M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je vais vous expliquer, ma chère collègue, la raison pour laquelle cet amendement est contraire à la position de la commission, qui y est défavorable. Comme l’a déjà dit Mme la secrétaire d’État, cette raison est simple : l’amendement est contraire aux exigences constitutionnelles.
Avant de développer, je tiens à vous rappeler que tout acte de pénétration sexuelle entre un majeur et un mineur de quinze ans est d’ores et déjà puni a minima des peines encourues pour atteinte sexuelle. La loi s’applique. Je rappelle également que, en l’état du droit, il est possible de déduire la contrainte morale ou la surprise du jeune âge de la victime, a fortiori d’une victime de treize ans. Je rappelle enfin qu’aucun changement législatif n’empêchera un débat à l’audience sur l’éventuel consentement ou non du mineur : la défense est libre et peut invoquer tout moyen qu’elle estime utile.
Pourquoi donc cet amendement est-il contraire à la Constitution ? Il vise à modifier les éléments constitutifs de l’infraction de viol en établissant indirectement une présomption irréfragable de culpabilité, considérant que tout rapport sexuel entre un majeur et un mineur de treize ans constitue un viol sans autre condition. Il s’agit en réalité du projet initial du Gouvernement, dont le seuil de quinze ans aurait été remplacé par celui de treize ans. Je vous renvoie tous aux arguments émis par le Conseil d’État dans son avis, arguments d’ailleurs repris dans le rapport d’information.
Je vais simplement en reprendre les principales lignes : le Conseil constitutionnel n’accepte les cas de présomption de culpabilité qu’à titre exceptionnel et sous deux réserves : cette présomption ne doit pas revêtir de caractère irréfragable et le respect des droits de la défense doit être assuré. Le dispositif de cet amendement ne répond manifestement pas à ces exigences : la défense doit toujours pouvoir se prononcer.
De surcroît, le Conseil constitutionnel rappelle de manière constante que, s’agissant des crimes et des délits, particulièrement en matière criminelle, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés. Surtout, la définition d’une incrimination, singulièrement en matière criminelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral intentionnel ou non de celle-ci. Il n’y a pas d’élément intentionnel dans l’infraction envisagée dans le présent amendement.
Encore une fois, je comprends bien la volonté de ses auteurs, mais l’adoption d’un tel amendement n’est pas souhaitable en l’état actuel du droit : avec les délits d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et l’ensemble du système des circonstances aggravantes, qui sont fondées sur la notion de mineur de quinze ans, il existe déjà une protection particulière des mineurs de quinze ans dans notre droit. Il ne faudrait pas affaiblir cette protection en fixant le seuil à treize ans. Il faut protéger tous les mineurs sans créer d’effet de seuil.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Comme vous le savez, l’option défendue à travers cet amendement a été écartée par le Gouvernement du fait, d’abord, de l’importance du risque d’inconstitutionnalité qu’elle présente au regard du principe de légalité, mais également de celui d’égalité devant la loi et, surtout, à la suite de la mission pluridisciplinaire commandée par le Premier ministre et dont l’avis a été remis à la ministre des solidarités et de la santé, à la garde des sceaux et à moi-même.
Nous pensons qu’il ne doit pas être possible de débattre du consentement d’un enfant à un rapport sexuel avec un adulte. C’est pourquoi nous proposons de rattacher cette problématique à la définition du viol, via la contrainte ou la surprise.
De plus, avec l’allongement du délai de prescription à trente ans, les deux régimes de peines pourraient cohabiter pendant près de quarante ans. Cela signifie que deux régimes différents viendraient à coexister pour de nombreuses années : les victimes de faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi resteraient sous l’empire du droit actuel, alors que les victimes de faits commis après sa publication bénéficieraient du nouveau dispositif.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais c’est normal !
Mme Laurence Cohen. C’est toujours comme ça !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Selon la date des faits, la peine encourue par l’auteur serait différente, ce qui paraît particulièrement incompréhensible pour des victimes en droit de réclamer une protection équivalente.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement va proposer dans le cadre de son futur projet de loi une disposition interprétative sur la contrainte morale ou la surprise pour mieux répondre à l’objectif recherché et partagé d’une plus grande protection des mineurs de quinze ans victimes d’infractions sexuelles. Cette mesure sera de plus applicable dès la promulgation de la loi.
Le Gouvernement est donc défavorable au présent l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. La question qui nous est posée aujourd’hui est de savoir si nous voulons protéger les enfants mineurs contre des violences sexuelles dont ils pourraient être victimes.
