Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Il s’agit d’un sujet d’une extrême gravité. Nous hésitons entre deux bornes : le principe de précaution et la présomption d’innocence.
Monsieur le secrétaire d’État, vous disiez que les magistrats ne procédaient à l’inscription que dans 50 % des cas. Je pense qu’il s’agit d’un chiffre après condamnation, ce qui est extrêmement différent au regard du principe de présomption d’innocence.
J’ai été maire pendant vingt-deux ans et j’ai malheureusement été confronté à ce genre de problème. Je sais donc de quoi je parle.
Effectivement, nous nous devons de protéger les enfants des responsables que nous recrutons et qui sont chargés de les encadrer. Pour autant, ce qui me surprend, j’ai l’impression que l’on ne fait pas la différence entre la condamnation et l’instruction.
En droit du travail, par exemple, à côté du régime de sanctions, des mesures peuvent être prises à titre conservatoire. En l’occurrence, je n’ai pas l’impression que ces deux possibilités existent, ce qui me semble fâcheux. Il est bien sûr très grave de mettre des enfants face à des délinquants, mais il est aussi très grave d’inscrire dans un fichier une personne qui est peut-être innocente.
Je suis très perplexe, je l’avoue, quant à la solution à mettre en place. Cela étant, il me semble assez judicieux de laisser cette responsabilité aux magistrats.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. J’ai attiré précédemment l’attention sur le principe de cohérence, que j’aime beaucoup. Faut-il laisser au juge la liberté d’apprécier tous les considérants ou nos prescriptions doivent-elles se montrer plus sérieuses et directives ? Car le juge peut se tromper ; la justice est humaine, comme nous l’avons évoqué avec Mme la garde des sceaux ?
Nous avons adopté des amendements qui relevaient d’une logique et maintenant vous nous proposez de voter des amendements qui relèvent d’une autre. Je suis désolé de vous le dire, madame de la Gontrie, mais vous vous prenez les pieds dans le tapis !
Tout à l’heure, au titre du principe de précaution – je l’admets parfaitement, car c’est un argument auquel je souscris –, vous nous disiez qu’il fallait protéger les femmes battues. Mais ici, a contrario, toujours au titre du même principe de précaution, vous ne voulez pas inscrire dans un fichier ceux qui maltraitent les enfants !
Soit c’est la présomption d’innocence qui prévaut, soit c’est le principe de précaution. En passant d’un argument à l’autre, vous défendez une idéologie, mais ne faites pas preuve de cohérence !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je n’ai rien compris !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il faut bien distinguer ce qui relève de la condamnation et ce qui relève de l’instruction.
Dans le cadre de la condamnation, l’inscription est automatique, comme le prévoit le début de l’article 11 A. La peine encourue passe de deux à cinq ans d’emprisonnement pour consultation et l’inscription au Fijais des personnes condamnées sera automatique, passant ainsi de 50 % à 100 % des cas.
En revanche, au stade de l’instruction, le principe de la présomption d’innocence a toute sa place. La liberté est laissée au juge de décider d’inscrire ou pas, à ce moment de l’enquête, une personne au Fijais, étant entendu que si le parquet demande cette inscription, le juge d’instruction ne peut la refuser.
Une fois encore, la loi Villefontaine prévoit qu’à ce stade de l’instruction le juge puisse prévenir les administrations concernées de la procédure en cours. Mme la garde des sceaux et moi-même avons lancé au début du mois de février la mission d’audit et d’appui que j’évoquais. Vous avez cité l’exemple, madame la sénatrice, de l’éducation nationale. Il s’avère que, dans la pratique, une culture commune s’est développée. À côté des référents justice de l’éducation nationale, il y a des référents éducation nationale au sein des parquets. De manière assez naturelle, dès qu’un personnel de l’éducation nationale en contact avec les enfants, dans le cadre des écoles, fait l’objet d’une instruction, immédiatement, le juge prévient l’administration. Cette personne sera alors écartée du contact des enfants.
C’est loin de toute automatisation du système, au niveau des pratiques de chaque administration, à un stade de l’enquête où la présomption d’innocence doit encore avoir toute sa place, que nous voulons agir. Par ce biais, nous pourrons ainsi mettre en place un système protecteur.
