M. Philippe Mouiller. Exactement !
Mme Sophie Primas. Pour La Française des jeux, la FDJ, si le sujet de la santé et du rôle nécessaire de la régulation a été au cœur des discussions, c’est aussi le manque de réponse sur le financement de la filière équine et l’aménagement du territoire qui ont motivé notre avis.
Pour autant, au sujet de ces deux sociétés, nos rapporteurs ont beaucoup travaillé pour améliorer, dans le cas d’ADP, le calcul des redevances aéroportuaires, ainsi que la régulation du secteur, et nous avons accepté la réforme de la fiscalité des jeux de la FDJ et des paris sportifs en ligne.
Voilà quelques points, non exhaustifs, que le Sénat a améliorés au cours de ses travaux, ou sur lesquels il a marqué sa différence. C’est pour cette raison que le groupe Les Républicains votera le texte issu de nos travaux. Mais que dire du projet de loi dans sa globalité ? Il nous semble difficile aujourd’hui d’estimer correctement quel sera l’effet de ce texte protéiforme sur la croissance des entreprises. Si de nombreuses dispositions techniques sont attendues, il reste urgent, maintenant, de tenir les engagements sur la compétitivité.
Les impôts de production ne baissent pas, et la France reste championne d’Europe en matière de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques ; le déficit commercial se dégrade. Enfin, monsieur le ministre, les promesses de baisse de l’impôt sur les sociétés ne risquent-elles pas, à court terme, de se briser sur le mur jaune des réalités sociales. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. À mon tour, je tiens à remercier les membres de la commission spéciale, sa présidente, Catherine Fournier, ainsi que ses trois rapporteurs, Michel Canevet, Jean-François Husson et Élisabeth Lamure. Cette procédure spéciale d’examen parlementaire a été parfaitement conduite. (Applaudissements.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Annie Guillemot, Mireille Jouve et Guy-Dominique Kennel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à seize heures cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 54 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 207 |
Contre | 117 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission modifié, le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un scrutin difficile à décrypter, puisque, d’une certaine façon, ceux qui étaient pour le texte initial du Gouvernement ont voté contre, et ceux qui étaient contre le texte du Gouvernement ont voté pour. (Pas nous ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Au bout du compte, nous sommes dans une très grande confusion. Dans cette obscure clarté qui tombe des étoiles (Sourires.), je pense qu’il est bon de rappeler certaines choses simples.
Au préalable, je veux saluer la qualité exceptionnelle du travail de la présidente de la commission, Catherine Fournier, et des trois rapporteurs, Élisabeth Lamure, Jean-François Husson et Michel Canevet, que je tiens tous à remercier. (Applaudissements.)
Nous avons fait ici, pendant de longues heures de discussions parfois animées, un travail que j’estime utile. J’espère bien que certaines des propositions – je pense en particulier à tous les dispositifs d’encadrement et de renforcement des garanties autour des privatisations proposés par Jean-François Husson – pourront être reprises dans le texte définitif de la loi PACTE. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Enfin, je veux rappeler quelques convictions et remettre quelques pendules à l’heure par rapport à ce que j’ai pu entendre. J’y insiste, ce texte est essentiel pour notre économie.
Il est d’abord essentiel pour les salariés. Je peux tout entendre, car nous sommes en démocratie, mais je ne laisserai pas dire que le projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises n’est pas une bonne nouvelle pour les salariés !
Ou alors, il faudra m’expliquer que la simplification de l’épargne salariale n’est pas une bonne nouvelle pour les salariés ; il faudra m’expliquer que le développement de l’actionnariat salarié n’est pas une excellente nouvelle pour les salariés (M. Fabien Gay et Mme Sophie Taillé-Polian s’exclament.) ; il faudra m’expliquer que les garanties qui sont apportées aux femmes conjointes de collaborateurs, qui vont désormais bénéficier d’une protection renforcée, ne sont pas une bonne chose pour les salariés ; enfin, il faudra expliquer aux 10 millions de salariés qui vont enfin avoir accès à l’intéressement et à la participation grâce à la suppression du forfait social pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés, qu’il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle.
