Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11.
L’amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud, Apourceau-Poly et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann et MM. Ouzoulias et Savoldelli, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 222-14-3 du code pénal, il est inséré un article 222-14-… ainsi rédigé :
« Art. 222-14-…. – Le fait d’exposer un mineur à des violences commises sur le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité est puni des peines prévues au b des articles 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13. Le mineur exposé est considéré comme victime des violences. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Selon une étude menée il y a deux ans par le ministère des solidarités et de la santé, on estime chaque année que 170 000 enfants sont témoins de violences conjugales et intrafamiliales perpétrées dans les foyers français.
Pour ces mineurs, les conséquences néfastes d’une telle exposition sur le long terme ne sont plus à démontrer. Des syndromes de stress post-traumatique et des effets préjudiciables à leur développement cognitif et émotionnel sont notamment à déplorer. Certains en viennent même, malheureusement, à perpétuer ces schémas comportementaux violents, une fois l’âge adulte atteint. Il semble donc nécessaire de reconnaître les traumatismes et les souffrances endurés par ces enfants.
Actuellement, sur le plan pénal, à moins qu’il n’ait lui-même directement fait l’objet de violences, l’enfant ne peut être considéré comme une victime à part entière des brutalités intrafamiliales.
Pourtant, l’exposition du mineur aux violences conjugales relève indéniablement de mauvais traitements qui lui auraient été infligés. Il est par conséquent nécessaire que le droit pénal français admette que le préjudice moral et physique qui touche le parent violenté se répercute également sur l’enfant qui assiste à ces scènes.
Aussi est-il proposé dans le présent amendement de reconnaître, par extension, que les mineurs exposés aux violences conjugales sont également des victimes directes de ces maltraitances.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement prévoit que le mineur qui a assisté à des violences conjugales soit lui-même considéré comme une victime de violence.
Je partage l’idée générale qui sous-tend l’amendement : le mineur exposé aux violences en est indirectement la victime ; il peut en éprouver un traumatisme qui va le marquer durablement ; il peut aussi parfois reproduire, une fois adulte, la violence à laquelle il a assisté.
J’observe cependant que le code pénal prend déjà en compte cette dimension : les faits de violence au sein du couple sont en effet punis plus sévèrement lorsqu’un mineur y a assisté. L’adoption de cet amendement n’entraînerait aucun alourdissement de la peine encourue. On peut donc considérer qu’il est satisfait. L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Cet amendement vise à faire reconnaître qu’un enfant exposé à des violences conjugales peut être traumatisé par celles-ci et à le considérer comme une victime de ces faits, à côté de la personne, le plus souvent sa mère, qui en a été la victime directe.
Pour autant, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a déjà expressément reconnu la qualité de victime de ces mineurs, en prévoyant de retenir comme circonstance aggravante des violences conjugales le fait qu’un mineur y ait assisté. L’objectif visé au travers de cette disposition est, à la fois, d’aggraver la répression et de permettre la constitution de partie civile.
Du reste, dans la circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes, la garde des sceaux a donné pour instruction aux parquets de systématiquement retenir cette circonstance aggravante, « compte tenu de la coloration particulière qu’elle donne au fait ». Elle ajoutait aussi : « La désignation d’un administrateur ad hoc devra par ailleurs être envisagée afin de permettre au mineur d’être reconnu comme une victime des faits. »
Cela dit, l’amendement soulève une importante difficulté juridique : il n’est constitutionnellement pas possible de créer un délit spécifique d’exposition des mineurs à des violences conjugales, alors même que, depuis la loi du 3 août 2018 précitée, les violences conjugales commises en présence d’un mineur sont aggravées. Un même fait ne peut en effet constituer, à la fois, un délit autonome et la circonstance aggravante d’un autre délit, car cela viole la règle bien connue non bis in idem.