Effectivement, nous sommes bien souvent amenés à devoir mettre en balance des grands principes de notre droit, mais la solution que nous avons trouvée, conjointement avec la sénatrice de la Gontrie, nous semble être à la fois équilibrée et protectrice de nos enfants. C’est bien la volonté de protéger nos enfants qui m’anime, et j’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous n’en doutez pas !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur Allizard, le code de procédure pénale, que nous avons modifié dans le texte de la commission, prévoit déjà l’inscription des personnes mises en examen dans le fichier. La mesure de précaution existe donc déjà.
Dans ce code, il est prévu que l’inscription au fichier de ces personnes se fasse sur décision du juge. Nous avons uniquement déplacé le curseur, afin qu’elle ait lieu, sauf décision contraire du juge.
Vous avez mis l’accent, à juste titre, sur la nécessité de laisser la décision aux magistrats : mais la décision reviendra toujours aux juges, nous y avons veillé. Cela vide donc de toute substance l’objection de principe que l’on pourrait faire au texte de la commission. Or, comme toujours quand on discute, il faut revenir au texte pour s’assurer que les choses sont faites correctement. Quoi qu’il en soit, la question était légitime et nous nous la sommes également posée. Nous y avons répondu en laissant la responsabilité aux juges.
La réponse de principe est que la personne mise en examen pour avoir commis une agression, pas simplement sexuelle, d’ailleurs, car il peut s’agir d’une agression criminelle, délictuelle ou de tout autre nature, à l’égard d’un mineur devra être inscrite pendant l’instruction, sauf décision contraire du juge, au Fijais. C’est un bon équilibre.
Il s’agit, selon moi, d’un élément fort pour faciliter la protection de l’enfance, d’autant que les inscriptions au fichier sont insuffisantes, ce que tout le monde a admis durant le débat. Nous avons eu de longues discussions pour mettre en avant l’intérêt supérieur de l’enfant à chaque fois que nous devions prendre une décision dans le cadre de l’élaboration de ce texte de loi. Malgré notre souci de protéger des adultes injustement poursuivis, nous avons toujours fait passer l’intérêt de l’enfant avant toute chose. Bien évidemment, il faudra effacer immédiatement du fichier toute personne pour laquelle l’instruction se terminera par un non-lieu, car il ne doit pas s’agir d’une tache que l’on portera injustement sur soi pendant des mois ou des années.
Si la commission est défavorable à cet amendement, ce n’est pas parce qu’elle veut faire la révolution, elle n’en a pas l’habitude : elle ne s’est pas encore exercée à ce type de réponse aux problèmes qui lui sont soumis !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 11 A.
(L’article 11 A est adopté.)
Article 11
(Non modifié)
L’article 227-24 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. »
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Depuis 2014, la délégation aux droits des femmes tente d’alerter contre l’exposition croissante des mineurs aux images pornographiques, désormais très courante dès le collège au point que l’on parle de « génération YouPorn ».
Or la pornographie véhicule une image dégradante des femmes. Elle ne peut que perturber les enfants et les adolescents, et entraver la construction de leurs propres représentations.
Les codes de la pornographie déshumanisent la sexualité en banalisant, voire en encourageant, des relations sexuelles souvent violentes et mettent à mal la notion de consentement du partenaire.
De plus, certains spécialistes assimilent le traumatisme lié à la vue de ces images à celui que cause l’exposition à des violences. Je suis donc satisfaite que cette proposition de loi se soit emparée de ce problème, car on ne peut laisser la pornographie faire l’éducation sexuelle de nos enfants. Mais la responsabilisation des sites pornographiques, bien que nécessaire, ne saurait être suffisante.
À ce titre, je tiens à rappeler que le rapport de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions plaidait, dans sa proposition n° 11, pour une éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, avec une sensibilisation spécifique aux violences sexuelles. La présidente de cette mission commune d’information était Mme Catherine Deroche et ses rapporteurs Mmes Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, présentes dans cet hémicycle ce soir.
