M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur. Effectivement, pour arriver progressivement à former 80 % de la population aux gestes de premiers secours, comme le Gouvernement s’y est engagé par arrêté du 30 mars 2017, il est important de commencer en milieu scolaire, dès la sixième. Il reste à mettre cet arrêté en œuvre.
En attendant, madame Schillinger, je suis obligé, par cohérence avec la position traditionnelle de la commission concernant les demandes de rapport, de donner un avis défavorable sur votre amendement. Néanmoins, votre question est très pertinente.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, je sais votre attachement à cette question primordiale de la formation. Vous voulez être sûre que nous formerons, mais c’est aussi le souhait du Président de la République, qui a fixé cet objectif de 80 % de la population formée aux gestes de premiers secours. L’atteinte de cet objectif passe avant tout par les écoliers, comme vous l’avez très justement dit.
Le plan « priorité prévention », annoncé par le Premier ministre en mars, reprend cet objectif, avec une mise en place dès la prochaine rentrée scolaire. Ce plan prévoit en même temps d’améliorer l’accès aux défibrillateurs.
Le Premier ministre s’est engagé à ce que la mise en œuvre du plan « priorité prévention » fasse l’objet d’un rapport annuel, à chaque date anniversaire. Ce rapport sera rendu public et transmis au Parlement, ce qui, je pense, répond à vos inquiétudes.
Je sollicite donc le retrait de votre amendement, faute de quoi j’y serai défavorable.
M. le président. Madame Schillinger, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Patricia Schillinger. Non, monsieur le président, puisqu’il s’agissait d’un amendement d’appel, mais je tiens à remercier M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État de leur réponse. La formation réclame de la répétition et de la constance. Il était aussi important pour moi de rappeler que les personnes porteuses de handicaps pouvaient faire les premiers gestes. Cela contribue à leur inclusion.
Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 5, présenté par M. Cabanel, est ainsi libellé :
Après l’article 3 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard un an après la publication de la présente loi un rapport relatif à la faisabilité de la mise en œuvre de drones défibrillateurs.
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Je tiens à saluer à mon tour le travail de notre collègue Jean-Pierre Decool en faveur d’un meilleur maillage de notre territoire par les défibrillateurs cardiaques et sa persévérance législative.
Je mesure l’enjeu de voter conforme un tel texte si l’on veut effectivement aboutir rapidement. Cela ne doit pas nous empêcher de débattre et de lancer quelques idées.
J’ai été sensibilisé aux enjeux de votre proposition de loi, grâce au relais d’une élue locale, par un enseignant en technologie du collège du Salagou, à Clermont-l’Hérault. Ce dernier apprend à ses élèves de quatrième comment localiser un défibrillateur et l’utiliser dans le cadre du module « gestes qui sauvent ».
Il m’a également fait savoir que la mise au point de drones défibrillateurs ouvrait de nouvelles perspectives. Alors que, en cas d’arrêt cardiaque, l’utilisation de défibrillateurs permet de sauver de nombreuses vies, ce qui a justifié la multiplication des points d’installation de ces appareils, ceux-ci sont encore difficilement accessibles, notamment lorsque les lieux où ils se trouvent sont fermés ou lorsque la victime se trouve en milieu rural, où une plus faible densité de population se cumule avec une plus faible densité d’équipement et un temps de trajet plus long pour les secours, comme l’a rappelé mon collège Bernard Jomier.
Le drone défibrillateur paraît être une solution séduisante, car il permettrait de surmonter les obstacles évoqués par sa rapidité de déplacement, son rayon d’action et sa disponibilité permanente. Cependant, il faut prendre en compte les questions concrètes que son déploiement poserait.
Cet amendement vise à ce que le Parlement soit informé de la faisabilité d’une telle évolution, notamment au regard des évolutions législatives et réglementaires, ainsi que des partenariats avec les développeurs, qui seront nécessaires.
Cette mise en œuvre pose en effet de nombreuses questions, notamment de coût. Certaines problématiques, communes avec celles des défibrillateurs fixes, n’ont pas encore trouvé de solution satisfaisante. C’est l’objet de la présente proposition de loi, avec, notamment, la mise en place d’une base de données nationale qui pourrait être utilisée par les applications pour smartphones.