Les travaux menés dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, sous la responsabilité de la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, et du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, sous ma propre responsabilité, ont démontré la nécessité de renforcer les unités d’accueil et d’écoute spécialisées et pluridisciplinaires pour recueillir la parole du mineur.
Au sein de mon plan de lutte contre les violences, présenté en novembre dernier, ces unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques (UAMJP), que l’on appelle désormais unités d’accueil pédiatriques pour l’enfance en danger (UAPED), seront généralisées à l’ensemble du territoire – je le dis à Mme de la Gontrie – d’ici à 2022.
Grâce à l’allocation de moyens supplémentaires, ces unités sont aujourd’hui au nombre de 64. L’objectif est d’en avoir 104 d’ici à 2022. Il est prévu que l’audition des mineurs par ces structures, à l’issue de laquelle une prise en charge psychologique pourra intervenir, concerne également les mineurs témoins victimes de violences conjugales.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 11 bis
(Non modifié)
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 113-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle est également applicable aux actes de complicité prévus au second alinéa de l’article 121-7 commis sur le territoire de la République et concernant, lorsqu’ils sont commis à l’étranger, les crimes prévus au livre II. » ;
2° À l’article 221-5-1, après le mot : « commette », sont insérés les mots : « , y compris hors du territoire national, » ;
3° Le paragraphe 1 de la section 1 du chapitre II du titre II du livre II est complété par un article 222-6-4 ainsi rédigé :
« Art. 222-6-4. – Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette, y compris hors du territoire national, un des crimes prévus par le présent paragraphe est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis, ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. » ;
4° Le paragraphe 1 de la section 3 du même chapitre II est complété par un article 222-26-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-26-1. – Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un viol, y compris hors du territoire national, est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis, ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. » ;
5° Après l’article 222-30-1, il est inséré un article 222-30-2 ainsi rédigé :
« Art. 222-30-2. – Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette une agression sexuelle, y compris hors du territoire national, est puni, lorsque cette agression n’a été ni commise, ni tentée, de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Lorsque l’agression sexuelle devait être commise sur un mineur, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. » – (Adopté.)
Chapitre IX
Dispositions relatives à l’aide juridictionnelle
Article 12
(Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 56 est présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 82 est présenté par Mmes Cohen, Benbassa, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi rédigé :
« Art. 20 – Lorsque l’avocat intervient dans une procédure présentant un caractère d’urgence, dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, l’aide juridictionnelle est attribuée de manière provisoire par le bureau d’aide juridictionnelle ou par la juridiction compétente.
« L’aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d’aide juridictionnelle établit l’insuffisance des ressources. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour présenter l’amendement n° 56.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous nous préoccupons de savoir comment les victimes de violences conjugales pourront se faire protéger par la justice, et donc engager des procédures, notamment la requête en vue d’obtenir la délivrance de l’ordonnance de protection (ODP). À cette fin, il faut le plus souvent être assisté d’un professionnel, en l’occurrence un avocat, voire, comme on l’a dit cet après-midi, un huissier, et donc pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle.
À l’Assemblée nationale, des travaux très importants ont été menés conjointement par Naïma Moutchou et Philippe Gosselin, lesquels ont conclu que, dans le cas des violences conjugales, l’aide juridictionnelle devait être attribuée en urgence, sans condition de ressources, dès le dépôt de plainte.
Lorsque la présente proposition de loi est venue en discussion, son article 12, qui a été supprimé par la commission des lois et que je propose de rétablir, prévoyait qu’il soit possible, lorsque la procédure présente un caractère d’urgence, d’attribuer l’aide juridictionnelle à titre provisoire, celle-ci devenant définitive une fois la vérification faite que la personne a réellement le droit d’en bénéficier. Il s’agit de permettre aux personnes concernées d’être assistées d’emblée. Curieusement, la commission des lois a décidé de supprimer cette possibilité, en arguant du fait que l’on pouvait toujours obtenir l’aide juridictionnelle en urgence.
