévère à l’encontre de ces comportements.
En octobre 2017, la commission des lois a créé un groupe de travail afin d’améliorer la protection des enfants. Ce groupe a refusé les annonces précipitées et a voulu prendre de la hauteur, en tenant compte des diverses auditions auxquelles il a procédé, sans aucune idée préconçue : nous avons banni le prêt-à-penser, nous avons banni les slogans.
En étroite coordination avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, notamment avec Mme Annick Billon, sa présidente, et l’ancienne ministre Mme Laurence Rossignol, nous avons travaillé pendant près de quatre mois, avec de nombreux déplacements et auditions de victimes, de magistrats, d’enquêteurs – policiers et gendarmes –, de professionnels de santé, de psychologues, d’éducateurs sportifs et de nombre d’associations.
On dit que « les fragments ignorent leurs coïncidences ». Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. Toutes ces petites pièces du puzzle se sont agglomérées, tous ces témoignages – plus de quatre cents recensés sur l’espace participatif mis en place à cet effet – se sont rassemblés en un constat, puis un texte de proposition de loi cohérent que nous vous présentons aujourd’hui.
Notre rapport de février 2018 a dressé le constat accablant de la persistance, de l’ampleur et de l’insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs. La loi existe, elle est même abondante, mais elle est mal connue, mal utilisée, principalement en raison d’un manque de moyens et d’un manque de formation.
En conséquence, le groupe de travail a préconisé la mise en œuvre d’une stratégie globale, qui inclut des ajustements législatifs en matière pénale, mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société, singulièrement des pouvoirs publics, au service d’une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
La stratégie globale de protection des mineurs doit prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Nous l’avons fait reposer sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible ; reconsidérer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; et disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.
La prévention constitue l’axe majeur de notre stratégie de protection des mineurs.
Tout doit être mis en œuvre pour lever les tabous, pour briser le silence. Tous les enfants, tous les parents doivent être sensibilisés à l’interdit des violences sexuelles, qui sont souvent intrafamiliales. Les parents doivent être soutenus dans leur parentalité, notamment avec la création de pôles mères-enfants : il faut pouvoir mettre des mots sur les choses, il faut pouvoir expliquer les comportements, il faut pouvoir dire : « Non, ça ne se fait pas. »
Près de la moitié des auteurs condamnés pour « viol sur mineurs » sont mineurs : il est indispensable que chaque enfant reçoive une véritable éducation à la sexualité. Oui, les enfants ont une sexualité, mais une sexualité qui leur est propre, qui est à eux.
Une attention toute particulière doit être portée aux contenus pornographiques sur internet, car l’accès précoce des enfants à la pornographie engendre des conséquences désastreuses sur leur représentation de la sexualité, et notamment du consentement. Un enfant sur deux de moins de dix ans a eu accès à des images pornographiques. L’âge moyen est de quatorze ans et cinq mois pour visionner un film pornographique. Je vous laisse imaginer l’impact sur la sexualité de ces jeunes. « Enfance », cela s’écrit avec sept lettres ; « Youporn », c’est sept lettres aussi !
Le deuxième axe de notre stratégie, c’est favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible. Pour cela, il faut lever tous les obstacles à la libération de la parole. Il faut des professionnels, dans tous les corps de métiers, formés à l’écoute et capables de diagnostiquer les violences sexuelles avérées. Le corps médical et paramédical doit être associé pour faciliter les signalements. Surtout, les conditions d’accueil des plaignants doivent être significativement améliorées, que ce soit pour le recueil de la plainte ou l’écoute des petites victimes dans des lieux adaptés. La mise en place des UMJ – unités médico-judiciaires –, l’utilisation de poupées sexuées, cela ne suffit pas si les professionnels ne sont pas suffisamment formés.
Le troisième axe, c’est renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Une justice efficace nécessite de renforcer les moyens et les effectifs tant de la police judiciaire et scientifique que des juridictions, pour réduire les délais d’enquête et de jugement. Entre le dépôt de plainte et le jugement, il peut se passer sept années. L’objectif est également d’éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d’un crime de viol, en raison du seul encombrement des cabinets des juges d’instruction et des cours d’assises. Cela n’est pas supportable. Les moyens consacrés aux frais de justice et à l’aide aux victimes doivent également être renforcés, afin de permettre l’accompagnement de chaque victime par une association dès le dépôt de plainte.
