M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir de la politique industrielle européenne. Je salue l’initiative du groupe Les Républicains qui a placé ce sujet essentiel au cœur de nos réflexions, quelques semaines avant les échéances que nous savons.
Ce débat intervient aussi, et surtout, quelques semaines après un événement majeur pour l’industrie de notre continent : la Commission européenne a bloqué, début février, le projet de fusion entre Alstom et Siemens, tuant dans l’œuf l’émergence d’un nouveau champion européen.
Selon Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, cette décision se justifie, car « cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse. »
Ces arguments ne sont pas à la hauteur des enjeux, ils révèlent l’absence criante, à Bruxelles, de vision politique claire en matière de stratégie industrielle. Il ne s’agit pas de remettre en question le principe de libre concurrence au sein du marché unique, mais simplement d’accepter la réalité d’un monde nouveau dans lequel les positions dominantes des entreprises européennes ne s’apprécient plus au niveau du marché unique, mais de la concurrence internationale.
Pour que l’industrie continue d’exister sur notre continent, nous aurons besoin de champions européens qui puissent tenir tête à leurs concurrents américains et chinois.
Dans quel périmètre le droit européen de la concurrence devra-t-il s’appliquer demain ? Quelles règles permettront de donner corps au principe de réciprocité ? Quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour concilier, au niveau européen, respect de la concurrence et défense de nos intérêts continentaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je vais pratiquer l’art de la répétition. Vous soulignez très justement que le rejet de la fusion Alstom-Siemens nous a privés d’un acteur qui était capable, en chiffre d’affaires, de faire jeu égal avec ses grands compétiteurs internationaux. Il nous aurait probablement permis, également, de concentrer l’innovation et de nourrir de nouvelles avancées technologiques susceptibles de donner ce quart d’heure d’avance stratégique qui fait la compétitivité d’une entreprise.
S’agissant de la concentration, la question de l’absence de vision de Bruxelles est importante, puisque c’est un des points qui a été évoqué durant le conseil de la concurrence du 30 novembre, auquel j’ai participé. Il a été également abordé dans la déclaration des Amis de l’industrie ainsi que dans celle de Peter Altmaier et de Bruno Lemaire.
L’idée avancée est qu’il faut avoir une vision industrielle transverse qui nourrisse l’ensemble des politiques de l’Union européenne. Pour utiliser le terme employé dans l’Union européenne, il s’agit de mainstreaming. Cela signifie que, dans la politique commerciale, dans la politique de la concurrence, dans la politique de l’innovation, dans la politique numérique, il faut que, à chaque avancée, une petite lumière s’allume afin que l’on se demande ce que cela signifie pour notre industrie, de manière à adapter l’action et à la coordonner en conséquence.
Cette idée fait partie des propositions que nous avons fait remonter au Conseil européen des 21 et 22 mars. Elle peut s’illustrer de différente façon : les Allemands poussent la Commission européenne à nommer un vice-président spécifiquement chargé de la politique industrielle ; nous n’avons pas la même vision institutionnelle, mais nous sommes persuadés qu’il faut préciser les chaînes de valeurs stratégiques pour lesquelles on met en place des aides spécifiques et revoir, effectivement, les règles de politique en matière de commerce et de concurrence.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Decool. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Il me semble que nous devrions nous en tenir à un principe clair de réciprocité avec nos partenaires commerciaux. Il y va de notre capacité à rester maîtres de notre destin industriel, en faisant le choix d’une économie qui reflète les valeurs fondatrices de l’Union européenne face aux géants étrangers d’aujourd’hui et de demain.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de focaliser mon intervention sur la 5G. Son déploiement est un enjeu crucial pour nos opérateurs économiques comme pour nos concitoyens.
