Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mmes Jacky Deromedi, Françoise Gatel.
2. Immigration, droit d’asile et intégration. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 171, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.
3. Questions d’actualité au Gouvernement
négligence de l’état envers les collectivités
M. Benoît Huré ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Benoît Huré.
Avenir des pensions de réversion
M. Jean-Claude Luche ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Michel Amiel ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Véronique Guillotin ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
SITUATION DES HÔPITAUX EN GUYANE ET EN MÉTROPOLE
Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
présidence de la république et laïcité
M. Alain Duran ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Emmanuel Capus ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Christine Lavarde ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Christine Lavarde.
agence européenne des réfugiés
M. André Gattolin ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Hugues Saury ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Hugues Saury.
M. Jean-Michel Houllegatte ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
4. Mise au point au sujet de votes
5. Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 41 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 533 rectifié bis de M. Henri Cabanel. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
6. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018
Suspension et reprise de la séance
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
Mme Nathalie Loiseau, ministre
Mme Nathalie Goulet ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. André Reichardt ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean-Pierre Decool ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Pascale Gruny ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Christine Prunaud ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. René Danesi ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Claude Raynal ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Marc Laménie ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Patrice Joly ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi,
Mme Françoise Gatel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pourquoi ce projet de loi ? Pourquoi, madame la ministre, nous avoir présenté ce texte ? Après une semaine de débat ici, nous ne comprenons toujours pas votre objectif.
Vous affichez, dans vos discours et vos écrits, votre volonté de maîtriser l’immigration, d’améliorer le droit d’asile et de réussir l’intégration. Très bien !
Nous vous avons écoutée pendant une semaine, vous-même ou M. Collomb, et nous ne comprenons toujours pas ce qui correspond à vos objectifs dans votre projet de loi.
Ce texte est même contre-productif à plusieurs titres : d’abord, à cause de l’amalgame, détestable, entre asile et immigration irrégulière,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Patrick Kanner. … ensuite, parce que cette loi veut être un épouvantail dissuasif, qui n’aborde pas la seule vraie question : celle des moyens humains et financiers, renforcés lors du précédent quinquennat.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Patrick Kanner. Maîtriser l’immigration ? Vous savez, comme nous tous ici, que la maîtrise de l’immigration est d’abord une problématique européenne qui ne se réglera qu’au niveau européen. Le Président de la République ne dit pas autre chose.
Comment la France seule pourrait-elle se prévaloir de maîtriser l’immigration, alors même qu’elle n’est que rarement le pays d’entrée en Europe ? La polémique récente avec nos voisins italiens a bien rappelé ce problème de l’inégalité européenne face au flux de migrants.
Oui, notre continent subit depuis près de cinq ans la plus grande crise migratoire connue en Europe depuis les déplacements de populations consécutifs à la Seconde Guerre mondiale. Ce constat avait été fait dès l’été 2014 par le ministre de l’intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, qui fit alors une tournée d’Europe pour que des mesures soient prises. L’Europe a tardé avant d’adopter un mécanisme de répartition, de renforcer FRONTEX ou encore de créer des points d’accueil. Nous avons été fiers de défendre cette action de la France auprès de ses voisins.
Le ministre d’État Gérard Collomb a mis en garde, ici même, et à juste titre, le 20 juin dernier : « L’Europe peut se démanteler sur les problèmes migratoires. » Votre responsabilité n’est alors pas d’aggraver la situation avec une loi contestable et isolationniste, mais de faire vivre la solidarité européenne, madame la ministre. L’échec de la rencontre de Bruxelles de ce week-end a encore montré toute la difficulté de ce défi. Aujourd’hui, c’est n’est plus un défi, c’est une impasse.
Alors, améliorer le droit d’asile, le deuxième grand thème de votre loi ? Comment pouvez-vous considérer que le droit d’asile sera amélioré en contraignant le délai de la demande et les conditions d’examen de cette dernière ? Vous ne réussirez avec vos mesures qu’à affaiblir l’accueil des demandeurs d’asile. La situation humanitaire de ces personnes s’aggravera de fait encore, puisque beaucoup ne pourront plus défendre leur demande dans de bonnes conditions.
L’objectif d’accélérer l’examen des demandes est louable ; nous l’avons nous-mêmes porté lors du dernier quinquennat et vous l’aviez d’ailleurs soutenu à l’époque, avec Gérard Collomb. Et cet objectif a été rempli par la loi de 2015, qui n’est de pleine application que depuis trois ans. Pourquoi encore changer ces règles, sans évaluation de la précédente loi, et en intervenant cette fois sur les conditions même de la demande ?
Et, là encore, il y a derrière cette problématique un sujet européen. La loi de 2015 est sans doute allée au bout de ce que nous pouvions faire en termes de pays d’accueil concernant l’asile. Le droit d’asile européen est à ce stade une pure fiction, laquelle se heurte aux égoïsmes qui sentent l’odeur du nationalisme exacerbé. Le dispositif de Dublin est mieux que rien, mais aussi peut-être pire que tout. Nous avons proposé, avec Jean-Yves Leconte, notre chef de file sur ce texte que je remercie, un amendement sur le sujet. Il a été rejeté. Encore une occasion manquée…
Troisième grand sujet, réussir l’intégration. Nous arrivons là au volet qui devait « équilibrer » votre projet de loi, en permettant l’intégration de ceux qui sont arrivés ces dernières années, alors que le flux commence à diminuer. Seulement, vous avez oublié un élément : quand il s’agit de principes fondamentaux de notre droit, il ne peut être question d’équilibre.
On ne peut pas pondérer une remise en cause de nos valeurs et principes. Rien ne peut avoir suffisamment de poids pour équilibrer la balance quand, par ailleurs, vous en détraquez le mécanisme. Nous en sommes là, avec votre projet de loi. Nous prenons acte de certaines mesures, supprimées ou dénaturées par la droite sénatoriale. Mais jamais elles ne pèseront suffisamment pour que nous abandonnions les principes que nous défendons avec constance, en premier lieu desquels l’accueil digne et le droit d’asile.
Alors, madame la ministre, nous ne comprenons pas le sens de votre loi, ou plutôt nous en avons bien compris la visée, le message. Cette loi n’est pas une loi de fermeté, c’est une loi de fermeture ! Vous faites écho, avec votre texte, à la tendance du repli et du court-termisme. J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : notre pays, par son histoire et par ce qu’il représente dans le monde, n’aura jamais l’image que vous cherchez à lui donner avec cette loi.
C’est bien mal connaître les motivations des migrants et des réfugiés de penser qu’ils renonceront à venir en Europe ou en France du fait d’une simple loi. La conséquence de tout cela est simple : ils continueront à venir, mais ils seront moins bien accueillis et la situation humanitaire s’aggravera encore.
Vous aurez au moins réussi une chose avec ce texte, qui n’est qu’une loi d’affichage politique : à libérer les plus tristes passions anti-étrangers sur certaines travées parlementaires. Vous aurez permis la surenchère. La majorité sénatoriale – la droite de notre hémicycle – a embrayé, malgré sa faible mobilisation lors du débat, dans votre course à la fermeture du pays. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Elle a encore aggravé les mesures contenues dans votre texte sur la rétention et le droit d’asile. Elle a aussi réduit les possibilités d’étude en France des étrangers, un bond de dix ans en arrière, indigne de notre pays et incohérent avec les objectifs d’excellence universitaire.
Monsieur le rapporteur, vous et votre groupe avez porté dans ce débat des propositions que nous continuerons à combattre. Et ce que je disais au Gouvernement vaut aussi pour vous : vous ne réussirez pas à dissuader les migrants et à changer l’image de pays accueillant qu’est la France.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous aurions voté contre le texte sorti de l’Assemblée nationale. Nous voterons, avec encore plus de détermination, contre le texte modifié par la droite du Sénat.
M. Philippe Dallier. Cela ne change pas grand-chose !
M. Patrick Kanner. Face à l’amalgame entre asile, immigration et fraude, érigé en principe fondateur de ce texte, nous préférons résister aux peurs plutôt que les encourager ; nous préférons protéger les plus faibles plutôt que les rejeter ; nous préférons intégrer sur la base des valeurs de la République plutôt que précariser.
En conclusion, je voudrais vous inviter, en ce jour anniversaire du chantre de la fraternité universelle, Aimé Césaire (Mme Catherine Conconne applaudit.), à méditer sa parole : « Ce n’est pas par la tête que les civilisations pourrissent. C’est d’abord par le cœur. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, la question migratoire, sujet sensible pour les Français s’il en est, est devenue un enjeu de souveraineté nationale et de cohésion sociale.
Illustration de cette importance, nos débats ont été passionnés, parfois difficiles, mais à la hauteur d’un enjeu fort pour nos concitoyens.
Un enjeu fort, car nos concitoyens constatent que le phénomène n’est toujours pas enrayé. Alors que les demandes d’asile refluent partout en Europe, elles augmentent en France.
Comme l’a affirmé le Président de la République dimanche dernier, la France est le deuxième pays d’accueil en Europe pour cette année. Quelques chiffres : notre pays a délivré 262 000 titres de séjour en 2017 ; plus de 300 000 étrangers en situation irrégulière sont inscrits à l’aide médicale de l’État. Quant au nombre de demandeurs d’asile, il a lui aussi franchi un record, avec plus de 100 000 demandes déposées l’an dernier. Enfin, selon la Cour des comptes, 96 % des déboutés du droit d’asile restent dans notre pays.
À la lecture de ces chiffres, vous comprenez, madame la ministre, mes chers collègues, que la situation est intenable. Elle est d’autant plus tendue que nos procédures de traitement et les dispositifs d’hébergement sont d’ores et déjà saturés, particulièrement en Île-de-France et dans le Pas-de-Calais, où se constituent des campements illégaux, au détriment de tous, surtout des riverains et des pouvoirs publics.
Quant à la question de l’intégration des étrangers dans notre pays, leur insertion linguistique, économique et sociale est particulièrement insuffisante en comparaison de belles réussites chez nos partenaires, notamment chez nos voisins allemands.
Ce projet de loi ne peut laisser insensible, puisqu’il tente d’apporter une réponse à un défi immense et complexe.
Aussi, nul ne peut prétendre détenir la vérité absolue, nul ne peut prétendre au « monopole du cœur », quelles que soient les responsabilités et les sensibilités politiques de chacun d’entre nous.
En effet, mes chers collègues, on peut constater une continuité politique assez nette sur le sujet de l’immigration entre tous les gouvernements depuis plus de vingt ans.
Cette continuité est celle de la recherche d’un équilibre entre l’immigration, l’intégration et le droit d’asile.
C’est aussi celle d’une cohérence de ces trois enjeux majeurs, qui sont encore une fois abordés ici dans un seul et même texte.
Le gouvernement actuel est resté dans la droite ligne de la tradition française, l’esprit de ce texte était donc le bon. Néanmoins, il pouvait être amélioré, en faisant preuve d’un pragmatisme qui a guidé la commission des lois de notre assemblée.
En effet, si notre commission est allée assez loin sur certains sujets, elle a également fait œuvre d’amélioration et de réalisme sur d’autres. Nos débats et les ajustements apportés en séance ont permis de prendre en compte les préoccupations de certains de nos collègues et des ajouts du Gouvernement.
Un certain nombre de dispositions ont ainsi été apportées. Elles vous aideront à donner des réponses cohérentes à des difficultés techniques.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la construction d’une réponse globale et stratégique à ces défis qui ne feront que s’accroître et s’intensifier.
Pour apporter une réponse globale à cette question, il faut deux choses : de la volonté politique et des moyens financiers.
De la volonté, il vous en faudra, madame la ministre, pour contrôler l’application de cette loi et faire enfin respecter l’intégralité des dispositions de notre droit. Il faudra d’ailleurs plus que des mesures techniques pour régler la question, nous devrons avoir une grande stratégie.
Dans un contexte différent certes, mais confronté à la même urgence, le général de Gaulle appelait en mars 1945 à un grand plan national « afin d’introduire au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, des éléments d’immigration dans la collectivité française ». Inspirons-nous de cette démarche, madame la ministre, afin de proposer une vision politique du problème.
En ce qui concerne le financement, le compte n’y est pas, tant s’en faut.
Nous aurons beau adopter les textes les plus complets du monde, tant que nos forces de l’ordre, nos magistrats, nos interprètes, bref tant que tous nos fonctionnaires de l’asile continueront à œuvrer dans des conditions déplorables, nous ne réglerons rien.
À titre d’exemple, la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, avec plus de 53 000 demandes d’entrée en 2017, a connu une progression du nombre de dossiers de 34 % par rapport à 2016. Plus d’un tiers d’augmentation ! Ces chiffres sont impressionnants et nous devrons nous en souvenir lors des discussions sur le budget pour 2019.
Enfin, c’est bien au niveau européen que doit être portée cette question. Nous espérons que les chefs d’État et de gouvernement réunis en Conseil européen cette semaine parviendront à un accord équilibré sur la réforme du régime d’asile européen.
Le sommet de dimanche dernier n’est malheureusement pas de bon augure : l’Europe apparaît divisée et prisonnière des agendas politiques des uns et des autres.
La France devra défendre une approche conforme à sa tradition de responsabilité et d’humanisme. Elle devra s’efforcer d’obtenir un consensus sur ce sujet qui divise l’Europe. Elle devra redonner corps à la promesse européenne de sécurité, de prospérité et de responsabilité.
Si nous échouons, en Europe, si vous échouez, madame la ministre, tous nos débats n’auront servi à rien. Cet énième texte sur l’immigration, malgré votre bonne volonté, restera une coquille vide.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants accueille donc favorablement ce projet de loi modifié par le Sénat, en espérant qu’il apportera une réponse aux problèmes actuels. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Exclamations ironiques sur diverses travées.)
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par le passé, l’immigration conduisait à l’assimilation. Aujourd’hui, l’immigration conduit au communautarisme et les flux migratoires sont une menace pour l’avenir.
Pour que la France reste la France (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), il est urgent de reprendre notre destin en main. Je n’accepte ni le fatalisme de ceux qui prétendent qu’on ne peut rien faire ni, pire encore, l’irresponsabilité de ceux qui soutiennent cette invasion migratoire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Certains pays européens ont fait preuve de détermination, et ils sont parvenus à endiguer ces flux migratoires. C’est le cas de la Pologne et de la Hongrie (Rires ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) et, depuis peu, de l’Autriche et de l’Italie.
Mme Éliane Assassi. Nous avons des valeurs, nous !
M. Jean Louis Masson. Tout comme eux, nous devons fermer nos frontières, supprimer les aides sociales qui servent d’appel d’air, expulser les clandestins en situation irrégulière, expulser aussi tout étranger qui commet un crime ou un délit sur notre sol. Enfin, il faut mettre un terme au laxisme à l’égard du communautarisme et de l’extrémisme musulmans.
Comme le reconnaît lui-même l’actuel ministre de l’intérieur, nos aides sociales sont une véritable pompe aspirante (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), car les migrants choisissent systématiquement les pays où ils profitent du maximum d’aides sociales. (MM. Xavier Iacovelli et Rachid Temal protestent.)
En raison des difficultés économiques et des restrictions budgétaires, nous devrions d’abord régler les problèmes de nos concitoyens avant de nous occuper de ceux des autres.
Ainsi, le 13 octobre 2015 à la tribune du Sénat, j’avais déjà dit combien il est scandaleux que certaines veuves d’agriculteur ou de petit commerçant ne perçoivent que 300 euros par mois, alors que chaque migrant nous coûte au total plus de 1 000 euros par mois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Xavier Iacovelli. C’est faux !
M. Jean Louis Masson. De même, lors de cette même intervention, j’avais dit que l’immigration d’aujourd’hui, c’est le vivier de recrutement du terrorisme de demain. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Tous les bien-pensants avaient alors hurlé en criant au scandale. Or, trois semaines après, les attentats du Bataclan m’ont donné raison.
M. David Assouline. Amalgame !
M. Jean Louis Masson. Deux terroristes venaient d’entrer en France en tant que demandeurs d’asile. (Mêmes mouvements.)
M. David Assouline. Honteux !
M. Jean Louis Masson. Plus récemment, il y a un mois, on a découvert que nous hébergions un bourreau de l’État islamique recherché par toutes les polices. Or, non seulement il avait été régularisé au titre de l’asile des migrants, mais en plus il percevait les aides financières de l’État !
Quand on énumère ces faits, les tenants de la pensée unique crient à l’amalgame. Il n’y a pas d’amalgame, c’est seulement la terrible réalité. Cela doit cesser. La France doit rester la France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. Merci M. Wauquiez !
M. Jean Louis Masson. Malheureusement, seuls quelques responsables politiques ont eu le courage de le dire. À son tour, M. Wauquiez (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) a diffusé un tract : « Pour que la France reste la France ». (Rires moqueurs sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain puis du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, les uns et les autres martelant leur pupitre et couvrant la voix de l’orateur.)
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Mais c’est scandaleux, monsieur le président !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, nous laissons dix secondes à M. Masson.
M. Jean Louis Masson. S’il croit ce qu’il dit, il doit accepter de travailler avec ceux qui, bien avant lui, ont toujours été clairs sur ce sujet. (Le temps ! sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
À défaut, lors des prochaines échéances électorales, les Français sauront faire la différence ! (MM. Stéphane Ravier et Sébastien Meurant applaudissent avec force. – Huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que nous partageons tous dans les grandes lignes le constat dressé par notre rapporteur concernant le fonctionnement actuel du système d’accueil et d’intégration des étrangers sur notre territoire : la saturation de nos capacités d’hébergement d’urgence, qui menace la dignité des demandeurs d’asile ; les difficultés de l’État à faire respecter les décisions de refus d’admission à l’asile et au séjour, et les décisions d’éloignement qui en découlent ; l’insuffisance des moyens consacrés à l’intégration des personnes étrangères en situation régulière sur notre territoire.
Il est donc regrettable que nous ne soyons pas parvenus à dépasser nos clivages politiques, afin de nous livrer à une évaluation scrupuleuse des dispositifs actuels et de leurs limites.
J’avais déjà évoqué, lors de la discussion générale, la position de notre groupe sur le sujet : la dimension prospective est excessivement laissée de côté.
Peu de choses sur les outre-mer, qui pour beaucoup sont perçus comme une porte d’entrée vers la France et l’Europe. Rien sur la remise à plat des instruments de développement français.
La proposition de notre collègue M. Thani Mohamed Soilihi et les échanges qui en ont découlé ont révélé également la difficulté de légiférer sur l’admission au séjour sans discuter à la fois des conditions d’attribution de la nationalité française. Une approche globale nous a manqué.
Sans anticiper les discussions en cours sur l’évolution du système de Dublin, le texte se borne, pour l’essentiel, à modifier de nouveau les aspects procéduraux des demandes d’asile et d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière.
Malgré quelques modifications progressistes aux marges du texte, venues de la gauche de l’hémicycle, le rééquilibrage proposé par notre rapporteur ne nous convient pas tout à fait, dès lors qu’il déplace le curseur de la fermeté à l’égard des étrangers en attente de décision ou en situation irrégulière, sans adapter celui de la protection de leurs droits et libertés fondamentales.
Cet équilibre est pourtant précieux. Comme l’écrivait Blaise Pascal, « la justice sans la force est impuissante, mais la force sans justice est tyrannique ». (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Mes chers collègues, je connais l’attachement de notre Haute Assemblée à la protection des droits et des libertés fondamentales. Quel peut être le sens d’un État de droit qui protégerait moins les individus en situation de vulnérabilité, et mieux les individus qui connaissent leurs droits et entendent les exercer pleinement ?
C’est pourtant le sens de ce texte, qui prévoit de renforcer les dispositions procédurales dérogatoires pour les administrés étrangers, que ce soit le recours à des audiences par l’intermédiaire de captations vidéo, l’inflexion des règles relatives à la notification, l’extension des cas de recours devant un juge unique ou encore, dans certains cas, la suppression de l’effet suspensif du recours.
Il faut certes souligner la sagesse du rapporteur, qui a proposé d’allonger le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, et regretter aussitôt que cette même sagesse ne l’ait pas poussé à allonger également le délai relatif aux personnes concernées par une procédure Dublin.
Si nous attendons des étrangers présents sur notre sol qu’ils se conforment aux lois de la République, il nous revient de nous assurer qu’ils puissent accéder à nos juges dans des conditions conformes à notre héritage juridique.
En effet, dans bien des contentieux, l’accès au juge a pour fonction non pas seulement de rendre justice, mais également de faire entendre justice auprès des publics les moins informés de nos règles de droit.
Sur ces sujets, nous devons veiller à ne pas appauvrir le débat en le réduisant à la seule question de la conformité à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou aux textes européens qui nous lient.
Nous savons dans quel contexte ont été adoptés les règlements de Dublin. Il fallait obtenir une rédaction offrant des marges de manœuvre, afin qu’elle puisse convenir à l’ensemble des États membres de l’Union européenne, dans lesquels les garanties offertes aux justiciables diffèrent sensiblement des nôtres.
Je crois qu’il revient au législateur de prendre une position plus claire, plutôt que de se cacher derrière les latitudes offertes par d’autres textes, d’autres autorités, et d’assumer ses choix.
C’est pourquoi, par souci de fidélité à nos valeurs séculaires, mes collègues du groupe du RDSE et moi-même avons exprimé notre opposition, quand nos valeurs et notre conception de la justice étaient mises à mal.
Ce fut notamment le cas à propos de la faculté de retenir en centre de rétention administrative des mineurs accompagnés de leurs parents, plutôt que de les soumettre à assignation à résidence. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
En conclusion, le groupe du RDSE ne peut, à ce stade de l’examen, se satisfaire de l’adoption de quelques amendements : la suppression de la valeur d’OQTF, c’est-à-dire l’obligation de quitter le territoire français, accordée à une décision définitive de rejet de l’OFPRA par exemple, ou encore un encadrement plus important de l’accès aux fonctions d’interprète.
Mais même ce second point est considérablement atténué par la possibilité de maintenir l’interprète à distance du requérant étranger lors d’une vidéo-audience, qui reste dans le texte adopté par le Sénat.
Après les longs débats que nous avons eus sur ce projet de loi, débats qui, sur certains sujets, auraient mérité d’être plus longs encore, les membres du groupe du RDSE voteront contre le texte proposé par la droite sénatoriale. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la semaine d’étude de ce texte.
Le groupe Les Républicains a quelques observations à formuler. Il veut tout d’abord vous faire part de ses regrets, madame la ministre. Après les annonces faites dans la presse voilà quelques mois, nous attendions un grand texte sur l’immigration et sur l’asile,…
Mme Esther Benbassa. Vous attendiez un texte indigne !
M. François-Noël Buffet. … un texte portant une ligne politique et une stratégie claires.
Mme Esther Benbassa. Voilà !
M. Bruno Retailleau. Laissez parler l’orateur !
M. François-Noël Buffet. Nous attendions un projet de loi qui nous aurait mis à l’abri des vingt-neuf textes votés depuis 1980 et des seize textes majeurs qui ont concerné l’asile et l’immigration. Nous aurions aussi souhaité éviter, c’est notre second regret, cette fichue procédure accélérée.
M. David Assouline. C’est juste !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument.
M. François-Noël Buffet. Cette procédure n’a pas permis à nombre d’entre nous d’aller au fond des choses, même si nous avons essayé de redonner au texte, tout au long de la période qui nous a été accordée, de la cohérence et de l’équilibre.
Le texte que vous nous avez proposé présentait des manquements en matière d’intégration, c’est très clair ; sur la procédure d’asile, nous avions des éléments à discuter ; sur l’immigration irrégulière, il reste, malgré quelques avancées, faible. Et il y avait des absences dans ce texte : absence de problématiques concernant nos territoires ultramarins, absence, évidemment, de la problématique relative aux mineurs, qui n’a été intégrée ni dans le texte de départ ni dans celui de l’Assemblée nationale.
M. David Assouline. Donc, il n’y a rien dans ce texte…
M. François-Noël Buffet. Il y avait aussi deux grands absents, si j’ose dire : l’Union européenne et les moyens budgétaires que vous consacrerez à votre projet.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Le ministre de l’intérieur aussi était un grand absent… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. François-Noël Buffet. Dans ces conditions, le groupe Les Républicains a décidé de reconstruire ce texte, de le réécrire et de lui donner un peu de sens,…
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. François-Noël Buffet. … sur le fondement d’une stratégie politique claire, que je vais rappeler.
Tout d’abord, nous sommes favorables à une politique d’intégration digne de ce nom. Nous préférons recevoir moins, mais recevoir beaucoup mieux que ce que nous faisons depuis des années. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En outre, nous avons souhaité que, en matière d’asile, les procédures et les efforts entrepris depuis plusieurs années se poursuivent, afin que la procédure soit la plus courte possible et que la protection que nous devons à ceux qui doivent être protégés, et que la France accorde, soit offerte dans des délais rapides. Néanmoins, cette procédure ne doit pas être pour les réseaux de passeurs le moyen absolu d’une immigration irrégulière incontrôlée.
Enfin, sur l’immigration irrégulière, oui, nous sommes pour une très grande fermeté. Il faut un équilibre absolu entre, d’une part, ce que la France accorde et les moyens qu’elle mobilise pour accueillir les étrangers, et, d’autre part, la rigueur de ses décisions lorsque la présence sur le territoire a été jugée, de manière définitive, irrégulière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons fait évoluer le texte. Il faut faire sortir de la tête de nos concitoyens que tous les migrants, tous les étrangers, sont des réfugiés. Il faut arriver à sortir de cette discussion-là, qui bloque le débat et qui entraîne des amalgames terribles et contre-productifs.
En matière d’immigration irrégulière, je le répète, le texte a progressé. Nous avons réintroduit l’interdiction de rester sur le territoire après une condamnation définitive. Nous avons remplacé l’aide médicale d’État par l’aide médicale d’urgence. Nous avons enfin obtenu que l’on ait chaque année un débat sur les politiques migratoires, débat absolument nécessaire pour assurer la transparence de nos discussions à l’égard de l’ensemble de la communauté nationale. Cacher les choses, c’est se préparer à des catastrophes, dire les choses, c’est essayer de se donner la chance de trouver des solutions ; ce débat est donc absolument nécessaire.
Nous avons tenté, bien sûr, de trouver des solutions pour Mayotte ; à la faveur d’un amendement déposé par notre collègue Thani Mohamed Soilihi, nous avons adapté une partie du droit du sol. Nous avons demandé que le Gouvernement puisse conditionner l’accord de visas de long séjour au nombre de laissez-passer consulaires. Oui, nous avons été plus durs sur ces sujets-là. Mais nos choix sont-ils si durs que cela ou sont-ils, au contraire, le reflet de notre exigence pour le pays ?
Enfin, nous avons évidemment très nettement amélioré la politique d’intégration. Nous avons d’abord réglé le problème des mineurs, en interdisant très clairement leur placement en rétention. Nous n’avons pas accepté qu’une famille avec enfants puisse être placée en rétention durant plus de cinq jours (M. Richard Yung s’exclame.) Je me permets de rappeler à tous ceux qui n’ont pas voté pour l’amendement visant à introduire cette disposition que, en se comportant ainsi, ils permettent d’aller beaucoup plus loin.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
M. François-Noël Buffet. On ne peut pas voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. C’est une évolution qui a été proposée par le groupe Les Républicains, j’y insiste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons demandé que les cours de français soient renforcés et que leur niveau soit contrôlé. Nous avons aussi aidé les collectivités locales à participer au débat, notamment au travers des schémas régionaux de l’habitat et de l’hébergement, mais aussi pour leur participation à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Nous avons travaillé en permanence avec les départements pour créer ce fameux fichier national des migrants reconnus majeurs.
Nous souhaitons continuer de travailler dans ce sens-là, afin que la France marche sur ses deux pieds. Une politique migratoire exige en effet que l’on marche sur ses deux pieds ; il ne s’agit pas simplement de dire « je serai méchant » ou, au contraire, « je serai très généreux », il s’agit de faire les deux en même temps, à condition d’en définir les critères et les conditions. C’est ce que nous avons essayé de faire.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. François-Noël Buffet. En outre, une politique migratoire doit s’inscrire dans le temps. Nous avons besoin de ce texte, tel qu’il sortira de la Haute Assemblée, pour l’inscrire dans la durée.
Je veux terminer ce propos en soulignant que les enjeux sont européens. Nous sommes peut-être à l’aube d’une dislocation européenne sur la thématique de l’immigration. Ce n’est pas faute de moins d’Europe, c’est faute de « pas assez d’Europe avec une stratégie claire ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Philippe Dallier. Absolument !
M. François-Noël Buffet. Si nous n’avons pas de stratégie claire, nous allons à des catastrophes ; j’enfonce des portes ouvertes, c’est dit partout et par tout le monde aujourd’hui. Mes chers collègues, considérez simplement que la réforme du régime dit « Dublin » a débuté en 2014 et que nous sommes en 2018 ! Les choses n’avancent pas…
Je veux saluer le travail de la diplomatie parlementaire. Cette semaine, le président du Sénat est allé, avec le président de l’Assemblée nationale, au Maroc. Ils ont fait une déclaration dans laquelle ils indiquent très clairement leur volonté de lutter contre l’immigration irrégulière et de s’inscrire dans des accords de coopération étroits, bilatéraux ou multilatéraux. Cela doit être salué et cela montre l’utilité de ces coopérations parlementaires.
Enfin, je veux remercier l’ensemble des collaborateurs et des collègues qui ont été présents à l’occasion de ce débat, qui ont soutenu le travail et qui ont permis au Sénat d’imprimer sa marque sur ce texte relatif à l’immigration et à l’asile, lequel, une fois réécrit, retrouve de la cohérence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre échange de cet après-midi conclut un débat intense, complet, prolongé, auquel beaucoup ont participé et qui a permis d’aboutir à des clarifications.
Le groupe La République En Marche était, pour sa part, d’accord avec les objectifs que le Gouvernement exprimait en présentant ce projet de loi : faciliter l’obtention de l’asile grâce à une procédure allégée, qui correspond aux besoins des demandeurs authentiques d’asile, renforcer l’intégration, en particulier en maintenant ouverts les mécanismes de réunion des familles, et, oui, fournir des moyens effectifs de reconduire à la frontière les personnes dont le droit au séjour n’est pas reconnu par notre loi.
Je crois en effet que le choix politique d’améliorer le contrôle du maintien sur le territoire français constitue une responsabilité régalienne que notre pays doit pleinement assumer, en tenant compte des équilibres sociaux qui sont associés à l’effort d’intégration, mais aussi des limites de la capacité d’intégration.
Bien sûr, nous avons tous le souhait que cela se réalise dans la coopération européenne, mais j’y insiste, il faut parler de coopération, car il s’agit d’une compétence souveraine de chacun des États. L’Europe ne peut être efficiente que si elle réussit à conclure un accord unanime des États souverains, qui régissent, chacun sur son territoire, l’accès à l’Union européenne.
Nous allons à cet égard traverser une période très difficile. Les oppositions entre les politiques d’accueil et de traitement des demandes d’asile des pays européens n’ont jamais été aussi élevées.
Je le disais en ouvrant ce débat la semaine dernière, le résultat probable de la rencontre de dimanche dernier est qu’il ne pourra y avoir que des accords partiels entre membres de l’Union européenne, ce qui mettra inévitablement en cause – nous le verrons dans les mois qui viennent – la simple survie de l’accord de Schengen sur la liberté de circulation à l’intérieur de l’Union européenne. Donc, ne pensons pas que nous pouvons nous libérer de nos propres responsabilités nationales en croyant à un accord européen complet, malheureusement loin de notre portée.
M. François-Noël Buffet. Bien sûr !
M. Alain Richard. Au cours de sa discussion, le projet de loi a donné lieu à beaucoup de points d’accord sur des mesures ponctuelles, et à des améliorations – j’espère, madame la ministre, que le Gouvernement en tiendra compte dans la suite du débat, dans le respect du bicamérisme. Je veux à cet égard remercier François-Noël Buffet et saluer son travail comme rapporteur ; il a fait un travail très important dans un état d’esprit de rapprochement et de compréhension – je parle du rapporteur et non de l’orateur qui m’a précédé… (Sourires.)
Toutefois, des points de clivage très fort sont apparus avec des groupes de l’opposition de la Haute Assemblée, qui ont refusé tous les instruments concrets d’application du droit au séjour en France, alors que nous savons que ce droit doit être respecté ; c’est préoccupant.
Cela dit, notre vote sera déterminé par les choix des groupes de la majorité politique du Sénat, qui ont tenu à rappeler, à cette occasion, leur opposition au Gouvernement, au travers d’ajouts « de démonstration ». J’en cite simplement quelques-uns : le remplacement de l’aide médicale d’État par un système inconnu à ce jour, et qui rappelle d’ailleurs quelques débats anciens sur la définition des maladies graves ;…
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Alain Richard. … des mesures automatiques de refus ou de retrait de titre, contraires au principe régalien élémentaire selon lequel l’autorité publique exerce un pouvoir d’appréciation et le juge en contrôle ensuite la légalité ; l’exclusion de toute aide au transport imposée aux autorités locales ; ou encore la limitation excessive du droit de la réunion des familles.
Le constat que nous sommes amenés à faire sur ce texte est donc la volonté d’une majorité politique, certes respectable et qui a fait ses choix, de décaler l’équilibre du projet de loi du Gouvernement au travers d’annonces de présentation, de démonstration, qui ne peuvent pas avoir d’effet pratique.
C’est ce qui conduit le groupe La République En Marche à ne pas donner son accord au projet de loi ainsi déformé, et à émettre un vote négatif sur le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une toile de fond bien sinistre qui s’est déployée lors de la discussion de ce texte au Sénat.
À l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, The Guardian a publié un cahier d’une soixantaine de pages contenant la liste de 34 361 migrants et réfugiés morts depuis 1993 en essayant de pénétrer la « forteresse Europe ». D’outre-Atlantique, nous sont parvenues des images effarantes de camps de rétention, où des enfants séparés de leurs parents sont enfermés en cage, nourrissons compris.
En Méditerranée, après avoir parcouru 1 500 kilomètres et être passés à 7 kilomètres des côtes françaises, 629 migrants, ballottés sur la « grande bleue », ont finalement trouvé refuge à Valence, en Espagne, la semaine dernière.
Dimanche dernier, la tragédie se répétait avec le bateau Lifeline, dont dépend le sort de 239 migrants, quatre d’entre eux étant des bébés, n’ayant nulle part où débarquer, sauf peut-être à Malte, vient-on d’apprendre.
M. Stéphane Ravier. Prenez-les chez vous !
Mme Éliane Assassi. À l’échelon européen, au mini-sommet informel sur l’accueil des migrants d’avant-hier, en attendant le Conseil européen de jeudi et de vendredi prochains, l’heure était à savoir s’il fallait enfermer les migrants dans les pays d’origine – position de l’Autriche et de l’Italie – ou dans les pays ne les accueillant pas – position franco-allemande.
En 2015, la question posée à l’échelon européen était : comment répartit-on les réfugiés ? Aujourd’hui, avec pour boussole la position de gouvernements conservateurs alliés aux néo-fascistes, on se demande : comment les empêche-t-on d’arriver ?
Le Président Macron fait le grand écart : à Bruxelles, il sermonne les États anti-migrants et, en France, il bloque les ports. C’est l’hôpital qui se fiche de la charité ! (MM. Philippe Dallier et Jacques Grosperrin s’exclament.)
En réalité, le pays des droits de l’homme s’échappe et tend à se refermer sur lui-même dans un double objectif : montrer aux migrants qu’il ne faut surtout pas demander l’asile en France ; rassurer les électeurs ou sympathisants d’extrême droite, puisque les conditions sont créées pour bafouer le droit d’asile et mettre à mal l’accueil de migrants à tout autre titre.
Avec un objectif légèrement différent, mais en tout cas avec les mêmes finalités, la majorité sénatoriale a fait adopter l’instauration de quotas qu’évaluerait chaque année le Parlement, sans se soucier réellement des causes profondes qui conduisent à ce monde de migrations et de réfugiés.
A été actée la disparition de l’aide médicale d’État, remplacée par un dispositif d’urgence, au moment même où Médecins du monde et le centre Primo-Levi ont publié un rapport sur les traumatismes dont souffrent les exilés, aggravés par l’errance qui leur est infligée en France – tentatives de suicide, automutilations, décomposition, addictions et développement de troubles psychiatriques.
Le délit de solidarité, quelque peu assoupli par l’Assemblée nationale, qui avait exempté de poursuites les personnes qui apportent une aide à la circulation aux migrants, a été rétabli dans sa version existante, continuant ainsi à criminaliser ceux d’entre nous qui apportent en toute fraternité aide et soutien aux exilés.
Un amendement adopté est, selon nous, particulièrement grave : il ouvre une brèche dans le droit du sol à Mayotte. Nous espérons que la commission mixte paritaire échouera précisément sur ce point et qu’un projet de loi en bonne et due forme permettra la tenue d’un vrai débat et la présentation par le Gouvernement de son ambition pour résoudre la crise qui sévit dans ce département français, sans remettre en cause notre droit de la nationalité.
Enfin, en matière de rétention, derrière sa cape de « défenseur des libertés », la commission des lois du Sénat avait introduit plusieurs mesures « d’assouplissement » revenant sur la disposition phare de Gérard Collomb, qui portait à 90 jours la durée maximale de rétention, et rétablissant le droit existant.
Néanmoins, en parallèle, la durée de la première phase de rétention administrative a été rallongée à cinq jours, contre quarante-huit heures actuellement. En outre, a été gravée dans la loi une durée maximale d’enfermement pour les mineurs avec leur famille de cinq jours, ce qui légalise de fait l’enfermement des mineurs avec leur famille sur notre sol.
En résumé, ce projet de loi et son examen au Sénat, mais aussi à l’Assemblée nationale, n’ont eu de cesse de déshumaniser le sujet dont il est question,…
M. Jacques Grosperrin. Carrément !
Mme Éliane Assassi. … à savoir les exilés, cette « chair humaine » dont l’Italie ne veut pas.
La grande majorité des amendements du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ont été rejetés. Ils ne portaient pourtant pas une idée très révolutionnaire de notre politique migratoire ; il s’agissait simplement d’améliorer les conditions de vie et d’accueil des personnes, en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant, en veillant notamment aux droits fondamentaux – un toit, la santé et les besoins alimentaires, ainsi que, éventuellement, les mêmes droits de recours que pour tout justiciable, et un accès facilité au travail.
En outre, ces amendements tendaient à garantir le respect des principes fondamentaux auxquels notre pays a souscrit dans sa Constitution et dans ses engagements internationaux. Dans une Europe en proie à la montée des nationalismes, la France doit prendre ses responsabilités et réaffirmer les valeurs qu’elle a toujours portées, celles qui fondent notre République.
La Banque mondiale estime à 148 millions le nombre de réfugiés climatiques à l’horizon de 2050 ; cinq millions d’entre eux pourraient venir en Europe.
M. Stéphane Ravier. Cela promet !
Mme Éliane Assassi. Nous ne pourrons pas les laisser voguer indéfiniment sur les mers et les océans, comme le souhaiteraient certains, ici.
M. Stéphane Ravier. Ben voyons !
Mme Éliane Assassi. Qu’en ferons-nous ?
M. Stéphane Ravier. Accueillez-les chez vous !
Mme Éliane Assassi. Une chose est sûre, ce projet de loi auquel nous demeurons opposés ne propose aucune issue à ce défi humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire s’est accélérée en une semaine. Depuis mardi dernier, notre débat a témoigné d’un malaise, il ne faut pas le cacher. Il a témoigné de notre interrogation face aux migrations, ainsi que face à une remise en cause de la construction européenne, mais aussi des modes de régulation pensés par les Européens depuis longtemps, tant pour eux que pour la scène internationale.
Quand l’histoire s’accélère, elle exige la clarification, et le mérite de cette semaine de débats est là : elle nous a sortis de notre zone de confort politique pour nous obliger, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, à clarifier notre pensée et notre action. Pour les centristes, cette clarification passe par l’Europe ; vous le savez, c’est notre première idée directrice : plus d’Europe, une Europe plus forte et plus aboutie. La solution en matière d’asile et d’immigration ne sera pas franco-française, elle sera européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Que l’on parle de FRONTEX, de la révision du règlement de Dublin, des centres fermés, de zones d’attentes de centres d’accueil dans les pays d’origine, de la définition du droit d’asile – nous pourrions continuer la liste –, nous sommes interdépendants. Exprimée autrement, notre conviction est que la souveraineté française trouve aujourd’hui sa pleine expression, sa pleine mise en œuvre, dans une souveraineté partagée.
Et il y aura, chers collègues, une solution européenne ; nous vous faisons confiance, madame la ministre, nous faisons confiance au Gouvernement et nous faisons bien entendu confiance au Président de la République – chacun sait combien il est moteur sur tous les sujets dits « de construction européenne » –,…
Mme Éliane Assassi. Apparemment, cela ne marche pas !
M. Philippe Bonnecarrère. … pour faire aboutir une solution.
L’idéal serait d’avoir un accord européen sur le fond, à vingt-sept ou à vingt-huit ; admettons-le, c’est probablement inaccessible à l’heure actuelle. La deuxième solution, prévue par les traités européens, résiderait dans une coopération renforcée, la fameuse « Europe à plusieurs vitesses » avec un premier noyau qui ferait le choix d’aller plus loin, en rappelant que le droit d’asile n’est pas soumis à règle de l’unanimité par le traité de l’Union européenne. (M. Michel Canevet applaudit.) La troisième solution, la plus probable et la plus rapide, serait de conclure des accords intergouvernementaux.
Mes chers collègues, quelle que soit la solution, celle-ci aura une traduction législative, ce qui me conduit à la deuxième idée directrice du groupe Union Centriste, qui consiste à analyser le texte qui nous est soumis comme un texte de transition, lequel aurait d’ailleurs mérité, en raison de sa forte dimension sociétale, de ne pas subir l’usage de la procédure accélérée – la sincérité est autorisée dans cet hémicycle. Nous serons en effet sans nul doute saisis assez vite d’un autre texte, qui sera alors la trentième réforme depuis 1980.