L’article 3, tel que nous venons, y compris mon groupe, de le voter à une très large majorité, présente effectivement l’intérêt pour un mineur de se voir reconnaître, selon les circonstances, une présomption de contrainte : ce sera alors à l’auteur de prouver qu’il ne l’a pas contraint à une relation sexuelle.
Il existe cependant un autre débat à propos de la possibilité offerte à l’auteur de prétendre qu’il y a eu consentement. En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus qu’un mineur de treize ans ne peut pas consentir à un acte sexuel.
Le Conseil d’État fait une analyse inexacte de la question de l’élément intentionnel de l’infraction : l’intentionnalité peut être fondée sur le fait que l’auteur de l’infraction ne savait pas que son partenaire était mineur. En revanche, un majeur qui prétendrait qu’il pensait que le mineur était consentant et qu’il n’avait pas conscience qu’il ne l’était pas, devrait considérer qu’un enfant ne peut pas être consentant à un acte sexuel.
Cette question est fondamentale, parce que les jurés des cours d’assises sont parfois issus de milieux populaires et peuvent penser, à un moment donné, qu’un mineur est capable d’avoir séduit un adulte. Certains ont plaidé cette cause lors d’affaires d’inceste,…
Mme Laurence Cohen. Bien sûr !
M. Jacques Bigot. … affaires dans lesquelles la relation amoureuse entre un père et sa fille n’est pas toujours claire. Le côté provoquant du mineur a même parfois été invoqué. Il faut que la loi interdise toute relation sexuelle avec un mineur de treize ans. Un majeur ne peut pas le tolérer ! C’est le sens de cet amendement fondamental.
Madame la secrétaire d’État, nous pensions que le Gouvernement allait dans cette direction. C’est ce qu’avait notamment déclaré le Président de la République. Aujourd’hui, on recule, de la même manière que l’on a longtemps reculé sur cette question. Les enfants sont-ils sujets de droit ? S’ils le sont, nous devrions affirmer qu’ils ne peuvent pas être consentants à une relation sexuelle lorsqu’ils ont moins de treize ans.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Le débat que nous avons et les positions qui ont été exprimées à l’instant, notamment celle du Gouvernement, sont graves.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’affirmer que la relation entre un majeur et un mineur de treize ans est un viol. Aurons-nous ce courage ? J’entends Mme la secrétaire d’État évoquer certains aspects de la question : un volet constitutionnel, sur lequel mes collègues Laurence Rossignol et Jacques Bigot sont revenus, mais aussi un volet plus étrange, à propos de l’inconvénient de voir des victimes jugées selon des législations distinctes.
Rappelons que le principe même de la modification de la loi pénale impose que seules les lois pénales plus douces sont applicables immédiatement. Sinon, nous pouvons tous retourner à nos chères études et cesser de changer la loi !
Madame la secrétaire d’État, votre texte marque un recul incroyable par rapport aux annonces faites tant par le Président de la République que par vous-même. Cela ne change rien de juger les individus de la même manière dans des affaires anciennes ou dans des affaires à venir, dans la mesure où – et cela figure dans votre étude d’impact – le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation sur ce point.
Vous avez finalement décidé de renoncer : c’est votre responsabilité ! Le Sénat, lui, a la possibilité de rappeler que la relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans s’appelle un viol. Nous nous devons de l’affirmer pour protéger les enfants !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous allons voter l’amendement proposé par le groupe socialiste et républicain.
Je viens d’expliquer que nous avions déposé une proposition de loi fixant un seuil de quinze ans pour les mineurs en matière de violence sexuelle. Dans leur amendement, nos collègues proposent, quant à eux, un seuil de treize ans.
Ce que j’ai du mal à comprendre dans le débat qui nous anime, débat dont j’espère qu’il se poursuivra jusqu’à son terme, c’est la subsistance d’un doute sur le consentement possible d’un enfant de treize ans.
Je ferai un parallèle entre les questions que l’on se pose à propos de ces mineurs de treize ans qui, selon certains, seraient peut-être après tout un peu responsables de la situation dans laquelle ils sont, et ce que vivent des milliers de femmes aujourd’hui. Nous constatons actuellement une libération de la parole des femmes dans une société où persiste encore une certaine culture du viol, et où, lorsqu’une femme est violée, on se demande comment elle était habillée, où elle se trouvait et à quelle heure, dans une société où l’on se dit que, quelque part, elle l’avait bien cherché.
Jacques Bigot l’a très bien exprimé : on doute, on se demande s’il n’y avait pas une histoire d’amour derrière la relation sexuelle. Mes chers collègues, on parle d’une relation entre un majeur et un mineur ! Et, à treize ans, je suis désolée, mais on parle d’un enfant ou d’une enfant ! Or notre devoir de législateur est de les protéger.