Parmi les problématiques, il y a aussi le choix des lieux d’implantation. Dans le cas des drones défibrillateurs, ne faut-il pas plutôt raisonner en termes de maillage « géométrique » ? Mais alors, dans ce cas, qui a la responsabilité de l’installation et de l’entretien ?
J’espère que toutes ces questions trouveront un jour une réponse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur. En ce qui me concerne, j’ignorais l’existence des drones défibrillateurs. En tout cas, je tiens à féliciter l’enseignant de collège qui a sensibilisé les élèves aux gestes qui sauvent. La solution que vous évoquez est innovante, importante, et peut être utile dans certains cas. Il nous faudrait une étude sur la manière dont ces drones défibrillateurs peuvent être développés à l’avenir. Pour l’instant, je vous demanderai néanmoins de retirer votre amendement, faute de quoi j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette proposition intéressante. Le Gouvernement est attentif à toute solution technique innovante susceptible d’améliorer la prise en charge de la santé et la diffusion des gestes qui sauvent.
Pour autant, le rapport sur le plan « priorité prévention » permettra également de faire un point sur les solutions innovantes, sur un plan tant technologique qu’organisationnel, pour améliorer l’accessibilité des défibrillateurs.
Je pense qu’il n’est pas légitime de cibler une solution technique plus qu’une autre dans la loi, mais vous pouvez compter, en tout cas, sur notre sensibilisation à vos propositions. Peut-être pourrons-nous les étudier ensemble sur d’autres thématiques. Je vous propose donc de nous revoir.
Je voudrais aussi féliciter cet enseignant qui s’emploie à sensibiliser ses élèves à ces solutions technologiques innovantes.
Néanmoins, comme nous devons aller très vite dans la mise en place des défibrillateurs, je vous demande de retirer votre amendement, faute de quoi j’y serai défavorable.
M. le président. Monsieur Cabanel, l’amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Henri Cabanel. Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je transmettrai bien évidemment vos félicitations au professeur en question. D’ores et déjà, je vous invite à vous intéresser à un pays comme la Suède, qui est en train de mener des études sérieuses sur le drone défibrillateur. Cela pourra peut-être vous aider dans vos réflexions.
En attendant, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
Article 4
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais bien évidemment voter cette proposition de loi. Comme bien d’autres, ici, j’avais été sensibilisé par Alex Türk, voilà une dizaine d’années. J’avais alors fait installer cinq ou six défibrillateurs dans ma commune, mais là, nous allons passer à l’étape au-dessus. Avec un défibrillateur par ERP dans une commune de 24 000 habitants comme la mienne, je n’ai pas encore fait le compte, mais cela doit revenir à en installer trois, quatre ou cinq fois plus.
Nous allons donc imposer une contrainte budgétaire supplémentaire à nos communes.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Philippe Dallier. La question a été posée par notre collègue Laurence Cohen et par d’autres, mais nous n’avons pas vraiment eu de réponse. J’en conclus que les communes vont devoir assumer cette dépense supplémentaire. Je pense que les maires vont le faire, par esprit de responsabilité, mais je rappelle quand même que toutes nos communes sont sous contrainte budgétaire, avec l’interdiction d’augmenter les budgets de fonctionnement de plus de 1,2 % par an. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En l’occurrence, nous allons ajouter une contrainte obligatoire, qui viendra s’ajouter au bio à 50 % dans les cantines, etc. Mes chers collègues, je ne sais pas comment les maires vont pouvoir respecter à la fois ces contraintes et ce que la loi leur impose en matière d’évolution de leurs dépenses.
Je voulais que cela soit dit ici, au Sénat, puisque nous représentons les collectivités locales. Malgré tout, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Alain Fouché. Moins de morts, ça ne compte pas ?
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour explication de vote.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, à l’instar de mes collègues, bien évidemment, je vais soutenir ce texte, pour lequel j’ai un intérêt particulier, puisque, comme nombre d’entre vous, j’ai, grâce à ma réserve parlementaire, financé beaucoup de défibrillateurs depuis une dizaine d’années. C’est grâce à ma collègue Sylvie Desmarescaux, qui m’avait soufflé l’idée, que j’ai entrepris cette démarche dès mon premier mandat. Ce sont près de 400 ou 500 défibrillateurs qui tournent aujourd’hui dans l’Ain.