Cette absence de pérennité peut être regrettée, mais elle ne nous surprend pas ; la solution se situe en effet à une autre échelle. Néanmoins, cela pose aussi une autre question, celle du long terme, troisième idée directrice de notre groupe. Notre pays a réagi à des crises successives, notamment en 2015. Le terme de « crise » n’est d’ailleurs plus adapté ; nous affrontons un problème de long terme, des migrations qui ont changé de nature et qui s’inscrivent dans la durée. La réponse aux migrations sera la responsabilité de toute une génération.
Nous voterons le texte proposé, même si notre ligne de crête « ni angélisme ni surenchère » a connu quelques défaillances. Sans entrer dans le détail technique, nous le voterons comme une proposition, en ayant la volonté farouche de voir aboutir la future commission mixte paritaire. Sur un sujet aussi grave, à cet instant précis, un échec de la commission mixte paritaire serait une solution perdante tant pour le Gouvernement que pour le Parlement.
Ne vous trompez donc pas sur le décompte des voix qui sera annoncé tout à l’heure.
Chers collègues partenaires de la majorité sénatoriale, le groupe Union Centriste n’adopte pas et n’adoptera pas un contre-projet à celui du Gouvernement.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Bonnecarrère. Nous adoptons une base de négociation pour un rapprochement souhaité avec l’Assemblée nationale, dans le respect de chacun, sur un sujet, à notre sens, d’unité nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Chers collègues communistes ou socialistes (Ah ! sur diverses travées.), si nous n’avons pas soutenu vos salves d’amendements, nous reconnaissons que vous nous avez posé une très bonne question : jusqu’à quel point l’adoption de mesures plus restrictives est-elle de nature à redonner confiance à nos concitoyens et à éviter la progression des populismes ?
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Philippe Bonnecarrère. Où est la limite qui ferait de nous les otages d’une surenchère permanente ? Notre réponse, en particulier sur le droit d’asile, est l’État de droit – non pas la morale ni des valeurs non définies, mais bien des règles de droit précisées au cours des décennies par nos Constitutions successives, par des principes fondamentaux à valeur constitutionnelle, par les règles conventionnelles. C’est la définition même de l’État de droit et notre meilleure garantie face aux peurs et à l’émotion.
Je vous renouvelle, madame la ministre, notre confiance pour nous aider à trouver un accord en commission mixte paritaire, même si les réactions que j’ai pu observer cet après-midi n’en sont pas forcément un élément facilitateur… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dans le texte de la commission, modifié.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Éric Bocquet, Jacky Deromedi et Françoise Gatel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à seize heures vingt-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 171 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 197 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission modifié, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, je veux remercier les sénateurs de leur participation à ce débat ô combien important. Je tiens à saluer plus particulièrement M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur, qui ont contribué à un débat fourni.
Je veux également remercier les vice-présidents qui se sont succédé au plateau : ils ont tous contribué au bon déroulement des travaux parlementaires.
Au-delà des divergences d’appréciation qui se sont exprimées, sur des points de détail comme sur des sujets majeurs, les débats entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement se sont globalement tenus dans une bonne ambiance.
Pour compléter les propos de M. le rapporteur, je veux évoquer nos différences sur les quotas et sur l’aide médicale d’État, deux points qui me semblent importants dans le débat.
Le Gouvernement forme maintenant le vœu que les uns et les autres soient suffisamment éclairés et fassent preuve d’ouverture d’esprit, si je puis dire, dans la perspective de la commission mixte paritaire, qui se tiendra la semaine prochaine.
J’ai bien écouté les orateurs qui sont intervenus aujourd’hui. Il m’a frappé que tous, au fond, ont repris, à leur manière, le triptyque sur lequel repose notre politique de l’asile et de l’immigration : la responsabilité nationale – dans tous les États, nous avons affaire à une mission régalienne ; la nécessaire coopération européenne, dont chacun sait combien elle est importante et difficile dans la situation actuelle ; enfin, la diplomatie active avec les pays tiers, pays de départ comme pays de transit et, parfois, pays d’arrivée. Un sénateur a cité l’exemple du Maroc, qui, de fait, appartient à ces pays qui sont à la fois de départ, de transit et d’arrivée.
La diplomatie n’est pas toujours facile, mais elle est conduite avec beaucoup de volontarisme de la part du Président de la République, du Premier ministre et du ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. J’en profite pour remercier les secrétaires, Mmes Françoise Gatel et Jacky Deromedi, ainsi que M. Éric Bocquet, qui ont assuré un très bon déroulement du scrutin public solennel.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi.
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Nous subissons, en ce moment même, une concurrence footballistique extrêmement forte… (Sourires.) Essayons de tenir le coup et de respecter la durée des mi-temps ! Pour ma part, je m’efforcerai d’exercer un arbitrage à la hauteur. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
négligence de l’état envers les collectivités
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.
M. Benoît Huré. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, 9 milliards d’euros par an, c’est, en moyenne, depuis trop longtemps, ce que l’État ne rembourse pas aux départements qui versent les allocations de solidarité pour le compte de la Nation. Depuis 2012, de négociations en négociations avec les gouvernements successifs, on achoppe sur le financement des politiques de solidarité.
À ce jour, un financement pérenne n’a toujours pas été mis en place. Des fonds d’urgence destinés aux départements les plus accablés leur permettent de maintenir la tête hors de l’eau, pour reprendre l’expression d’un ancien ministre en charge des collectivités territoriales.
La prise en charge des mineurs non accompagnés s’est ajoutée à ces dépenses. Des mesures ont récemment été proposées par le Gouvernement, à savoir 250 millions d’euros supplémentaires pour les allocations individuelles de solidarité, les AIS. Bien que cette proposition soit mince, les départements l’ont acceptée, dans un esprit constructif. Cependant, ces derniers se sont prononcés, à 77 %, contre le principe du pacte financier, dont les modalités de mise en œuvre restent, selon eux, trop floues.
À la surprise générale, monsieur le Premier ministre, certains membres de votre administration ont affirmé que, en cas de non-signature des contrats, les propositions du Gouvernement ne seraient pas mises en œuvre, ce qui a été interprété comme un chantage et un autoritarisme déplacé.
La France, pour se redresser, a besoin de tous, de l’État comme des collectivités locales, chacun devant consentir sa propre part d’efforts. Les relations à construire entre l’État et les collectivités doivent reposer sur une confiance réciproque et sur une vraie concertation.
Aussi, monsieur le Premier ministre, que doivent croire les départements ? Les propos de certains membres de votre administration, que vous avez vous-même repris dans un courrier que vous avez récemment adressé aux présidents de département, ou ceux que vous avez tenus dans cet hémicycle jeudi dernier, à savoir que les collectivités avaient le droit le plus strict de ne pas signer les contrats et qu’elles seraient alors tout aussi respectables que les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, permettez-moi, pour vous répondre, d’évoquer la question de la nature des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales, plus particulièrement les départements, puisque c’est sur la situation de ces derniers que vous appelez l’attention du Gouvernement.
Depuis longtemps – vous l’avez dit –, depuis bien avant la nomination de ce gouvernement, sous de très nombreuses majorités successives, les relations financières entre l’État et les départements sont compliquées. Elles le sont en raison du dynamisme de la dépense sociale. Le dynamisme des dépenses sociales dites « AIS » est tel que les départements doivent consentir un effort considérable pour y faire face.
De la même façon, depuis quelques années, les départements sont confrontés à une charge croissante et difficile à prendre en compte, liée au « dynamisme » de la dépense afférente aux mineurs non accompagnés, les MNA.
Conscients de ces difficultés, les gouvernements successifs ont, année après année, décidé d’accorder des fonds d’urgence aux départements. Les sommes concernées ont évidemment évolué – souvent, d’ailleurs, dans un sens un peu plus favorable à l’approche des élections ! –, mais, en moyenne, ce sont quelque 140 millions d’euros qui ont été attribués pour faire face aux difficultés liées à l’ensemble des dépenses sociales des départements, sous forme de fonds d’urgence.
Compte tenu de cette difficulté, le Gouvernement s’est rapproché de l’Assemblée des départements de France, afin d’évoquer directement ce qui pouvait être envisagé pour faire face au dynamisme des AIS comme à celui des MNA.
S’agissant des MNA, nous avons formulé une proposition fondée sur une reprise en main par l’État d’un certain nombre d’éléments de responsabilité avant le moment où un mineur est déclaré – ou non – mineur non accompagné.
Nous avons prévu la création d’un fichier permettant d’éviter les doublonnements de questions, donc un allongement de la prise en charge de la part des départements. Nous avons mis une somme sur la table. Vous le savez, monsieur le sénateur, les départements nous ont indiqué que cette proposition leur convenait et qu’elle était à la hauteur des enjeux – elle avait d’ailleurs fait l’objet d’une longue discussion avec les départements.
Pour ce qui concerne les AIS, nous avons proposé de travailler avec les départements. Nous avons indiqué que nous étions prêts à mettre sur la table un budget de 250 millions d’euros, soit beaucoup plus que les 140 millions d’euros versés en moyenne jusque-là, mais qu’il fallait, en plus de cette somme, que, de leur côté, les départements organisent eux-mêmes les conditions d’une péréquation horizontale accrue.
Cette proposition a été entendue. J’ai même indiqué aux présidents de département qui étaient présents lors de la discussion que, si cette proposition leur convenait, les départements seraient autorisés à augmenter, de façon très modérée, ce que l’on appelle les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, ce qui constituerait une hausse des prélèvements obligatoires. Pourtant, si vous me permettez cette expression un peu triviale, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas exactement ma tasse de thé !
Cette proposition a été soumise à la discussion, mais les départements, après l’avoir examinée, nous ont fait savoir qu’elle ne leur convenait plus. Je l’entends, et c’est parfaitement respectable, mais, dès lors, la proposition n’a pas vocation à rester sur la table. C’est ainsi que se passent les négociations. Il est normal que chacun tire les conséquences du résultat de la discussion.
Comme je l’ai indiqué devant le Sénat, les collectivités territoriales qui concluront le pacte financier que nous leur proposons seront, à l’avenir, bénéficiaires de cet engagement de stabilité que nous prenons – c’est exactement la lettre de l’accord. Les collectivités territoriales qui ne souhaitent pas signer les contrats seront évidemment respectées, conformément au droit et dans le cadre de l’article de loi voté et déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Les collectivités territoriales seront donc respectées, mais les conséquences ne seront pas exactement les mêmes pour celles qui s’engagent et tiennent les engagements fixés et pour les autres.
De même, en cas de dépassement de la norme de 1,2 %, les conséquences ne seront pas identiques pour les collectivités territoriales qui se sont engagées et pour celles qui ne l’ont pas fait, ce qui, je le répète, est parfaitement respectable.
Il n’y a là aucun chantage. Il n’y a que de la clarté, la négociation s’étant déroulée, me semble-t-il, dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour la réplique.
M. Benoît Huré. Monsieur le Premier ministre, je souhaite que tout soit mis en œuvre pour mettre fin aux incompréhensions entre l’État et les collectivités, en particulier les départements. Nous devons tous nous rasseoir autour de la table et trouver des solutions.
Sans les départements, la solidarité à l’égard des plus fragiles d’entre nous ne pourrait pas être assumée dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
avenir des pensions de réversion
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Claude Luche. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, vous avez engagé une réflexion sur les pensions de réversion, et, depuis une semaine, vous vous êtes expliquée sur ce sujet. Vous avez notamment affirmé que vous ne toucherez pas aux pensions déjà versées et que l’acquis serait maintenu.
Malgré tout, sachez que l’ouverture de ce débat suscite de nombreuses inquiétudes.
Vous le savez, la pension de réversion concerne à 90 % des femmes. Il est vrai que l’espérance de vie est plus importante pour une femme que pour un homme, comme nous le savons toutes et tous ici. Cependant, il s’agit aussi, par cette pension de réversion, d’améliorer la situation de nombre de femmes qui ont connu des carrières incomplètes ou des différences de salaire importantes avec les hommes.
Au travers de cette question, je souhaite que vous nous apportiez des précisions sur les critères que vous pensez retenir pour cette éventuelle réforme et sur la manière dont vous allez prendre en compte, dans vos calculs, les nouvelles formes de familles, comme les couples pacsés ou les familles recomposées.
Madame la ministre, après la hausse de la CSG, avec l’annonce de cette réforme des pensions de réversion, les retraités sont une fois de plus pointés du doigt et se retrouvent dans l’incertitude.
Ainsi, plus tôt vous annoncerez vos orientations, plus tôt vous pourrez rassurer, je l’espère, toute une partie de la population qui a travaillé toute sa vie pour pouvoir bénéficier d’une retraite sécurisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, au mois de juin 2017, avant même les élections législatives, le Gouvernement a eu l’occasion d’indiquer que le programme de travail que nous nous fixions comporterait, avant septembre 2017, une transformation du droit du travail – les ordonnances ont été adoptées depuis lors –, une modification de l’ensemble du dispositif existant en matière d’apprentissage, de formation professionnelle et d’assurance-chômage, ayant vocation à être discutée au printemps – le projet de loi présenté par Muriel Pénicaud a été examiné à l’Assemblée nationale –, enfin, une réforme globale des retraites, conformément aux orientations fixées par le Président de la République, réforme qui serait mise en œuvre au cours de l’année 2019.
Nous avions annoncé également que cette réforme serait précédée d’un exercice de consultation, de concertation et de réflexion, auquel nous consacrerions la totalité de l’année 2018. Pourquoi ? Parce que le sujet est redoutablement complexe, parce que la question des retraites est, d’une certaine façon, au cœur du pacte républicain et de la solidarité nationale et parce que la diversité des régimes applicables et la sensibilité de nos concitoyens à l’avenir de leur pension sont telles que la précipitation et l’urgence seraient évidemment contre-productives.
C’est la raison pour laquelle j’ai procédé, avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, à la nomination d’un haut-commissaire, dont la mission est d’associer le plus complètement possible l’ensemble des acteurs intéressés – les organisations syndicales et patronales, l’ensemble des acteurs de la société civile et des forces politiques – à cette réflexion et à cette consultation sur ce que sera, demain, notre système de retraite.
Pour cela, j’ai fixé quelques objectifs très simples : la préservation d’un système de retraite par répartition, le maintien de la solidarité nationale, la prise en compte, par notre système, du vieillissement de notre population, qui est une donnée, mais aussi une chance évidente, avec un souci de stabilité et de durabilité et de manière à faire disparaître les inquiétudes des Français, qui sont, au fond, très profondes, sur ce que sera leur retraite le moment venu.
Vous évoquez le sujet spécifique des pensions de réversion. Vous savez, comme nous tous ici, que cette question est d’abord marquée par une nécessité souvent absolue pour les personnes qui en bénéficient – des femmes, dans 90 % des cas. Elle est aussi souvent caractérisée par une très grande inégalité entre ces bénéficiaires, pour une raison très simple, qui est l’existence de treize systèmes de pension de réversion, très différents les uns des autres. Le travail ou la mission exercée par le conjoint décédé explique également que les bénéficiaires de ces pensions se trouvent dans des situations incroyablement diverses.
Comme tous les aspects du système de retraite, nous devons poser sur la table la question les pensions de réversion.
Il ne s’agit évidemment pas de les faire disparaître. Ne jouons pas à nous faire peur ! Il n’est absolument pas question de revenir sur cet élément indispensable en matière de solidarité et de complément de revenu pour des femmes qui, bien souvent, ont participé à une activité de production ou ont dû interrompre leur activité pour élever leurs enfants. Il s’agit de faire en sorte que, au fil du temps, chaque euro contribué rapporte le même produit à ceux qui sont à la retraite.
Monsieur le sénateur, je veux le dire de la façon la plus claire possible : en aucune façon, le Gouvernement ne travaille sur des mesures qui viendraient amoindrir ou remettre en cause les pensions de réversion.
Les expressions d’angoisse que l’on entend parfois sont légitimes, mais je ne puis m’empêcher de penser que, çà et là, on fait prospérer ces craintes. Au demeurant, tel n’était vraiment pas le sens de votre discours, monsieur le sénateur.
En aucune façon, le Gouvernement ne travaille sur une quelconque hypothèse de remise en cause des pensions de réversion. Je ne peux pas dire les choses plus clairement !
Je suis sûr que, après cette année de consultation, l’année prochaine verra un très beau débat public et un très beau débat parlementaire. Il nous faudra faire en sorte de sauver notre système de pensions durablement et, peut-être, en profiter pour prendre en compte des questions relatives à la dépendance, un sujet qui n’a pas fini être devant nous. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
pensions de réversion
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe La République En Marche. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Michel Amiel. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
M. le Premier ministre a longuement répondu à M. Luche. Ma question va certes dans le même sens, mais, après tout, les Anciens ne disaient-ils pas bis repetita placent ? Au reste, ma question sera légèrement différente.
Je ne vous cacherai pas, madame la ministre, l’inquiétude qui remonte de la population sur le sujet des pensions de réversion.
Certes, me direz-vous, des démentis ont été apportés, y compris par vous-même, mais le mal est fait : la rumeur, qui est le plus vieux média du monde et qui se nourrit de tout ce qui passe à côté d’elle, circule et empoisonne le débat avant même qu’il ait commencé.
Sous Nicolas Sarkozy, il y a déjà eu la suppression de la demi-part des veuves. Certes, ce « pacte de solidarité entre conjoints », pour reprendre l’expression de Jean-Paul Delevoye, concerne 4,4 millions de bénéficiaires – dont 89 % de femmes, comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre – pour un coût de 36 milliards d’euros, soit 1,5 point de PIB.
Madame la ministre, vous avez déclaré vouloir « une remise à plat » des règles, afin d’« harmoniser » celles-ci. Cette volonté d’harmonisation est au cœur du projet de réforme des retraites en préparation, qui a pour objectif l’instauration d’un régime universel en établissant ce qui relève de l’ordre de la redistribution et de l’ordre de la solidarité.
Cette remise à plat s’effectuera-t-elle à enveloppe constante, sans chercher à rogner sur quelques dixièmes de point de PIB ? À quel moment s’appliquerait cette harmonisation ? Cette réforme toucherait-elle les conjointes et conjoints de celles et ceux qui sont déjà à la retraite ?
C’est au prix de certaines clarifications, dès le départ, que le débat pourra s’engager d’une façon sereine, car je ne doute pas que votre volonté n’est pas de réformer pour réformer, ni même de réformer pour réduire les droits ou pour les niveler par le bas, mais bien d’assurer un système de retraites juste et pérenne, dans le cadre bien sûr d’un retour à l’équilibre des comptes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Amiel, je vous remercie de me donner l’occasion de revenir encore une fois sur cette réforme des retraites.
Nous le savons, notre système de retraite, avec ses multiples régimes, ses multiples règles, est inéquitable et illisible. Il crée de l’anxiété, notamment pour les jeunes générations, qui craignent de ne pas en profiter.
Un certain nombre de questions a donc été posé aux partenaires sociaux dans le cadre des négociations en cours, menées par le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye.
Six blocs principaux sont à l’étude, dont trois seront discutés avant l’été.
Le premier bloc concerne la construction d’un système universel, c’est-à-dire, comme vient de le souligner le Premier ministre, d’un système par répartition commun à tous les actifs. Pour cela, il nous faut définir le périmètre du nouveau régime, le taux de couverture, l’assiette et le taux de cotisation.
Le deuxième bloc concerne la construction d’un système redistributif et solidaire. Il s’agit de poser la question des droits non contributifs liés à la maternité, au chômage, à l’assurance maladie, notamment.
Le troisième bloc a trait aux évolutions de la société et donc aux droits familiaux. C’est dans ce cadre que se pose la question des pensions de réversion, raison pour laquelle cette thématique a émergé au cours de la concertation et dans les contributions sur le site internet qui permet aux citoyens de s’exprimer.
Cette question est aussi celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. Bien évidemment, l’objectif n’est pas de réduire les pensions de réversion des femmes. Nous souhaitons que leur parcours de vie soit mieux pris en compte.
La discussion des trois autres blocs commencera à partir de l’automne prochain. Le quatrième concerne les conditions d’ouverture des droits à la retraite. Il s’agit d’offrir davantage de liberté dans la transition vers la retraite. Les cinquième et sixième blocs concernent respectivement la reconnaissance des spécificités de certains parcours professionnels et l’instauration d’un système pérenne et responsable, avec des modalités de transition entre l’ancien et le nouveau régime.
Nous aurons tous l’occasion d’en débattre au cours de discussions passionnantes pour la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
désertification médicale
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Véronique Guillotin. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, vous étiez entendue ce matin par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’égal accès aux soins, à la suite de l’audition du directeur de l’agence régionale de santé Grand Est.
Ces auditions interviennent dans un contexte de grande tension dans les hôpitaux. Dans une lettre adressée au Premier ministre, cent soixante-quinze médecins affirment ne plus pouvoir remplir leur mission de service public et alertent sur une mise en danger de la vie d’autrui, faute de moyens suffisants et d’une organisation efficiente de l’offre de soins.
Les services d’urgences sont les plus touchés et la situation devrait même s’aggraver : d’après une étude de l’agence régionale de santé Île-de-France, au cours des deux mois d’été, il manquera un médecin dans un service d’urgence de la région pendant six cents journées de vingt-quatre heures.
Pour répondre à cette situation, un décret paru au début du mois de juin modifie l’organisation des lignes de garde. Les syndicats se sont fortement opposés à cette mesure, qui répond pourtant à une nécessaire réorganisation des services, mais qui apparaît comme une solution dégradée face à la pénurie de praticiens.
Dans mon département de Meurthe-et-Moselle, la maternité de l’hôpital de Mont-Saint-Martin est menacée de fermeture en raison d’un nombre considéré comme excessif de médecins remplaçants, qui pallient pourtant la pénurie à laquelle nous sommes tout particulièrement confrontés.
Cette maternité, avec ses 670 naissances chaque année, a toute sa place sur un territoire transfrontalier en pleine renaissance post-industrielle, où le préfet de région s’est vu tout récemment confier une mission de prospective de dynamisation par le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard.
Madame la ministre, vous ne portez pas la responsabilité du manque de réformes de vos prédécesseurs. Vous avez eu le courage d’annoncer une refonte en profondeur du système de santé : pouvez-vous nous dire quelle place vous comptez accorder aux hôpitaux de proximité ? Êtes-vous en mesure de rassurer les habitants de mon territoire sur le maintien de la maternité contribuant à l’attractivité de l’hôpital et à l’attractivité médicale de tout un territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Évelyne Perrot et M. Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Guillotin, dans certains territoires, nous faisons face à de graves difficultés en matière d’accès aux soins et de fonctionnement de nos hôpitaux, notamment pour les urgences et l’obstétrique. Il nous est difficile de recruter des médecins de façon pérenne, afin d’assurer une meilleure sécurité des soins.
Nous subissons trente ans de mauvais choix des gouvernements successifs qui ont réduit le numerus clausus pour diminuer le déficit de la sécurité sociale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) Nous sommes passés, dans les années soixante-dix… (Mêmes mouvements.)
M. Gérard Longuet. Il s’agit d’aujourd’hui, madame la ministre !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Il faut assumer ses choix, mesdames, messieurs les sénateurs !
Le besoin de médecins n’a pas été anticipé, non plus que le besoin de temps des soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’exercice médical a changé, les jeunes médecins aspirent à mieux concilier leur vie personnelle avec leur vie professionnelle.
Nous faisons face à une pénurie de temps médical, au-delà même du nombre de médecins accessibles sur le territoire, notamment pour les services d’urgence. Je rappelle qu’il faut huit urgentistes à temps plein pour faire fonctionner un service d’urgence vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui nécessite des organisations courageuses et des mutualisations de services.
La démarche est la même pour les services de gynécologie obstétrique, qui ne peuvent fonctionner uniquement avec des intérimaires venant une ou deux journées par mois ; on met alors en jeu la sécurité des parturientes. C’est la raison pour laquelle nous réorganisons les filières de prise en charge dans les territoires.
Des hôpitaux de proximité vont être préservés. Nous allons réorganiser les filières et graduer les soins sur les territoires. Nous sommes pleinement mobilisés sur la transformation du système de santé, de façon à mieux répondre aux besoins en proximité de nos concitoyens et à leur assurer le bénéfice d’une médecine de qualité partout en France. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
situation des hôpitaux en guyane et en métropole
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Au centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, dix-sept médecins urgentistes ont annoncé leur démission pour le 3 juillet prochain. Un ras-le-bol qui couvait depuis longtemps au CHAR, secoué de crises multiples, comme j’ai pu le constater en avril dernier, lors de la visite de la mission des affaires sociales à laquelle je participais : bâtiment vétuste, nombre insuffisant de lits, manque de généralistes et de spécialistes, difficultés à fidéliser les professionnels de santé, médecine libérale défaillante…
En Guyane comme partout, les problèmes rencontrés aux urgences sont la résultante du dysfonctionnement du système de santé, ce que j’avais souligné, en juillet 2017, dans le rapport d’information de la commission des affaires sociales rédigé avec mes collègues Catherine Génisson et René-Paul Savary.
Madame la ministre, pourriez-vous nous dire quelles mesures d’urgence vous comptez prendre pour combler le manque de praticiens à Cayenne, comme dans toute la Guyane et dans les autres départements ultramarins, qui vivent de manière plus aigüe la crise de notre système de santé ?
Et pourquoi, avant d’agir, attendre des actions si lourdes de conséquences : ici, la démission de praticiens, à Sotteville-lès-Rouen la grève de la faim à l’hôpital psychiatrique du Rouvray ou encore, dans la Nièvre, la démission de trente-cinq maires ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Cohen, merci de cette question, qui concerne le projet de modernisation du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, mais également les difficultés que rencontre cet établissement pour son service d’urgence. Elle rejoint la question précédente sur la difficulté à trouver des urgentistes partout en France.
La modernisation de cet établissement est programmée. Le comité de performance et de modernisation de l’offre de soins hospitaliers, le COPERMO, a émis le 19 juin dernier un avis favorable à la modernisation du centre hospitalier.
Eu égard à la dégradation financière de l’établissement, une délégation de 40 millions d’euros, conformément aux accords de Guyane du 21 avril 2017, va être délivrée. Les aides nationales seront allouées à 100 % en capital et versées sur quatre ans, sous réserve que les recommandations du COPERMO soient respectées.
Pour ce qui concerne les urgences, un certain nombre de démarches ont été entreprises. Sur l’initiative de l’agence régionale de santé, chaque médecin est reçu chaque fois qu’il le demande, et nous faisons en sorte que l’ARS rencontre les médecins de ville pour leur suggérer de participer à la régulation des soins d’urgence.
Nous mobilisons le service de santé des armées et la réserve sanitaire, envoyée sur place. Nous facilitons l’entrée sur le territoire de médecins étrangers formés aux urgences. Nous mobilisons l’assurance maladie pour expérimenter de nouvelles modalités de fonctionnement de la maison médicale de garde. Nous avons créé cent postes d’assistants spécialistes pour les DOM, mesure dont bénéficiera la Guyane dès cette année.
Enfin, une nouvelle séquence de négociation est programmée aujourd’hui. Nous mettons tout en œuvre pour qu’elle se termine par un projet d’accord final.
Je terminerai en soulignant qu’une mission d’audit a été confiée au professeur Pierre Carli, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, que tout le monde connaît. Elle aura lieu du 7 au 9 juillet prochain, pour évaluer la situation particulière des urgences de Cayenne. Des décisions seront prises !
Vous constatez notre mobilisation pleine et entière pour redresser cette situation dégradée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. En réalité, c’est de tous les territoires que monte un appel d’urgence pour l’hôpital public, qui reste, contre vents et marées, un pôle d’excellence grâce à l’engagement des professionnels de santé.
Madame la ministre, vous dites entendre les professionnels, mais ce n’est pas ce qu’ils nous disent quand nous effectuons notre tour de France des hôpitaux : aides-soignants, infirmières ou chefs de service, tous appellent au secours !
M. Michel Savin. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Il faut des mesures d’urgence qui ne répondent pas obligatoirement à la crise immédiate, mais à la situation générale. Il faut créer 100 000 postes, et c’est possible – supprimer la taxe sur les salaires représente 4 milliards d’euros.
Il faut en finir, madame la ministre, avec un ONDAM contraint. Vous évoquez les politiques de santé de vos prédécesseurs, mais vous menez les mêmes politiques d’austérité, qui mettent à genoux les hôpitaux.
Vous qui voulez être à l’écoute des professionnels, quand les médecins hospitaliers vous demandent, par courrier, une entrevue, il faut la leur accorder. Or ce n’est pas ce que vous avez fait, nous ont-ils dit. Le 5 juillet, nous les rencontrerons à l’Assemblée nationale, pour construire ensemble un plan d’urgence des hôpitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
présidence de la république et laïcité
M. le président. La parole est à M. Alain Duran, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Alain Duran. Aujourd’hui, le Président de la République a accepté le titre de « premier et unique chanoine d’honneur » et pris possession de la stalle en la basilique Saint-Jean-de-Latran. Ce faisant, il s’inscrit dans les pas d’Henri IV, qui avait inauguré cette pratique en 1604, avant que la Révolution ne la fasse tomber en désuétude jusqu’en 1957.
Il ne s’agit aucunement d’une obligation institutionnelle, puisque l’article 1er de notre Constitution se borne à rappeler que la France est une République laïque, qu’elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de religion et qu’elle respecte toutes les croyances, tandis que l’article 2 de la loi de 1905 énonce que la République ne reconnaît aucun culte.
Il ne s’agit pas non plus d’une coutume, puisque, dans la féconde histoire de notre république, seuls cinq présidents ont pris possession de ce titre – Georges Pompidou, François Mitterrand et François Hollande s’en sont tous les trois abstenus, ce qui ne les a pas empêchés d’avoir des relations diplomatiques constructives avec le Vatican.
Il s’agit plutôt d’un énième dévoiement de la laïcité (Exclamations sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.), au profit d’un œcuménisme communautariste qui affaiblit notre république. Le Président, alors candidat, l’avait déjà dévoilé en février 2017, en déclarant regretter que la loi ouvrant le mariage aux couples du même sexe ait humilié une partie des catholiques ou, en avril dernier, en affirmant encore vouloir « réparer le lien qui s’est abîmé entre l’Église et l’État ».
Alors que votre majorité à l’Assemblée nationale se fissure une nouvelle fois à cause de l’opposition de certains de vos députés au souhait du Gouvernement d’exempter les « associations à but cultuel » de l’obligation de déclarer leurs actions de lobbying auprès des décideurs publics, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous expliquer le sens de cette visite, au moment où les fondements de notre république laïque sont affaiblis par les revendications identitaires et communautaristes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur Duran, sur la laïcité, le Président de la République et les membres du Gouvernement n’ont jamais changé de ligne, celle d’un attachement profond à la loi de 1905, qu’Aristide Briand avait conçue comme fondatrice d’une laïcité de liberté. Certes, l’État ne reconnaît aucune religion, mais chaque citoyen doit pouvoir exercer son culte dans de bonnes conditions, ou alors ne pas croire, ce qui est une autre liberté.
La visite d’État de ce jour permettra d’abord au Président de la République et au pape, qui est aussi un chef d’État, de se rencontrer pour la première fois et d’entamer un dialogue sur plusieurs thèmes, notamment l’émigration, dont nous avons beaucoup parlé, ici même, ces jours derniers, la lutte contre le dérèglement climatique, l’aide au développement, la situation des chrétiens d’Orient, mais aussi la protection des minorités.
Je tiens également à préciser que le titre de chanoine du Latran, dont le président prendra officiellement possession, est un titre laïque, qui n’a aucune dimension spirituelle, mais possède uniquement une signification honorifique et historique.
C’est une distinction, vous l’avez souligné, qui revient automatiquement au chef de l’État français depuis Henri IV. Pour être très précis historiquement, tous les Présidents de la République l’ont été, même si tous n’ont pas fait le voyage… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Michèle Vullien applaudit.)
Comme je l’ai dit, le Président de la République et le Gouvernement poursuivent le dialogue avec toutes les religions.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il n’y a pas lieu de polémiquer. L’État dialogue avec toutes les forces vives. Qui peut nier que l’Histoire est l’Histoire et que les religions en font partie ? D’ailleurs, si vous tournez la tête, monsieur le sénateur, vous verrez que la statue de Saint Louis est derrière vous dans cet hémicycle et qu’elle vous protège. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)
zone euro
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Madame la secrétaire d’État, la semaine dernière, a eu lieu une réunion cruciale de l’Eurogroupe, qui pourrait bien déterminer l’avenir de la zone euro.
Tout d’abord, elle a permis d’acter un accord sur la dette grecque et de rendre aux Grecs leur autonomie financière. Après presque une décennie de sacrifices, c’est un grand moment pour la Grèce, c’est un grand moment pour la France, qui s’est toujours tenue à ses côtés, et c’est un grand moment pour la zone euro, qui montre qu’elle est enfin capable de sortir de la crise.
Ensuite, cette réunion a permis de présenter le programme de réforme de la zone euro, défini par Emmanuel Macron et Angela Merkel à Meseberg, la semaine dernière. Ce projet est équilibré : il associe l’idée française d’un budget commun de la zone euro et la volonté allemande de créer un véritable Fonds monétaire européen. Il associe donc à égalité rigueur budgétaire et nécessité d’investir dans l’avenir.
Toutefois, nombre de questions restent en suspens sur le financement, l’utilisation et surtout le volume de ce budget de la zone euro. Le président Macron s’est heurté au refus de la Chancelière d’annoncer un montant précis. Espérons que la montagne française n’accouchera pas d’une souris allemande ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. Roger Karoutchi. L’image n’est pas extraordinaire…
M. Emmanuel Capus. Madame la secrétaire d’État, les questions que nous nous posons ne sont pas seulement techniques ; elles sont aussi politiques. La zone euro apparaît plus divisée que jamais. Votre homologue néerlandais a pris la tête d’une fronde de douze pays opposés au projet franco-allemand. Au sein même de la majorité d’Angela Merkel, plusieurs poids lourds s’opposent à ce que les Allemands payent pour les autres. La Chancelière est affaiblie, l’unité de l’Eurogroupe est rompue. La France apparaît bien seule pour porter une ambition européenne forte et crédible.
Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous convaincre nos partenaires d’avancer avec nous pour réformer la zone euro et construire une union économique et monétaire plus forte et plus protectrice ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Capus, vous avez salué l’accord crucial sur la Grèce. Il s’agit en effet d’un pas extrêmement important, qui nous permet de sortir de dix années au cours desquelles nous sommes allés de programme en programme pour soutenir la Grèce. C’est un accord majeur !
Les difficultés de la Grèce ont servi de révélateur des faiblesses de la zone euro. Il nous faut la réformer, notamment grâce au mécanisme européen de stabilité. Le statu quo n’est pas une option : nous ne pouvons nous satisfaire d’une union monétaire qui ne soit pas davantage une union économique. C’est tout l’esprit de la feuille de route dont nous avons discuté avec l’Allemagne.
Nous avons prévu de parachever l’union bancaire, de faire en sorte que son filet de sécurité ultime soit pleinement opérationnel, de renforcer encore le mécanisme européen de stabilité et de créer un véritable budget de la zone euro. Il s’agit là de réponses indispensables pour faire émerger une union prospère et plus stable.
Bien évidemment, ces propositions doivent être portées au sein de l’Eurogroupe, ce que nous avons commencé à faire.
Les autres États membres sont convenus qu’il s’agissait d’une base de travail solide. Il est toutefois normal, et même sain, que des discussions aient lieu. Je puis vous assurer que Bruno Lemaire et Olaf Scholz sont absolument déterminés à convaincre nos partenaires de la zone euro d’avancer.
Nous sommes ouverts aux discussions, mais il faut maintenant avancer, et très vite. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
dépense publique
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la secrétaire d’État, la France est championne – pas encore de football, mais de la dépense publique, au dernier rang des pays de l’OCDE.
Le problème n’est pas nouveau : cela fait cinquante ans que les gouvernements successifs se sont essayés à rendre plus efficaces les dépenses de l’État.
« Si comme moi, vous aimez l’action publique, si vous aimez gagner du temps, vous simplifier la vie et que vous êtes un peu geek, le sujet va vous passionner. » Ces mots, prononcés par le Premier ministre le 13 octobre 2017, confortaient mon enthousiasme de participer au Comité Action publique 2022.
Ce comité, chargé par le Gouvernement de pointer les principaux dysfonctionnements des services publics et de dresser la liste des solutions possibles, devait être celui d’un nouveau monde. Je cite toujours le Premier ministre : « Nous aurions pu faire comme avant : présenter un plan d’économies. Nous avons voulu faire quelque chose de radicalement différent, à la fois de plus intelligent, de plus respectueux et de plus durable : transformer en profondeur l’action publique. »
Au terme des travaux du Comité, mon enthousiasme s’est éteint et l’espoir d’un nouveau monde n’est plus qu’un mirage. Alors que l’implication des membres du Comité a été forte pour essayer de proposer des idées disruptives, pour rendre l’action publique plus efficace par de la simplification, de la rationalisation, de la mutualisation, très rapidement les seules propositions retenues furent celles qui se chiffraient en millions d’euros d’économies.
Mes questions sont donc les suivantes, madame la secrétaire d’État. Le rapport du Comité Action publique 2022, et plus largement le programme Action Publique 2022, sera-t-il porté à la connaissance des parlementaires, des élus locaux, voire des citoyens ? Les expériences antérieures ont montré l’inefficacité d’une vision purement technocratique.
Quel est le calendrier du chantier Action Publique 2022 ? Quel est le montant réel du plan d’économies ? À quelle échéance ? Les économies porteront-elles sur le budget de l’État ou sur celui des collectivités locales, qui ont déjà largement contribué ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame Lavarde, vous abordez un sujet important, ce dont je vous remercie.
Je tiens à rappeler que nous venons de vivre un moment particulier de notre histoire budgétaire : en 2017, pour la première fois depuis 2009, l’engagement de ramener notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB a été respecté, ce qui nous ouvre la possibilité de sortir de la procédure européenne de déficit excessif.
Ce résultat est dû à l’amélioration de la conjoncture, mais aussi aux efforts du Gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…
M. Jean-Pierre Sueur. Et à François Hollande !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. … qui a fortement travaillé pour contenir la croissance des dépenses publiques à 1,8 % du PIB, en deçà des 2,2 % prévus. Nous allons poursuivre cet effort.
Madame Lavarde, vous avez travaillé dans le cadre du groupe de travail Action publique 2022, au cœur des réflexions du Gouvernement pour transformer l’action publique. Cette transformation en profondeur, qui doit être portée par chacun des ministres, est en cours de réflexion et d’évaluation.
M. Martial Bourquin. Voilà qui ne veut rien dire !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Mon ministère, par exemple, a engagé de façon très détaillée la revue des aides publiques aux entreprises. Il s’agit bien d’une transformation de l’action publique et d’une transformation en profondeur de l’organisation de nos moyens, pour répondre aux missions prioritaires.
M. Claude Raynal. Ce n’est pas sérieux !
M. Michel Savin. Répondez à la question posée !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Les ministres ont tous pris en compte les propositions du groupe de travail et sont en train de mettre en place leurs plans de transformation, qui seront présentés au Premier ministre au cours des prochaines semaines.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. C’est au fil de ces propositions que nous pourrons avancer sur le chemin d’une meilleure efficacité de notre action. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. J’ai du mal à être convaincue, madame la secrétaire d’État : en tant que membre du Comité, je n’ai pas eu connaissance de son rapport.
Vous nous dites que le Gouvernement agit, mais sur quelles bases et sur quelles propositions ? Nous attendons de voir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
agence européenne des réfugiés
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Depuis une semaine, les réunions européennes sur les questions des migrations et du droit d’asile se succèdent. Le sujet figurera également au sommet de l’agenda du Conseil européen qui se tiendra en fin de semaine à Bruxelles. Il y a urgence à définir des règles et des moyens d’action communs.
Toutefois, au regard des positions très divergentes en présence, il y a peu de chances qu’un accord unanime soit trouvé. L’Europe doit pourtant impérativement avancer, notamment sur la question de l’accueil des réfugiés, en trouvant une solution au refus des pays de Visegrad d’honorer leurs quotas d’« asilés », fixés à la suite de la crise migratoire de 2015.
Pour ce faire, plusieurs solutions sont évoquées. Très récemment, le Président Macron a suggéré de conditionner l’attribution de certains fonds structurels européens à l’accueil effectif de réfugiés. Si un tel instrument peut se révéler efficace, il nous faudra d’abord inscrire cette conditionnalité de principe dans le prochain cadre financier pluriannuel, ce qui n’est pas encore acquis.
Pour autant, ce type de mesure contraignante à l’encontre des États réfractaires devrait utilement s’accompagner de mesures d’ordre plus incitatif. La Commission envisage la création d’une agence européenne pour l’asile, dont les contours demeurent encore peu définis.
Certains suggèrent qu’une telle agence devrait prioritairement soutenir les municipalités ou les territoires acceptant d’accueillir des migrants, en leur octroyant des fonds pour l’accueil, ainsi qu’un « bonus » pour leur budget général. Cette contractualisation directe entre collectivités volontaires et Union européenne permettrait ainsi de contourner le refus de certains États.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur la position du Gouvernement à l’égard de ces différentes pistes concernant l’accueil des réfugiés ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur Gattolin, l’Europe, on ne peut pas se le cacher, est à la croisée des chemins. Tout ce qui a été patiemment et laborieusement bâti depuis des décennies peut se retrouver défait en quelques mois ou quelques années. Le Brexit montre que le délitement peut être parfois très rapide.
L’Union européenne est soumise en ce moment à des tests de solidité et de souveraineté, pour ce qui concerne sa politique, tant commerciale que migratoire. C’est donc en commun que nous devons apporter des réponses fondées sur des principes simples, à savoir la responsabilité et la solidarité.
