M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du RDSE, je voudrais tout d’abord avoir une pensée compatissante pour tous nos compatriotes emportés par le Covid-19, pour leurs familles, pour leurs amis, pour leurs proches, qui, bien souvent, n’ont pu se recueillir comme ils l’auraient souhaité.
À l’évidence, nous avons plus que jamais besoin d’humanité, alors que nos sociétés modernes sont devenues des monstres de complexité et de technologie, innervés de connexions innombrables et mondiales. Pour autant, le progrès technique n’empêchera jamais le drame intime dans toute sa crudité, car nous demeurons ontologiquement fragiles. Trop sûrs de notre maîtrise de la nature, nous en oublions notre finitude. Le rappel actuel est violent, mais c’est aussi dans la science que nous plaçons aujourd’hui nos espoirs, saluant à juste titre – mon groupe s’est une nouvelle fois joint à cet hommage – le travail exceptionnel de l’ensemble du personnel médical et des chercheurs.
Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit la semaine dernière et rappelé il y a quelques instants : face à la situation exceptionnelle que connaît notre pays, le confinement reste le meilleur outil pour contenir l’épidémie, au prix d’efforts intenses de chacun, d’un sens civique aigu, mais aussi de conséquences vertigineuses – la crise économique et sociale frappe déjà. Oui, les contaminations reculent, les admissions en réanimation diminuent. Néanmoins, le combat sera encore long. Aucun relâchement n’est possible si nous voulons éviter une seconde vague. Comme le dit notre collègue le docteur Véronique Guillotin, nous devons apprendre à apprivoiser ce virus que seul le vaccin pourra tuer.
Pour autant, le prix du confinement est élevé pour nos compatriotes : isolement social, pertes de revenus, faillites d’entreprises, aggravation des fractures sociales et territoriales, la liste est longue, car notre pays, comme les autres, s’est quasiment arrêté du jour au lendemain.
Déconfiner est donc une nécessité absolue, pour relancer notre économie, bien sûr, donner les moyens aux services publics de fonctionner et, surtout, répondre aux angoisses de notre inconscient collectif. Plus que jamais, la solidarité doit être au cœur de notre action collective. Le déconfinement suppose donc humilité et responsabilité. De ce point de vue, monsieur le Premier ministre, mon groupe partage votre approche à la fois pragmatique, progressive et territorialisée. Les détails peuvent, eux, toujours être débattus, mais la préservation de nos libertés ne se discute pas.
Nous sommes sur un fil – c’est votre expression – dans la perspective du 11 mai. Les conditions sont drastiques – vous les avez rappelées : capacité à tester massivement, moindre circulation du virus, état des hôpitaux, baisse du taux de contamination par malade, le fameux R0. Nous mesurons pleinement la difficulté et la gravité des décisions à prendre en vue de préserver la continuité de notre pacte républicain.
À ce titre, je voudrais insister sur un point : aucune instance, si éminente soit-elle, ne saurait substituer son appréciation à celle de l’autorité politique légalement formée. Les avis du conseil scientifique sont certes indispensables, mais ils ne sont pas contraignants. Leur publication en temps réel doit absolument être mise en perspective avec le temps de la décision politique.
Monsieur le Premier ministre, si nous souscrivons à votre objectif et à votre approche, de nombreuses incertitudes persistent. J’ai d’ailleurs une modeste suggestion à vous faire quant à la carte publiée chaque jour : n’oubliez pas d’y inclure tous les territoires ultramarins de la République, comme Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, et pas seulement les départements d’outre-mer ; je sais que nos concitoyens des collectivités d’outre-mer y seront sensibles.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Plus largement, les élus locaux, les maires en première ligne, ont admirablement rempli leur rôle, y compris ceux qui vont passer la main d’ici peu. De nombreuses initiatives locales ont permis de conserver un lien social de qualité au plus près de nos concitoyens, et en particulier des plus fragiles, malgré la complexité normative. Tous attendent maintenant que soit fixée la suite du calendrier électoral, sans oublier qu’il faudra aussi rapidement stabiliser les exécutifs intercommunaux pour solidifier leur action.
Je voudrais également saluer toutes les collectivités qui se sont engagées pour soutenir financièrement les PME en difficulté, en dépit d’un cadre juridique inextricable, sur lequel nos collègues Raymond Vall et Josiane Costes ont donné l’alerte.