M. Fabien Gay. Ne vous inquiétez pas, on le leur expliquera !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour ma part, je crois exactement le contraire : PACTE est un grand texte pour les salariés, parce qu’il va permettre à ceux qui travaillent de vivre plus dignement de leur travail et de leur salaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Je crois également qu’il s’agit d’un bon texte pour les entrepreneurs, et même d’un texte essentiel, puisqu’il va simplifier en profondeur les mesures de création des entreprises et les procédures administratives en créant un guichet unique ; il va alléger un certain nombre de charges coûteuses ; il va nous remettre à niveau au regard des règles européennes pour tout ce qui est contrôle des comptes. En effet, je ne vois aucune raison pour que les entrepreneurs français aient des obligations en matière de certification des comptes plus strictes que celles de leurs voisins et concurrents espagnols, italiens, belges ou néerlandais. (M. Loïc Hervé approuve.)
Nous remettons la compétitivité française à l’heure de l’Europe, en rappelant que les procédures françaises ne doivent pas être plus strictes que celles des concurrents européens.
C’est une bonne chose pour les entrepreneurs également, puisque nous allons simplifier les seuils sociaux, en permettant à tous les entrepreneurs ayant 48 ou 49 salariés, lorsqu’ils franchissent la barre des 50 salariés, jusqu’à 55 ou 60, parce qu’ils auraient des commandes ou des perspectives économiques plus favorables, d’être dispensés d’obligations supplémentaires pendant les cinq années suivant le jour où ils auront franchi ce seuil.
Je suis convaincu que cela permettra de débloquer l’acte d’embauche dans notre pays et de créer les emplois dont les Français ont besoin. Désormais, avec la loi PACTE, il n’y aura plus que trois seuils, là où il y en avait une dizaine : 11 salariés, 50 salariés, 250 salariés. C’est une simplification fondamentale pour les entrepreneurs et pour la création d’emplois dans notre pays.
Nous avons aussi eu un grand débat sur la question de la raison d’être. Faut-il introduire cette notion dans notre droit ?
Tout d’abord, je rappelle qu’aucun dispositif n’est obligatoire pour les entrepreneurs dans ce texte. Tout est une faculté, rien n’est une obligation, parce que je pense que c’est ainsi que l’on fait progresser une société.
Pour autant, croyez-moi, pour avoir discuté avec de jeunes entrepreneurs, avec de jeunes créateurs d’entreprise, que ce soit dans le domaine de l’artisanat, du commerce ou des start-ups techniques les plus pointues, je puis vous dire que tous veulent donner une raison d’être à leur société, parce que tous ont bien compris que l’entreprise ne se limite plus à la création de profit, mais doit répondre à des attentes : une attente sociale, une attente environnementale, une attente d’égalité entre les femmes et les hommes, une attente de plus de place pour les personnes en situation de handicap, une attente pour transformer la société dans le sens de plus de justice.
La raison d’être, c’est l’avenir de l’entrepreneuriat en France, et je suis convaincu que notre pays peut donner l’exemple à toute l’économie européenne en la mettant en place, c’est-à-dire en donnant un sens à l’activité économique.
Je me suis battu, avec Jean-Dominique Senard, avec Nicole Notat, avec un certain nombre de députés, avec des sénateurs, ici, pour que l’économie française prenne du sens : la raison d’être accordée aux entreprises, c’est du sens donné à notre modèle économique. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Je pense, en dernier lieu, que ce texte est essentiel aussi pour l’innovation. C’est d’elle, monsieur Bourquin, que dépendra notre capacité à réindustrialiser notre pays.
