M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Ce sujet est vraiment important. Nous sommes à la veille des élections européennes et la question de la protection des entreprises en France, mais aussi au sein de l’Union européenne, revient tout le temps. Parfois, la DG COMP n’est d’aucune aide face à la puissance des entreprises étrangères.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux revenir sur le mécanisme européen de filtrage des investissements étrangers, entré en vigueur le lundi 1er avril. Ce mécanisme vise à surveiller l’impact des acquisitions d’entreprises ou de technologies stratégiques en Europe par des groupes étrangers. Il s’agit d’un premier pas en matière de défense commerciale de notre patrimoine industriel et technologique, bien nécessaire dans le nouveau contexte international.
Un rapport récent de la Commission européenne sur les investissements directs étrangers montre que le poids prépondérant des investisseurs étrangers historiques en Europe, au premier rang desquels les États-Unis, tend à diminuer en faveur notamment de la Chine.
Or la problématique essentielle pour les États-Unis était et reste celle des barrières douanières commerciales. En revanche, la Chine est bien plus intéressée par les technologies que nous développons en Europe, notamment en matière d’industrie aéronautique et de machines spécialisées, mais pas seulement.
Ces deux dernières années, l’Union européenne s’est certes dotée d’outils visant à améliorer sa capacité à résister aux offensives commerciales chinoises, mais l’action coordonnée des Européens doit être renforcée. Je pense en particulier au projet des nouvelles routes de la soie ou à la fragilité de certains États membres comme la Grèce, face aux investissements chinois, en raison de la perte de leur propre capacité industrielle.
Aussi, le mécanisme de filtrage des investissements reste insuffisant face à ces enjeux. Il met en place un dispositif utile de coopération entre États, qui permettra un échange d’informations sur les filtrages en cours. En revanche, le texte adopté n’oblige pas les États à opérer ce filtrage et précise clairement que la décision d’approuver un investissement reste exclusivement du ressort national. La Commission européenne aura simplement la possibilité d’émettre une opinion.
Il demeure donc indispensable de s’organiser, à la fois pour la protection des industries européennes et pour un meilleur encadrement des investissements étrangers dans les États membres tentés par des investissements chinois massifs.
Ma question est double : comment notre pays se saisira-t-il de ce nouveau dispositif de filtrage des investissements ? De quelle manière va-t-il s’engager pour améliorer les mécanismes de protection commerciale à l’échelle européenne ?
M. Martial Bourquin. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je veux d’abord signaler que les États-Unis s’intéressent aussi à nos technologies. Ils n’entoureraient pas certaines de nos start-up de tant de sollicitude si tel n’était pas le cas.
J’évoquerai deux points au sujet du mécanisme de filtrage des investissements étrangers.
À l’échelon national, nous avons notre propre dispositif, que nous venons d’ailleurs de renforcer dans la loi Pacte. Celui-ci s’articule parfaitement avec le dispositif européen. Nous sommes un peu avant-gardistes sur le sujet. Nous avons également renforcé les sanctions applicables et pris un nouveau décret pour renforcer le rôle de l’État dans la détection et le suivi des investissements étrangers, notamment sur tout ce qui touche à la communication des informations de la part des investisseurs.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà expliqué ici, notre mécanisme de suivi des investissements étrangers est particulièrement efficace, c’est-à-dire qu’un flux important de dossiers nous parvient et est examiné.
À l’échelon européen, la première étape consiste à ce que l’Europe se saisisse du mécanisme. Comme vous le savez, celui-ci rayonne sur chacune des législations nationales. L’Allemagne, par exemple, est en train de réfléchir à renforcer son propre dispositif en raison du départ de certains fleurons technologiques nationaux, qui a été légitimement assez mal vécu dans le pays. Un certain nombre de pays européens s’emparent donc de ce sujet, et ce de manière assez volontaire.
L’enjeu consiste également à mettre en place des échanges d’informations entre pays européens, justement pour améliorer le caractère fonctionnel de ce mécanisme de screening des investissements étrangers au plan national, mais également au niveau européen. Aujourd’hui, je ne crois pas que les gouvernements européens versent dans la naïveté par rapport aux investisseurs étrangers. La situation a beaucoup évolué.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.