À l’approche du 11 mai, la réouverture des écoles est une autre source d’inquiétude, pour les élus comme pour les enseignants, parents et enfants. La diffusion des protocoles sanitaires ne devrait y remédier qu’en partie, car, vous le savez, la question des responsabilités administrative et pénale des élus cristallise l’attention. Nous aurons tout à l’heure ce débat, lors de la discussion du projet de loi. Mais je tiens d’ores et déjà à dire qu’il n’est pas question pour mon groupe de laisser les élus locaux supporter seuls le poids de responsabilités qui ne sont pas les leurs.
Quelques mots encore sur un sujet que vous avez brièvement évoqué, celui de la culture, cher notamment à Françoise Laborde. Ce secteur, qui contribue tant à notre rayonnement et à notre vie sociale, est évidemment très inquiet, sachant que le risque de déstabilisation durable est réel. Les professionnels attendent de la visibilité, mais espèrent aussi un protocole sanitaire précis pour préparer la reprise de leurs activités.
Monsieur le Premier ministre, il est toujours plus facile d’être dans la posture du commentateur que dans celle du décideur. Il sera toujours temps, dans les prochains mois, d’analyser les dysfonctionnements de l’action publique ; mais, si nous le faisons, c’est toujours, pour notre part, avec le souci de conforter et de faire prospérer l’intérêt général. Tel est le sens de l’initiative, soutenue par mon groupe, de notre collègue Nathalie Delattre visant à ce que toute la lumière soit faite, dans la sérénité et sans polémique, sur la possible constitution en amont de stocks de masques par la grande distribution.
La discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire permettra d’aborder en profondeur de nombreuses questions qui interpellent nos compatriotes. Mon groupe, par la voix de Maryse Carrère, rappellera son attachement viscéral aux libertés publiques, que même une grave épidémie ne saurait mettre en suspens.
Pour l’heure, après vous avoir attentivement écouté et vu les enjeux pour notre pays et nos concitoyens, une large majorité du groupe du RDSE approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation des débats est ainsi conçue que ma réponse sera suivie d’une séquence de questions plus précises, permettant des réponses probablement elles aussi plus précises de la part de l’ensemble des membres du Gouvernement. Je ne crois donc pas possible d’aborder, à l’occasion de cette réponse, l’ensemble des sujets que vous avez évoqués.
Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des orateurs pour leurs propos. Permettez-moi de saluer, au premier rang d’entre eux, ceux qui ont relevé la difficulté du moment et exprimé leur soutien au Gouvernement.
Sans répondre sur tous les sujets, je voudrais, avec le président Requier, faire le constat que la critique est facile et l’art difficile – c’était le sens de votre propos, monsieur le sénateur. Je ne dénigre pas ceux qui critiquent ; il se trouve qu’il est souvent plus facile d’avoir un avis sur une décision que quelqu’un d’autre prend. C’est un fait ! Il ne faut pas s’en excuser pour autant, de même qu’il ne faut pas, lorsque vous prenez les décisions, s’irriter des critiques, mais écouter ceux qui critiquent, lesquels, justement, vous éclairent et peuvent même parfois vous permettre de corriger des décisions qui auraient été prises trop rapidement ou de façon erronée.
Beaucoup d’entre vous – c’est vrai dans cet hémicycle comme à l’extérieur – ont évoqué la difficulté de la communication en période de crise et se sont fait l’écho des critiques formulées à l’égard du Gouvernement, visant sa façon de prendre des décisions et de les présenter.
Pour illustrer néanmoins la difficulté de cette tâche, je voudrais utiliser la question qui a été posée par le président Kanner à propos de l’application StopCovid. J’ai indiqué, à l’Assemblée nationale, à quoi pouvait servir cette application, en prenant soin de dire – je pense que vous vous en souvenez, monsieur Kanner, puisque vous avez manifestement écouté ce débat – que cet instrument ne pouvait avoir de sens, s’il en avait, qu’à titre modestement complémentaire de l’ensemble des autres mesures nécessaires pour remonter les chaînes de contamination. J’ai précisé qu’il pouvait être utile dans les circonstances où il est très difficile d’employer les autres instruments disponibles, à savoir ces moments où l’on se trouve dans un lieu de grande densité et d’anonymat.