Aujourd’hui, selon les bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ), il faut entre 15 jours et 6 mois pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, chaque tribunal étant compétent pour attribuer cette aide. Il y a donc une incroyable hétérogénéité de délais, mais aussi d’objets. En effet, chaque président de tribunal prend sa décision en fonction de la jurisprudence propre de sa juridiction, et selon que l’urgence est déclarée ou non.
Il nous avait paru très sain de définir le cadre dans lequel il est possible de demander l’aide juridictionnelle d’urgence, et de prévoir que la liste des procédures présentant un caractère d’urgence soit fixée par décret en Conseil d’État, pour que les dispositions soient égalitaires sur l’ensemble du territoire français. Cela nous semblait très important.
J’ai le souvenir d’un échange avec le président Bas, en commission… Il est faux de penser que l’on peut obtenir l’aide juridictionnelle en 24 heures. Il existe une circulaire de la garde des sceaux indiquant aux BAJ que ce délai devrait être tenu en cas de violences conjugales, mais telle n’est pas la réalité !
Encore une fois, le renforcement de l’aide juridictionnelle provisoire est essentiel en ces matières. Voilà pourquoi nous demandons le rétablissement de l’article qui le prévoyait, et qui était issu du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 82.
Mme Laurence Cohen. Mon intervention sera proche de celle de ma collègue.
Je m’étonne de l’attitude de la commission. On sait pertinemment que les conjoints violents ont aussi tendance à enfermer leur victime dans une grande dépendance économique. Je ne comprends pas que cet aspect ne soit pas pris en compte dans ce cas particulier, car cela aggrave encore les violences infligées aux femmes !
Il est indiqué dans le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, publié en janvier dernier, qu’une telle mesure faciliterait le parcours judiciaire des victimes de violences conjugales et leur permettrait d’avoir accès plus facilement à un avocat. Il y est également précisé – le magistrat Édouard Durand le souligne aussi – que l’aide juridictionnelle provisoire devrait être ouverte dès le début d’une procédure, soit au moment du dépôt de plainte, soit lors de l’enclenchement d’une procédure civile.
Une telle évolution permettrait à la victime de bénéficier d’une aide appropriée pour s’engager de la manière la plus efficace possible dans cette procédure. Elle serait, par exemple, épaulée pour se préparer à une éventuelle confrontation et pourrait, en outre, être domiciliée chez son avocat le temps de la procédure.
Pour toutes ces raisons, nous proposons, dans un premier temps, le rétablissement de l’article 12 dans la rédaction présentée par les députés Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission a fait le choix de supprimer l’article 12 qui prévoit d’automatiser l’attribution à titre provisoire de l’aide juridictionnelle, mais qui limite, en contrepartie, le bénéfice de cette attribution provisoire à certains contentieux énumérés par décret en Conseil d’État.
Elle a estimé que cet article ne représentait qu’un apport très modeste au regard de la situation existante, étant rappelé que la solution dépend avant tout de l’organisation des BAJ et de la façon dont ils traitent de manière prioritaire les dossiers des victimes de violences conjugales.
La circulaire publiée le 28 janvier dernier par la garde des sceaux appelle ainsi les BAJ à mettre en place un circuit spécifique permettant l’attribution sous 24 heures de l’aide juridictionnelle au profit de la partie demanderesse, dans le cadre des ODP. Ce faisant, les BAJ peuvent accorder directement l’aide juridictionnelle à titre définitif, ce qui garantit davantage de sécurité au demandeur qu’une admission à titre provisoire, laquelle pourrait ensuite être remise en cause au regard des ressources. En clair, la victime sera de toute façon obligée de payer l’avocat.
La commission a préféré s’en tenir au système actuel, qui donne suffisamment de souplesse aux juridictions et aux BAJ pour traiter toutes sortes de situations dans lesquelles l’admission à titre provisoire est nécessaire. Les juridictions ont pu en faire usage lors de la crise du Covid-19, lorsque certains BAJ étaient fermés.