M. Jean-Claude Tissot. J’ai bien compris votre réponse, madame la secrétaire d’État : notre pays est capable de dresser un constat. Toutefois, ma question portait plutôt sur notre capacité à mettre en œuvre des moyens coercitifs – le mot est peut-être un peu fort – une fois un tel constat dressé.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. On peut déjà interdire certains investissements étrangers en France, monsieur le sénateur ! C’est déjà possible !
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Nous avons bâti l’Europe avec l’idée que l’union était indispensable pour faire face aux puissants que sont les États-Unis ou la Chine. C’était plutôt bien parti avec le marché commun et la monnaie unique, qui ont facilité la vie des entreprises. Mais, nous sommes loin d’en avoir fini.
Chaque jour, en effet, nous constatons des différences réglementaires et politiques entre les États membres de l’Union européenne. Ces différences créent des concurrences toxiques et rendent difficile la production dans des domaines complexes et innovants. Nous sommes loin des produits made in Europe.
Je suis convaincu que nous pourrions conduire une politique commune avec, d’un côté, la convergence de certaines règles sur des chantiers majeurs et, de l’autre, des règles spécifiques pour que chaque État conserve ses caractéristiques.
Il suffit de bien définir les sujets. Je pense par exemple à la lutte contre le réchauffement climatique. Imposer une taxe carbone sur les produits importés pour rendre compétitifs les produits fabriqués en Europe, c’est un chantier qui doit être suivi au sein de l’Europe et qui sera une juste réplique aux taxations appliquées par nos concurrents, comme la Chine ou les États-Unis. De telles taxes seraient, de plus, parfaitement compatibles avec les règles de l’OMC.
Il faut aussi agir dans le domaine de la fiscalité et de la taxation du travail. Les différences actuelles entre États membres de l’Union européenne entraînent la fermeture de certaines de nos entreprises employant de la main-d’œuvre et de certaines de nos PME : en France, l’imposition est trop forte, le coût du travail est trop cher et nos réglementations sont trop strictes. Bilan : les entreprises françaises n’ont plus assez de marges et deviennent vulnérables à chaque transmission. On a encore pu le constater le week-end dernier.
Cette concurrence entre États bloque les rapprochements industriels et empêche l’émergence d’acteurs européens puissants, sans grand bénéfice pour les consommateurs. Posons-nous les bonnes questions : pourquoi ne fabriquons-nous pas de smartphone européen ? Pourquoi n’avons-nous pas de concurrent européen face à Amazon, Facebook ou Huawei, alors que nous sommes capables de construire des Airbus quand nous choisissons de nous rapprocher ? L’Europe devrait poursuivre les recherches nécessaires dans ces domaines et mobiliser les fonds pour le développement de telles sociétés.
Madame la secrétaire d’État, j’ai deux questions. Quelle orientation allons-nous prendre : allons-nous diminuer les impôts, les règles et les taxes pour redevenir compétitifs au sein de l’Europe ? Allons-nous enfin supprimer ces concurrences toxiques pour œuvrer ensemble à la réalisation de produits européens ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Baisser les impôts pour redevenir compétitif ne peut pas faire de mal, mais je pense qu’il faut commencer par balayer devant sa porte et le faire en France. Il s’agit d’un commentaire à part.
Néanmoins, et je partage votre point de vue, on n’arrivera pas à développer le même modèle low cost que dans un certain nombre de pays. Le vrai sujet, c’est le travail que nous menons au plan européen au travers de la directive-cadre sur les exigences en matière d’écoconception, à savoir une conception des produits qui intègre dès l’amont une approche écologique, ce qui est aussi une façon de gagner de la compétitivité. Cette démarche n’est pas seulement contraignante, bien au contraire.
Il s’agit également d’engager une discussion, par exemple, pour mettre en place une taxe carbone aux bornes de l’Europe. On peut en effet justifier une telle mesure dans le cadre du marché unique, d’autant qu’elle respecte les règles de l’OMC. Des discussions existent sur ce dossier à l’échelon européen.
Quant à la mise en commun des moyens au service de l’innovation, vous savez sûrement que la France a créé un fonds pour l’innovation dans l’industrie, qui a été très discuté dans cette enceinte au moment du débat sur la privatisation d’Aéroports de Paris. Je rappelle que cette privatisation sert à abonder ce fonds pour l’innovation de rupture.
