Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le Parlement a été saisi à plusieurs reprises ces dernières années de textes relatifs à la prescription, celle des crimes commis sur les mineurs, bien sûr, mais aussi le régime général de la prescription en matière pénale, qui a été réformé en 2017.
J’ai été mobilisée sur ces textes, qui sont parfois guidés par l’émotion légitime suscitée par l’impunité dont bénéficient encore bien trop d’auteurs de violences sexuelles.
Forte de ce travail et des rencontres que j’ai pu faire avec différents acteurs, tant associatifs que judiciaires, je dois dire que ma position a évolué sur la question particulière des violences sexuelles subies par les enfants.
Bien sûr, on pourra allonger la prescription jusqu’à la faire disparaître, cela ne garantira jamais à une victime qui parle vingt ou trente ans après les faits d’obtenir justice.
Il faut faire preuve d’honnêteté en la matière : que restera-t-il après un temps si long ? Quelle enquête digne de ce nom pourra être menée ? Et que ressentira la victime, qui aura enfin pu parler et qui verra son agresseur relaxé faute d’éléments suffisants ?
Ces questions, il me semble qu’il est de notre responsabilité de ne pas les éluder. Nous ne devons pas faire croire aux victimes que l’allongement de la prescription serait un remède miracle.
L’accompagnement des personnes qui parlent très longtemps après les faits me paraît être particulièrement important, et ce tout au long de la procédure. Il faut recueillir leurs plaintes dans de bonnes conditions, mais surtout les préparer à ce que la vérité judiciaire, dictée par les principes de l’État de droit, contredise la vérité intime de ce qu’elles ont vécu.
Même si je ne suis pas une spécialiste, j’ai aussi des doutes sur l’amnésie post-traumatique, puisque les experts ne sont pas d’accord entre eux sur cette question. Mme Salmona défend cette idée, mais celle-ci est largement débattue dans le monde scientifique, c’est du moins ce que j’ai pu lire. (Marques d’acquiescement sur les bancs de la commission.)
Je soutiendrai donc l’allongement de la prescription proposé par l’article 1er, tout en étant convaincue que la priorité, qui doit être celle de tous, est d’aider les victimes à parler plus tôt. C’est à cette condition que nous serons véritablement à leurs côtés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Consensus ne veut pas forcément dire unanimité ! Même si je me réjouis de l’allongement des délais de prescription à trente ans à compter de la majorité de la victime, je reste convaincue qu’il ne faut pas fixer de limite à l’action publique à l’égard de ces crimes.
Du point de vue des victimes, ce couperet n’est pas compréhensible. Je persiste donc dans cette conviction et la manière dont nous l’abordons, toujours un peu plus nombreux à réclamer cette imprescriptibilité, me conforte.
Cette prise de conscience dépasse les travées de notre assemblée. Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, l’opinion publique est prête à envisager cette imprescriptibilité : IPSOS vient en effet de publier un sondage, qui révèle que 70 % des Françaises et des Français sont favorables à l’imprescriptibilité du viol, quand il est commis sur un mineur.
Je tiens aussi à rappeler un chiffre : 37 % des victimes de violences sexuelles lorsqu’elles étaient mineures ont subi des amnésies traumatiques qui ont duré jusqu’à quarante ans.
Bien sûr, je suis attentive aux arguments de celles et de ceux qui tiennent à distinguer les crimes contre l’humanité, seuls à ce jour à demeurer imprescriptibles. Avec tout le respect dû aux victimes de ces atrocités, ne peut-on pas établir une analogie avec les violences sexuelles sur les enfants ? Ces enfants devenus adultes n’ont-ils pas le droit, aussi, d’être reconnus comme victimes plusieurs années après les faits ?
Je comprends les arguments expliquant que les preuves seront difficiles à apporter et que cela sera peut-être vécu comme une double peine par les victimes. Mais laissons-leur au moins la possibilité d’engager les poursuites !
