M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Quand je me suis assis sur cette travée au début du débat, je ne votais pas la fin de la prescription. Puis j’ai réfléchi : qu’est-ce qui est imprescriptible en France ? Naturellement, les crimes contre l’humanité et les abus de biens sociaux. (Marques de dénégation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Je me suis souvenu d’avoir reçu dans mon bureau de maire – mes trente-quatre ans de mandat m’ont été utiles, mais il sera difficile d’être maire pendant trente-quatre ans à l’avenir ! –, une jeune femme de vingt-cinq ou trente ans, dont l’un des parents, qui l’avait attaquée, ainsi que sa sœur quelques décennies auparavant, venait également de s’attaquer à sa fille.
Les détraqués qui commettent de tels actes sont des pervers qui ne changent pas. S’ils ont commis un crime il y a trente ans, ils ont continué, même s’ils l’ont fait différemment, habilement, en se prémunissant.
Si l’épée de Damoclès de l’imprescriptibilité ne pèse pas sur leur tête, ils continueront. Le seul argument qui est avancé aujourd’hui contre l’imprescriptibilité est la difficulté à les confondre. Mais ne vous y trompez pas, mes chers collègues, ils ont commis non pas un crime, mais un nombre de crimes important qui sera révélé en cas de procès.
Voilà pourquoi je viens de changer d’avis et voterai donc les amendements visant à rendre les crimes sexuels sur mineurs imprescriptibles.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous avons beaucoup de chance, au Sénat, de pouvoir avoir entre nous des débats de cette qualité.
L’enjeu n’est pas mince. Derrière la question que nous posons au sujet des agressions sexuelles contre les mineurs figure celle de l’imprescriptibilité pour d’autres crimes, et même si on peut trouver des raisons particulières de rendre le viol subi par un mineur imprescriptible, on pourrait certainement trouver aussi d’autres raisons particulières de rendre l’assassinat d’enfants imprescriptible…
Mme Catherine Deroche. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Grand. Il faut le faire !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. …, le crime terroriste de masse imprescriptible, avec l’idée que la traque des auteurs de ces crimes tellement horribles ne doit jamais prendre fin.
L’idée est noble, assurément. Mais vouloir modifier les règles de prescription pour une catégorie de crimes, si horribles soient-ils, sans toucher aux autres, serait prendre le risque de ne pas légiférer avec une vision d’ensemble. (Mme Françoise Gatel opine.) Ce serait aussi ouvrir une brèche dans le régime de la prescription, que nous venons à peine de réformer en profondeur, comme l’a rappelé François-Noël Buffet, rapporteur de la loi du 27 février 2017.
Or il existe un autre moyen de prendre en compte l’amnésie post-traumatique que de rendre le viol commis sur la personne d’un mineur imprescriptible : c’est vous-même, monsieur Buffet, qui nous l’avez suggéré en commission la semaine dernière et qui le faites de nouveau cet après-midi, à travers l’amendement n° 10 rectifié quinquies, qui sera examiné dans quelques instants.
Il s’agit de faciliter la suspension du délai de prescription, sur avis et expertise médicaux, quand la victime a enfoui au plus profond d’elle-même, au point de ne plus en être consciente, l’agression sexuelle qu’elle a subie. Si le médecin commis par le tribunal constate ce phénomène, la victime pourra à tout moment, quelle que soit la durée de prescription, obtenir l’examen de son recours.
M. le président. Merci de conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je vous demande la permission de terminer ma démonstration ; si je dois me rasseoir, je vous redemanderai la parole, et, en vertu de notre règlement, vous serez obligé de me la donner… Comme j’ai presque fini, je vais aller jusqu’au bout de mon propos – si vous le permettez. (Sourires.)
Au bénéfice de l’amendement que vous allez présenter dans quelques instants, monsieur Buffet, je ne vous demande pas de retirer l’amendement n° 9 rectifié quinquies, mais je demande à nos collègues de ne pas le voter.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. Mes chers collègues, je suis très troublé… Plus le débat avance, plus j’oscille entre les arguments des uns et des autres !
