M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
M. Jean-Marc Gabouty. Si la concession de soixante-dix ans pouvait paraître un peu longue – monsieur le ministre, nous ne serons certainement pas là pour en constater tous les effets –,…
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est probable ! (Sourires sur plusieurs travées.)
M. Jean-Marc Gabouty. … le Sénat s’est sans doute privé de pouvoir peser sur le texte final, car cette position ôte à la commission mixte paritaire toute possibilité d’aboutir à des conclusions.
M. Richard Yung. Tout à fait !
M. Jean-Marc Gabouty. La privatisation de La Française des jeux ayant été évacuée d’emblée par la commission spéciale, le Gouvernement devra se consoler avec la seule validation du retrait de l’État d’Engie. Tout cela est-il cohérent ? Je n’en suis pas certain.
Nous pouvons tout de même nous retrouver sur l’exonération du loto du patrimoine de tout prélèvement ou contribution, ce qui devrait réjouir tout le monde.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Sauf l’État…
M. Jean-Marc Gabouty. J’espère en tout cas que le Gouvernement acceptera cette disposition !
En ce qui concerne les chambres de métiers et de l’artisanat, l’acceptation d’une seule structure régionale a été obtenue à la suite d’un débat quelque peu confus, et je ne suis pas certain que le vote ait vraiment reflété la position de la majorité des sénateurs présents ce soir-là.
M. Jean-Claude Requier. Absolument !
M. Jean-Marc Gabouty. Toutefois, cette évolution, comme c’est le cas pour de nombreuses autres structures économiques, professionnelles, administratives, associatives, sportives ou culturelles, s’inscrit dans une tendance lourde de centralisation des pouvoirs et des moyens financiers à l’échelon de la région. C’est une conséquence de la loi NOTRe, même si le processus était déjà engagé auparavant.
C’est une voie qui va continuer d’affaiblir les territoires périphériques, notamment ruraux, sans nécessairement gagner en efficacité. À mon sens, c’est tout l’inverse d’une politique de décentralisation et de proximité.
Le troisième thème de ce texte, « Des entreprises plus justes », contient des mesures très positives concernant l’épargne salariale et l’actionnariat des salariés avec un apport significatif du Sénat.
Je ne ferai que regretter le rejet d’un amendement visant à élargir le champ d’application de l’intéressement obligatoire à toutes les entreprises de plus de dix salariés. Je suis persuadé qu’un jour cette mesure s’imposera d’elle-même, mais le Gouvernement et le Sénat se refusent pour l’instant à aller plus vite dans ce domaine, sachant pourtant que la méthode incitative n’aura que des effets limités sur le nombre de salariés bénéficiaires de ce dispositif. Je suis prêt à prendre le pari qu’une telle mesure sera prise dans les deux ou trois ans à venir.
Enfin, dernier point chaud, si je puis m’exprimer ainsi, le relèvement du seuil de 50 à 100 salariés. C’était une mesure emblématique, apparemment séduisante pour les entreprises et à laquelle je pourrais a priori souscrire.
Même si ce n’est qu’un affichage, dont les auteurs savent qu’il n’a que peu de chances d’être retenu à l’Assemblée nationale, cette disposition contient quelques effets pervers qui, me semble-t-il, ont été sous-estimés.
Cette mesure est finalement assez discutable, car elle se justifie moins du fait de la fusion des instances de représentation du personnel en une seule structure depuis les ordonnances Travail. En outre, elle risque de rendre plus difficile la définition de mesures spécifiques en faveur des petites entreprises et elle supprime la garantie pour tous les salariés des entreprises de 50 à 100 salariés de bénéficier de la participation ; c’est donc une régression en termes de partage des résultats. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont voté cette mesure ne souhaitent pas aujourd’hui que l’Assemblée nationale ne nous suive pas sur ce point…
Parmi mes regrets, je pourrais encore citer le report de 2020 à 2021 de l’application du relèvement des seuils du contrôle légal des comptes des sociétés. Cette décision n’est pas compréhensible pour les entreprises, mais il convient de reconnaître que la profession de commissaire aux comptes est bien organisée.