Aujourd’hui, 16 % des femmes et 5 % des hommes déclarent avoir subi des viols ou tentatives de viols au cours de leur vie. Les chiffres sont de plus en plus terrifiants et, si les violences subies pendant l’enfance meurtrissent, les violences sexuelles détruisent plus encore. La victime est surexposée à d’autres violences et elle peut développer des comportements à risque contre elle-même et contre la société. Si la victime n’est pas réparée, elle peut souffrir de ce continuum de violence tout au long de sa vie.
Vous l’aurez compris, je suis favorable à l’imprescriptibilité de ces crimes. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.
M. Guillaume Chevrollier. Je remercie mes collègues qui ont travaillé sur ce projet de loi, en lien avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres et la femme blessée dans son corps en fait partie.
Les violences faites aux femmes touchent aux droits fondamentaux que sont l’égalité et la dignité. Elles doivent faire l’objet d’une attention particulière, aussi bien dans la prise en charge des victimes que sur le plan de la prévention et de la répression de ces actes.
Le législateur doit garder en ligne de mire que son seul objectif est de protéger les femmes et les enfants de toutes les violences sexuelles.
Le Sénat – je m’en réjouis – a fait évoluer le projet de loi, de telle sorte que soit notamment ajouté un volet relatif à la prévention des violences sexuelles et sexistes et à l’accompagnement des victimes.
Il a aussi entendu réprimer plus efficacement les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, notamment en allongeant le délai de prescription à trente ans à compter de la majorité de la victime et en affirmant le caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles qu’ils subissent.
Ces mesures vont dans le bon sens.
Enfin, comme l’ont fait un certain nombre de collègues, j’attire votre attention sur le problème majeur de l’éducation, aussi bien celle des hommes que celle des femmes. C’est aussi ce combat qu’il faudra mener ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12 rectifié ter, présenté par Mmes Meunier et Préville, MM. Jeansannetas, Vaugrenard et Bérit-Débat, Mme Conway-Mouret, MM. Tissot, Lalande, Roger et Iacovelli, Mme Jasmin, MM. Courteau, Duran et Mazuir, Mme Ghali, MM. Antiste et Daudigny, Mmes Tocqueville, Van Heghe et Guillemot, MM. P. Joly et Madrelle, Mme Monier, M. Manable, Mme Grelet-Certenais, M. J. Bigot et Mme Perol-Dumont, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers
par les mots :
est imprescriptible
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Je considère que cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 68 rectifié, présenté par MM. Poadja et Canevet et Mmes Guidez, Vullien, Goy-Chavent et Tetuanui, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
ou à compter du jour où un syndrome d’amnésie post-traumatique est médicalement constaté
La parole est à M. Gérard Poadja.
M. Gérard Poadja. D’après un rapport de 2015 intitulé Impacts des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, près de 37 % des victimes de ces crimes peuvent développer une situation d’amnésie post-traumatique. Cette situation remet en cause la capacité effective de ces victimes à déposer plainte dans les délais de prescription définis par la loi.
C’est pour cette raison que je propose à notre Haute Assemblée de reporter le point de départ du délai de prescription en cas de constat par un médecin de l’existence d’une amnésie post-traumatique.
Madame la secrétaire d’État, le 15 mai 2018, vous répondiez à mon collègue député Philippe Dunoyer qu’un tel amendement reviendrait à inscrire dans le code pénal une prescription indéterminée. Il n’en est rien !
Cet amendement reviendrait à inscrire dans le code pénal un délai de prescription de trente ans, qui serait effectif à partir de la majorité des victimes ou à la date du constat d’une situation d’amnésie post-traumatique. Comme Philippe Dunoyer vous l’avait indiqué, il est parfaitement raisonnable de penser que, en l’état actuel des connaissances scientifiques, nous pouvons inscrire cette disposition dans la loi.