Il n’empêche que, comme l’a souligné notre collègue Philippe Dallier, le financement reste quand même problématique, puisqu’un défibrillateur extérieur, c’est-à-dire un défibrillateur que l’on va poser à l’extérieur, dans la rue, sur une façade de pharmacie ou de mairie, c’est entre 2 500 euros et 3 000 euros, s’il n’est pas connecté. Vous voyez un peu les sommes que cela représente pour de petites communes rurales. Or j’entends bien que celles-ci soient également équipées, au même titre que les grandes collectivités.
C’est la raison pour laquelle je m’interroge moi aussi sur le financement. À cet égard, j’aurais aimé avoir une réponse beaucoup plus précise de la part de Mme la secrétaire d’État. J’espère cependant que les communes seront aidées.
Force est tout de même de constater que la réserve parlementaire rendait bien service, même si beaucoup l’ont critiquée. C’était une somme de près de 1,1 million d’euros dans le département de l’Ain, pour l’ensemble des huit parlementaires, que nos collectivités se partageaient pour de l’investissement. (Mme Marta de Cidrac applaudit.) Quid de ces sommes considérables aujourd’hui ?
Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous avez quelques noisettes cachées dans les tiroirs (Rires.) qui permettront de financer ces défibrillateurs.
Je voudrais enfin revenir sur l’amendement qu’a déposé ma collègue Patricia Schillinger. Vous avez raison, ma chère collègue, la formation demeure primordiale. Le drame, dans nos départements, c’est que l’on se rend compte, lorsqu’on les questionne, que les enseignants eux-mêmes ne sont pas formés. Il faudrait donc commencer par là.
Des interrogations demeurent entières, madame la secrétaire d’État. Pour autant, je pense ne pas trahir l’esprit de mes collègues en disant que nous allons tous voter ce texte. Il y a en effet urgence : je rappelle qu’il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en août 2016, voilà deux ans.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Dans le sillage de notre collègue Philippe Dallier, je souligne à mon tour que nous n’avons effectivement pas obtenu de réponse du Gouvernement. En revanche, nous avons entendu de la part de Mme la secrétaire d’État, et je l’en remercie, des propos répétés et fermes selon lesquels le Gouvernement souhaitait aller vite sur cette question.
À mes yeux, en matière publique, on ne peut pas s’exonérer de l’adage en vertu duquel celui qui paie fait la musique, donc on ne peut pas voter une loi où l’État fait la musique, tandis que les autres paient.
Madame la secrétaire d’État, j’ai une proposition à vous faire : plutôt que de tenir pour acquis que les maires vont nécessairement payer, donnons-nous rendez-vous à l’automne pour l’examen de la mission « Santé » du projet de loi de finances.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Bernard Jomier. Il s’agit bien d’une mission de santé de l’État, puisque cela a été défendu encore à l’instant par le Gouvernement. Nous porterons ensemble un amendement permettant de financer cette nouvelle dépense dans ce cadre-là. (Applaudissements.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bonne idée !
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi attendre l’automne ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans la continuité du point soulevé par Philippe Dallier, je voudrais vous faire observer que nous avons une influence sur les préfets…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Si peu !
M. Arnaud de Belenet. S’agissant de petites sommes demandées par les collectivités au titre de la DETR, ils flèchent prioritairement les crédits d’investissement vers les sujets de santé publique, lorsque nous prenons la peine de leur demander, car ils y sont sensibles. (Exclamations.)
Or il se trouve que la loi de finances pour 2018 que nous avons adoptée a considérablement renforcé ces crédits de DETR.
M. Jackie Pierre. Elle est déjà consommée !
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Pour toutes les raisons qui ont été évoquées, je ne voterai pas ce texte, car il importe d’envoyer un message au Gouvernement. J’entends bien la proposition qui vient d’être faite par l’un de nos collègues de déposer un amendement au prochain projet de loi de finances, mais le Gouvernement ne donne aujourd’hui aucune garantie qu’il retiendra cette proposition. On ajoute et on rajoute depuis des mois des dépenses budgétaires importantes pour les collectivités. Dans un avenir proche, il y aura le bio dans les cantines scolaires. Dans le même temps, on baisse les dotations et on supprime les emplois aidés.