La majorité des membres du RDSE – groupe divers, qui respecte la liberté de vote de chacun – reste assez perplexe et estime que ce texte, qui n’a pas gagné en cohérence, montre tout à la fois un excès de conservatisme, de libéralisme et de frilosité. C’est pourquoi elle s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme je l’avais indiqué lors de la discussion générale, ce texte aurait gagné en cohérence, si son périmètre avait été mieux ajusté.
Pour autant, il faut reconnaître que le travail de la commission spéciale et de la Haute Assemblée l’a amélioré sur de nombreux points, même si, à titre personnel, je regrette que des sujets importants n’aient pas été suffisamment pris en compte ou écartés à tort – j’y reviendrai…
Indiscutablement, le point fort de ce texte porte sur la modification des seuils. Je souhaite que le Gouvernement et l’Assemblée nationale ne reviennent pas sur les décisions que nous avons prises, car elles représentent, à elles seules, la bouffée d’oxygène réglementaire qu’attendent nos entreprises. La France et les Français iraient mieux si l’économie et l’emploi étaient plus performants. Ces mesures n’ont pas de coût budgétaire pour le Gouvernement, mais elles peuvent changer l’état d’esprit et les résultats de nos entreprises. Nous en avons grand besoin !
S’agissant des chambres consulaires, même si nous y avons apporté des modifications, je regrette que le texte final ne donne pas plus d’importance à la liberté d’organisation et à la responsabilisation des acteurs de terrain. Toutes ces nouvelles organisations vont, finalement, amener les chambres à facturer leurs services pour compenser les ponctions opérées sur leurs budgets, alors même qu’il n’y a aucune baisse ni suppression des taxes qui les alimentaient. Les entreprises paieront donc deux fois !
En ce qui concerne ADP et La Française des jeux, la suppression des privatisations me paraît être une bonne chose, car ces dossiers n’étaient pas suffisamment élaborés. Nous avons bien vu ce qu’a donné la privatisation mal maîtrisée des autoroutes.
Je regrette que le Sénat ne m’ait pas suivi sur l’intérêt d’avoir un brevet de qualité face à nos voisins. Je pense que nous y reviendrons. La France n’a pas intérêt à être le réceptacle des brevets de faible intérêt, tandis que les bons brevets seraient pris ailleurs.
Je regrette enfin que trop de nos propositions d’amendements se soient vues opposer une nouvelle lecture de l’article 45 et aient été déclarées irrecevables à ce titre.
L’obligation qui nous a été faite de ne partir que du texte initial du Gouvernement me paraît en contradiction avec la lettre de la Constitution, qui nous demande de partir du texte de la commission de l’Assemblée nationale. Cette méthode aura pour conséquence de priver le Sénat d’une capacité de peser sur les nouveautés apportées par les députés, donc de réduire notre poids, ce qui me paraît, à l’heure actuelle, de mauvaise politique. Monsieur le président, il nous faudra réexaminer l’application de l’article 45, qui met en danger notre assemblée.
Voilà, mes chers collègues, des motifs de satisfaction et de regrets. Mais il y a aussi un constat : le Sénat est bien indispensable à un travail de qualité. Je voterai le texte ainsi amendé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe Union Centriste a abordé l’examen de ce texte avec enthousiasme, tant il est important que nous puissions soutenir le développement économique de notre pays.
Nous avons entrepris de travailler sur ce texte dans cet esprit et, comme vient de le dire Philippe Adnot à l’instant, dans un souci de liberté et de responsabilité.
Nous tenons à remercier les deux rapporteurs, Jean-François Husson et Élisabeth Lamure, de l’excellent travail qui a été réalisé, ainsi que Mme la présidente de la commission spéciale. Je rappelle que cette dernière connaît bien le sujet des entreprises, puisqu’elle préside la délégation sénatoriale aux entreprises depuis quatre ans ; elle a d’ailleurs pu traduire dans ce texte un certain nombre de propositions formulées par la délégation. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Ce projet de loi visait plusieurs objectifs : simplifier la vie des entreprises – c’est pour nous un objectif constant –, mieux orienter l’épargne vers ces dernières et rendre les entreprises plus justes.
En ce qui concerne l’épargne, si tant est que l’on se satisfasse de la manière dont les banques concourent au développement économique, il faut pouvoir orienter l’épargne à plus long terme vers les entreprises.