Vous êtes dans une rame de métro, avec quarante personnes ; vous ne les connaissez pas, elles ne vous connaissent pas, elles peuvent être près de vous, même si la distanciation physique s’impose en toutes circonstances. Si vous êtes testé positif, vous aurez beau tout dire au médecin ou, par exemple, au salarié de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui vous demandera de lui raconter votre journée afin de pouvoir appeler les personnes avec qui vous êtes entré en contact, vous aurez du mal, monsieur Kanner, à donner l’identité de celui qui se trouvait dans le métro en face de vous à 7 heures 46… Et lui aura du mal à savoir que vous-même avez été testé positif le lendemain ! Vous pourrez toujours vous retourner vers la RATP ; elle sera incapable de vous dire qui était dans le métro à cette heure-là.
Dans ce cas-là, qui n’est pas totalement improbable, l’application StopCovid peut être un outil de plus. En effet, dans l’hypothèse, parmi toutes celles qu’il faut envisager, où vous seriez équipé d’un téléphone, ainsi que la personne en face de vous – c’est une hypothèse raisonnable dans le métro (Sourires.) –, où vous auriez tous les deux choisi – car il faut une démarche volontaire – d’utiliser cette application – hypothèse, là aussi, raisonnable, mais pas absolument certaine –, alors vous pourriez être informé, et vous pourriez informer de façon anonyme, sans savoir qui était en face de vous, quelqu’un qui serait resté à moins d’un mètre de vous pendant trois minutes, et ce grâce à cette connexion Bluetooth sur laquelle les scientifiques et les techniciens travaillent.
Vous le voyez, dans ce cas-là, et sans doute dans ce cas-là seulement, cet instrument, s’il peut comporter des risques, peut aussi présenter un intérêt. C’est ce que j’ai indiqué à l’Assemblée nationale en disant que cette application n’était pour l’instant pas prête, car techniquement, elle n’avait pas obtenu toutes les validations requises, et que nous n’allions pas nous poser la question de savoir s’il fallait l’utiliser dès lors qu’elle n’était pas prête, car les questions théoriques, c’est bien, mais pour l’instant, je préfère me poser des questions pratiques ! Quand elle sera prête, si tel est le cas, nous organiserons un débat suivi d’un vote, avant qu’elle puisse être utilisée. Tout cela, je l’ai indiqué clairement, et je crois que vous l’avez clairement entendu.
Pourtant, monsieur le président Kanner, dans votre intervention, vous nous dites que tout cela n’est pas clair, parce que la porte-parole du Gouvernement a déclaré que l’on continuait à travailler sur cette application. C’est pourtant parfaitement conforme à ce que j’ai indiqué : en effet, on continue à travailler sur cette application. Est-ce qu’elle fonctionnera ? Je ne le sais toujours pas. Et lorsque ce sera le cas, pourrons-nous l’utiliser ? Cela dépendra d’un débat, avec un vote, exactement comme je m’y suis engagé.
M. Patrick Kanner. Et une loi, monsieur le Premier ministre ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Qu’est-ce qui vous dit qu’une loi serait nécessaire en la matière ? Rien. Si le système est totalement volontaire et anonyme, nous n’aurons pas besoin de loi. Ce serait ainsi, je n’y peux rien, parce que nous respecterions un certain nombre de conditions qui sont déjà prévues dans la loi. En tout état de cause, un débat aura lieu.
Il est un point que je tiens à souligner, monsieur le président Kanner, et je ne crois pas une seconde que vous ayez posé cette question de mauvaise foi : expliquer quelque chose, avec parfois des nuances, parfois des hypothèses – je ne dis pas que nous le faisons toujours bien –, c’est toujours s’exposer à la critique de quelqu’un qui, quelques jours plus tard, vient dénoncer ce qui serait une incohérence, alors qu’il s’agit en réalité d’une branche de l’alternative. C’est exactement ce que vous avez fait – je le redis, sans aucune mauvaise foi, j’en suis intimement persuadé –, en soulevant un éventuel décalage entre les propos de la porte-parole du Gouvernement et mes déclarations à l’Assemblée nationale. Il n’y en a aucun, et tout ce que j’ai dit devant les députés reste valide.
Monsieur le président Retailleau, je vous remercie de votre bienveillance (Sourires ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Patriat. Elle est toute relative !
M. Bruno Retailleau. C’est la démocratie !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … même si cette perle est parfois entourée d’une gangue de prudence, voire de timidité… (Mêmes mouvements.)
M. Bruno Retailleau. Merci de me comprendre !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela étant, il est un certain nombre de sujets sur lesquels je suis en désaccord avec vous.
Vous avez évoqué comme une question problématique sur laquelle une clarification s’imposerait, parmi les trois batteries d’indicateurs que nous avons choisi de mettre en place pour savoir si un département était vert ou rouge, c’est-à-dire si le virus circulait rapidement ou lentement, la batterie de tests…
M. Bruno Retailleau. Et la capacité !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et la capacité à remonter les chaînes de contamination.