Un ensemble de mesures doivent être prises. Il convient tout d’abord d’améliorer la coopération avec les pays d’origine et de transit. De ce point de vue, la France a pris des engagements forts sous la houlette du Président de la République, puisqu’il s’agit d’augmenter notre aide publique au développement, qui devra atteindre 0,55 % de notre revenu national brut. Le Premier ministre évoquait d’ailleurs le sujet de l’Alliance pour le Sahel ce matin même avec son homologue malien.
Il faut ensuite éviter que certains demandeurs d’asile, légitimement éligibles à ce droit, n’aient à faire cette traversée de la mort. C’est tout l’objet des missions de l’OFPRA déployées dans un certain nombre de pays, notamment la Libye, le Tchad et le Niger. Elles identifient les personnes dont les droits en la matière sont imprescriptibles.
En outre, il est nécessaire de renforcer les moyens de l’Union européenne pour la protection des frontières extérieures. Ainsi FRONTEX doit-il passer d’un effectif de 1 200 personnes à un effectif de 10 000 personnes.
Il existe donc une large palette de solutions. La mise en place d’une agence européenne pour l’asile, que vous venez d’évoquer, est une idée fortement soutenue par la France et l’Allemagne. Elle fera l’objet des débats qui se tiendront ces prochains jours. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
trafiquants de drogue
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la garde des sceaux, voilà une semaine, douze individus, dont neuf détenus, soupçonnés de trafic international de drogue portant sur des quantités importantes de cannabis, d’héroïne, de cocaïne, d’ecstasy ou encore de Kétamine, devaient comparaître devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Parmi ces individus, huit prévenus incarcérés ont dû être remis en liberté faute de magistrats disponibles, à la suite de l’arrêt maladie de la juge chargée du dossier, le délai légal de six mois de détention provisoire obligeant à les libérer.
Sans remettre en cause le travail considérable des juges, je considère comme inacceptable, dans un système juridique aussi abouti que le nôtre, de voir une audience annulée pour manque de moyen humain. Pis, il est inconcevable d’imaginer qu’un individu soupçonné ne soit pas jugé dans les conditions prévues par la loi et soit remis en liberté, y compris dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Par ce jeu des actes manqués, notre système s’épuise et se ridiculise. Comment une institution aussi importante que l’autorité judiciaire ne peut-elle être en capacité d’assurer son rôle ? Cette affaire n’a malheureusement rien d’exceptionnel et ne doit pas être banalisée sous prétexte de la crise que subit l’institution.
Madame la garde des sceaux, comptez-vous attendre mars 2019 – c’est la date qui a été avancée – pour que ces trafiquants passent en jugement ?
Plus largement, je souhaiterais savoir comment vous comptez régler au plus vite ces situations, afin qu’elles ne puissent se reproduire. En effet, elles créent un sentiment d’impunité pour les délinquants et de désespérance pour les magistrats, les policiers et les victimes. Prévoyez-vous des mesures explicites afin d’endiguer le phénomène de surcharge de travail des magistrats ? Il y va, me semble-t-il, de la crédibilité du système judiciaire et légal français.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu été informée de la décision du tribunal de Pontoise. Je dois le dire très sincèrement, elle m’a choquée.
M. Gérard Longuet. Vous n’êtes pas la seule !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette décision est grave, puisqu’elle entraîne la remise en liberté des prévenus, même s’ils sont effectivement placés sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, elle concerne l’organisation et le fonctionnement du service public de la justice. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’autorise à porter un jugement sur cette affaire.
Il faut le savoir, cette décision ne relève pas exclusivement du manque d’effectifs, comme cela a pu être dit. Je le rappelle, le tribunal de grande instance de Pontoise regroupe soixante-dix magistrats. À l’heure actuelle, soixante-huit postes sont pourvus. Les deux postes vacants concernent un juge de l’application des peines et un juge du tribunal d’instance, donc en aucun cas un juge correctionnel.
J’ajoute par ailleurs que le recrutement de nouveaux magistrats nous permettra, dès le mois de septembre prochain, de combler l’une de ces deux vacances. En outre, le budget de la justice pour l’année 2018 et les années suivantes nous permettra de recruter un nombre important de magistrats.
Concernant l’affaire qui vient d’être évoquée, j’ai saisi les chefs de cour de la Cour d’appel de Versailles pour leur demander des explications précises sur quatre points. J’ai sollicité des précisions sur l’organisation générale du service correctionnel, notamment sur l’audiencement, ainsi que sur l’existence d’un dispositif de remplacement des magistrats en cas d’empêchement.
J’ai demandé un rapport circonstancié sur le déroulement de l’audience qui a été évoquée et sur l’impossibilité d’examiner cette affaire avant plus d’un an. J’ai en outre souhaité avoir des éléments d’explication sur les conditions dans lesquelles le renvoi a été prononcé, et s’il a été précédé, comme cela doit être le cas, d’une information à la présidente de la juridiction. J’ai enfin demandé à être éclairée sur les difficultés particulières qui auraient justifié un tel report et une telle situation.
En fonction des éléments qui me seront remis, j’envisagerai ou non la saisine de l’Inspection générale de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Troendlé et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de la sincérité de vos propos. Bien sûr, j’aurais aimé qu’ils me rassurent complètement, mais je crains qu’il ne faille encore attendre un certain temps avant de ne plus jamais voir ce type de situation.
La répétition de ces phénomènes témoigne d’un dysfonctionnement qu’il faut traiter en toute urgence. Il y va de l’efficacité de notre système judiciaire, qui ne doit pas conforter les délinquants dans leur sentiment d’impunité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
transformation de l’isf
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, les associations jouent un rôle déterminant dans notre pays, notamment au titre de la cohésion sociale. Elles ont été récemment fragilisées par la diminution drastique des contrats aidés, ainsi que par la baisse des subventions qui leur étaient accordées. Aujourd’hui, elles le sont de nouveau, en raison de certaines mesures adoptées dans le cadre du dernier projet de loi de finances.
En effet, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière a fait sortir du calcul de cet impôt nombre de contribuables, qui ont par conséquent perdu la possibilité de bénéficier de la déduction fiscale de 75 % et ont donc interrompu leurs dons. Il en résulte une diminution massive des dons, de l’ordre de 50 % à 60 %, qui représente une baisse de recettes estimée à plus de 130 millions d’euros sur les 273 millions d’euros collectés en 2017.
Par ailleurs, l’une des principales sources de financement des associations est la multiplicité des petits dons. Or, à la suite de la hausse de la CSG, une diminution très nette des dons a été constatée, notamment de la part des retraités, qui font preuve d’une grande générosité, au travers de dons modestes et réguliers. La baisse de leur pouvoir d’achat les a conduits à diminuer le montant de leur participation.
À cela vient s’ajouter le fait que la mise en place du prélèvement à la source, qui n’aura pourtant pas de conséquences sur les déductions fiscales, crée une incertitude, voire une confusion, l’année blanche perturbant la campagne de collecte de dons en 2018.
M. Albéric de Montgolfier. C’est le gouvernement socialiste qui l’a institué !
M. Jean-Michel Houllegatte. Bon nombre d’associations sont en danger et nous alertent. Face à cette situation, comptez-vous prendre des mesures spécifiques envers le monde associatif ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Houllegatte, nous avons bien entendu votre plaidoyer en faveur des associations, dont nous reconnaissons nous aussi le rôle déterminant.
Ainsi le Gouvernement a-t-il maintenu un cadre incitatif très fort au profit du secteur associatif. Dans le cadre de l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, la réduction d’impôt pour dons reste au taux de 75 %, qui est particulièrement avantageux. Nous avons également conservé le calendrier des dons, ce qui constituait un souhait important des professionnels du secteur.
Certes, le nombre d’assujettis à l’IFI est par nature moins important que le nombre de ceux qui étaient assujettis à l’ISF. C’est le sens même de la réforme. Toutefois, à l’inverse, l’allégement de la fiscalité sur le capital et la redirection de l’épargne pourront être un facteur positif pour les secteurs concernés par les dons.
Il faut également rappeler que les anciens donateurs assujettis à l’ISF et qui ne seront pas assujettis à l’IFI sont, dans leur grande majorité, imposables pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu. Ils pourront donc bénéficier à ce titre de la réduction d’impôt sur le revenu pour dons aux œuvres, à un taux très avantageux de 66 %.
Je voudrais partager avec vous mon espoir et mon optimisme : nos concitoyens continueront à s’intéresser aux œuvres et associations. Ces dernières pourront attirer et fidéliser des donateurs qui ne sont pas uniquement motivés par la perspective d’une réduction d’impôts.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 5 juillet prochain, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda.
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, je souhaite apporter trois rectifications concernant des votes émis lors de l’examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Lors du scrutin public n° 155, M. Bernard Fournier a été comptabilisé comme ne participant pas au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.
Lors du scrutin public n° 160, M. Max Brisson a été comptabilisé comme ne participant pas au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.
Enfin, lors du scrutin n° 163, j’ai moi-même été comptabilisée comme ne participant pas au vote, alors que je souhaitais voter contre.
Je vous remercie de bien vouloir tenir compte de ces rectifications.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins.
5
Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (projet n° 525, texte de la commission n° 571, rapport n° 570, tomes I et II, avis n° 563).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après soixante-dix-sept heures de débat en séance publique, l’Assemblée nationale vous a passé le relais pour travailler et enrichir un texte clé pour l’agriculture et l’alimentation dans notre pays.
Dans le cadre de l’examen de ce texte en commission, vous avez pu étudier un nombre important d’amendements. Pour la séance publique, celui-ci a été multiplié par deux. Je tiens donc à vous remercier de votre intérêt pour ce texte et du sérieux du travail mené par la Haute Assemblée, et plus particulièrement par les rapporteurs.
Je note néanmoins que, si vous avez supprimé 18 articles en commission, vous n’avez pas manqué d’en créer 11 nouveaux. Je reconnais là non seulement la sagesse des sénateurs, mais aussi leur grande créativité.
Si nous nous retrouvons s’agissant de certaines suppressions d’articles, selon moi justifiées, il n’en demeure pas moins que la disparition de certains articles ou alinéas sera l’objet de discussions, au cours des heures qui nous réuniront autour d’un seul et unique objectif, celui de répondre aux exigences identifiées au cours des États généraux de l’alimentation.
Il s’agit de l’urgence à restaurer la capacité des agriculteurs à tirer un revenu décent de leur travail et de la nécessité de mieux répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens en proposant à tous et à chacun une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous.
Ce projet de loi est le premier outil de la feuille de route de la politique de l’alimentation tracée par le Premier ministre et les ministres présents le 21 décembre dernier, lors de la clôture des États généraux. Mais il n’est pas le seul, et il importe de jouer de la complémentarité de tous les outils pour avancer sur les sujets agricoles et alimentaires
Je pense notamment aux plans de filière, qui signent l’engagement des acteurs économiques ; au programme « Ambition bio 2022 », que j’ai eu le plaisir de présenter hier ; au renforcement de la stratégie relative au bien-être animal ; et à la feuille de route sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante des pesticides, qui témoignent des dynamiques de transformation qui sont à l’œuvre ; au plan d’action « bioéconomie », qui ouvre des pistes de diversification des revenus agricoles ; au travail sur la fiscalité agricole, que j’ai engagé avec Bruno Le Maire, des parlementaires et des représentants des acteurs de l’agriculture ; enfin, au volet agricole du grand plan d’investissement, qui marque la volonté de l’État d’être présent aux côtés des acteurs pour accompagner les évolutions en cours ou à venir.
La liste, vous le savez, n’est pas exhaustive. Mais il me paraissait important de remettre en perspective le travail que nous conduisons. Nous avons besoin d’un cadre légal clair, facilitateur, qui laisse chacun des acteurs exercer ses compétences et ses responsabilités. Les acteurs doivent se l’approprier pleinement et construire des dynamiques nouvelles.
Depuis le début de la semaine dernière, les interprofessions sont une nouvelle fois reçues à mon ministère, afin de faire un point sur la mise en œuvre des plans de filière, qu’il s’agisse du travail sur la contractualisation – je pense notamment aux indicateurs – ou de l’affinement et de la concrétisation des engagements sociétaux.
Je souhaite prendre un peu de temps pour vous livrer l’état d’esprit du Gouvernement dans cette discussion, mais aussi pour vous apporter des explications et vous convaincre du bien-fondé de nos propositions.
Vous le savez, nous devons lutter à la fois contre ceux qui veulent que rien ne bouge et qui se complaisent dans des politiques figées, pour mieux les dénoncer ensuite, et ceux qui veulent absolument imposer leurs visions et leurs modèles sans se soucier des difficultés créées. Cette politique du « pied au mur » ne permet pas les démarches de progrès auxquelles je crois et que je souhaite construire avec vous dans un dialogue singulier, permanent et respectueux des valeurs de chacune et chacun.
L’agriculture et l’alimentation sont au cœur de notre projet pour la France. Pourquoi ? Parce qu’elles sont l’une des clés de notre souveraineté. Parce que l’agriculture est au carrefour de multiples politiques qui façonnent notre pays : l’alimentation, l’aménagement du territoire, la ruralité, la transition écologique, le commerce extérieur et les relations internationales. Parce que l’une des missions premières de l’agriculture est de nourrir la population. Parce que l’alimentation est un enjeu quotidien pour tous nos concitoyens : bien manger, en quantité et en qualité ; permettre à chacun de manger sain, sûr, durable, sans oublier la dimension conviviale de nos repas, qui fait partie des grandes traditions françaises.
En abordant cette discussion, nous devons penser tout particulièrement aux agriculteurs et à tous nos concitoyens, comme nous l’avons fait pendant les États généraux de l’alimentation.
Pensons aux agriculteurs. L’agriculture française doit pouvoir retrouver son esprit de conquête. Les agriculteurs disposent d’un savoir-faire et d’une force de travail indispensables à la vie économique de la France et à l’aménagement de nos territoires. Ils sont les gardiens des paysages et de la biodiversité, au cœur de notre identité et de nos défis alimentaires, économiques et environnementaux. Comment faire réussir la France sans l’agriculture française ?
C’est parce que nous voulons une agriculture prospère, compétitive et durable que notre projet vise à soutenir les agriculteurs, afin qu’ils puissent vivre de leur travail, tout simplement.
Au travers de ce projet de loi, nous voulons donc défendre avec vous une agriculture riche de la diversité de ses modèles agricoles. Il ne s’agit pas d’opposer ces modèles. Il faut au contraire qu’ils soient complémentaires et créent les ressources suffisantes, pour développer nos économies locales et nous permettre d’être présents sur les marchés nationaux et internationaux. Parce que nous souhaitons, dans notre projet de transformation de la France, que le travail paie, nous devons nous engager pour que les agriculteurs perçoivent le juste prix de leur labeur.
Pensons aussi à nos concitoyens. Nous sommes tous sensibles à au moins l’une des facettes du chantier sociétal des États généraux de l’alimentation. Nous sommes attentifs à ce que mangent nos enfants à la maison et à l’extérieur. Nous sommes aussi préoccupés de l’alimentation des personnes les moins favorisées, comme en témoigne la générosité des dons des Français aux associations caritatives. Nous sommes soucieux du bien-être animal. Nous sommes concernés et vigilants sur les enjeux environnementaux.
Grâce à ce texte, je veux redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeur.
Nous partageons tous le même constat. La situation n’a que trop duré. Les agriculteurs subissent de plein fouet une guerre des prix et ne dégagent pas, ou plus, les marges de manœuvre qui sont indispensables, tant à la rémunération de leur travail ou de leur capital qu’à la montée en gamme des productions alimentaires.
Cette guerre des prix se nourrit du déséquilibre de l’offre et de la demande, de l’absence d’organisation de la production, de la concentration toujours plus forte du secteur la distribution. Elle se nourrit aussi, parfois, de la défiance des consommateurs et des injonctions contradictoires qu’ils envoient aux producteurs.
Je ne crois pas que l’on puisse avoir des productions toujours plus saines, plus élaborées et plus durables avec des prix toujours plus bas et des promotions toujours plus attrayantes.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Stéphane Travert, ministre. Sans nier qu’il y ait eu des parenthèses plus favorables pour certaines productions, le sujet auquel il nous faut apporter des réponses est bien celui de la répartition et de la relance de la création de valeur, pour lutter contre la vente à des prix anormalement bas.
Ma priorité est bien de redonner aux agriculteurs le juste prix de leur production et la visibilité indispensable à tout entrepreneur pour penser le temps long et produire ainsi une alimentation de qualité, dans le respect de règles sociales, environnementales et sanitaires renforcées.
Que propose aujourd’hui le projet de loi pour atteindre cet objectif ?
Le titre Ier regroupe une palette de dispositifs visant à redonner sa juste place à chaque maillon de la chaîne de valeur agricole et alimentaire : la construction du prix à partir de l’amont et des coûts de production des agriculteurs, puisque le contrat et les prix associés seront désormais proposés par celui qui vend : la clause de renégociation, plus opérationnelle, pour faciliter la réouverture des négociations commerciales en cas d’évolution des coûts de production ; la lutte contre les prix abusivement bas, avec des contrôles et des sanctions ; le rôle accru de la médiation ; le renforcement des interprofessions ; le travail sur le statut et le rôle de la coopération agricole ; l’encadrement des promotions ; le seuil de revente à perte, fixé à 10 %.
Sur ce dernier point, je souhaite rassurer les consommateurs, parfois inquiets des propos alarmistes de certains distributeurs. Oui, c’est vrai, le relèvement du seuil de revente à perte et la fin des promotions excessives vont induire pour la distribution, dans un premier temps, une hausse de marge et de chiffre d’affaires. Mais non, il n’y a aucune fatalité à ce que ces hausses se traduisent par une augmentation globale des prix pour le consommateur !
Chaque distributeur pourra revoir ses marges à la baisse sur d’autres produits, tout en augmentant le prix payé à ses fournisseurs, notamment les producteurs et les PME de l’agroalimentaire.
Ce rééquilibrage des marges se répartira sur un nombre si important de produits que le distributeur pourra finalement contribuer à la meilleure rémunération des agriculteurs et préserver le pouvoir d’achat des consommateurs.
Vous le voyez, l’édifice du titre Ier de la loi est un tout, un ensemble cohérent de mesures qui repositionnent chaque acteur sur ses compétences et face à ses responsabilités.
À ce sujet, et nous aurons l’occasion d’en rediscuter ici, je ne suis pas en phase avec les dispositions sur l’élaboration des indicateurs dans la version actuelle du projet de loi. Au-delà du risque juridique de la rédaction actuelle, cela revient à fragiliser le rôle des interprofessions et à déresponsabiliser les opérateurs, ce qui est contraire à notre objectif. Nous naviguons, certes, dans un environnement juridique contraint, mais nous ne pouvons pas l’ignorer, au risque de prendre des dispositions qui ne seraient pas opérationnelles et seraient donc sans effet. Il faut que tout le monde en ait conscience.
Si chacun, demain, prend ses responsabilités, cette loi sera efficace et opérationnelle. Elle ne laissera pas la place aux interprétations s’agissant de la répartition de la valeur créée. Je suis convaincu – je crois que vous l’êtes aussi sur ces travées – que le premier des défis qui attendent nos modèles agricoles, c’est bien de recréer des marges financières pour offrir à la fois de la visibilité pour investir et transformer durablement nos modèles.
Cette visibilité et cette capacité à penser l’agriculture à moyen terme sont indispensables pour conduire les transformations rendues nécessaires par le contexte économique, mais aussi pour répondre aux attentes sociétales. À cet égard, les titres suivants du projet de loi, qui sont à mes yeux aussi importants que le premier, viennent soutenir la première jambe du texte, à savoir la finalité de la production agricole, l’alimentation des Françaises et des Français.
Bien plus qu’un besoin élémentaire – les États généraux l’ont souligné –, la consommation de denrées alimentaires est un acte auquel nos concitoyens accordent un sens profond, une attention renforcée, presque politique, au sens noble du terme.
Comment notre alimentation contribue-t-elle à nous maintenir en bonne santé et à protéger notre environnement ? Comment développer une alimentation à la fois sûre, saine, durable et – j’insiste sur ce point – accessible à tous ?
Le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de porter une politique alimentaire favorisant des choix qui préservent le capital de santé de chacun et le capital environnemental de tous.
En matière de commercialisation de produits phytopharmaceutiques, le projet de loi interdit les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits. Je souhaite que nous puissions rouvrir ce débat ensemble. Il prévoit également de séparer les activités de vente et de conseil et de sécuriser le dispositif des « certificats d’économies des produits phytopharmaceutiques » par voie d’ordonnance. Pourquoi ? Pour contribuer à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
En matière de sécurité sanitaire, les pouvoirs d’enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments sont renforcés. Pourquoi ? Pour accroître l’efficience des contrôles de l’État.
Dans le domaine du bien-être animal, le texte initial du Gouvernement prévoyait déjà d’étendre le délit de maltraitance animale, ainsi que le doublement des peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels. Il était aussi proposé de donner la possibilité aux associations de protection des animaux de se porter partie civile en cas d’infraction constatée par un contrôle officiel. Je me félicite que cet article ait été voté dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.
Autre volet clé du projet de loi, à l’intérieur du titre II, le Gouvernement veut faire de la politique de l’alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales. Nous le savons tous, l’accès à une alimentation variée et de qualité est encore aujourd’hui très corrélé à l’appartenance à une catégorie sociale. C’est le cas de l’obésité ou du diabète.
Pour tenter de réduire ces inégalités sociales, il vous est proposé, à l’article 11, de faire de la restauration collective un levier d’amélioration de la qualité de l’alimentation pour tous, et ce dès le plus jeune âge.
Comment ? La restauration collective publique représente plus de la moitié des 7,3 milliards de repas hors foyers servis en France chaque année. Nous souhaitons que la restauration collective publique s’approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l’agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité à compter du 1er janvier 2022. Sur ce point, je me félicite que vos rapporteurs aient proposé de réintroduire l’objectif d’atteindre 20 % de produits issus de l’agriculture biologique d’ici à 2022.
Enfin, le projet de loi vise à lutter contre la précarité alimentaire et à limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 ont donc pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d’un diagnostic obligatoire et d’étendre à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire le don alimentaire.
Tel est, dépeint rapidement, le panorama global du présent projet de loi. Je serai bien entendu attentif à vos propositions pour améliorer le texte. Il s’agit de nous inscrire collectivement et résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes, du producteur au consommateur, que l’environnement dans lequel ils évoluent.
Construire une trajectoire pour tirer notre agriculture vers le haut, par l’innovation, par l’investissement, par la montée en gamme, par la confiance, c’est lui donner toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation.
Avec le Président de la République et le Premier ministre, je veux refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société pour leur redonner la fierté de leur travail et redonner à la France la fierté de son agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques. Plusieurs mois après la conclusion des États généraux de l’alimentation, qui ont suscité, semble-t-il, beaucoup d’espérances, l’heure est venue pour le Sénat d’examiner le projet de loi qui en résulte.
Ce texte prétend créer les conditions d’augmentation des revenus des producteurs. C’est une légitime priorité nationale. Comment peut-on en effet assurer la survie de notre agriculture, élément essentiel de notre souveraineté nationale, si le métier de paysan n’est plus assez attractif, faute de revenus suffisants ? Les paysans doivent être respectés et bénéficier de la même modernité que dans les autres pays européens.
Monsieur le ministre, soyez assuré que vous trouverez toujours un soutien appuyé dans la Haute Assemblée dès qu’il s’agira d’assurer une meilleure rémunération de nos agriculteurs, actifs ou retraités. (Exclamations amusées.) De nombreuses filières souffrent d’une guerre des prix toujours plus vivace. Les revenus des producteurs n’ont pas à financer les promotions des consommateurs. Tout ce qui permettra aux producteurs de mieux peser dans la chaîne de valeur d’un produit est essentiel. Tout ce qui permettra aux agriculteurs de vivre décemment de leur métier recevra notre aval.
Toutefois, ce projet de loi prend un risque immense : celui de ne rien changer pour nos agriculteurs. Car, après tant de promesses semées par le Président de la République et par le Gouvernement, je crains que la récolte ne contienne quelques déceptions, pour trois raisons principales.
Premièrement, le projet de loi ne concerne pas forcément la majorité des filières. Puisque le principal levier est la contractualisation, on peut considérer que seulement 40 % des producteurs seront concernés par le texte.
Deuxièmement, le projet de loi ne parle que du prix, qui n’est qu’une composante du revenu. Il ne parle ni des charges, ni de la fiscalité, ni des aléas climatiques et économiques, ni des autres sources de revenus, comme la politique agricole commune.
À cet égard, monsieur le ministre, il est paradoxal de palabrer pendant plusieurs mois sur une très improbable hausse des revenus agricoles, alors que vous êtes peut-être, nous semble-t-il, en train de perdre les négociations sur le budget de la politique agricole commune à Bruxelles ! (M. le ministre le conteste.) Ces négociations se traduiront directement, et de manière certaine, par une baisse des revenus aux producteurs, puisque c’est une partie de leur chiffre d’affaires.
Troisièmement, cette loi n’est pas une loi agricole. C’est une loi contractuelle. D’ailleurs, depuis son passage à l’Assemblée nationale, elle est devenue très alimentaire, laissant aux agriculteurs l’amère impression d’être les oubliés de leur propre projet de loi, alors qu’ils sont parfois anormalement montrés du doigt.
Il est question, dans l’intitulé du projet de loi, d’une alimentation « saine » et « durable ». L’agriculture existe depuis quelques milliers d’années. Elle a commencé à exister lorsque les populations ont cessé de chasser et de pêcher exclusivement et commencé à cultiver. Depuis lors, les agriculteurs n’ont fait que s’améliorer. Aujourd’hui, l’alimentation est si saine, si massive et si bon marché que les gens finissent par l’oublier ; il me semblait donc utile de le rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.) Et l’intitulé de cette loi remet un peu en cause cette vérité, ce qui vexe les agriculteurs.
J’ai essayé de trouver quelques phrases-chocs dans le discours de Rungis du Président de la République, mais j’ai eu un peu de mal, parce qu’il prêche un peu tout et son contraire. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Je le dis gentiment, parce que je l’aime bien ! (Mêmes mouvements.) Je souhaite vraiment qu’il m’entende.
Dans sa conclusion, il ne parle que de confiance, comme s’il ne croyait pas vraiment en ce texte… Selon lui, c’est la confiance qui réglera tous les problèmes de l’agriculture. Mais pour qu’il y ait confiance, il faut que les agriculteurs soient respectés et que, lorsqu’ils sont attaqués, le Président de la République et le Gouvernement aillent au charbon pour les défendre.
M. François Patriat. C’est ce qu’ils font !
M. Michel Raison, rapporteur. Il est même possible que le projet de loi fasse l’inverse de ce qu’il prétend. C’est un pari, monsieur le ministre. Et ce pari très risqué pourrait se retourner contre les producteurs.
Je suis favorable au relèvement du seuil de revente à perte, ou SRP, à 10 %. Mais s’il n’y a pas ruissellement, comme prévu, cela reviendra à gonfler les marges des distributeurs sans améliorer les revenus des producteurs.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. Michel Raison, rapporteur. Je n’ai pas encore eu le temps de tout dire, monsieur le président ! Je ne dispose que de cinq minutes pour présenter le résultat de dizaines de jours de travaux et d’auditions…
M. le président. Mon cher collègue, pardonnez-moi, mais, en ce moment précis, vous perdez du temps à dire des choses inutiles. (Exclamations.)
M. Michel Raison, rapporteur. Au Sénat, nous réaliserons sous deux ans un bilan d’application du présent projet de loi. Évitons de créer de nouveaux problèmes aux agriculteurs, qui en ont déjà bien assez comme cela avec la grande distribution.
La commission a considérablement renforcé les armes des producteurs dans leurs négociations, en instaurant une procédure de saisine au fond du juge en cas d’échec de médiation.
Nous avons aussi instauré une clause de révision des prix automatique pour certains produits spécifiques. Nous avons prévu une pleine application du droit français des pratiques anticoncurrentielles aux négociations effectuées à l’étranger. Nous avons imposé de formaliser par écrit et de motiver le refus de certaines conditions générales de vente par un distributeur.
M. le président. Mon cher collègue, je suis obligé de vous demander de conclure. La règle est la même pour tout le monde !
M. Michel Raison, rapporteur. La commission a décidé de revenir à l’essentiel, autour d’un credo simple, au plus proche des attentes de nos territoires. Lors de nos débats, notre seul objectif sera de veiller au revenu des agriculteurs, et non pas de créer des charges supplémentaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, j’invite chaque orateur à respecter le temps de parole qui lui est imparti.
La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Notre alimentation sera durable et de qualité si nous avons encore demain des paysans dans nos territoires pour la produire. (M. René-Paul Savary applaudit.) Cela implique qu’eux-mêmes et leurs familles puissent vivre décemment de leur travail et qu’ils soient accompagnés dans la recherche de débouchés rémunérateurs et la montée en gamme de leurs productions, afin de répondre aux attentes nouvelles des consommateurs.
Les liens de causalité entre la première et la seconde partie du texte sont donc évidents. Ils se sont parfois trouvés malmenés, au fil des débats à l’Assemblée nationale, à mesure que des sujets divers et induisant de nouvelles charges pour l’agriculteur étaient introduits.
Monsieur le ministre, n’y a-t-il pas une certaine forme de schizophrénie à chercher, dans une première partie, à augmenter les recettes des agriculteurs et à créer, dans une seconde, des contraintes nouvelles, aboutissant à reprendre d’une main ce que l’on a donné de l’autre ?
C’est cet écueil que notre commission a tenté d’éviter, en se concentrant sur l’objectif essentiel de ce projet de loi, dans un contexte – il faut le souligner – de grand désespoir et d’impasse pour de nombreux agriculteurs français, qui en attendent beaucoup. Toutefois, l’exercice est délicat, car il amène à reporter certains débats sur des sujets, comme le bien-être animal, éminemment préoccupants et importants, mais qui ne sont pas à leur place dans un projet de loi, dont, encore une fois, l’objet essentiel est la survie de notre agriculture et la prédominance du modèle des exploitations françaises.
C’est en ce sens, et par cohérence avec les espoirs nés des États généraux de l’alimentation, que nous avons cherché à recentrer le texte.
Monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement revienne sur bon nombre des propositions avancées par notre commission, en rétablissant presque systématiquement la rédaction de l’Assemblée nationale. Le rapporteur de l’Assemblée nationale a, semble-t-il, déjà fermé la porte à tout accord en commission mixte paritaire. Mais nous espérons que la voie de la sagesse et du dialogue parlementaire reprendra le dessus.
En matière d’alimentation, la commission a cherché à adapter la loi aux réalités du terrain, notamment s’agissant des obligations nouvelles faites à la restauration collective publique concernant l’approvisionnement local et de qualité. En ce sens, je vous proposerai des assouplissements pour les gestionnaires, une plus grande structuration des approvisionnements locaux permettant de répondre à l’objectif des 20 % de produits bio, auquel nos filières locales et nationales ont confirmé pouvoir répondre.
La commission a effectivement ajouté quelques dispositions, mais c’est pour mieux protéger et promouvoir les productions françaises, qu’il s’agisse du vin, avec une obligation d’information sur l’origine dans tous les établissements qui en vendent et le maintien d’une déclaration de récolte obligatoire, ou encore du miel. Elle a aussi « toiletté » le texte d’un certain nombre de dispositions « bavardes » ou redondantes, qui n’apportaient rien au droit existant.
En matière de bien-être animal, la commission a jugé que l’équilibre auquel sont parvenus nos collègues députés, consistant à responsabiliser les filières et leur faire prendre des engagements, ne devait pas être remis en cause. Le champ des infractions de maltraitance animale pour lesquelles des associations pourraient se porter partie civile a donc été bien circonscrit. De même, les modalités retenues pour expérimenter la vidéosurveillance dans les abattoirs volontaires ou tester les abattoirs mobiles constituent des avancées.
Sur la partie relative aux produits phytopharmaceutiques, la commission n’a pas voté les mesures sur lesquelles elle manquait d’informations. L’étude d’impact relative à l’interdiction des remises, rabais et ristournes figurant à l’article 14 se résume à une page de considérations peu étayées ou chiffrées. De même, la demande d’habilitation à légiférer pour séparer les activités de vente et de conseil est très vague, le projet du Gouvernement n’étant pas défini.
La commission a évité tout surcroît de charges qui ne se justifierait pas. Elle est ainsi revenue sur l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente de produits phytopharmaceutiques, sachant que, en la matière, c’est non pas le prix qui fait l’usage, mais bien la nécessité de traitement. Elle a souhaité l’émergence d’un conseil individuel véritablement stratégique et pluriannuel, permettant d’accompagner l’exploitant, pour lui permettre d’optimiser à moyen terme ses usages de produits phytopharmaceutiques. Pour ce conseil, l’incompatibilité avec les activités de vente de produits phytopharmaceutiques restera maintenue.
En matière de réduction des usages des produits phytopharmaceutiques, toutes les initiatives favorisant l’émergence de solutions de remplacement sont valorisées.
Seront mises en place des procédures simplifiées d’autorisation de mise sur le marché des produits de biocontrôle, la procédure d’évaluation de la toxicité du produit étant maintenue, conformément à la réglementation européenne. Les préparations naturelles peu préoccupantes, ne figurant pas déjà dans la liste préétablie, bénéficieront d’une évaluation simplifiée.
Les progrès technologiques, comme l’agriculture de précision, constituent de formidables leviers pour nos agriculteurs. En ce sens, la commission a élargi le champ de l’expérimentation de l’épandage par drones, sur les terrains les plus dangereux, présentant une pente supérieure à 30 %, y compris pour les produits phytopharmaceutiques.
Enfin, en matière d’énergie, la commission a marqué son soutien aux démarches de diversification et de production d’énergies renouvelables par les agriculteurs, en consolidant le droit à l’injection de biogaz dans les réseaux de gaz naturel situés à proximité d’un méthaniseur, y compris lorsqu’il n’est pas dans le périmètre d’une concession, afin que la mesure ait réellement un sens.
Pour conclure, la commission a donné un contenu au volet simplification des normes agricoles, en consacrant l’existence juridique du comité de rénovations des normes en agriculture, qui produira prochainement un rapport sur la surtransposition en agriculture.
En bref, la commission des affaires économiques du Sénat accompagne la montée en gamme des productions, favorise de nouveaux débouchés pour les produits locaux de qualité, tout en assurant une meilleure maitrise des produits phytopharmaceutiques et une attention aux conditions de bien-être animal, sans pour autant déséquilibrer encore une agriculture française en recherche de compétitivité dans un environnement de plus en plus concurrentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Faire évoluer notre agriculture et notre alimentation conditionne la capacité de notre pays à s’engager dans une logique de développement durable.
Au-delà des affrontements stériles et dépassés entre les enjeux économiques, sanitaires et environnementaux, nous devons trouver des solutions équilibrées et pérennes sur ces sujets. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous restions sourds à leurs attentes en matière de transparence, de qualité, de sécurité et de proximité. De même, nous ne pouvons pas méconnaître les difficultés des agriculteurs, qui aspirent à vivre correctement de leur métier, et avec dignité.
Guidée par ce souci d’équilibre, notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie de trente-neuf articles du présent projet de loi, sur trois thèmes : la restauration collective, le gaspillage alimentaire et les produits phytopharmaceutiques.
Outre vingt-huit articles examinés pour avis, onze ont fait l’objet d’une délégation au fond de la part de la commission des affaires économiques.
Nous avons appréhendé ces sujets avec pragmatisme, en privilégiant l’accompagnement des acteurs et la définition d’objectifs atteignables à des échéances raisonnables, plutôt que de proposer des ruptures brutales.
Face aux nombreuses mesures adoptées par l’Assemblée nationale, nous avons également veillé à la qualité du projet de loi, en distinguant les dispositions qui contenaient de réelles avancées de celles qui relevaient davantage d’un signal purement politique.
Permettez-moi à ce titre de déplorer fortement, monsieur le ministre, que le Gouvernement ait déposé de très nombreux amendements de suppression des modifications introduites en commission sur l’ensemble du projet de loi. Il y a là un signal inquiétant sur l’attention que vous accordez au travail parlementaire et au bicamérisme.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis. J’en viens aux modifications apportées au texte sur l’initiative de notre commission.
Je souhaiterais, tout d’abord, exprimer ici mes inquiétudes concernant l’article 11, qui fixait initialement deux objectifs ambitieux sur les produits servis en restauration collective, en visant 50 % de produits « sous signe de qualité », dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique.
Cet objectif de 20 % a été supprimé par la commission des affaires économiques, ce qui envoie un signal négatif par rapport aux fortes attentes de la population dans ce domaine. Nous devons absolument soutenir la présence de produits bios issus des exploitations disposant de la certification « haute valeur environnementale » ou du commerce équitable, en privilégiant bien sûr les productions françaises.
Les Chinois, concurrents redoutables au niveau économique, ont bien perçu l’ouverture de ce nouveau marché et sont déjà prêts à répondre à cette demande grandissante. Il convient donc d’être prudent.
Il faudra plus que des paroles et des actes, monsieur le ministre : il faudra des engagements forts du Gouvernement pour soutenir la conversion de nombreuses exploitations si l’on veut parvenir à l’objectif de 15 % de la surface cultivée en bio.
Concernant les plastiques, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a souhaité prévoir une évaluation scientifique des risques sanitaires liés à l’utilisation des contenants alimentaires dans les cantines ; nous avons introduit une interdiction des pailles.
S’agissant de l’interdiction des bouteilles d’eau en plastique dans les cantines, de nombreux amendements de suppression ont été déposés. Nous aurons bien sûr un débat sur ce point.
Nous avons, en outre, adopté un amendement permettant au Parlement de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, à la façon des associations ou des ONG, afin de pouvoir bénéficier d’une expertise scientifique indépendante et de qualité.
Sur le gaspillage alimentaire, notre commission a souhaité maintenir la mise à disposition des doggy bags aux seuls clients qui en feraient la demande pour emporter chez eux les restes de leur repas. Nous avons, en outre, prévu l’utilisation de contenants réutilisables ou recyclables dans le cadre de la vente à emporter.
Enfin, notre commission a envoyé des signaux clairs pour réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et biocides, sans pour autant priver brutalement leurs utilisateurs de solutions face aux problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Nous poursuivons ainsi la logique que nous avions privilégiée lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016.
À l’issue des travaux de la commission, nous avons trois sujets de préoccupation sur lesquels nous souhaitons revenir par des propositions d’amendements.
Premièrement, sur l’insertion en commission d’une dérogation inappropriée au dispositif « zéro phyto » dans les espaces verts des collectivités territoriales.
Deuxièmement, sur la suppression de la disposition permettant de conforter l’interdiction d’utiliser des produits contenant des néonicotinoïdes, adoptée dans la loi biodiversité. Nous avions proposé en commission de renforcer de rôle de l’ANSES, seule habilitée à prendre des décisions crédibles.
Troisièmement, sur la nécessité de permettre au préfet, lorsque les circonstances locales le justifient, d’encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité de zones habitées.
Je conclurai en rappelant que l’avenir de notre agriculture et de notre alimentation est l’affaire de tous, et que la transition vers un modèle agricole plus durable ne pourra s’effectuer que par le biais d’un partenariat constructif. J’espère que nos débats contribueront à apporter des réponses crédibles, mais ambitieuses, à ces défis. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». Antoine de Saint Exupéry dans son ouvrage Terre des Hommes nous rappelle que l’agriculture, la culture de la terre, ne peut être que durable.
Cette exigence revêt plusieurs sens. Bon gré, mal gré, il nous faut, à travers les divergences et les désaccords, bâtir un nouveau modèle agricole qui soit économiquement viable et écologiquement responsable.
Ces prochains jours, l’hémicycle sera le terreau de discussions passionnantes soulevées par l’examen du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Permettez-moi de saluer tout particulièrement le travail remarquable effectué par les rapporteurs de la commission des affaires économiques, Anne-Catherine Loisier et Michel Raison, et par le rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Pierre Médevielle. Je salue également l’ensemble des sénateurs qui se sont mobilisés sur le texte.
Edgard Pisani le disait déjà dans les années soixante, l’agriculture est l’expression de l’état d’une société. Parce qu’elle concerne chacun d’entre nous, elle est la traduction des questions fondamentales touchant au rapport de l’homme à la terre et au vivant. L’agriculture est plus que la partie d’un ensemble. C’est une question sociale, environnementale, de santé, de ruralité ou encore technique. Pour toutes ces raisons, l’agriculture est un sujet éminemment politique, catalyseur de toutes les divergences.
Le débat soulève un certain nombre de contradictions apparentes, qu’il va nous falloir dépasser, entre quantité et qualité, circuits de proximité et mondialisation, progrès économique et responsabilité sociétale, tradition et modernité, pour n’en citer que quelques-unes.
Je suis certain que nous saurons faire preuve d’inventivité, de discernement et de bienveillance tout au long du débat, pour permettre à la politique agricole de s’adapter aux évolutions de la société, tout en préservant les plus fragiles des dommages économiques que pourraient causer ces évolutions.
Le progrès environnemental est au cœur des préoccupations de la société et le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage cette sensibilité. Cependant, il nous faut veiller à aménager des marges de manœuvre suffisantes pour les agriculteurs dont les revenus sont les plus précaires. Pour certains, la situation est telle que les marges nettes dégagées ne leur permettent pas de couvrir les coûts de production. Les distributeurs se livrent à une guerre des prix depuis 2013, ce qui fragilise l’ensemble de la filière.
Pour répondre à cette problématique, le texte vise à renverser la logique de construction des prix pour permettre une meilleure prise en compte des coûts de production et une plus juste rémunération des producteurs en plaçant ceux-ci au centre des négociations, et en fixant un ensemble d’indicateurs pertinents. Nous espérons que ces dispositions mettront fin à la guerre des prix livrée par ces gens qui, pour reprendre les paroles d’Oscar Wilde, « savent le prix de tout et ne connaissent la valeur de rien ».