Sur le troisième volet que j’ai indiqué, n’en déplaise à certains qui considèrent qu’il n’y a pas eu suffisamment d’avancées, j’ai plutôt tendance, pour ma part, à considérer que nous avons progressé. En tout cas, le texte est relativement fondateur en la matière. Nous avons notamment souhaité qu’il n’impose pas de contraintes supplémentaires aux entreprises, comme l’avait voulu le ministre, mais, au contraire, qu’il leur permette de prendre des initiatives.
En ce qui concerne la simplification de la vie des entreprises, nous avons beaucoup débattu de la question du registre dématérialisé – il faudra que les coûts issus de toutes les formalités administratives puissent être réduits –, ainsi que du contrôle des comptes – je n’y reviens pas.
Je voudrais m’arrêter quelques instants sur la question des chambres consulaires. Le groupe Union Centriste estime que le rôle de ces dernières est particulièrement important pour irriguer le tissu rural et faire en sorte que les entrepreneurs soient accompagnés sur l’ensemble du territoire, dans tous les départements, et qu’ils puissent travailler en réseau.
Dans un monde où s’opposent les gros et les petits, les chambres consulaires constituent aujourd’hui un rempart pour les petits !
Que ce soient les chambres d’agriculture pour les agriculteurs, les chambres de métiers et de l’artisanat pour les artisans, les chambres de commerce et d’industrie pour les commerçants et ceux qui travaillent dans le secteur des services, elles jouent toutes un rôle important pour les entreprises individuelles ou celles qui n’emploient que peu de salariés, face à la tentation de quelques grosses entreprises de vouloir tout régenter. Soyons attentifs à ce que ces organisations consulaires, qui sont représentatives des employeurs, poursuivent leurs missions.
Le groupe Union Centriste partage l’essentiel des orientations et des propositions formulées, mais il a deux regrets.
Tout d’abord, nous déplorons le refus de la privatisation d’ADP, car, selon nous, il s’agissait d’une véritable chance pour notre pays, qui ne vit pas dans un régime d’économie administrée. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.)
Il faut laisser les acteurs économiques respirer, et, en l’occurrence, offrir à l’outil aérien une chance de se développer. Ne l’oublions pas, nous vivons dans un contexte de concurrence internationale ; nous pouvons toujours nous dire que nous sommes bien chez nous, mais il faut garder cette réalité à l’esprit. Aussi, la majorité du groupe de l’Union Centriste considérait que la privatisation d’ADP était un moyen de rendre cet outil un peu plus compétitif.
Mme Éliane Assassi. Il est déjà compétitif !
M. Michel Canevet. Pas suffisamment, hélas.
Mme Éliane Assassi. C’est même pour cela que vous voulez le vendre !
M. Michel Canevet. Le second regret que nous voulons exprimer porte sur l’article 61 et la responsabilité sociétale des entreprises.
Mes chers collègues, nous vivons dans un monde en pleine évolution. Nous ne pouvons plus envisager notre code civil, et plus généralement notre droit, comme lorsque nous avons élaboré ces règles voilà quelques décennies, voire quelques siècles. Il faut savoir évoluer avec son temps. Aujourd’hui, nous le savons, la prise en compte des aspects sociaux et environnementaux est absolument essentielle. Même le MEDEF va se doter d’une raison d’être.
Vendredi dernier, j’étais à l’assemblée générale de Produit en Bretagne, une association comprenant plus de 1 000 entrepreneurs et qui affirme clairement que la responsabilité sociétale de l’entreprise doit être mise en avant, à travers notamment la définition d’une raison d’être.
C’est dire si les entrepreneurs ont pris conscience du rôle et de la place des entreprises. Il faut que nous puissions accompagner, sans être à leur remorque, ces entrepreneurs qui vont de l’avant et qui font en sorte, grâce à la juste rémunération du travail, à l’intéressement, à la participation, à l’actionnariat salarié, que la valeur produite soit mieux répartie entre les actionnaires et les salariés.