Dans un premier temps, nous travaillons avec l’Allemagne, mais nous nous inscrivons également dans une perspective européenne pour créer une approche commune au plan européen. Si dix pays différents versent 10 milliards d’euros chacun, le dispositif va commencer à ressembler à quelque chose.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Cour des comptes a estimé récemment que la fusée Ariane 6 était trop conventionnelle pour faire de l’ombre à son grand rival américain SpaceX.
Comme vous le savez, l’année 2019 est une année de transition entre Ariane 5 et le nouveau lanceur Ariane 6, dont le premier vol devrait intervenir dans le courant du second semestre de 2020. Il est donc impératif de poursuivre, voire d’amplifier les programmes de recherche, car Ariane 6 va arriver sur le marché mondial dans un environnement très concurrentiel. L’option de lanceurs récupérables doit faire l’objet d’études complémentaires en vue d’améliorer ses performances et de mesurer sa viabilité.
Si on peut légitimement s’interroger sur les choix technologiques effectués par la filière européenne, on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, qui nécessite une vision stratégique claire. Cette dernière nous a fait défaut ces dernières années, puisque Arianespace a perdu sa place de leader mondial de l’accès à l’espace commercial depuis 2016.
Dans ce contexte, j’aurais souhaité attirer votre attention sur l’absence d’une préférence européenne imposant aux États membres d’utiliser exclusivement le lanceur européen, contrairement à nos voisins américains, qui « lancent américain », aux Chinois, qui « lancent chinois », ou aux Russes, qui « lancent russe ».
Pourriez-vous m’indiquer, madame la secrétaire d’État, si la préférence européenne pour les lancements de satellites institutionnels européens – gouvernementaux, militaires ou scientifiques – sera une réalité pour la fusée Ariane 6 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous avez raison, madame la sénatrice Morhet-Richaud, de souligner la percée spectaculaire de SpaceX dans l’univers des lanceurs. Je précise d’ailleurs que cette percée spectaculaire n’est pas le fait d’une entreprise inventée dans un garage ; nous avons face à nous une entreprise qui a été, dès l’origine, massivement soutenue par le Department of Defence – donc par le gouvernement des États-Unis –, lequel a financé un certain nombre de lancements.
S’agissant de la France, l’objectif est évidemment de poursuivre et amplifier les programmes de recherche, car le prochain lanceur est deux fois moins cher que celui que nous utilisons actuellement et permettra, par conséquent, un véritable gain de compétitivité.
Nous, Français, appliquons la préférence européenne, mais effectivement chaque pays est libre de le faire.
Nous la promouvons également, comme j’ai eu l’occasion de le dire à la tribune. En effet, il nous apparaît essentiel de mettre en œuvre cette préférence européenne si nous voulons construire une véritable industrie de la défense et aérospatiale, et nous donner un accès à l’espace – c’est tout de même un point important, sachant que, dans ce domaine, il y a également le projet italien de lanceur Vega, pour des lancements d’objets de plus petite taille.
Très clairement, c’est un des enjeux des discussions que nous avons, aujourd’hui, avec l’Agence spatiale européenne et l’ensemble des pays européens.
À cet égard, il faut garder en tête un autre sujet : celui des satellites. Dans ce secteur, où nous disposons de grands constructeurs, mais également de grands opérateurs, nous avons aussi à forger cette vision européenne.
Je partage donc entièrement votre constat, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique industrielle a une singularité, comparée à de nombreuses autres politiques publiques – politique fiscale, politique commerciale, politique de l’emploi… – : on est tenté, soit de tout y mettre, soit de se concentrer sur un volet seulement, sur un concurrent en particulier ou sur un secteur.
Ces différentes tentations illustrent le flou de ce qui constituerait une politique ou une stratégie industrielle, de surcroît européenne.
Et derrière ce flou, se révèle un problème plus fondamental : nous ne serions pas capables, aujourd’hui, en 2019, en France et en Europe au moins, de déterminer la juste place et le rôle de la puissance publique, de l’État dans l’économie et dans la société.