Nous vivons en France, avec l’assurance de manger à notre faim, pas seulement aujourd’hui ou demain, mais pour le restant de nos jours. C’est vrai pour la plus grande majorité des Français. Pour ceux qui n’ont pas cette chance, le texte prévoit de nouveaux leviers, afin de lutter contre la précarité alimentaire et développer la pratique du don.
Autre versant du texte, la lutte contre le gaspillage alimentaire est un sujet qui mérite toute notre attention. J’avais déjà déposé une proposition de loi contre le gaspillage alimentaire en 2015 à l’Assemblée nationale. Je vous proposerai une nouvelle disposition visant à fixer un objectif non contraignant de réduction des restes alimentaires.
La question alimentaire en France n’est plus uniquement celle de la quantité ; elle est aussi celle de la qualité. Le sociologue Claude Fischler décrit un phénomène de « boîte noire » concernant l’alimentation. On ne sait plus ce que l’on mange ni pourquoi on le mange. Aussi les scandales sanitaires, tels que la fraude à la viande de cheval en 2013, font-ils figure d’électrochocs.
Sans tomber dans une information anxiogène, il revient aux pouvoirs publics de permettre au citoyen de décider en âme et conscience de ce qu’il mange. La transparence en matière d’étiquetage est devenue incontournable. Notre groupe propose un amendement visant l’étiquetage des produits contenant du « minerai de viande », cet amalgame de sous-produits carnés entrant dans la composition de nombreuses fabrications. Ces dispositions sont les prémices d’une longue bataille à mener contre le bas de gamme en matière d’alimentation.
Pour ouvrir cette boîte noire, nous proposons de rétablir le lien entre le consommateur et le producteur. Je défendrai un amendement d’appel tendant à favoriser le développement des circuits de proximité dans la restauration collective. Cette disposition est aujourd’hui incompatible avec le droit européen, mais celui-ci n’est pas immuable : il peut encore évoluer, sous l’influence des aspirations locales.
Il revient à la politique de prévoir l’avenir. Or il n’y a nul avenir de l’homme sans respect de la terre et de la biodiversité. Michel Serres disait : « J’enchante ce paysage qui me fait. » Agriculture et paysage sont deux versants d’une même réalité. Nous proposerons deux amendements visant à limiter l’artificialisation des sols et incitant l’État à prendre ses responsabilités en matière de déforestation importée.
En matière de bien-être animal, permettez-moi de vous rappeler deux évidences : l’animal est non pas une chose, mais un être vivant ; les agriculteurs ne sont pas des assassins. Aussi nous faut-il veiller à ce que l’homme n’inflige pas aux animaux des souffrances inutiles, sans pour autant stigmatiser le personnel des abattoirs.
M. Jean-Pierre Decool. En 1970, un agriculteur couvrait les besoins alimentaires de trois ou quatre personnes. En 2010, il en nourrit une centaine.
Évitons au monde agricole de faire le grand écart entre petites fermes et grandes firmes, entre permaculture et monoculture. Il reste tout un monde agricole intermédiaire à réinventer. Par exemple, l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, développe en ce moment des expériences sur les associations de cultures pour favoriser la résistance des plantes aux maladies.
Nous avons besoin de toutes les agricultures du monde pour nourrir le monde. Nous aurons également besoin de faire preuve d’une grande ingéniosité pour maîtriser les réserves d’eau potable, car l’agriculture est consommatrice des deux tiers de cette précieuse ressource. C’est pourquoi la mise en œuvre d’une stratégie de gestion active de l’eau dans l’agriculture est une priorité.
L’agriculture est une science vieille de 10 000 ans, et elle n’a pas fini d’évoluer. Si nous devons libérer l’innovation, moteur de changement, il nous faut aussi prévoir des transitions pour que la révolution agricole à venir soit la plus acceptable possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il rappeler ici le poids économique et stratégique de notre agriculture ?
Pourvoyeuse de milliers d’emplois directs et induits, garante d’une alimentation de qualité et de notre indépendance alimentaire, l’agriculture concentre des enjeux fondamentaux, mais elle est aussi un secteur fragile, soumis à différents aléas.
Voilà pourquoi l’attention des pouvoirs publics à l’égard de l’agriculture est indispensable, surtout dans la perspective malheureuse d’une diminution des aides de la politique agricole commune, la PAC, diminution à laquelle nous ne souscrivons pas.
Les États généraux de l’alimentation, organisés sur l’initiative du Président de la République, ont rassemblé autour de la même table tous les acteurs du monde agricole, de l’amont à l’aval. Fruit de ces discussions, le projet de loi soumis à notre examen à partir de ce soir suscite beaucoup d’attentes. La profession agricole observe en particulier avec intérêt le volet sur l’équilibre des relations commerciales. On la comprend !
Peut-on encore tolérer que les agriculteurs soient la variable d’ajustement de la guerre des prix, alors que l’on assiste depuis trop longtemps à une captation de la valeur à leur détriment ?
On ne peut, d’un côté, demander aux agriculteurs de répondre aux nouvelles exigences sociétales, et, de l’autre, refuser de fixer pour eux une seule exigence sociale : celle de leur permettre de vivre dignement de leur travail. C’est pourtant un minimum.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Franck Menonville. En jouant sur plusieurs leviers, qu’il s’agisse de l’inversion de la logique de la contractualisation, de la construction du prix autour d’indicateurs ou encore du relèvement du seuil de revente à perte, le titre Ier du projet de loi ambitionne un rééquilibrage des relations commerciales, une ambition déjà portée par d’autres textes. Nous devons donc aller plus loin et ne pas hésiter, pour certains dispositifs, à établir une dose de contrainte, afin de les rendre plus efficients.
Il faudra aussi traiter le problème de la concentration des centrales d’achat, en intégrant toutefois leurs propres défis, notamment l’émergence des géants du numérique.
Il faut également s’attaquer à l’organisation insuffisante des exploitants autour de structures communes de producteurs et de commercialisation, qui est l’une des conditions importantes d’une négociation commerciale plus équilibrée, le droit européen le permettant.
Le projet de loi s’attache aussi à répondre aux attentes des consommateurs en matière de qualité des produits. Il y aura un équilibre à trouver au sein du titre II sur certaines mesures, pour compenser l’excès de zèle des députés et quelques suppressions survenues en commission.
Bien sûr, nous souscrivons à une restauration collective de qualité garantissant l’approvisionnement local. Nous sommes également favorables à une réduction progressive des produits phytosanitaires, à condition que des solutions de rechange existent et que du temps soit donné aux exploitants pour qu’ils puissent s’adapter en s’appuyant sur des arguments scientifiques. À cet égard, le rôle de l’ANSES est fondamental.
Le RDSE est sensible au bien-être animal, tant que l’on ne tombe pas dans une radicalité qui aboutirait à créer des normes insupportables pour nos agriculteurs.
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Françoise Gatel. C’est très vrai !
M. Franck Menonville. Évitons donc toute surtransposition de normes européennes.
Mes chers collègues, nous avons rendez-vous avec l’avenir de notre agriculture et de nos agriculteurs, qui placent beaucoup d’espoirs dans ce texte, même si nous savons qu’il n’est qu’une facette de la politique publique agricole. Néanmoins, les questions plus générales de la compétitivité et de la réforme fiscale restent en suspens et en réflexion.
En attendant, le Sénat doit se mobiliser pour garantir des perspectives à nos agriculteurs, qui sont essentiels au maintien des exploitations et à la vitalité de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis des décennies, les agriculteurs revendiquent de vivre de la vente de leurs produits et non de subventions. Les États généraux de l’alimentation ont fait naître un espoir que nous ne devons pas décevoir aujourd’hui.
Ce projet de loi que nous examinons porte une réforme ambitieuse pour l’agriculture française, une agriculture qui permette aux producteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes, une agriculture dynamique et innovante, une agriculture qui prenne en compte tous les enjeux auxquels elle doit faire face, qu’ils soient sanitaires ou environnementaux.
Certes, il s’agit d’un texte ambitieux et certains objectifs sont difficiles à atteindre, mais loin de nous l’idée de ne pas relever le défi. Cette transformation est nécessaire, car le modèle dans lequel nous nous sommes aujourd’hui enfermés n’est pas soutenable : le solde extérieur de l’agriculture reste certes positif, mais il est passé de 12 milliards d’euros à 8 milliards d’euros. Les Français doutent de leur alimentation, nous devons aujourd’hui leur apporter des réponses positives.
Nous devons repenser une nouvelle France agricole si nous ne voulons pas que les agriculteurs disparaissent et si nous souhaitons leur permettre de viser des marchés d’excellence, en France et à l’export. C’est le cœur de ce projet de loi, et c’est l’objectif de son titre Ier.
Pour réussir cette montée en gamme, deux conditions s’imposent à nous et surtout aux acteurs du secteur, qui doivent être accompagnés : inverser le rapport de force dans les négociations commerciales ; inciter les interprofessions à prendre leurs responsabilités. C’est ce qu’elles ont d’ailleurs commencé à faire en présentant chacune son plan de filière.
Enfin, les nouvelles attentes des consommateurs sont au cœur du renouvellement de notre modèle agricole et alimentaire.
Ainsi, le titre II du projet de loi ouvre la voie à la construction d’une véritable éthique de l’alimentation, assortie d’un pacte pour la préservation de l’environnement et pour le respect du bien-être animal. J’aurais souhaité que le texte qui nous est présenté ce soir puisse répondre à ces objectifs, mais force est de constater qu’il a été pour partie dénaturé. Il a perdu de son sens, et je me demande si, tous ici, nous souhaitons réellement donner aux acteurs les moyens de se saisir de leur avenir.
Je parle, bien entendu, de la contractualisation et des indicateurs. Le dispositif envisagé aujourd’hui par la commission remet totalement en cause l’esprit même du texte, qui est de responsabiliser les acteurs et de renforcer le rôle des interprofessions. Elles sont un lieu de concertation. Leur fonctionnement par consensus garantit leur légitimité dans l’exercice des missions que nous souhaitons leur confier. Elles doivent jouer ce rôle essentiel d’élaboration et de diffusion des indicateurs ; ce n’est pas à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires de le faire.
Je parle aussi des ambitions bio, totalement assouplies pendant l’examen en commission. Renoncer à cet objectif, c’est donner un très mauvais signal. Dès l’année 2004, la région Bourgogne a mis en place dans tous ses lycées le dispositif « bien dans mon assiette », qui obligeait les établissements à instaurer un repas totalement bio une journée par semaine. Pendant douze ans, le dispositif est monté en gamme et nous l’avons généralisé à tous les établissements scolaires de la région.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’en passer par la loi !
M. François Patriat. Nous avons réussi notre pari. Pourquoi ne pas tenter aujourd’hui d’en faire autant sur tout le territoire ?
Je parle enfin de l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente des produits phytopharmaceutiques et de la fin de la séparation du conseil et de la vente. Si l’on veut sortir à terme des intrants, il importe de fixer des objectifs ambitieux.
Mes chers collègues, la question qui se pose à nous ce soir est simple : que voulons-nous pour nos agriculteurs ? Souhaitons-nous leur donner l’occasion de reprendre la main dans les négociations commerciales, ou voulons-nous une loi timorée, qui ne permettrait pas cette remise à plat de notre modèle dont nous avons pourtant tant besoin ?
Si nous ne persévérons pas dans les engagements que vous avez pris, monsieur le ministre, et dans le travail entamé par nos collègues députés, on ne retiendra de ce projet de loi que des débats enflammés, qui auront nourri les colonnes des quotidiens sans faire avancer les choses, comme cela a été le cas à l’issue du débat à l’Assemblée nationale.
Non, mes chers collègues, la première mission de ce projet de loi est bien d’équilibrer les relations commerciales et de rendre un revenu digne à nos agriculteurs. Ce texte doit nous permettre de revenir à ce pacte de confiance fondé sur une responsabilité partagée de la fourche à la fourchette, dans la droite ligne des États généraux de l’alimentation et des engagements pris par le chef de l’État.
L’esprit de la loi ne fera pas tout, nous en avons conscience ; il faudra que celle-ci soit accompagnée d’autres mesures pour atteindre nos objectifs. Vous avez cité, monsieur le ministre, le Plan « ambition bio », publié il y a quelques jours, et la feuille de route 2018-2022 pour une politique de l’alimentation, en concertation avec les filières. Mais la réforme doit offrir au monde agricole des opportunités de court, moyen et long termes, afin qu’il puisse s’organiser et prendre en main son destin collectivement et en bonne intelligence. Cette réforme doit permettre à chaque citoyen de devenir un consommateur responsable et éclairé.
Enfin, je souhaite que nos échanges permettent d’enrichir le projet de loi et de revenir à un texte équilibré, répondant à ces objectifs.
Monsieur le ministre, nous vous soutenons de toutes nos forces dans le débat qui s’est engagé sur la réforme de la PAC. Vous avez déjà réussi à réunir autour de vous un certain nombre d’États, qui n’approuvent pas une diminution de la PAC. J’espère que vous aurez suffisamment de soutien, non seulement pour que ce budget ne baisse pas, mais aussi pour que, dans certains domaines, la PAC puisse apporter de nouvelles réponses.
Par ailleurs, en raison des calamités climatiques qui touchent l’agriculture, il serait utile que nous puissions aller réellement vers un régime assuranciel obligatoire. Ce pourrait être, demain, une formule contre les aléas et contre les pertes de revenus. Il faut, pour cela, que l’Europe nous aide, afin de généraliser cette solution, pour qu’elle soit moins chère, donc efficace.
Dans ce domaine, même si ce n’est pas l’objet du texte de loi, il serait bon d’assouplir quelque peu les règles. On a besoin d’une agriculture exportatrice, avec une production de proximité, mais il convient aussi d’assouplir le contrôle des structures qui permettent à l’agriculture de s’adapter à la demande moderne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps évoqués comme un phénomène principalement urbain, la précarité, la pauvreté et l’exclusion n’épargnent ni le milieu rural ni la population agricole, car il y a aujourd’hui 26,4 % de ménages pauvres chez les agriculteurs et les salariés agricoles.
Ces chiffres, nous nous les répétons depuis trop longtemps. Pourtant, rien ne change ! Nous connaissons les causes principales de cette paupérisation de la majorité des agriculteurs et salariés agricoles de notre pays. Les réformes successives au niveau européen de la PAC et de ses déclinaisons nationales, notamment sous la pression des accords de l’OMC, ont fait de la concurrence libre et non faussée un objectif prioritaire de l’organisation des échanges et ont conduit à la disparition des mécanismes de régulation des prix et des productions.
À l’échelon national, les agriculteurs, mais aussi les consommateurs, sont devenus une simple variable d’ajustement dans la guerre des prix à laquelle se livrent la grande distribution et les groupes industriels agroalimentaires. Guerre qui déséquilibre la chaîne de valeurs, sape la cohésion sociale et fragilise l’ensemble du secteur agroalimentaire français, pourtant stratégique pour l’économie nationale en termes d’emplois, de balance commerciale, mais aussi de structuration de notre territoire.
Il y a dix ans, lors des débats sur la LME, la loi de modernisation de l’économie, nous nous opposions à la libéralisation des relations commerciales au vu de la structuration de la filière agroalimentaire, avec une concentration excessive des centrales d’achat, un tissu de PME éparpillé et des producteurs peu organisés.
À l’époque, nous dénoncions une contractualisation qui ne pouvait être gagnante pour toutes les parties, car elle était laissée au seul jeu des forces du marché. N’en déplaise à certains, sans un minimum d’équité contractuelle, aucun marché ne peut fonctionner.
Nous n’avons eu de cesse de proposer la mise en place d’outils permettant une meilleure structuration des filières, afin d’assurer une plus grande transparence dans la formation des prix au stade de la production, de la transformation et du commerce. Pour cela, nous proposions une identification claire des marges de chacun des acteurs et une meilleure information des consommateurs, pour les aider à concilier leurs contraintes budgétaires et la qualité de leur alimentation. Nos propositions n’ont pas été acceptées.
Depuis lors, le législateur n’a cessé d’intervenir pour tenter de restaurer « la loyauté » ou « l’équilibre » des relations commerciales, sans jamais parvenir à transformer les rapports de force. Les grands distributeurs ont en effet toujours su s’adapter aux nouvelles contraintes.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle. Comme cela a été rappelé, ce projet de loi est très en deçà des attentes des agriculteurs, loin de la problématique d’un renforcement réel du revenu paysan.
Puisque nous discutons des agriculteurs et de l’intervention de l’État, vous me permettrez d’avoir un mot pour les retraités agricoles, qui ne voient toujours pas venir l’augmentation de leur pension de retraite, alors qu’ils vivent bien en dessous du seuil de pauvreté. Nous attendons toujours un signe.
Pour en revenir au projet de loi, cela m’étonne encore de voir ceux qui, hier, ont proposé et voté cette libéralisation…
Mme Cécile Cukierman. … en reconnaître aujourd’hui les méfaits et essayer d’en colmater les brèches, sans pourtant remettre en cause ce cadre délétère.
Il est étonnant de voir autant de girouettes, alors que l’hémicycle est assez isolé des courants d’air qui traversent le palais du Luxembourg ! (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. Certes, les contrats seront désormais proposés par les producteurs ou par leurs organisations, plutôt que, comme auparavant, par les acheteurs, mais il est très difficile de mesurer l’impact de cette disposition.
Certes, il y a la reconnaissance de la nécessité d’indicateurs plus fiables, mais il y a aussi, dans le même temps, le refus que les indicateurs de coûts de production soient publics.
Certes, il y a un renforcement du rôle du médiateur des relations commerciales, mais, dans le même temps, la possibilité de médiation privée reste ouverte.
Certes, il y a un renforcement de l’office d’évaluation des prix et des marges et des interprofessions, mais toutes ces mesures laissent le sentiment d’un travail inachevé.
Certes, il y a un relèvement de 10 % du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires, mais il est fondé sur « le seul espoir que cela ruisselle jusqu’aux producteurs ». Et si l’espoir fait vivre, il ne modifie en rien les rapports de force. La majorité des organisations agricoles que nous avons auditionnées ne s’y trompent pas : ce texte ne changera rien, ou alors il changera les choses seulement à la marge, car il reste inscrit dans un modèle économique qui favorise le plus fort.
Voilà pourquoi nous continuerons à porter la nécessité de prix planchers. Voilà pourquoi nous demandons l’intervention publique, sous la forme du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Voilà pourquoi nous proposerons l’interdiction de la revente à perte, la définition d’un prix abusivement bas et la prise en compte du revenu paysan dans la construction des indicateurs !
Dans son volet « alimentation », le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était porteur de promesses, mais il aurait été opportun de dédier à cette seconde partie un véhicule législatif propre.
Sans surprise, nous regrettons que la commission des affaires économiques du Sénat soit revenue sur des mesures phares. Je n’en ferai pas ici une liste exhaustive, nous y reviendrons dans le cours du débat.
Ces mesures, loin d’être des contraintes, sont aujourd’hui nécessaires, car elles répondent à une demande sociétale très forte, mais aussi à la nécessité de rétablir la confiance entre les agriculteurs et les consommateurs. Elles répondent également à la nécessité de réorienter notre modèle de production, mais elles répondent surtout à des enjeux de santé publique pour les agriculteurs, les salariés agricoles et les consommateurs.
En résumé la philosophie de ce texte, tant dans sa version initiale qu’après passage en commission au Sénat, est la suivante : ne rien imposer, continuer à faire confiance aux grandes entreprises agroalimentaires et remettre entre les mains des filières la responsabilité de la transition environnementale.
Nous sommes loin, très loin, des débats et des conclusions des États généraux de l’alimentation, qui devaient assurer une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Nous ne pouvons que déplorer l’effet néfaste, encore une fois, de la trahison de cette consultation, qui se disait ouverte et participative. Cette loi n’apportera aucune solution concrète. En l’état, notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la méthode et l’organisation des États généraux de l’alimentation, qui ont eu le mérite de mettre tous les acteurs du monde agricole, des producteurs jusqu’à la distribution, autour d’une même table, afin de dresser un constat. Ils ont peut-être aussi permis à chacun de comprendre l’autre pour préserver ensemble une agriculture française de qualité.
Monsieur le ministre, lors de la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres, vous avez développé trois axes : assurer la souveraineté alimentaire ; promouvoir des choix alimentaires au service de la santé ; réduire les inégalités d’accès à une alimentation de qualité et durable.
Assurer la souveraineté alimentaire, c’est être certain que demain il y aura suffisamment d’agriculteurs qui pourront vivre de leur métier.
Promouvoir des choix alimentaires en termes de santé, c’est avoir une volonté de changer de paradigme, c’est prévenir au lieu de guérir.
Réduire les inégalités d’accès à une alimentation saine et durable, c’est poursuivre le chemin tracé par Stéphane Le Foll, entamé dans la loi d’avenir vers l’agroécologie, qui doit devenir un modèle agricole.
Le titre Ier du texte a pour ambition de redonner de la valeur au travail des agriculteurs, de donner aux organisations professionnelles les moyens d’exercer toutes leurs responsabilités pour la prise en compte des indicateurs des coûts de production et la construction du prix de vente. C’est une excellente chose, mais les coûts de production peuvent varier pour la même filière d’une région à l’autre. C’est pourquoi nous vous proposerons de prendre l’Observatoire de la formation des prix et des marges comme garant.
Les organisations professionnelles doivent être suffisamment représentatives pour assurer les lourdes tâches qui leur seront attribuées dans la négociation avec les transformateurs et les distributeurs, qui, eux, ne manquent pas d’expertise dans ce domaine. Nous vous proposerons d’élargir l’expérimentation des contrats tripartites pour que chacun puisse être payé dignement, mais surtout en toute transparence.
L’encadrement des promotions est une bonne chose, comme le relèvement du seuil de vente à perte, fixé à 10 %.
Monsieur le ministre, nous savons tous la responsabilité des acteurs de la grande distribution dans la stratégie de guerre des prix incessante à laquelle ils se livrent depuis longtemps et qui a mis à genoux une grande partie de notre agriculture.
Permettez-moi de douter que se produise la fin de cette guerre. Je crains que la grande distribution n’hésite pas à importer de la marchandise à moindre coût et à poursuivre ses pratiques. Nous le disons : ce que nous souhaitons avant tout, c’est le juste prix pour tous, de l’agriculteur au consommateur.
Mesurant la toute-puissance de la grande distribution, je demeure très dubitatif sur le fait qu’elle veuille aller dans votre sens.
Sur les articles suivants, nous sommes d’accord avec vous concernant la restauration collective et l’approvisionnement à hauteur d’au moins 50 % de produits issus de l’agriculture de produits locaux ou sous signe de qualité. Nous nous félicitons également de la réintroduction dans le texte de l’exigence de 20 % de bio.
Je sais que la majorité sénatoriale avait fait valoir son désaccord lors de l’examen de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. Heureusement, elle évolue, très timidement.
Mes chers collègues, vous le savez très bien, c’est une volonté sociétale à laquelle vous ne pourrez pas vous soustraire, et je me félicite d’entendre quelques responsables de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, partager ce sentiment avec les autres syndicats agricoles.
Il est prévu de séparer la vente du conseil pour ne pas être juge et partie. Même si nous avons quelques craintes quant aux coûts supplémentaires engendrés pour l’agriculteur, nous y sommes favorables.
En revanche, sur l’interdiction des rabais et des ristournes, certes nous parlons de produits dangereux, mais, monsieur le ministre, je suis certain que cela n’a absolument rien à voir avec la diminution de la consommation. Ces produits sont homologués pour des doses à l’hectare. Ce n’est pas parce que l’agriculteur, en morte saison, va acheter un produit moins cher qu’il va en répandre davantage par la suite.
Des pistes réelles sont à creuser. Il s’agit, par exemple, de la manière dont ces produits sont employés, via des appareils de traitement qui ne sont pas toujours adaptés à la baisse de consommation. En viticulture, ce sont les cépages résistants, en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA.
Bien d’autres sujets seront traités pendant ce passionnant débat. Mais, vous le comprenez, au-delà des lois votées par le Parlement français, un sujet délicat est celui de la réciprocité des normes de production et de qualité. Nous la voulons de la part de tous les pays dont nous importons des produits agricoles, ainsi que de tous les pays avec lesquels nous avons des accords de libre-échange, comme cela a été signifié d’ailleurs dans une récente proposition de résolution sénatoriale sur la politique agricole commune, la PAC.
Oui, j’en suis convaincu, nous devons produire une alimentation de qualité, saine et durable. Nos agriculteurs n’ont pas peur de la concurrence, car ils savent que la tradition française est empreinte d’un savoir-faire reconnu. En revanche, et j’y insiste, ils veulent se battre avec les mêmes règles.
Monsieur le ministre, quand nous imposons à nos agriculteurs de nouvelles normes, tous les produits importés doivent s’y conformer ; c’est nécessaire. C’est pour cela que vous avez un double combat à mener au niveau européen.
D’une part, vous devez préserver le budget de la PAC, qui est primordial et vital pour soutenir nos agriculteurs, et je sais que vous y travaillez. D’autre part, quand une norme nouvelle est appliquée en France ou, pire, quand un produit phytosanitaire est interdit ou va être interdit en France, il faut vous battre pour convaincre vos partenaires européens de suivre ces évolutions sociétales et de l’interdire aussi au niveau européen. Car c’est de cette façon que les agriculteurs français comprendront notre combat à tous pour une agriculture durable, une agriculture plus juste.
Alors ensemble, dessinons l’agriculture durable que nous voulons. Car exiger toujours plus de nos producteurs et de nos filières sans soumettre nos voisins à la réciprocité conduisant aux mêmes pratiques vertueuses, c’est condamner demain l’ensemble des filières et notre indépendance alimentaire.
Et après ? Nous importerons, comme nous le faisons déjà, des viandes sans savoir comment l’animal a été élevé et abattu, des fruits et légumes sans connaissance des modes de production, des produits alimentaires transformés dont nous aurons toutes les difficultés à connaître la traçabilité.
Si nous voulons donner aux consommateurs la possibilité d’assumer leur responsabilité dans l’acte d’achat, il faut une traçabilité parfaite et un étiquetage précis.
Pour que ce débat soit constructif, ne sortons pas des enjeux de ce texte : les enjeux de santé, les enjeux environnementaux et, enfin, les enjeux économiques.
À aucun moment nous ne pouvons traiter un enjeu sans les deux autres, car tous sont liés.
Pour conclure, je dirai simplement que nous devons faire confiance à nos agriculteurs, qui ont bien compris les nouveaux défis. Par nos décisions, offrons-leur la possibilité de vivre dignement de leur métier, car c’est juste ce qu’ils souhaitent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Denise Saint-Pé et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos trois rapporteurs, et Mme la présidente de la commission des affaires économiques, qui ont consacré beaucoup de temps à auditionner.
C’est ce qui fait le caractère remarquable du travail au Sénat, ce temps passé à écouter, à entendre et à s’enrichir de l’expression de l’ensemble des acteurs concernés, de près ou de loin, par les activités agricoles et par les activités territoriales qui touchent à l’agriculture.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. J’ai été très surpris, et même marqué, par le fait que vous avez répété à quatre reprises les mots « une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous ». Si nous voulons rétablir la dignité des femmes et des hommes qui travaillent depuis des générations, et travailleront encore demain, il faut dire qu’ils l’ont fait dans cet objectif !
Je voudrais rendre hommage à vos services, qui n’ont pas attendu qu’un texte arrive pour faire en sorte que l’alimentation soit saine, sûre, durable et accessible à tous.
Ils n’ont pas attendu cela pour que soit servie dans les cantines et les hôpitaux – je vais, moi aussi, le répéter ! – une alimentation saine, sûre, durable et accessible.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Daniel Gremillet. Notre pays a réussi une chose extraordinaire, que l’on passe sous silence, alors qu’elle représente le travail de plusieurs générations, de notre économie, de la France et de l’Europe.
Voilà soixante et un ans qu’a été signé le traité de Rome et gravée dans le marbre la formule« Paysans européens, produisez, nous vous garantirons un prix et un revenu comparables à la moyenne de ce qui est pratiqué dans les six États membres ».
Les paysans européens, les paysans français, ont produit. Je rappelle qu’à cette époque la France avait faim et que ce défi a été relevé par les agriculteurs.
Je le dis à Michel Raison, il n’a pas été simple de travailler sur le titre Ier du projet de loi. On m’a en effet appris à l’école, monsieur le ministre – c’est encore une réalité aujourd’hui –, que le revenu d’un agriculteur résulte de deux colonnes, les recettes et les dépenses. Anne-Catherine Loisier a travaillé sur le titre II pour alléger un peu les dépenses, mais elles ont été plus alourdies que les recettes.
M. François Bonhomme. C’est sûr !
M. Daniel Gremillet. Il y a un sacré décalage entre, d’un côté, ce qui est exprimé à l’occasion de ce texte, votre volonté politique d’agir au niveau européen, et, de l’autre, le mandat de négociation que vous donnez via l’accord économique et commercial global, le CETA, et nos relations avec le MERCOSUR ou la Nouvelle-Zélande.
Avec ce que l’on exige des agriculteurs, de l’agriculture, des entreprises agroalimentaires, que l’on charge toujours plus, on trahit les agriculteurs et, au-delà, les consommateurs. En effet, ce qui arrive sur notre marché n’est pas produit dans les conditions que l’on impose à l’agriculture française.
Je suis tenté de dire que le débat du bio est un faux débat. D’aucuns ont utilisé les phrases de quelques sénatrices et sénateurs ; nous voulions en fait poser les termes du débat de manière très claire et honnête.
Des crises sanitaires, il y en a eu avant nous, il y en aura encore après nous. Elles se sont produites dans différents systèmes agricoles ; d’autres se produiront aussi dans le cadre de l’agriculture biologique, car nous travaillons avec du vivant. Ce n’est pas un gros mot, c’est la réalité de la vie !
Je veux enfin évoquer l’absence de sécurité des agriculteurs face aux aléas climatiques et aux aléas des cours agricoles. C’est un véritable problème. Or cette dimension n’a pas été prise en compte.
Je dois conclure mon propos, mais d’autres collègues de mon groupe interviendront.
Nous aurions souhaité un projet de loi qui donne envie aux jeunes de s’installer comme agricultrices et agriculteurs, de rejoindre les entreprises agroalimentaires, de travailler dans la recherche et l’innovation. Il y a une contradiction terrible entre deux discours du Président de la République, le discours de Rungis et le discours de la Sorbonne.
Contrairement à ce que l’on peut penser, monsieur le ministre, la confiance ne se décrète pas, elle s’acquiert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Évelyne Perrot et M. Yves Bouloux applaudissent également.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, annoncé comme issu des États généraux de l’alimentation, ce texte aurait dû afficher des ambitions pour le modèle agroéconomique de nos exploitations : revenus suffisants aux agriculteurs, alimentation saine et, bien sûr, respectueuse de l’environnement, compétitivité.
Devant les très nombreuses rencontres et les centaines de contributions débattues par tous et in fine partagées par le plus grand nombre, les agriculteurs, notamment, s’attendaient à un texte fondateur, novateur, consensuel et donnant confiance à l’avenir de cette filière économique de premier plan.
M. Bruno Sido. C’est raté !
Mme Françoise Férat. Cela aurait dû être le « grand soir » pour nos agriculteurs… Finalement, tout ça pour ça ! La déception est grande chez nos professionnels.
Trois préalables auraient dû transparaître dans la loi : harmoniser, notamment au sein de l’Union européenne, en évitant toute surtransposition des normes communautaires – c’était, faut-il le rappeler, un engagement du Président de la République ; avant toute interdiction, s’assurer de disposer de solutions au moins aussi efficaces que les précédentes ; valoriser et soutenir les pratiques des agriculteurs qui ont accompli de multiples améliorations depuis des décennies, et ce bien souvent de manière volontaire.
Les initiatives des agriculteurs font évoluer leurs métiers afin de protéger l’environnement, les milieux naturels et la santé des consommateurs. Elles ont été rendues possibles grâce à leur implication personnelle et à l’intégration de ces nouvelles pratiques dans leur plan de gestion et leur modèle économique.
Je ne veux pas entrer dans le détail de ce texte – des collègues l’ont fait avant moi, et d’autres le feront encore –, mais plutôt exposer les solutions volontaires avancées par la filière agricole.
Collectivement interpellés par les consommateurs sur leurs modes de production, ils continuent de répondre aux évolutions sociétales et portent l’ambition d’un « contrat de solutions ».
Ce contrat, associant plus d’une trentaine d’organisations agricoles et de recherche, intègre toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Il vise à développer l’innovation, le conseil, la formation et l’adoption d’alternatives de protection des cultures, afin de répondre concrètement aux attentes sociétales sur l’utilisation des produits phytosanitaires, tout en garantissant la compétitivité de la Ferme France.
Avec ce « contrat de solutions », ils souhaitent être pleinement acteurs de la construction de modèles en sortant des interdits et en portant les performances économique, sociale, environnementale et sanitaire.
Dans ce contrat important, plus de 250 solutions d’avenir ont d’ores et déjà été identifiées parmi les pratiques agronomiques, le numérique, l’innovation variétale, ou encore les techniques de pulvérisation et de mécanisation.
Après ce projet de loi, il me semble important que l’État puisse s’engager avec la profession sur ce contrat qui doit être gagnant pour toutes les parties. Les agriculteurs sont prêts à vous le présenter, ils sont prêts à le mettre en œuvre ; l’État est-il prêt à accompagner cette démarche ambitieuse ?
L’État est-il déterminé à s’engager aussi, de manière pluriannuelle, sur les solutions efficaces et concrètes proposées par ces professionnels de l’agriculture et de l’agroalimentaire ?
N’oublions pas que la France a la meilleure agriculture du monde et que les produits importés en France ne sont pas toujours soumis aux mêmes contraintes que celles qui pèsent sur nos agriculteurs.
Les États généraux de l’alimentation ont donné beaucoup d’espoir ! Ce projet de loi n’est pas un texte agricole, mais il aura un impact sur la profession. J’ai peur que la déception ne soit aussi forte que les espoirs suscités.
Grâce au « contrat de solutions », l’occasion est donnée de remplir toutes les cases des objectifs environnementaux, sanitaires et économiques, et ce – c’est important – de manière volontaire !
Vous évoquiez, monsieur le ministre, l’esprit de conquête. Je vous dis : Chiche ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Éric Gold, Daniel Chasseing et Jean-Pierre Decool, ainsi que Mme Maryse Carrère applaudissent également.)
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe du RDSE de permettre une expression écologiste.
Sur ce texte, je vous donnerai mon point de vue d’écologiste. Comme beaucoup, je suis, aujourd’hui plus que jamais, convaincu de la nécessité urgente de changer de modèle. Nous devons préparer l’ère de l’après-pesticides.
Les pesticides chimiques, qui ont imprégné notre environnement et notre agriculture, ont un impact sur la santé humaine. On observe une recrudescence des maladies environnementales et un effondrement de la biodiversité, en particulier des colonies d’abeilles.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Mes positions sur ce texte, qui ne se veulent ni idéologiques ni dogmatiques, s’appuient sur ces deux axes : le « non-pesticides » et la promotion des agricultures vertueuses – je pense à l’agroécologie, dont l’agriculture biologique est le fleuron.
J’ai été très déçu par l’examen du texte en commission des affaires économiques, mais j’espère encore que les débats en séance permettront au moins de revenir au niveau d’exigence de l’Assemblée nationale. Le retour en commission du 20 % de bio, ce matin, est un bon signe.
Dans cette affaire, la loi Labbé a été touchée ; je croyais que l’on ne devait pas faire de retour en arrière… J’espère que l’on reviendra sur ce point.
Cette loi ne suffira pas pour retrouver des perspectives pour l’agriculture et l’alimentation. Il faudra une véritable planification sur le moyen et le long terme.
Monsieur le ministre, si j’étais ministre de l’agriculture (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.), je proposerais : de mettre en place un plan réellement efficient de sortie des pesticides en soutenant fortement la conversion en bio ; d’encourager le retour à la polyculture élevage sur les territoires, avec des systèmes fourragers performants ; de réintroduire des ceintures maraîchères autour des centres urbains ; d’organiser une relocalisation massive de l’alimentation via une généralisation des projets alimentaires territoriaux ; d’orienter l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, vers une recherche active au service des alternatives vertueuses ; d’agir activement, auprès de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, pour une régulation effective des marchés agricoles et pour l’interdiction de la spéculation ; de tout mettre en œuvre, enfin, pour assurer le renouvellement des générations et la formation des nouveaux agriculteurs.
C’est véritablement un nouveau contrat de société que l’on doit mettre en place. Mais je ne suis pas ministre… (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Bruno Sido. Ouf !
M. Joël Labbé. C’est pour cela que je me permets de vous interpeller, monsieur le ministre, et que j’ai pu vous déranger, mes chers collègues, en annonçant dans une lettre ouverte que je demanderai à mon groupe de solliciter des scrutins publics sur des amendements qui me semblent clés.
Puisque je dois conclure, permettez-moi un moment de poésie grave. (Rires.) J’aime la poésie, mais je ne voudrais pas que l’on continue à évoluer vers des printemps de plus en plus silencieux. Notre responsabilité est de contribuer à offrir aux générations nouvelles des printemps joyeux et réenchantés ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et du groupe Union Centriste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française a été pendant des décennies, et surtout à la suite de la Seconde Guerre mondiale, une activité économique à part entière. Elle a permis de nourrir toute la population non seulement en quantité nécessaire, mais aussi en qualité sanitaire et nutritive. Ce qui en fait, n’ayons pas peur de le dire haut et fort, l’alimentation la plus saine et sûre au monde. (MM. Bruno Sido et François Bonhomme applaudissent.)
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Laurent Duplomb. Et pourtant, depuis quelques années, avec des médias à l’affût de tout événement croustillant susceptible de faire progresser leur audimat, et des personnes en recherche de notoriété, comme ce pseudo-agriculteur du Larzac, qui d’ailleurs ne l’a pas été longtemps, un courant de vents mauvais souffle sur l’image de notre agriculture.
Cette même agriculture, plébiscitée hier par tous ces Français issus de familles agricoles sur deux ou trois générations, est aujourd’hui la cible de toutes les attaques.
Attaques de tous ceux, passéistes et nostalgiques de l’agriculture de leurs grands-parents ou arrière-grands-parents, qui souhaiteraient, les dimanches ou pendant les vacances, avec tout le confort, retrouver une campagne figée dans les années cinquante où les agriculteurs, que dis-je, les paysans, fauchaient encore à la faux. Mais les auteurs de ces attaques n’ont pas l’objectivité de reconnaître que les moyens nécessaires à leurs loisirs sont les fruits de l’effort agricole accompli, depuis des décennies, pour favoriser leur pouvoir d’achat.
En effet, 10 % à 12 % du pouvoir d’achat des Français sont consacrés aujourd’hui à l’alimentation, contre plus de 40 % dans les années cinquante.
Attaques de tous ces fanatiques de l’écologie punitive qui, par leur dogmatisme, conduisent notre agriculture à sa perte et favorisent l’importation de tonnes de denrées alimentaires produites dans des pays avec des règles environnementales et sanitaires aux antipodes des nôtres.
Attaques par des politiques, plus du tout formés à la chose agricole et adeptes du renoncement perpétuel, qui ont pour seule devise, au lieu d’avoir le courage de regarder les choses en face, de céder lamentablement à la vindicte populiste de tous ces vegans, anti-viande, altermondialistes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Alors, avec l’arrivée d’un Président-tout neuf, les agriculteurs, tellement accablés par tout cela et blessés dans leur chair, avec ce terrible sentiment d’injustice né du fait que, travaillant avec passion, ils ne récoltent que des critiques, nos agriculteurs, donc, ont cru à la bonne parole de Rungis. Même si, entre les lignes du discours, on pouvait déjà comprendre quel en serait le résultat.
Nos agriculteurs y ont tellement cru qu’ils ont participé avec conviction aux États généraux de l’alimentation. Car, ne nous y trompons pas, ce qui caractérise les agriculteurs, c’est qu’ils croient que demain sera mieux qu’hier. Comment feraient-ils, sinon, à chaque sécheresse ou intempérie qui leur fait parfois perdre la totalité de leurs récoltes, pour recommencer avec la même passion à semer l’année d’après ?
Dans ces mêmes États généraux dans lesquels ils ont mis tant d’espoir, non seulement celui d’une juste valorisation financière de leur travail – qui peut nier la triste réalité du manque de revenu de la majorité de nos agriculteurs ? –, mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir d’une reconnaissance nationale de leurs efforts, tant au cours des heures passées avec leurs animaux ou dans leurs champs que dans la technicité et la passion de produire au mieux une alimentation de qualité.
Alors que nous discutons aujourd’hui au Sénat du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, que reste-t-il de cet espoir ?
Un sénateur du groupe Les Républicains. Rien !
M. Laurent Duplomb. Un véritable gâchis, dont vous êtes responsable, monsieur le ministre !
Vous êtes responsable de ne pas avoir pu tenir vos troupes à l’Assemblée nationale avec 2 700 amendements et 72 heures de défouloir durant lesquelles tout y est passé : caricatures, déformations, clichés. Tout cela téléguidé par un obscurantisme digne du Moyen Âge !
Le titre II du texte adopté par l’Assemblée nationale en est un exemple criant. Ce ne sera que des contraintes et des charges supplémentaires pour les agriculteurs !
Vous êtes responsable d’avoir fait miroiter aux agriculteurs, dans le titre Ier, une hypothétique amélioration de leur revenu en dévoilant leurs prix de revient. Qui peut croire, dans une compétition commerciale effrénée, qu’en montrant toutes ses cartes on peut gagner la partie ?