Mme Patricia Schillinger. Vous financez bien des clubs de football qui ne rapportent rien !
M. Michel Savin. À un moment, il faut dire « stop ». À titre personnel, je le répète, je ne voterai pas ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
4
Utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, présentée par M. Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues (proposition n° 337, texte de la commission n° 536, rapport n° 535).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Decool, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Decool, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je dispose comme vous, très certainement, de quelques années de vie publique derrière moi, et j’observe à quel point les mentalités, les états d’esprit ont évolué.
Je me souviens que, dans les années quatre-vingt, lorsque nous évoquions les problèmes des quartiers difficiles, de l’économie souterraine, des zones de non-droit, nous nous faisions traiter de « sécuritaires ». Que d’inepties essuyées !
Pourtant, il suffisait de rappeler la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle affirme, dans son article II, le droit à la sûreté et proclame, dans son article XII, que « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique ». La sécurité n’est donc pas une nouveauté du XXIe siècle…
Avec les années, les problèmes d’insécurité ont évolué et les remèdes trouvent partiellement leur source dans le progrès des nouvelles technologies.
C’est ainsi que des dispositifs de caméras de vidéosurveillance, appelée pudiquement vidéoprotection – vous apprécierez la nuance sémantique –, ont été installés dans de nombreuses villes pour témoigner d’agressions, de vols sur la voie publique, avec les résultats que l’on connaît, pour servir les enquêtes et la recherche de la vérité.
Puis la nature de l’insécurité a changé. Ce ne sont plus seulement les citoyens qui en sont victimes, mais les forces de sécurité, cette force publique qui peut être physiquement agressée, mais aussi juridiquement accusée d’insulter, de porter des coups, voire de violer lors de contrôles de police ordinaires ou lors de transports de prisonniers. Et les plaintes contre les autorités se multiplient.
La police protectrice doit se protéger !
Les agents des services pénitentiaires doivent se justifier !
Les sapeurs-pompiers bénévoles ou professionnels, qui n’appartiennent pas aux forces de sécurité, doivent prévenir les éventuels dérapages, et le mot est modéré. La violente agression des pompiers en décembre 2017 à Wattrelos, dans le Nord, reste dans les mémoires. Une quinzaine d’individus agressèrent avec une violence inouïe, à l’aide de marteaux, des sapeurs-pompiers. Ces derniers étaient venus secourir ceux-là mêmes qui auraient pu être des proches des agresseurs.
Nous pouvons regretter, une fois de plus, que la technologie doive se substituer à la parole, à la confiance, au bon sens des hommes et des femmes, mais c’est ainsi. La société a changé et nous devons nous adapter.
Certains vont y voir une atteinte aux libertés publiques et d’autres une garantie de la sécurité. Les deux concepts ne sont pas incompatibles, et nous devons tenir compte des impératifs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
Quel est donc l’intérêt de ce dispositif de caméras mobiles ?
Je veux être très pragmatique, très concret, en privilégiant l’efficacité sur l’idéologie, sur les partis pris.
Depuis 2012, les caméras mobiles sont expérimentées par les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale dans certaines zones de sécurité prioritaire afin de garantir les conditions légales des interventions. Puis, en 2016, la loi du 22 mars relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, modifiée par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, a créé un dispositif spécifique pour l’enregistrement audiovisuel des interventions des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Enfin, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale et son décret d’application du 23 décembre 2016 ont prévu un dispositif d’expérimentation pour les agents de la police municipale dans le cadre de leurs interventions.
Ce dispositif avait pour objectif de mener une expérimentation de deux ans se déroulant du 3 juin 2016 au 3 juin 2018, c’est-à-dire il y a tout juste dix jours. D’après le rapport d’évaluation qui nous a été transmis, 391 communes ont participé à l’expérience, donnant lieu à l’utilisation de 2 325 caméras.