Il ne s’agit pas, en effet, d’une simple amélioration technologique, mais d’une véritable révolution au cœur du monde ultra-connecté de demain. En offrant un débit vingt fois plus rapide que la 4G, un temps de latence dix fois inférieur et la possibilité de connecter en même temps cinq fois plus d’objets, la 5G va, par exemple, permettre une robotisation accrue dans l’industrie, le déploiement massif de flottes de voitures autonomes, ou encore le développement de « villes intelligentes » qui optimiseront leurs réseaux d’énergie ou de transport. On le voit, cette technologie est au cœur de l’industrie et de l’économie du XXIe siècle.
Le réseau 5G est déjà actif en Corée du Sud, il est en cours de déploiement aux États-Unis et devrait l’être en Europe en 2020. Pourtant, les Européens sont en train de prendre du retard en la matière, principalement en raison des enjeux de sécurité attachés à cette technologie, alors que deux de ses principaux acteurs sont chinois.
En raison des transferts massifs de données inhérents à la 5G, la question de sa sécurité est en effet posée. Dans plusieurs pays européens, dont la France, des tests sont en cours. Cette question est cruciale, qu’il s’agisse de la sécurité des données à caractère personnel, de la protection des secrets de fabrication ou des secrets d’affaires, ou encore de la sécurité en matière de défense.
L’Union européenne s’est dotée d’un règlement général de protection des données à caractère personnel, ou RGPD, qui encadre les conditions de recueil, d’utilisation et de transmission de ces données. Pouvez-vous nous dire quelles démarches ont été engagées ou sont envisagées pour sécuriser le stockage des données ?
Quant à la sécurité des données commerciales, industrielles ou miliaires, quelles sont les garanties exigées des fournisseurs d’infrastructures, du point de vue technique comme juridique ?
Comment la France et, au-delà, l’Union européenne entendent-elles préparer cette étape aussi cruciale qu’urgente ?
Pouvez-vous, enfin, nous confirmer qu’un déploiement en 2020 est toujours d’actualité ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Bizet, vous évoquez le sujet de la 5G. Je partage vos propos quant à son importance cruciale dans l’industrie. Il s’agit d’ailleurs d’une technologie qui s’adresse plus à des usages industriels nécessitant une très forte densité de connexions qu’à des clients finaux classiques comme vous et moi.
S’agissant de la sécurité des réseaux 5G eux-mêmes, comme vous le savez, nous sommes en train d’en débattre en ce moment même à l’Assemblée nationale et vous aurez donc l’opportunité de discuter ce texte, qui vise à prévoir un dispositif permettant au Premier ministre d’autoriser spécifiquement chaque équipement, cœur de réseau, base ou antenne, de façon à garantir que ceux-ci ne soient pas exposés au sabotage ou que les données qu’ils traitent ne soient pas trop facilement accessibles. Je précise que cette loi s’appliquera à tous les équipementiers.
En effet, l’un des enjeux consiste à s’assurer que les sous-traitants, ceux qui ajoutent de petites lignes de code, par exemple, ne constituent pas une fragilité pour les systèmes.
Par rapport aux autres pays de l’Union européenne, nous sommes plutôt en avance, mais, comme vous le savez, une démarche de convergence en matière de sécurité a été engagée à l’échelon européen : chaque État doit recenser les risques qu’il prend et les partager avec l’Union européenne. Des recommandations résulteront de ce processus, qui aboutira à un alignement sur les États dont les propositions apparaîtront les plus efficaces.
Vous avez évoqué le stockage de données : en la matière, l’enjeu porte notamment sur l’activité de nos serveurs. Il s’agit de favoriser la croissance d’acteurs comme la société OVH, par exemple, mais aussi de développer le stockage des données en Europe, même si leur protection peut ne pas être forcément assurée par des acteurs européens. Il faut a minima les protéger de l’extraterritorialité de certaines législations.
Enfin, il apparaît que le règlement général sur la protection des données, le RGPD, représente aujourd’hui davantage une chance qu’un inconvénient. Là encore, son déploiement est en cours en Europe.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Il y a un mois environ, la France a signé avec l’Allemagne un manifeste pour une politique industrielle européenne. Nous nous en réjouissons tous.