Or c’est exactement ce que nous avons voulu faire, à savoir créer un instrument qui ne serve pas simplement à mesurer le nombre de cas ou la pression sur un département, pas plus qu’à mesurer la disponibilité des lits de réanimation, instrument, je le dis à l’attention de M. le sénateur Adnot, qui est par nature régional – nous l’avons d’ailleurs vu à l’occasion de la première vague –, et bien que des services hospitaliers de réanimation soient présents dans chaque département.
Il fallait une troisième batterie d’indicateurs, celle qui détermine chaque jour – je dis bien chaque jour, monsieur le président Retailleau – la capacité à remonter l’ensemble des chaînes de contamination qui sont susceptibles d’apparaître dans un département.
Prenons un exemple simple. J’espère qu’il n’arrivera jamais, mais comme je suis aussi obligé de prévoir des événements défavorables qui pourraient arriver, je m’y emploie.
Imaginez que, dans un département, les brigades soient constituées, comme cela se passera à partir du 11 mai, et les tests disponibles – tout va bien. Le premier jour, 25 cas nouveaux sont enregistrés, pour lesquels on est capable d’effectuer les tests, puis de remonter les chaînes – ça se passe bien. Le lendemain, 30 cas nouveaux sont diagnostiqués – les choses continuent à bien se passer grâce à l’action des préfets et de l’ensemble des acteurs locaux. Les autres indicateurs sont au vert, tels que les tests et la remontée des contacts.
Imaginez que, pour une raison ou une autre, qu’elle soit pratique, organisationnelle ou matérielle, l’instrument qui permet de remonter les chaînes de contamination fonctionne moins bien ou ne soit plus opérationnel, par exemple parce qu’il est débordé. Ce jour-là nous ne sommes plus en mesure, dans un tel département, de garantir la remontée de l’ensemble des chaînes de contamination. Ce jour-là, on a un vrai problème dans le département ! Je suis obligé d’y penser. J’espère évidemment que cela n’arrivera pas, mais si, à un moment donné, nous n’étions plus capables de remonter les chaînes de contamination et, par conséquent, de contenir l’épidémie dans un département, celui-ci passerait probablement du vert au rouge.
M. Bruno Retailleau. C’est parce qu’il n’y aura pas assez de tests !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas tant les tests que les bras, autrement dit la capacité à les réaliser, ou plutôt, à les exploiter. En effet, matériellement, nous aurons les moyens de tester. Toutefois, les tests n’ont pas seulement pour objectif de savoir si telle personne est positive ou négative. Leur réel intérêt, une fois que le résultat est positif, est ensuite de pouvoir remonter systématiquement, et de manière efficace, jusqu’aux vingt-cinq ou trente personnes – peut-être douze – que le patient a croisées la veille et le jour même, et ce afin d’être en mesure de tester celles-ci.
Si cet instrument de remontée des chaînes de contamination n’était plus opérationnel quelque part, il faudrait en tirer les conséquences. J’en suis convaincu, monsieur le président Retailleau, vous savez parfaitement que, si nous ne regardions pas ces données au jour le jour en période de déconfinement, nous commettrions une erreur.
Vous nous avez invités à l’humilité, non pas comme une excuse – je n’en cherche aucune –, mais comme une forme de reconnaissance de ce qu’on ne sait pas. J’ai eu l’occasion de dire plusieurs fois que je ne savais pas tout. Lorsque des controverses médicales entre scientifiques sont intervenues sur les différents traitements visés, je me suis bien gardé de dire qui avait raison et qui avait tort. Je n’ai aucune compétence en la matière, et j’ai eu l’humilité de le dire. J’ai aussi déclaré que j’attendrais les procédures habituelles, expérimentales, ainsi que les revues par les pairs, qui permettraient de déterminer si, oui ou non, il existait des preuves de l’efficacité de tel traitement.
Monsieur le président Malhuret, vous nous avez indiqué que la recherche allait vite. Certes, mais elle prend aussi du temps, et en l’admettant, je crois faire preuve d’une humilité que n’ont pas toujours ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent, ont décidé qu’un traitement donné devait par nature être efficace, et donc distribué, alors même que tous les éléments de démonstration n’étaient pas réunis.