L’imprescriptibilité s’applique donc aux crimes contre l’humanité. Mais y a-t-il un plus grand crime que de violer ? Violer une femme, celle qui donne l’humanité, n’est-ce pas commettre un crime contre l’humanité ? Faites disparaître les femmes, il n’y aura plus d’humanité !
Mes chers collègues, je vous le demande encore : peut-il y avoir un crime plus grand que le viol d’une femme ou d’un enfant ? Fort de cette réflexion, je ne crois pas pouvoir soutenir des règles de prescription amoindries. On parle aujourd’hui de trente ans ; souhaitons que, dans peu de temps, le délai soit porté à cinquante, puis soixante ans. Je voterai donc les amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié septies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 14 |
Contre | 326 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Mme Esther Benbassa et M. Loïc Hervé applaudissent.)
Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 9 rectifié quinquies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 19 |
Contre | 319 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 8 rectifié sexies.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Madame Boulay-Espéronnier, à la suite de nos débats, il nous semble parfaitement évident que la première nécessité est de libérer la parole des victimes et de les amener à porter plainte le plus tôt possible. Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement n° 8 rectifié sexies.
M. le président. Madame Boulay-Espéronnier, l’amendement n° 8 rectifié sexies est-il maintenu ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Sensible aux arguments présentés par Mme la rapporteur et à ceux de M. le président de la commission des lois, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié sexies est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié quinquies, présenté par MM. Buffet et Allizard, Mme Berthet, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Chaize, Chatillon et Dallier, Mme L. Darcos, M. Daubresse, Mmes de Cidrac, Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Forissier, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Houpert et Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Lherbier, MM. Milon et Piednoir, Mme Puissat, MM. Rapin et Savin, Mme Troendlé et MM. Vial et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 706-48 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une telle expertise peut également être ordonnée pour apprécier l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, en application de l’article 9-3 du code de procédure pénale. »
La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Voici donc l’amendement qui devrait, en principe, recueillir un avis favorable.
Nous proposons que l’amnésie traumatique soit reconnue comme un obstacle insurmontable, au sens de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Depuis longtemps, cet élément de droit est reconnu par la jurisprudence comme suspensif de prescription. Ce principe a trouvé sa consécration légale dans la loi du 27 février 2017.
Il est important de permettre aux magistrats qui instruiront un dossier de viol contre un mineur de s’entourer des médecins et experts compétents, seuls capables d’établir l’existence ou l’absence d’amnésie traumatique. Dès lors que celle-ci aura été médicalement constatée – il y a de nombreux éléments pour le faire –, le délai de prescription sera suspendu, ce qui permettra à la victime de déposer valablement plainte et de faire prospérer valablement sa cause.
L’imprescriptibilité n’ayant pas été retenue par la Haute Assemblée, la suspension de la prescription, après reconnaissance de l’amnésie traumatique par un collège de médecins, serait une avancée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. L’adoption de cet amendement facilitera la reconnaissance en justice des troubles psycho-traumatiques qui affectent la mémoire et peuvent véritablement constituer un obstacle insurmontable.
Comme le soulignent les auteurs de l’amendement, cette reconnaissance par la justice est déjà possible, depuis la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Toutefois, aucune application jurisprudentielle n’a encore été faite de ce principe. Il est vrai que la loi est un peu jeune, mais les justiciables doivent pouvoir se saisir de cette possibilité.
Il ne s’agit pas d’affirmer que tel ou tel phénomène est une amnésie traumatique : il faut laisser aux médecins le soin d’en décider, après quoi les magistrats jugeront.
L’adoption de cet amendement facilitera, je le répète, la reconnaissance du phénomène par la justice ; en particulier, elle permettra la prise en charge de l’expertise au titre des frais de justice.
La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Prévoir que l’expertise médico-psychologique de la victime puisse être ordonnée pour apprécier si des circonstances insurmontables telles que l’amnésie traumatique permettent de suspendre la prescription est un objectif intéressant, auquel le Gouvernement souscrit évidemment.