Simplement, j’ai cru comprendre que parmi les autres pays membres de l’Union européenne, certains avaient accueilli avec une certaine fraîcheur cet accord. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, madame la secrétaire d’État ? Quels sont ces pays et, surtout, quels sont les points de friction ?
Dans ce manifeste, Paris et Berlin proposent que le Conseil européen bénéficie d’un droit de recours en vue de revenir sur les décisions de la Commission en matière de concurrence. Quelle forme cette procédure d’appel politique pourrait-elle prendre ?
Il est désormais temps de faire des propositions pour réformer la politique de concurrence et les règlements en la matière. J’ai compris que Mme Vestager était plutôt ouverte sur le sujet. Je proposerai pour ma part que la Commission prenne en compte dans son appréciation l’ensemble du marché européen et réalise ses études et projections à moyen et long terme.
Nous devrions également revenir sur l’interdiction des aides publiques aux entreprises, règle qui n’existe nulle part ailleurs. Comme vous le savez, nos amis américains, parmi d’autres, ne se privent pas d’aider leurs entreprises.
Je propose par ailleurs de limiter l’intervention de la Commission aux cas les plus importants et les plus affectés par les échanges entre les pays membres.
Enfin, on l’a rappelé à plusieurs reprises, je souhaiterais restaurer ou imposer le principe de réciprocité. Il est anormal que nous ne puissions pas accéder aux marchés publics de la plupart des pays situés en dehors de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Yung, pour répondre à votre interrogation à propos des pays qui accueilleraient fraîchement les propositions de la France et de l’Allemagne, je crois utile tout d’abord de rappeler tout le travail que mène actuellement Peter Altmaier pour embarquer l’Allemagne elle-même dans cette démarche. Il s’agit en effet d’une vraie révolution copernicienne que de s’engager dans un tel projet.
Je discutais récemment avec l’un des dirigeants du BDI, l’équivalent allemand du Medef pour l’industrie : celui-ci accueille plutôt favorablement ces propositions. Le seul point de tension, le seul sujet d’inquiétude, mais qui me paraît en fait davantage relever d’une question de vocabulaire, concerne la notion de « champion européen ».
Il est vrai que les Français y tiennent, au regard notamment de la structuration de leur industrie et compte tenu de l’existence de très grands groupes qui sont les leaders mondiaux de leur secteur. L’Allemagne et le Portugal font valoir que leur industrie repose sur des groupes de taille plus modeste, le Mittelstand allemand et les PME portugaises en particulier. Ces États sont sensibles aux enjeux en termes de consolidation. Je crois que l’on peut les rassurer sur nos intentions dans le cadre des travaux que nous menons ensemble. Il ne s’agit pas d’imposer les grands groupes français partout en Europe.
L’autre point de tension concerne évidemment le budget.
Le deuxième sujet qui fait à peu près consensus a trait à l’innovation, en particulier en matière d’intelligence artificielle et de numérique : l’ensemble des pays s’accordent sur l’idée selon laquelle il faut élever le niveau de jeu et investir ensemble.
Vous m’interrogez sur l’interdiction des aides publiques aux entreprises. Je précise que ce type d’aides n’est pas interdit, mais encadré. Ces aides le sont d’ailleurs dans tous les pays membres de l’OMC. Au sein de l’Union européenne, elles doivent respecter les règles européennes.
Les aides aux PME sont autorisées : c’est ce qui nous a permis de créer un dispositif de suramortissement, par exemple. De même, les PIIEC représentent des aides massives à destination de secteurs entiers : ainsi, la France investit 1 milliard d’euros dans les nanotechnologies et 700 millions d’euros dans le secteur automobile, au travers des batteries électriques. Ces aides existent d’ores et déjà.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction : l’industrie, de par les apprentissages et les progrès qu’elle favorise chez les acteurs, les entreprises et les personnels du secteur, est un vecteur essentiel de cohésion de nos sociétés.
