M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Patrick Kanner. Je dénonce l’hypothèse de l’utilisation du référendum, dont l’instrumentalisation servirait de sanction à l’encontre du Sénat.
Je dénonce une attitude menaçante à l’égard des élus de la Nation, parce qu’ils auraient le défaut de déplaire au Château ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Bravo !
M. Patrick Kanner. Sachez que ces espaces de respiration démocratique, où les oppositions sont structurées autour de partis, sont la garantie d’une République vivante dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, en réduisant le nombre de parlementaires, vous risquez d’affaiblir la pluralité politique. Celle-ci ne peut pas exister correctement dans un parti attrape-tout, dans un parti unique, ou si vous créez, de fait ou de manière assumée, les conditions d’une alternance politique avec la seule extrême droite. C’est tout le leurre du « et droite, et gauche », qui écraserait tout sur son passage.
D’ailleurs, permettez-moi de noter une contradiction dans votre politique et dans votre engagement sur le sujet : vous nous appelez à dépasser nos partis – peut-être faut-il voir le mot « effacement » derrière celui de « dépassement » ? –, dans l’intérêt du pays. Mais, lorsque nous le faisons sans pour autant abjurer un quelconque engagement, comme sur la question d’Aéroports de Paris, vous nous le reprochez.
Permettez-moi donc de trouver votre injonction à vous soutenir quelque peu opportuniste. Votre prétendue recomposition politique passe d’abord par la destruction des partis politiques classiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Patrick Kanner. Vous l’avez compris, nous n’approuverons pas votre déclaration de politique générale, que vous nous demandez de voter en application de l’article 49, alinéa 4, de la Constitution. Cette déclaration est manifestement utilisée aujourd’hui au Sénat comme une trappe à soutiens et, surtout, comme une machine électorale à stigmatiser pour les échéances à venir.
Ainsi, j’ai la preuve qu’au moins l’un de vos ministres – il se reconnaîtra, je n’en doute pas – est en train d’envoyer des SMS, y compris à des sénateurs de mon groupe, pour obtenir des appuis. (Exclamations amusées.)
M. Martial Bourquin. En ce moment même !
M. Julien Bargeton. J’ai les noms ! (Sourires.)
M. Patrick Kanner. Le bilan de l’acte I du quinquennat vous conduit à un acte II sans changement de cap. Cette perspective ne nous convient pas : à la gauche du pays, maintenant, d’offrir une véritable alternative ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le Premier ministre, vous ouvrez cette semaine devant le Parlement l’acte II du quinquennat du Président de la République.
L’écoute et le dialogue étant à notre sens les premiers attributs d’un élu – nous les mettons d’ailleurs en application –, c’est avec responsabilité que nous tirerons les conséquences de votre déclaration de politique générale au travers de notre vote, en gardant constamment en tête les besoins de tous nos territoires. Tel est en effet, monsieur le Premier ministre, le sens profond que nous donnons à notre fonction d’élus de la Nation, nous qui incarnons la démocratie représentative, loin des mirages du mandat impératif.
Avant toute chose, nous savons combien notre époque est celle d’un bouleversement des repères. Le monde est en train de redéfinir ses équilibres géopolitiques en basculant vers le Pacifique. L’Europe politique est à la recherche d’un nouveau souffle pour s’incarner. Le modèle économique est allé au bout de sa logique ultraproductiviste, ce « capitalisme devenu fou » dont a parlé le Président de la République à Genève. La transition écologique est devenue une nécessité absolue, qui doit dépasser les clivages partisans et à laquelle les Français ont montré leur attachement lors du scrutin européen.
Notre pays n’échappe évidemment pas à ces mouvements profonds, parfois chaotiques, qui mettent à mal la promesse républicaine d’égalité. La crise des « gilets jaunes », avec ses demandes de justice sociale, mais aussi ses outrances inacceptables, en est le symptôme paroxystique. Nous l’avons suffisamment rappelé à cette tribune.
Mon groupe, pour sa part, refusera toujours de s’incliner devant la pression de la rue. Nous tirons notre légitimité du seul suffrage universel. C’est pourquoi nous ne céderons pas au pessimisme béat des « déclinistes » de tous bords, thuriféraires du statu quo. Rien n’est plus faux ! Depuis 2017, nous sommes bien placés pour savoir que de nombreuses réformes ont été votées : la réforme de la SNCF, les ordonnances Travail, la loi ÉLAN – évolution du logement, de l’aménagement et du numérique –, ou encore la modernisation de la formation professionnelle.
Oui, il y a des signaux encourageants : la France est redevenue attractive pour les investisseurs étrangers, les créations nettes d’emplois progressent et le pouvoir d’achat s’améliore lentement.
Votre gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, a également pris des mesures fortes et significatives pour nos finances publiques, afin de répondre à des demandes légitimes : annulation de la hausse de la CSG sur les retraites, report des hausses des prix du carburant et des taxes sur l’énergie, facilitation des primes exceptionnelles.
Vous avez certes répondu à une demande urgente de revalorisation du pouvoir d’achat, première préoccupation de nos concitoyens, comme l’a montré le grand débat. Mais convenez que ce n’est pas suffisant : la souffrance qui s’est exprimée ne peut rester sans réponse structurelle.
Monsieur le Premier ministre, il existe certes une culture de gauche et une culture de droite, comme vous l’avez dit. Néanmoins, vous le savez, la bipédie suppose un équilibre harmonieux entre les deux jambes : celle de droite, déjà bien nourrie, et celle de gauche. Or notre pays ne peut plus se permettre de claudiquer, parce qu’une jambe serait hypertrophiée par rapport à l’autre. Il est temps de corriger ce déséquilibre.
Peut-être est-ce d’ailleurs ce que vous avez voulu signifier en déclarant que vous souhaitiez « remettre de la proximité et de l’humain » dans votre politique. Mais comment allez-vous concilier ce besoin de proximité, que vous redécouvrez, avec la constance et la cohérence que vous avez rappelées ? Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle votre ministre de l’action et des comptes publics affirmait la semaine dernière vouloir « parler davantage au peuple ».
Sur le principe, ces inflexions ne peuvent que nous convenir. Je vous le disais d’ailleurs le 6 décembre dernier : nous serons avec vous pour soutenir des mesures simples et concrètes répondant aux besoins de nos concitoyens, à rebours de la technocratie qui a sclérosé notre pays.
Oui, nombre de vos annonces vont dans le bon sens, même si elles ne manquent pas de susciter des interrogations.
Quid du plan Pauvreté, qui semble au point mort ? Comment allez-vous financer la suppression de la taxe d’habitation tout en relançant la péréquation horizontale ? Quelles dépenses publiques allez-vous réduire pour financer les baisses d’impôt ? Quelle vision de la laïcité souhaitez-vous défendre pour combattre les fractures communautaristes ? Comment l’État peut-il faire pour mieux accompagner les collectivités dans leurs projets de développement et de soutien à l’ingénierie – je pense ici à notre proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires ?
Vous le savez, ce que mon groupe attend, ce sont des actes forts. Pour nous, la promesse républicaine de l’égalité n’est ni une chimère ni une relique.
Or, chaque semaine, nous voyons sur le terrain des femmes et des hommes en souffrance, des territoires victimes de fractures anciennes et profondes.
Ce sont les zones rurales, abandonnées par Paris, qui accumulent fermetures de services publics et facteurs d’enclavement. Ce sont les zones urbaines populaires, qui subissent les retards économiques et sociaux depuis trop longtemps. Ce sont encore les zones périurbaines, trop excentrées des métropoles pour bénéficier de leurs richesses, mais où la classe moyenne doit vivre, contrainte de travailler dans les grandes villes malgré la saturation des transports.
Tous ces citoyens ne réclament pas l’aumône. En effet, le déclin prophétisé par certains n’est pas inexorable. Ce que nos concitoyens veulent, c’est de la considération, le respect de leur dignité ou, pour le dire avec vos mots, de la « civilité ». Nous n’avons pas oublié, par exemple, le triste épisode de la fin de non-recevoir opposée à la revalorisation des pensions de retraite agricole.
Vous avez encore évoqué la défiance qui se serait accentuée entre les Français et leurs représentants ou l’administration. Vous y apportez comme principale réponse votre réforme institutionnelle, dont l’essentiel ne soulève pas de difficultés majeures. Bien sûr, la question de la réduction du nombre de parlementaires est sensible, non pas parce que nous serions corporatistes – caricature que l’on fait de nous pour mieux nous stigmatiser –, mais bien parce qu’il est question de représenter au mieux les citoyens et les territoires.
Monsieur le Premier ministre, le Sénat est la chambre dans laquelle résonnent les voix de tous les territoires qui font la France. Toujours dans le respect et le dialogue, je vous propose de poursuivre vos échanges avec le Sénat en appliquant cette méthode. Il sera toujours temps ensuite, s’il le faut, de demander leur avis aux Français. Cela étant, vous savez mieux que moi que d’aucuns s’y sont essayés sans succès… (M. le Premier ministre sourit.)
Pour l’heure, les votes au sein du groupe du RDSE seront divers ; c’est notre liberté de ton. (Exclamations amusées.)
Certains, la majorité des membres du groupe, approuveront votre déclaration de politique générale. Mais n’y voyez pas un blanc-seing ! (Sourires.)
M. Julien Bargeton. Bien sûr !
M. Jean-Claude Requier. D’autres s’abstiendront, car ils attendent avec vigilance que les engagements se transforment en actes.
M. Martial Bourquin. Nul n’est parfait !
M. Jean-Claude Requier. Les derniers, enfin, voteront contre, car ils ne se retrouvent pas dans votre ligne politique. (Rires.)
M. Max Brisson. Et les autres ?…
M. Jean-Claude Requier. Cependant, ne doutez pas que nous placions tous la réussite de notre pays au-dessus des contingences.
En résumé et en conclusion, monsieur le Premier ministre, restez à 80 kilomètres par heure pour les mesures libérales, mais accélérez à 90 kilomètres par heure pour les mesures sociales et territoriales ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après un long discours hier et un nouveau discours devant vous ce matin, je serai bref.
Je veux remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés à cette tribune, plus particulièrement le président Patriat, le président Malhuret et le président Requier, qui ont formulé le soutien de leur groupe, que celui-ci soit général, majoritaire ou… autre. (Sourires).
Hier et ce matin, j’ai tenté d’exposer ce que nous allions faire, de détailler le calendrier que nous nous fixions et la méthode que nous entendions mettre en œuvre.
Bien entendu, en fixant un tel objectif, je ne puis détailler l’ensemble des mesures et des dispositifs qui sont à inventer et qui seront adoptés. La raison en est assez simple : ces dispositions sont nombreuses, complexes et, pour une grande partie d’entre elles, elles dépendront des discussions qui se noueront, soit avec les associations d’élus s’agissant des questions relatives aux collectivités territoriales, soit avec les parlementaires, évidemment, sur tous les sujets.
Chacun ici peut comprendre qu’il est impossible de présenter des dispositifs comme achevés, alors qu’ils sont en cours de préparation.
C’est la raison pour laquelle je n’entrerai pas dans le détail des observations formulées par le président Kanner sur le régime universel de retraite que nous voulons bâtir.
Je me permets simplement de vous indiquer, monsieur le président, que le haut-commissaire rendra ses préconisations en juillet prochain et que celles-ci, je puis le dire, sont extrêmement éloignées de ce que vous avez indiqué. Nous aurons, j’en suis certain, l’occasion de débattre dans le détail d’une réforme qui est essentielle et complexe, mais qui, je veux le rappeler, me paraît juste et nécessaire.
Hier, à l’Assemblée nationale, j’ai invité au dépassement – certains l’ont noté. J’ai même utilisé l’expression de « changement de ton ».
Je veux vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit hier à l’ensemble des députés, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une mise en accusation, mais bien d’une invitation que je m’adresse à moi-même, à l’ensemble des membres du Gouvernement, à tous ceux qui s’engagent en politique, et même, d’une certaine façon, à tous ceux qui s’expriment en politique, sphère médiatique comprise.
La qualité de notre débat public, quelles que soient d’ailleurs les idées que nous soutenons, mérite mieux que les postures, les provocations, les caricatures, les simplifications excessives et les absences de perspectives. (MM. Julien Bargeton et Jérôme Bignon applaudissent.)
Je le crois profondément, et si j’ai pu moi aussi m’en rendre responsable, je suis bien déterminé à faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Nous avons tous à y gagner, le Gouvernement et le Parlement, pour le plus grand profit du débat public. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
La question de la dépense publique a été évoquée. Je n’entrerai pas dans le détail, mais je donnerai tout de même quelques chiffres, pour planter le décor : la dette publique représentait 57,9 % du PIB en 1996, 57,6 % en 2000, 64,4 % en 2006, 90,2 % en 2012, 98,4 % en 2017 et la même chose en 2018.
Nous nous renvoyons constamment la balle de la responsabilité de la hausse et du niveau inégalé de la dette publique en France. Ayons conscience que la progression massive de la dette publique…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est la droite !
M. Xavier Iacovelli. C’est Sarkozy !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … est liée aux quinze dernières années et à la réaction française à la crise financière de 2008. Par ailleurs, depuis lors, la progression de la dépense publique et celle de la dette publique n’ont jamais ralenti ni été calmées. Sachons-le !
Sachons aussi que, s’agissant du calcul de la dette publique – j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Sénat, mais j’y insiste –, nous avons pendant très longtemps fait comme s’il ne fallait pas tout comptabiliser.
Ainsi, l’un des axes de la réforme de la SNCF que nous avons mise en œuvre est la récupération par l’État de la dette de cette entreprise. Pendant des années, nous avions fait comme si la dette que supportait la SNCF n’était pas une dette publique (M. Jérôme Bascher acquiesce.), et comme si cette entreprise pouvait continuer à fonctionner financièrement sans bénéficier de la garantie de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis parfaitement d’accord avec ceux d’entre vous qui considèrent que la dette publique, comme la dette écologique, est un fardeau que nous faisons reposer sur les épaules de nos enfants. Je suis absolument convaincu de la nécessité de stabiliser cette dette et même de la réduire.
Je sais que l’exercice n’est pas facile. Ceux qui disent que la dépense publique n’a jamais été aussi élevée en France disent vrai. En valeur absolue, c’est évident. Mais, si l’on raisonne en valeur absolue, on peut tout aussi bien dire que le PIB n’a jamais été aussi élevé ou que les dépenses sociales n’ont jamais été aussi importantes, dans la mesure où la croissance, année après année, fait croître ces chiffres.
Ce qui m’intéresse, en réalité, c’est le rythme de progression de la dépense publique, dont nous savons tous ici qu’il est d’abord et essentiellement guidé par celui de la dépense sociale, des dépenses de transfert, dont nous savons tous qu’elles sont nécessaires.
Autrement dit, faire en sorte que la progression de la dépense publique soit largement inférieure à la progression du PIB est un exercice collectif redoutablement complexe. Je ne l’aborde jamais avec facilité ni en faisant des raccourcis. D’ailleurs, si l’exercice était simple, on aurait des chiffres exactement inverses : la dépense publique aurait considérablement diminué depuis quarante ans, et il n’y aurait plus de dette publique !
Vous le voyez bien, nous sommes collectivement confrontés à une situation qui a parfois conduit les gouvernements à réaliser des économies considérables sur d’autres postes, pour donner le sentiment qu’ils réduisaient la dépense publique.
Si l’on veut réduire rapidement la dépense publique, il suffit d’utiliser le rabot : c’est rapide et parfois efficace, mais c’est rarement malin.
Si l’on veut réduire la dépense publique dans la durée, il faut plutôt mener des réorganisations, ce qui est rarement rapide, mais évidemment beaucoup plus intelligent. Il faut donc imaginer une nouvelle manière de produire les services publics ou d’organiser les dispositifs d’accompagnement public, afin de mieux maîtriser la progression de cette dépense. C’est plus intelligent, mais c’est plus lent et cela exige probablement plus de travail, en particulier plus collectif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous attendent les mesures que j’ai annoncées, d’autres les redoutent. À tous – y compris au président Marseille, que j’ai oublié de citer (Exclamations amusées.),…
M. Roger Karoutchi. C’était bien la peine de faire autant d’efforts !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … puisse-t-il m’en excuser –, je veux dire ma détermination et celle du Gouvernement à mettre en œuvre la méthode que j’ai évoquée et les mesures d’urgence écologique, de justice sociale et d’équité territoriale qui sont au cœur de l’acte II.
N’ayez en la matière aucun doute sur la détermination du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie.
Le Sénat va procéder au vote sur la déclaration de politique générale du Gouvernement.
En application de l’article 39, alinéa 2, du règlement, le scrutin public est de droit.
En application de l’article 60 bis, alinéa 3, du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l’article 56 bis du règlement.
J’invite MM. Dominique de Legge et Éric Bocquet, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.
(Le sort désigne la lettre N.)
M. le président. Le scrutin sera clos quelques instants après la fin de l’appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Le premier appel nominal est terminé.
Il va être procédé à un nouvel appel nominal.
(Le nouvel appel nominal a lieu.)
M. le président. Plus personne ne demande à voter ?…
Le scrutin est clos.
MM. les secrétaires vont procéder au dépouillement.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 150 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 71 |
Contre | 93 |
Le Sénat n’a pas approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Institution d’un médiateur territorial dans certaines collectivités
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instituer un médiateur territorial dans certaines collectivités territoriales, présentée par Mme Nathalie Delattre, M. François Pillet et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 699 [2017-2018], texte de la commission n° 547, rapport n° 546).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que de chemin parcouru ! Que de travail accompli depuis la rédaction de cette proposition de loi déposée le 30 juillet 2018, voilà presque un an, aux côtés de notre ancien et très estimé collègue François Pillet, qui – est-il nécessaire de le rappeler ? – a quitté nos travées pour rejoindre les fauteuils du Conseil constitutionnel.
François Pillet avait accepté de me parrainer et de me conseiller dans le cheminement de ce texte de loi, un appel cosigné par près de 20 % d’entre nous. Nous avions alors pour objectif de porter au cœur de cet hémicycle le débat sur le rôle que peut jouer la médiation territoriale, aux fins de rapprocher l’administration de ses administrés.
Entre-temps, cette proposition de loi a rencontré l’actualité. Elle a trouvé un écho particulier à l’échelle nationale, avec le mouvement des « gilets jaunes ». Cet élan de protestation a mis en lumière, sur l’ensemble de notre territoire, l’extrême défiance de nos concitoyens envers nos mécanismes démocratiques.
C’est un profond sentiment de mise à l’écart de l’élaboration de nos politiques publiques qui a été exprimé. Les manifestants nous font part de leur furieuse envie d’être régulièrement consultés et intégrés dans les processus de décision ; ce sentiment s’exprime d’ailleurs bien au-delà d’eux.
Le Gouvernement a répondu de manière originale à cette crise, en organisant un grand débat national. Ce sont près de 700 médiateurs, 700 facilitateurs de parole, qui ont eu la lourde tâche de transformer une contestation violente en une concertation constructive. Ce sont eux qui ont eu la responsabilité d’animer et de réguler au plus près du terrain ces participations de citoyens aspirant à devenir bien plus que de simples administrés – la responsabilité de redonner de la vitalité à notre démocratie.
C’est pourquoi, dans le cadre du grand débat national organisé au Sénat, j’avais tenu à interroger Mme la ministre de la justice, Nicole Belloubet, sur l’opportunité de notre proposition de loi et sur le rôle des médiateurs territoriaux au sein de nos collectivités locales. Dans sa réponse, Mme la garde des sceaux avait reconnu le rôle que pourrait jouer la médiation territoriale, pour « revivifier l’expression de la citoyenneté en France ».
La médiation territoriale a d’ores et déjà fait ses preuves sur notre territoire : elle apparaît comme le maillon manquant entre les administrations et leurs résidents.
Même s’il est difficile de recenser les médiateurs, car ils ont des statuts et des pratiques pouvant différer, l’Association des médiateurs des collectivités territoriales en dénombre une quarantaine : 23 médiateurs communaux, notamment à Bordeaux, Paris ou Angers, 1 médiateur intercommunal à Bourges, 1 médiateur métropolitain lillois, 14 médiateurs départementaux, notamment en Gironde, Charente-Maritime ou dans le Cantal, et 2 médiateurs régionaux, avec l’Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Toutefois, comment développer au mieux ce formidable outil qu’est la médiation territoriale ? Comment instiller cet élément de réconciliation dans nos rouages administratifs, sans créer une nouvelle charge pour nos collectivités ?
C’est tout le travail que nous avons mené avec le rapporteur François Bonhomme, que je salue et remercie chaleureusement de son attrait et de sa réelle implication dans cette cause.
C’est aussi le fruit de nombreuses sollicitations que nous avons spontanément reçues à la suite de la publication du texte en juillet 2018. Je souhaitais donc tout naturellement remercier les associations de médiateurs et les représentants d’acteurs de la médiation territoriale que nous avons auditionnés et qui ont apporté leur pierre à l’édifice. C’est sans oublier l’appui du ministère de la justice et le vif intérêt manifesté par M. le ministre Sébastien Lecornu, qui a tenu à être présent aujourd’hui.
Nous n’avons pas eu la prétention d’embrasser l’ensemble des problématiques de la médiation française. L’objectif était de réunir des textes épars et de les enrichir sur le seul champ de la médiation territoriale.
Nous avons saisi l’occasion de ce véhicule législatif pour élaborer un socle solide, capable de faire prospérer écoute et dialogue au sein de nos collectivités et de faire naître de nouvelles initiatives de règlement de conflits au quotidien. Cette disposition est attendue, car elle va permettre de limiter le nombre de recours juridiques et de régler certains vices de procédure, parfois chronophages.
Avec le rapporteur, j’ai pris le parti de supprimer l’obligation de désigner un médiateur territorial dans les communes de plus de 60 000 habitants et dans les intercommunalités de plus de 100 000 habitants – soit respectivement 94 communes et 123 établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, en France –, ainsi que dans les conseils départementaux et les conseils régionaux.
Si cette obligation, initialement prévue dans la proposition de loi, pouvait favoriser un développement rapide de ce mode de résolution à l’amiable, nous avons décidé d’éviter toute nouvelle contrainte pour les collectivités territoriales.
Ce texte permet de parvenir à une notion de médiation territoriale, dans laquelle le rôle du médiateur y est défini par son champ de compétences.
Nous avons pris le parti d’exclure les différends avec les autres personnes publiques et les litiges internes de gestion des ressources humaines. Nous avons également tenu à articuler son action avec celle du Défenseur des droits, dont il devient le correspondant, ou avec celle des autres médiateurs, comme celui de la consommation. Nous avons chargé le médiateur territorial de remettre annuellement un rapport d’activité ; ce document peut être source de propositions pour les élus, afin de résoudre des dysfonctionnements aussi bien ponctuels que structurels entre voisins, entre particuliers ou avec l’administration.
L’un des apports de cette proposition de loi est d’élaborer un code de déontologie pour tout médiateur territorial en France. Pour cela, elle s’appuie sur des principes inspirés du code de justice administrative, tels que l’indépendance, l’impartialité, la compétence, la diligence et la confidentialité.
Afin de garantir, dans la pratique, ces règles déontologiques, le texte prévoit certaines incompatibilités avec des fonctions d’élu ou d’agent territorial de la même collectivité.
Ces mesures ont pour objectif d’éviter certains cas, observés notamment lors de mes auditions préalables, de conseillers municipaux de la majorité occupant la fonction de médiateurs territoriaux au sein de leurs communes et statuant sur des litiges survenant avec leur propre administration. L’adoption d’un amendement de notre rapporteur a permis d’élargir ces conditions d’exercice aux agents contractuels, mais aussi de souligner que la proposition de loi rappelle la gratuité de ce service aux usagers.
Enfin, et cela constitue une avancée majeure, cette proposition de loi octroie au processus de médiation territoriale un caractère suspensif.
En effet, les dossiers viennent souvent en médiation après un certain délai de réflexion ou d’une information obtenue tardivement – donc proche de la fin d’un recours. Or la médiation demande parfois un peu de temps : cette suspension peut permettre de ramener de la sérénité et de laisser le temps, justement, démêler une situation délicate. Cela peut permettre, aussi, d’éviter une judiciarisation.
Toutefois, si la collectivité pense que la saisie de la médiation n’a que pour seul but de gagner du temps, et si la démarche semble abusive, elle aura le choix de ne pas entrer dans le processus de médiation. De même, si cette dernière n’aboutit pas, le délai de recours reprendra à la date initiale.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, cette proposition de loi ayant pour objet de favoriser le développement des médiateurs territoriaux répond donc à une pratique de résolution de conflits entre l’administration et les administrés. Cette dernière doit être encadrée par la loi, pour ne pas être dénaturée.
En rédigeant un nouvel article du code général des collectivités territoriales, ce texte de loi a, je pense, relevé le défi que je lui avais donné avec le sénateur François Pillet : créer un socle de règles communes pour la médiation territoriale, sécuriser son application sur le terrain et faire prospérer ce mode de règlement de conflit de proximité à l’amiable.
« Voilà ce qui réconcilie la politique et la proximité. Voilà ce qui peut nous réconcilier durablement avec les Français, nous qui nous sommes engagés pour améliorer leur vie quotidienne ». Ce ne sont pas là mes propos, mes chers collègues ; ce sont les mots prononcés par M. le Premier ministre, ce matin, à cette même tribune, dans son discours de politique générale.
Je suis donc ravie, fière, et même un brin émue de vous présenter ce texte de loi, qui, j’en suis persuadée, répond tant à un besoin de nos collectivités qu’à l’appel lancé par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)