Voilà quelques jours, à Hanovre, madame la secrétaire d’État, vous tweetiez qu’« une politique européenne, c’est mettre nos politiques de la concurrence, du commerce et de l’énergie au service de l’industrie ». Toutefois, vous ne précisez pas l’échelle la plus pertinente pour chaque volet et action de la politique industrielle.
Vous évoquez, avec le ministre de l’économie et des finances, la constitution de « champions européens » ou de « géants européens » capables de concurrencer les entreprises chinoises et américaines. Vous allez jusqu’à exprimer votre volonté de revoir les règles de la concurrence européenne, en particulier depuis le rejet, par la Commission, du projet de fusion entre Siemens et Alstom.
« Unir nos forces ou laisser notre base et notre capacité industrielles disparaître progressivement » : ce sont les mots du manifeste franco-allemand récemment publié.
Concrètement, comment concilier la constitution de géants avec la rigueur de notre administration européenne ? Dès lors, quelle place accordez-vous dans une politique industrielle européenne aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je crois, monsieur le sénateur Bouloux, avoir mentionné que la vision que nous avons de la constitution de champions nationaux est assez teintée par notre propre tissu industriel. Notre objectif est d’aller au-delà, bien au-delà, de ce simple exemple.
Mais, si je crois profondément que le rapprochement entre Alstom et Siemens aurait pu faire naître un groupe ferroviaire suffisamment puissant pour affronter son homologue chinois, capable de continuer à investir dans l’innovation et de garder son avance technologique, notamment en matière de signalisation, je pense que la politique industrielle dépasse de loin les grands groupes. C’est d’ailleurs tout le sens du travail que nous réalisons avec le Mittelstand allemand, démontrant que des entreprises de taille intermédiaire peuvent réussir au plan international et devenir leaders sur des niches.
Vous l’avez dit, la politique industrielle a pour vocation d’irriguer l’ensemble des politiques européennes, avec un objectif : celui de produire et d’avoir de l’emploi en Europe, grâce à des entreprises compétitives, et non en soutenant de manière infondée des entreprises qui ne le seraient pas.
Pour atteindre une telle compétitivité, plusieurs conditions doivent être remplies.
Il faut une politique commerciale adaptée. Le libre-échange est souhaitable s’il y a réciprocité – il a permis à nos pays de connaître une forte croissance économique au cours des soixante dernières années –, mais nous devons être capables de réagir lorsque cette réciprocité n’existe plus.
Il faut une politique de la concurrence adaptée. Nous avons déjà largement évoqué cet aspect.
Il faut également une politique environnementale adaptée. Dès lors que nous nous imposons des contraintes pour protéger nos consommateurs, il n’est pas illégitime de les protéger également de produits qui ne répondraient pas aux standards que nous avons fixés. Nous disposons d’une certaine avance en matière de productions environnementales ; autant qu’elle soit un atout pour notre compétitivité ! Il en va de même pour l’énergie.
À cela s’ajoute un dernier point : il faut un marché intérieur mieux intégré, au niveau tant des services et des produits que des capitaux.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Si j’ai souhaité intervenir dans ce débat relatif à la politique industrielle européenne, c’est pour aborder le sujet de l’industrie pharmaceutique ou, plus précisément, comme le montre le récent rapport sénatorial auquel j’ai pu participer, celui de la dépendance en principes actifs de l’Europe pour la fabrication des médicaments.
De cette dépendance découle une pénurie pour notre continent, qui se fait de plus en plus prégnante, représente un danger pour les malades et met en jeu notre sécurité sanitaire.
Cette pénurie est en constante progression en France et en Europe depuis plusieurs années. Ainsi, nous sommes passés de 44 signalements de rupture de stock en 2008 à plus de 530 au 1er janvier 2019, pour une durée moyenne de quatorze semaines.
Les chaînes de production pharmaceutique font face, de façon générale, à d’importantes problématiques, telles que les difficultés d’approvisionnement en matières premières par concentration des sites de production en principes actifs en Inde, Chine et Asie du Sud-Est.
Par ailleurs, les professionnels sont confrontés, en Europe, à une augmentation des coûts de production, parallèlement à des prix de vente de plus en plus contraints, les incitant à externaliser leurs outils de production européens vers des pays à main-d’œuvre disponible, de bas coût et aux normes moindres. En 2018, l’Inde et la Chine concentraient 61 % des sites et 80 % des fabricants de substances actives des médicaments disponibles en Europe étaient situés en dehors de l’Union européenne, contre 20 % voilà trente ans.