Après avoir dit cela, je vous poserai trois questions.
Tout d’abord, l’évolution de l’économie mondiale et de ses zones de croissance nous force à constater que les bases de la politique de concurrence en Europe sont caduques aujourd’hui. Seront-elles revues avec le concours, le cas échéant, des règles et des sanctions extraterritoriales, qui me semblent être la seule solution aujourd’hui ?
Ma deuxième question porte sur l’avenir de l’industrie, qui ne correspond pas exclusivement à celui de la gestion des données, madame la secrétaire d’État. Je pense en particulier à la supraconductivité et aux ruptures qu’elle présage. Pourtant, je ne peux que constater que les acteurs de l’énergie en France sont totalement absents des recherches dans ce domaine. Pourquoi donc ?
Enfin, nous avons appris ces jours derniers que Saint-Gobain envisageait de céder 60 % de sa filiale Pont-à-Mousson à XinXing, une entreprise chinoise. Saint-Gobain Pont-à-Mousson, leader européen des canalisations en fonte ductile, est une entreprise stratégique pour la France. Je pense notamment à son apport en ce qui concerne la qualité des infrastructures d’assainissement et d’accès à l’eau dans nos villes, la sécurité alimentaire et son leadership en Europe sur les normes. Le Gouvernement considère-t-il que cette éventuelle opération devrait être soumise à une autorisation préalable au titre des investissements étrangers en France ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous me posez beaucoup de questions, monsieur le sénateur ! (Sourires.) Je vais tenter d’y répondre.
D’abord, on va effectivement proposer de revoir les bases de la politique de concurrence. La question des sanctions extraterritoriales relève en revanche d’un autre sujet, me semble-t-il. En tout cas, comme vous le savez, il est possible de porter des litiges au niveau de l’OMC. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous voulons relancer cette organisation et faire en sorte que sa structure d’arbitrage se dote d’un juge, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et ce qui constitue un point de blocage important.
Pour vous répondre au sujet de Saint-Gobain Pont-à-Mousson, notre objectif est évidemment de garantir la pérennité industrielle du site. À ce stade, Saint-Gobain a effectivement annoncé un projet d’ouverture de son capital ou de cession de la majorité de ses actifs qui, pour le moment, n’est ni précis ni totalement ficelé.
Ce projet pourrait effectivement donner lieu à une autorisation préalable de l’État. En tout état de cause, nous suivons de très près ce dossier : le ministre de l’économie et des finances recevra dans deux semaines les représentants de Saint-Gobain pour évoquer la pérennité de ce site, les assurer de notre attachement à ce qu’il soit maintenu en France, à ce que l’actionnariat de l’entreprise et le projet de cession d’actifs soient stables, crédibles et de long terme.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour votre réponse, même si elle n’est pas totalement satisfaisante.
Saint-Gobain est non seulement une entreprise industrielle qui crée des emplois, mais aussi une entreprise stratégique pour la France et pour l’Europe. Il ne s’agit donc pas simplement de dire qu’il faut obtenir des garanties sur l’avenir du site : il faut obtenir des garanties sur le maintien du contrôle de l’entreprise par un actionnaire européen. C’est absolument indispensable pour ce type d’entreprise. Il ne suffit pas de céder aux sirènes d’une bourse qui, malheureusement, fait gonfler le cours de Saint-Gobain, parce que la rumeur enfle. Ce n’est pas sur cette base que l’on construit une politique industrielle !
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la secrétaire d’État, parmi les trois dimensions de la politique industrielle européenne, le contrôle des concentrations, l’interdiction des aides publiques, et la répression des ententes et abus de domination, ce sont les deux premières qui recueillent sans aucun doute les critiques les plus virulentes.
Si l’existence d’une politique européenne de concurrence a puissamment contribué à l’intégration économique européenne, celle-ci se voit désormais adresser bon nombre de reproches, qui devraient conduire l’Union européenne à s’interroger sur les évolutions à y apporter.