Je peux tout entendre, mais certainement pas que nous n’avons pas une politique industrielle pour notre pays, Agnès Pannier-Runacher et moi-même ; certainement pas que notre industrie continue son déclin, à un moment, monsieur Bourquin, où vous devriez partager avec moi la fierté des entrepreneurs industriels français, qui, pour la première fois depuis dix ans, recréent des emplois et rouvrent des entreprises dans nos territoires. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
À ces entrepreneurs, à ces industriels, qui se sont retroussé les manches, qui se sont battus, qui ont investi, digitalisé, robotisé, créé des emplois, même si ce n’est pas assez et s’il faut aller beaucoup plus loin, nous devons la reconnaissance d’avoir eu le courage de réindustrialiser nos territoires et notre nation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-François Husson, rapporteur, et Jean-Paul Émorine applaudissent.)
Si nous voulons aller plus loin, il faut aussi donner à l’innovation davantage de perspectives. Tout ce qui figure dans le texte sur les liens entre recherche et entreprises est à cet égard fondamental. Tout ce qui vise à valoriser la qualité du brevet français, qui, aujourd’hui, souffre de certaines insuffisances, est absolument fondamental.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le maintiens, la cession d’actifs dans des activités qui peuvent parfaitement être traitées par des acteurs privés, de manière encadrée et régulée – en d’autres termes, les privatisations d’ADP, d’Engie et de La Française des jeux –, est une nécessité absolue pour financer le fonds pour l’innovation de rupture de dix milliards d’euros, qui nous permettra d’investir dans l’intelligence artificielle et dans les technologies nouvelles.
Au XXIe siècle, il y aura des vainqueurs et il y aura des vaincus !
Dans le camp des vainqueurs, vous aurez les nations qui auront investi pour l’innovation, celles qui auront la maîtrise de l’intelligence artificielle, des logiciels, des algorithmes, des données. Et dans le camp des vaincus, vous aurez les nations qui auront baissé les bras, continuant de gérer des rentes plutôt que d’investir dans l’avenir du pays.
Je préfère que notre nation soit championne dans les domaines de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies ! Je préfère que notre nation soit dans le camp des vainqueurs plutôt que dans le camp des vaincus ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre. Vous avez été très présent dans les débats et proactif, comme nous venons de l’entendre. Je tenais à le souligner.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – Renforcement de l’organisation des juridictions
Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (projet n° 269, texte de la commission n° 288, rapport n° 287) et du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (projet n° 268, texte de la commission n° 289, rapport n° 287).
Dans la discussion générale commune, la parole la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine donc, en nouvelle lecture, les deux projets de loi qui constituent la réforme de la justice que je vous ai présentée au nom du Gouvernement au mois d’octobre dernier.
Cette nouvelle lecture intervient après que le Sénat et l’Assemblée nationale n’ont pu trouver d’accord en commission mixte paritaire. Cet échec a traduit des divergences fortes entre les deux assemblées.
Il faut constater qu’en première lecture votre commission des lois, puis votre assemblée avaient fait, pour l’essentiel, le choix de s’éloigner de la plupart des propositions formulées par le Gouvernement, propositions soutenues par la majorité de l’Assemblée nationale.
Sans aller jusqu’à dire que deux projets s’opposaient, ce qui serait contraire à la réalité et sans doute trop caricatural, je constate que sur des questions essentielles, nous n’avons pas pu trouver de solutions communes. Je l’ai regretté au mois d’octobre, ici même, en observant que le Sénat avait fait le choix de ne pas partager les principales orientations contenues dans le projet initial du Gouvernement. Dès lors, les conditions d’un accord étaient presque impossibles à réunir. C’est la situation devant laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Pourtant, la volonté de donner à la justice les moyens d’accomplir son office est une ambition partagée par tous, je le sais. Sur chacune des travées dans cet hémicycle, comme au Palais-Bourbon, nous souhaitons que la justice dispose réellement des moyens de fonctionner de manière efficace sans rompre, en aucune manière, avec les principes qui la fondent.