L’article 12 vise à améliorer l’admission à titre provisoire des femmes victimes de violences conjugales, mais remet en cause l’ensemble de l’actuel système d’attribution de l’aide juridictionnelle à titre provisoire, en privant les juridictions judiciaires et administratives de leur faculté d’attribuer cette aide au regard de l’urgence de chaque situation, sans avoir à se limiter à tel ou tel type de contentieux.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. L’article 12 de la proposition de loi renvoyait à un décret l’établissement de la liste des procédures permettant d’octroyer l’aide juridictionnelle provisoire. Parmi ces procédures, les violences conjugales figurent évidemment en première place, mais il nous paraît préférable de renvoyer au décret pour ajuster plus aisément le périmètre concerné par l’aide juridictionnelle provisoire.
Cette disposition complète une disposition, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, qui concerne les juridictions signataires de conventions avec les barreaux en matière d’aide juridictionnelle. Ces conventions donnent lieu au versement de dotations complémentaires, selon les procédures, lorsque le barreau a mis en place une permanence d’avocats. Or le périmètre desdites conventions intègre désormais les ODP.
La réécriture du régime de l’aide juridictionnelle provisoire, complémentaire de cette modification du régime des conventions locales, va dans le bon sens.
L’avis du Gouvernement est donc favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 56 et 82.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 12 demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 12
Mme la présidente. L’amendement n° 57, présenté par Mmes Rossignol et de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à la revalorisation de l’aide juridictionnelle.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Il s’agit d’une demande de rapport, donc je serai rapide…
L’idée est de proposer au Gouvernement d’avoir, un jour, un débat consacré à l’aide juridictionnelle. Vous le savez, l’aide juridictionnelle est une condition de l’égalité d’accès à la justice pour tous les citoyens ; elle fait l’objet de nombreuses questions, en particulier relatives aux modes de rémunération différenciée, aux montants de l’aide et aux plafonds de ressources pris en compte. À un moment où l’accès à la justice semble souvent difficile à beaucoup de justiciables, il serait utile que le Gouvernement débatte un jour avec nous, non de ses projets, de ses annonces ou de ses plans, mais de ce qu’il veut faire, de ce qu’il faut faire, en matière d’aide juridictionnelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. L’aide juridictionnelle mériterait un projet de loi à part entière. Nous avons eu ce débat lors de la discussion de la dernière loi de finances, au cours de laquelle le Sénat s’était opposé à une réforme adoptée, à l’Assemblée nationale, au détour de l’examen d’un amendement.
Cela dit, vous ne serez pas surprise, ma chère collègue, je propose l’application de la « jurisprudence » habituelle de la commission des lois sur les demandes de rapport, en émettant un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Nous sommes évidemment à votre disposition pour débattre de l’aide juridictionnelle, madame la sénatrice.
Cela étant, pour ce qui concerne cette demande de rapport, je précise deux choses. D’abord, un premier rapport parlementaire a été publié l’été dernier sur ce sujet et le Conseil national de l’aide juridique en a également produit un en 2019. Ensuite, une commission, présidée par Dominique Perben, a été mise en place ; elle doit rendre ses premières propositions sur cette question d’ici à quelques semaines. Ce sera l’occasion d’en débattre.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 57.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 12 bis
(Non modifié)
Au 7° de l’article 515-11 du code civil, les mots : « de la partie demanderesse » sont remplacés par les mots : « des deux parties ou de l’une d’elles ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 12 bis
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Yung, Mme Cartron et MM. Bargeton, Hassani et Lévrier, est ainsi libellé :
Après l’article 12 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sont ainsi admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle les étrangers ayant subi des violences familiales ou conjugales, sans que soit applicable la condition de régularité du séjour. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique prévoit que les étrangers en situation irrégulière peuvent se voir accorder l’aide juridictionnelle « à titre exceptionnel […], lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt ». Je le souligne, la notion « digne d’intérêt » est assez vague…
Les bureaux d’aide juridictionnelle disposent ainsi d’un très large pouvoir d’appréciation. Selon le Défenseur des droits, leurs pratiques présentent de telles disparités dans le traitement des demandes que l’effectivité de l’accès au tribunal n’est pas garantie de façon uniforme sur l’ensemble du territoire. Cette situation est notamment préjudiciable aux étrangers victimes de violences familiales ou conjugales, qui, en raison de leur situation irrégulière, disposent de faibles ressources et qui, à cause de leurs problèmes de langue et de connaissance du droit, ont particulièrement besoin d’être assistés.