Néanmoins, il considère que le dispositif existant permet déjà aux magistrats d’interroger un expert, dans le cadre de l’expertise médico-psychologique d’une victime, sur la nature comme sur l’importance du préjudice, et, par voie de conséquence, sur une éventuelle amnésie traumatique ou tout autre traumatisme susceptible d’avoir entraîné des conséquences insurmontables.
Pour cette raison de forme, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le présent amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Comme Mme la rapporteur vient de l’expliquer, la loi prévoit, depuis peu, la possibilité de suspendre la prescription en cas d’obstacle insurmontable. De ce point de vue, elle est une transcription de l’arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 novembre 2014. Cette faculté existe donc déjà.
L’amendement n° 10 rectifié quinquies est en réalité un peu étrange, puisque ses auteurs proposent simplement qu’une expertise puisse être ordonnée, ce que l’article 706-48 du code de procédure pénale prévoit déjà, en cas de préjudice subi par un mineur.
Hormis une mention supplémentaire de la notion d’obstacle insupportable, l’amendement n’apporte donc rien d’un point de vue juridique : cette circonstance est déjà prévue, par la jurisprudence comme par la loi, et l’expertise est déjà prévue par le code de procédure pénale.
Nous ne voterons donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Puisque le Sénat n’a pas adopté l’imprescriptibilité, l’amendement proposé par notre collègue Buffet est une juste avancée. Son adoption évitera que les « prédateurs » ne récidivent – les auteurs d’agressions sexuelles sur mineur sont souvent des récidivistes.
Je voterai donc résolument cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié quinquies.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 75 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 117 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
Mes chers collègues, nous pouvons terminer l’examen de la proposition de loi sans avoir à suspendre, puis à reprendre la séance, mais, vous l’avez compris, cela dépend de vous…
Mme Esther Benbassa. Doux chantage !
Article 3
Après le premier alinéa de l’article 222-23 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La contrainte morale est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur incapable de discernement ou lorsqu’il existe une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits. »
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je vous écoute : je renonce à prendre la parole !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Notre collègue va faire école ! (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes de la Gontrie et Rossignol, MM. Kanner, J. Bigot et Sueur, Mmes Meunier, Monier, Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer le mot :
morale
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Comme je l’ai fait observer en commission, l’alinéa 1er de l’article 222-23 du code pénal vise la contrainte, et non la contrainte morale. Je ne vois donc pas pourquoi la notion de contrainte morale figure à l’article 3 de la proposition de loi. La contrainte peut être morale, mais aussi autre. Par souci de cohérence, je propose donc de supprimer le qualificatif « morale ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Avis défavorable. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union centriste.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La raison ?
Mme Laurence Rossignol. Peut-on savoir pourquoi ?
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. J’ai déjà eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale : les affaires jugées par le tribunal de Pontoise et la cour d’assises de Seine-et-Marne ont mis en évidence les difficultés liées à la qualification de viol. Elles ont également rappelé que, au regard du nombre considérable d’agressions sexuelles commises chaque année sur des enfants, trop peu faisaient l’objet de poursuites et de condamnations.
En effet, sur près de 25 000 plaintes ou signalements de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs recensés en 2017, on ne comptabilise que 400 condamnations pour viol, 2 000 pour agression sexuelle et un peu moins de 300 pour atteinte sexuelle. Ces chiffres très révélateurs doivent nous conduire à nous interroger.
En outre, si le droit doit être remis en question ici – il y va de notre responsabilité –, certains faits doivent tout de même être rappelés.
L’interdit pénal est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur, puisque toute relation sexuelle avec un enfant de moins de quinze ans est proscrite par la loi. Faut-il dès lors modifier la loi pour faciliter la qualification criminelle de viol ? Je le crois : les très nombreuses correctionnalisations de viols nous montrent que la définition de l’infraction n’est pas suffisamment opérante pour permettre une juste sanction. Bien sûr, le droit a évolué pour faire du viol un crime, mais le viol doit pouvoir être poursuivi comme tel, ce qui implique une modification de sa définition.