Sur les obstacles bureaucratiques et idéologiques à la levée d’un certain nombre de verrous – je pense notamment à l’utilisation des laboratoires sanitaires –, il est vrai que notre pays impose de nombreuses règles, notamment en matière sanitaire, qui ont été accumulées dans le temps, « sédimentées », mais elles ont été prises chaque fois pour une bonne raison : si des laboratoires ne sont pas autorisés à réaliser certaines activités, c’est parce que les protocoles qui ont été progressivement mis en place sont de plus en plus protecteurs. On trouve toujours derrière la réglementation sanitaire des considérations qui ont été jugées par les pouvoirs en place excellentes, et je ne les conteste pas. J’observe que vouloir lever, et rapidement, les dispositifs un par un est un exercice qui, lui aussi, renvoie à une certaine forme d’humilité – croyez-moi ! Heureusement, nous y sommes parvenus collectivement, même si j’aurais préféré que nous soyons plus rapides. Nous allons pouvoir en bénéficier avec la multiplication du nombre de tests.
Monsieur le président Marseille, je vous remercie de vos propos, eux aussi bienveillants et exigeants, notamment de vos questions concernant les inquiétudes et les difficultés liées à l’ouverture des écoles. Ces questions ne m’ont bien sûr pas échappé, et nous essayons d’y répondre. Là encore, l’exercice se révèle difficile.
En effet, donner quelques directions vagues, ou claires, mais formulées en termes de principes, c’est à coup sûr, vous le savez, s’exposer à la critique de ceux qui diront : « Vous avez formulé quelques principes clairs, mais sur le terrain, vous laissez les gens se débrouiller. » Dans le même temps, énoncer quasiment au cas par cas, si j’ose dire, les bonnes pratiques correspondant à la doctrine sanitaire, c’est s’exposer à la critique de ceux qui diront : « C’est trop, vous voulez tout régenter, laissez-nous adapter les règles. »
Autrement dit, en la matière, mais j’en ai pris mon parti, monsieur le président Marseille, quoi qu’on fasse, on est critiqué ! Ce n’est pas illégitime, car, je le redis, tout peut être utile, et je ne le prends pas du tout à la légère. Mais nous avons fixé des règles, donné une doctrine et indiqué – combien de fois, monsieur le président Marseille ! – qu’il était possible de s’adapter localement, c’est-à-dire d’utiliser l’esprit de la règle afin de trouver la meilleure solution. Ces consignes, je les ai transmises à tous les préfets, à tous les recteurs ; je les ai répétées, et je les redirai systématiquement.
Mes retours, monsieur le président Marseille, je suis certain qu’ils correspondent aux vôtres : dans un très grand nombre de communes, les élus locaux, les adjoints au maire chargés de l’éducation ont commencé à intégrer ces doctrines, en disant parfois qu’il y en avait trop, ou pas assez, et en étudiant la situation, école par école, afin de trouver la meilleure organisation possible.
À la vérité, dans certains endroits, la situation va être très difficile, mais dans beaucoup d’autres, tout va bien se passer – j’en ai la conviction. J’observe d’ailleurs avec intérêt qu’un certain nombre de ceux qui critiquent ces éléments d’indication mettent en place, dans leur commune, des modalités d’organisation de la réouverture des écoles en les respectant. Je ne dis pas qu’ils le font de gaieté de cœur, mais comme ils ont la responsabilité chevillée au corps, ils essaient de trouver des solutions locales conformes à la doctrine. C’est la meilleure façon d’avancer !
Vous avez indiqué à juste titre, monsieur le président Marseille, la difficulté qui résulte de l’incertitude. Je la comprends parfaitement, car, au-delà des seuls acteurs économiques, l’incertitude qui pèse sur l’avenir de tous est exaspérante, inquiétante : elle mine, elle fatigue à bien des égards ceux qui ne savent pas comment organiser leur vie familiale ou professionnelle et qui ont parfois des décisions importantes à prendre.
Comment répondre à une telle situation, monsieur le président Marseille ? On pourrait dire des choses définitives, très brutales. Je ne veux pas me comparer à des chefs d’État qui dirigent de grandes puissances outre-Atlantique – je n’en ai ni le physique ni le caractère (Sourires.) –, mais je note que ceux qui font les réponses les plus définitives en la matière ont rarement raison et se voient régulièrement obligés de changer de pied, ce qui n’est jamais simple !
Je me garde d’agir ainsi, en essayant d’expliquer au mieux – c’est cela qui est intéressant, même si c’est compliqué – les critères que je mets sur la table et qui, s’ils sont réunis, permettent de passer à l’étape suivante. La méthode qui a été retenue par le Gouvernement, c’est de donner le maximum de lisibilité, voire de prévisibilité, aux décisions que nous prenons.