Il y a donc là une inquiétante perte d’indépendance sanitaire et l’urgence de mettre en place une véritable stratégie industrielle de relocalisation européenne de fabrication des principes actifs. L’Europe doit recréer les conditions d’une production de proximité et d’une filière « chimie » forte, afin de redémarrer la fabrication des médicaments d’intérêt vital actuellement importés et dont la livraison est irrégulière. C’est d’autant plus important que certains sites français, par exemple celui de Saint-Genis-Laval, dans le Rhône, sont menacés.
Les sites de production chimique et pharmaceutique constituent un secteur particulier, auquel il est nécessaire d’appliquer des dérogations, en contrepartie, bien sûr, d’engagements.
Je voudrais donc savoir, madame la secrétaire d’État, quelle est l’ambition du Gouvernement pour une véritable stratégie pharmaceutique industrielle européenne.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. La question que vous posez, madame la sénatrice, m’est particulièrement chère. En effet, pendant les trois années où j’ai travaillé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, j’ai connu l’arrivée sur le marché de toute une génération de médicaments innovants et la dureté extrême des négociations conduites par les autorités de tutelle sur ces principes actifs, avec, effectivement, des impacts budgétaires non négligeables, mais aussi des réponses essentielles apportées aux patients.
Premier élément de réponse, l’industrie pharmaceutique fait l’objet, aujourd’hui, d’un contrat stratégique de filière, prévoyant un travail spécifique sur les bio-productions. Ce travail doit nous amener à être plus compétitifs en matière de production, mais aussi à assurer le financement des innovations afin d’en conserver la maîtrise.
Deuxième élément de réponse, le Conseil stratégique des industries de santé, le CSIS, déploie également un programme de travail en vue d’améliorer l’attractivité de la France en tant que pays de destination pour l’industrie pharmaceutique.
Nous devons notamment être capables d’avoir une vision industrielle s’agissant de nos dépenses de santé. Ainsi, la France est traditionnellement un très bon négociateur sur le prix des nouvelles thérapies, ce qui a pour contrepartie des difficultés en termes de financement et de juste paiement de la recherche sur ces nouvelles thérapies.
Comme l’a reflété la loi de financement de la sécurité sociale, le CSIS a donc prévu un traitement différencié entre les molécules dites « matures » – elles le sont en cinq ans, et non en quinze ans – et les molécules nouvelles, afin de garantir une rémunération plus appropriée de l’effort de recherche.
Ces axes de travail sont retenus pour l’ensemble des médicaments clés.
Je vois que mon temps de parole est écoulé et que j’ai beaucoup parlé de la France, et trop peu de l’Europe. À cette échelle, il nous faut penser chaîne de valeur et chaîne logistique. C’est un point que nous avons en tête.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Serge Babary, pour le groupe auteur de la demande.
M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains. Madame la secrétaire d’État, vous avez pu mesurer l’intérêt, parfois l’inquiétude, suscités par ce sujet de la stratégie industrielle sur toutes les travées de notre hémicycle et je voudrais, en conclusion de ce débat, remercier tous nos collègues qui sont intervenus.
L’industrie est un pilier fondamental de l’économie européenne, un moteur indispensable à sa productivité, sa croissance et son innovation. Elle fournit un emploi à 35 millions de personnes et représente 20 % du PIB de notre continent.
Depuis trente ans, son poids dans l’économie européenne n’a pourtant cessé de chuter.
La concurrence des pays émergents, qui a fait tant de mal à nos industries traditionnelles, s’exerce maintenant de manière aussi pressante sur des secteurs à très haute valeur ajoutée, que l’on croyait pour longtemps à l’abri.
Dans le même temps, des bouleversements technologiques majeurs rebattent avec une incroyable vitesse les cartes de la puissance industrielle, transformant des secteurs entiers aussi rapidement qu’ils créent de nouveaux marchés.
L’organisation collective du commerce international est, quant à elle, en train de changer radicalement de nature.
Ses règles multilatérales s’étiolent peu à peu dans la foulée du néoprotectionnisme américain et, surtout, de l’inexorable montée en puissance de la Chine, qui, rappelons-le, continue de profiter d’un traitement préférentiel lié à son statut d’économie en développement – ce qu’elle n’est plus – tout en réclamant les avantages liés au statut d’économie de marché – ce qu’elle n’est pas. La conquête du monde dans laquelle ce pays s’est lancé n’est donc pas alimentée uniquement par ses mérites propres, qui sont certes réels.
Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen apparaît, non plus comme une option, mais comme une obligation.
La réalité économique ne laisse en effet plus guère le choix.
Le premier axe est humain. L’industrie est et sera confrontée à un immense besoin de compétences, lié à l’évolution de ses métiers. Il est donc nécessaire que l’Union européenne soutienne les efforts d’investissements des États membres dans l’éducation, l’apprentissage et la formation professionnelle.
Ensuite, un cadre stratégique de soutien au développement industriel doit être élaboré autour de l’identification des secteurs pouvant être qualifiés d’intérêt stratégique pour l’économie européenne. Dans ces domaines, la recherche et l’innovation devront être massivement soutenues, à la fois par des fonds publics en hausse et par une mobilisation accrue des financements privés, et les coopérations industrielles devront être facilitées et encouragées, notamment via le lancement de grands projets structurants.
Mais, pour que des leaders industriels européens, puis mondiaux, soient en capacité d’apparaître dans les secteurs prioritaires, la politique de concurrence devra opérer une importante évolution. Si l’on souhaite véritablement soutenir la réindustrialisation du continent, le droit de la concurrence devra également prendre en compte d’autres éléments que le seul intérêt du consommateur, notamment des impératifs tels que la préservation de l’indépendance technologique, de l’emploi ou des savoir-faire industriels.
Enfin, si l’Europe s’est fondée sur les principes d’ouverture des marchés et de concurrence libre et non faussée, force est de constater que ces préceptes ne sont pas nécessairement ceux qui guident la politique économique du reste du monde. La définition d’une politique industrielle européenne n’ira donc pas sans une politique commerciale révisée sur le fondement d’une exigence de réciprocité des échanges.
Instruments de défense antidumping et antisubventions, réciprocité des conditions d’accès aux marchés ou aux programmes de financements publics, contrôle renforcé des investissements étrangers dans les actifs stratégiques, meilleure vérification de la conformité des produits importés avec les règles européennes, tous ces thèmes sont aujourd’hui au cœur des discussions. Ils doivent trouver une concrétisation ambitieuse, et surtout efficace, pour que l’Europe s’affirme davantage dans la mondialisation.
Sans stratégie volontariste, l’Europe industrielle risque de passer à côté des nombreux nouveaux marchés qui ne cessent d’éclore. Mais, ce faisant, elle risque surtout d’être balayée par des concurrents internationaux particulièrement déterminés et conquérants. Il est donc urgent de la réindustrialiser.
Dans un rapport d’information intitulé La politique industrielle et commerciale de l’Union européenne face à la mondialisation de l’économie, présenté au Sénat le 28 mai 1998, le sénateur Jacques Oudin affirmait déjà : « L’Europe n’aura sa place dans le monde qu’en s’appuyant sur un socle industriel performant et compétitif. » Nous ne disons rien d’autre ! Il ajoutait : « Elle y trouvera également le moyen de créer de véritables emplois, les emplois industriels étant un élément déterminant pour la création d’emplois de service nombreux. »
Selon notre ancien collègue, le contexte était alors favorable à ce que soit, enfin, forgée une politique industrielle et commerciale porteuse d’espoirs pour l’avenir. Nous étions en 1998 !
En ce domaine, on le voit, les rapports, communications, résolutions se sont succédé avec les mêmes constats, mais aucun n’a véritablement été suivi. Pourquoi en irait-il aujourd’hui différemment ?
L’expression « politique industrielle » n’est plus un tabou. Une certaine prise de conscience semble enfin voir le jour, tant au niveau des institutions communautaires que des États membres, traditionnellement rétifs à une stratégie industrielle commune. Le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle, publié le 19 février dernier, est un premier pas vers une vision stratégique de l’industrie européenne.
C’est donc maintenant qu’il faut agir, pour permettre à l’industrie européenne de faire valoir pleinement ses nombreux atouts dans la compétition internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)