Je comprends bien les arguments qui m’ont été opposés : je ne dis pas qu’il existerait un camp qui serait meilleur que l’autre, mais il faut que l’on ait conscience de tous ces éléments dans le cadre de notre réflexion, à un moment où nous sommes appelés à élaborer et voter la loi.
Ce soir, le Sénat pourrait être à l’avant-garde sur ce sujet. Tant mieux, après tout ! Il est extrêmement important d’envoyer un signal fort, celui qui consiste à interdire les relations sexuelles avec un mineur de moins de treize ans. On ne peut pas tout faire et un enfant doit d’abord être protégé, parce qu’il est avant tout la victime de prédateurs que sont certains majeurs. Cet amendement peut nous aider à élaborer un cadre plus protecteur pour les mineurs.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. J’entends et je salue la volonté unanime sur ces travées d’œuvrer pour la protection des enfants, de tous les enfants.
On voit bien que le sujet est compliqué, parce que la réalité l’est aussi. Et je ne parle pas de tout ce que nous ne voyons pas, et qui constitue la partie la plus importante de cet iceberg d’horreurs.
À l’issue des travaux conduits sous la responsabilité de Marie Mercier, j’ai la profonde conviction que la réponse que vous apportez, madame Rossignol, est forte et symbolique. En revanche, je ne suis pas du tout persuadée qu’elle réglera le problème.
D’abord, il existe déjà tout un arsenal législatif dérogatoire important en matière pénale pour protéger tous les enfants de moins de quinze ans.
Ensuite, il faut se demander pourquoi fixer le seuil à treize ans. Cela signifierait que l’agression d’un enfant de treize ans moins un jour serait qualifiée de viol, mais que la protection sauterait si la victime avait treize ans et deux jours ! Je voudrais que l’on prenne enfin en compte la complexité de ces situations.
Enfin, je crois que Mme la rapporteur a fait bouger les lignes en inversant la charge de la preuve grâce à cette idée de présomption de contrainte. Cette présomption doit-elle être pour autant irréfragable ? En ce qui me concerne, je ne le pense pas. Je ne pense pas non plus qu’accepter une présomption irréfragable serait le summum de l’avant-garde ou de la modernité. Ce qui me préoccupe, comme vous tous dans cette enceinte, mes chers collègues, c’est d’abord la protection des enfants, de tous les enfants. Un anniversaire ne doit pas être vécu comme une date fatidique qui affaiblirait cette protection. (Mmes Annick Billon et Josiane Costes applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Mes chers collègues, je veux soumettre un exemple à votre sagacité. Si j’ai bien compris, les relations sexuelles d’une enfant de moins de treize ans avec un mineur de dix-sept ans et onze mois ne pourraient pas être qualifiées de viol. En revanche, quand le mineur atteint l’âge de dix-huit ans, il peut alors être poursuivi pour ce crime. Avant, on considère qu’il y a consentement ; une fois l’un des deux protagonistes devenu majeur, il peut être convaincu de viol. À mon sens, il faudrait améliorer la rédaction de cet amendement, afin que l’on puisse un jour l’adopter.
Quant à moi, je me range bien sûr à l’avis du président de la commission et du rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je veux simplement rappeler que la présomption de contrainte, couplée aux articles du code pénal en vigueur, notamment l’article 227-25 dudit code, protège les mineurs de moins de quinze ans et, donc, les mineurs de moins de treize ans.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et les moins de cinq ans aussi !
M. Arnaud de Belenet. Je ne fais qu’évoquer le droit objectif, ma chère collègue. Il est question en l’occurrence d’atteinte sexuelle et, a fortiori, de viol.
Mmes Laurence Cohen et Laurence Rossignol. Mais non !
M. Arnaud de Belenet. Si l’on regarde de près la jurisprudence et les besoins exprimés par les juges, au-delà de quelques divergences sur le seuil d’âge à retenir ou sur certaines dispositions de la proposition de loi, il me semble que la présomption de contrainte couplée aux articles du code pénal répond à la demande.
Je tiens à revenir sur un argument que j’ai entendu. Je trouve un peu étonnant que l’on s’en prenne au Gouvernement avec autant de véhémence. Comme je viens de l’entendre sur certaines travées, le Gouvernement voudrait mettre en danger les mineurs de moins de treize ans, et il y aurait là une reculade de sa part.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est une reculade incontestable !
M. Arnaud de Belenet. Je trouve que ces propos sont déloyaux !
Mme Laurence Cohen. Qu’y a-t-il de déloyal dans ces interventions ? On débat !
