M. Alain Fouché. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 133, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 11, 13 à 21, 29 et 32
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement s’inscrit dans le débat que nous venons d’entamer. M. le président de la commission l’a parfaitement exprimé : le dispositif proposé par le Gouvernement aggrave considérablement le déséquilibre entre les droits donnés à ceux qui s’organisent pour poursuivre les infractions et les libertés de chacun. Ce n’est pas très surprenant, madame la ministre, puisque votre réforme poursuit la politique pénale engagée depuis la fin de l’état d’urgence, politique consistant à intégrer dans le droit commun des dispositions jusqu’à présent réservées à ce régime d’exception.
Le président Bas l’a rappelé, on peut douter de la capacité des juges des libertés et de la détention d’exercer un contrôle réel. Nous ne saurions donc nous satisfaire de leur intervention, car elle ne peut être considérée comme totalement suffisante.
Les interceptions, les enregistrements, la géolocalisation sont des atteintes à la vie privée et constituent un niveau d’ingérence important. Or, madame la garde des sceaux, le principe de juste proportionnalité entre le but visé et la garantie des droits et des libertés doit évidemment tous nous guider.
La commission des lois a certes apporté d’importantes améliorations, mais celles-ci ne vont pas assez loin. Elle n’a pas remis en cause, notamment, l’extension du recours à certaines mesures d’investigation spéciales pour des motifs, évoqués précédemment, de simplification de seuil. Elle a validé le champ d’application de la géolocalisation, qui a été étendu de manière très importante, puisque le seuil d’emprisonnement retenu est extrêmement bas et couvrira, de fait, la quasi-intégralité des délits. Enfin, cette réforme conduit à banaliser un grand nombre de process et de techniques d’enquête.
Même si nous prenons acte des améliorations apportées par la commission, nous défendons cet amendement complémentaire, qui vise à supprimer un grand nombre de dispositions paraissant poser un sérieux problème puisqu’elles remettent en cause la proportionnalité que vous avez certainement à cœur de maintenir, madame la garde des sceaux, entre le but visé et la garantie des droits.
M. le président. L’amendement n° 231, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trois
II. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, l’autorisation mentionnée au présent article peut être délivrée par le procureur de la République. Cette autorisation doit être confirmée par le juge des libertés et de la détention dans un délai maximal de vingt-quatre heures. À défaut, il est mis fin à l’opération, les données ou correspondances recueillies sont placées sous scellés fermés et elles ne peuvent pas être exploitées ou utilisées dans la procédure. »
III. – Alinéas 25, 26, 27, 30 et 31
Supprimer ces alinéas.
IV. – Alinéa 33
Rétablir le VII dans la rédaction suivante :
VII. – À l’article 67 bis-2 du code des douanes, les mots : « cinq ans » sont remplacés par les mots : « trois ans ».
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je présenterai mon amendement et je répondrai ensuite aux propos que je viens d’entendre. Ces derniers appellent en effet un certain nombre de réactions, même si je respecte pleinement le souci du Sénat, forte de la conviction que nous partageons le même objectif.
L’article 27 relatif aux interceptions téléphoniques et à la géolocalisation a été profondément modifié par la commission des lois.
Certaines modifications sont tout à fait légitimes, notamment l’exigence d’une décision motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que les opérations sont nécessaires.
En revanche, il convient de maintenir le seuil de peine encourue de trois ans pour les interceptions de communication réalisées lors d’une enquête de flagrance ou préliminaire, à la place de celui de cinq ans retenu par la commission. En effet, ces écoutes doivent pouvoir être réalisées lors d’enquêtes menées pour des infractions telles que la soustraction d’un mineur par un parent, des vols ou des abus de confiance portant sur des sommes très importantes, sans qu’il soit comme actuellement nécessaire d’ouvrir une information qui inutilement encombrera les cabinets des juges d’instruction.
En outre, les garanties prévues lors de l’enquête sont équivalentes – je le répète – à celles de l’instruction dès lors que ces écoutes seront, dans les deux cas, autorisées par un magistrat du siège dont les fonctions sont spécialisées.
Il convient également de rétablir la possibilité en cas d’urgence de mettre en place des interceptions sur la seule autorisation du procureur de la République, validée a posteriori dans les vingt-quatre heures par le juge des libertés et de la détention. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles il y a urgence à mettre un suspect sur écoute, notamment pour retrouver une victime enlevée. Dès lors, exiger l’intervention successive du parquet, alerté par les enquêteurs, puis du juge des libertés et de la détention, pour obtenir une autorisation, peut faire perdre des minutes précieuses.