Quant aux certitudes, il est bien difficile d’en donner. Nous avons néanmoins déclaré que certaines choses seraient interdites jusqu’au 2 juin – c’est difficile à supporter, mais c’est une certitude –, que les grands festivals culturels n’auraient pas lieu avant le 31 août, alors même que nous ne savons pas quelle sera la situation fin juillet. Peut-être certains auraient-ils préféré que l’on attende cette échéance pour l’annoncer, mais le risque, l’incertitude était énorme. Nous avons choisi de donner une certitude.
Nous allons essayer, au fur et à mesure, d’expliquer les critères de nos choix, les étapes que nous voulons passer, et, pour chacune d’entre elles, en fonction de quels indicateurs. Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement, mais je suis évidemment ouvert à toutes les propositions.
J’entends votre théorème, monsieur le président Malhuret, de même que votre invitation à faire attention aux bosses sur la route ! Je ne doute pas que nous en trouverons sur notre chemin, car la route ressemble plus souvent à une piste – pour employer une image – qu’à une autoroute. (Nouveaux sourires.)
Enfin, monsieur Adnot, je regrette votre changement concernant le vote, d’autant que je crois avoir répondu à vos questions sur le critère des cartes départementales et sur la doctrine sanitaire à l’école. Je reviendrai sur un point qui me paraît intéressant, car il illustre la difficulté de trouver des critères nationaux.
Selon vos propos, monsieur le sénateur, nous aurions dû envisager la possibilité des classes alternées par demi-journées. Nous y avons pensé, mais les élus locaux nous ont dit que ce n’était vraiment pas une bonne idée, à cause des transports scolaires. (M. Philippe Adnot s’exclame.) Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais je vous rapporte juste les réactions d’un très grand nombre d’élus, présidents de département ou de région, face à l’obligation, pour les conducteurs de transport scolaire, d’effectuer deux tournées dans la journée. (Protestations sur diverses travées.) C’est la réalité, et la difficulté réside bien dans le fait de prendre en compte des avis très différents. Je suis certain que, dans cet hémicycle, beaucoup de sénateurs ont entendu la même chose que moi. Nous avons agi au mieux, peut-être pas exactement de la façon que vous souhaitiez, mais en écoutant les élus locaux, ce que vous devriez mettre à notre crédit.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont formulé des encouragements au Gouvernement : il en a bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif sous la forme d’une série de quinze questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le Premier ministre, depuis le début de la crise sanitaire qui frappe notre pays, les maires et les élus locaux sont en première ligne pour protéger nos concitoyens et mettre en œuvre les mesures d’urgence permettant de faire face à cette situation inédite.
En tout état de cause, celle-ci laissera des traces, tant elle a bouleversé notre quotidien, frappé celles et ceux qui nous entourent, fortement touché nos commerçants, artisans, indépendants et les familles les plus précaires.
Dans ce contexte, les maires sont au plus près des réalités du terrain et en contact permanent avec nos concitoyens pour répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes. Ils sont, et je reprends vos mots, monsieur le président, « à portée d’engueulade » de leurs administrés.
Ces mêmes élus locaux auront pour mission d’assurer la réouverture des écoles à compter du 11 mai prochain, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement.
Dans ce cadre, et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la protection de nos enfants est la priorité. Les conditions de sécurité sanitaire doivent être scrupuleusement respectées, et nous pouvons compter sur le dévouement et le travail acharné des maires pour les mettre en œuvre.
Cette priorité, selon nous, va de pair avec le renforcement de la protection juridique des maires et des élus locaux dans le cadre des opérations de déconfinement et, en particulier, dans le cadre de la réouverture des écoles.
Oui, vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la loi Fauchon protège déjà les élus. Mais ils ont aussi besoin d’être rassurés par l’État. Il y va de la confiance et de la réussite de ce déconfinement.
C’est pourquoi la majorité du groupe La République En Marche a déposé un amendement allant dans ce sens et se félicite de l’adoption d’un amendement similaire du rapporteur.
Étant toutes et tous en lien avec les élus de nos départements, nous entendons leurs inquiétudes légitimes et sommes particulièrement déterminés à y apporter une réponse concrète.
Ma question est donc la suivante, monsieur le Premier ministre : quelles seront les réponses du Gouvernement face aux attentes des maires et des élus locaux, partenaires essentiels de l’État dans la crise que nous traversons ?