Je crois que les dispositifs mis en place au travers de ce texte – dès lors qu’ils ne sont pas coercitifs, cher Jean-Marc Gabouty, car il faut laisser aux acteurs économiques leur liberté d’entreprendre, d’innover et de s’organiser – peuvent être générateurs de bien-être pour les salariés et de développement pour les entreprises. C’est en tout cas l’un des objectifs visés, et je ne doute pas qu’il sera atteint, notamment grâce aux mesures que le Gouvernement entend prendre pour mieux faire connaître ces dispositions.
Mes chers collègues, pour conclure, j’émets le vœu que l’Assemblée nationale reprenne l’essentiel du travail fait au Sénat. Le groupe de l’Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter le projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises.
Je tiens tout d’abord, au nom du groupe Les Indépendants, à saluer à mon tour le travail mené par la commission spéciale, sous la présidence de notre collègue Catherine Fournier, et par ses trois rapporteurs, Élisabeth Lamure, Jean-François Husson et Michel Canevet, qui n’a pas pu se féliciter lui-même. (Sourires.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Ce travail a grandement contribué à la qualité de nos débats.
Ce vote va intervenir après une nouvelle vague d’agitation sociale. À ce sujet, monsieur le président, nous saluons votre condamnation extrêmement claire de toutes les violences et de tous les outrages, qui sont proprement inacceptables.
Dans cette agitation, je vois une raison supplémentaire pour agir vite et apporter la preuve de l’efficacité du travail parlementaire. À la source de cette situation se trouvent en effet certains des problèmes que ce projet de loi se donne précisément l’ambition de résoudre.
C’est le travail, qui ne paie pas assez, et ne permet plus toujours de vivre décemment. C’est l’administration, qui décourage inutilement les efforts accomplis. C’est le sentiment, enfin, que partagent nombre de nos concitoyens, d’être les perdants de la mondialisation.
Le texte que nous nous apprêtons à voter redonnera du souffle à nos entreprises. C’est notre conviction. Il fera respirer notre économie en relâchant les carcans dans lesquels nous avons progressivement enfermé l’initiative individuelle. Nous pensons, enfin, qu’il contribuera utilement à restaurer la confiance dans la liberté d’entreprendre.
La contribution du Sénat dans la construction de ce texte permet d’aller plus avant dans cette direction. Je pense notamment au relèvement des seuils de 50 salariés à 100 salariés, afin de donner à nos PME plus de temps pour répondre à leurs obligations légales. Cette disposition, couplée à la période de mise en conformité pour le franchissement des seuils, allégera fortement la pression normative qui contraint encore la croissance de nos PME.
Le Sénat a aussi porté la voix des territoires dans ce débat. C’est notamment le sens d’un amendement que nous avons déposé avec d’autres collègues sur ces travées.
Cet amendement visait à réintroduire la généralisation de l’organisation administrative du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat autour d’un établissement unique de région, tout en précisant les moyens d’action des chambres de niveau départemental. Il faut maintenir un réseau dense pour ces structures d’accompagnement, qui donnent accès à la création d’entreprise au cœur de nos territoires.
Je me réjouis que le Sénat puisse ainsi se faire l’écho de ces voix des territoires. Elles nous alertent contre le risque d’une rupture toujours plus marquée entre les centres et les périphéries, entre la France qui trouve sa place dans la mondialisation et celle qui a l’impression d’y perdre.
C’est notre rôle de veiller à ce que les lois n’ajoutent pas au sentiment d’abandon qui nourrit la frustration de tant de nos concitoyens. Il y va de la cohésion de notre société.
Pourtant, mes chers collègues, nous devons également avoir conscience que, à l’issue de ces débats, la position du Sénat n’apparaîtra pas clairement sur certains sujets structurants, comme Michel Canevet l’a rappelé. En particulier, nous n’avons pas apporté de réponse univoque à une question essentielle qui nous était posée : dans quelle mesure souhaitons-nous voir l’État intervenir dans notre économie ?
Une majorité d’entre nous a ainsi refusé la privatisation de La Française des jeux, souhaité encadrer celle d’Aéroports de Paris et choisi de confirmer celle d’Engie. Sur le fond, ma position personnelle reste constante : ce qui relève du pouvoir régalien doit être géré par l’État ; le reste doit être délégué.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Marie Bockel. Tout à fait !