C’est d’une grande loi que l’agriculture avait besoin, une loi permettant de redonner de la fierté au paysan que je suis, et à tous les autres paysans de France, pour continuer de produire. Nos agriculteurs n’avaient pas besoin d’une loi faite d’illusions et de punitions. De cela aussi, monsieur le ministre, vous êtes responsable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Mmes Françoise Gatel et Sylvie Vermeillet, ainsi que MM. Michel Canevet et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, vous qui avez fait un travail énorme avec les présidents de commission, mes chers collègues, je voudrais en tant qu’agriculteur, et avec moins de passion que notre ami Laurent Duplomb, faire un bilan de ce projet de loi.
Monsieur le ministre, je crois que l’on peut partager vos intentions, que vous avez clairement exprimées. Nous sommes conscients que l’agriculture a besoin d’un électrochoc, qu’elle a besoin d’être accompagnée.
Vous n’avez pas évoqué, en revanche, le point de départ.
Aujourd’hui, la moitié des agriculteurs gagne la moitié du SMIC.
Aujourd’hui, et c’est ce qu’ignore le projet de loi, l’agriculture est dans une situation de concurrence mondiale.
Aujourd’hui, les éleveurs bretons préfèrent acheter du blé d’Ukraine…
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Pierre Louault. … ou du soja d’Amérique du Sud pour engraisser leurs porcs. Il manque à ce texte un volet qui prenne en compte cette dimension internationale.
La contractualisation entre agriculteurs, transformateurs et commerçants, par laquelle « le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend », est une intention louable, mais qui sera difficile à réaliser. Les consommateurs, si l’on se réfère à ce qui s’est passé avec le poulet, se replieront automatiquement vers les prix les plus bas.
Aujourd’hui, la France a perdu sa suprématie sur le marché du poulet : 60 % des poulets consommés dans notre pays sont importés. On avait pourtant voulu préserver une certaine qualité alimentaire, en imaginant que la France seule serait capable de suivre ce chemin. Je crains que ce ne soit une utopie.
Pour ce qui concerne les mesures en faveur d’une alimentation saine et durable, les agricultures française et européenne ont besoin de progresser.
Je ne serai pas sévère envers l’agriculture biologique, qui constitue une référence et une expérimentation qui doit faire son chemin.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Pierre Louault. Il y a des consommateurs qui veulent manger biologique. Je parle de biologique français et européen, car le biologique mondial ne vaut pas toujours le conventionnel français. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit également.) Soyons prudents !
Si nous mettons du bio dans les cantines, il faut qu’il soit français ou européen, mais pas de n’importe où ! (Mêmes mouvements.)
Monsieur le ministre, je suis également inquiet des différences qui existent entre les réglementations françaises et européennes. En France, l’agriculture a perdu toute sa compétitivité, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne ou aux Pays-Bas : ces pays ont les mêmes contraintes européennes, mais réussissent, avec l’aide de l’État, à produire à un prix moins élevé qu’en France.
Le projet de loi ne prend pas en compte les productions para-agricoles. Par exemple sur la méthanisation, nous nous entêtons à vouloir en produire sans ajouter de matières nobles. Nous faisons des erreurs sur ce sujet.
J’aurais aussi voulu parler du bien-être animal, mais je n’en ai pas le temps.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est dommage !
M. Pierre Louault. Pour conclure, je dirai qu’il existe, dans nos campagnes, une espèce en voie de disparition, puisque sa population est passée en un siècle de 10 millions à 250 000 ! Ce sont les paysans, qui nourrissent, chaque jour, 60 millions de Français, tout en étant humiliés, maltraités et souvent persécutés par les bien-pensants…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Pierre Louault. Chaque année, 400 d’entre eux se mettent la corde au cou dans l’indifférence générale…
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Pierre Louault. … et je crains que le paysan ne soit le grand oublié de ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je vais concentrer mon propos sur un seul sujet, important, qui a fait l’objet d’âpres discussions lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale. Il s’agit de la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques, au premier rang desquelles les agriculteurs.
Le 1er février 2018, le Sénat a voté une proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation financé par les firmes elles-mêmes. Ce fonds permettra d’accompagner les victimes atteintes de maladies liées à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, en facilitant leurs démarches, en leur offrant un cadre global pour une plus grande égalité et en les indemnisant en réparation du préjudice intégral subi.
Une mission interministérielle menée par le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux – CGAAER –, l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – et l’Inspection générale des finances – IGF – a été chargée d’étudier l’opportunité de mettre en place ce fonds d’indemnisation.
Ses conclusions, rendues en janvier 2018, sont édifiantes. Les experts des trois ministères – agriculture, santé et finances – considèrent que le régime accidents du travail et maladies professionnelles agricoles, géré par la Mutualité sociale agricole, la MSA, ne permet de prendre que partiellement en charge les victimes de produits phytopharmaceutiques. Ils estiment ensuite que la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’usage de produits phytopharmaceutiques enregistrées depuis dix ans – moins de 1 000 cas – n’est pas à la hauteur de la réalité du nombre estimé de victimes potentielles. Pour eux, cela peut s’expliquer par la difficulté à établir un lien de causalité entre la maladie et l’exposition à des substances nocives.
Une estimation du nombre de victimes potentielles pour lesquelles il existe une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition a été réalisée : environ 10 000 personnes seraient concernées sur dix ans, dont les deux tiers pour la maladie de Parkinson et un tiers pour les leucémies et les lymphomes.
Monsieur le ministre, vous avez proposé à plusieurs reprises d’adapter le régime AT-MP pour mieux prendre en charge les victimes présumées des maladies liées aux produits phytopharmaceutiques, ce qui justifie, selon vous, de rejeter la création d’un fonds d’indemnisation.
Pourtant, le rapport de l’IGAS, dont la rédaction est issue de trois ministères, y compris le vôtre, affirme en toutes lettres que des adaptations du régime AT-MP ne suffiraient pas pour indemniser l’ensemble des victimes présumées et qu’un fonds spécifique d’indemnisation s’avère pertinent.
Alors, pourquoi s’obstiner à nier la vérité et ne pas permettre aux victimes d’obtenir une juste réparation ?
Après le rapport de la mission d’information du Sénat de 2012, dont j’étais la rapporteur et Sophie Primas la présidente, qui a été voté à l’unanimité et dont des recommandations se sont déjà traduites dans la loi, après le rapport d’expertise de l’INSERM de 2013, qui confirmait, voire amplifiait, nos recommandations, après le rapport de janvier 2018 des inspections de l’État, que je viens d’évoquer, le temps est venu, monsieur le ministre, mes chers collègues, de réparer la souffrance de ces victimes que notre société n’a pas su, à ce jour, prendre en considération.
Les victimes nous le demandent, elles attendent de nous que nous inscrivions maintenant, dans le présent texte, la création d’un fonds spécifique d’indemnisation. C’est le sens de l’amendement n° 559 rectifié bis portant article additionnel après l’article 14 quinquies, que je vous proposerai d’adopter. Je compte sur vous tous pour le voter, parce que la santé n’a pas de prix ni de couleur politique. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste. – Mmes Françoise Férat et Sylvie Goy-Chavent, ainsi que M. Didier Guillaume applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déception, à laquelle s’ajoute l’amertume pour le monde agricole. Artifice, faiblesse du Gouvernement ? Peut-être. Trop grande détresse exprimée par toute une profession ? Sûrement. Qu’on en juge, mais le compte n’y est pas !
Être à la hauteur des attentes et des propositions des États généraux de l’alimentation n’est certes pas une tâche facile. Définir une nouvelle France agricole, tel est l’enjeu de ce projet de loi, qui s’appuie sur une déclaration solennelle du Président de la République. Hélas, nous en sommes très loin !
Je ne rappellerai pas l’état des lieux, fort bien exposé par les excellents rapporteurs du texte au nom de la commission des affaires économiques, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, dont le travail honore le Sénat.
Un tiers de nos agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois, 40 % des céréaliers affichent un revenu disponible négatif et le prix du lait stagne autour de 330 euros par tonne.
Alors que la France est le premier producteur de l’Union européenne, l’agriculture souffre d’une crise structurelle dévastatrice.
La position du Gouvernement est pleine de contradictions. Il pense tout régler uniquement par le biais de modifications des contrats commerciaux entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
Pour ma part, je souligne qu’il est indispensable qu’un tarif de base soit garanti aux producteurs de cultures végétales comme aux éleveurs, afin que le prix de vente de leur production ne soit jamais inférieur à leur prix de revient.
Par ailleurs, la formation des prix, aussi nécessaire soit-elle, ne peut en aucun cas former le revenu des producteurs.
Nous savons tous ici que, sans régulation des marchés au plan européen, l’ambition est vaine. Alors, attention aux désillusions ! Ne perdons pas de vue que le relèvement du seuil de revente à perte ou encore l’inversion de la construction du prix ne constituent pas des réponses à ces questions.
La baisse des charges sociales, de plus en plus écrasantes, nous permettrait de sortir de ce marasme économique. Baisser l’ensemble des charges, monsieur le ministre, en particulier les charges sociales, c’est permettre de réduire les coûts et de donner du punch à notre économie. Dans ce contexte, comment se dessine l’avenir, monsieur le ministre ? Je vous remercie de bien vouloir nous le préciser.
L’une des pistes de transformation profonde de l’agriculture a été évoquée par le Président de la République : « Il faut doter la France d’un véritable projet agroécologique ». Est-ce suffisant ? Assurément non, si on ne tient tout simplement pas compte des principes économiques !
Les usages non alimentaires, dont les biocarburants, ont toute leur place dans ce dispositif. Ils peuvent contribuer à faire vivre de nombreux agriculteurs qui ont choisi de diversifier leur activité principale pour essayer de vivre décemment et échapper à un revenu qui peut faire d’eux des indigents. En outre, ce sont des ressources qui restent en France et peuvent prospérer.
Les productions végétales sont des pépites d’une nouvelle économie. Elles sont tournées vers le rendement économique des biocarburants – générateurs d’emploi et d’activité –, la réduction des gaz à effet de serre, la baisse du CO2 et, à court terme, un mieux-être des populations en termes de santé publique, sans oublier notre indépendance énergétique, qu’il ne faut pas négliger.
Or que fait actuellement le Gouvernement ? Plutôt que de favoriser la valorisation des coproduits de transformation agricole, acteurs majeurs des débouchés s’offrant à nos agriculteurs, il fait preuve d’un attentisme intenable et incompris.
Dans le même temps, il favorise l’importation d’huile de palme,…
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Pierre Cuypers. … quitte à encourager la mauvaise gestion des fondamentaux écologiques par les pays producteurs. Cette démarche permet abusivement la pénétration du marché des biocarburants, sous prétexte d’un moindre prix par rapport au marché des résidus français.
M. Bruno Sido. C’est une honte !
M. Pierre Cuypers. Dois-je rappeler le sinistre exemple de l’usine de la Mède, qui n’est pas digne, monsieur le ministre, ou souligner que les mesures concernant l’anti-dumping sur l’huile de palme, qui ont été votées en décembre par le Parlement, ne sont toujours pas entrées en vigueur sept mois après ?
M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !
M. Pierre Cuypers. Est-ce ainsi que le Gouvernement encourage nos agriculteurs qui font l’effort de se diversifier pour pouvoir enfin espérer vivre de leur travail et créer de la richesse pour la France ? Les efforts considérables déployés de leur part sont indéniables. Il faut les reconnaître et les encourager.
À ce titre, je remercie la commission des affaires économiques du Sénat, présidée par notre collègue Sophie Primas, toujours soucieuse d’équité, d’avoir adopté, avec le soutien de nos rapporteurs, un amendement que j’ai présenté avec plusieurs collègues, qui permet la valorisation de certains résidus agricoles pour la fabrication de l’éthanol, conformément d’ailleurs aux recommandations de l’Union européenne. J’espère que le Gouvernement nous entendra.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Pierre Cuypers. Je termine. J’ose espérer, monsieur le ministre, que vous avez conscience du hiatus qui sépare le discours du Gouvernement, qui affiche sa volonté de promouvoir une démarche d’agroécologie, et la situation actuelle dans toute sa réalité. Le Gouvernement a-t-il l’intention d’honorer ses promesses dans ce texte ? Le groupe Les Républicains, en ce domaine, ne peut pas se contenter d’un marché de dupes, car il souhaite profondément être au rendez-vous d’une nouvelle donne pour notre agriculture.
M. le président. Merci, cher collègue !
M. Pierre Cuypers. Écoutez-moi, monsieur le ministre ! (M. Didier Guillaume proteste.) Vous ne le faisiez pas au début de mon intervention !
M. le président. Cher collègue, votre temps de parole est largement dépassé. Merci !
M. Pierre Cuypers. Quand cesserons-nous, les uns et les autres, d’entendre dans nos campagnes… (M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. le président. Il aura été compliqué de faire respecter le temps de parole !
Chers collègues, il n’est guère plaisant de vous demander de respecter le temps imparti, mais la même règle s’applique à tous.
La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre. Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux différents intervenants.
Monsieur Cuypers, je sais faire deux choses à la fois, et j’ai écouté tout le monde avec attention.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Stéphane Travert, ministre. C’est bien normal, et c’est tout le respect que l’on doit, eu égard au travail qu’ils ont réalisé, aux sénateurs et à la commission, laquelle a voulu enrichir le projet de loi.
Pour revenir à la discussion générale qui vient d’avoir lieu, j’ai senti tour à tour une brise légère, une brise un peu plus chaude et parfois un vent glacial… (Sourires.)
Pour autant, je crois que nous pouvons converger sur un point : nous avons besoin de soutenir notre agriculture.
C’est l’objectif de ce texte, qui s’intéresse, d’une part, à la question du revenu des agriculteurs, objet du titre Ier, et, d’autre part, à la question de l’accès à une alimentation sûre, saine et durable. Sur ce dernier point, nous ne considérons pas que nous partons de zéro, d’une alimentation qui ne serait ni sûre, ni saine, ni durable, mais nous appelons tous de nos vœux une montée en gamme de notre agriculture, car c’est cette montée en gamme qui permettra à nos producteurs de trouver des débouchés commerciaux à même de leur apporter les revenus nécessaires à l’investissement et à l’innovation et de rendre les exploitations nettement plus compétitives.
Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont estimé que des points n’étaient pas abordés dans le projet de loi, en particulier la fiscalité, le foncier ou la politique agricole commune. Il est évident que le Gouvernement n’entend pas passer à côté de ces sujets d’actualité, sur lesquels nous travaillons par ailleurs.
Par exemple, concernant la fiscalité, Bruno Le Maire et moi-même avons mis en place un groupe de travail : onze députés, onze sénateurs et des représentants des organisations syndicales agricoles sont ainsi chargés de faire des propositions en la matière. Elles seront débattues dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Sur la PAC, certains ont bien voulu rappeler que nous nous battons aujourd’hui au niveau européen pour faire en sorte que nous ayons, demain, un budget ambitieux.
Vous aurez remarqué que, dès le 2 mai, jour de présentation par la Commission européenne de son projet de cadrage financier, la France a réagi de manière forte, en estimant que cette proposition était totalement inacceptable.
Outre nos discussions avec les institutions européennes, nous avons travaillé à réunir un maximum d’États membres autour de l’idée d’obtenir un budget ambitieux pour la prochaine politique agricole commune. Nous avons d’abord réuni six pays – c’est ce qui a été appelé le groupe de Madrid – et quatorze autres se sont joints à nous la semaine dernière lors de la réunion du Conseil à Luxembourg.
Je rappelle aussi que le Sénat a voté, à l’unanimité, le 6 juin dernier, une proposition de résolution européenne…
M. Didier Guillaume. Effectivement !
M. Stéphane Travert, ministre. … sur la préservation de la politique agricole commune. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que je suis très fier de porter en votre nom, au niveau européen, la position adoptée dans cette résolution en faveur d’une agriculture compétitive permettant à nos producteurs de vivre dignement de leur travail !
Il est tout de même très curieux, d’un côté, de demander aux agriculteurs de faire des efforts, par exemple sur le bien-être animal, l’organisation des filières, la réduction des intrants ou l’utilisation des produits phytosanitaires et, de l’autre, alors même qu’ils fournissent ces efforts, de leur enlever les moyens nécessaires ! Or c’est bien ce que la proposition de nouvelle PAC revient à faire.
Au contraire, le projet de loi, en particulier son titre Ier, vise à améliorer sensiblement les revenus des agriculteurs (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), notamment à travers les nouveaux débouchés commerciaux ou l’inversion de la contractualisation. Nous souhaitons d’ailleurs que les agriculteurs s’emparent, dans les meilleurs délais après la promulgation de la loi, de l’ensemble des outils que nous mettons en place.
En ce qui concerne les retraites agricoles, sujet qui a récemment fait l’objet d’un débat dans cet hémicycle (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), vous savez que, sous l’autorité d’Agnès Buzyn et de Jean-Paul Delevoye, nous travaillons sur une réforme d’ensemble du système de retraites. La question des retraites agricoles sera bien évidemment prise en compte dans ce cadre général et je peux vous assurer de notre extrême vigilance en la matière.
Autre sujet : l’harmonisation européenne. Nous souhaitons avancer sur cette question afin de permettre l’adoption d’un certain nombre de règles et d’assurer une cohérence avec les autres politiques de l’Union européenne, notamment en matière de concurrence et de relations commerciales. Résoudre les problèmes de distorsion de concurrence, que plusieurs d’entre vous ont soulevés – je vous rejoins sur ce point –, est essentiel pour la réussite du modèle européen.
Ces différents problèmes appellent des réponses européennes et je me suis engagé auprès des organisations syndicales agricoles à porter ces sujets au niveau adéquat avec l’aide d’autres pays.
Je vous cite un exemple : hier soir, je travaillais avec mon homologue allemande sur la question de l’étiquetage et je peux vous dire que nous souhaitons porter ensemble, au niveau européen, l’extension de l’expérimentation actuelle. Mon prédécesseur, Stéphane Le Foll, qui a fait un travail remarquable sur ce sujet, avait obtenu l’autorisation de prévoir l’étiquetage d’origine sur les produits laitiers et carnés. (M. Claude Bérit-Débat opine.) Nous souhaitons que cette expérimentation, qui dépend du règlement européen, soit évaluée précisément d’ici à la fin de l’année. Nous tirerons alors des conclusions, mais nous souhaitons qu’elle puisse continuer et qu’elle soit même étendue à d’autres produits. Nous en avons besoin pour identifier correctement la qualité des produits et éviter les distorsions de concurrence. Au final, ce type de dispositif permet d’améliorer les revenus des agriculteurs.
Sur la question du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, sujet évoqué par Mme Bonnefoy qui y a beaucoup travaillé, le débat va se poursuivre, mais je peux vous dire que nous avançons. J’ai indiqué, lors de la réunion de la commission des affaires économiques, la méthode que nous avions adoptée pour répondre à la question de l’indemnisation de ces victimes. Je crois que, là aussi, nous avons la capacité de nous rejoindre pour relever collectivement ce défi.
En conclusion, je reprendrai les termes de Joël Labbé, qui parlait de printemps qui chante… De mon côté, j’appelle de mes vœux un printemps heureux ! Ne mésestimez pas la volonté du Gouvernement de transformer l’agriculture française afin de lui donner les armes pour qu’elle puisse, sur le plan national comme européen, répondre aux défis de la mondialisation et de la concurrence internationale.
À travers le présent projet de loi, nous entendons donner à nos agriculteurs les outils qui leur sont nécessaires pour investir, innover et ainsi s’orienter vers des modèles plus durables et plus compétitifs.
Voilà les éléments que je souhaitais vous apporter à cet instant. Il est bien évident que des désaccords ne manqueront pas d’apparaître sur un certain nombre de points, mais je crois que nous avons la capacité et l’intelligence collective pour avancer et pour faire en sorte que vous adoptiez, à la fin de vos travaux, un texte qui soit équilibré.
Soyons à la hauteur des attentes de nos agriculteurs et des défis auxquels ils sont confrontés ! (MM. Didier Guillaume, Franck Menonville et Pierre Louault applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous
TITRE Ier
DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’ÉQUILIBRE DES RELATIONS COMMERCIALES DANS LE SECTEUR AGRICOLE ET ALIMENTAIRE
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 41, présenté par Mme Cukierman, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du II de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’atteinte des finalités de la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d’un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre …
Dispositions générales relatives à la politique agricole française
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Le travail en commission a permis l’ajout, à l’article 11 undecies, d’une prise en compte de la spécificité de l’agriculture dans les accords de libre-échange, notamment par l’insertion de la notion de réciprocité. Ce travail va dans le bon sens, mais pour protéger efficacement notre agriculture et notre souveraineté alimentaire, nous devons aller plus loin.
C’est pour cela que nous proposons d’instaurer une véritable exception agricole lors des négociations d’accords de libre-échange sur le modèle de l’exception culturelle. Cette proposition avait déjà été défendue par plusieurs personnalités, dont notre actuel ministre de la transition écologique et solidaire dans une tribune en 2016.
La nourriture est un besoin humain et, à ce titre, elle ne peut pas être considérée comme une marchandise comme les autres. Notre souveraineté alimentaire ne peut en aucun cas constituer une monnaie d’échange. Le XXIe siècle présente des défis climatiques et alimentaires, que nous avons le devoir et la responsabilité de relever pour préserver notre planète et ses ressources.
Or les nouveaux traités bilatéraux, à l’exemple du CETA avec le Canada et de bien d’autres, présentent des risques importants en termes économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux et favorisent l’abaissement des normes sur ces sujets.
Par exemple, dans le MERCOSUR, tout le bétail est nourri aux OGM et l’utilisation du glyphosate n’est pas réglementée. Un quota d’importation de viande ovine sans droits de douane entraînerait donc des coûts moindres et nos éleveurs ne pourraient pas rivaliser, sauf à rogner sur la qualité et l’éthique.
Autres exemples, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le Sénat a déjà examiné, il y a quelques mois, la perspective de conclure des traités avec ces pays, où la décontamination chimique des carcasses et les hormones de croissance sont autorisées et où une moindre traçabilité rend les contrôles sur les produits qui arrivent en France, au mieux, difficiles.
De plus, pour la France, les opportunités commerciales dans ces pays, qui exportent déjà 70 % de leurs productions, sont très limitées. Le déséquilibre est donc important.
Lors des débats au Sénat sur ce type d’accords, notre collègue M. Gremillet avait d’ailleurs indiqué que le présent projet de loi serait nécessairement en totale contradiction avec eux.
Nous devons nous prémunir de ces risques et de ces contradictions, afin d’œuvrer pour une agriculture paysanne et une alimentation de qualité que nous souhaitons, au travers de cet amendement, préserver.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 96 rectifié sexies est présenté par MM. Decool, Bignon, Chasseing, Fouché, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot, MM. Wattebled, Capus, Vogel et Paul, Mme Goy-Chavent et MM. Adnot, Daubresse et Moga.
L’amendement n° 465 rectifié bis est présenté par MM. Labbé, Arnell, Artano, Guillaume et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du II de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’atteinte des finalités de la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d’un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 96 rectifié sexies.
M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à instaurer une exception agricole sur le modèle de l’exception culturelle afin de préserver l’agriculture française dans les accords commerciaux internationaux.
Dans la perspective des engagements de la France à lutter contre le changement climatique et au nom de la défense de notre souveraineté alimentaire, cette proposition entend reconnaître une exception agriculturelle dans les échanges internationaux. Cette démarche permettrait de déverrouiller les négociations des autres volets commerciaux des traités multilatéraux, aujourd’hui enrayées par des accords bilatéraux.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour présenter l’amendement n° 465 rectifié bis.
M. Didier Guillaume. La politique agricole commune a été la première et, disons-le, quasiment la seule politique intégrée dans l’Union européenne. Elle a permis à la fois le développement de notre agriculture, le maintien des revenus et la mise en place d’une relative convergence entre des pays divers, du nord au sud de l’Europe. Cette convergence a permis d’éviter certaines concurrences.
Il y a quelques instants, notre ami Daniel Gremillet a rappelé l’histoire : après la guerre, il a été demandé aux agriculteurs français de nourrir l’Europe et ils ont pu le faire grâce à un modèle productiviste. Grâce à eux, les Européens ont pu manger et se reconstruire.
Depuis, plusieurs négociations ont eu lieu et la PAC a beaucoup évolué. Chaque pays était en effet tiraillé entre son appartenance à l’Union, ou, auparavant, à la Communauté économique européenne, et ses propres responsabilités en tant qu’État. Rappelons-nous que nous sommes plus dans une fédération d’États-nations que dans une Europe fédérale ! Je prends un exemple : les quotas laitiers, mis en place, puis enlevés. Les uns et les autres ont d’ailleurs critiqué les accords de Luxembourg.
Lors de la dernière négociation de la PAC, reconnaissons tout de même que le président Hollande et son ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, votre prédécesseur, monsieur le ministre, ont réussi un coup de maître, en arrachant un budget de 9,7 milliards d’euros ! Rappelez-vous du discours de Cournon-d’Auvergne : tous les responsables agricoles se réjouissaient de ce résultat ! Il ne faut pas en sourire et nous devons prendre conscience du caractère exceptionnel du budget d’alors, puisque la France a été le seul pays à obtenir autant.
Monsieur le ministre, les choses risquent de ne pas se passer de la même façon cette fois-ci. J’ai observé la manière dont s’est déroulée la réunion de Madrid – j’ai même vu que vous twittiez en espagnol, je vous en félicite… La réaction de la France a été excellente : nous ne pouvons pas accepter, en début de discussion, une PAC dont le budget diminuerait de 20 % ou 30 %.
En effet, ne pas l’accepter, c’est défendre les agriculteurs, et nous sommes là au cœur de ce texte. C’est l’objectif de ces quatre amendements en discussion commune, qui sont quasiment identiques. Je crois que tous les groupes politiques de la Haute Assemblée devraient se retrouver sur un principe fort, qui représente une forme d’appel : le secteur agricole doit bénéficier d’un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. Si nous considérons que l’agriculture est la seule politique intégrée en Europe, alors elle mérite une exception. Cette exception agricole, qui s’inspire de l’exception culturelle, permet de construire un avenir pour nos agriculteurs.
M. le président. L’amendement n° 533 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel et Montaugé, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Tissot, Kanner et J. Bigot, Mme Grelet-Certenais, MM. Botrel et Bérit-Débat, Mmes Bonnefoy, Cartron et M. Filleul, M. Jacquin, Mme Préville, M. Roux, Mmes Taillé-Polian et Tocqueville, M. Fichet, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Compte tenu de la nature particulière de l’agriculture au regard des enjeux relatifs à la souveraineté alimentaire, à la sécurité des consommateurs, à la qualité de notre alimentation et à la préservation de l’environnement, la France promeut, dans les relations internationales, un traitement différencié par la reconnaissance d’une exception agriculturelle dans les échanges commerciaux tant au sein de l’Union européenne que dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. À l’instar d’autres collègues, les sénateurs du groupe socialiste et républicain souhaitent entamer l’examen de ce projet de loi avec un amendement majeur, dont la portée n’est pas uniquement symbolique.
Cet amendement vise à ancrer dans notre législation le fait que l’agriculture ne saurait être appréhendée comme un secteur économique ou une marchandise lambda. Les États généraux de l’alimentation nous ont rappelé une chose essentielle : notre modèle agricole est unique, notre agriculture est performante et nous souhaitons tous en préserver les spécificités qui en font la richesse.
Pour l’instant, le XXIe siècle est celui de la mondialisation, de la libéralisation des échanges et de la concurrence économique. Dans ce contexte, nous devons mettre en place des garde-fous dans un certain nombre de secteurs stratégiques.
L’agriculture fait partie de ces secteurs, car elle nous renvoie à la question fondamentale de notre souveraineté alimentaire, sujet particulièrement important à l’heure des changements climatiques et des inquiétudes qui en découlent. C’est en outre un marqueur culturel fort, que chaque pays devrait avoir à cœur de défendre.
Dans les années quatre-vingt, la France obtenait la reconnaissance d’une « exception culturelle ». Nous pensons que, trente-cinq ans plus tard, il est temps de faire de même pour notre agriculture. Comme le rappelaient les auteurs d’une tribune parue en 2016 en faveur de cette démarche, et dont M. Hulot était signataire, la reconnaissance d’une « exception agriculturelle » dans les traités commerciaux permettra de progresser sur les autres volets commerciaux des négociations multilatérales et renforcera la gouvernance mondiale qui en résulte.
Mes chers collègues, ce projet de loi se fixe pour objectif d’augmenter le revenu des agriculteurs, et nous aurons l’occasion de discuter de sa réelle capacité à le faire, mais, tant que la question de la préservation de notre modèle et de nos agriculteurs face à la concurrence internationale ne sera pas traitée – le cadre de la future PAC aura son importance –, nous ne réglerons pas le problème de fond.
Nous sommes bien conscients que, si une loi ne peut pas régler toutes ces questions, elle peut néanmoins poser des principes forts. C’est tout l’objet de notre amendement, qui vise à reconnaître l’exception agriculturelle dans nos échanges internationaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. Je voudrais d’abord rappeler ce qu’est l’exception culturelle : il s’agit d’un ensemble de dispositions faisant de la culture une exception dans les traités internationaux, signés notamment dans le cadre de l’OMC. Dès lors, la promotion d’une telle exception doit se faire, avant tout, non pas par la loi, mais au travers des traités.
Ensuite, je tiens à dire que les missions de la politique agricole, telles qu’elles résultent de l’article 11 undecies, incluent déjà la promotion de l’indépendance alimentaire de la France, la préservation de son modèle agricole et l’exigence de réciprocité dans tout accord de libre-échange.
En outre, et je m’adresse notamment à Mme Cukierman, même si nous étions en exception agriculturelle, nous aurions quand même à négocier un certain nombre de choses, et nous ne serions pas forcément d’accord non plus pour importer des bovins aux hormones ou je ne sais quelle marchandise de ce style.
Enfin, nous avons une petite réserve concernant les conséquences négatives que nous pourrions subir pour avoir instauré une sorte de protectionnisme français. N’oublions pas quand même que nous exportons énormément, à commencer par nos alcools, nos vins, nos fromages, entre autres produits. Votre proposition reviendrait à mettre le doigt dans l’engrenage du protectionnisme.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a donné un avis défavorable sur les quatre amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Le Gouvernement, vous le savez, est totalement mobilisé pour garantir l’égalité de concurrence entre les producteurs français et leurs homologues européens. Nous travaillons beaucoup dans ce sens.
Cependant, une « exception agriculturelle » française qui serait conçue sur le modèle de l’exception culturelle, c’est-à-dire qui soustrairait le secteur agricole français du cadre commercial multilatéral, n’est pas envisageable. En effet, une telle attitude exposerait la France à des sanctions internationales, d’abord dans le cadre de l’OMC, et priverait nos exploitants agricoles de débouchés économiques importants. En outre, la France perdrait le bénéfice du cadre de régulation des échanges agricoles et de protection des standards internationaux, notamment sanitaires, auxquels nous sommes très attachés, et qui sont édictés par l’OMC.
Pour ces raisons, je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Le temps passe, et les administrations sénatoriale et agricole, quels que soient leurs responsables, répondent toujours la même chose. Je me permets de dire que les réponses apportées à l’instant tant par l’administration du Sénat que par le ministère de l’agriculture sont erronées. C’est mon sentiment ; je peux me tromper.
Je suis d’accord, monsieur le rapporteur, c’est non pas par la loi, mais par les traités que l’on construira l’exception agricole. Mais enfin, souvenons-nous, comment a commencé l’exception culturelle ? Elle a commencé au Parlement, qui a déclaré qu’on ne pouvait pas continuer ainsi et qu’il fallait obtenir une telle exception, compte tenu de ce qu’était la France.
Monsieur le ministre, franchement, il s’agit plus d’amendements d’appel que d’autre chose, mais si vous n’êtes pas capable de vous appuyer sur le Parlement et les parlementaires pour avertir nos partenaires que la France ne se fera pas tondre la laine sur le dos dans les prochaines négociations internationales, que ce soit à l’OMC, à Bruxelles ou à Strasbourg, vous perdez un point d’appui, un étai assez fort.
Je regrette que vous ayez émis des avis défavorables et au moins que vous ne vous en soyez pas remis à la sagesse de notre assemblée ou que n’ayez pas formulé des demandes de retrait, car, je le dis aussi bien à notre excellent rapporteur Michel Raison – je le sais, il connaît ses dossiers sur le bout des doigts –, qu’à vous-même, qui êtes un non moins excellent ministre, la France aura besoin du Parlement pour arriver à ses fins. Aussi, pour notre part, nous maintenons notre amendement, même si le vote sera peut-être négatif. Lorsque vous aurez à négocier la future PAC, vous vous rappellerez ce moment au Sénat, voire à l’Assemblée nationale, où vous avez émis un avis défavorable sur une proposition qui aurait sans doute pu vous aider dans vos négociations.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. La façon dont nous abordons et nous engageons des débats est souvent symptomatique de la façon dont ils vont se dérouler. Souvenez-vous, la semaine dernière, nous avions commencé le débat sur la loi Asile et immigration par les quotas…
Aujourd’hui, ces amendements nous donnent l’occasion d’entrer dans notre débat par le haut en reconnaissant que notre agriculture n’a pas exclusivement une dimension économique, mais qu’elle a aussi une dimension sociale, puisqu’elle a des incidences sur la santé, l’environnement, la biodiversité, l’aménagement de l’espace, l’aménagement du territoire. Elle a aussi un rôle culturel, éducatif ; elle joue sur le plaisir et a même parfois un rôle philosophique, comme l’affirmait Brillat-Savarin : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ».
M. Didier Guillaume. Oui !
M. Jean-Michel Houllegatte. Notre position sur ces amendements sera annonciatrice de la qualité du débat et va démontrer notre volonté de reconnaître l’agriculture dans ses multiples dimensions. Leur adoption me donnerait beaucoup de sérénité. (MM. Henri Cabanel, Joël Bigot et Didier Guillaume applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. J’abonde dans le sens de mes collègues. J’ai un a priori favorable à la démarche qui nous est proposée, même si je suis un peu dubitatif.
Avec ce projet de loi, nous sommes en train d’inventer une forme d’économie mixte consistant à mélanger principes de libre marché et économie administrée. Je m’interroge sur l’efficacité finale du dispositif, d’autant que les plus gros, en aval des filières, pourront s’affranchir, s’ils le souhaitent, de certaines contraintes de ce texte.
Par ailleurs, les conséquences probables de la réforme de la PAC et de la diminution de son budget pourraient, même si je souhaite me tromper, complètement annihiler les effets positifs éventuels du projet de loi que nous examinons.
En outre, je constate qu’en matière de gestion des risques nous n’avons pas beaucoup avancé, malgré tous les travaux menés dans cet hémicycle et concrétisés par une proposition de loi votée à l’unanimité voilà deux ans. Les textes existent, et il suffit de se donner les moyens de les mettre en œuvre, monsieur le ministre. J’espère que cela sera possible dans les mois et les années à venir, en tout cas le plus rapidement possible, notamment en ce qui concerne le risque économique.
J’en viens à l’exception agriculturelle. Voilà 15 000 ans, c’est grâce à l’instauration de l’agriculture que notre civilisation a pris un nouveau cours. Je ne suis pas loin de considérer qu’aujourd’hui nous devons nous reposer la question de la centralité de l’agriculture dans nos sociétés, dans notre civilisation. Le mot n’a peut-être pas été prononcé lors de la discussion générale, mais je pense que c’est vraiment l’enjeu. Il nous faut réaffirmer, grâce à cette exception agriculturelle, le fait civilisationnel majeur qu’est l’agriculture au XXIe siècle. (MM. Henri Cabanel et Jean-Michel Houllegatte applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Je suivrai plutôt l’avis de M. le rapporteur pour la simple et bonne raison que nous devons, avant toute chose, défendre notre modèle agricole français, qui est basé sur l’histoire et la capacité que l’on a eue, pendant des décennies, à mener des politiques permettant de maintenir une agriculture partout sur le territoire français. Tel n’est pas été le cas dans tous les autres pays d’Europe et du monde.
Il n’y a pas besoin de se poser des questions sur le libre-échange ; commençons par avoir une vision claire et précise de ce que l’on veut faire de notre agriculture. Soutenons-la quand elle a besoin d’être soutenue, notamment pour s’opposer à l’importation de produits qui ne correspondent pas à nos normes.
Monsieur le ministre, nous avons aussi besoin d’un ministre qui défende les valeurs de l’agriculture française à Bruxelles (M. le ministre opine.), que notre pays n’ait pas un double discours. Le commissaire européen à l’agriculture l’a encore dit dernièrement, la France déclare à Bruxelles que l’on peut baisser le budget de la PAC. Après, vous venez nous dire exactement l’inverse ici.
M. Laurent Duplomb. Écoutez, ce n’est pas moi qui le dis, c’est le commissaire européen, qui l’a déclaré à trois réunions successives.
M. Laurent Duplomb. C’est écrit aujourd’hui dans tous les journaux relatant l’actualité européenne.
M. Laurent Duplomb. Si vous ne l’avez pas dit, comment le commissaire européen peut-il rapporter cela ?
M. Laurent Duplomb. Je le répète, vous ne pouvez pas tenir un double discours. D’un côté, vous dites vouloir faire beaucoup de choses pour l’agriculture à travers une loi et, de l’autre, vous ne défendez pas au niveau européen les agriculteurs par rapport à la PAC et vous les livrez en pâture au commerce mondial.
Avant de nous poser cette question plus large introduite par ces amendements, il conviendrait d’abord de nous demander comment défendre véritablement le modèle français ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 96 rectifié sexies et 465 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 533 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018.
Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la ministre chargée des affaires européennes, qui revient de Luxembourg, je vais suspendre la séance une dizaine de minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures quarante-six, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver pour préparer le Conseil européen qui se déroulera les 28 et 29 juin prochains. Le Conseil aura un agenda chargé, avec plusieurs réunions successives : Conseil européen, Conseil européen en format article 50, Sommet zone euro en format élargi.
Je suis désolée de vous imposer une heure aussi tardive, mais je reviens du conseil Affaires générales de Luxembourg, qui était destiné à préparer le Conseil européen, et il me semblait préférable, pour la bonne information du Sénat, d’avoir participé à cette réunion et de pouvoir vous dire comment les choses s’y étaient passées.
Je commencerai par deux sujets au cœur de l’actualité.
C’est d’abord sur les questions migratoires que le Conseil européen sera attendu.
Le refus de l’Italie d’accueillir l’Aquarius, puis le Lifeline, a créé de fortes tensions en Europe. Elles ont rappelé à tous que, si les flux de migrants qui empruntent la route de la Méditerranée centrale sont en réduction très forte, moins 77 % par rapport 2017, le système européen de gestion de l’asile et des migrations est incomplet et doit être impérativement amélioré. Je parle bien de système européen, c’est-à-dire des institutions et des États membres, car il est évident qu’il ne peut y avoir de solution dans le repli sur soi. Ni l’Italie, ni la Grèce, ni l’Espagne ne peuvent être laissées seules.
Notre vision est celle d’une Europe plus engagée à chaque étape de la route des migrants. Auprès des pays d’origine, d’abord, que nous devons aider, mais avec lesquels nous devons aussi améliorer les conditions de réadmission des personnes déboutées du droit d’asile. Auprès des pays de transit, ensuite, qui ont eux aussi besoin de plus d’aide. Nous devons y répondre.
La France a été pionnière en déployant des missions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides au Niger et au Tchad pour identifier, avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale des migrations, les personnes qui peuvent bénéficier d’une protection internationale et accéder en sécurité au territoire européen. Cela permet aussi de faire réfléchir ceux qui ne remplissent pas les conditions, mais qui peuvent être aidés pour rentrer chez eux. Cet effort porte ses fruits.
Nous devons mobiliser l’ensemble de l’Union et voir comment travailler dans cet esprit avec les pays du Maghreb.
Il faut bien entendu une coopération spécifique avec les autorités libyennes, notamment les gardes-côtes, pour les aider à mieux gérer leurs eaux territoriales et à combattre les passeurs et les trafiquants. Parallèlement, les moyens de FRONTEX doivent être renforcés, comme le propose la Commission, pour passer à 10 000 gardes-côtes et gardes-frontières européens.
En Europe même, il est nécessaire d’améliorer profondément le fonctionnement des hotspots, notamment en Italie, avec une expertise et des financements européens adéquats.
Les autres États membres doivent en contrepartie procéder plus largement à des relocalisations depuis ces centres, sur une base volontaire, des personnes qui peuvent bénéficier de l’asile.
Au-delà, il nous faut bien sûr réformer le régime de Dublin en réaffirmant la responsabilité des pays de première entrée, mais en l’accompagnant de mécanismes de solidarité à la hauteur en cas d’afflux massifs de migrants et en faisant en sorte que les règles qui prévoient le renvoi dans un autre pays européen lorsqu’une demande d’asile y a été déposée soient pleinement appliquées.
Vous le voyez, tout cela suppose une approche plus européenne. Il n’est possible ni de fermer purement et simplement ses frontières nationales, au risque de détruire Schengen, ni de compter sur des pays tiers pour y déporter et y retenir des personnes qui, je le rappelle, ont le droit de déposer une demande d’asile.
C’est ce que nous défendons, et ce à quoi nous avons travaillé avec le Président du Conseil italien, M. Conte, le 16 juin, avec la Chancelière Merkel, le 19, à Meseberg, avec le Président du Gouvernement de l’Espagne, Pedro Sanchez, le 23, puis en sommet informel à Bruxelles, le 24.
C’est dans cet esprit que nous aborderons le Conseil européen.
La France et l’Allemagne s’étaient engagées en décembre dernier à présenter une approche commune pour l’Union économique et monétaire. Nous y sommes parvenus à Meseberg, après un travail très intense.
Je pense à l’union bancaire et aux mécanismes du Fonds de résolution et de son filet de sécurité, mais aussi au budget de la zone euro. Le terme même n’allait pas de soi ! Nous avons obtenu un calendrier resserré, avec une échéance en 2021, un accord sur le principe de son financement venant à la fois des États et de ressources dédiées, ainsi que des objectifs ambitieux, pour maintenir les investissements et exercer un rôle de stabilisation macroéconomique.