Mme la présidente. L’amendement n° 84 rectifié quater, présenté par MM. Buffet, Cambon, Charon, Daubresse et Duplomb, Mmes Eustache-Brinio, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Sol, Chaize, Grosdidier, H. Leroy, Rapin et J.M. Boyer, Mme Morhet-Richaud, MM. Panunzi, Huré, Houpert, Bizet, Mayet, Mouiller, Milon, Paccaud et Bonhomme, Mme Micouleau, MM. Lefèvre et Sido, Mme Gruny, M. Joyandet, Mme F. Gerbaud, MM. Laménie et Savary, Mme Lopez, MM. B. Fournier et Pierre, Mme Lanfranchi Dorgal, M. Pellevat, Mmes Garriaud-Maylam et Delmont-Koropoulis et MM. Revet, Cuypers et Savin, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, est imprescriptible.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Le sujet de la prescription est évidemment sensible. Le texte qui nous est soumis prévoit de la porter de vingt à trente ans. De son côté, l’amendement que je présente souhaite fixer une imprescriptibilité.
Certains nous opposent l’incapacité de pouvoir apporter des preuves, le moment venu. D’autres nous disent que le droit à l’oubli est nécessaire et qu’il existe un problème constitutionnel, seuls les crimes contre l’humanité pouvant bénéficier de l’imprescriptibilité.
Le crime sexuel commis à l’encontre des mineurs est d’une nature très différente du crime de sang, pour lequel la présence d’une victime permet d’engager les procédures pénales et les moyens scientifiques nécessaires.
Dans le cas du crime sexuel commis à l’encontre des mineurs, c’est le temps qui est le principal ennemi : la victime est souvent dans l’incapacité de révéler rapidement les faits et il faut souvent attendre que sa situation soit stabilisée pour qu’elle puisse enfin parler et que les procédures puissent être engagées.
Je rappelle que le crime contre l’humanité a été créé, en particulier, parce que l’on craignait de ne plus avoir les preuves des abominations commises pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est bien cette difficulté majeure, qui a abouti à la création de cette incrimination.
La violence sexuelle sur mineur est un crime qui provoque des dégâts énormes dans le cerveau des victimes, marquées à vie, en particulier parce que cela touche à l’intime le plus profond.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. François-Noël Buffet. Les scientifiques vous le diront ! Je n’en suis pas un, mais nous le savons bien !
Or on ne connaît pas le moment où les victimes pourront révéler l’horreur qu’elles ont subie. Il faut donc leur laisser le temps de pouvoir le faire.
Si l’on se place du côté de la protection des victimes, en particulier mineures, l’imprescriptibilité s’impose. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 127, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
II bis. – L’article 9-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les crimes commis sur des mineurs prévus par l’avant-dernier alinéa de l’article 7, la prescription est également interrompue en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs. »
II ter. – L’article 706-47 du même code est ainsi modifié :
1° Au 1°, les mots : « , précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, » sont supprimés ;
2° Le 2° est complété par les mots : « et crimes de violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente prévu par l’article 222-10 du même code ».
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même si je ne partage pas toujours les conséquences juridiques des propos qui viennent d’être tenus, ils montrent très clairement l’importance du sujet dont nous débattons maintenant.
L’amendement que le Gouvernement vient de déposer a pour objet de reporter le point de départ du délai de prescription dans certaines circonstances.
Il améliore, de façon très sensible, l’efficacité des dispositions de l’article 1er du projet de loi, qui porte de vingt à trente ans la prescription des crimes commis sur les mineurs, en permettant, dans certains cas, un allongement très significatif de cette prescription.
Il prend en compte la situation des personnes qui commettent des crimes de façon répétée sur les mineurs. Il prévoit que la commission d’un nouveau crime intervenant avant la prescription d’un autre, qui le précède, interrompra la prescription, qui recommencera donc à courir pendant un nouveau délai de trente ans.