M. Emmanuel Capus. J’ai du mal à voir, mes chers collègues, en quoi la gestion de l’énergie serait moins stratégique pour l’État que celle du tourisme…
Il nous faut admettre que même une chatte n’y retrouverait pas ses chatons. En vérité, mes chers collègues, et pour être plus précis, je ne crois pas que nous ayons mal répondu à la question : en fait, nous l’avons mal posée.
Au fond, il ne s’agit pas tant de savoir s’il nous appartient, à nous, législateurs, de décider si nous devons conserver ou non des actifs stratégiques pour l’État, que de déterminer si l’intervention de l’État se révèle stratégique pour ces actifs, dès lors que l’État ne faillit pas à l’exercice de ses missions régaliennes.
Plus prosaïquement, je pense que nous remplirions mieux notre rôle en prenant une part active et constructive à la définition des modalités dans lesquelles les cessions d’actifs pourront s’opérer.
M. Claude Malhuret. Très bien !
M. Emmanuel Capus. J’ai déjà eu l’occasion de le dire alors que nous commencions l’examen de ce projet de loi : la transformation de notre économie ne se décrète pas ; ce sont les entreprises qui s’en chargeront elles-mêmes.
Notre rôle doit d’abord consister à leur donner les outils les mieux adaptés aux évolutions de notre économie et en assurer un cadre juste. Nous devons laisser plus de liberté pour innover et inventer de nouvelles solutions aux problèmes de notre temps.
À cet égard, je suis convaincu que des outils, tels que le statut d’entreprise à mission, dont le Sénat a tenu à clarifier et simplifier le régime, ainsi que la réduction du forfait social sur la participation et l’intéressement constituent des moyens concrets et efficaces de répondre à ces enjeux. Je suis certain que nos entreprises sauront s’en emparer pour façonner un modèle plus en phase avec les aspirations des Français, c’est-à-dire plus inclusif, plus juste et plus durable.
C’est en nous efforçant de restaurer la confiance dans la société, plutôt qu’en créant de nouvelles barrières, que nous parviendrons, aujourd’hui et demain, à dynamiser la compétitivité de notre économie, tout en assurant la cohésion sociale.
C’est le cas, aujourd’hui, avec la loi PACTE, et ce sera le cas, demain, avec d’autres projets de loi que nous aurons à examiner et qui se révéleront également déterminants pour la France. Nous devrons alors miser de nouveau sur la confiance, pour accélérer la transformation de notre société.
C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte, qui va, selon nous, globalement dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au terme de l’examen de ce texte, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail de la commission spéciale, de sa présidente et de ses trois rapporteurs.
Ce texte est présenté par le Gouvernement comme le grand texte économique de ce quinquennat, paré d’un titre et de chapitres ambitieux : « Des entreprises libérées, plus innovantes, plus justes »… Pour un peu, on chanterait. (Sourires.)
Pourtant, l’extrême diversité des sujets traités dans ce texte et leur inégale importance ne dégage pas, nous semble-t-il, le souffle nécessaire susceptible d’impulser le choc de compétitivité espéré par de nombreux chefs d’entreprise.
Sur la forme, le texte est passé de 73 articles à près de 200 articles à l’issue de son examen à l’Assemblée nationale. Ainsi, nombre de dispositions, parfois sur des sujets majeurs, ont échappé à une véritable étude d’impact, l’exemple le plus flagrant étant cet amendement « anti-Huawei », annoncé par voie de presse et déposé pour le moins tardivement par le Gouvernement, pendant l’examen même du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sans nier l’importance du sujet, convenez qu’il était nécessaire d’expertiser sérieusement, a minima, la solution proposée. Le Sénat l’a rejetée à regret, mais en toute responsabilité.
Sur le fond, nous nous retrouvons, monsieur le ministre, sur le constat : les obstacles rencontrés par les entreprises, essentiellement les petites et les moyennes, pour se développer, créer des emplois, se sont sédimentées au fur et à mesure de l’évolution de la législation et de son adaptation aux nouveaux enjeux économiques. Bien des scories normatives entravent aujourd’hui une croissance agile et efficace des PME. Ce texte permet d’en simplifier un nombre certain.