Ce n’est qu’en alliant le volet préventif au volet répressif que nous parviendrons à faire évoluer les mentalités chez les plus jeunes, et à développer une politique publique efficace et pérenne.
Aussi, l’expertise des associations agréées en matière de sensibilisation des enfants et des adolescents au problème des violences sexuelles est une ressource sur laquelle il est judicieux de s’appuyer. Cela rejoint notamment l’une des propositions de cette mission commune d’information.
Mme la présidente. L’amendement n° 16, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 11 fait un lien entre la consommation de pornographie et les violences qui sont perpétrées dans un cadre conjugal. Cette corrélation est pour le moins discutable et hasardeuse. Elle semble par ailleurs fondée sur une perception moraliste et pudibonde de la production pornographique. Celle-ci n’est pourtant pas toujours uniforme et toutes les productions en la matière ne sauraient être perçues comme violentes, forcément dégradantes pour ses protagonistes féminins et masculins.
De nouvelles plateformes progressistes, amateurs et féministes émergent actuellement dans ce domaine, loin des stéréotypes oppressifs avilissants pour la condition féminine.
Par ailleurs, nous tenons à rappeler que la simple prohibition de la pornographie ne saurait remplacer des cours d’éducation sexuelle bien architecturés, qui seraient dispensés aux adolescents, afin que ceux-ci puissent avoir une vision saine et équilibrée de la sexualité.
Le lien direct entre la pornographie et les violences conjugales intrafamiliales n’étant pas établi et n’ayant d’ailleurs jamais été prouvé, nous estimons que l’article 11 n’a pas sa place dans cette proposition de loi.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 11, qui a pour objet de codifier une jurisprudence de la Cour de cassation, au motif qu’il n’y a pas de lien évident entre accès à la pornographie et violences conjugales. C’est tout fait exact.
Mais en réalité, la proposition de loi contient, je l’ai indiqué au cours de la discussion générale, des dispositions qui débordent le champ des violences conjugales et qui s’appliquent à la protection des mineurs. C’est le cas, en l’occurrence, de l’article 11 qui s’inscrit parmi les dispositions visant à protéger les mineurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je suis défavorable à cet amendement de suppression. Le sujet de cet article n’est évidemment pas la consommation de pornographie par les adultes et son lien direct avec les violences conjugales. Il y est question de l’accès par des enfants à des contenus pornographiques. L’article a pour objet de renforcer la législation pour éviter que, grâce à un simple clic sur un bandeau certifiant que l’on est majeur, un enfant de 10 ans ne puisse avoir accès à des sites pornographiques.
Car, madame la sénatrice, c’est bien ce qui se passe aujourd’hui : en ligne, qu’ils le souhaitent ou non, les enfants sont constamment confrontés à la sexualité via des contenus sexuels ou pornographiques. L’âge moyen du premier accès à du matériel pornographique est de 14 ans. Et près de 50 % des enfants voient du matériel pornographique sur internet pour la première fois à 11 ans. Or le cerveau d’un enfant de cet âge n’est pas fait pour voir de telles scènes. C’est une forme de violence ; je définis ce fait comme tel.
Les enfants nous disent eux-mêmes qu’ils reproduisent les scènes qu’ils voient. Accéder à de la pornographie à cet âge-là façonne votre conception de la sexualité, votre rapport à l’autre, votre rapport au corps, votre rapport au consentement, que ce soit pour les hommes comme pour les femmes.
Près de 75 % des enfants considèrent qu’ils ont été exposés pour la première fois à du matériel pornographique trop tôt, trop précocement, par rapport à ce qu’ils pouvaient supporter.
Contrairement à ce que certains affirment, le sujet des violences sexuelles au sein du couple et celui de la surexposition des jeunes aux contenus pornographiques ne sont pas totalement étanches, pour les raisons que je viens d’exposer.
Le contact répété et précoce des jeunes avec ces contenus de toute nature peut avoir des effets sur leur développement. Il n’est pas sans conséquence sur leurs rapports sociaux, leur estime de soi et les relations entre les filles et garçons. De nombreux médecins, notamment des pédopsychiatres, nous alertent à ce sujet : les attitudes et la conception des relations sexuelles risquent d’en être modifiées, ce qui peut aboutir, in fine, à des violences sexuelles.