Cela permettra de poursuivre et de condamner la personne pour l’ensemble de ses crimes, pas seulement pour les derniers commis. Il ne s’agit donc pas d’une imprescriptibilité ; vous le savez, nous estimons qu’une telle mesure serait inconstitutionnelle.
J’ajoute que cet amendement ne revient pas à rouvrir des prescriptions déjà acquises. C’est ce qui fait que l’amendement que nous vous proposons ne soulève, du point de vue du Gouvernement, aucun problème de nature constitutionnelle.
Par ailleurs, cet amendement étend la prescription de trente ans aux crimes de violences sur mineur ayant entraîné une mutilation. Cela permet notamment d’incriminer, et donc de réprimer, l’excision. Cette prescription est également étendue aux crimes de meurtre ou d’assassinat commis sur un mineur.
Toutefois, dans un souci de cohérence et de lisibilité de notre droit, ces ajouts ne sont pas insérés à l’article 7 du code de procédure pénale, comme le proposait l’Assemblée nationale, mais dans l’article 706-47 qui vise toutes les infractions sexuelles et auquel renvoie cet article.
Je crois que cet amendement répond à des objectifs qui sont partagés par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, ainsi que, je le crois, par le Sénat. C’est pourquoi j’espère qu’il fera l’objet d’un large consensus.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 138 rectifié, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 127, alinéas 3 et 4
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
II bis. – L’article 9–2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
a) Après le 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les crimes mentionnés à l’avant-dernier alinéa de l’article 7, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, le délai de prescription est également interrompu en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs. » ;
b) À l’avant-dernier alinéa, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « ou tout fait mentionné à l’alinéa précédent » ;
c) Au dernier alinéa, après le mot « article », sont insérés les mots : « , à l’exception des dispositions prévues par le sixième alinéa, ».
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ce sous-amendement permet de clarifier la rédaction de l’amendement du Gouvernement et de lever toute ambiguïté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Les mesures proposées par les amendements nos 12 rectifié ter, 68 rectifié et 84 rectifié quater ont déjà été rejetées à de nombreuses reprises par le Sénat. Elles posent en effet de nombreuses difficultés. Nous avons eu des débats nourris, sincères, profonds, et le sujet en vaut évidemment la peine.
Pourquoi seuls les crimes contre l’humanité sont-ils imprescriptibles ? Parce que le nombre massif de victimes et l’ampleur des actes réprimés permettent facilement, même des dizaines d’années après les faits, de procéder à des condamnations sans erreur possible, ce qui est très important.
Cela n’est pas le cas pour les crimes sexuels commis contre les mineurs, aussi horribles soient-ils. Par nature, il n’y a pas suffisamment de preuves dans un cas individuel pour condamner, cinquante ans après les faits, un acte sexuel, qu’il soit ou non commis sur un mineur. Quelles réponses et preuves imagine-t-on recueillir cinquante ans après la commission des faits ? De plus, même si des preuves pouvaient être réunies, comment l’accusé pourrait-il se défendre ? Quel alibi pourrait-il évoquer ?
La prescription a pour objectif d’empêcher les erreurs judiciaires, en interdisant que des procès ne se tiennent dans des conditions empêchant le bon exercice des droits de la défense. Même le plus odieux des criminels doit pouvoir se défendre, ce qui n’empêche en rien son éventuelle condamnation.
Surtout, même si la personne est déclarée coupable, quel est le sens donné à la condamnation plus de cinquante ou soixante ans après les faits ? Au mieux, il y aura une dispense de peine, ce qui sera encore plus difficile à supporter pour la victime. (Mme Laurence Rossignol proteste.)
Enfin, je rappelle que, depuis une décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a souligné qu’« aucun principe de valeur constitutionnelle n’interdit l’imprescriptibilité pour les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale », ce qui semble réserver l’imprescriptibilité aux seuls crimes graves affectant l’ensemble de la communauté internationale.