Il convient enfin de supprimer les complexifications introduites par la commission des lois par rapport au droit actuel en matière de géolocalisation. Ces complexifications tendent, d’une part, à réduire la durée de la mesure autorisée par le juge des libertés et de la détention et, d’autre part, à doubler pour la poursuite d’une géolocalisation en urgence l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction d’une autorisation du juge des libertés et de la détention.
Ces modifications, qui compliqueraient les investigations, ne sont en effet nullement justifiées.
Pour répondre d’un mot au président Bas, qui a souligné que le Sénat avait adopté la loi de juillet 2015 relative au renseignement, ce texte, bien sûr, a provoqué un choc, puisqu’il constituait une forme de réponse aux actes terroristes. Il s’inscrivait dans cette problématique. Il a d’ailleurs été validé quasiment dans son intégralité par le Conseil constitutionnel.
Or il ne s’agit pas ici de faire référence à des techniques qui seraient exclusivement utilisées pour des questions liées au terrorisme, mais il s’agit d’employer des techniques déjà utilisées pour des infractions de droit commun et pour lutter contre la délinquance ordinaire. Nous ne créons donc rien de nouveau. Nous voulons juste reprendre ces techniques, harmoniser leurs conditions d’utilisation et clarifier les seuils pour tous, tout en instaurant les garanties nécessaires.
Il ne s’agit par conséquent en aucun cas de reprendre des techniques qui seraient exclusivement utilisées pour le terrorisme et de s’en servir pour la délinquance ordinaire. Il s’agit, je le répète, d’harmoniser des techniques déjà utilisées pour la délinquance ordinaire.
Par ailleurs, j’ai été étonnée, voire choquée, des propos de M. Bas – je le dis avec tout le respect et l’estime que j’ai pour lui –, qui a évoqué l’absence de contrôle utile du JLD, le juge des libertés et de la détention. Comment peut-on affirmer cela, alors que le JLD, et ce depuis la loi J21, ou loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, de 2016, est un juge statutaire exclusivement spécialisé sur les fonctions de contrôle de la liberté et de la détention ? Il a le temps d’opérer les vérifications nécessaires et il dispose de tous les moyens de contrôle. Comment peut-on dire qu’il s’agit d’un contrôle purement formel et qu’il ne saurait être utile ?
De la même manière, comment peut-on affirmer qu’il n’existe pas de garantie formelle, alors même que, au-delà du JLD, le contrôle du procureur sur les enquêteurs et sur leurs demandes de placement de suspects sous écoute est une autre garantie ? Je rappelle que le procureur dirige la police judiciaire. Comment peut-on dire qu’il n’y a pas de garantie, alors que l’article 39-3 du code de procédure pénale précise clairement que le procureur enquête « à charge et à décharge » ?
Il est un peu facile d’affirmer que les contrôles sont formels et que les garanties n’existent pas, alors que nos textes visent précisément à faire du JLD et du procureur des magistrats à part entière exerçant pleinement leurs compétences !
Ma dernière observation s’attachera aux victimes. Il est important, en effet, que nous nous en préoccupions, car beaucoup d’affaires ont été résolues grâce à ces techniques utilisées dans le cadre de crimes de droit commun, souvent très graves, qu’il s’agisse de meurtres, de viols ou plus simplement de faits de délinquance quotidienne : cambriolages, escroqueries, etc.
Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je mets un peu de passion à expliquer que nous avons construit un texte volontairement et sciemment équilibré !
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les données ou correspondances recueillies ne peuvent être produites devant le juge des libertés et de la détention pour justifier rétroactivement de l’intérêt de cette mesure. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article étend le recours à la géolocalisation et aux interceptions, par la voie des communications électroniques, aux enquêtes préliminaires et de flagrance sur les crimes et délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, comme cela se pratique déjà en matière de criminalité et de délinquance organisées.
Cette mesure est une véritable atteinte au principe d’échelle des peines : si l’on passe au seuil de trois ans, de nombreux délits vont entrer sous le coup de ces dispositions, qui ne relevaient auparavant que de mesures d’exception destinées au crime. Le parquet pourrait demander des perquisitions et des écoutes téléphoniques pour des méfaits qui ne donnaient pas lieu jusque-là à de telles procédures.
Nous ne pouvons accepter la banalisation de mesures spéciales qui viennent régulièrement s’incorporer, ces dernières années, au droit commun.
Cette intégration dans le droit général est d’autant plus inquiétante qu’elle aboutit à une atteinte d’une exceptionnelle gravité aux libertés fondamentales. Nous nous devons de dénoncer les dangers liés à l’utilisation massive et sans garde-fous des dispositifs relevant des renseignements.