Ce renforcement de notre législation doit bien entendu aller de pair avec d’autres actions, que nous mettons en œuvre, notamment dans le cadre du plan de lutte contre les violences que j’évoquais. Il s’agit ainsi de développer des programmes de prévention et d’information pour faire émerger chez les jeunes une pensée critique par rapport à ce qu’ils observent, et leur permettre de développer leur propre conception de la sexualité pour qu’ils la façonnent en temps utile, seuls, au travers de leur propre expérience. Je pense aussi à la meilleure information des parents sur les risques ; nous y travaillons avec l’ensemble des acteurs du numérique, à la suite de la signature en janvier dernier, en présence du secrétaire d’État chargé du numérique, Cédric O, d’un protocole de lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je voterai contre l’amendement présenté par Mme Benbassa.
Pour autant, je suis très perplexe quant à l’efficacité de l’article proposé par le Gouvernement, ce dont je ne peux lui tenir rigueur.
Vous êtes, et nous sommes, totalement désarmés. Pour le moment, personne ne sait comment empêcher les mineurs d’accéder au matériel pornographique mis à la disposition des adultes.
On peut signer toutes les chartes possibles avec ceux qui veulent bien y adhérer, mais, encore une fois, on ne sait pas comment faire pour empêcher un mineur d’accéder à ces sites. Les raisons en sont nombreuses, parmi lesquelles la localisation de ces sites à l’étranger.
Vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne vouliez surtout pas parler de l’accès aux sites pornographiques en général. Mais, un jour, il faudra bien se demander ce que l’on pense de la pornographie qui est accessible, y compris aux adultes ! Elle est, bien sûr, très toxique pour les enfants, mais je considère qu’elle l’est aussi pour les adultes et pour les personnes qui jouent – il est assez indélicat de ma part d’utiliser le verbe « jouer » – dans ces films, ou plutôt qui sont utilisées pour produire ce matériel pornographique.
On l’accepte, au prétexte qu’il s’agit d’affaires entre adultes consentants. Or en quoi consiste le consentement des acteurs et actrices de films pornographiques tournés à l’étranger, dans des pays où il n’y a aucune régulation ? Ceux qui connaissent un peu le sujet dénoncent une augmentation de la violence des scènes et un recul constant des limites dans ces films.
Peut-être cessera-t-on, un jour, de dire que la pornographie fait partie des libertés individuelles !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 11.
(L’article 11 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 11
Mme la présidente. L’amendement n° 92 rectifié, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Lorsqu’il constate qu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques en violation de l’article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l’injonction dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations.
À l’expiration de ce délai, en cas d’inexécution de l’injonction prévue au premier alinéa du présent article et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, en la forme des référés, que les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique mettent fin à l’accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal.
Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux mêmes fins lorsque le service de communication au public en ligne est rendu accessible à partir d’une autre adresse.
Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut également demander au président du tribunal de judiciaire de Paris d’ordonner, en la forme des référés, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.
Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.
Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement est très important.
Que ce soit sur un ordinateur ou sur leur smartphone, des mineurs peuvent très facilement visionner des contenus pornographiques disponibles gratuitement en ligne. Ils savent très bien le faire ; il suffit de taper le nom d’un site et huit vignettes apparaissent, proposant l’accès immédiat à des films pornographiques.
En violation de la loi, de nombreux sites internet ont renoncé à mettre en place un véritable contrôle de l’âge des personnes qui visionnent ces images. Il suffit d’un clic par lequel le mineur certifie avoir plus de 18 ans pour que des milliers de vidéos pornographiques lui soient accessibles. Quelquefois même, la question de l’âge n’est pas posée ! Pourtant, il existe des solutions d’identification de l’âge, par exemple en passant par FranceConnect ou en utilisant une carte de paiement.
De nombreux mineurs visionnent ces images dès leur entrée au collège, durant les intercours. Cela conduit à s’interroger sur l’effet que la consommation d’images pornographiques pourrait avoir, à moyen terme, sur leur développement affectif, psychologique et sexuel.