Une fois de plus, l’histoire se répète avec Alstom. Après l’échec du rapprochement entre Aérospatiale, Alenia et De Havilland, le refus de l’accord entre Pechiney, Alcan et Algroup ou encore celui de la fusion Schneider-Legrand, sommes-nous condamnés à ne pas voir émerger de géants industriels européens dans les années à venir ?
Au-delà des projets remis en cause, si des industries européennes passent facilement sous contrôle chinois, comme Pirelli ou PSA, ou sous contrôle américain, comme Alstom Énergie, c’est, d’une part, parce que les acteurs européens potentiellement intéressés – je veux parler de Michelin, de Renault ou de Siemens – redoutent d’engager plusieurs mois de négociation avec la Commission européenne et, d’autre part, en raison de politiques industrielles nationales cloisonnées.
Il est pourtant essentiel de défendre l’application du principe de réciprocité dans la compétition mondiale. Alors que nos concurrents chinois ou américains réservent la plupart de leurs marchés publics à leurs entreprises, nous n’arrivons pas à dépasser nos intérêts nationaux ni à définir une véritable politique industrielle européenne.
Plusieurs pistes de réforme méritent d’être étudiées comme, par exemple, le fait d’instituer une instance d’appel politique aux décisions de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, la DG COMP, ou encore de créer une présomption de légalité pour les mesures de soutien aux entreprises qui sont mises en œuvre de façon coordonnée entre un nombre minimum d’États membres.
Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous présenter les mesures que vous comptez défendre dans ce domaine ? Après la politique agricole commune, comment mettre en place une politique industrielle européenne, que Nathalie Loiseau appelait d’ailleurs de ses vœux la semaine dernière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Longeot, je rappellerai d’abord que PSA n’est pas encore sous le contrôle des Chinois, puisque ces derniers ne détiennent que 10 % du capital du groupe, tout comme l’État français.
Concernant les règles de concurrence et notamment l’instance d’appel politique, l’une de nos propositions est de suggérer que le Conseil européen puisse revenir sur une décision de la DG COMP. C’est d’ailleurs le système qui est en vigueur, non seulement en France, mais aussi en Allemagne, où les ministres peuvent faire appel d’une décision de l’autorité de la concurrence, ou au Royaume-Uni. C’est dire si cette pratique n’est finalement pas si rare dans des pays de culture économique un peu différente.
S’agissant de l’interdiction des aides publiques, je veux rappeler qu’il existe des exceptions. Vous savez que les PME, en particulier, bénéficient d’un régime spécifique, ce qui leur permet de disposer de mesures spécifiques en matière fiscale. Je parlais tout à l’heure du dispositif de suramortissement.
C’est également le cas des PIIEC, ces projets particulièrement importants et stratégiques, qui sont choisis collectivement, qui peuvent profiter à plusieurs pays de l’Union européenne puis à l’ensemble des entreprises. Ils permettent aux États membres d’investir, comme c’est le cas dans les nanotechnologies – 1 milliard d’euros – ou dans les batteries électriques – 700 millions d’euros –, si nous obtenons gain de cause.
Nous voulons que ces projets soient plus simples à mener et plus rapides à boucler. C’est l’un de vos souhaits : offrir davantage de rapidité et d’agilité. Nous souhaitons qu’ils soient menés sur les six chaînes de valeur stratégiques arrêtées par la Commission européenne : les batteries électriques et la nanoélectronique, j’en ai parlé, mais aussi l’intelligence artificielle, le stockage du carbone, l’hydrogène, pour ne citer que ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. En tant que sénateur du Doubs, je sais que Peugeot n’est pas complètement sous la coupe des Chinois, mais leur participation est tout de même de 10 %. Vous savez, ils progressent tout doucement, mais sûrement !