Le présent amendement tend donc à encadrer cette pratique en incorporant dans l’article 27 le fait que le matériel collecté – écoutes, données de géolocalisation, etc. – ne pourra être produit devant le juge des libertés et de la détention pour justifier rétroactivement de l’intérêt de cette mesure. Si ce procédé est utilisé, il doit être limité à un intérêt préalable à son recours.
M. le président. L’amendement n° 342, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
cinq
La parole est à M. le corapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 133, 231 et 27.
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Cet amendement de cohérence vise à harmoniser le seuil retenu pour recourir aux interceptions judiciaires entre les enquêtes de flagrance et les enquêtes préliminaires. Il s’agit de faire passer ce seuil de trois à cinq ans.
L’amendement n° 133, de suppression, est contraire à la position de la commission, qui a réécrit de manière substantielle le présent article, afin d’y inscrire les garanties nécessaires. Le seuil de trois ans ne nous semble pas adapté pour les interceptions judiciaires. En revanche, le recours à la géolocalisation est déjà permis pour certaines infractions punies de trois ans de prison ; il nous semble difficile de revenir sur cet acquis des forces de l’ordre. Afin de renforcer l’objectif de simplification des seuils, j’ai présenté l’amendement n° 342. C’est pourquoi la commission demande le retrait de l’amendement n° 133. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 231 du Gouvernement, la commission y est évidemment défavorable, cet amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi. Nous ne partageons pas la vision du Gouvernement ; les garanties des droits et libertés individuelles ne peuvent faire l’objet de complexifications. Il paraît difficile d’exiger, en cas d’urgence, une autorisation postérieure par le JLD pour l’utilisation de certaines techniques d’enquête. Cela pose en effet une difficulté. Ce qui n’était pas nécessaire pour le terrorisme le serait désormais pour des délits de droit commun punis d’une peine égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement, soit la quasi-totalité des délits de droit commun !
Il ne semble pas raisonnable non plus de confier de telles techniques d’enquête au parquet, qui ne présente pas des garanties similaires à celles des juges du siège. Peut-on imaginer de prendre des mesures très attentatoires aux libertés sans aucun contrôle a priori d’un juge du siège ?
Certes, un contrôle a posteriori par un JLD n’est pas une garantie effective. Nous avons reçu des juges des libertés et de la détention. Quant aux propos qu’a tenus le président Bas sur le caractère effectif du contrôle, il ne les a pas inventés. Le fait qu’il s’agisse de magistrats statutaires ne leur donne pas davantage de moyens ni de capacités pour contrôler. Eux-mêmes disent ne pas avoir toujours les moyens de procéder à un contrôle approfondi.
Il importe donc de prévoir le contrôle a priori et non une fois l’interception réalisée. C’est la raison pour laquelle la commission, pour préserver les améliorations qu’elle a introduites dans ce texte, a émis un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 27, la commission y est également défavorable. Il vise en effet à interdire la validation rétroactive d’interceptions, au regard des données collectées. S’il aurait pu présenter une garantie intéressante au texte du Gouvernement, cet amendement ne semble pas correspondre au texte de la commission, qui a supprimé toute possibilité de confirmation rétroactive par le juge des libertés et de la détention. Dans ce dernier texte, toute interception judiciaire doit être autorisée préalablement soit par un juge des libertés et de la détention, soit par un juge d’instruction.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 133, 27 et 342 ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, nous ne pourrons pas voter votre amendement. Je ferai une observation sur ce que vous avez dit à propos du juge des libertés et de la détention. Certes, il s’agit aujourd’hui statutairement d’un magistrat directement nommé ; la programmation que vous présentez permettra sans doute d’aller plus loin. Les juges des libertés et de la détention sont souvent affectés à d’autres occupations que les leurs dans le tribunal pour pallier un manque de moyens. Je n’en connais aucun qui ait un cabinet, un greffe, etc.
Nous ne sommes donc pas parvenus au point d’équilibre attendu, avec un procureur chargé de l’enquête et doté de plus en plus de pouvoirs, et un juge des libertés et de la détention chargé d’effectuer les contrôles. Le risque, très clairement, est que le juge des libertés et de la détention ne soit amené à suivre son collègue magistrat du parquet qui n’est pour l’instant pas complètement indépendant. Bref, je crois que vous devriez faire preuve de davantage de prudence dans vos affirmations.