Toutefois, si les moyens sont essentiels – et le Gouvernement a prévu, dans la présente loi de programmation, de les lui attribuer à une hauteur tout à fait importante –, ils ne peuvent suffire à eux seuls pour assurer une amélioration du fonctionnement de la justice. J’entends bien que nous venons de loin – de très loin même !–, sur le plan budgétaire et que la justice doit disposer, c’est évident, à la fois de personnels plus nombreux et de moyens budgétaires plus importants. Je l’entends. Le Gouvernement l’a entendu lui aussi et y a répondu puisque ce budget progressera de 24 % sur cinq ans et permettra de recruter 6 500 emplois supplémentaires.
Cependant, la justice a également besoin d’être réformée. Il faut qu’elle s’adapte aux situations actuelles sans renier les principes fondamentaux qui la structurent. Réformer ne veut pas dire adopter une logique comptable ou une logique « d’économie de gestion », comme vos rapporteurs ont pu l’écrire. Ce n’est pas non plus déshumaniser la justice, ni même la robotiser. C’est encore moins l’éloigner du justiciable. Je ne m’arrête pas à ces termes qui relèvent, de mon point de vue, plus de slogans que d’une analyse rigoureuse du projet de loi que je porte.
Ce qui me préoccupe, en réalité, c’est que les Français expriment une grande défiance à l’égard de la justice. Il est, pour moi, en tant que garde des sceaux, très difficile d’entendre nos concitoyens trouver la justice de ce pays trop éloignée, trop lente, parfois inefficace, quand on sait le dévouement des magistrats et de l’ensemble des personnels dont l’engagement est exemplaire.
Adapter notre justice, c’est avant tout lui permettre de répondre aux besoins des justiciables. Je mesure évidemment les attentes des professionnels avec lesquels j’ai beaucoup dialogué, à de nombreuses reprises. Je comprends leurs craintes face à des évolutions parfois difficiles à appréhender et qui peuvent même inquiéter. Je ne néglige pas l’ampleur de ces préoccupations qui se sont exprimées devant vous. Et au cours de l’élaboration du texte qui vous est soumis, au cours de son examen, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, de nombreux éléments nouveaux de compromis ont été apportés pour répondre aux demandes des avocats, des magistrats et des personnels de la justice.
J’observe ainsi que si l’Assemblée nationale a, comme je le disais voilà un instant, apporté son soutien aux propositions du Gouvernement, elle a, en outre, fait évoluer le texte sur des points importants. Et j’ai soutenu cette démarche.
Dans cette perspective, l’Assemblée nationale a d’ailleurs préservé un certain nombre d’avancées qui avaient été adoptées par le Sénat. Tel est le cas des garanties relatives aux services en ligne, qui ne pourront pas proposer des consultations juridiques sans le concours d’un avocat. Il en est de même pour le renforcement des obligations imposées aux plateformes.
Je pourrais également citer la suppression de la représentation obligatoire devant les tribunaux paritaires des baux ruraux, l’inscription dans la loi des conditions d’expérimentation de la procédure de révision des pensions alimentaires, là où le Gouvernement demandait initialement une habilitation.
À ces points se sont ajoutées d’autres évolutions apportées au texte par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Je citerai, à titre d’exemple, le délai imposé à une victime pour se constituer partie civile devant le juge d’instruction à la suite d’une plainte laissée sans réponse. Ce délai a été maintenu à trois mois en permettant au procureur de la République de solliciter du juge d’instruction un délai complémentaire de trois mois afin de poursuivre les investigations en cours.
En matière d’alternative aux poursuites, l’actuelle limitation du champ d’application de la composition pénale aux délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans a également été maintenue.
Des éléments destinés à mieux encadrer le rôle de la caisse d’allocations familiales ont été adoptés pour l’expérimentation, dont je parlais, que le projet de loi prévoit d’ouvrir en matière de révision des pensions alimentaires.
Je pourrais citer, outre les dispositions qui ont clarifié certains points portant sur la répartition des contentieux spécialisés entre tribunaux judiciaires sur la base de projets locaux, la consultation des conseils de juridiction, désormais prévue dans le texte.