De surcroît, il serait contraire au principe d’égalité devant la loi pénale de prévoir l’imprescriptibilité pour certains crimes de droit commun, tout en continuant à prévoir un régime de prescription pour d’autres délits encourant les mêmes peines. On ne pourra envisager l’imprescriptibilité des crimes sexuels que le jour où la France renoncera à l’idée de prescription pour toutes ces infractions. Or il semble que la prescription ait, encore aujourd’hui, toute sa pertinence, notamment pour éviter des erreurs judiciaires et des mises en cause tardives.
Vous l’aurez compris, la commission est défavorable aux amendements nos 12 rectifié ter, 68 rectifié et 84 rectifié quater. En revanche, elle est favorable à l’amendement n° 127 du Gouvernement, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 138 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable aux amendements nos 12 rectifié ter, 68 rectifié et 84 rectifié quater.
Il est favorable au sous-amendement n° 138 rectifié présenté par Mme la rapporteur, que je remercie pour son travail constructif.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la présidente, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, je demande la priorité de vote de l’amendement n° 127 du Gouvernement, ainsi que du sous-amendement n° 138 rectifié de la commission des lois.
Mme la présidente. Je rappelle qu’aux termes de l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la priorité est de droit quand elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?
Mme la présidente. La priorité est ordonnée.
En conséquence, le sous-amendement n° 138 rectifié et l’amendement n° 127 seront mis aux voix avant les autres amendements en discussion commune.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. En tant qu’historienne, je suis choquée par l’imprescriptibilité. Il serait tout de même extraordinaire d’arrêter de graduer les événements selon leur gravité. Il ne faut pas tout confondre, car cela nuirait à la nécessaire pédagogie.
Je ne veux pas vous contredire, monsieur Buffet, mais l’imprescriptibilité n’a pas été créée pour la raison que vous évoquez et on ne peut pas mettre sur le même plan un viol et un crime contre l’humanité, qui constituent tous deux, il est vrai, des crimes extrêmement graves.
En étendant l’imprescriptibilité, vous nous empêcherez d’appréhender correctement les événements historiques. Je ne comprends vraiment pas comment l’on peut proposer une telle mesure. (M. Max Brisson applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Être violé lorsque l’on est enfant est d’une violence inouïe. C’est un arrachement brutal d’une partie de soi. C’est ensuite la sidération dans un mélange de dégoût, de honte, de faute et de peur. C’est l’absence à soi-même qui s’installe sans l’avoir commandée, un effacement, comme un instinct de survie.
Un enfant violé ne parle pas, il ne le peut pas, il est empêché, parce que l’infamie vient d’un adulte, souvent d’un proche. Pour l’enfant, c’est la nausée, née du trouble et de l’outrage ultime.
L’enfant, s’il est très jeune, ne pleure même pas, il n’est nul besoin de lui faire peur, il ne parlera pas, il n’a pas les mots, il ne sait pas dire. D’ailleurs, où, quand et à qui parlerait-il ? Puis, le mécanisme d’oubli se met en place, consciemment ou non.
Comme je l’ai dit, l’enfant est amputé à jamais. Sa vie ne sera pas ce qu’elle aurait dû être. À l’extérieur, tout a souvent l’air normal, avec peut-être une fêlure dans le regard. À l’intérieur, on sait maintenant, cela est scientifiquement prouvé, qu’il y a des lésions irréversibles sur le cerveau, qui engendrent, avec l’âge, des maladies dégénératives.
Bref, l’enfant violé l’est pour toujours ! Dès le début, l’enfant a appris à vivre avec et met en place des stratégies d’évitement, de déni, de refoulement. C’est la réponse irrationnelle au choc initial, et cela tout au long de sa vie.
Comment survivre, sinon ? Parler est si difficile, il y a quelque chose de honteux à le dire, à l’évoquer, à ce que les autres vont imaginer. C’est vous dans des images choquantes et c’est terriblement gênant.