En l’état, nous aimerions que l’amendement présenté par Marie-Pierre de la Gontrie soit adopté, auquel cas nous pourrions voter l’article 27 dans cette rédaction. À défaut, nous nous abstiendrons sur cet article, tout en soulignant les efforts réalisés par la commission.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ayant été rapporteur de projets de loi, par le passé, qui portaient sur le terrorisme, je me souviens que nous avons accru très sensiblement les moyens intrusifs qui ont été donnés à la puissance publique dans différents domaines, afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme.
Nous avons essuyé des critiques, nous avons été accusés d’être liberticides, mais nous avons soutenu la position qui consistait à aller de l’avant, parce que le terrorisme est la pire des choses : c’est l’atteinte à la liberté la plus fondamentale.
Néanmoins, comme l’ont souligné mes collègues, l’élargissement proposé est trop important, madame le garde des sceaux. À juste titre, M. le rapporteur a rappelé que les juges des libertés et de la détention que nous avons rencontrés disent eux-mêmes qu’ils n’auront pas la capacité de procéder aux vérifications et aux contrôles nécessaires.
Il est clair que le seuil retenu de trois ans d’emprisonnement, alors que la commission a proposé cinq ans, se traduira par une très forte extension du périmètre puisqu’il inclura la presque totalité des délits de droit commun, à l’exception des infractions routières, des dégradations légères et des délits d’outrage et de rébellion…
Il convient d’être prudent pour ce qui est de l’accès aux interceptions, enregistrements, transcriptions de correspondances émises par voie électronique, ainsi que pour ce qui est de la géolocalisation. Madame le garde des sceaux, les juges du parquet sont des magistrats indépendants. Nous le croyons, mais nous attendons les preuves qui devraient venir du projet de réforme constitutionnelle. Vous savez que certains parmi nous pensent que l’on peut aller plus loin et couper le lien qui existe entre le pouvoir exécutif et toute nomination de procureur. C’est une position partagée par un certain nombre de personnes qui œuvrent dans le domaine de la justice. Nous voulons être très prudents sur ce sujet, car nous sommes très attachés aux libertés publiques.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je veux ajouter quelques mots sur le juge des libertés et de la détention. Si, en 2016, le législateur a donné à ce juge une fonction statutaire – accompagnée des garanties associées –, c’est aussi parce que ce dernier est de plus en plus sollicité par les nombreux textes législatifs. Ses compétences s’accroissent. Il est donc apparu absolument nécessaire de garantir totalement son statut.
Cela n’exclut pas, bien sûr, qu’ici ou là il puisse prêter son concours à telle ou telle autre fonction ; mais il le fait volontairement et il ne peut en aucun cas être « déplacé » par le président de juridiction. Ces garanties statutaires font du JLD un magistrat réellement capable d’effectuer un contrôle effectif. Je m’étonne donc de ce qui vous a été dit.
M. le président. La parole est à M. le corapporteur.
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Il ne s’agit naturellement pas de remettre en cause le rôle du juge des libertés et de la détention. Bien sûr, sa fonction statutaire lui garantit cette liberté et cette indépendance dont il a besoin. Nous n’avons aucun doute à ce sujet. Néanmoins, ces juges sont de plus en plus sollicités, comme ils nous le disent eux-mêmes. Il n’y a pas un texte de loi qui ne renvoie au JLD ! C’est très bien en soi, mais comment pourront-ils continuer à assurer les missions qui sont les leurs dans de bonnes conditions ? Un des enjeux est donc de donner aux JLD les moyens matériels, mais surtout pratiques, dont ils ont besoin.
M. le président. Je mets aux voix l’article 27, modifié.
(L’article 27 est adopté.)
Article 28
I. – Le titre IV du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« De l’enquête sous pseudonyme
« Art. 230-46. – Aux seules fins de constater les crimes et les délits punis d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement commis par un moyen de communication électronique, et lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient, les officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire, peuvent, s’ils sont affectés dans un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin dans des conditions précisées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre de l’intérieur, procéder sous pseudonyme aux actes suivants sans en être pénalement responsables :
« 1° Participer à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
« 2° Extraire ou conserver par ce moyen les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve ;
« 3° Après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits, acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicites, ou transmettre en réponse à une demande expresse des contenus illicites.
« À peine de nullité, l’autorisation prévue au 3° est écrite et motivée.
« À peine de nullité, les actes mentionnés au présent article ne peuvent constituer une provocation ou une incitation à commettre une infraction et ne peuvent recourir à des procédés frauduleux ou à des stratagèmes de nature à déterminer des agissements délictueux.
« Les actes mentionnés au présent article s’effectuent sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction. »
II. – Aux deuxième et dernier alinéas de l’article 706-72 du code de procédure pénale, la référence : « 706-87-1 » est remplacée par la référence : « 706-87 ».