Le dernier axe de notre stratégie, c’est désacraliser le recours au procès pénal et permettre une véritable prise en charge des victimes d’infractions sexuelles hors du procès pénal. Les victimes doivent être accompagnées, même en dehors de toute procédure judiciaire, leur prise en charge, notamment médicale, garantie et des parcours de reconstruction, voire de résilience, doivent leur être proposés.
Nous voudrions que le protocole qui existe actuellement à Paris soit étendu à toute la France, autrement dit que toutes les victimes puissent être entendues par les policiers pour témoigner, à n’importe quel moment, peu importe la prescription. Cela leur permettra d’entendre prononcés par un policier les mots qui délivrent, ce « Je vous crois » qui permet le début de la résilience.
Notre stratégie a été traduite dans la présente proposition de loi, en particulier concernant trois évolutions en matière pénale.
L’allongement de vingt à trente ans des délais de prescription en matière de viols et d’agressions sexuelles, qui est une mesure avant tout symbolique. Le plus important, c’est de libérer la parole, tout de suite, maintenant, parce qu’on n’aura pas la preuve.
La deuxième mesure importante, c’est l’instauration d’une présomption de contrainte, applicable à toutes les relations sexuelles entre un majeur et un mineur. L’article 3 de la proposition de loi vise ainsi à faciliter la répression criminelle de viols subis par les mineurs. Désormais, la charge de la preuve serait inversée dans deux hypothèses : en cas d’incapacité de discernement du mineur ; ou quand il existe une différence d’âge suffisamment importante entre le mineur et l’auteur. Il n’y a pas d’âge dans notre proposition. Cela traduit la volonté de protéger tous les mineurs. Le discernement n’a pas d’âge. Toute autre proposition pourrait paraître plus simple, plus médiatique, plus porteuse ; en réalité, elle ne serait que simpliste.
Cette modification n’a pas pour effet de changer l’interdit pénal, qui est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur. L’article 227–25 du code pénal prévoit déjà que toute relation sexuelle avec un enfant de quinze ans est interdite, au risque de poursuites pénales. C’est donc déjà inscrit dans la loi. Ce que fait l’article 3 de notre proposition de loi, c’est qu’il facilite la qualification criminelle de viol, en permettant de mobiliser plus facilement l’élément de contrainte, élément constitutif de l’infraction de viol. La charge de la preuve serait ainsi inversée et reposerait désormais sur l’adulte mis en cause, puisque la contrainte morale et, donc, la qualification criminelle de viol seraient présumées.
Par ailleurs, l’article 5 de la proposition de loi tend à aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.
Je le rappelle, le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l’encontre d’un mineur, au motif qu’un mineur de moins de quinze ans est incapable d’y consentir librement. Actuellement, le délit d’« atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans » est puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Par rapport aux autres infractions comparables dans les autres pays de l’Union européenne, les peines encourues en France peuvent sans doute apparaître comme moins élevées, même si la France distingue les « viols sur mineurs de quinze ans » des « atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans ». L’article 5 de la proposition de loi vise à modifier l’article 227–25 du code pénal, pour porter les peines encourues de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d’amende.