C’est dans cette perspective que les travaux du Sénat ont renforcé sensiblement le texte, tant en commission qu’en séance. En particulier, nous sommes allés plus loin sur la rationalisation des seuils, en relevant les obligations liées au passage de 50 salariés à 100 salariés. C’est le seuil le plus emblématique en matière de croissance des entreprises. Il serait souhaitable que la CMP puisse trouver un bon équilibre sur ce point, car c’est une mesure très attendue.
Nous avons également rendu les dispositifs relatifs à l’épargne salariale encore plus attractifs, en alignant les taux dérogatoires du forfait social sur le taux de 10 %, tant pour le plan épargne retraite que pour la participation ou l’intéressement, des sujets auxquels le Sénat est particulièrement attaché. Nous nous félicitons de ces dispositions.
En outre, nous avons renforcé le poids des élus dans le conseil d’administration de La Poste, en accompagnant sa transformation. Nous sommes allés plus loin pour sécuriser davantage le développement des levées de fonds en actifs numériques, avec une sanction pénale pour ceux qui tromperaient les épargnants. Enfin, nous avons permis une meilleure information et une meilleure protection des consommateurs dans le cadre de la fin des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité.
En revanche, plusieurs sujets ont fait l’objet de désaccords entre le Gouvernement et notre Haute Assemblée, le Sénat ayant souhaité poser un regard différent sur le débat.
Oui, nous avons supprimé la définition de l’intérêt social et de la raison d’être de l’entreprise dans le code civil : si nous partageons la volonté de voir nos entreprises se transformer et le souhait de les accompagner vers de nouveaux modèles de croissance plus sociaux, plus tournés vers les préoccupations environnementales, il nous est apparu que l’imprécision des termes de cet article allait fragiliser les entreprises et faire peser sur elles un risque de contentieux accru, alors que la législation française sur la responsabilité sociale et environnementale, la RSE, est déjà très poussée.
D’ailleurs, certaines entreprises et organisations représentatives se sont d’ores et déjà dotées d’une raison d’être, en toute liberté, cher Michel Canevet, preuve, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas besoin d’une loi pour le faire. Produit en Bretagne en est un bon exemple.
La stratégie d’une entreprise, monsieur le ministre, est sa responsabilité, sa liberté, son ADN, et elle s’exprime dans son projet d’entreprise. Nous pensons que les lois doivent être normatives, plutôt que bavardes. Lorsque la loi ouvre de tels espaces d’interprétation, c’est la jurisprudence qui prend le pas sur le pouvoir politique. En ces temps de confusion institutionnelle, chacun doit être attentif à son rôle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Nous avons bien sûr, au terme de longs débats ayant mené à un quasi-consensus, renoncé aux privatisations d’Aéroport de Paris et de La Française des jeux.
Tout d’abord, la motivation présentée par le Gouvernement nous semblait peu convaincante : le rendement attendu du fonds de rupture est d’ores et déjà équivalent aux dividendes perçus par l’État au titre de ces sociétés. Nous comprenons que des dividendes peuvent naturellement fluctuer, mais admettez, d’une part, qu’il en va de même pour le rendement des fonds de placement (M. le ministre le conteste.), et, d’autre part, que les perspectives de croissance de ces deux entreprises laissent présager de solides dividendes.
Pour ADP, ensuite, le débat s’est beaucoup focalisé sur le fait de savoir s’il s’agissait de la privation d’un monopole ou bien d’infrastructures en situation concurrentielle. Si ce débat n’est pas tranché, tout au moins sommes-nous d’accord pour considérer qu’ADP est une infrastructure stratégique.
Alors que, dans quelques jours, l’Europe va se doter d’un mécanisme de filtrage permettant d’évaluer le risque pour les infrastructures européennes stratégiques de tomber dans les mains d’actifs extra-européens, monsieur le ministre, il nous semble imprudent de laisser partir ADP sans en mesurer toutes les dimensions stratégiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Or aucune garantie n’a été apportée sur les mécanismes de cessions des actifs à court, moyen et long termes : qui peut dire, monsieur Yung, quel sera le sort d’un futur acquéreur privé, « opéable » une fois, deux fois, dix fois dans les 70 prochaines années ? Qui sera maître du jeu dans le ciel français ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)