Je ne sous-estime pas les difficultés qui sont devant nous, je pense en particulier à l’opposition des Pays-Bas. Mais nous avons franchi une étape importante en franco-allemand, qui crée une nouvelle dynamique. Il en va d’ailleurs de même dans le domaine fiscal, où nous sommes parvenus avec l’Allemagne à une base commune pour l’impôt sur les sociétés.
La défense est désormais un rendez-vous régulier au Conseil européen, qui est essentiel pour ancrer la vision d’une autonomie stratégique de l’Union européenne. Nous avons déjà fait de réels progrès, mais rien n’est définitivement acquis en la matière.
L’objectif de cet échange sera, d’abord, d’encourager de nouveaux progrès de la coopération structurée permanente, dans la perspective de la nouvelle vague de projets qui sera annoncée à l’automne, ainsi que d’avancer vers la finalisation du fonds européen de défense. Je rappelle que la Commission a proposé qu’il soit doté de 13 milliards d’euros à partir de 2021.
Nous devons mettre en place très vite le programme de développement de l’industrie de défense, qui le préfigure et sur lequel nous avons trouvé un accord avec le Parlement européen, notamment grâce à l’aide de notre compatriote Françoise Grossetête.
Ce point permettra aussi d’évoquer la révision du mécanisme Athena, qui permet de financer les coûts communs des opérations européennes.
Le Président de la République évoquera aussi le lancement de l’initiative européenne d’intervention, dont le champ, comme vous le savez, est plus large que celui de l’Union à 27.
S’agissant des questions d’emploi, de croissance et de compétitivité, le Conseil européen endossera les recommandations pays proposées par la Commission dans le cadre du semestre européen et insistera sur la nécessité de défendre le multilatéralisme commercial et de soutenir et réformer l’OMC, comme nous l’avons fait au G7.
Ce sera aussi l’occasion de marquer à nouveau l’unité européenne tout à fait remarquable face aux mesures unilatérales américaines sur l’aluminium et l’acier. Les mesures européennes de rééquilibrage qui augmentent les droits de douane sur des produits américains emblématiques sont entrées en vigueur le 22 juin.
S’agissant de l’innovation, les conclusions devraient reprendre nos idées sur l’innovation de rupture évoquée au sommet informel de Sofia et annoncer la mise en place d’un Conseil européen de l’innovation.
Nous insistons, par ailleurs, sur la nécessité d’une juste taxation des principaux acteurs numériques, même si certains de nos partenaires, l’Irlande, Malte, le Luxembourg, le Danemark, par exemple, essayent de la renvoyer à un hypothétique accord dans le cadre de l’OCDE.
Le petit-déjeuner du 29 juin sera consacré au Brexit. L’urgence est d’avancer sur l’accord de retrait qui doit être conclu en octobre. Si les discussions ont permis des avancées sur des points techniques importants, comme les marchés publics, des questions essentielles restent en suspens, telle la gouvernance de l’accord de retrait et, donc, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Le problème fondamental reste toutefois la question de la frontière irlandaise. La proposition britannique d’une union douanière couvrant l’Union européenne et le Royaume-Uni soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, comme l’a sobrement indiqué Michel Barnier. Sans accord sur les aspects réglementaires, elle ne permettrait pas d’éviter des contrôles douaniers. Sur le fond, elle n’est évidemment pas acceptable par les 27 puisqu’elle reviendrait, pour une période indéterminée, à permettre un accès au marché unique « à la carte ». Il est donc important que le Conseil européen marque sa préoccupation et appelle à ce que les institutions comme les États membres se préparent à toutes les hypothèses, y compris celle, très défavorable, d’absence d’accord, car sans accord de retrait, il n’y aura pas de période de transition.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je voudrais, enfin, mentionner trois sujets que le président Tusk entend traiter rapidement.
La Commission plaidera pour que l’essentiel du cadre financier pluriannuel soit négocié avant l’ajournement des travaux du Parlement européen en raison des élections. Nous ferons le maximum pour ne pas perdre de temps, mais il est peu probable techniquement, et assez peu souhaitable d’un point de vue démocratique, que nous décidions d’un nouveau budget européen avant que les électeurs aient eu l’occasion de s’exprimer.
Deux sujets ne font d’habitude pas l’objet de discussions prolongées. Le premier est la prolongation des sanctions sectorielles contre la Russie, après une présentation par le Président de la République et la Chancelière des travaux menés en format Normandie.
Le deuxième sujet est l’élargissement. S’il ne me reste qu’un filet de voix, c’est parce que nous avons consacré huit heures aujourd’hui à débattre de ce thème au conseil Affaires générales. Sur la base du rapport de progrès de la Commission, comme du processus en cours de refondation de l’Union européenne, nous considérons qu’il n’est pas possible que l’Union ouvre, à ce stade, les négociations d’adhésion avec l’Albanie ou l’ancienne République yougoslave de Macédoine, et nous avons obtenu un accord, de haute lutte,…
M. Jean-Claude Requier. Oui !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … au conseil Affaires générales pour reporter la discussion au plus tôt à l’année prochaine.
Mme Nathalie Goulet. C’est raisonnable !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous sommes très déterminés, même si nous étions, en réalité, peu nombreux – je peux en témoigner, trois États membres ! – à tenir cette position.
Enfin, le Conseil européen reviendra sur les relations avec la Russie et sur les États-Unis après la décision américaine, que nous regrettons, de quitter le JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action, avec l’Iran et le retour de sanctions américaines unilatérales. Le travail se poursuit à Bruxelles pour que l’Union européenne fasse preuve d’unité et de fermeté.
Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à vos commentaires, comme à vos questions. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et au banc des commissions. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous aurons, pour une durée d’une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Mme Patricia Schillinger et M. André Gattolin applaudissent.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et vice-président de commission, mes chers collègues, comme lors des derniers débats précédant la réunion du Conseil européen, je soulignerai, d’abord, la densité de l’actualité internationale et la multiplicité des sujets.
Face aux derniers développements politiques chez nos voisins et partenaires, on est malheureusement tenté de constater un certain isolement du gouvernement français : Royaume-Uni en plein bouleversement interne en vue du Brexit, coalition allemande en proie à de vives tensions entre CDU et CSU au sujet des migrants, Espagne fragilisée par la question catalane et nouveau gouvernement italien ouvertement europhobe, sans parler de la position singulière des pays de l’Est qui ne sont pas vraiment intégrés dans l’esprit européen.
Dans ce contexte, les négociations en cours pour l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel s’annoncent plus que compliquées. En premier lieu, je souhaite évoquer les bonnes nouvelles – il y en a bien quelques-unes, semble-t-il.
Tout d’abord, le Conseil a acté la sortie de la France de la procédure de déficit excessif. C’est le résultat des politiques menées sous le précédent quinquennat et poursuivies depuis, visant le sérieux budgétaire et une réduction progressive mais constante des déficits.
M. Claude Raynal. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Si l’on peut regretter que les efforts n’aient pas été mieux répartis entre l’État et les collectivités, qui ont payé un lourd tribut, force est de constater que le résultat est là. Il doit permettre à la France de retrouver sa crédibilité auprès de ses partenaires européens et d’être mieux entendue lorsqu’elle fait des propositions sur quelque sujet que ce soit.
La Grèce, quant à elle, sort enfin du plan d’aide auquel elle était soumise depuis 2011. Si elle a dû consentir des sacrifices importants, qui ont durement éprouvé sa population, ces efforts n’auront pas été vains et appellent, espérons-le, des lendemains plus fastes et plus cléments.
Autre sujet concernant la Grèce, qui peut paraître anecdotique, mais que je trouve utile de mentionner, bien qu’il ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil, vous en avez parlé, madame la ministre, une solution a enfin été trouvée au problème du nom de la Macédoine. Ce différend, né de l’effondrement de la Yougoslavie, il y a plus de vingt ans, et qui empoisonne, depuis, les relations entre ces deux pays qui se disputent l’héritage et la mémoire d’Alexandre le Grand, empêchant, du même coup, la convergence de ce petit État des Balkans vers le reste de l’Europe, appartiendra bientôt au passé.
Enfin, il faut saluer les progrès dans le domaine de la défense européenne, avec la mise en place, sous l’impulsion de la France, du groupe européen d’intervention auquel participent huit autres pays européens. Ce groupe est capable de mener rapidement des opérations militaires ou civiles, comme l’évacuation de pays en conflit ou l’assistance en cas de catastrophe. On peut citer, par exemple, l’opération montée avec les Britanniques et les Néerlandais dans les Antilles après le passage de l’ouragan Irma.
Le groupe d’intervention doit compléter la coopération structurée permanente, lancée en décembre dernier, dont le but est de développer des capacités de défense et d’investir dans des projets communs, en complément de l’Alliance atlantique.
J’en viens maintenant aux sujets difficiles.
Dans le projet de cadre financier post-2020, la Commission européenne a envisagé des coupes dans les principaux budgets, qui nous paraissent, pour l’heure, inacceptables. La réduction drastique du budget de la politique agricole commune, la PAC, avec le risque de renationalisation qu’elle entraîne, fait peser une hypothèque sur les agriculteurs qui pourrait avoir des conséquences très lourdes dans les territoires si rien n’est fait pour y remédier. La PAC ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire. Il nous semble essentiel et non négociable que cette politique reste « commune », conformément au « C » du sigle PAC.
En ce qui concerne la crise migratoire, je me permettrai ici de relayer les questions soulevées, toute la semaine dernière, par mon collègue et ami Guillaume Arnell, au cours des débats sur le projet de loi Asile et immigration, et lors des questions d’actualité. En l’état actuel, et étant donné la très forte médiatisation de ce sujet, il est plus que jamais urgent de mettre en œuvre une politique de long terme, concertée avec nos voisins et qui prenne en compte les intérêts de tous, en assurant un traitement le plus humain possible des migrants. Je ne parlerai pas là du Président Trump, qui reste un peu comme un caillou dans la chaussure des dirigeants européens !
Pour conclure, je tiens à rappeler que la construction européenne est dans l’ADN du groupe du RDSE. Je réaffirme donc qu’il faut plus d’Europe et mieux d’Europe ! C’est une solution au monde tourmenté dans lequel nous vivons. Le Président de la République s’y emploie très bien et nous lui apportons, sur ce projet européen, tout notre soutien. (MM. Jean-Paul Émorine et André Gattolin applaudissent.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire c’est que le débat de ce soir cadrera parfaitement avec l’actualité.
Les deux sujets que je compte évoquer, à savoir l’immigration et la défense, qui ont en effet en commun le fait d’avoir été négligés durant trop longtemps, tant par les États que par l’Union elle-même, contraignent à rattraper dans l’urgence un retard certain.
S’agissant des questions migratoires, ce n’est pas un lieu commun que de dire que l’Europe est arrivée à un moment clé de son histoire, l’un de ces moments de fragilité où tous les basculements deviennent possibles. Européen convaincu, j’ai vu cette crise progressivement prendre de l’importance, submerger certains États membres et, hélas, causer de nombreuses victimes. L’action lente et brouillonne de l’Europe a marqué les opinions publiques. Regardons avec lucidité les traces laissées par la crise migratoire en Grèce, en Italie ou en Europe centrale et orientale, notamment. On peut, certes, continuer à montrer d’un doigt moralisateur les démagogues, populistes et autres marchands de solutions simplistes comme s’ils étaient « le » problème. Or ils n’en sont que la conséquence et le suffrage universel, méprisé par ces messieurs de Bruxelles, parle régulièrement.
Comme on pouvait s’y attendre, le sommet d’urgence, réuni dimanche, en l’absence des pays du groupe de Visegrád, n’a pas permis d’avancées. Et la tragique odyssée de l’Aquarius ou du Lifeline continue de cristalliser les tensions. En fait, plus nous attendons, plus les gouvernements intransigeants en matière migratoire risquent de se multiplier et il deviendra bientôt impossible de trouver une solution partagée.
Si aujourd’hui l’objectif annoncé est clairement la mise en place d’une politique migratoire européenne efficace, humanitaire et sûre, force est de constater que nous sommes encore loin de cela. L’Europe de Schengen, soucieuse avant tout du libre-échange, a transféré la charge des frontières extérieures sur des États mal préparés. Pour sauver Schengen, il faut aujourd’hui renforcer ce cadre, donner des moyens à FRONTEX et assurer un meilleur respect du droit.
L’État de droit n’est pas à géométrie variable. Lorsque des personnes n’ont pas vocation à se maintenir sur le territoire de l’Union européenne, elles doivent être effectivement reconduites. Cette forme de laxisme pèse sur les opinions publiques. Je ne parle pas de la politique généreuse en faveur des migrants mineurs qui est aujourd’hui dévoyée et instrumentalisée, impactant toujours plus les finances locales.
Madame la ministre, un renforcement des relations euro-méditerranéennes est nécessaire. Échangeant il y a quelques jours avec des parlementaires allemands, j’ai pu relever leur prise de conscience d’avoir, à tort, abandonné la Méditerranée au profit quasi exclusif de leur relation avec l’Europe centrale et la Russie. Les pays de la rive Sud veulent aussi avancer. J’ai reçu avec le président Jean Bizet, la semaine dernière, une délégation marocaine qui plaidait en ce sens. Le Maroc a d’ailleurs officiellement fait savoir aux autorités européennes sa volonté de coopération, en tant que partenaire à part entière, y compris sur les questions migratoires.
En dehors de l’Afrique et du Proche-Orient, dans d’autres régions du monde, les candidats au départ vers l’Europe se multiplient. En déplacement en Serbie, il y a quinze jours, sur la « route des Balkans », j’ai pu constater que nombre de migrants gérés sur place ne provenaient pas en fait du pourtour immédiat de l’Union mais, pour 85 %, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Iran, ce qui, vous en conviendrez, complique la situation.
Malgré les mesures prises, malgré l’accord avec la Turquie, le trafic d’êtres humains demeure une activité prospère – c’est un peu triste de devoir la qualifier ainsi, mais c’est une réalité ! Ceux que l’on appelle pudiquement des « passeurs », et qui ne sont rien d’autre que des trafiquants d’hommes et de femmes, continuent d’engranger des profits considérables. En marge, toute une « économie de la migration » s’est mise en place, faisant vivre de nombreuses personnes.
En regardant objectivement l’avenir, rien dans la situation géopolitique, économique et démographique ne permet d’envisager une atténuation des flux migratoires.
Madame la ministre, vous savez qu’à quelques mois des élections européennes l’absence d’évolutions significatives sur les questions migratoires ferait le jeu des eurosceptiques. Ces derniers pourraient ainsi achever de détruire l’Union européenne de l’intérieur, ne comprenant d’ailleurs pas qu’avec la désunion, ils affaibliraient les États-nations dont ils sont pourtant les ardents défenseurs.
Concernant les questions de défense, les choses semblent aussi évoluer. Là encore, nous étions dos au mur, confrontés à un contexte international dégradé.
Dans cet environnement troublé, remettre les questions de défense parmi les priorités de l’Union européenne n’apparaît pas comme une option, voire un luxe. C’est, je crois, un enjeu stratégique mais aussi économique. Stratégique, car l’Europe doit désormais s’affirmer comme puissance, et plus seulement comme un marché unique, pour affronter le monde de demain et assurer sa sécurité partout où cela serait nécessaire. Économique, parce que nous disposons d’entreprises de la défense, notamment en France, mais pas uniquement, dotées de compétences industrielles reconnues et qui font vivre nos territoires. Dans ce secteur, dominé par des géants américains, la Russie, vous le savez, revient en force et de nouveaux acteurs issus des pays émergents apparaissent, rendant la concurrence de plus en plus rude.
Les récents débats sur la loi de programmation militaire 2019–2025 ont été l’occasion pour la France de relancer son effort de défense.
Depuis 2016 et la déclaration de Varsovie, l’Union européenne et l’OTAN ont lancé un renforcement de leur coopération dans plusieurs domaines d’intérêt commun, à la fois sur le plan stratégique et sur le plan opérationnel, élargis à la fin de l’année dernière à de nouveaux thèmes tels que la lutte contre le terrorisme, la situation des femmes, la paix et la sécurité, et la mobilité militaire. Tout effort de coopération entre alliés est louable et permettra aux armées d’agir ensemble plus efficacement.
Tout aussi importants sont les rapprochements entre industriels de la défense européens et, plus généralement, la coopération européenne, qui permet mutualisation et économies, au moment où la sophistication des équipements tire les coûts vers le haut. En marge du sommet franco-allemand de Meseberg, les ministres française et allemande de la défense ont signé deux lettres d’intention concernant des projets communs d’armement, l’une sur le système de combat aérien futur, l’autre sur le char de combat du futur.
La volonté politique d’agir existe, et c’est tant mieux, car rien ne peut se faire sans. Nombre d’industriels européens évoquaient, lors du dernier Eurosatory, surtout un besoin de coopération sur des projets d’ambition plus modeste, pour mieux se connaître et apprendre à travailler ensemble.
Par ailleurs, si la priorité est donnée ici à l’axe franco-allemand, ne laissons pas de côté pour autant le partenaire britannique dont les compétences et le format d’armée sont proches des nôtres. S’ils sont écartés de tout, les Britanniques achèteront tout ou presque aux États-Unis. Ce n’est pas l’intérêt de l’Europe !
À côté des questions de défense stricto sensu, le Conseil a récemment adopté des conclusions sur le renforcement du volet civil de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC.
Pour sa sécurité, l’Europe doit, me semble-t-il, continuer à avancer sur ses deux « jambes » : civile et militaire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais, en ce mois de juin, l’Europe n’aura été autant ébranlée dans son fondement même, celui d’une coopération toujours plus étroite entre nations partenaires.
On aurait pu croire que le Brexit provoquerait un sursaut de cohésion chez les 27 États membres restants. Las, pour l’heure, il n’en est rien, et une spirale entropique paraît menacer l’Union, au point de risquer demain de la disloquer.
Et les instruments, législatifs comme budgétaires, semblent faire défaut pour calmer la résurgence des nationalismes.
La puissance économique du marché intérieur est aujourd’hui concurrencée, et même endommagée, par la remise en question du multilatéralisme.
De vieilles antiennes protectionnistes venues d’outre-Atlantique alimentent désormais quotidiennement l’actualité et l’Union ressemble trop souvent à une personne frappée d’aboulie, attendant que les événements choisissent pour elle plutôt que d’agir par elle-même.
Le Président de la République l’a, à juste titre, souligné lors de la récente conférence de Meseberg : les chefs d’État ou de gouvernement vont se réunir à un moment de vérité pour l’Europe.
Et cette vérité, en tant que responsables politiques, nous la devons à nos concitoyens, qui méritent une explication honnête et rationnelle des difficultés que nous traversons.
Ce qui est perçu comme urgent aujourd’hui ne date pourtant pas d’hier.
L’année prochaine marquera le 20e anniversaire de l’introduction de l’euro sur les marchés financiers mondiaux.
De notre monnaie commune, nous parlions déjà beaucoup à l’époque, en 1999. Mais ce qui occupa le plus l’actualité, tout au long de l’année 1999, ce fut cette grande frayeur millénariste d’un possible bug informatique susceptible de mettre à mal des pans entiers de notre organisation lors du passage à l’an 2000.
Beaucoup de peur pour pas grand-chose, car rien de sérieux n’advint en la matière.
Et pourtant, avec le recul, on peut dire que 1999 marqua peut-être le début d’un bug, un bug européen, dont nous ne percevons que maintenant les pleins effets.
Je m’explique : à la mi-octobre 1999 se tint, à Tampere, en Finlande, un important Conseil européen – à quinze à l’époque – dont l’objet principal portait – je vous le donne en mille – sur les questions d’asile et d’immigration !
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous en citer les conclusions : « il faut, pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l’asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune ».
Et quels étaient les axes prioritaires qui devaient orienter cette action commune ?
Le premier axe était le partenariat avec les pays d’origine pour « lutter contre la pauvreté, améliorer les conditions de vie et les possibilités d’emploi, prévenir les conflits, consolider les États démocratiques ».
Le deuxième axe était le régime d’asile européen commun fondé sur « l’application intégrale et globale de la Convention de Genève et sur le principe de non-refoulement ».
Le troisième axe était le traitement équitable pour les ressortissants de pays tiers à travers une politique plus énergique en matière d’intégration qui favorise la non-discrimination dans la vie économique, sociale et culturelle.
Enfin, le quatrième axe était une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil se déclarait « déterminé à combattre à sa source l’immigration clandestine, notamment en s’attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l’exploitation économique des migrants ».
Vous noterez que les priorités de l’époque sont presque exactement les mêmes que celles qui sont énoncées dans l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains.
À la différence que, aujourd’hui, nous sommes obligés de prendre des décisions sous la pression et dans l’urgence, assiégés par une crise migratoire souvent exacerbée par des forces politiques qui surexploitent le sentiment d’être « envahis » de toutes parts, alors que la réalité des chiffres est assez différente.
Si l’afflux de demandeurs d’asile et de migrants économiques a été important, surtout à partir de 2015, il aurait assurément été plus aisé de le gérer avec des mécanismes, des ressources et des politiques communes.
Nous ne pouvons le nier, mes chers collègues, dans ce domaine et bien d’autres, le problème fondamental est toujours le même : quand on ne fédéralise pas les ressources et les compétences, nos politiques sont vouées à l’échec.
Nous ne pouvons plus continuer dans cette schizophrénie qui consiste à inscrire dans les traités fondamentaux de l’Union européenne que celle-ci « développe une politique commune de l’immigration », sans doter l’Union des compétences nécessaires pour le faire !
C’est là ce que j’appelle une Europe « à plusieurs freins », à mon avis bien plus dangereuse pour notre avenir commun que la fameuse Europe à plusieurs vitesses, qui, par ailleurs, existe déjà.
La vérité, c’est que les géométries variables qui semblent prévaloir ces jours-ci sur le sujet migratoire ou sur le budget de la zone euro ne devraient pas nous étonner.
Pendant trop longtemps, nous avons laissé s’installer au cœur même de l’Europe des groupes ou des coalitions d’États qui, en bloquant le processus décisionnel européen, arrivent à faire prévaloir leurs intérêts particuliers, ou tout simplement le statu quo.
Nous le constatons évidemment avec le groupe de Visegrád, mais aussi plus récemment avec une coalition de neuf États membres qui s’opposent aux propositions faites par la Commission en matière d’imposition de l’économie numérique.
Dans ce contexte, le moteur franco-allemand reste, à notre avis, essentiel.
L’accord auquel nos deux gouvernements sont parvenus la semaine dernière à Meseberg est un premier pas important vers une possible sortie de crise.
Au moment où nous discutons du prochain cadre financier pluriannuel, nous ne pouvons cacher qu’il faudra très significativement augmenter le budget de l’Union si nous voulons financer des politiques efficaces en matière de contrôle des frontières extérieures, de défense européenne, d’investissement dans les nouvelles technologies.
Et nous devons nous interroger, en toute lucidité, sur la compatibilité d’une telle approche avec des budgets considérablement lestés par le poids des ressources allouées à certains des fonds structurels ou par la charge d’une politique agricole commune qui peine toujours à se réformer.
Chacun veut l’argent de l’Europe, mais bien peu en acceptent les règles et les contraintes.
Dans un contexte global où les pays émergents voient leur économie progresser à un rythme de plus de 5 % par an, alors que la croissance de celle de l’Union est inférieure à 2 % pour une population toujours plus vieillissante, nous ne parviendrons à préserver notre modèle social, notre capacité d’intégration et, au bout du compte, notre aptitude à peser dans le concert très chahuté des nations, qu’en investissant très massivement dans les grandes industries du futur.
Dans le flot des nouvelles inquiétantes entourant l’Europe ces dernières semaines, une orientation très importante concernant le futur cadre financier pluriannuel pour la période 2021–2027 est malheureusement passée relativement inaperçue.
La Commission vient de faire une proposition ambitieuse d’investissement de 9,2 milliards d’euros, principalement dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité ou encore de la création d’une filière souveraine de supercalculateurs.
Sur ce dernier point, le temps me manque pour vous expliquer le caractère éminemment stratégique que revêt le calcul à haute performance pour l’Europe. Notre commission des affaires européennes vient de faire une proposition de résolution européenne sur ce sujet.
Aussi, il est particulièrement réjouissant d’apprendre que le Conseil, pas plus tard qu’hier, parfois englué au moment de la prise de décision, vient précisément d’approuver le plan très ambitieux proposé par la Commission pour replacer l’Europe dans le peloton de tête mondial de l’industrie des supercalculateurs et combler ainsi, à terme, son retard actuel sur les États-Unis et la Chine.
L’Europe sait parfois nous surprendre agréablement. Espérons qu’il en sera de même à l’issue du Conseil européen de cette fin de semaine. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – MM. René Danesi, Jean-Paul Émorine et Claude Kern, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, en préambule, par une déclaration préalable qui n’est pas sans rapport avec les sujets de nos débats de ce soir, rendre hommage au courage de notre collègue Christine Prunaud, qui a éprouvé, par une pénible privation de liberté, l’indignité vouée par le gouvernement de la Turquie à l’un des membres de notre Haute Assemblée.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Pierre Ouzoulias. La Commission européenne considère la Turquie comme un « pays sûr ». Manifestement, il ne l’est pas pour les parlementaires français, et encore moins pour les milliers d’intellectuels, d’universitaires, de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme qui y ont été emprisonnés ou privés de travail, de passeport et de droits sociaux.
Il ne faudrait pas que les accords passés avec le gouvernement d’Ankara pour qu’il détourne de l’Union européenne le flux des réfugiés, au prix, notamment, d’un généreux soutien financier, nous conduisent cyniquement à dénier ses dérives autoritaires. Celles-ci l’éloignent inéluctablement des conditions démocratiques d’un État de droit, qui est pourtant l’une des conditions essentielles de la candidature turque à l’Union européenne.
Il est vrai qu’il serait injuste de reprocher cela à la Turquie alors même que nous acceptons, par calcul ou par faiblesse, que les valeurs humanistes que nous continuons de considérer comme le socle de la construction européenne soient de plus en plus souvent bafouées, sans vergogne et sans retenue, par plusieurs États membres.
Il me faut, à mon grand regret, vous en donner quelques exemples par un relevé malheureusement bien peu exhaustif.
Commençons par la Hongrie, dont l’homme fort déclarait, en mars dernier, à propos de Georges Soros, parce que sa famille est d’origine juive : « Nous avons affaire à un adversaire qui est différent de nous. Il n’agit pas ouvertement, mais caché, il n’est pas droit, mais tortueux, il n’est pas honnête, mais sournois, il n’est pas national, mais international, il ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent, il n’a pas de patrie parce qu’il croit que le monde entier est à lui. »
Poursuivant dans ce registre qui évoque la pire propagande des périodes les plus sombres de notre histoire commune, le même éructait ainsi : «Des dizaines de millions de personnes sont prêtes à envahir nos pays, ces masses amènent des crimes et la terreur. Ces masses humaines, venant d’autres civilisations, sont un danger pour notre mode de vie, notre culture, nos coutumes, nos traditions chrétiennes. »
Au Juif et à l’étranger, dans un enchaînement rhétorique typique de l’extrême droite, le vice-premier ministre et ministre de l’éducation de la Pologne ajoutait les homosexuels, dont il considérait que « la croissance n’est dans l’intérêt d’aucune nation ».
Sur ce même terrain nauséabond, le nouveau ministre de la famille italien est allé encore plus loin.
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Pierre Ouzoulias. Il déclarait : « La famille naturelle est attaquée. Les homosexuels veulent nous dominer et effacer notre peuple. »
Dans l’infâme catalogue des boucs émissaires classiques de l’extrême droite, il ne manquait plus que les francs-maçons : le nouveau gouvernement italien vient de réparer cette omission en leur interdisant officiellement toute participation ministérielle. Ce faisant, il franchit une nouvelle étape dans la course aux abîmes en bafouant la liberté de conscience, près d’un siècle après les crimes de Mussolini.
Entendant que le Président de la République italienne avait refusé d’investir le nouveau gouvernement, j’ai espéré quelque temps qu’une conscience humaniste s’opposait à cette violation de droits fondamentaux pourtant inscrits dans les traités européens. Las ! L’objet du conflit, comme toujours, ne portait que sur les préventions supposées du ministre de l’économie pressenti contre les dogmes budgétaires européens. Pour le reste, rien ! Le respect du cadre budgétaire européen doit rester l’essentiel.
Ce triste bilan provisoire nous oblige à nous demander ce qu’il reste des valeurs démocratiques de l’Europe et de la mission que lui ont donnée celles et ceux qui ont tenté de bâtir la paix et la concorde sur les ruines encore fumantes des vieilles nations ravagées par la guerre et marquées du sceau inextinguible de la Shoah.
L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fêté son dixième anniversaire l’an passé. Son bilan d’activité, pourtant contraint par le souci de ne heurter aucun État membre, est inquiétant. L’Agence est ainsi obligée de constater que la deuxième décennie du XXIe siècle est caractérisée par le recul des droits fondamentaux.
Pourtant, la Charte des droits fondamentaux de l’Union, dont cette agence est chargée de surveiller l’application, a été adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne et mise en œuvre par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne de 2007 lui donne même une valeur juridiquement contraignante.
À plusieurs reprises, l’Agence a reconnu que plusieurs États n’avaient pas pris en considération les mécanismes européens et internationaux de surveillance des droits de l’homme. Certaines législations nationales violent même délibérément les traités européens. Néanmoins, ces manquements graves ne suscitent que des observations peu dissuasives de la Commission, ce qui entretient un sentiment d’impunité de la part de ces États qui défient ouvertement les instances européennes.
La Charte semble ainsi être devenue un cadre général subsidiaire et facultatif pour les législations nationales, alors qu’elle est, à présent, constitutive du droit primaire de l’Union européenne. De nouveau, on ne peut que s’insurger contre ce traitement différencié, qui exige le respect absolu des normes économiques, mais accepte avec une grande mansuétude la transgression des dispositions européennes relatives aux droits fondamentaux.
Les traités européens relatifs aux droits fondamentaux ne sont pas des éléments accessoires de la construction européenne. Ils en constituent l’âme et la base. Nous devons nous donner comme objectif commun d’apporter à toutes les citoyennes et à tous les citoyens de l’Union européenne l’assurance que leurs droits fondamentaux seront protégés et satisfaits, quel que soit l’État dans lequel elles ou ils résident.
Accepter qu’il puisse en être autrement revient à laisser aux États membres la faculté de choisir, en fonction de leurs seuls intérêts particuliers, les législations européennes qu’ils souhaitent appliquer. C’est réduire l’Union européenne à un marché économique que, paradoxalement, le Royaume-Uni n’aura aucune difficulté à rejoindre demain, après sa sortie de l’Union.
L’Europe est en grand danger. Elle peut mourir de ce rabougrissement à sa seule dimension mercantile. Le risque est grand de voir, dans moins d’un an, au Parlement européen issu des élections de mai 2019, une majorité favorable à cette réduction majeure de ses prérogatives et de ses ambitions.
Mme Fabienne Keller. Absolument !
M. Pierre Ouzoulias. Peut-être est-il déjà trop tard pour leur opposer, comme nous vous le proposons, madame la ministre, une Europe sociale et humaniste qui replace au cœur de son projet la résorption des inégalités, le progrès social et la défense des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Fabienne Keller et Marie-Thérèse Bruguière, ainsi que M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, écoutant les orateurs qui se sont succédé depuis le début de ce débat, ainsi que vous-même, madame la ministre, j’ai été frappé par une communauté de propos qui transcende les différentes travées de notre assemblée.
À vrai dire, madame la ministre, mes collègues ne vous ont pas posé de questions comme cela se fait traditionnellement dans ce débat dit « interactif ». Chacun vous a plutôt exprimé, à sa manière, son inquiétude quant à l’évolution de l’Europe. On a même entendu notre collègue Pierre Ouzoulias se demander si, en fin de compte, les choses ne sont pas déjà allées trop loin. Sont-elles même rattrapables ?
Je partage cette préoccupation de nos collègues, madame la ministre. Les temps sont graves, nous le sentons depuis quelques semaines. Nous avons d’ailleurs, depuis environ deux mois, beaucoup modifié la tonalité de nos interventions, car entre les joies russes ou américaines et les difficultés internes à l’Union européenne, notre approche a dû changer. Nous aurions donc, en quelque sorte, mauvaise grâce à vous poser des questions au sens traditionnel du terme.
Nous vous avons écoutée à de multiples reprises, nous connaissons bien vos analyses, et il nous semble que notre relation avec le Gouvernement et avec votre action personnelle doit se fonder en ce moment non pas sur nos questions, mais sur notre soutien.
En effet, nous mesurons, à l’approche de cette réunion du Conseil européen, la difficulté de vos responsabilités. Nous l’avons mesurée, il y a quelques jours, sur la question du budget européen ; comment pourrons-nous, nous demandions-nous, parvenir à l’unanimité avec des situations aussi différentes ? Nous la mesurons encore sur les questions de défense, qui ont été évoquées il y a quelques minutes par M. Allizard. Nous la mesurons enfin, bien entendu, sur les questions de l’État de droit, que M. Ouzoulias évoquait à l’instant, et qui étaient également présentes, en perspective, dans les propos de M. Requier.
Je voulais donc vous exprimer à nouveau, au nom de mes collègues centristes, l’expression de notre soutien. Vous nous savez attachés à la construction européenne, et nous connaissons l’attachement du Gouvernement à cet égard.
Je voulais également revenir pour vous sur le débat que nous avons eu durant toute la semaine dernière, et qui s’est achevé par notre vote au début de cet après-midi. Il portait sur la réforme franco-française du droit d’asile et de l’immigration. Ce débat a été douloureux, il a été difficile. Il nous a laissé un sentiment de fort malaise. En effet, nous étions sortis de notre zone de confort pour nous confronter à de dures réalités. Au fond de nous-mêmes, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous n’étions pas convaincus par une approche franco-française ; nous sentons bien, en effet, que les problèmes sont de nature européenne.
Cela me conduit tout naturellement à vous demander, madame la ministre, quelle solution le Conseil européen pourra apporter à ce problème. Une solution européenne à ce problème est incontournable et, au-delà de la situation de Mme Merkel, personnalité déjà particulièrement respectable, il est impossible que cette réunion du Conseil s’achève sans solution européenne.
L’idéal serait une solution globale, à vingt-sept ou vingt-huit États. On pourrait aussi trouver une solution d’un niveau quelque peu dégradé, de coopération renforcée, par exemple ; nous n’aimons pas trop utiliser ces éléments, mais cela peut être envisagé dans ce cas précis, à la majorité qualifiée, dès lors que l’Europe de l’Est ne veut pas nous suivre. Une solution pourrait également être trouvée dans le cadre d’accords intergouvernementaux. Je souhaiterais pour ma part une combinaison de ces deux dernières approches, puisque la solution globale est en l’état inaccessible.
Je veux en conclusion vous renouveler, madame la ministre, mon plus entier soutien, ainsi qu’à M. le Président de la République, pour la délicate responsabilité qui sera la vôtre dans quelques jours. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et au banc des commissions. – MM. Éric Gold, Jean-Claude Requier et Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Victoire Jasmin applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Claude Raynal. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et vice-président de commission, mes chers collègues, la recherche de cohérence doit être la base de toute politique. Dans le cadre de notre débat préalable à la réunion du Conseil européen, cette cohérence est plus que jamais nécessaire, car l’Europe est aujourd’hui à l’heure des choix. Je sais que cette expression est devenue un mantra, ânonné régulièrement pour décrire des situations variées. Aujourd’hui, néanmoins, il a suffi d’un navire de sauvetage pour mettre en péril notre héritage et mettre au jour les dissensions et les oppositions entre gouvernements européens.
Ce bateau représente, d’une certaine façon, l’honneur de l’Europe, dont il met en lumière les problèmes. Peut-être, au-delà du sauvetage de migrants, pourra-t-il contribuer à sauver notre vision de l’Europe, celle de la solidarité européenne !
Cette recherche de solidarité doit se faire dans un contexte qu’il est possible de qualifier de particulièrement délicat, ou, pour être réaliste, d’extrêmement difficile. Ce ne sont pas les migrants qui sont en train de nous submerger ; ce sont les populistes et l’extrême droite !
En effet, les populismes ne sont plus seulement, en Europe, aux portes du pouvoir : ils l’ont gagné dans les urnes, que ce soit en Italie, en Autriche ou en Hongrie. Ne nous y trompons pas : les forces du conservatisme et de la réaction sont là. Nous assistons, désormais, à une véritable offensive dont nous ne pouvions imaginer l’envergure il y a quelques mois encore.
En Allemagne, la CSU s’est clairement lancée dans une opération de déstabilisation de grande ampleur contre la Chancelière. En Italie, l’extrême droite participe au pouvoir.
Soyons clairs, il n’y a pas de recrudescence de la crise migratoire, mais une instrumentalisation de la crise migratoire.
En effet, au-delà des cas médiatisés, le nombre d’arrivées en Europe a retrouvé son niveau d’avant 2015 ; vous l’avez rappelé, madame la ministre.
Cette diminution est la conséquence des nombreuses mesures qui ont été prises depuis août 2014. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne est désormais systématique grâce à la modification du code frontières Schengen. L’agence FRONTEX s’est vue renforcée quant au nombre des gardes-frontières qui lui sont affectés : une véritable force européenne de gardes-frontières, dotée d’un budget spécifique, a été créée.
De plus, un traitement des demandes d’asile dès l’arrivée sur le territoire européen est mis en place, avec les hotspots, ainsi qu’un système de relocalisation qui permet d’alléger les systèmes d’asile des États membres aux frontières de l’Union.
Enfin, le Conseil a trouvé un accord, le 19 juin dernier, sur un mandat de négociation concernant la réforme du code frontières Schengen et sur le principe de rétablissement des contrôles temporaires aux frontières intérieures n’excédant pas un an au lieu de trois ans comme proposé par la Commission.
Il est, dès lors, inacceptable de céder aux sirènes du populisme et de leur laisser déterminer l’agenda. Pour sauver l’Europe solidaire, nous devons reprendre la main. En effet, même si les statistiques évoluent, force est de constater que la situation reste dramatique sur le terrain. Face à cela, il appartient à notre pays de s’assurer que les règles existantes sont mises en œuvre. J’en prendrai un seul exemple : tous les pays ne respectent pas les règles établies en commun au sommet extraordinaire du 23 septembre 2015.
Il nous faut aussi faire aboutir à l’échelon européen une réforme de l’asile qui soit empreinte d’un esprit de cohérence et de solidarité. Nous n’ignorons pas que le système d’asile européen fait peser le gros du fardeau sur les pays frontaliers comme l’Italie et la Grèce, tandis qu’il permet aux autres d’esquiver leurs responsabilités. La solidarité européenne, d’une certaine façon, c’est Bacchus dans les traités et Harpagon dans les faits !
Ces efforts seraient toutefois lacunaires si on ne les coordonnait pas avec une augmentation tant humaine que budgétaire des moyens de FRONTEX. La Commission européenne a émis dans ce sens une proposition visant à tripler le budget de cette agence et à porter à 10 000 le nombre de gardes-côtes et de gardes-frontières.
De manière plus pressante encore, il nous faut agir sur les causes des migrations, selon les propositions de Mme Merkel ou du Président Macron. C’est la stratégie qui a déjà été adoptée lors du sommet de La Valette, avec le partenariat pour les migrations. Cela s’est pourtant fait au détriment d’autres solutions, peut-être plus innovantes, telle la mise en place d’un OFPRA européen, idée que la France avait défendue durant le précédent quinquennat.
Aujourd’hui, derrière les effets d’annonce, ces solutions semblent patiner, et notre débat d’aujourd’hui est peut-être l’occasion d’informer notre institution de l’état d’avancement de ce partenariat privilégié et des négociations engagées, notamment, avec les pays de transit. D’autant que ces négociations semblent porter sur l’idée d’une externalisation hors de l’Union des centres de demande d’asile.
Quel que soit le nom qu’on veuille leur donner, ces centres seraient dans des pays limitrophes ou de transit. Peut-on imaginer de tels centres dans des pays qui sont encore en état de guerre ou dont les régimes politiques instables pratiquent des exactions ? Comment pourrait-on qualifier de tels pays de « pays sûrs » ? Est-il nécessaire de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme interdit de transférer une personne dans un État où elle risque d’être torturée ? Dans une victoire à la Pyrrhus, va-t-on violer la Convention pour faire survivre l’Union ?
Le groupe socialiste et républicain s’inquiète des manœuvres dilatoires qui conduisent à aller toujours plus loin dans le sens des populismes. Ce n’est pas parce que la présidence tournante de l’UE échoit dans quelques jours à l’Autriche qu’il faut aligner nos valeurs sur celles de « l’axe », pour reprendre la formulation plus que maladroite du Chancelier autrichien Sebastian Kurz.
En effet, n’en déplaise à certains, la réponse ne peut qu’être européenne. Il est illusoire de croire que des mesures nationales pourront résoudre des difficultés internationales. Ce n’est pas en érigeant de nouveaux murs que les personnes arrêteront de fuir la guerre, les persécutions, la pauvreté, ou le désastre climatique.
Au-delà de la solidarité pour les hommes, l’Europe doit aussi être solidaire pour sa construction et son financement.
Ainsi, les négociations vont s’engager sur le cadre financier pluriannuel à l’occasion de cette réunion du Conseil européen. Pour l’heure, les propositions de la Commission européenne ne sont pas à la hauteur des responsabilités, défis et ambitions nécessaires pour que l’Union puisse continuer à être un espace de croissance et de protection.
Nous ne pouvons en revanche qu’encourager les avancées françaises en la matière. Mon groupe est satisfait que la France ait changé son fusil d’épaule sur la politique agricole commune et ait réalisé l’importance de sauver le budget de la PAC. Pourtant, en matière d’asile, ce cadre financier ne prévoit aujourd’hui des fonds significatifs que pour FRONTEX. Si cette question est aujourd’hui au cœur des polémiques européennes, j’ai bien peur que cet engagement ne soit insuffisant.