Au travers de ma question, je voulais vous demander si l’Europe allait alléger sa réglementation pour que l’on puisse enfin faire comme les Américains et les Chinois, et accompagner un certain nombre d’entreprises dans leur développement. Ce point est essentiel si l’on veut développer une vraie politique industrielle européenne.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la secrétaire d’État, l’Europe ne pourra pas bâtir de politique industrielle si elle n’est pas en mesure de protéger ses intérêts stratégiques, ses marchés et ses entreprises. Si le débat sur les outils de défense commerciale reste animé, voire houleux, il n’est heureusement plus tabou.
Il reste cependant un point sur lequel aucune riposte efficace n’a encore pu être élaborée, c’est l’extraterritorialité du droit américain, pratique qui s’apparente davantage à un racket organisé qu’a une simple distorsion de concurrence, puisqu’elle instrumentalise le droit pour déstabiliser, fragiliser ou placer sous surveillance les concurrents des entreprises américaines.
M. Jean Bizet. Très juste !
Mme Pascale Gruny. En décembre dernier, on apprenait qu’Airbus risquait d’en être la prochaine victime. En plus d’une colossale amende, le groupe pourrait ainsi se voir couper l’accès aux marchés internationaux libellés en dollars. Il s’agirait d’une catastrophe qui laisserait le champ totalement libre à Boeing. Ces dix dernières années, près de 40 milliards d’euros sont passés des caisses des entreprises européennes à celles du fisc américain. Et sur les dix-sept pénalités les plus lourdes qui ont été infligées, douze l’ont été à des entreprises européennes, la plupart industrielles.
Même si cela risque de changer avec Huawei, aucune entreprise chinoise n’a encore été visée, car l’administration américaine sait que Pékin n’hésitera pas à répliquer en s’en prenant aux sociétés américaines. Cette dissuasion, l’Europe n’est jamais parvenue à l’instaurer. L’activation du règlement dit « de blocage » de 1996 et le lancement du dispositif Instex – Instrument in support of trade exchanges – en début d’année ont le mérite d’exister. Toutefois, ils restent largement inopérants, car ils ne sont pas sous-tendus par une volonté politique de ne rien céder face à la prédation américaine.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : quelle stratégie crédible et efficace la France pourrait-elle proposer pour que l’Europe ne soit plus soumise aux injonctions américaines et qu’elle protège mieux son industrie des appétits de Washington ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Gruny, vous m’interrogez sur l’extraterritorialité.
D’abord, je précise que le cas d’Airbus est un peu plus complexe que ce que vous mentionnez, puisqu’il existe des soupçons sur les modalités de passation de certains marchés qui ne sont pas étayés que par les États-Unis : de mémoire, une instruction est également ouverte au Royaume-Uni et en France. Je me permets simplement de délimiter précisément le sujet.
En revanche, vous avez raison, ces pratiques d’extraterritorialité sont insupportables : elles conduisent à déstabiliser nos entreprises. Je prendrai l’exemple du marché iranien duquel certaines entreprises ont été obligées de sortir à très grande vitesse, en enregistrant évidemment des pertes et en perdant des parts de marché.
C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un premier dispositif, Instex, qui sera opérationnel dans les prochaines semaines et permettra aux entreprises de travailler avec l’Iran, grâce à une institution neutre qui empêchera l’intervention des États-Unis.
Je précise que les Chinois font aussi l’objet de mesures de rétorsion de la part des Américains. C’est particulièrement vrai en matière de propriété intellectuelle. Ce sujet nous préoccupe moins en Europe, parce que nous respectons un peu mieux la propriété intellectuelle.
En matière d’extraterritorialité, nous travaillons actuellement sur le Cloud Act pour y apporter une réponse politique, l’application du principe de réciprocité, et technologique. Nous avons également le rapport Gauvain, qui permettra très prochainement de faire des propositions précises, à la fois à l’échelon national – je crois qu’il est important d’agir à ce niveau – et à l’échelon européen. Nous aurons tout loisir de revenir sur le sujet.