Ces différents points récapitulent des demandes souvent formulées par des professionnels du droit auxquelles il a été répondu, comme cela avait d’ailleurs été le cas sur plusieurs autres points lors de l’élaboration du projet de loi.
Le texte a donc évolué très sensiblement. En revanche, le Gouvernement, et la majorité qui le soutient, a souhaité préserver les lignes de force de cette réforme. C’est ici que, pour l’essentiel, nous divergeons.
Je ne veux pas y revenir très longuement, car j’ai eu l’occasion de l’évoquer en première lecture, puis lors de mon audition par votre commission des lois il y a seulement quelques jours dont vos rapporteurs feront sans doute état. Je me contenterai de faire rapidement observer les éléments suivants.
Sur la partie budgétaire, le Gouvernement a une approche à la fois ambitieuse et réaliste. Nous prenons en compte les contraintes d’ensemble de nos finances publiques et notre capacité concrète à réaliser un certain nombre d’équipements sur cinq ans, durée de la loi de programmation. Ce texte préserve d’ailleurs – je tiens ici à le souligner – les équilibres entre les moyens affectés aux juridictions judiciaires et ceux qui sont alloués à l’administration pénitentiaire.
Sur la procédure civile, le projet que je défends a deux objectifs principaux : d’abord, simplifier l’accès du justiciable à la justice, ensuite, recentrer le juge sur son cœur de métier ; là où son rôle est essentiel, le juge doit être renforcé, notamment par les outils et les moyens qui lui sont alloués.
J’avais d’ailleurs regretté, en octobre dernier, que votre assemblée soit revenue sur plusieurs mesures proposées par le Gouvernement. J’avais indiqué que je ne partageais pas un certain nombre de préventions du Sénat quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces éléments me semblent constituer, au contraire, un très grand progrès en termes de modernité et de simplicité d’accès au droit et à la justice, si – et j’insiste sur cette condition –, les garanties nécessaires sont apportées pour que la justice demeure « humaine », au sens où elle nécessiterait la présence physique des magistrats et des personnels de justice. Le projet que je porte fournit ces garanties. Pour les assurer totalement, nous y avons d’ailleurs intégré un certain nombre de demandes exprimées par la profession d’avocat.
Mais je défends aussi des positions réalistes, par exemple sur les plateformes qui constituent, je le crois, une évolution à la fois importante et inéluctable. Cela ne doit pas signifier que ces plateformes ne peuvent être en aucun cas régulées, mais il faut tenir compte de ce qu’est la réalité de l’économie du Net. C’est ainsi, me semble-t-il, que l’on apportera des garanties réelles aux justiciables qui auront recours à ces plateformes de plus en plus nombreuses.
Sur la procédure pénale, nous avons aussi des divergences qui ont été exprimées à diverses reprises. Le texte que je propose ne constitue pas, contrairement à ce qui a pu être dit, une rupture avec les réformes qui se sont succédé depuis un quart de siècle. Ces réformes ont toujours entendu renforcer la capacité d’action des parquets pour adapter la réponse judiciaire à de nouvelles formes de délinquance mais en maintenant les droits de la défense et les garanties apportées aux justiciables.
L’originalité de ma démarche ne vient donc pas de ce qu’elle inscrirait une rupture dans cette logique. Elle vient plutôt de ce que les propositions de simplification pénale contenues dans ce texte sont le fruit des propositions venues des acteurs de terrain, des policiers qui interviennent lors de la phase d’enquête, des magistrats du parquet et des magistrats qui ensuite jugent les litiges qui leur sont soumis.
J’assume ma volonté de mieux protéger les Français tout en préservant la garantie des droits. Et ces garanties sont bien là, j’y ai veillé. Le Conseil d’État l’a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond un contrôle des magistrats du parquet et du siège sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et également garants, à ce titre, de la liberté individuelle. Quant aux juges des libertés et de la détention, les JLD, je sais que les contrôles qu’ils exercent ne sont pas de nature purement formelle. Par l’intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est bien assurée.