On peut légitimement s’interroger sur la portée de la contribution proposée, car ce texte reste flou. On y trouve une liste d’options que nous défendons d’ailleurs au Sénat depuis 2013, mais sans aucun montant précis. Des pistes sont proposées tous azimuts pour son abondement, mais elles sont difficilement envisageables à court terme ; ainsi de l’assiette commune pour une imposition sur les sociétés. Face à cette contribution, le Président Macron fait preuve de clairvoyance en reconnaissant que ces propositions doivent encore recevoir le feu vert des dix-sept autres membres de la zone euro. Tout est dit.
L’enjeu est pourtant de taille, car cette contribution risque d’entraîner la zone euro et son budget dans une réforme a minima.
Si les défis que je viens de mentionner sont immenses, il appartient à l’Union européenne d’avancer dans ce contexte difficile, comme elle a su le faire dans le passé. Car il y a – je terminerai par là mon propos – de bonnes nouvelles, et des actions efficaces sont menées à l’échelon européen, preuve que lorsqu’elle veut, l’Europe peut.
La semaine dernière, les ministres des finances de la zone euro se sont entendus sur un vaste accord mettant fin à huit années de crise, d’austérité et de plans de sauvetage pour la Grèce. Cet « accord historique », pour reprendre les mots du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, n’a été possible que grâce à une volonté politique forte.
Lorsqu’ils le veulent, les Européens savent être unis et mettre en œuvre tous les dispositifs à leur disposition. C’est le cas en matière de défense commerciale. Cela devrait être le cas pour les migrations. Ainsi, nous ne pouvons que nous féliciter du fait que le collège des commissaires ait adopté, mercredi 20 juin, le règlement listant les produits américains auxquels l’UE appliquera des tarifs douaniers en réaction à la politique commerciale hostile des États-Unis. Nous pouvons nous en féliciter car il n’est plus possible que les autres grandes puissances prônent la vertu dans les échanges extérieurs tout en protégeant leur marché intérieur. L’Europe a enfin su, sur ce dossier, parler d’une voix unique et forte pour protéger ses intérêts économiques.
En conclusion, comme je le disais il y a quelques instants, l’Union européenne est, une fois de plus, à l’heure de choix importants. C’est maintenant que nous devons donner des preuves de la valeur ajoutée de l’Europe et du caractère incontournable du projet européen, seul à même d’assurer la prospérité, le développement et le bien-être social pour tous les Européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain - MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Jean-Paul Émorine et Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Paul Émorine applaudissent.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme toujours, l’agenda de la réunion du Conseil européen est chargé : migrations, projet de budget, coopération en matière de sécurité et de défense, ou encore réforme de la zone euro devront y être abordés. Sur tous ces thèmes, des avancées ont été récemment réalisées. Oui, n’en déplaise à ses détracteurs, l’Europe avance, le couple franco-allemand avance, la zone euro avance ! Ce Conseil doit être l’occasion de réaffirmer la volonté politique commune des États membres d’avancer plus vite encore.
Ces avancées sont une réalité – je vais y revenir –, mais ne soyons pas naïfs : il y a également des divisions et des blocages, voire des tentations de repli.
Prenons la question des migrations. Nous en avons longuement débattu ces derniers jours et j’ai eu l’occasion de rappeler la portée réellement européenne de cette question.
Faute de réponse commune, le risque de fragmentation de l’Union européenne est réel. Après Budapest, Varsovie, Prague et Bratislava, voilà que Rome et Vienne annoncent la formation d’un « axe » anti-migration. Ces postures n’empêcheront pas les personnes qui fuient la misère et la guerre de tenter leur chance vers l’Europe. Au-delà des slogans de mauvais goût, il nous faut apporter des réponses pragmatiques à cette crise humaine et politique sans précédent.
Nous ne pouvons pas non plus balayer d’un revers de la main les préoccupations de nos partenaires. L’Italie et la Grèce ont trop longtemps été abandonnées à leur sort.
Dans ce contexte de fracture européenne, la France doit défendre une vision équilibrée dans les discussions relatives au règlement Dublin IV : un équilibre entre responsabilité et solidarité.
Responsabilité, d’abord, avec une prise en charge des demandes d’asile plus efficace au niveau du premier pays d’accueil. Il faudra également mieux identifier les demandes « irrecevables et infondées » pour rendre plus efficaces, lorsque nécessaire, les procédures d’éloignement.
Solidarité, ensuite, avec un juste partage du fardeau entre les États membres par le biais d’un mécanisme de répartition des demandeurs d’asile et d’un soutien financier aux pays en première ligne de la crise des migrants.
Enfin, l’Union européenne doit prendre des mesures fermes et efficaces contre les passeurs qui exploitent la misère humaine et mettent en danger la vie de milliers d’exilés.
Pour relever l’ensemble de ces défis, l’argent est comme souvent le nerf de la guerre.
L’Union européenne doit consacrer des moyens plus importants au contrôle de ses frontières et à sa politique de l’asile.
Cette insuffisance est en partie la faute des États membres : on ne peut pas, d’un côté, refuser de donner des moyens à l’Union européenne et, de l’autre, déplorer son inefficacité.
Dans ce domaine, le projet de cadre financier pluriannuel présenté en mai par la Commission européenne va dans le bon sens, même si cela reste insuffisant : il prévoit un quasi-triplement des dépenses relatives à la gestion des frontières extérieures, des migrations et de l’asile.
Notre assemblée l’a affirmé avec force récemment, cette augmentation de l’effort sur des politiques importantes ne doit pas se faire au détriment de la politique agricole commune. Nous défendons au contraire une stabilisation en valeur de la PAC grâce un budget européen global plus important. En réalité, le débat entre prétendues dépenses nouvelles d’avenir et politiques historiques dépassées est stérile ! La PAC est une politique d’avenir au même titre que les autres politiques de l’Union européenne ; elle permet de préserver notre souveraineté alimentaire et de proposer à nos concitoyens une alimentation de qualité.
Nous ne pourrons stabiliser ou augmenter les politiques communes que si elles sont financées par un système de ressources propres robuste et pérenne. Les rabais et autres « rabais sur le rabais » devront être supprimés avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’annonce récente d’un budget de la zone euro pourrait combler cette insuffisance. Cette proposition est issue d’une initiative franco-allemande, preuve supplémentaire qu’un couple franco-allemand fort et équilibré est la condition du dynamisme européen.
Ces crédits mis en commun entre les dix-neuf États membres de l’Union économique et monétaire serviraient à investir dans l’avenir de nos économies et dans la stabilisation de la zone euro face à des chocs économiques de grande ampleur. Cette avancée peut se révéler historique si elle se concrétise.
Néanmoins, plusieurs questions se posent. Quel sera le montant de ce budget ? Comment sera décidé son emploi ? Par quelles ressources sera-t-il alimenté ? Ces questions devront être tranchées avant 2021 si nous souhaitons la meilleure articulation possible avec le futur cadre financier pluriannuel de l’Union.
Nous estimons dans tous les cas qu’une telle avancée, que nous approuvons, ne peut se faire sans les peuples. L’approfondissement de la zone euro est aussi un défi démocratique.
Nous appelons à la nomination d’un ministre des finances de la zone euro, qui pourrait également être commissaire européen et président de l’Eurogroupe. Il devra être responsable devant une « formation zone euro » du Parlement européen réunie, bien entendu, à Strasbourg.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Colette Mélot. Toutes ces avancées sont positives, elles sont nécessaires.
J’aurais pu également évoquer les progrès dans le domaine de l’Europe de la défense. Ces progrès sont notamment réels en matière industrielle. J’aurais pu évoquer la conquête spatiale, enjeu véritablement majeur, mais trop méconnu, de la construction européenne. J’aurais pu encore évoquer l’Europe sociale, l’Europe de la culture, l’Europe de la jeunesse.
En vérité, mes chers collègues, nous nous rendons bien compte au quotidien, dans nos débats législatifs sur l’asile, sur l’alimentation et bientôt sur la fraude fiscale, que l’échelle européenne est à la fois omniprésente et décisive. Cette conscience profonde que les grands défis de notre temps ne peuvent être traités efficacement qu’au niveau européen, nous devons la communiquer à nos concitoyens. Nous devons briser les lieux communs qui font le jeu des populistes.
L’Europe n’est pas lointaine, elle est partout autour de nous. L’Europe n’est pas une menace, elle est une chance pour nos concitoyens. L’Europe n’est pas une faiblesse, elle est une force pour la France.
Alors que les élections européennes approchent à grands pas, c’est notre responsabilité historique de responsables politiques de contribuer à un débat public informé et de qualité pour retrouver l’esprit des pères fondateurs ! (MM. Jean-Pierre Decool, Éric Gold et André Gattolin, ainsi que Mme Sylvie Vermeillet applaudissent. – Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, comme à chaque débat préalable au Conseil européen, les sujets que nous abordons sont très variés.
Loin de diluer les questions européennes, cela nous permet de suivre avec attention l’évolution de l’Union et d’échanger sur sa construction perpétuelle. L’actualité nous prouve à quel point l’Europe est un sujet majeur pour notre avenir ; elle questionne son rôle, même si l’Europe doit aussi apporter des solutions.
Alors que le Royaume-Uni vient de promulguer sa loi sur le Brexit, qui confirme sa sortie de l’Union européenne le 29 mars 2019, je me concentrerai sur cette question, ainsi que sur ses impacts sur la zone euro.
Deux ans après le référendum sur le Brexit, de nombreuses zones de flou restent à éclaircir entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Nous sommes particulièrement inquiets de l’aboutissement des négociations.
D’ailleurs, Michel Barnier, négociateur en chef, a annoncé il y a moins de trois semaines que le plan du gouvernement britannique n’était pas acceptable pour l’Union. Manifestement, les Britanniques cherchent à faire porter à l’Europe les conséquences de leur choix, sans en assumer la véritable responsabilité. Actuellement, cela se cristallise notamment par la question de l’Irlande du Nord et de l’absence d’alignement des réglementations entre les deux Irlande.
Pourriez-vous, madame la ministre, faire un point sur l’avancement des négociations et sur les hypothèses de travail avec le Royaume-Uni ? Pourriez-vous également nous confirmer la fermeté de la France vis-à-vis de ce pays ? La sortie souhaitée ne peut pas être plus favorable pour lui que son maintien dans les règles de l’Union européenne.
Naturellement, en ce qui concerne la zone euro, le Brexit aura aussi une incidence forte. Il y a quelques jours, la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, affirmait que les sociétés financières britanniques seraient nombreuses à traverser la Manche. Pour elle, « il est crucial de faire en sorte que tout soit prêt en termes de régulation et de supervision pour l’arrivée massive d’entreprises financières qui finiront par déménager de l’endroit où elles sont à l’heure actuelle pour l’Europe continentale, et l’Irlande ».
Le monde économique est en train d’intégrer ce Brexit plus rapidement que le monde politique. Il est en train de l’anticiper. Pour cela, les États membres doivent être prêts. Le pire scénario pour les entreprises, notamment le milieu des affaires, et pour nous, serait une forme de retour en arrière au milieu du Brexit.
D’ailleurs, on commence à sentir un léger revirement dans les déclarations de Theresa May sur la sortie du marché unique. Celle-ci tente de négocier un accord de libre-échange incluant les services financiers essentiels à l’économie de son pays. Compte tenu de l’anticipation de nombreuses banques établies à Londres, ce sont près de 10 000 emplois qui pourraient être concernés et relocalisés. Pour l’instant cette relocalisation vers Francfort, Paris, Dublin ou Amsterdam se fait attendre.
Une forme de guerre économique et de l’emploi pourrait avoir lieu. Nous estimons que l’Union européenne doit en sortir gagnante et que ce ne sont pas ceux qui veulent la quitter qui doivent en tirer parti. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte.
Madame la ministre, que peuvent faire votre gouvernement et l’Union pour rassurer les acteurs économiques sur l’avenir du marché unique ?
Enfin, vous comprendrez qu’après la déclaration de Mme Merkel, je ne peux pas passer sous silence la question de Strasbourg comme siège unique et capitale européenne !
Mme Fabienne Keller. Très bien !
M. Claude Kern. Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que M. le Président de la République et le Gouvernement défendront avec fermeté la position de Strasbourg ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. André Reichardt. Parfait !
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu en raison d’un voyage officiel avec le Président de la République.
N’hésitons pas à le dire : l’Europe est aujourd’hui en danger, tant les défis à affronter sont immenses.
Les partenaires français et allemand ont réaffirmé récemment, à Meseberg, leur volonté de relancer et de réformer l’Europe. Le Président de la République en a fait une de ses priorités depuis le discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Mais notre partenaire allemand est resté enlisé de nombreux mois dans un processus électoral à l’aboutissement incertain. La situation de la Chancelière allemande demeure fragilisée.
La négociation du Brexit continue de mobiliser une énergie considérable.
Des élections nationales ont eu lieu en Hongrie, puis en Italie, qui ont vu la victoire de partis eurosceptiques et ont confirmé la défiance d’une partie croissante de l’opinion publique européenne vis-à-vis d’une Europe divisée, qui ne parvient pas à rassurer ni à protéger ses citoyens dans un monde globalisé où les menaces s’accumulent.
Mes chers collègues, les élections européennes de l’an prochain seront cruciales pour l’avenir de l’Union.
S’agissant de la défense de l’Europe, la dynamique enclenchée en 2016 dans le cadre de la stratégie globale de l’Union européenne est, disons-le, positive.
Des instruments sophistiqués ont été mis en place, avec l’activation de la coopération structurée permanente, la CSP, prévue par le traité de Lisbonne. Lancée en décembre dernier, cette CSP est pour le moins inclusive, puisqu’elle comprend vingt-cinq pays membres, c’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne à vingt-sept, sauf le Danemark et Malte. On est donc loin de l’idée d’une avant-garde de quelques pays particulièrement en pointe, capables de financer des programmes communs et d’avancer dans un cadre intergouvernemental.
Une liste de dix-sept projets initiaux a été établie sur des projets divers. L’un d’eux est relatif à la mobilité militaire, c’est-à-dire la réduction des barrières aux mouvements de forces militaires à l’intérieur de l’Europe. Ce projet s’inscrit en réalité dans le cadre de la déclaration conjointe Union européenne-OTAN du mois de juillet 2016.
Dès lors, quelle est l’identité propre à la CSP et sa contribution à l’autonomie stratégique européenne ? Comment parvenir à cette culture stratégique commune que la France et l’Allemagne appellent de leurs vœux, malgré les différences d’approche ?
Le Président de la République a récemment proposé d’ajouter une couche institutionnelle supplémentaire. En lançant l’idée d’initiative européenne d’intervention, n’est-ce pas déjà l’aveu d’un certain manque d’ambition, ou de caractère opérationnel, des initiatives précédentes ?
Dans la déclaration de Meseberg, un autre format a encore été évoqué pour la politique étrangère de sécurité et de défense : un Conseil de sécurité de l’Union européenne. Comment envisagez-vous ce Conseil de sécurité, madame la ministre ? Quelles seraient ses prérogatives ? Comment s’articulerait-il, en particulier, avec l’initiative européenne d’intervention ?
Les cadres existent, les avancées sont nombreuses, mais l’essentiel reste à faire. Le défi ne pourra être relevé que par l’aboutissement de projets concrets. De ce point de vue, la déclaration de Meseberg mentionne le système de combat aérien futur – le SCAF – et le système majeur de combat terrestre – le MGCS, pour Main Ground Combat System –, qui constitueront des tests majeurs pour l’Europe de la défense. Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’état d’avancement de ces projets et le calendrier de leur mise en œuvre ?
Après l’Europe de la défense, je veux aborder l’Europe de la sécurité et le contrôle des frontières extérieures. Quelque 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus dans ce domaine.
Alors oui, des progrès ont été réalisés, parmi lesquels le renforcement des contrôles aux frontières extérieures, le déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de gardes-côtes en appui aux 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres, l’amélioration de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations.
Concernant la coopération avec les pays tiers, la Commission européenne a proposé une augmentation substantielle des effectifs et du budget de FRONTEX après 2020. Il s’agit d’une très bonne décision.
Cependant, la réforme du régime d’asile européen commun demeure un point de discorde majeur. Cette question des migrations est d’une actualité brûlante – on le sait – et dramatique. Elle menace non seulement l’unité de l’Europe, mais aussi la pérennité des valeurs sur lesquelles elle est fondée.
Le Président de la République a récemment dénoncé l’attitude de l’Italie en invoquant l’application du droit international maritime. Mais que valent soixante et un ans de construction européenne si nous ne savons répondre à l’une des plus graves crises que l’Europe ait connue depuis sa fondation qu’en invoquant l’application du droit international commun ?
Il n’y aura pas de solution sans action dans les pays de départ des migrants : il faudra mieux informer et développer l’activité économique.
Le récent sommet franco-allemand a rappelé, à ce sujet, le modèle de la déclaration entre l’Union européenne et la Turquie de 2016. Pouvez-vous, madame la ministre, faire un point sur la mise en œuvre de cette déclaration Union européenne-Turquie, et les actions concrètes envisagées par la France et l’Allemagne pour davantage soutenir les pays d’origine et de transit des migrations ?
Je terminerai sur la stabilisation des contours de l’Union.
Nous appelons à la plus grande prudence, s’agissant des perspectives d’élargissement.
Le Président de la République a validé cette approche à l’égard de la Turquie, en préconisant une reformulation du dialogue, pour sortir d’une certaine hypocrisie mutuelle. Le fait est que le processus est au point mort, l’évolution récente de la Turquie, de même que la situation de l’Union européenne, interdisant toute avancée.
Mais, par ailleurs, la présidence bulgare a souhaité mettre l’accent sur le processus d’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux. Des négociations sont en effet en cours avec la Serbie et le Monténégro, dont l’adhésion est envisagée à l’horizon 2025.
Je ne nierai pas la dimension historique et géopolitique de ce processus, qui est importante mais, franchement, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ? Pourquoi fixer l’échéance à 2025, au risque de décevoir ces pays par la suite ?
Tirons les enseignements du référendum sur le Brexit, en nous concentrant sur la consolidation de l’Union européenne, avant de poursuivre un processus d’élargissement qui inquiète les opinions et risque de fragiliser encore un peu plus l’Europe !
Madame la ministre, je vous remercie des renseignements et des réponses que vous apporterez à mes questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Claude Requier, ainsi que Mmes Colette Mélot et Victoire Jasmin applaudissent également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit certainement du Conseil européen le plus ambitieux depuis l’élection du Président de la République. Malheureusement, le défi migratoire a pu éclipser certains points de son ordre du jour. C’est pourquoi je me permettrai de revenir sur ceux, abordés ou non précédemment, qui intéressent particulièrement la commission des finances.
Concernant tout d’abord le sommet de la zone euro, celui-ci intervient quelques jours après la déclaration de Meseberg, qui détaille les propositions communes de la France et de l’Allemagne. Cette déclaration pourrait certes agir comme un catalyseur de la réforme de la zone euro, mais il faut noter qu’elle reste en deçà des ambitions initiales de la France, et que le sommet pourrait se heurter à la persistance de désaccords entre les États membres.
L’Allemagne semble avoir surmonté son refus d’un budget propre de la zone euro, mais sa concrétisation demeure floue, puisque ni son montant ni ses sources de financement n’ont fait l’objet d’un accord. Par ailleurs, plusieurs États membres, tels que les Pays-Bas, la Suède et le Danemark, ont exprimé leur refus de ce budget de stabilisation, à l’occasion de l’Eurogroupe de la semaine dernière.
Madame la ministre, si la perspective d’un budget de la zone euro devait se concrétiser à moyen terme, nous resterons vigilants sur les termes de sa concrétisation et nous veillerons à ce qu’il n’échappe pas à la surveillance des parlements nationaux.
Quant à l’achèvement de l’union bancaire – autre sujet qui intéresse la commission des finances –, nous ne pouvons que nous réjouir de l’accord concernant la création d’un filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique, dont la fonction reviendra au Mécanisme européen de stabilité, le fameux MES.
En particulier, le fait que le secteur bancaire soit dans l’obligation de rembourser les fonds prêtés dans un délai de cinq ans constitue à nos yeux un gage de crédibilité : le principe du bail-in est respecté et les deniers publics ne seront pas utilisés pour pallier les pertes d’une banque défaillante.
Néanmoins, la feuille de route franco-allemande renvoie discrètement l’examen des modalités de la mise en œuvre de la garantie européenne des dépôts bancaires à une date ultérieure. Étant donné que les débats relatifs au troisième pilier de l’union bancaire ont débuté il y a plus de trois ans maintenant, et que le nombre de prêts non performants au sein de la zone euro a décru, l’absence d’un engagement plus ferme traduit sans doute un abandon progressif de cette mesure.
En ce qui concerne les questions économiques et fiscales à l’ordre du jour du Conseil européen, trois points principaux doivent être soulignés.
Premièrement, le Conseil européen approuvera les recommandations par pays du semestre européen. Celui-ci a notamment été marqué par la sortie de la France de la procédure de déficit excessif.
S’il faut s’en féliciter, madame la ministre, j’attire votre attention sur le fait que cette sortie ne signifie pas la fin des efforts budgétaires de la France. Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques vient de souligner que la réduction du déficit structurel constaté en 2017 résulte davantage de l’élasticité des prélèvements obligatoires – en clair, de nos bonnes recettes fiscales – que d’un resserrement de la dépense publique. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler bientôt à travers « Action publique 2022 ».
La crédibilité budgétaire de la France passe donc par la continuité de nos efforts en matière de réduction et de rationalisation de la dépense publique.
Deuxièmement, les annonces de la Commission européenne du 2 mai dernier concernant le prochain cadre financier pluriannuel seront discutées par les États membres.
Dans un contexte perturbé par le retrait du Royaume-Uni et la volonté de redéployer les crédits du budget de l’Union européenne vers de nouvelles priorités politiques, plusieurs politiques communes devraient faire l’objet de coupes budgétaires.
Si la France apparaît relativement préservée par rapport à ces voisins européens, deux sujets interpellent la commission des finances.
D’une part, comme l’a souligné le Parlement européen en adoptant une résolution à la fin du mois de mai, il est regrettable que la Commission européenne ait tardé à transmettre des prévisions budgétaires chiffrées avec exactitude. L’opacité des modalités de calcul a complexifié la tenue d’un débat démocratique de qualité.
D’autre part, la position du gouvernement français dans les négociations à venir semble parfois contradictoire. En effet, ici même au Sénat, nous avons entendu le commissaire en charge du budget, Günther Oettinger, mettre en exergue le discours ambigu, voire le double discours de la France. Ainsi, les autorités françaises à Bruxelles ne défendraient apparemment pas une augmentation globale du budget de l’Union européenne, et ne font pas de la réduction des crédits alloués à la politique agricole commune une ligne rouge, contrairement aux communiqués de presse du ministère de l’agriculture.
Madame la ministre, au regard de ces propos un peu dissonants, pourriez-vous clarifier la position du gouvernement français quant aux annonces de la Commission européenne sur le prochain cadre financier pluriannuel ?
Troisièmement, le chantier de la fiscalité n’a pas fait l’objet de progrès depuis le dernier Conseil européen de mars dernier. Nous pouvons par exemple regretter que les propositions de la Commission européenne en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, notamment les GAFA, n’aient pas été intégrées dans le volet « ressources » des annonces pour le prochain cadre financier pluriannuel.
Depuis mon déplacement récent à Berlin, j’ai rencontré un certain nombre de représentants de l’administration fiscale et de membres de la commission des finances du Parlement, et j’ai conscience qu’il sera probablement très difficile de mettre en place cette taxe transitoire à 3 %.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne se sont accordées pour défendre la proposition de directive de la Commission européenne concernant l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, sans pour autant s’engager sur un calendrier. Par conséquent, je ne peux que réitérer mes propos de mars dernier en encourageant la France à s’investir pour permettre une prise de décision plus rapide en la matière.
Enfin, le Conseil européen se réunira dans la configuration prévue par l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, pour examiner l’état d’avancement des négociations du Brexit.
Alors que le dernier Conseil européen avait permis de trouver un accord sur la période de transition et sur l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange, les négociations sont aujourd’hui au point mort. L’inextricable question irlandaise et les difficultés politiques rencontrées par Theresa May éloignent la perspective d’un accord prochain sur la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le Conseil européen devrait acter l’inertie des négociations, mais ce simple constat n’est pas satisfaisant.
Madame la ministre, pourriez-vous nous expliquer comment la France compte agir pour surmonter le blocage actuel des négociations ?
Voilà quelques-unes des nombreuses questions que je souhaitais vous poser sur des sujets diversifiés, qui intéressent particulièrement la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Claude Raynal, ainsi que Mme Victoire Jasmin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir dans un contexte particulièrement périlleux. Disons-le clairement : l’Europe est en danger. Dans son rapport publié en février 2017, le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne invitait à un sursaut. Et nous continuons de le dire aujourd’hui, tant les défis à affronter sont immenses !
Nous venons de faire un point d’étape. Le rapport est à la disposition de nos collègues.
Le constat est mitigé. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours ambitieux que le Président de la République a tenu à la Sorbonne le 26 septembre 2017 et, malheureusement, la modestie des résultats obtenus. La méthode était-elle la bonne ? Au catalogue des nombreuses mesures annoncées n’aurait-il pas fallu privilégier une démarche plus pragmatique, concentrée sur les sujets susceptibles d’aboutir à un consensus ?
Or le temps presse. Nous ne pouvons pas rester inertes devant la montée des populismes. Les récentes élections hongroises et italiennes agissent comme une piqûre de rappel. Les opinions publiques européennes sont de plus en plus défiantes face à une Europe divisée, qui ne répond pas à leur besoin de protection.
La crise migratoire concentre légitimement les inquiétudes. Elle illustre tragiquement l’impuissance de l’Europe à agir. Nous prenons acte de certains progrès – il faut le reconnaître – comme le renforcement de FRONTEX que la Commission européenne propose d’amplifier dans le prochain cadre financier pluriannuel. Cependant, parallèlement, la réforme du système européen d’asile est enlisée. Plus profondément, on ressent un grand décalage entre la lenteur du processus européen et l’urgence des réponses à apporter.
Le sommet à seize États, qui vient de se tenir à Bruxelles, n’a malheureusement pas débouché sur des solutions concrètes. Madame la ministre, que peut-on espérer du Conseil européen ? L’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de passeurs et de réseaux criminels qui profitent de la détresse humaine. Le secours en mer est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit porter le débat au niveau international sur la reconduite des bateaux vers leur port d’origine.
Nous examinerons avec beaucoup d’attention la directive Procédures, qui est en cours de seconde lecture à Bruxelles, et qui va redéfinir le concept de « pays tiers sûr ». J’avoue être déjà un peu inquiet à la lecture des commentaires de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur ce point. Le Sénat sera à vos côtés, si vous le souhaitez, madame la ministre, pour être extrêmement ferme sur le sujet.
La conférence ministérielle, qui s’est tenue à Niamey le 16 mars, semble marquer un engagement sans précédent des États africains. Qu’en est-il concrètement de la mise en œuvre de la déclaration adoptée à cette occasion ? Il faut aussi construire des centres d’accueil ou hotspots dans les pays d’accueil ou de transit aux portes de l’Europe. Développons avec ces pays des partenariats ambitieux dans l’esprit du sommet de La Valette, mais exigeons aussi leur coopération active en matière de réadmission.
Face aux nombreux défis que l’Union européenne doit relever, le moteur franco-allemand peine à se concrétiser. Il a pâti de l’incertitude politique en Allemagne, même si la déclaration commune de Meseberg, publiée le 19 juin 2018, intègre finalement des éléments concernant l’avenir de la zone euro. S’il existe aujourd’hui un soutien allemand aux projets du Président de la République, comme le budget de la zone euro, les dispositifs restent à élaborer. La Commission européenne a, quant à elle, présenté des pistes de réforme a minima. Le renforcement du pilotage exécutif de la zone euro n’est pas abordé et l’association des parlements nationaux n’est pas évoquée.
Au plan institutionnel, la déclaration de Meseberg insiste sur la réduction du nombre de commissaires, mesure que nous soutenons. En revanche, nous restons réservés sur des listes transnationales à partir des élections européennes de 2024. Cela étant, nous saluons le souci de passer à la règle de la majorité qualifiée sur un certain nombre de sujets, qu’il s’agisse des problématiques de défense ou d’autres questions, afin d’éviter la paralysie de l’Europe.
Les échanges sur le cadre financier pluriannuel feront figure de test sur une vision commune franco-allemande pour l’avenir de l’Union. Vous connaissez la position du Sénat, madame la ministre. Elle est claire : la politique agricole commune et la politique de cohésion ne peuvent servir de variable d’ajustement, au risque de fragiliser encore davantage la ruralité, ce qui entraînera par « effet domino », si je puis dire, une fracturation de la société française.
À juste titre, la présidence bulgare a mis en avant la stabilité dans les Balkans occidentaux. Nous y sommes très attentifs. Toutefois, la priorité doit être donnée à des progrès significatifs, tant sur l’organisation institutionnelle, l’État de droit, que sur le plan économique. Prenons garde à ne pas ignorer l’état de nos opinions publiques très réticentes face à un processus d’élargissement qui ne serait pas maîtrisé ? Nous l’avons dit à de nombreux interlocuteurs que nous rencontrons, tant dans nos déplacements que lorsque nous les accueillons : nous nous situons toujours dans une phase d’approfondissement de l’Union européenne.
Enfin, je veux évoquer la négociation du Brexit. Nous soutenons l’action du négociateur de l’Union européenne, notre compatriote Michel Barnier. Sa tâche est difficile face aux atermoiements et aux profondes divisions que l’on constate au Royaume-Uni. Notre groupe de suivi se rendra à Dublin, Belfast et Londres au début du mois de juillet.
Nous devons vous faire part de la profonde inquiétude des citoyens européens installés, souvent de longue date, au Royaume-Uni, singulièrement de nos compatriotes. En clair, nombre d’entre eux font l’objet de mesures et de propos discriminants, particulièrement intolérables. Nous les avons rencontrés et leurs témoignages sont assez poignants.
La question irlandaise n’est toujours pas résolue. Elle conditionne pourtant tout accord de retrait. Les récentes propositions de Mme May laissent sceptiques. Nous mesurons chaque jour davantage l’impact économique désastreux du Brexit. Les différentes études publiées par des cabinets spécialisés annoncent, selon qu’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soit conclu ou non, et selon la nature de cet accord, un coût compris entre 35 milliards d’euros et 70 milliards d’euros par an – dans l’hypothèse où aucun accord ne serait signé. Cette somme est à partager entre l’Europe à vingt-sept et le Royaume-Uni. Autrement dit, il s’agit d’un suicide économique collectif.
La récente annonce d’Airbus de retirer ses investissements au Royaume-Uni si aucun accord n’était trouvé ou en cas de « Brexit dur » en est une nouvelle illustration. L’Union doit défendre ses intérêts et veiller, pour l’avenir, à garantir l’intégrité du marché unique, qui n’est pas un libre-service. Sur tous ces points, que peut-on attendre concrètement du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Claude Raynal, ainsi que Mmes Victoire Jasmin et Christine Prunaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, merci tout d’abord pour vos interventions. Je vais revenir sur les principaux thèmes que vous avez abordés.
Vous avez été nombreux – M. le président Bizet, M. Requier, M. Allizard, M. Gattolin, M. Raynal, Mme Mélot, M. Bonnecarrère et M. del Picchia – à évoquer la question des migrations. Cela me donne l’occasion d’apporter des précisions.
Vous êtes revenus sur le cas de l’Aquarius et sur celui du Lifeline. Permettez-moi de dire que la France a pleinement pris la mesure du défi auquel l’Italie est confrontée depuis quelques années. Elle prend sa part de cet effort. Nous le faisons en accélérant les relocalisations, nous sommes la deuxième destination en Europe pour les personnes sous protection relocalisées. Nous participons à l’opération navale Sophia pour lutter contre les trafiquants d’êtres humains au large de la Libye et former les gardes-côtes libyens. Nous avons régulièrement été présents dans l’opération Triton de FRONTEX, nous le sommes désormais dans l’opération Thémis. Je ne reviens pas sur notre rôle pour la stabilisation de la Libye.
Je partage votre opinion, madame Mélot, les États membres doivent davantage prendre leurs responsabilités. Cela vaut bien évidemment pour l’Italie. Nous devons ensemble choisir la coopération plutôt que le repli et agir avec clarté et fermeté, dans le plein respect de nos valeurs.
C’est le sens de la réunion qui s’est tenue le 24 juin à Bruxelles, qui a été utile, pour préparer le Conseil européen et rappeler la nécessité du débarquement dans le port sûr le plus proche, mais en le faisant de façon sérieuse, dans des hotspots renforcés, bénéficiant d’un soutien européen sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui, à la fois financièrement et par des relocalisations. C’est, d’ailleurs, la meilleure solution pour le Lifeline, applicable dans d’autres cas : un débarquement soit en Italie, soit à Malte, et l’envoi de missions de l’OFPRA et d’agences homologues européennes, contribuant ainsi à limiter la charge pesant sur le pays de première entrée.
Nous devons renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, en particulier en accroissant les effectifs de FRONTEX. Notre volonté politique est claire : il nous faut voir en détail comment concilier le renforcement de ses pouvoirs et les responsabilités de police propres aux États membres.
Je dirai maintenant un mot sur le règlement de Dublin. Renvoyer sa révision à plus tard ne ferait qu’aggraver les choses. Nous devons au contraire trouver une solution d’ensemble qui l’inclut. Je vous rassure, monsieur Raynal, la France défend avec conviction le projet d’une agence européenne de l’asile et combat l’idée de déporter vers des pays tiers les demandeurs d’asile.
Enfin, vous m’interrogez, monsieur del Picchia, sur l’état de la relation entre l’Union européenne et la Turquie dans la gestion de la crise migratoire. Cet accord fonctionne de façon satisfaisante, en dépit des tensions régulièrement causées par la Turquie, en mer Égée ou lorsqu’elle maintient en prison des soldats grecs. Il faut maintenant finaliser avec le Parlement l’accord sur le financement de la deuxième tranche de la facilité pour les réfugiés en Turquie, laquelle, je le rappelle, ne bénéficie qu’à des ONG et à des acteurs locaux, et non à l’État turc.
Je partage, monsieur Ouzoulias, votre sentiment sur l’évolution de la Turquie. Le conseil des affaires générales en a pris acte aujourd’hui en inscrivant qu’il n’était pas possible, en l’état actuel de l’évolution du régime turc, de poursuivre le processus de négociation pour l’adhésion de la Turquie.
Je partage également votre sentiment sur l’évolution de l’État de droit en Europe, en particulier en Pologne. La première audition de la Pologne s’est tenue cet après-midi lors du conseil des affaires générales dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 7 du traité. Pour la première fois, la Pologne était invitée à répondre, de façon détaillée et longuement, aux interrogations et aux doutes que suscite l’évolution des réformes de son système judiciaire.
Je reviens sur les questions migratoires. Je ne m’étends pas sur la nécessité de renforcer nos efforts avec les pays d’origine et de transit et d’améliorer le partenariat avec la Libye. Vous savez que cette dimension externe est fondamentale.
Plusieurs d’entre vous – M. le président Bizet, M. le rapporteur général de la commission des finances, M. Raynal et Mme Mélot – ont souhaité revenir sur les sujets relatifs à la zone euro et à la proposition franco-allemande de budget pour la zone euro.
L’accord franco-allemand de Meseberg est une avancée significative puisqu’il prévoit un véritable budget de la zone euro, qui financera des investissements dans l’innovation et le capital humain et contribuera à la stabilité de la zone.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il sera alimenté par les États membres et des ressources européennes. Il n’a pas été facile d’arriver à cet accord, tant les craintes sont fortes en Allemagne d’encourager une union de transfert. La Chancelière a fait preuve d’un réel courage politique, dans un contexte qui est, nous le savons, très sensible.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez évoqué l’union bancaire. Dans ce domaine également, les choses avancent puisque, après l’accord trouvé le 25 mai sur le « paquet bancaire », nous avons progressé en franco-allemand sur la mise en œuvre d’un filet de sécurité – un backstop – pour le Fonds de résolution unique.
Nous avons aussi trouvé un accord sur la proposition de la Commission relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, l’ACCIS, et pour parvenir d’ici à la fin 2018 à un accord sur une taxation équitable du numérique. Ce n’est pas un mince sujet, et nous espérons que cet accord franco-allemand permettra des convergences européennes plus larges. Il est clair, monsieur de Montgolfier, que les progrès sont plus limités dans ce domaine que sur le système européen de garantie des dépôts, le SEGD, mais le travail va se poursuivre, comme convenu à Meseberg.
Enfin, je vous le concède, madame Mélot, les discussions ont moins porté sur l’architecture institutionnelle de la zone euro durant cette rencontre franco-allemande que sur le fond. C’est d’ailleurs volontaire, car il faut d’abord que nous nous mettions d’accord sur ce que serait un budget de la zone euro. Mais je veux vous rassurer sur le fait que la France demeure attachée à la promotion d’un ministre et d’un Parlement pour la zone euro.
Pour répondre à vos interrogations sur le Brexit, monsieur le président Bizet, monsieur Kern, j’indique que je partage votre inquiétude sur l’absence d’avancée ces dernières semaines, en particulier sur la question si sensible de l’Irlande du Nord. Le temps presse et le flou des positions britanniques est inquiétant. Une absence d’accord est donc possible, nous nous y préparons.
En réponse à votre remarque sur la frontière irlandaise, monsieur le président, je vous indique que la France soutient la position de Michel Barnier, qui considère la proposition britannique comme inacceptable et inopérante. Seule la solution du backstop, limité à l’Irlande du Nord, proposée par la Commission, nous semble aujourd’hui réaliste.
Enfin, concernant le cadre des relations futures, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur, monsieur Kern, le Royaume-Uni a publié une dizaine de papiers de position dans lesquels la logique est trop souvent de conserver tous les avantages de l’appartenance au Marché unique, sans en supporter les obligations, ce qui ne saurait être acceptable.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Bien sûr !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte et il ne peut pas y avoir de situation plus avantageuse pour un État tiers que pour un État membre.
Quant aux discussions sur le futur cadre financier pluriannuel, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur Requier, madame Mélot, elles sont censées être brèves et centrées sur la durée de la négociation. Nous sommes résolus, vous le savez, mais je vous remercie de me donner une occasion supplémentaire de le dire, à défendre la PAC de façon déterminée. Je l’ai dit dès le mois de novembre 2017, je l’ai répété à maintes occasions, au commissaire Oettinger. Je ne peux donc qu’être surprise qu’il ait cru pouvoir tenir un double langage, en particulier devant la représentation nationale. Le président de la Commission et l’ensemble du collège des commissaires, dont M. Oettinger, que le Premier ministre et moi-même avons rencontrés la semaine dernière, savent tous que, pour nous, il ne peut être porté atteinte à la politique agricole commune. (M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.)
Lorsque le commissaire Oettinger s’est exprimé devant vous et qu’il a cru devoir s’étonner de la position que nous avions prise sur le budget de 2018, il rappelait la position qui était celle de la plupart des États membres de l’Union, consistant, en début d’année, à demander à la Commission de prévoir des réserves, en cas d’imprévu, sur l’ensemble des fonds dont bénéficie la Commission européenne.
Concernant la taxation du numérique, monsieur Gattolin, vous avez rappelé qu’elle est un des défis majeurs de notre temps. Nous sommes à ce titre déterminés à aboutir à une juste taxation des géants du numérique au niveau européen. Nous voulons une Europe de l’équité et de la justice fiscales. Nous voulons tout autant une Europe qui innove et qui est à la pointe des innovations de rupture ou de l’intelligence artificielle.
Je me félicite de la très forte cohérence entre l’action de la Commission en la matière et la stratégie française présentée par le Président de la République le 29 mars 2018 à l’occasion du sommet AI for Humanity. Je salue le rapport remarquable rendu par le député Cédric Villani, qui l’a inspirée.
Je note aussi avec intérêt, monsieur Gattolin, la proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes et que vous avez présentée, sur les supercalculateurs. Ce sujet est peut-être moins médiatique que l’intelligence artificielle, mais il n’en est pas moins fondamental si nous voulons que l’Union européenne reste autonome sur ce plan.
L’Union se mobilise : la Commission a proposé de créer une entreprise dédiée, EuroHPC, et le Conseil et le Parlement viennent d’adopter leurs positions respectives. J’ai bon espoir que les trilogues avancent très rapidement.
Monsieur Allizard, je peux vous assurer que la France mettra également l’accent sur la nécessité de faire de la coopération structurée permanente en matière de défense un puissant catalyseur de projets capacitaires et opérationnels concrets et ambitieux, et qu’elle proposera, dans les mois qui viennent, de nouveaux projets.
Monsieur del Picchia, monsieur Requier, vous le savez bien, on ne décrète pas une culture stratégique commune à plusieurs États membres qui ont une histoire et une culture différente.
M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. On peut en revanche prendre des actions résolues pour les rapprocher. Telle est notre ambition, et c’est celle de l’initiative européenne d’intervention, que Florence Parly a lancée officiellement hier.
Nous travaillons par exemple avec les Allemands sur un conseil européen de sécurité. La France avait proposé il y a quelques années des réunions spécifiques sous ce vocable du Conseil européen, qui, de fait, aborde désormais des questions internationales lors de chacune de ses réunions. La Chancelière a proposé dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung une instance de coordination spécifique. Nous allons y travailler. Il est possible en tout état de cause d’avancer de manière souple et informelle dans un premier temps.