Afin d’éviter cette différence de traitement, il est utile de clarifier les règles devant être appliquées par ces bureaux. Par conséquent, le présent amendement vise à faire en sorte que la situation vécue par une victime de violences familiales soit systématiquement considérée comme digne d’intérêt.
Mme la présidente. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 12 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le quatrième alinéa de l’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est complété par les mots : « ainsi que pour l’étranger victime des délits et crimes mentionnés aux articles 222-7 à 222-16-3, 222-22 à 222-22-2, 222-23 à 222-26, 222-27 à 222-31, 222-33-2 à 222-33-2-2 du code pénal ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Plusieurs associations d’aide aux personnes migrantes, notamment la Cimade, nous ont alertés à propos de la double peine que subissent les femmes étrangères sur notre territoire. Ces femmes sont régulièrement victimes de violences conjugales, sexistes et sexuelles, mais, contrairement à celles qui sont de nationalité française, nombre d’entre elles ne peuvent s’adresser à la justice, faute de moyens financiers et d’accès à l’aide juridictionnelle.
En effet, les personnes étrangères ne bénéficient pas automatiquement de l’aide juridictionnelle, qui n’est en principe accordée qu’à condition d’être de nationalité française ou d’avoir des papiers de séjour en règle.
Pourtant, l’article 3 de la loi relative à l’aide juridique précitée a ouvert la voie à un élargissement de son attribution. Ainsi, certaines personnes migrantes en situation irrégulière, notamment celles qui sont présentes en centre de rétention administrative, peuvent en bénéficier. Ce n’est pas le cas, pour l’heure, des étrangères victimes de violences conjugales, de harcèlement moral, de viol ou d’agression sexuelle, dont les droits ne sont ouverts qu’en cas de régularisation de leur situation. Cette position du droit semble particulièrement inique, puisqu’elle laisse les femmes étrangères dans une situation de précarité et de danger, à la merci de leurs agresseurs.
Ainsi est-il proposé, au travers du présent amendement, de garantir l’accès à l’aide juridictionnelle pour toutes les personnes étrangères victimes de violences, dans le cadre de procédures civiles, pénales ou administratives, et ce sans condition de nationalité ou de régularité du séjour.
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est minuit passé. Je vous propose de prolonger notre séance, afin d’achever l’examen de ce texte. Il reste 17 amendements.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 9 rectifié et 18 rectifié ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Les amendements nos 9 rectifié et 18 rectifié sont satisfaits par la rédaction actuelle de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991.
Les étrangers peuvent déjà être admis à bénéficier de l’aide juridictionnelle sans condition de résidence, lorsqu’ils sont parties civiles dans un procès pénal ou qu’ils bénéficient d’une ordonnance de protection. Il n’y a donc pas besoin d’énumérer de manière précise certaines infractions.
La commission demande par conséquent le retrait de ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Plus précisément, si la victime est entièrement dépendante économiquement et qu’elle ne dispose pas de ressources, elle est automatiquement admise à l’aide juridictionnelle, mais le recours à l’aide provisoire permet de mettre en place, très rapidement, une assistance par un avocat. Par conséquent, la rédaction proposée dans la proposition de loi nous paraît plus sage et peut-être juridiquement plus solide.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme Esther Benbassa. Dans ces conditions, je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 18 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)