Autre chiffre : on sait que 50 % des moins de 12 ans ont déjà visionné un film pornographique dans sa totalité et que les premières images pornographiques atteignent les enfants dès l’âge de 7 à 8 ans, à l’occasion du visionnage d’un autre type de film durant lequel elles sont bombardées.
Les enfants de 7 ou 8 ans ne s’identifieront pas forcément à ces images. Même si c’est très grave, ça l’est moins que pour les jeunes de 12 ou 13 ans.
En principe, l’article 227-24 du code pénal permet de sanctionner les sites qui diffusent des images pornographiques susceptibles d’être vues par un mineur. La loi existe donc. La peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Mais, en pratique, cet article n’est pas appliqué dans l’univers numérique et la justice ne parvient pas à atteindre les éditeurs de ces sites, qui sont souvent basés dans des paradis fiscaux très éloignés et ne coopèrent pas avec la France. Est-ce une raison pour ne pas agir ?
La pornographie est un univers particulier, et ce d’autant plus pour les mineurs. Les jeunes garçons ne sont plus les seuls à s’identifier, les jeunes filles aussi. On sait que, durant la période de confinement, la demande de films pornographiques a explosé, et encore plus celle de films pornographiques violents.
Je vais essayer de vous expliquer la situation simplement.
Autrefois, les films pornographiques violents formaient une catégorie à part. Ils étaient destinés, par exemple, à des personnes sadomasochistes, ce que l’on appelle aujourd’hui les adeptes du BDSM – je ne suis pas familière de ces sujets –, et dont c’est le droit le plus strict d’être attirées par de tels films ou sites pornographiques violents. Même si on ne partage pas cet intérêt, on peut essayer de comprendre… Ces films étaient donc codifiés « violents ».
Désormais, en revanche, la violence fait partie de la pornographie « de base ». Il est devenu normal qu’une femme soit strangulée, serrée, écartelée, et que sais-je encore. C’est tragique !
Les jeunes filles qui vont voir ces images se diront qu’il faut faire pareil, qu’il est normal qu’un jeune homme soit violent avec elles. Or ce n’est pas normal du tout, surtout pour un jeune en construction, comme cela a été expliqué précédemment.
Cet amendement, que je défends avec passion et enthousiasme, vise à instituer une nouvelle procédure, destinée à obliger les éditeurs de sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs clients.
Tout d’abord, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) adresserait à ces sites une injonction de se mettre en conformité avec la loi, laquelle, on l’a vu, existe. Ensuite, il saisirait le président du tribunal judiciaire de Paris, afin que celui-ci ordonne aux opérateurs de rendre impossible l’accès à ces sites, qui ne pourraient donc plus être consultés depuis la France. Enfin, nous proposons la mise en œuvre d’une action – nous savons que ce ne sera pas facile, mais au moins est-ce le début du commencement de quelque chose…
Ce dispositif s’inspire de celui qui a été mis en place pour lutter contre les cercles de jeux en ligne illégaux, lequel repose sur le contrôle exercé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Si cela marche pour les jeux en ligne, pourquoi pas pour les sites pornographiques ?
L’adoption de cet amendement permettrait de mettre en œuvre l’engagement pris par le Président de la République le 20 novembre 2019, dans un discours prononcé à l’Unesco. Il avait alors donné six mois aux acteurs de l’internet pour instaurer un contrôle parental par défaut, sans quoi il serait nécessaire de légiférer.
Nous y sommes, les six mois sont passés ! Nous avons là une accroche dans la loi pour répondre à l’exigence du Président de la République. C’est tout de même positif !
Cette question devait être traitée dans le cadre de l’examen du projet de loi de réforme de l’audiovisuel, mais celui-ci a été remis aux calendes grecques et ne sera pas débattu, au mieux, avant 2021. Cela doit nous inciter à prévoir, lors de la discussion de la présente proposition de loi, des dispositions destinées à protéger véritablement les mineurs.
Vous me direz que, ces sites étant situés à l’étranger, si l’on en ferme un, deux seront ouverts dans la foulée. Peut-être, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir ! Cela me rappelle la fable du petit colibri qui n’a dans son petit bec qu’une goutte d’eau pour éteindre l’incendie de la jungle, mais qui fait tout de même sa part. Nous avons la responsabilité de faire quelque chose ! Dire que rien n’est possible, ce n’est pas acceptable !
Lorsque j’ai été élue maire en 2001, je suis allée à la maison des adolescents, où l’on m’a dit qu’il y avait un problème avec l’accès des jeunes à certains sites. C’était il y a dix-neuf ans ! À l’époque, j’avais expliqué à des jeunes de 13 ans qu’il ne fallait pas aller sur ces sites. Ils ont aujourd’hui 32 ans et ils ont le même problème avec leurs enfants, car on n’a rien fait !
L’univers numérique de nos enfants nous dépasse, et on ne peut pas l’accepter. Voilà pourquoi, puisque nous disposons d’une accroche, nous devons nous en saisir tous ensemble pour protéger nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je vais essayer d’être aussi passionné que Mme la rapporteure.
Vous avez raison, madame Rossignol, la seule disposition de l’article 11 ne suffira pas à lutter contre ce fléau qu’est l’accès des mineurs à la pornographie. Nous mettons donc en place un ensemble de mesures, de leviers, ciblant ici les hébergeurs, là les fournisseurs d’accès, là encore les éditeurs de contenus, les plateformes, les réseaux sociaux, afin d’interdire, à chaque niveau, l’accès des mineurs à la pornographie.
Vous avez eu raison, madame la rapporteure, de citer le discours du Président de la République devant l’Unesco, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant et de la présentation du plan de lutte contre les violences. Il est en effet très fortement préoccupé par la question de l’exposition des mineurs à la pornographie.
Le premier outil, que nous avons évoqué, est le protocole d’engagement signé, en présence de Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, par l’ensemble des acteurs – associations, fournisseurs d’accès, grandes plateformes, constructeurs de téléphones, c’est-à-dire l’ensemble de la chaîne de valeur –, que nous avons mis, pour la première fois, autour de la table des discussions. Nous pensons en effet qu’il est de la responsabilité de chacun de restreindre l’accès des mineurs à la pornographie.
Vous l’avez rappelé, ces acteurs se sont engagés en janvier dernier à agir sous six mois. La crise étant passée par là, bien que les travaux se soient poursuivis, nous avons pris un peu de retard ; nous nous sommes donné rendez-vous au début de l’été.
Nous leur avons demandé, j’y insiste, de nous proposer un dispositif sous six mois, en leur laissant la liberté des moyens, mais en fixant un objectif : restreindre très fortement l’accès des mineurs à la pornographie. Il est vrai que le contrôle parental par défaut nous semblait être un moyen d’action efficace, mais le débat reste ouvert.
Si je puis me permettre, madame la rapporteure, l’adoption de votre amendement ne mettra pas un terme à cet engagement de l’ensemble des acteurs, qui reste nécessaire. Nous continuons à suivre leurs travaux, menés sous l’égide du CSA et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
Le deuxième outil est l’article 1er de la loi Avia, que vous avez adopté et qui intègre la question de l’exposition à la pornographie des mineurs comme étant l’un des champs de compétence de cette loi.
Le troisième outil est le présent article 11, que vous vous apprêtez à voter, mesdames, messieurs les sénateurs, et qui inscrit dans le droit « dur » une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les simples disclaimers ne suffisent pas pour garantir le non-accès des mineurs à un site.
Il y a enfin l’ajout prévu dans son amendement par Mme la rapporteure, qui vise à confier au CSA la possibilité de saisir le juge.
Vous aurez l’occasion de débattre du projet de loi portant réforme de l’audiovisuel, peut-être sous une forme quelque peu différente de ce qui était prévu initialement – je ne veux pas préjuger l’avenir. Celui-ci prévoit, vous le savez, la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et la création d’une nouvelle instance, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), dont l’un des champs de compétence sera la lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie.
À cet ensemble de dispositifs, l’amendement de Mme la rapporteure ajoute un élément fort utile. J’espère – je vous le dis, madame Rossignol – qu’il permettra de restreindre très fortement l’accès des mineurs à la pornographie.
L’avis du Gouvernement est donc favorable.