Ce que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, c’est un texte innovant, qui vise à changer les représentations sociales, les mentalités. Ce que je vous propose d’adopter, c’est un texte qui met le mineur victime au cœur de nos préoccupations. Tout ce que nous avons lu, tout ce que nous avons vu, tout ce que nous avons entendu nous ont profondément marqués. Au fond, compte tenu de toutes ces atrocités, de ce qui fait le plus noir chez l’homme, le plus glauque, le plus cauchemardesque, le but ultime de toutes nos propositions est de protéger nos enfants, et ce le plus largement. Ce que je vous propose peut-être tout simplement, c’est de faire un peu de lumière avec du noir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mmes Nathalie Delattre, Josiane Costes et Esther Benbassa, ainsi que MM. Dany Wattebled, Éric Gold, Michel Dagbert et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Président de la République a décrété grande cause du quinquennat l’égalité femmes-hommes. Pour la première année, le thème porté par le Gouvernement dans ce cadre est la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Ce choix a été fait de longue date, bien avant le mouvement #MeToo, bien avant l’émotion légitime suscitée par des affaires récentes, bien avant ce mouvement inédit et historique de libération de l’écoute, qui a touché le monde et la France mais postérieurement à la décision du Président de la République, que celui-ci avait prise dans le cadre de sa campagne, dans le cadre d’un diagnostic de fond, sans aucune improvisation de circonstance. Au contraire, il l’avait prise à une époque où ce sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles paraissait encore très accessoire pour certains.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux face à l’ampleur de ce phénomène des violences sexistes et sexuelles. Et parce que cette lutte appelle la mobilisation de toutes et de tous, je voudrais saluer, ici, l’engagement du Sénat, qui s’est saisi du sujet, même si je déplore, monsieur le président de la commission des lois, votre appréciation manichéenne. J’ai été amenée à la vie politique par un sénateur, j’ai le plus profond respect pour le travail qui est mené par le Sénat, je vous demande de respecter également celui du Gouvernement. (Exclamations prolongées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je crois utile de rappeler quelques chiffres dans la solennité de cet hémicycle : 25 % des femmes âgées de 20 à 69 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence dans l’espace public au cours des douze derniers mois, soit environ 5 millions de femmes victimes chaque année ; 93 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentatives de viol en 2016 ; la moitié des viols ou des tentatives de viols déclarés par les femmes et les trois quarts de ceux qui sont déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de dix-huit ans.
Ces violences concernent majoritairement les femmes et les filles, et sont un obstacle majeur dans la construction d’une société égalitaire. Parce que ce phénomène est massif, nous devons répondre fermement aux agresseurs.
Nous avons toutes et tous en tête les terribles affaires judiciaires impliquant de très jeunes mineures, pour lesquelles les magistrats n’ont pas retenu le crime de viol. Ces affaires ont permis de révéler certains dysfonctionnements et, en conséquence, des insuffisances dans la protection que nous devons aux victimes d’infractions sexuelles, notamment quand elles sont mineures.
Je rappelle que 40 % des femmes et deux tiers des hommes mineurs victimes de viols avaient moins de quinze ans au moment des faits. En 2017, 86,3 % des plaintes de victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie concernaient des mineurs de moins de quinze ans. Ces chiffres sont certainement sous-évalués, en raison des difficultés spécifiques que rencontrent les jeunes victimes à dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies, et ce pour des raisons multiples : la peur, l’emprise, l’intimidation, l’absence de compréhension de ce qu’il se passe, l’absence d’une personne fiable à qui parler.
Cette difficulté est d’autant plus forte que, dans 87 % des cas, les victimes connaissent les agresseurs. Dans ces conditions, la détection des violences est particulièrement difficile. C’est pourquoi il est plus que nécessaire de former les professionnels en contact avec les mineurs, en priorité à l’école, à repérer les signes de ces violences et à recueillir la parole des victimes, ce que nous faisons désormais. Les magistrats aussi doivent être formés à la compréhension des mécanismes des violences sexuelles sur les mineurs. C’est ce que nous faisons également et nous amplifions ces formations.
Nous ne pouvons pas tolérer que des faits de viols sur mineurs ne soient pas jugés comme tels. Parce que les victimes sont dans un état de fragilité extrême face à ces violences encore indicibles et invisibles, notre devoir est de les protéger. C’est un enjeu de civilisation.
Ce combat doit transcender les clivages politiques et appelle une mobilisation générale de la société. Le Gouvernement est évidemment en première ligne. Le 25 novembre dernier, journée internationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, le Président de la République a présenté le plan d’action du Gouvernement pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’occasion du lancement de la grande cause de son quinquennat. Ces actions ont été complétées par de nouvelles mesures, annoncées par le Premier ministre, Édouard Philippe, le 8 mars, lors du comité interministériel consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le dernier volet de ce plan d’action est la répression des auteurs de violences sexistes et sexuelles. C’est aussi l’objet du projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres le mercredi 21 mars, et dont deux des quatre articles rejoignent le texte présenté cet après-midi.
La proposition de loi dont nous nous apprêtons à débattre vise, je crois, ce même objectif qu’est la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs. Certaines de vos propositions se rapprochent de la position du Gouvernement, d’autres s’éloignent par leurs choix rédactionnels et juridiques des options que nous avons retenues après plusieurs mois de travail et de concertation, y compris avec des parlementaires.