Avec l’article 3, on propose d’instaurer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur, et ce dans deux situations distinctes, en cas d’incapacité de discernement du mineur, d’une part, en cas d’existence d’une différence d’âge significative entre le majeur et le mineur, d’autre part. Cette solution est une piste qu’il convient d’explorer.
Toutefois, il me semble qu’une réflexion globale et approfondie devrait être conduite sur la question. C’est à la clarification de l’incrimination de viol qu’il faut tendre, celle qui concerne toutes les victimes majeures et mineures.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Nous allons nous abstenir sur cet article. Même s’il résulte d’une réflexion intéressante, aucune décision n’a été prise au sujet du seuil d’âge à retenir et, plus précisément, sur le fait de trancher entre treize ans et quinze ans. Cette problématique était d’ailleurs au cœur de la réflexion menée par le groupe de travail.
Les défenseurs de la présomption de contrainte mettent en avant le fait que tous les mineurs, même celles et ceux qui sont âgés de seize ans, seraient ainsi mieux protégés. J’ai bien entendu. Personnellement, je trouve que la définition proposée, laquelle repose sur les notions de discernement et de différence d’âge significative, nous fait entrer dans un champ qui me semble subjectif. Selon la juridiction où se tient le procès, les peines pourraient être différentes. Est-ce satisfaisant pour des crimes à l’encontre de mineurs ? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, la question que l’on ne veut pas trancher ici, à savoir le seuil d’âge, se reposera de la même façon pour la différence d’âge : à partir de quand est-elle « significative » ? En octobre dernier, j’ai déposé avec l’appui de l’ensemble de mon groupe une proposition de loi visant à renforcer la définition des agressions sexuelles et du viol commis sur des mineur-e-s de moins de quinze ans. Or je vois bien les débats que ce sujet suscite, sans compter ceux d’entre nous dont l’opinion chemine au fur et à mesure de la discussion.
Le Gouvernement lui-même, alors qu’il a beaucoup communiqué sur le sujet depuis plusieurs mois, semble avoir fini par y renoncer, madame la secrétaire d’État ! (Mme la secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) Si ce n’est pas le cas, je serais très heureuse de vous entendre !
Selon moi, le débat a mûri au fil du temps et un consensus sur un seuil d’âge aurait pu être trouvé. En effet, le principal me paraît être d’envoyer un signal fort en faveur de la protection des mineurs, c’est-à-dire des enfants, je vous le rappelle, mes chers collègues.
Pour toutes ces raisons, l’article 3 n’est pas satisfaisant. Il comporte des notions floues et difficilement applicables. Ces questions sont sensibles et délicates, mais il n’existe apparemment pas de solution idéale. En tant que législateur, nous devons tenir compte du droit existant et de notre capacité à le faire évoluer pour une meilleure protection des mineurs. Je le dis aujourd’hui, mais je le redirai évidemment au moment de l’examen de votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, projet de loi qui, compte tenu des données dont je dispose, me semble toujours insatisfaisant pour le moment.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Nous voterons l’article 3. Le débat d’aujourd’hui, comme celui qui s’est tenu en commission et au sein du groupe de travail ou celui qui a lieu au sein de la société, à la fois autour de cette proposition de loi et du projet de loi du Gouvernement, montre bien qu’il nous faut construire une fusée à plusieurs étages pour bien protéger les mineurs.
L’article 3 est l’un des étages de la fusée, étage important – il est essentiel de le souligner – qui crée une présomption de contrainte en cas de relation sexuelle entre un majeur et un mineur jusqu’à ses dix-huit ans.
Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, chacun connaît les effets pervers liés aux seuils : ce sont les mêmes, qu’il s’agisse du seuil pour pouvoir bénéficier d’allocations ou de celui qui donne droit à une protection. Prévoir une présomption simple pour des jeunes de moins de dix-huit ans permettra de protéger des mineurs qui, à quinze ans et demi par exemple, ne sont pas forcément tous matures et ne sont pas toujours capables de résister à une offre sexuelle à laquelle ils ne peuvent rien opposer d’autre qu’un état de sidération. C’est en effet bien souvent cet état de sidération qui explique leur passivité, comportement ensuite utilisé par les avocats de la défense pour démontrer qu’il y avait consentement de leur part. C’est de cela que nous ne voulons plus !