À Quiévrechain, dans le Nord, territoire que je connais bien, un de nos plus jeunes maires, Pierre Griner, a équipé ses cinq agents de police municipale de ces caméras. Les témoignages des intéressés expriment, sans hésitation, une sorte de cri du cœur, que je traduis en ces termes : « Ne nous retirez pas nos caméras ! »
Certains affirment qu’elles devraient même être obligatoires. Pourquoi ? Quelles sont les raisons profondes d’une telle détermination ?
La police ne ressent plus ce lien de confiance qui devrait être naturel.
L’assermentation ? Un concept qui ne signifie plus grand-chose aux yeux de ceux qui sont considérés comme devant en bénéficier. Les personnels de sécurité n’y accordent plus de force, car ils se sentent avant tout fautifs, parfois soupçonnés. Les assermentés doivent toujours rendre des comptes et se justifier. C’est triste et ce n’est pas dans cette enceinte que nous en chercherons les origines.
Alors, heureuse caméra, qui dispose, dès lors, de trois qualités !
Toute parole ou tout geste à l’encontre des personnels de sécurité peuvent désormais être filmés. S’ils ont été victimes de violences, le doute n’est plus permis. Autant la parole peut être remise en cause, autant l’image vidéo ne peut pas être contestée. Elle est authentique et parle mille fois plus qu’un témoignage écrit, qui ne frappe pas. L’image a une force dont ne dispose pas la phrase.
La caméra exerce ensuite un véritable effet dissuasif : l’auteur d’une contestation exprimée avec plus ou moins de violence verbale ou gestuelle, à l’issue d’un contrôle, sait qu’il est filmé. Il aura tendance à s’incliner et à ne plus chercher la provocation. Il sait que la preuve de la vidéo ne lui permettra pas de contester les conditions de son interpellation.
Enfin, et c’est le troisième intérêt du système, l’agent n’est pas obligé de déclencher la caméra. C’est en fonction du caractère plus ou moins tendu de l’intervention qu’il apprécie la nécessité ou non de déclencher le système. Un policier me rappelait que, si les caméras de télévision peuvent créer des réactions violentes, les caméras mobiles ont visiblement un réel caractère dissuasif.
Alors, pour une fois que quelque chose fonctionne, tentons de l’utiliser et de l’étendre à d’autres professionnels, tels que les sapeurs-pompiers et les personnels pénitentiaires, et ce dans les règles fixées par les textes relatifs à la protection des données personnelles : les images ne sont pas conservées au-delà de six mois et seul le responsable du système a accès au dispositif.
Mes chers collègues, pardon pour ce catalogue de textes et d’expériences vécues.
La genèse de cette proposition est simple : des maires de mon département du Nord, et d’autres, souhaitaient équiper les pompiers de caméras-piétons. Ils ne se heurtaient pas vraiment à un vide juridique, mais plutôt à un flou juridique, qui les dissuadait de se lancer dans l’expérience.
Cette proposition de loi a donc pour objectif de lever les doutes, de clarifier cette zone d’ombre en étendant l’usage de ces caméras à ces nouvelles catégories. Il s’agit non pas de les faire bénéficier du retentissement médiatique, mais de leur ouvrir le dispositif d’encadrement dont les policiers municipaux disposent.
C’est la raison pour laquelle la commission a opportunément, me semble-t-il, précisé par amendement la nature des interventions pour les pompiers : le dispositif est possible lorsque se « produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique ou celle d’un tiers », ce qui exclut naturellement le dispositif pour les interventions de nature médicale.
Il en est de même pour les services pénitentiaires, qui pourraient disposer d’un régime spécifique d’utilisation de ces caméras.
Enfin, je suis satisfait de constater qu’un article du texte de la commission permet de prolonger l’usage des caméras pour la police municipale.
Certains élus qui ont lancé cette expérimentation, prévue jusqu’au 3 juin dernier, je le rappelle, ne souhaitent pas interrompre le processus en attendant le vote du présent texte.
Il serait opportun, madame la ministre, que vous clarifiiez juridiquement le régime de ces expérimentations pour les mois à venir, c’est-à-dire au lendemain du 3 juin, afin de rassurer les maires et les personnels concernés. Ont-ils l’autorisation de continuer à filmer, alors que l’on sait que le temps législatif, démocratique, est parfois long, et qu’il faudra transmettre cette proposition de loi à l’Assemblée nationale dans le cadre de la navette parlementaire ?