M. Arnaud de Belenet. On sait qu’il existe par ailleurs un projet de loi, plus complet, plus étoffé, qui aggrave davantage les peines et prend en considération ce que j’entends ici et là.
Mme Laurence Rossignol. La secrétaire d’État est venue présenter son projet de loi ?
M. Arnaud de Belenet. Il y a donc une certaine forme d’injustice dans le fait de prendre à partie le Gouvernement. (Mmes Laurence Cohen, Marie-Pierre de la Gontrie et Laurence Rossignol rient. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Je ne suis pas toujours d’accord avec le Gouvernement, mes chers collègues, mais vous me permettrez de faire part de mon point de vue sur la façon dont il a été pris à partie.
Mme Laurence Cohen. Protéger les enfants, ce n’est pas défendre le Gouvernement !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. D’abord, mon cher collègue, le Sénat a commencé à travailler sur le sujet et nous avons déposé des propositions de loi avant qu’il ne soit question du projet de loi du Gouvernement.
À ce moment-là, n’existaient que les déclarations faites par le Président de la République, la secrétaire chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, certains autres ministres ou personnalités. À cette époque, il y avait d’ailleurs un consensus autour de l’idée qu’il fallait qualifier de viol les relations sexuelles impliquant un mineur.
Ces prises de position intervenaient à la suite de deux affaires judiciaires à l’occasion desquelles la qualification de viol n’avait pas été retenue, pour l’une, et la personne majeure avait obtenu un acquittement, pour l’autre, et ce en raison du consentement supposé des victimes. Nous étions alors tous d’accord pour dire qu’il fallait que cela cesse.
Aujourd’hui, notre préoccupation, ce n’est pas le Gouvernement ! Je suis désolée, mais notre préoccupation, c’est notre travail, celui du groupe de travail, les amendements déposés par Mme Cohen, par plusieurs de nos collègues ou moi-même.
Je terminerai en disant un mot du volet juridique de la question. On nous parle de l’opinion des magistrats ou du Conseil constitutionnel. Moi, j’évoquerai un magistrat qui, me semble-t-il, fait l’unanimité par le respect qu’il suscite : il s’agit du procureur François Molins. Celui-ci a déclaré lors de son audition qu’il était favorable au seuil de treize ans, tel qu’il figure dans notre amendement. Il a répété dans un quotidien qu’il était favorable à ce que l’on qualifie de viol une relation sexuelle impliquant un mineur en deçà de treize ans.
On voit bien que les avis des juristes peuvent différer. En revanche, l’opinion d’un praticien comme le procureur Molins doit être prise en compte. Elle prouve en tout cas que nous ne défendons pas des innovations juridiques farfelues, comme certains nous le reprochent.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Laurence Rossignol a mentionné tout ce que je souhaitais dire dans son intervention. Je voterai cet amendement, car, sans fixation d’un seuil d’âge, donc en l’état actuel du droit positif, les difficultés constatées, notamment dans les dernières affaires en date, demeureront.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a effectivement auditionné le procureur Molins. Nous avons longuement évoqué ce sujet avec lui et les arguments qu’il a avancés en faveur du seuil, détaillés par Laurence Rossignol, nous ont totalement convaincus.
C’est donc sans états d’âme que je voterai cet amendement. Je comprends la complexité de la question, mais je reste sur cette position !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous n’avons pas l’habitude de nous en remettre au seul Conseil constitutionnel s’agissant du respect de nos droits et libertés fondamentaux, car c’est aussi l’une des missions du Sénat de la République.
Nous ne pouvons pas concevoir, dans notre droit pénal, qu’une peine de vingt ans de réclusion puisse être prononcée sans que l’accusé se voie reconnaître la possibilité de se disculper.
Or la mesure que nous avons sous les yeux ne laisserait à l’accusé aucune possibilité de se disculper. L’amendement caractérise effectivement le viol par une constatation de fait – « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur un mineur de treize ans est un viol » – et, pour le viol, mes chers collègues, le tarif est de vingt ans de réclusion !
Je ne crois pas que nous puissions accepter de prendre une telle disposition, au nom de notre vocation à garantir les droits de la défense dans la République.
Nous sommes probablement unanimes à considérer que, dans la plupart des cas, lorsqu’un majeur commettra un tel acte à l’encontre d’un mineur, il s’agira bien d’un viol. Mais ce n’est pas à nous d’en décider ! Il faut un jugement ! C’est le rôle même de la justice, en toute subjectivité, mais avec les éléments de fait qui permettent de rapporter la preuve de l’intention et de la réalité de l’acte, de décider de la culpabilité d’une personne et, dès lors qu’un enfant de treize ans est concerné, la culpabilité sera le plus souvent prononcée.