Comme le Gouvernement, vous souhaitez étendre de dix ans la prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs. C’est une évolution qui correspond à la nécessité de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à signaler les faits, notamment en raison du phénomène d’amnésie traumatique. Par ailleurs, cela donne plus de temps à la victime pour surmonter ce traumatisme, avant d’avoir la capacité d’engager une action en justice. Nous avons néanmoins souhaité aller plus loin, en étendant cet allongement du délai de prescription à l’ensemble des crimes commis sur mineurs.
Vous avez voulu, parallèlement aux travaux menés par le Gouvernement, engager également une réflexion approfondie sur une meilleure protection des mineurs de quinze ans contre le viol.
Vous le savez, et vous l’avez rappelé, nos positions divergent quant au mécanisme à privilégier pour renforcer le dispositif juridique aujourd’hui applicable.
C’est néanmoins dans un esprit apaisé, au-delà des clivages qui peuvent nous opposer, que nous devons aborder ce débat, car nous poursuivons, me semble-t-il, un objectif commun.
Enfin, votre proposition de loi soulève une question à laquelle je serai particulièrement attentive lors des débats qui vont se tenir cet après-midi, celle de l’inceste.
Le Gouvernement présentera en procédure accélérée un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Il sera débattu dans les prochaines semaines et comporte quatre dispositions principales, fruit d’une très large concertation.
Les mesures que nous présentons s’inspirent en effet des travaux de nombreux experts, comme ceux de la mission de consensus sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs, menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes sous la précédente législature, de la mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs, installée par le Premier ministre Édouard Philippe au mois de février ou des différents rapports du Haut Conseil à l’égalité.
Elles s’inspirent également des travaux des parlementaires, notamment ceux du groupe de travail des députés sur la verbalisation du harcèlement de rue, ou du rapport rendu par le groupe de travail du Sénat.
Elles s’inspirent, enfin, des attentes exprimées par les citoyennes et citoyens que nous avons auditionnés lors du tour de France de l’égalité femmes-hommes – avec 55 000 participants recensés en métropole et dans les outre-mer, il s’agit de la plus grande concertation citoyenne jamais organisée par un gouvernement.
Deux sujets majeurs sont ressortis de ces ateliers : le harcèlement de rue, l’un des angles morts de notre droit jusqu’à aujourd’hui, et le cyberharcèlement, qui doit être sanctionné plus efficacement.
Le projet de loi comprend quatre dispositions principales.
Il vise tout d’abord à allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, laquelle pourra donc porter plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. C’est une évolution nécessaire, que certains d’entre vous proposent également, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il a également pour objet de renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur mineurs de quinze ans. Le texte renforce la portée symbolique de l’interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans.
Afin d’accroître de manière effective la protection des mineurs, tout en évitant les traumatismes du débat judiciaire sur un éventuel consentement de la victime, l’évolution législative est fondée sur deux propositions complémentaires.
Il s’agit, premièrement, de mieux prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans : grâce aux précisions apportées, il n’y aura ainsi plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou le consentement du mineur à un acte sexuel, la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité et du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Telle est notre formulation. Cette disposition sera applicable dès promulgation de la loi, y compris sur des faits antérieurs, voire très anciens. Les juges pourront s’en saisir pour toute affaire en cours et ce sera donc une mesure efficace, en aucun cas cosmétique. En outre, à aucun moment le Gouvernement n’a mis sur la table une proposition de peines automatiques.
Il s’agit, deuxièmement, de mieux sanctionner le délit d’atteinte sexuelle, qui existe déjà, en doublant les peines encourues.
Conformément à nos engagements, le projet de loi viendra aussi élargir la définition du harcèlement, moral ou sexuel, pour permettre la répression des « raids numériques » qui se développent sur les réseaux sociaux.
Enfin, la dernière disposition de ce projet de loi visera à réprimer le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction, « l’outrage sexiste ». Il s’agira de réprimer l’ensemble de ces comportements en envoyant un signal fort aux agresseurs.
J’ajouterai à toutes fins utiles que le budget interministériel proposé par le Gouvernement pour l’égalité femmes-hommes atteint son plus haut niveau, à 420 millions d’euros.