Si les parents ne sont pas les violeurs, c’est comme une barrière infranchissable. Comment le leur dire ? Alors on attend, on oublie. Et puis cela revient toujours et encore et, à la faveur d’événements particuliers, déclencheurs, on commence à s’exprimer et à parler.
Alors oui, il faut du temps, beaucoup de temps parfois. Laissons à toutes celles et tous ceux qui, enfants, furent victimes de violences sexuelles le temps de se sentir prêts à porter plainte, parce que c’est justice ! Nous nous devons de permettre cela.
Notre société si civilisée se doit de protéger les enfants, en envoyant un signal fort : les pervers – il s’agit bien de cela, n’est-ce pas ? – doivent pouvoir être poursuivis sans limite de temps grâce à l’imprescriptibilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. L’histoire a son poids, elle a été, un moment, suivie par le droit, mais le temps passe et les sociétés évoluent. Le droit n’est pas une fin, il n’est qu’un moyen.
Nous devons utiliser le droit pour protéger et l’imprescriptibilité protège les plus faibles d’entre nous, ceux qui sont touchés de la manière la plus violente qui puisse exister. C’est la raison pour laquelle je défends ce principe.
Madame la garde des sceaux, je ne partage pas votre point de vue. Votre amendement porte en lui l’imprescriptibilité. Vous avez présenté son mécanisme : la répétition d’une infraction permettra de lever la prescription éventuelle du premier crime commis. Qu’est-ce d’autre que de l’imprescriptibilité ?
Le problème, madame la garde des sceaux, c’est que vous laissez de côté, sur le bord de la route, la personne qui aura été victime une seule fois. La victime de ce qui reste une abomination n’aura pas droit à l’imprescriptibilité que vous mettez en place ! C’est en cela que votre amendement introduit une complexité.
Les avancées que vous proposez sont plutôt positives et je les comprends. Mais, sous cet angle, vous venez à l’imprescriptibilité en oubliant une victime, celle qui n’aura peut-être pas eu la « chance » – et ce terme est évidemment à mettre entre guillemets – d’avoir été violée par un criminel en série !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Voilà environ dix-huit mois, le Parlement a élaboré la proposition de loi dite Fenech-Tourret, qui, devenue la loi portant réforme de la prescription en matière pénale, a accru les délais de prescription.
La question de l’imprescriptibilité ou de l’allongement du délai de prescription des viols sur mineurs était sous-jacente, mais le débat n’a jamais été mené à son terme, ce qui explique notre discussion de ce jour. Les oppositions à l’allongement des délais de prescription étaient tellement vigoureuses et solides qu’elles ont, à l’époque, contraint les associations de victimes à attendre une meilleure occasion.
Quand nous avons lancé la mission présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes, nous étions face à deux positions figées : ne rien toucher ou choisir l’imprescriptibilité.
Cette mission de consensus, qui a bien mérité ce nom, a proposé un allongement de dix ans du délai de prescription des viols sur mineurs. C’est la position que je soutiendrai aujourd’hui. Pour autant, cela ne règle pas la question de l’imprescriptibilité, qui reste posée.
À ce titre, je voudrais dire à ma collègue Esther Benbassa que, si l’argument de l’histoire est un argument fort, je ne crois pas, et ce même si je n’entends pas la voter, que l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs dégraderait en aucune façon les crimes contre l’humanité. L’histoire ne se juge pas qu’au montant des peines encourues pour chaque crime !
Monsieur le président de la commission, je ne suis pas certaine que, sur le plan psychologique, votre demande d’inverser les votes ait été une bonne décision… Nous ferons comme vous le souhaitez, mais ce débat doit avoir lieu et ceux qui veulent voter en faveur de l’imprescriptibilité devraient pouvoir le faire.
Le groupe socialiste et républicain votera l’amendement du Gouvernement – Marie-Pierre de la Gontrie s’exprimera dans un instant sur le sujet –, mais certains d’entre nous voteront l’imprescriptibilité et d’autres, comme moi, s’abstiendront.