La question du passage de la prise de décision de l’unanimité à la majorité qualifiée doit être examinée dans un cadre plus large, y compris sur les questions fiscales par exemple.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce serait parfait !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Monsieur Kern, laissez-moi vous rassurer : nous avons été surpris par la déclaration d’Angela Merkel sur le Parlement européen. Elle ne sera pas surprise par la nature de notre réponse. Notre attachement à Strasbourg, siège du Parlement européen, ne variera pas.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Nous défendrons à chaque occasion, comme je l’ai fait depuis ma prise de fonctions, l’importance et le rôle de Strasbourg, et la présence du Président de la République dans l’hémicycle de Strasbourg le 17 avril dernier en a une fois encore témoigné. (MM. Jean-Pierre Decool, Jean-Claude Requier, René Danesi et André Reichardt, ainsi que Mme Nathalie Goulet applaudissent.)
Je vous remercie, monsieur Bonnecarrère, de l’expression de votre soutien à l’action du Gouvernement et à notre volonté de refondation européenne. Je partage la gravité de votre analyse. L’Europe est mise au défi. Je dirais que les démocrates et les progressistes sont mis au défi de ne pas laisser le destin de l’Europe non pas à des hommes forts, mais à ceux qui parlent fort sans rien construire ni rien résoudre. Notre vision ne sera certainement pas de diminuer notre ambition, mais au contraire de porter encore plus haut nos valeurs. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes, ainsi que Mmes Colette Mélot et Victoire Jasmin applaudissent également.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le débat interactif et spontané, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France a adopté le 30 octobre 2017 les mesures législatives nécessaires pour renforcer le cadre juridique interne, conformément à la directive PNR. Vous le savez, cette disposition est extrêmement importante pour la protection de nos frontières. Madame la ministre, quel est l’état de ce dossier et où en est la mise en place du PNR ?
Par ailleurs, dans le cadre des dossiers sur l’immigration et le droit d’asile, où en est-on des possibilités de croiser ces dossiers avec les dossiers d’Europol et d’Interpol, qui sont une nécessité absolue pour la sécurité de la France et la sécurité de l’Europe ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, le PNR est entré en vigueur le 25 mai dernier. En réalité, à cette date, douze États membres étaient parfaitement prêts à le mettre en œuvre. Nous avons renforcé notre coopération avec certains des États membres assez éloignés au départ de notre niveau en termes de systèmes d’information.
Comme vous, je souhaite que l’interopérabilité entre les différents systèmes d’information, qu’il s’agisse des systèmes liés à Schengen, des systèmes que nous allons mettre en place – le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, ETIAS, le système d’entrée/sortie – et les fichiers d’Europol soit accélérée afin de mieux participer à l’action coordonnée de l’Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la ministre, ma question porte sur le droit communautaire des visas.
On sait qu’une des solutions les plus efficaces pour réduire l’immigration irrégulière réside dans l’action des pays d’origine pour limiter les départs, mais aussi, le cas échéant, dans leur volontarisme en matière de délivrance des laissez-passer consulaires pour les migrants nationaux déboutés de leur demande d’asile. Or certains pays laissent volontairement l’immigration irrégulière se développer ou rechignent à délivrer des passeports consulaires. Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes pays qui font les deux.
Mes chiffres sont un peu anciens – ils datent de 2016 –, mais sachant que le Maroc n’a délivré dans les temps impartis que 27,5 % des laissez-passer consulaires sollicités par la France, que ce taux est encore plus faible pour des pays comme le Mali, dont le taux n’atteint même pas 12 %, l’Égypte, dont le taux est de 17 %, et la Tunisie, dont le taux est de 31 %, et je m’arrête là, on s’interroge sur la possibilité d’amener ces pays et d’autres à mieux coopérer.
Peut-être serait-il possible que les pays de l’Union européenne délivrent eux-mêmes ces visas ? La Commission propose ainsi de modifier le code communautaire des visas afin de délivrer moins de visas de court séjour aux pays les moins coopératifs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces modifications, telles qu’elles sont envisagées par la Commission ? Enfin, quelle est la position des autorités françaises sur ces propositions de réforme ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Reichardt, vous avez parfaitement raison : une partie du sujet auquel nous sommes confrontés est celui des retours des déboutés du droit d’asile ou, plus largement, des migrants illégaux. Ce retour est conditionné à l’existence de laissez-passer consulaires et, donc, au bon vouloir des pays d’origine. Nous en avons tous fait le constat, et les chiffres que vous avez cités, s’ils se sont parfois améliorés, ne sont pas pour autant pleinement satisfaisants.
Nous sommes d’accord entre pays membres de l’Union européenne pour renforcer notre dialogue avec les pays d’origine. Il s’agit de nous répartir le travail en fonction des pays avec lesquels nous avons les liens les plus étroits pour inciter ces pays à atteindre de meilleurs taux de réadmission, en délivrant de manière plus systématique et plus rapide des laissez-passer consulaires. Il faut pour cela évidemment avoir un dialogue franc avec eux, pas nécessairement public, le plus souvent discret.
Il faut également demander au Service européen pour l’action extérieure d’appuyer le travail des États membres dans ce sens et faire en sorte que nous puissions disposer, dans les délais impartis, notamment par la rétention administrative, des laissez-passer consulaires nécessaires. C’est ce qui justifie l’extension de la durée de rétention administrative telle qu’elle est proposée dans le projet de loi Asile et immigration que vous venez d’examiner, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous devons avoir avec les pays d’origine une discussion sur le soutien que nous leur apportons, mais aussi sur la délivrance des visas, plus particulièrement des visas sur les passeports de service. Ces visas sont une facilité que nous accordons à un nombre souvent élevé de personnes souhaitant se rendre dans l’Union européenne et qui sont elles-mêmes en situation de faire évoluer l’attitude des pays d’origine.
Je préfère cette solution à celle qui toucherait directement les visas de court séjour, qui peuvent servir à des personnes de parfaite bonne foi, mais qui n’auraient pas de poids sur les décisions prises par leur gouvernement.
Ces discussions sont donc parfaitement à l’ordre du jour, à la fois au niveau bilatéral et au niveau européen.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la ministre, le projet de cadre financier pluriannuel de la Commission européenne prévoit une baisse de 5 % des fonds dédiés à l’agriculture. Le Sénat s’est exprimé officiellement par voie de résolution pour s’opposer à cette baisse, afin de protéger nos agriculteurs, notre souveraineté alimentaire et la qualité de notre alimentation. Nous sommes heureux que le Président de la République et le Gouvernement aient pris des positions fortes, bien que tardives, en la matière.
Il y a quelques jours, le 18 juin, le Conseil des ministres sur la politique agricole commune a permis à la France de fédérer une coalition de vingt États opposés à la baisse du budget de la PAC. C’est une bonne chose, mais il reste maintenant à infléchir la position de la Commission.
Madame la ministre, nous aurons beau sauver l’équilibre financier de la PAC, tout ne sera pas réglé. Plusieurs questions subsistent. Comment adapter la PAC aux enjeux de l’agriculture durable ? Comment prendre en compte la diversité des modèles agricoles dans l’Union, et même au sein des États membres ? Comment assurer la compétitivité de notre agriculture face aux concurrents sud-américains ou australiens ? Enfin, comment passer d’une logique défensive à une logique offensive de renouveau agricole, de conquête de nouveaux marchés ?
Pour notre part, nous croyons toutefois que la vieille politique agricole commune est une politique d’avenir, et non un combat d’arrière-garde. Alors que nous entamons nos travaux sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, je souhaite connaître la vision précise du Gouvernement sur l’avenir et le rôle de la PAC au XXIe siècle.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La PAC en deux minutes, c’est une gageure ! (Sourires.)
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. C’en est une, vous avez raison ! (Nouveaux sourires.)
Monsieur le sénateur Decool, j’étais à l’heure du déjeuner avec le commissaire Oettinger. Une fois de plus, j’ai réitéré, avec le soutien, en effet, de dix-neuf autres États membres, l’importance de préserver les crédits dédiés à la PAC, avec des mots qui auraient pu être les vôtres.
L’agriculture et l’alimentation sont des enjeux majeurs du XXIe siècle. Cette politique, qui est la première politique commune que nous ayons réussie, nous avons tous vocation à la préserver pour conserver à la fois notre souveraineté, notre sécurité alimentaire et notre capacité à conquérir des marchés, laquelle a été illustrée par les avancées obtenues par le Premier ministre lors de son déplacement en Chine en matière d’exportation de viandes françaises.
Les propositions faites par la Commission sur la PAC contiennent des points positifs. La Commission propose ainsi le mécanisme de réserve de crise que nous appelions de nos vœux. Elle propose également des mesures d’accompagnement de l’agriculture vers un modèle plus respectueux de l’environnement.
Toutefois, on ne peut pas espérer moderniser la PAC, accompagner la transition de notre modèle agricole et rendre nos filières plus compétitives en diminuant drastiquement les crédits de la PAC, comme la Commission l’a proposé. Nous l’avons encore dit aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la crise migratoire que traverse notre continent pose deux questions centrales : comment réduire les arrivées irrégulières sur notre sol ? Comment assurer le retour de ceux qui ne relèvent pas de la protection internationale ?
Si l’Europe doit bien sûr faire preuve d’humanité, elle doit aussi montrer sa fermeté pour cesser d’apparaître aux yeux du monde comme un espace incapable d’assurer la protection de ses frontières. La réadmission rapide et effective des migrants économiques dans leur État d’origine doit devenir l’un des fondements de notre politique migratoire. Cela passe concrètement par l’inscription noir sur blanc du concept de conditionnalité-réadmission dans nos partenariats avec les pays tiers. Autrement dit, chaque pays qui refuse de coopérer doit savoir qu’il s’exposera à des mesures de rétorsion, comme une baisse du nombre de visas accordés à leurs ressortissants ou encore une diminution de l’aide publique au développement.
Il s’agit non pas de faire du chantage, mais tout simplement de rappeler à nos partenaires que les phénomènes migratoires relèvent d’une responsabilité partagée entre les pays d’origine, les pays de transit et les pays de destination. Chacun doit prendre part à la lutte contre l’immigration illégale.
Nous devons proposer à ces partenaires une stratégie gagnant-gagnant, comme a su le faire l’Espagne à titre bilatéral à partir du milieu des années 2000, avec des résultats probants en Méditerranée sur la voie d’accès à l’Europe.
L’Union européenne doit conclure des accords de nouvelle génération, couplant accord de réadmission et aide financière importante. Le sommet de La Valette, en novembre 2015 en a posé les premiers jalons, suivi du plan d’investissement extérieur de l’Union européenne. Cependant, les résultats restent encore mitigés. Il nous faut donc faire un saut qualitatif et quantitatif.
Madame le ministre, quelle position la France défendra-t-elle au Conseil européen ? Choisira-t-elle la voie du statu quo, ou bien fera-t-elle preuve d’audace en affirmant clairement que l’Europe ne peut être la seule perspective d’avenir pour la jeunesse du continent africain ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Gruny, il est essentiel de renforcer notre travail avec les pays d’origine des migrations économiques. C’est la raison pour laquelle le Fonds fiduciaire d’urgence a été créé et abondé de 3 milliards d’euros. Nous travaillons actuellement à son réabondement. C’est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons augmenter notre aide au développement, aussi bien à titre bilatéral que celle de l’Union européenne.
Nous devons aider les pays d’origine à créer des nouvelles opportunités pour ces gens jeunes, souvent courageux, souvent déjà formés, et à qui il manque des opportunités d’emploi. C’est ce que nous nous efforçons de faire, en coordonnant bien davantage les efforts à la fois bilatéraux et européens.
Nous voulons aussi associer les pays d’origine à la lutte contre les réseaux de passeurs, parce que ces réseaux de trafiquants d’êtres humains, mais aussi de stupéfiants, d’armes, de substances illicites, ont en général un seul intérêt : affaiblir les États souverains. Nous devons convaincre les pays d’origine et les pays de transit que nous avons un intérêt commun à lutter ensemble contre ces réseaux de passeurs.
C’est sur l’ensemble de ces actions que nous comptons travailler, renforcer nos efforts, pour que les pays d’origine soient responsables et intéressés par une augmentation de l’aide, mais qui permette de fixer les populations sur place. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui un grand nombre de pays d’Afrique connaissent la croissance sans connaître le développement.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, vous avez évoqué, au début de votre intervention, la situation des migrants réfugiés en Libye.
En effet, la situation de ces personnes est toujours catastrophique. Nous connaissons tous les violations des droits humains qu’ils subissent. Les auteurs de ces atteintes inqualifiables sont identifiés, les liens qui les relient aussi. Des groupes armés, des milices et des bandes criminelles agissent en dehors de tout contrôle, l’État en Libye étant disloqué. (Mme la ministre opine.) Ces groupes fonctionnent par la détention de migrants, le travail forcé et le racket auprès des familles de ces migrants, le tout en leur infligeant de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la mort. Ils considèrent que la traite des êtres humains est un commerce comme un autre. (Mme la ministre opine de nouveau.)
Cela fait un moment que cette situation dure. L’impunité de ces milices armées est quasi totale. Vous avez évoqué, madame la ministre, le rôle joué par Sofia dans l’arrêt de trafiquants de migrants, mais – on peut le dire – les résultats sont faibles. Je sais que la situation est forcément difficile dans le sud de la Libye, mais nous nous demandons toujours qui peut agir.
Je considère que notre pays est trop silencieux ou est dans l’impossibilité d’agir, mais dans le cas de l’Union européenne, c’est encore plus ahurissant ! Pour le moment, Bruxelles a simplement dénoncé les conditions de détention et appelé à l’amélioration de celles-ci. Je suis très choquée par cette position. J’attends, tout comme mon groupe, beaucoup plus. Un nouveau projet de coopération entre l’Union européenne et la Libye pour stopper l’arrivée de migrants serait en cours.
Ma question sera celle-ci, madame la ministre : quels sont les partenaires de cette coopération et, surtout, quelle est leur influence politique ? Quels sont les engagements de notre pays pour les migrants et les réfugiés de Libye ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Prunaud, vous mettez le doigt sur un sujet majeur. Nous avons tous le souvenir des images que nous avons vues sur les traitements subis par les migrants détenus, maltraités en Libye.
L’action sur la Libye prend plusieurs formes. Elle passe, d’abord, par la tentative de stabilisation de ce pays. On ne peut pas espérer y faire respecter les droits de l’homme alors qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’État en Libye. C’est pourquoi le Président de la République a convié, à plusieurs reprises, les parties libyennes à Paris pour tenter d’accélérer un processus de règlement politique qui permettrait d’avoir des interlocuteurs responsables et le retour d’un État dans ce pays.
Entre-temps, nous travaillons avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, le HCR, qui intervient en Libye à la fois pour gérer des rassemblements de migrants dans des conditions respectueuses des droits de l’homme, et pour permettre à des migrants de ressortir via le Niger, où nous les interviewons et où nous avons réinstallé des demandeurs d’asile qui étaient sortis de Libye, revenus au Niger et qui sont venus ensuite directement en France, sans avoir à traverser ni la Libye ni la Méditerranée, parce qu’ils étaient en besoin manifeste de protection.
Nous devrons aussi développer les actions de PSDC de l’Union européenne au Mali et au Niger, ces pays nous aidant à lutter contre les réseaux de trafiquants qui, en réalité, gangrènent une partie importante du Sahel.
Nous avons aussi, pour la première fois il y a une quinzaine de jours, sur l’initiative de la France, adopté au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution visant nommément des passeurs travaillant en Libye afin de les soumettre à des sanctions individuelles.
C’est donc un ensemble de dispositions qui sont mises en place à la fois pour mieux protéger les personnes et pour mieux cibler les trafiquants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la Grande-Bretagne, avec le Brexit, est en train de faire la démonstration par l’absurde que d’essayer de quitter l’Union européenne est un jeu perdant-perdant, celle-ci apparaît plus fragile que jamais.
Nombreux sont ceux qui se demandent ce que nous avons raté avec les élargissements de 2004 et 2007. Qu’avons-nous raté par rapport à cette perspective de réunification du continent, par rapport à cette formidable libération de 1989 et ce que cela semblait pouvoir apporter à l’ensemble de l’Union européenne ?
Pour avoir habité vingt ans en Europe centrale, je dirais que peut-être nous ne nous sommes pas compris. Seuls les vieux pays européens avaient cinquante ans de pratique du Traité de Rome ; les autres, tout aussi européens, avaient d’autres perspectives, d’autres attentes. Finalement, ils ne se sont jamais vraiment retrouvés. Pendant quelques années, on a fait comme si. Aujourd’hui, cela nous revient en pleine figure, et l’Europe apparaît fragilisée.
Pourtant, rien n’est inéluctable. Les choses peuvent être reconstruites dans la mesure où tous les pays européens restent fondamentalement attachés, chacun à leur manière, aux valeurs européennes. Simplement, cela ne peut se faire que dans le dialogue, en essayant de se comprendre, et non en s’envoyant les uns et les autres à la figure les valeurs européennes.
Personne n’a de solution, mais le dialogue est plus que jamais nécessaire entre les pays membres de l’Union européenne.
Si nous en sommes arrivés là, c’est aussi parce que la magie nous a quittés pendant les négociations d’adhésion, avant 2004 et avant 2007. C’est la raison pour laquelle je veux tirer la sonnette d’alarme s’agissant des autres pays européens qui sont aujourd’hui engagés dans un processus de négociation.
Je pense en particulier à la République de Macédoine du Nord, en cette semaine où un accord a été conclu entre la Grèce et ce pays candidat, à qui il faut permettre d’entrer dans le processus de négociation de manière plus concrète. Je pense aussi aux autres pays candidats.
Il n’est pas possible d’arrêter cette négociation, de faire qu’aujourd’hui les négociations d’élargissement soient non plus un processus avec une fin potentielle, mais un état dont on ne saurait pas quand on sortirait.
M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Sinon, nous engendrerions d’autres malentendus. On le voit aujourd’hui avec les pays d’Europe centrale, mais ces malentendus pourraient aussi se produire dans les Balkans, dont nous savons – l’histoire nous l’a montré – combien ils sont essentiels à la stabilité européenne. Il faut y faire très attention.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, ne reproduisons pas les erreurs des élargissements passés ! Alors que nous étions aujourd’hui en train de travailler sur la question de l’État de droit, la Pologne a eu beau jeu de nous dire que nous n’avions pas critiqué, au moment de son entrée dans l’Union européenne, un certain nombre de mesures que nous critiquons aujourd’hui.
À l’époque, sous la pression de certains de nos grands partenaires, nous avions commencé par les chapitres les plus faciles, remettant à plus tard les sujets relatifs à l’État de droit. Et puis, emportés par notre envie d’accueillir les grands leaders de l’époque de l’Europe de l’Est, nous n’avons pas regardé d’assez près ce qui se passait en matière d’État de droit, pensant que ces grands leaders seraient éternels. Aujourd’hui, nous n’avons pas les mêmes interlocuteurs, mais nous avons toujours des législations qui datent souvent de la période antérieure à l’entrée de ces pays dans l’Union européenne.
Alors, pour les Balkans, souvenons-nous-en ! Aidons ces pays en les accompagnant, en ayant sur les réformes – non seulement celles qui sont adoptées, mais aussi celles qui sont véritablement mises en œuvre – une vraie exigence en matière d’État de droit, de lutte contre la corruption et de lutte contre la criminalité organisée.
Depuis que ces pays ont une perspective européenne, ils ont progressé. C’est le cas de la Macédoine, qui a réussi à se mettre d’accord sur son nom avec la Grèce dans un accord historique conclu il y a quelques jours. Mais n’allons pas trop vite en besogne, ne considérons pas que le compte y est tant qu’il n’y est pas. Nous ne rendrions pas service aux démocrates de ces pays. Accompagnons-les, soyons à leurs côtés, ayons conscience que leur destin et le nôtre sont liés, mais ne fermons pas les yeux sur ce qui manque encore.
La candidature à l’Union européenne, c’est une exigence, et il ne faut pas la brader !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a tout juste un an jour pour jour, la Commission européenne attribuait une amende historique de 2,43 milliards d’euros à Google pour abus de position dominante sur son comparateur de prix Google Shopping, l’entreprise favorisant ses propres produits parmi les résultats de recherche.
Saluons le courage de la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager sur ce sujet. Mais notons aussi que, depuis, il ne s’est rien passé. Cela signifie que condamner ne suffit pas.
Madame la ministre, on ne peut plus laisser les entreprises françaises et européennes désarmées, condamnées à subir des pratiques d’éviction du marché dans un secteur, qui plus est, en évolution constante, tel que le numérique, sans avoir d’autre solution que d’attendre que les procédures contentieuses arrivent à leur terme. Je rappelle qu’il a fallu sept années d’enquête et de procédure pour aboutir à la décision du 27 juin de l’année dernière.
Les géants de l’internet le savent bien ; d’ailleurs, ils se jouent non seulement des divergences d’appréciation entre États membres sur ces questions de souveraineté pour mieux asseoir leurs intérêts sur ce marché de 500 millions d’individus que constitue l’Europe, mais plus encore de notre passivité, voire de notre complaisance.
Or ces distorsions de concurrence actuelles sont autant de menaces à la survie de nos entreprises. Face à cela, j’ai déposé une proposition de résolution européenne, qui est devenue depuis proposition du Sénat, pour réformer le cadre juridique des mesures provisoires afin de les rendre plus vite applicables par la Commission européenne et interrompre rapidement toute pratique constitutive d’un abus de position dominante.
Ne voyant rien venir ces derniers mois, à la veille du dernier Conseil européen, j’ai tenu à alerter le Président de la République et la Chancelière allemande sur la nécessité d’inscrire cet impératif de réforme à l’ordre du jour. Or seul le cabinet de la Chancelière a pris soin de me répondre. Réactif, je dois bien le dire, le gouvernement allemand a même créé une commission d’experts sur le droit de la concurrence 4.0 et m’a invitée à participer à ses travaux.
Aussi, face à cette situation, madame la ministre, je m’interroge sur cette absence de réponse du côté français. Je m’étonne d’ailleurs du peu d’intérêt que porte le Gouvernement aux travaux du Parlement, qui pourtant sont assez importants et peuvent constituer autant d’accompagnement et d’aide à l’action gouvernementale.
Sur cette question, madame la ministre, avez-vous des éléments de réponse ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Morin-Desailly, vous avez parfaitement raison, l’Europe doit être davantage présente en termes de régulation du numérique, comme elle l’a été avec le règlement général sur la protection des données et comme elle l’est quand la commissaire Vestager utilise les armes à sa disposition pour rétablir le droit, que ce soit vis-à-vis de Google ou d’Amazon.
Plus largement, il faut que l’Union européenne progresse en matière de régulation des plateformes et de rapport entre plateformes et entreprises traditionnelles, en veillant à la loyauté des plateformes, à leur responsabilité et en mettant en place un arsenal juridique qui aujourd’hui manque encore.
Vous avez raison, les grandes plateformes connaissent toutes nos lacunes et, jusqu’à présent, elles en jouent. C’est tout le but des états généraux du numérique confié par le Président de la République à Mounir Mahjoubi, qui a entamé sa réflexion avec un certain nombre d’acteurs. J’ai d’ailleurs commencé à travailler avec lui.
Je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’adresser le courrier que vous aviez envoyé au Président de la République. Je m’engage, conjointement avec mon collègue Mounir Mahjoubi, à y répondre et, surtout, à vous associer à notre réflexion et à ces états généraux.
M. le président. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen essaiera de sauver le soldat Angela Merkel, qui s’est chargée en 2015 d’ouvrir les portes à l’immigration de masse, au nom de la mauvaise conscience allemande depuis 1945, mais sans demander l’avis de ses voisins.
Elle l’a fait sous les applaudissements de la Commission européenne, qui ne manque pas une occasion de provoquer l’incompréhension, voire la colère, des peuples. Je pense en particulier aux peuples d’Europe centrale et orientale, lesquels n’ont pu survivre à leurs voisins envahisseurs que par leur combat multiséculaire pour leur identité et pour leur nation.
Ajoutons à cela que ni les Polonais, ni les Tchèques, ni les Slovaques, ni les Hongrois n’ont colonisé l’Afrique et l’Asie. Ils n’ont donc aucune raison de partager la mauvaise conscience des élites de l’Europe de l’Ouest à l’égard des migrants.
En méconnaissance totale de l’histoire particulièrement douloureuse de ces peuples, la Commission européenne veut les sanctionner en diminuant très fortement leurs subventions. Le prétexte est qu’ils ne respecteraient pas l’État de droit, ce qui ne permettrait donc pas une saine gestion des fonds publics européens.
On peut s’interroger sur cette soudaine volonté de contrôle, alors même que l’Union européenne n’a jamais voulu voir la corruption, le népotisme et l’évasion fiscale qui ont amené la Grèce à la quasi-faillite. Mais comme l’a dit si bien Costa-Gavras en présentant son autobiographie : « Ils ont laissé le pays aller à la catastrophe, mais cela arrangeait les Allemands, les Français et les autres de vendre leurs produits aux Grecs à crédit. »
Pendant que la Commission européenne prétend mettre les pays d’Europe au pas, la Chine tisse ses routes de la soie. Le 27 novembre dernier, le Premier ministre chinois était l’invité vedette d’une réunion à Budapest, qui rassemblait seize pays de l’Europe balkanique, centrale et orientale. Il a annoncé des mises à disposition de crédits. Certes, il n’y a pas encore là de quoi charpenter un cheval de Troie, mais on y arrivera rapidement si l’Union européenne continue à vouloir mettre tous les pays sous la même toise, au lieu d’accepter la diversité historique des pays et des peuples qui la composent.
Je souhaite, madame la ministre, que notre pays et son Président prennent conscience du fait que l’intransigeance de l’Union européenne déroule les routes de la soie dans l’Europe centrale et orientale. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Danesi, l’Union européenne est beaucoup plus qu’un marché unique et qu’un carnet de chèques : c’est une union de valeurs.
Lorsqu’on rejoint l’Union européenne, c’est qu’on croit à la liberté, à la démocratie, à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs. On s’engage à respecter l’ensemble de ces notions qui sont contenues dans les traités. Ceux qui ont rejoint l’Union européenne y croyaient !
Aujourd’hui, certains de ces pays sont trahis par leurs dirigeants, qui mettent à mal l’indépendance de la justice et qui parfois vont jusqu’à détourner des fonds européens et être mis en examen pour cela.
Les fonds européens, ce ne sont pas des fonds qui tombent du ciel ou qui viennent de Bruxelles ; c’est notre argent, celui des contribuables européens, notamment celui des contribuables français, notre pays étant le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne.
Nous devons à nos compatriotes un contrôle et une saine gestion de ces fonds. Il n’y a aucune raison de penser que parce que l’on aurait un passé agité, il serait normal que se développent la corruption et un manque d’indépendance de la justice. Ce serait porter bien peu de considération aux citoyens de ces pays qui, lorsque je m’y rends, comme je le fais souvent, et que je dialogue aussi bien avec les autorités qu’avec les personnes de la société civile, me reprochent la trop grande magnanimité de l’Union européenne, et parfois sa cécité. Ils me disent qu’ils deviendraient eurosceptiques si nous n’étions pas plus exigeants sur l’utilisation des fonds qui sont versés par dizaines de milliards d’euros à cette partie de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la ministre, j’ai écouté votre réponse à la fin de la discussion générale ; elle ne m’a pas totalement convaincu. Vous le savez, je suis membre de la commission des finances et, quand j’entends parler d’un cadre financier pluriannuel, je raisonne en financier.
Lorsque j’entends un diplomate parler de cadre financier pluriannuel, j’ai une traduction un peu difficile. Je voudrais vous poser la question peut-être de manière assez directe, et vous me direz si vous pouvez y répondre. J’ai quelques difficultés à comprendre la position française. Sans reprendre les propos d’un commissaire européen qui vous ont précédemment irritée, il n’en est pas moins vrai que nous avons une difficulté de compréhension sur quelques points.
Premier point, on a, d’un côté, très clairement une diminution des ressources avec le Brexit et, de l’autre, une demande d’augmentation de crédits dans de nombreux domaines – sécurité, migrations, recherche, technologies, numérique, et j’en passe. J’ai regardé toutes ces listes : diminution des recettes, augmentation des dépenses. Je constate que, sur la PAC, des demandes de stabilité sont formulées, et je les partage.
Je fais des additions, des soustractions et des totaux et je n’arrive toujours pas à comprendre quelle est la position française. Sommes-nous prêts à lâcher ou, en tout cas, à admettre certaines concessions en matière de politique de cohésion, dans laquelle notre pays est finalement peu impliqué ? Sommes-nous prêts à remettre au pot, à ajouter des recettes supplémentaires ? Je ne parviens pas à saisir la position d’entrée dans cette équation.
Comme dirait quelqu’un que j’ai bien connu,…
M. le président. Il est temps de conclure, mon cher collègue.
M. Claude Raynal. … lorsque c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! Madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Je vous remercie, monsieur le sénateur Raynal, de m’aider à dissiper le flou. Je vous adresserai avec beaucoup de plaisir la note des autorités françaises envoyée aux institutions européennes. Je peux vous garantir que ce midi, le commissaire Oettinger n’avait pas l’impression que mon discours était flou.
Nous l’avons dit d’entrée de jeu, nous sommes prêts à un budget en expansion pour l’Union européenne, compte tenu des priorités, dont je ne dirais pas qu’il y a les nouvelles et les anciennes, qui sont celles de l’Union.
Nous sommes donc prêts à faire un effort sur le volume du budget. Nous considérons aussi que la proposition de la Commission manque d’ambition en matière de suppression immédiate des rabais, puisqu’un certain nombre de contributeurs nets ont négocié au fil du temps ce qui ressemblait au chèque britannique. Maintenant que celui-ci disparaît, que les rabais disparaissent aussi vite ! Nous sommes aujourd’hui le premier contributeur au rabais des autres. (M. le président de la commission des affaires européennes opine.) C’est une gloire dont nous nous passerions volontiers.
Nous demandons aussi que l’on explore avec plus d’imagination et d’ambition de nouvelles ressources propres. La Commission a parlé de l’ETS, et nous la soutenons ; elle a aussi évoqué une « taxe plastique », nous attendons des précisions parce que, pour le moment, pour le coup, c’est flou !
Nous considérons également que la mise en place d’une taxe numérique rapporterait au budget de l’Union européenne 5 milliards d’euros par an, c’est-à-dire la moitié de ce que nous perdons avec le départ du Royaume-Uni.
Nous souhaitons aussi que l’on revienne sur la mise en place d’une taxe financière européenne.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est aussi l’occasion d’apprendre beaucoup. On dit toujours qu’on apprend tous les jours…
De multiples sujets d’importance ont été évoqués. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, notre pays participe financièrement, dans la loi de finances via le prélèvement sur recettes, à hauteur de quelque 20 milliards d’euros. Cette solidarité financière particulièrement importante est redistribuée.
On a souvent parlé de la complexité des dossiers à caractère financier. On sait que les services de l’État, et maintenant aussi les grandes régions, peuvent aider les demandeurs d’aides européennes. On a toujours évoqué la complexité administrative des dossiers. En termes d’enjeu pour le monde agricole et les agriculteurs, ce n’est pas simple. Il en va de même pour le monde économique et les entreprises.
Je voudrais aussi vous poser une question complémentaire pour le financement des projets portés par les collectivités territoriales, que ce soit des communes, en particulier du monde rural, des villes ou des intercommunalités.
Des mesures d’assouplissement sont-elles prévues pour trouver les bons interlocuteurs, améliorer la lisibilité et, surtout, alléger les contraintes ? Telles sont mes modestes questions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. La question de la complexité de l’accès aux fonds européens – je vous en remercie, monsieur le sénateur Laménie – m’est souvent posée à l’occasion des consultations citoyennes sur l’Europe.
Ces fonds sont aujourd’hui sous la responsabilité des régions, autorités de gestion des fonds européens que nous encourageons à être des accompagnateurs plutôt que des « complicateurs » de projets. Cela nécessite d’avoir des équipes qui connaissent bien les financements européens et qui puissent conseiller les entreprises, les associations, les collectivités locales dans la manière dont on monte un dossier. Nous avons donc notre part à prendre, y compris avec, à l’échelon national, la simplification – on a parfois complexifié davantage le versement des fonds européens que nos voisins –, et, en ce moment, nous faisons ce travail d’harmonisation des conditions nationales demandées pour le versement des fonds européens.
Nous demandons aussi à la Commission européenne de simplifier autant que possible les procédures, sans oublier la nécessité des contrôles, puisque, là encore, il s’agit d’argent public, et on ne peut laisser utiliser l’argent européen sans contrôle et sans lutte efficace contre la fraude. Toutefois, pendant trop longtemps, en raison de ce motif tout à fait honorable de lutte contre la fraude, on a découragé les porteurs de projets de solliciter des fonds européens. Cela ne doit plus arriver aujourd’hui.
C’est moins vrai, cela dit, avec le plan Juncker, qui a été une vraie réussite. La France est d’ailleurs le premier bénéficiaire des fonds de ce plan, notamment environ 100 000 PME, parce que l’instrument a été simple à utiliser et que les intermédiaires ont su s’en emparer.
Il n’y a donc pas de fatalité, mais il y a une véritable nécessité de simplification, je partage votre point de vue.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la prochaine programmation financière pluriannuelle de l’Union européenne.
Pour équilibrer les budgets à venir, qui seront confrontés aux contraintes liées au Brexit et à des charges nouvelles à assumer – sécurité, numérique et bien d’autres –, les arbitrages semblent se porter sur les crédits dédiés jusque-là aux territoires les plus ruraux. On a évoqué la PAC, dont le budget diminuerait de 5 % en euros courants, soit plutôt 12 % en euros constants, en particulier pour ce qui concerne les aides directes du premier pilier. L’effet de la baisse sur le deuxième pilier sera encore plus élevé, alors qu’il s’agit de crédits nécessaires au développement local.
Si l’on tient compte en outre des crédits dédiés à la politique de cohésion, même si l’enveloppe de cette politique a été plus ou moins préservée, on voit que l’élargissement des territoires éligibles entraînera une diminution des fonds. Si l’on ajoute à cela l’augmentation des taux de cofinancement, on constate un véritable risque pour les territoires les plus fragiles, qui ne disposent ni de l’ingénierie nécessaire pour monter les dossiers ni des financements permettant de boucler les budgets. Cette perspective est dommageable au regard des besoins et des attentes des territoires ruraux.
Ma question est donc simple : pensez-vous, madame la ministre, qu’il soit encore possible de rééquilibrer, de revoir, ces arbitrages au profit des territoires ruraux, ou abandonne-t-on cette partie particulière de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Pour ce qui concerne les crédits de la PAC, nous l’avons dit très clairement, la proposition de la Commission n’est pas acceptable, et nous ne l’accepterons donc pas.
Nous sommes au début de la négociation. La Commission nous presse de boucler celle-ci avant les élections européennes de l’année prochaine, mais je reprendrai, avec une certaine distance, ce que mon homologue polonais disait tout à l’heure à la Commission : il est tout de même assez paradoxal de nous demander d’aller vite alors que le projet de budget est aussi mauvais. (Sourires.) C’est parfois l’avantage avec les Polonais ; ils disent les choses avec une certaine brutalité, ce qui permet, ensuite, de dire la même chose avec le sourire. (Nouveaux sourires.)
Cela étant, en réalité, c’est là toute la question ; pour le moment, il n’est pas possible de trouver un compromis en partant d’une hypothèse relative à la politique agricole commune qui ne correspond absolument pas à ce que nous souhaitons. Nous avons veillé à discuter avec nos partenaires, et vingt pays membres de l’Union européenne disent « non » aux coupes telles qu’elles se présentent dans le projet de la Commission. Il est évidemment essentiel de maintenir le premier pilier, les aides directes et, naturellement, de veiller, plus largement, au développement rural au travers du deuxième pilier.
Pour ce qui concerne la politique de cohésion, vous avez peut-être vu les simulations pour la France ; honnêtement, ce n’est pas sur ce point que nous sommes le plus en alerte. Nous sommes attentifs, notamment, au sort fait aux régions ultrapériphériques, dont nous sommes des porte-parole très motivés, mais ce n’est pas sur la politique de cohésion que nous avons de véritables soucis à nous faire, c’est sur la PAC.
Sur le reste du budget, sur les priorités en matière de défense par exemple, nous considérons que nous avons des retours possibles intéressants, il faut le dire. Nous sommes évidemment favorables également à l’augmentation des crédits de recherche. Donc il y a aussi dans le projet de cadre financier pluriannuel des aspects qui nous intéressent.
Je conclus en signalant la proposition que nous avons faite et qui est reprise par la Commission, consistant à cibler des fonds européens vers les collectivités qui accueillent et qui intègrent des migrants ; c’est une manière de rééquilibrer géographiquement l’attribution de certains fonds à l’intérieur de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’incidence tragique pour l’agriculture en outre-mer de la baisse annoncée du budget de la PAC. Vous en avez parlé, mais je veux insister sur la déclinaison de cette diminution pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le POSEI. Ce programme est un outil indispensable qui accompagne financièrement les producteurs des filières agricoles des régions ultrapériphériques, ou RUP, de l’Union européenne.
Toute réduction budgétaire se traduira mécaniquement par une diminution importante de la production locale dans les différentes filières. Dès lors, le projet de la Commission européenne, présenté le 1er juin dernier, qui prévoit une réduction de 5 % des crédits alloués au POSEI par rapport au budget actuel, est inquiétant pour l’économie de nos territoires d’outre-mer.
Face à cette menace, qui contredit d’ailleurs les déclarations du président Juncker lors de la conférence des présidents des RUP en octobre 2017 en Guyane, la mobilisation des acteurs et des élus locaux a été unanime, et désormais, c’est au gouvernement français qu’il appartient de soutenir clairement notre agriculture en outre-mer. La balle est dans votre camp, madame la ministre, puisque, aujourd’hui même, 180 socioprofessionnels de l’industrie agroalimentaire des outre-mer se sont déplacés à Bruxelles, et ils ont obtenu l’engagement de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, de ne pas toucher au POSEI si la Commission reçoit le soutien du Parlement européen et des trois pays membres des RUP, l’Espagne, le Portugal et la France.
Aussi, pouvez-vous, madame la ministre, nous assurer de la volonté de votre gouvernement, lors du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains, de sanctuariser, au moins jusqu’en 2027, l’enveloppe budgétaire consacrée à l’agriculture en outre-mer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Merci de votre question, madame la sénatrice.
L’agriculture ultramarine, c’est 35 000 emplois et 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires ; nous y sommes particulièrement attachés.
Je parlais précédemment de l’importance des régions ultrapériphériques et, naturellement, nous sommes très attentifs au maintien du POSEI. Comme vous, nous avons vu dans le projet de la Commission des motifs d’inquiétude, et nous avons déjà commencé à défendre la nécessité de stabiliser les crédits de ce programme – Stéphane Travert et Annick Girardin l’ont déjà fait et je m’y emploierai aussi –, compte tenu de leur importance pour la viabilité de l’agriculture ultramarine.
Au-delà du POSEI, nous sommes aussi attentifs au versement des fonds FEADER dans les régions ultramarines. Nous sommes donc parfaitement mobilisés et pleinement sensibilisés. Vous le savez, le Président de la République réunira l’ensemble des acteurs autour du Livre bleu outre-mer pas plus tard que jeudi prochain et, naturellement, ce sujet sera de nouveau abordé ; il figure absolument sur notre liste des sujets sur lesquels nous n’acceptons pas le projet de la Commission.
Mme Victoire Jasmin. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la ministre, je veux vous remercier, comme à l’accoutumée, de vous être prêtée à ce flot de questions, alors que vous revenez du conseil Affaires générales, que votre emploi du temps était donc contraint, et dans une conjoncture où l’Europe est confrontée à un certain nombre de dossiers difficiles.
Avant de parler du dossier le plus inquiétant, le dossier migratoire, je veux rappeler que, au travers de l’accord de Meseberg, quelques avancées sont tout de même notoires, comme en matière de politique de la défense. Le choix du recours à la majorité qualifiée, que je souhaiterais voir décliné dans d’autres domaines, afin d’avoir une Europe beaucoup plus rapide, le fait de vous être mis d’accord avec les Allemands sur l’impôt sur les sociétés, le fait d’avoir créé un centre franco-allemand de recherche sur l’intelligence artificielle sont autant de sujets malheureusement occultés par le gros dossier de l’heure, le dossier migratoire.
La directive Procédures, que j’ai évoquée tout à l’heure, actuellement en deuxième lecture au sein des instances communautaires et que nous allons expertiser au cours des semaines qui viennent, a trait à la définition du « pays tiers sûr » et implique de plus en plus les pays de la rive sud de la Méditerranée. Pour ma part, je trouve cela très pertinent, très sain, et je suis extrêmement déçu, même si je ne suis pas spécialement surpris, de l’avis négatif de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui considère que la mise en œuvre de cette directive ne serait pas conforme à la Constitution.
Je crois très sincèrement que la France devra, par votre voix, madame la ministre, être d’une extrême fermeté sur le sujet, parce que nous aurions là une possibilité de solution sur les problématiques d’asile. Croyez-moi, je crains que nous ne soyons malheureusement qu’au début de la crise migratoire. En soixante ans, l’Afrique est passée de 250 millions à 1,25 milliard d’habitants, et, dans trente ans, à horizon de 2050, ce chiffre va doubler.
Il faut donc que nous revenions, Pascale Gruny l’a dit précédemment, à l’esprit de La Valette, c’est-à-dire à la réinjection de fonds communautaires dans les pays pourvoyeurs d’hommes et de femmes qui veulent engager leur processus professionnel à l’extérieur de leur pays ; je n’oublie pas que, dans le prochain cadre financier pluriannuel, 44 milliards d’euros seront justement consacrés à cette politique.
Encore une fois, nous regarderons avec beaucoup d’attention cette directive Procédures, et j’espère que, à Bruxelles, la France sera d’une extrême fermeté en la matière.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 juin 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Nomination des vingt et un membres de la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins.
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (n° 525, 2017-2018) ;
Rapport de M. Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 570, 2017-2018) ;
Avis de M. Pierre Médevielle, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 563, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 571, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 27 juin 2018, à zéro heure quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD