Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Il est prévu que j’aille en Guyane, monsieur le sénateur. Je le dis en toute humilité à M. Karam et à l’ensemble des sénateurs ultramarins, on ne peut pas comprendre réellement les problématiques auxquelles nos compatriotes d’outre-mer sont confrontés sans se rendre sur place. J’attends donc ce déplacement avec beaucoup d’impatience.
Je partage votre intérêt pour l’innovation sociale en toutes matières qui se déploie sur nos territoires, en outre-mer ou dans l’Hexagone. Nous devons évaluer ces expérimentations avant d’éventuellement les généraliser. Il n’est nul n’est besoin de réinventer le fil à couper le beurre chaque matin.
La Guyane s’est très vite mobilisée pour tirer parti de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018. Sur l’initiative des acteurs locaux et de l’ARS, des projets ont été mis en œuvre dans ce cadre, concernant en particulier des spécialités en tension. Je citerai deux exemples à cet égard.
En matière d’ophtalmologie, les équipes de l’ARS ont accompagné le centre hospitalier de Cayenne et un cabinet d’ophtalmologie de ville pour permettre la réalisation de petits actes chirurgicaux hors milieu hospitalier dans un cadre sécurisé et respectueux des conditions d’hygiène, incluant les patients dans une logique de filière ville-hôpital avec une coordination dans toutes les étapes du parcours de santé. Cette expérimentation vise à répondre à la dégradation de la démographie médicale.
En matière de diabétologie, la Guyane vient de répondre à l’appel national à manifestation d’intérêt relatif à l’incitation à une prise en charge partagée. Je ne développerai pas ce point, car le temps me manque.
Le ministère suit de près ces projets guyanais et leur apporte un appui technique et méthodologique.
S’agissant enfin de l’accompagnement et de la formation proposés aux équipes locales, des crédits ont été délégués aux ARS pour aider à leur financement. Quatre domaines prioritaires ont été identifiés dans un décret de juillet 2018 : les pathologies chroniques stabilisées, la cancérologie, les maladies rénales chroniques et, depuis 2019, la psychiatrie et la santé mentale.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Vous n’avez pas du tout répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Elle portait sur l’expérimentation, l’innovation, la délégation de tâches, la possibilité de confier le dépistage et les vaccinations à d’autres acteurs que des médecins puisque ceux-ci manquent. C’est cela que l’on attend ! Je suis désolé de vous contredire, mais il faut, en Guyane, réinventer le fil à couper le beurre. Sans cela, l’état de santé des Guyanaises et des Guyanais ne se sera pas amélioré à la fin de ce quinquennat !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja.
M. Gérard Poadja. Je me suis aperçu que, en matière de santé, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie ont des problématiques communes : un territoire étendu, difficile d’accès, à cause de la forêt dans un cas, à cause de l’océan dans l’autre ; une offre de soins concentrée dans les villes-centres, Nouméa ou Cayenne, même si, en Calédonie, le territoire est mieux irrigué par des dispensaires et des maisons de santé, un hôpital ayant récemment été construit au nord.
Parmi les points communs, je m’attarderai sur les difficultés des centres de santé, hôpitaux ou dispensaires à trouver des médecins, notamment spécialistes. Cette pénurie de médecins a des causes multiples que l’on connaît bien : le numerus clausus, la faible attractivité du statut des praticiens, notamment en ce qui concerne la rémunération, les contraintes de la profession en termes de garde la nuit et le week-end. En conséquence, non seulement nos territoires n’arrivent plus à attirer de médecins, mais en plus la sous-densité médicale conduit les médecins en place à l’épuisement, au renoncement. Il y a bien des « médecins-sac à dos » qui viennent régulièrement de métropole, mais ils ne restent que trois mois, six mois au plus, le temps d’un stage, le temps de la découverte du pays.
Monsieur le secrétaire d’État, l’AP-HP a engagé un partenariat en 2018 avec la Guyane pour envoyer des médecins spécialistes dans les établissements déficitaires : où en est-on de ce partenariat ? Seriez-vous favorable au développement des compétences de certains professionnels de santé – infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes – pour faciliter, en cas de nécessité, la suppléance des médecins dans les territoires déficitaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Poadja, la densité médicale du département de Guyane est trois fois inférieure à la moyenne nationale, et la moyenne d’âge des praticiens y est élevée.
Afin d’améliorer la situation, une mesure dérogatoire a été adoptée au début de 2005 pour permettre le recrutement de médecins étrangers diplômés hors de l’Union européenne.
Pour attirer davantage de médecins, la Guyane a bénéficié du dispositif « assistants spécialistes à temps partagé ». Encore trop peu connu, ce dernier permet à de jeunes médecins ayant soutenu leur thèse de poursuivre leur formation par un assistanat de deux années, effectuées l’une en métropole et l’autre en Guyane. En 2019, l’ARS de Guyane a mené une opération de promotion très offensive qui a permis de faire mieux connaître ce dispositif. L’évaluation finale de cette opération est en cours de réalisation.
Par ailleurs, l’ARS de Guyane développe actuellement, en partenariat avec la caisse générale de sécurité sociale du territoire, une plateforme d’appui aux professionnels de santé permettant d’apporter des réponses claires, complètes et validées à tous les candidats potentiels et aux professionnels installés.
En outre, comme vous l’avez indiqué, l’ARS de Guyane a contractualisé avec l’AP-HP en 2018 pour mieux structurer les relations, les supervisions, la recherche de partenariats ainsi que de candidats de part et d’autre de l’océan. Cette convention produit des effets intéressants pour certaines filières. Elle facilite en effet l’intégration en Guyane de jeunes professionnels dont beaucoup craignaient une forme de solitude médicale. Pour accroître le déploiement de cette convention, l’ARS de Guyane a recruté un agent de liaison entre la Guyane et l’AP-HP qui aide concrètement les professionnels à entrer en contact, à développer des projets de collaboration et à assurer leur pérennisation, bref à donner de l’ampleur au dispositif que nous avons créé.
Enfin, concernant l’évolution des pratiques autorisées au personnel paramédical pour suppléer l’absence de médecins, le recours à des infirmiers en pratique avancée sous coordination médicale peut être une réponse. L’ARS se mobilise pour l’application du plan Ma santé 2022, dont c’est un des dispositifs centraux. Les modalités de mise en application des protocoles nationaux seront simplifiées et soumises à validation par l’ARS, et non plus par la Haute Autorité de santé.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. La définition d’une politique de coopération sanitaire entre le Suriname et la Guyane viendrait non seulement organiser les rapports qui existent déjà, mais permettrait aussi de rééquilibrer la prise en charge des patients en tirant profit des atouts de chacune des structures hospitalières de part et d’autre du Maroni.
De fait, les deux territoires ont en commun de devoir faire face à une situation sociale marquée par une grande précarité et un accès limité aux soins. Mais en Guyane, les conditions de prise en charge sociale relativement plus favorables génèrent une pression migratoire qui vient fortement grever les capacités d’accueil du centre hospitalier de l’Ouest guyanais. Ce nouvel établissement, que vous venez d’inaugurer, subit ainsi les mêmes contraintes que le précédent, à savoir une demande supérieure à sa capacité d’accueil, une patientèle souvent en situation irrégulière, voire ne parlant pas français.
Or le fleuve Maroni, s’il matérialise une frontière, est aussi l’axe d’un bassin de vie qui pourrait constituer une zone de coopération sanitaire, voire un espace dans lequel un parcours de soins est envisageable. À cet égard, le Premier ministre avait souhaité qu’une étape significative de la redéfinition de la coopération sanitaire puisse être franchie avant septembre 2018 et confié une mission en ce sens à Mme Dominique Voynet. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les pistes dégagées par cette mission et leur degré de mise en œuvre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me permettre de compléter mes propos au sujet de cette mission.
À la suite d’un déplacement du Président de la République en 2017 en Guyane et en raison de fortes pressions sur l’hôpital de l’ouest guyanais du fait d’un nombre important de patientes surinamaises, une mission a été confiée à Dominique Voynet et au préfet Renouf afin de renouveler les modalités de la coopération sanitaire entre la Guyane et le Suriname, mais aussi entre Mayotte et les Comores.
L’objectif de cette mission était d’aboutir à la signature d’un accord entre les deux États qui aurait comporté un volet sanitaire substantiel. Un comité technique a été réuni, et trois groupes de travail ont été constitués : le premier sur la coopération interhospitalière dans le bassin Albina-Saint-Laurent-du-Maroni, le deuxième sur les soins de santé primaires dans le bassin du fleuve Maroni et le troisième sur les soins spécialisés en Guyane et au Suriname.
Des freins indépendants de l’objet de la mission ont été identifiés : ils ont trait au tracé frontalier de la couverture santé au Suriname, dont 20 % de la population ne serait pas couverte, et à la présence d’orpailleurs brésiliens en situation irrégulière sur les deux rives. Le dernier déplacement de la mission au Suriname a eu lieu entre les 3 et 6 avril dernier, pour une réunion du groupe de travail franco-surinamien sur la coopération en matière de santé.
En parallèle de la mission, l’ARS a poursuivi ses travaux avec les autorités sanitaires du Suriname. Engagés depuis plusieurs années, ils ont pour objectif de rapprocher les communautés médicales des deux pays et d’accentuer la coopération selon les complémentarités des deux systèmes de santé.
Une déclaration d’intention a été rédigée entre l’ARS et le ministère de la santé du Suriname en janvier 2017, puis une mission conjointe ARS-caisse générale de sécurité sociale a été organisée en octobre 2018 pour envisager les modalités d’accès des patients guyanais aux équipements de radiothérapie de l’AZP, l’Academisch Ziekenhuis Paramaribo.
Enfin, sachez que l’ARS coopère également avec le Brésil dans la prise en charge du paludisme. Le projet Malakit permet la mise à disposition de kits de diagnostic et d’auto-traitement du paludisme et la dispensation d’une formation adaptée dans les zones transfrontalières ciblées.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour la réplique.
M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d’État, certains problèmes propres à nos territoires trouvent leur cause, mais aussi leur solution, dans la prise en compte du contexte. Ce qui est valable pour la Guyane l’est aussi pour les autres territoires et collectivités d’outre-mer. Une telle approche intégrée me semble être la meilleure des voies pour nos territoires et pour la France, mais elle nécessite, comme c’est souvent le cas, des solutions dérogatoires et innovantes par rapport au droit existant, ce qui appelle un arbitrage politique fort, ferme et assumé. Ces dernières années, mes collègues et moi-même n’avons pas toujours eu le sentiment d’être considérés de cette manière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président de la commission, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Terre française en Amérique du Sud, la Guyane accueille le fleuron qu’est le centre spatial de Kourou, base de lancement qui suscite un intérêt certain à l’échelle mondiale.
Toutefois, sur le plan sanitaire et médico-social, de nombreux indicateurs montrent que la situation est critique, voire préoccupante. Ce territoire éloigné de l’Hexagone et enclavé manque cruellement de moyens humains, au niveau tant médical que médico-technique, ainsi que d’équipements performants et adaptés à une pratique médicale et paramédicale de haute qualité.
Les problèmes liés à la diversité des populations sont prégnants, notamment dans l’ouest guyanais et le bassin du fleuve. Il importe de prendre en considération la santé des femmes et l’accompagnement périnatal, compte tenu du taux de mortalité infantile. Il est surtout urgent de mettre en œuvre les actions de prévention primaire et d’éducation à la santé de façon innovante et plurilingue, afin de lutter contre les maladies infectieuses et d’améliorer la santé sexuelle et reproductive jusqu’à la parentalité.
Eu égard à la difficulté d’attirer des médecins, il faut favoriser le développement de maisons de santé pluridisciplinaires pour couvrir au mieux ce territoire étendu, dont les différentes communes sont séparées par des distances importantes.
Interrompues depuis 2005, les collectes de sang doivent reprendre de manière urgente. En effet, il est impératif de prélever le sang en Guyane pour répondre aux besoins de prise en charge des patients drépanocytaires, afin d’éviter des résistances auto-immunes. Il existe aujourd’hui des tests performants pour détecter la maladie de Chagas et le paludisme. Il faut limiter les transports de produits sanguins depuis l’Hexagone ou les Antilles, notamment ceux de plaquettes, ces dernières ayant une courte durée de vie.
Par ailleurs, il serait nécessaire d’envisager la création d’un CHU en Guyane.
Monsieur le secrétaire d’État, quels dispositifs comptez-vous mettre en place en Guyane, compte tenu de la diversité des problématiques et des situations que nous venons d’évoquer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez abordé la plupart des problématiques auxquelles est confronté le territoire guyanais. Je pense avoir déjà apporté des débuts de réponses et, si vous me le permettez, je concentrerai mon propos sur la question de la collecte de sang en Guyane, sujet particulièrement intéressant dont personne n’a parlé jusqu’à présent.
Comme vous l’avez indiqué, la collecte de sang en Guyane a été arrêtée en 2005 en raison de la prévalence de la maladie de Chagas et du paludisme et de la survenue, à l’époque, d’accidents de transfusion avérés.
Sachez, madame la sénatrice, que la reprise de la collecte est envisageable si tant est, évidemment, que les conditions de sécurité soient réunies. Une expertise, à savoir une analyse épidémiologique portant sur la maladie de Chagas, le paludisme et le VIH et l’établissement des différents scénarios à retenir, a été demandée à l’Établissement français du sang et à Santé publique France, afin de dresser un état de la situation et d’éclairer notre décision concernant un éventuel rétablissement de la collecte de sang sur le territoire. Si vous le souhaitez, nous vous tiendrons au courant de l’avancée de cette expertise et des décisions qui en découleront. (Mme Victoire Jasmin opine.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Le 1er février 2019, trois ans après la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé, le GHT de Guyane est devenu le cent trente-sixième de France. Il réunit les trois établissements publics de santé guyanais, à savoir les centres hospitaliers de Cayenne, de Kourou et de Saint-Laurent-du-Maroni.
Cette évolution repose sur un long travail préparatoire, mais elle ne va pas sans soulever quelques interrogations, dès lors qu’il s’agit du plus vaste GHT de France.
Parallèlement, la récente loi de modernisation de notre système de santé a engagé l’acte II des GHT, avec la généralisation de la mise en place d’une commission médicale de groupement et la mutualisation de la gestion des ressources humaines médicales.
Or la capacité des établissements guyanais à développer un projet médical se heurte à la situation de spécialités qui évolue « au fil de l’eau », au gré des arrivées et des départs de médecins. Certaines spécialités sont en souffrance de manière ponctuelle, d’autres, comme la cardiologie ou la chirurgie, de façon récurrente, dans un territoire qui, je le rappelle, ne compte que six professeurs des universités–praticiens hospitaliers.
En outre, la perspective de mutualisation des filières médicales ne va pas sans poser des questions en matière d’accès aux soins sur un territoire aussi vaste, avec un enjeu essentiel d’équilibre entre les établissements parties au groupement.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle stratégie comptez-vous déployer pour renforcer le pôle hospitalier guyanais dans le respect des équilibres du territoire ? En l’absence de CHU, comment entendez-vous valoriser l’attractivité médicale et préserver les filières d’excellence sur ce territoire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Milon, avant d’évoquer la question de l’attractivité médicale, je tiens à redire que conférer le caractère universitaire au centre hospitalier de Cayenne est une prérogative exclusive de l’université, qui dispose de sa propre stratégie de développement au regard des besoins prioritaires du territoire et de ses atouts. Le développement de départements universitaires repose sur la définition de stratégies et la création de filières de recrutement d’enseignants – professeurs des universités, maîtres de conférences des universités, post-doctorants –, encore inexistantes dans les départements universitaires déjà mis en place en Guyane. Il n’existe pas de département de médecine à l’université de Guyane aujourd’hui – le plus proche se trouve en Guadeloupe – et une telle création ne figure pas dans les projets actuels de l’université.
Le modèle d’avenir, pour le centre hospitalier de Cayenne, est davantage celui de sa consolidation comme établissement de référence, avec des activités d’excellence dans certaines disciplines médicales, en lien avec l’UFR de médecine de Guadeloupe. La création d’un CHU, une fois encore, est pour l’instant difficile à envisager.
Pour autant, le ministère de la santé soutient fortement le développement de la recherche en Guyane, comme en témoigne la construction programmée d’un grand bâtiment dédié à la recherche au centre hospitalier de Cayenne. Nous sommes convaincus que celui-ci peut être un établissement de référence pour l’ensemble de notre territoire, notamment pour tout ce qui concerne la lutte contre les maladies infectieuses.
S’agissant de l’attractivité médicale, des campagnes de promotion du statut d’assistant spécialisé à temps partagé conçues et financées par l’ARS ont été lancées. Un parcours attentionné des professionnels de santé qui s’installent sur le territoire a également été mis en place. Enfin, une convention entre l’AP-HP et l’ARS a été signée pour soutenir les filières en grande difficulté. Cette convention a vocation à être déployée encore davantage, grâce notamment au recrutement d’un référent chargé d’accompagner l’arrivée en Guyane de professionnels de santé et de pérenniser leur installation dans le territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. La santé en Guyane est une préoccupation majeure, et cela ne date pas d’aujourd’hui. En effet, notre appareil de soins n’est absolument pas adapté aux réalités de ce territoire, qui s’étend sur plus de 80 000 kilomètres carrés et connaît une croissance démographique très forte.
Ainsi, l’inégale répartition de l’offre de soins a pour conséquence une crise sanitaire qui s’accompagne indéniablement d’une grande précarité, d’autant que la Guyane est confrontée à de nombreuses pathologies infectieuses et chroniques ou à des problèmes spécifiques, comme la drépanocytose.
Contrairement à ce qu’affirment certains, ce n’est pas à la Guyane de s’adapter au système de santé hexagonal, mais plutôt au système de santé de s’adapter à la Guyane ! Les Guyanais ne peuvent plus se contenter de trois hôpitaux et de dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins dans des zones reculées et difficiles d’accès. L’offre de soins y est marquée par un niveau d’équipement de deux à trois fois inférieur à celui observé dans l’Hexagone ! Les projections démontrent en outre que les besoins en ressources humaines seront très importants dans les années à venir. D’ici à 2030, il faudra ainsi que s’installent, en exercice libéral, au moins 71 médecins généralistes, 51 spécialistes, 33 chirurgiens-dentistes, 13 sages-femmes et 162 infirmières. Et que dire des forts besoins en matière de périnatalité, du retard important dans l’accueil des adultes handicapés, des difficultés rencontrées par les jeunes en insertion pour se procurer les médicaments qui leur ont été prescrits ?
Il est plus que temps de mettre fin à cette crise permanente de l’offre de soins, car l’aide financière apportée par l’État n’effacera pas durablement le passif des hôpitaux de Cayenne, de Saint-Laurent-du-Maroni et de Kourou. Il faut des mesures d’urgence fortes et spécifiques. Cela pourrait passer par la création d’un nouveau CHU – cela est entériné –, le développement d’une coopération régionale pérenne et l’annulation de la dette des hôpitaux publics.
Monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous la mise en œuvre de ces mesures d’urgence ? Quelles dispositions concrètes le Gouvernement entend-il adopter pour remédier à cette situation catastrophique ? La Guyane est une terre de paradoxes, une terre des infinis : infiniment grande par sa capacité à permettre l’exploitation de l’espace, infiniment petite par son incapacité à lutter avec efficacité contre les petits virus pathogènes. (Mmes Laurence Cohen et Nassimah Dindar ainsi que M. Antoine Karam applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur : c’est au système de santé de s’adapter à la Guyane, et non l’inverse.
On observe justement une forte adaptation du système de santé aux spécificités de la Guyane, comme en témoignent la création en janvier 2019 du GHT, pour favoriser la coopération entre les établissements, développer les prises en charge médicales ou une politique d’achats adaptée, et celle de cinq MSP, pour améliorer l’accès aux soins dans le territoire.
En outre, il faut rappeler l’aide constante de l’État aux hôpitaux : je pense au projet d’investissement du centre hospitalier de Cayenne, qui a été financé à 100 %, ou encore au nouvel hôpital, aux capacités étendues, de Saint-Laurent-du-Maroni, bénéficiant d’une aide de l’État à hauteur de 55 millions d’euros. Nous faisons confiance aux hôpitaux pour redresser leur situation avec une activité en constante augmentation. La création d’un CHU ne serait en rien une solution pour améliorer la prise en charge des Guyanais à Cayenne. Le recrutement de professionnels et d’une équipe de direction stable est un signe encourageant de redressement, nous semble-t-il.
En outre, nous souhaitons travailler de concert avec la collectivité territoriale de Guyane pour renforcer les moyens de la protection maternelle et infantile. Michèle Peyron a rendu il y a quelque temps un rapport sur ce sujet qui m’est cher : nous nous appuierons sur lui pour prendre un certain nombre de décisions.
Sachez enfin qu’une campagne de rattrapage vaccinal est envisagée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le secrétaire d’État, notre commission a adopté au début du mois de juillet dernier un rapport formulant plusieurs propositions en vue de renforcer la prévention des infections par le VIH et d’améliorer la prise en charge des personnes vivant avec ce virus. L’enquête que notre commission avait demandée à la Cour des comptes fait état d’une concentration des nouvelles infections dans trois régions : Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Guyane.
Grâce à la montée en puissance des traitements préventifs, comme la PrEP, la prophylaxie préexposition, on observe enfin, en 2018, une baisse du nombre des nouvelles infections à Paris, dans le cadre de l’initiative « Vers Paris sans sida ».
La situation est beaucoup plus problématique en Guyane, où l’accès aux traitements préventifs est nettement moins aisé. Pourtant, selon le comité de coordination régionale de lutte contre le VIH, le Corevih Guyane, la prévalence du VIH chez les plus de quinze ans était en 2016 de 1,6 % en Guyane, contre 0,5 % en France métropolitaine. L’épidémie en Guyane est principalement alimentée par les migrations, notamment en provenance d’Haïti. La propagation de l’épidémie s’explique également par le développement de chantiers illégaux d’orpaillage et les phénomènes de prostitution qui peuvent s’y rattacher.
Monsieur le secrétaire d’État, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mobiliser pour maximiser la prévention dans ce territoire, en particulier auprès des jeunes ? Pourquoi ne pas avoir étendu à la Guyane l’expérimentation « Au labo sans ordo », qui permet d’effectuer un dépistage en laboratoire des infections sexuellement transmissibles remboursé sans ordonnance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, alors que le nombre de personnes contaminées par le VIH a tendance à baisser dans l’Hexagone, la Guyane reste le département le plus touché par ce virus. Parmi les patients suivis en 2018, 91 % étaient sous traitement antirétroviral, dont 94 % présentant une charge virale indétectable.
La principale difficulté rencontrée en Guyane reste le dépistage, à la fois insuffisant et trop tardif. Cette difficulté est liée, d’une part, à une densité encore trop faible de ressources humaines sur le territoire, et, d’autre part, au fait que les populations cibles sont particulièrement difficiles d’accès, en raison de l’immensité du territoire, du manque de voies d’accès et du caractère disséminé de l’habitat.
La politique de l’agence régionale de santé de Guyane consiste donc à promouvoir fortement le dépistage du VIH, à plusieurs titres. Elle vise ainsi à instaurer un dépistage répété régulièrement selon les populations considérées et les pratiques ; diversifié dans ses modalités pour correspondre aux besoins et aux conditions de vie des populations ; ciblé prioritairement sur l’épidémie cachée et les groupes particulièrement vulnérables qu’elle concerne ; accompagné et adapté aux diversités culturelles et linguistiques, en prenant notamment en compte l’analphabétisme important de certaines populations ; combiné avec celui d’autres pathologies ; enfin, au plus près des populations, selon le principe dit « d’aller vers » bien connu dans les domaines sanitaire et médico-social, avec des équipes mobiles de santé associées à des médiateurs culturels.
La stratégie de prise en charge évolue progressivement vers une autonomisation des patients.
Par ailleurs, la lutte contre le VIH est un volet important de la politique de coopération, notamment avec le Brésil à travers le programme « Oyapock coopération santé », qui a permis de renforcer l’offre de prévention et de réduire les risques de contamination : du côté guyanais, un traitement pré-exposition ou PrEP a été mis en place ; du côté brésilien, l’équipe française a soutenu la mise en place d’une offre similaire dans la ville brésilienne frontalière d’Oiapoque.
Enfin, l’expérimentation « Au labo sans ordonnance » porte sur le remboursement d’un examen de biologie médicale non prescrit, réalisé à la demande du patient. Il s’agit d’un remboursement dérogatoire qui a été accepté jusqu’à présent par deux caisses primaires d’assurance maladie volontaires, celles de Nice et de Paris. Il est en vigueur depuis le 1er juillet 2019. Nous attendons de connaître les résultats de cette expérimentation avant, éventuellement, de l’étendre à la Guyane, voire à d’autres territoires.
Conclusion du débat