Laissons les expériences se prolonger et attendons leurs bilans pour éventuellement réajuster le cadre juridique.
Pour conclure, il me semble que ce dispositif, qui n’est pas la solution miracle – nous en avons conscience –, permet à la fois de protéger le représentant de l’ordre, comme la personne qui aurait pu être abusée. L’équilibre entre liberté et sécurité est trouvé, ce qui répond aux préoccupations de la population, des forces de sécurité et des élus.
Je remercie ici mes collègues Dany Wattebled, rapporteur, et Philippe Bas, président de la commission des lois, de l’attention portée à cette problématique lors des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Patrick Kanner applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dany Wattebled, rapporteur de la commission des lois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’ils incarnent l’autorité de l’État, les agents publics sont de plus en plus victimes d’insultes, d’outrages, voire d’agressions dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Depuis plusieurs années, le nombre d’agressions de policiers et de gendarmes ne cesse d’augmenter, atteignant des niveaux préoccupants. En 2016, 687 policiers ont été blessés par arme en mission et 1 984 gendarmes ont fait l’objet d’une agression. Outre leur nombre, c’est également la violence de ces agressions qui inquiète. Tout le monde ici se souvient de l’agression effroyable d’un groupe de policiers à Viry-Châtillon en 2016.
Les forces de sécurité intérieure ne sont toutefois pas les seules concernées par cette montée de violence. Alors même qu’ils assurent des missions de secours à personne, les sapeurs-pompiers sont également soumis à une agressivité croissante dans le cadre de leurs interventions. En 2016, 2 280 d’entre eux ont déclaré avoir été victimes d’une agression, soit une augmentation de 18 % par rapport à l’année précédente.
Les agressions physiques commises à l’encontre des personnels pénitentiaires sont également en hausse : plus de 4 000 surveillants sont blessés chaque année dans le cadre de leurs missions. Il faut ajouter à ce chiffre les quelque 12 000 agressions verbales dont ils sont victimes.
Face à ces actes intolérables, le législateur n’est pas resté inactif.
Récemment, la répression des actes commis à l’encontre des agents publics a été renforcée. Depuis 2017, les peines encourues pour outrage à personne détentrice de l’autorité publique ont ainsi été augmentées et alignées sur celles encourues pour les outrages à magistrat.
Des initiatives ont également été prises en matière préventive. Parmi celles-ci figure la mise en place des caméras mobiles, plus communément appelées « caméras-piétons ».
Ces caméras mobiles ont été initialement mises en œuvre à compter de 2013, et uniquement à titre expérimental, au bénéfice des agents de la police nationale. Elles ont été pérennisées pour l’ensemble des policiers et des gendarmes en 2016. Une expérimentation a été lancée, la même année, pour les agents de police municipale et les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
L’objectif de ces caméras est double. Il s’agit, d’abord, de mieux protéger les agents contre les accusations parfois excessives dont ils font l’objet. En cas de contentieux ou de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée une intervention, les enregistrements vidéo constituent des éléments de preuve objectifs, susceptibles d’être utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Il s’agit, ensuite, face à la dégradation des relations entre les forces de l’ordre et une partie de la population, d’inciter les uns et les autres à une plus grande modération. Or l’usage de l’enregistrement audiovisuel est apparu comme un moyen d’apaiser les tensions.
Dans les faits, le recours aux caméras mobiles a démontré toute son utilité. L’effet modérateur sur le terrain a effectivement été ressenti. Le simple port d’une caméra par les agents a eu un effet dissuasif et parfois permis d’apaiser des situations tendues.
La proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Decool, qu’il nous revient aujourd’hui d’examiner, vise à étendre l’usage de ces caméras mobiles à d’autres catégories d’agents de sécurité dont les conditions d’intervention se dégradent chaque jour.
La commission des lois a validé, sur le principe, l’extension proposée à ces deux catégories d’agents. La protection de nos agents publics est devenue une nécessité. Les violences commises à leur égard constituent en effet une atteinte à notre République, ce que nous ne pouvons tolérer !
Notre commission a toutefois estimé nécessaire d’apporter plusieurs modifications à la proposition de loi, avec deux objectifs : d’une part, assurer la proportionnalité des dispositifs proposés et garantir le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, adapter les dispositifs proposés aux besoins du terrain.
L’extension de l’usage des caméras mobiles aux sapeurs-pompiers n’allait pas de soi. Pour la première fois, en effet, l’usage de ces caméras serait étendu à des agents qui ne remplissent pas une mission de sécurité publique. Et nous nous sommes interrogés sur le point de savoir si l’atteinte au droit au respect de la vie privée est, dans ce cas, réellement proportionnée.
Parce que les sapeurs-pompiers incarnent, malgré tout, l’autorité publique, surtout celle de l’État, et parce qu’ils font l’objet d’agressions de plus en plus violentes, la commission des lois a estimé qu’une telle extension était possible, mais à condition de l’entourer de garanties suffisantes.
Elle a donc réécrit l’article 1er de la proposition de loi afin de définir un cadre plus précis et plus protecteur.
Le nouvel article retenu restreint, tout d’abord, l’usage des caméras individuelles aux seuls cas où « se produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique ».
Il exclut, ensuite, la possibilité pour les sapeurs-pompiers de recourir aux caméras individuelles à l’occasion d’interventions à caractère médical, de manière à assurer le respect du secret médical.
Compte tenu des délais de lancement d’une telle expérimentation, notamment liés à la nécessité de passer des marchés publics pour l’acquisition des équipements, la durée de l’expérimentation sera allongée de deux ans à trois ans. Un rapport devrait également être remis par le Gouvernement au Parlement au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation.
Enfin, la rédaction adoptée par la commission prévoit que le décret d’application de l’article sera non seulement pris en Conseil d’État, mais qu’il interviendra aussi après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
En ce qui concerne les surveillants pénitentiaires, la commission des lois ne s’est pas contentée de valider le dispositif proposé, elle l’a également étendu. Bien entendu, il ne s’agit pas d’étendre l’usage de ces caméras à tous les surveillants ni à toutes les missions qu’ils remplissent. Toutefois, l’usage des caméras mobiles pourrait se révéler utile dans le cadre des missions qui présentent un risque particulier d’incident ou d’évasion, soit en raison de leur nature – je pense, par exemple, aux missions des équipes régionales d’intervention et de sécurité appelées en cas de crise – soit en raison du niveau de dangerosité des détenus concernés – détenus violents ou radicalisés, notamment.
Il m’a d’ailleurs été rapporté que l’administration pénitentiaire avait déjà recours à des caméras mobiles. L’extension a donc, à tout le moins, le mérite de donner un cadre à ces pratiques !
En contrepartie de cette extension du champ de l’article 2, la commission des lois a estimé préférable de rendre le dispositif expérimental pour une durée de trois ans.
De plus, la commission des lois a souhaité profiter de cette proposition de loi pour pérenniser l’usage des caméras mobiles par les polices municipales.
L’expérimentation, lancée en 2016, a bien pris fin le 3 juin 2018, sans que le Gouvernement ait transmis le rapport d’évaluation dans les délais impartis. Nous nous trouvons désormais dans une situation de vide juridique, qui fragilise l’usage de ces caméras par les communes.
Cette situation, madame la ministre, nous la déplorons fortement, car elle place aujourd’hui les communes dans une position pour le moins complexe. Nous sommes chaque jour confrontés, sur le terrain, à des maires qui s’inquiètent de l’avenir de ce dispositif !
Vos services ont bien voulu me transmettre un rapport d’évaluation provisoire de cette expérimentation. Ce rapport dresse un bilan très positif de l’expérimentation conduite. Au total, 344 communes ont demandé à pouvoir se doter de ces caméras et 2 106 caméras ont été déployées. Le caractère dissuasif du port des caméras par les policiers municipaux, comme pour les forces de l’État, a été salué par la plupart des communes concernées.
Face à ce bilan positif, la commission des lois a décidé de compléter la proposition de loi afin de pérenniser le dispositif.
Nous espérons désormais, madame la ministre, que cette proposition de loi fera rapidement l’objet d’une discussion à l’Assemblée nationale pour que la situation des communes soit sécurisée aussi tôt que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)