III. – Sont abrogés :
1° Les articles 706-2-2, 706-2-3, 706-35-1 et 706-47-3 du code de procédure pénale ;
2° La section 2 bis du chapitre II du titre XXV du livre IV du même code.
M. le président. L’amendement n° 28 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 28 étend le recours à l’enquête sous pseudonyme, ou « cyber-infiltration ».
Ce dispositif existe déjà dans le droit pénal français, mais est pour le moment limité à un usage destiné aux enquêtes en matière de criminalité et de délinquance organisées, soit pour des méfaits extrêmement graves classant cette mesure dans le régime d’exception.
L’article initial du projet de loi était excessif, visant à généraliser cette mesure à toutes les enquêtes liées à un délit ou à un crime entraînant une peine d’emprisonnement. Cette extension paraissait dangereuse en ce sens qu’elle mettait fin au monopole de l’emploi de cette disposition par des services spécialisés, alors même qu’une telle technique d’enquête, équivalente à l’infiltration, ne saurait être efficace que si elle est réalisée par des personnels formés à la spécificité de la cybercriminalité et plus singulièrement aux techniques d’infiltration numérique.
La commission des lois a assoupli le dispositif prévu par le texte en adoptant un amendement du corapporteur, ramenant l’extension de cette mesure aux infractions passibles d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement. Elle a également ajouté un contrôle accru des magistrats lorsqu’une enquête sous pseudonyme sera diligentée.
Mes chers collègues, nous notons évidemment les améliorations et apports venus modifier l’article 28. Nous réprouvons simplement le recours à ce type d’enquête, qui porte atteinte au principe de la loyauté de la preuve. Voilà pourquoi le présent amendement vise à supprimer l’article 28.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. L’amendement étant contraire à la position de la commission, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’amendement est également contraire à la position du Gouvernement, je m’en expliquerai dans un instant. L’avis est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° 232, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Supprimer les mots :
d’au moins trois ans
II. – Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’autorisation prévue au 3°, qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La procédure d’enquête sous pseudonyme consiste à autoriser les enquêteurs à communiquer sur internet avec des suspects, sans utiliser leur véritable identité.
Introduite en 2007 dans le but de constater des infractions de mise en péril des mineurs, notamment en lien avec la pédopornographie, la procédure d’enquête sous pseudonyme a, par la suite, été élargie à d’autres contentieux tels que ceux qui sont liés à l’environnement, à la santé publique, etc.
Il résulte des réformes successives plusieurs dispositions éparses dans le code de procédure pénale, dont la rédaction n’est pas harmonisée, ce qui nuit à la lisibilité et à l’efficacité du dispositif. C’est la raison pour laquelle je propose cet amendement qui vise à revenir sur plusieurs modifications introduites par la commission des lois.
Le Gouvernement souhaite en effet maintenir le principe selon lequel l’autorisation du magistrat pour acquérir ou transmettre des contenus ou produits illicites peut être donnée par tout moyen. Le fait de prévoir une décision écrite et motivée du magistrat nous semble alourdir inutilement la procédure et ne va pas dans le sens de la simplification, laquelle est, je le rappelle, l’un des objets principaux du projet de loi que je défends.
Par ailleurs, nous ne souhaitons pas restreindre la procédure d’enquête sous pseudonyme aux délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, pour les raisons suivantes.
Tout d’abord, l’extension que nous proposons à l’ensemble des délits punis d’une peine d’emprisonnement tire les conséquences du développement généralisé des services de communication au public en ligne, ainsi que de l’importance prise par ces services dans la vie économique de notre pays.
Ensuite, le critère de l’emprisonnement encouru proposé par le Gouvernement ne me semble pas manifestement disproportionné s’agissant d’une technique qui ne porte pas atteinte, contrairement aux autres techniques spéciales d’enquête – écoutes téléphoniques, géolocalisation, etc. –, au droit au respect de la vie privée, dès lors que les contenus mis sur internet l’ont été par les auteurs des infractions eux-mêmes.
Enfin, et surtout, la restriction aux seules infractions punies d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement proposée par la commission des lois constituerait, je le répète, un recul par rapport au droit actuel dans des affaires pour lesquelles cette procédure est aujourd’hui possible. Je pense, par exemple, aux affaires d’acquisition ou de consultation d’images pédopornographiques qui constituent un délit puni de deux ans d’emprisonnement.
La proposition de la commission nous obligerait à revenir en arrière. C’est la raison pour laquelle je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter le présent amendement.