Mme Françoise Gatel. Voilà !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pour favoriser cette déclaration de culpabilité par le juge, nous venons de voter une disposition créant une présomption de contrainte quand l’acte est commis par un majeur ayant une grande différence d’âge avec le mineur ou quand le mineur n’a pas le discernement qui lui permettrait de comprendre ce qui se passe et d’échapper à la contrainte exercée sur lui par l’agresseur.
Par conséquent, il me semble que nous, membres du Sénat de la République, avons trouvé des dispositions législatives qui permettent de protéger tous les enfants, et pas seulement ceux qui ont moins de treize ans, tout en préservant cette garantie fondamentale pour la justice, à laquelle, en tant que gardiens de la Constitution, nous sommes tellement attachés : tout accusé doit pouvoir être mis en situation de prouver son innocence.
C’est la raison pour laquelle je ne crois pas que nous puissions adopter cet amendement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 76 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Pour l’adoption | 94 |
Contre | 211 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 4
Le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé, les mots : « commis sur les mineurs » sont supprimés ;
2° L’article 222-31-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « sur la personne d’un mineur » sont supprimés ;
b) Au 3°, les mots : « le mineur » sont remplacés par les mots : « la victime ».
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Le code pénal sanctionne toutes relations lorsqu’elles ne sont pas consenties – viols, agressions sexuelles –, en aggravant la pénalité à raison du lien d’ascendance ou à raison de l’autorité de droit ou de fait qu’exerce l’auteur sur la victime.
De plus, sont pénalement répréhensibles les relations sexuelles exercées sans violence, ni surprise, ni contrainte, ni menace, lorsqu’elles sont commises par un majeur sur un mineur de quinze ans avec, de nouveau, une aggravation de la peine encourue en présence des liens ci-dessus visés entre le mineur et l’auteur des faits.
Ces atteintes sexuelles sont également pénalement réprimées lorsqu’un ascendant ou une personne ayant autorité les commet sur un mineur âgé de quinze à dix-huit ans, l’infraction, ici, étant bien constituée en raison du lien de famille existant.
Dès lors, si l’article 222-31-1 du code pénal énumère bien limitativement les personnes pour lesquelles le viol ou l’agression sexuelle peuvent être qualifiés d’incestueux, il n’en demeure pas moins quelques interrogations. Ainsi, les contours de la sphère familiale au sein de laquelle l’inceste peut être commis sont peu convaincants : le cousin germain, la cousine germaine, le grand-oncle ou la grand-tante, par exemple, ne sont pas inclus dans la liste, figurant à l’article 222-31-1 du code susvisé, des possibles auteurs d’actes incestueux.
Sachez, mes chers collègues, que 16 % des viols sur mineurs dénoncés en 2017 en Martinique avaient un caractère incestueux. Au cours des années 2016 et 2017, 372 infractions sexuelles sur mineurs ont été dénoncées en Martinique, à savoir 195 viols sur mineurs et 177 agressions sexuelles sur mineurs. Il faut préciser que le taux de dénonciation pour de tels faits est faible, en raison de la relation liant les victimes aux agresseurs. La honte et la culpabilité exprimées par les victimes, ainsi que la peur de ne pas être crues restreignent également chez elles les capacités de dénonciation des violences.
Or un grand nombre de ces crimes sont, semble-t-il, commis par des cousins germains, qui ne subissent pas, de fait, une répression en rapport avec le caractère incestueux de leur crime.
J’estime par conséquent qu’une véritable réflexion sur la famille et ses membres devrait être menée pour donner des frontières cohérentes à la notion d’inceste. Le droit pénal doit-il s’aligner sur les définitions implicites de l’inceste en droit civil ou doit-il définir lui-même l’aire de la famille ?
C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur l’article 4.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Antiste.
L’amendement n° 12 est présenté par M. Patriat et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Le 2° est complété par les mots : « , le fils ou la fille d’un oncle ou d’une tante » ;
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le 2° de l’article 227-27-2-1 du code pénal est complété par les mots : « , le fils ou la fille d’un oncle ou d’une tante ».
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Maurice Antiste. Avec l’intervention que je viens de faire, mes chers collègues, vous aurez compris le sens de cet amendement, qui vise à étendre la qualification d’incestueux aux viols, agressions et atteintes sexuelles commis par des cousins germains.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour présenter l’amendement n° 12.
M. Arnaud de Belenet. Le mariage entre cousins germains étant autorisé en France - et aussi longtemps qu’il le sera -, cet amendement, tout comme l’amendement n° 1, perd de sa pertinence : je le retire.
M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n 1 ?