Le Sénat a très sensiblement modifié ce texte dans un sens qui m’a semblé, ainsi qu’à plusieurs observateurs, parfois éloigné des attentes exprimées par les juridictions, par les enquêteurs et par les justiciables.
En tout état de cause, il faut que nous répondions à ce besoin clairement exprimé par nos concitoyens : le droit à la sécurité doit être pleinement garanti, dans des principes qui respectent l’État de droit.
Nous nous sommes, en outre, éloignés sur la partie consacrée aux peines. Les objectifs que nous poursuivons avec ce texte sont simples. Je le redis devant vous, l’idée, c’est que la peine de prison ne soit plus la seule peine de référence. Il faut que soient effectivement incarcérés ceux qui le méritent et pour lesquels c’est une nécessité, mais il faut punir autrement ceux pour qui la prison s’avérera inutile, désocialisante et source de récidives.
C’est pourquoi j’ai proposé que les peines soient désormais réellement exécutées ; des peines également adaptées au profil de chaque délinquant, des lieux d’incarcération nouveaux et diversifiés, un suivi des détenus plus individualisé. Voilà ce que contient mon projet de loi !
S’il partage les objectifs globaux que je propose – ce que j’ai souvent entendu dire par MM. les rapporteurs et par M. le président de la commission des lois –, le Sénat a cependant adopté un point de vue opérationnel différent de celui du projet, en particulier sur les courtes peines. La prison me semble demeurer pour vous, s’agissant des plus petits délits, un outil, une forme d’horizon. Pour notre part, nous proposons une approche par paliers afin de moduler davantage la réponse et de renforcer son individualisation.
Vous ne souhaitiez pas, par exemple, faire du bracelet électronique une véritable peine autonome. De même, en créant une peine de probation autonome, le Sénat s’est inscrit dans les pas de la réforme ayant institué la contrainte pénale. L’évaluation de cette mesure montre qu’elle n’a malheureusement pas produit les effets attendus.
Si je propose un sursis probatoire, mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve, c’est précisément dans un souci d’efficacité et de souplesse, pour surmonter les difficultés rencontrées dans l’application de cette peine de contrainte pénale depuis sa création.
Enfin, sur l’organisation des juridictions, mon objectif est, là encore, de simplifier la vie des justiciables en rendant plus lisible et plus compréhensible notre organisation, en maintenant tous les lieux de justice au nom du principe, absolument essentiel, de proximité pour la justice du premier degré.
Nous nous retrouvons pour créer une juridiction unique de première instance, que vous aviez proposé d’appeler « tribunal de première instance » et que l’Assemblée nationale a dénommée « tribunal judiciaire ». En revanche, vous avez écarté la possibilité d’élaborer des projets locaux permettant de répartir quelques contentieux spécialisés entre les tribunaux judiciaires dans les départements comptant plusieurs tribunaux. Il en est de même pour une expérimentation identique qui concernerait deux régions comportant plusieurs cours d’appel.
Enfin, j’évoquerai un dernier point qui n’est pas sans importance. L’habilitation que le Gouvernement a demandée au Parlement concernant la justice des mineurs a suscité des interrogations et des critiques. Je le comprends, mais je voudrais ici dire que le Gouvernement souhaite prendre ce dossier à bras-le-corps en s’appuyant sur le travail parlementaire qui a déjà été engagé sur ce sujet dans les deux assemblées. Le temps de la ratification sera pleinement employé pour que les deux chambres débattent de cette réforme et modifient le texte que le Gouvernement leur proposera, dans le sens qui leur semblera utile. Je suis absolument résolue à mener à bien cette réforme que deux majorités successives n’ont pas réussi à faire aboutir depuis plus de dix ans.
J’aurais préféré, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que nous puissions trouver des terrains d’entente plus nombreux.