L’article 3 prévoit que cette présomption de contrainte s’appliquera selon deux critères alternatifs – il est important de le mentionner : le premier critère est l’écart d’âge significatif ; le second, la maturité. Si on se demande ce qu’est une différence d’âge significative, je réponds que, au Québec, cette notion existe et que c’est cinq ans !
Je le disais : nous voterons l’article 3. Pour autant, cet article ne constitue qu’un étage de la fusée. Le deuxième étage correspond à l’amendement que je défendrai dans un instant, et qui tend à établir un seuil d’âge de treize ans, en deçà duquel toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur est considérée comme un viol, puisque c’est bien de cela que l’on parle.
Je suis désolée, mes chers collègues : le sujet est complexe, compliqué à partager aussi, mais il est indispensable d’avoir en tête ces différents niveaux qui correspondent à des seuils de maturité différents. On sait qu’entre treize et seize ans les maturités divergent extrêmement d’un individu à l’autre. Il faut donc à la fois une protection collective et une prise en compte de la maturité propre à chaque individu.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article additionnel après l’article 3
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes de la Gontrie et Rossignol, MM. Kanner, J. Bigot et Sueur, Mmes Meunier, Monier, Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 222-23 du code pénal, il est inséré un article 222-23-… ainsi rédigé :
« Art. 222-23-… – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur un mineur de treize ans est un viol puni de vingt ans de réclusion criminelle. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à mettre un terme à une situation qui a semblé insupportable aussi bien à de nombreux parlementaires qu’à la société, je veux parler des discussions que l’on entend parfois dans les tribunaux quelle que soit leur nature, qu’il s’agisse de tribunaux correctionnels ou plus encore de cours d’assises, sur la possibilité qu’un enfant de onze ou douze ans ait été consentant à une relation sexuelle avec un majeur.
Ce débat sur l’éventuel consentement d’un enfant à une relation sexuelle avec un majeur n’est pas tolérable, n’est plus tolérable ! Pourtant, il suffit de regarder ce qui se passe dans les cours d’assises : l’argument le plus souvent utilisé par la défense consiste à expliquer que la jeune fille ou le jeune garçon – on parle de filles en matière de violences sexuelles, mais les garçons sont aussi concernés – a en fait manifesté son consentement. Notre amendement vise à faire en sorte que, en dessous de treize ans, il n’y ait pas de consentement possible ni même de discussion possible sur un tel consentement.
Que dire maintenant à propos de l’éventuelle inconstitutionnalité de notre amendement ? Je ne connais qu’un juge de la constitutionnalité : il s’agit du Conseil constitutionnel, et non du Conseil d’État ! La seule façon de savoir si une disposition est conforme ou non à la Constitution est de la soumettre à l’examen du Conseil constitutionnel, ce qui implique que la mesure soit adoptée par le Parlement.
Laissez-moi vous raconter une petite anecdote : il y a un an, je défendais ici même la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse aux sites internet – on aurait pu parler de fake news. Tout le monde avait prédit que le texte serait censuré par le Conseil constitutionnel. Je me suis dit à l’époque qu’il fallait courir le risque. Or le texte n’a pas été censuré ! Il faut donc éviter de trop anticiper les décisions rendues par le juge constitutionnel.
Nous ne proposons pas de présomption irréfragable : c’est la relation sexuelle qui est constitutive de l’infraction. Bien entendu – s’il faut le préciser, on le fera –, l’auteur de l’infraction pourra toujours arguer du fait qu’il a été trompé sur l’âge de la victime. Cela peut arriver quand, par exemple, une jeune fille présente une fausse carte d’identité dans une boîte de nuit. Dans ce cas, évidemment, l’auteur a été trompé. Toutefois, c’est la seule hypothèse dans laquelle on ne qualifierait pas de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur.
Cela étant, j’invite le Sénat à voter mon amendement, lequel parachèverait la proposition de loi dont nous discutons.