M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dimanche soir, le Président de la République a amorcé la troisième phase du déconfinement de notre pays, en tenant compte du dernier avis du Conseil scientifique, rendu le 14 juin. Si le virus continue de circuler sur notre territoire, nous nous accordons tous sur le fait que sa progression semble maîtrisée, voire contenue et même affaiblie. Après des semaines de bilans journaliers plus terrifiants les uns que les autres, la France reprend enfin son souffle, pendant qu’une autre partie du monde continue de sombrer dans la crise sanitaire. En bouleversant l’organisation même de nos foyers, de notre manière de travailler, de consommer et de vivre, le virus a aussi perturbé le cours de notre vie démocratique.
Au mois de mars dernier, près de 48 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour élire leur nouvelle équipe municipale dans les 35 000 communes qui constituent le cœur battant de notre démocratie locale. Dans 30 000 d’entre elles, le soir de la victoire d’une liste au premier tour a vu les Français rentrer ou rester chez eux pour se calfeutrer et résister à une menace rampante, invisible et meurtrière. Pour les 5 000 autres, le second tour prévu le dimanche 22 mars 2020 a été annulé le jeudi 19 mars. Nos territoires ont donc dû se préparer à affronter en première ligne une crise sanitaire sans précédent, en étant privés, pour certains, d’un exécutif local stable et établi.
C’est pourquoi, le 22 mai, la très grande majorité des élus et des candidats ont été soulagés que le Premier ministre appelle les Français à se rendre aux urnes le 28 juin. Cinq jours plus tard, le 27 mai, le Gouvernement déposait donc sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi précisant les conditions d’organisation de ce second tour. Mais, à notre grande surprise, fut déposé concomitamment sur le bureau du Sénat un projet de loi organique visant à reporter les élections sénatoriales et les élections législatives partielles, sur le fondement d’un hypothétique report des élections municipales au-delà de juin 2020.
Si les trois dernières années, en particulier les trois derniers mois, ont mis à rude épreuve notre calendrier parlementaire, avec des expériences gouvernementales, nous voici maintenant devant une originalité : les « projets de loi fictions ». Le législateur est prié de muter en scénariste devant imaginer des synopsis catastrophes à choix multiples. Le RDSE s’élève contre cette évolution contre-nature.
N’avons-nous pas démontré que nous étions capables de nous réunir en urgence pour prendre nos responsabilités, écrire la loi, l’amender et la voter dans l’intérêt général ? Ne l’avons-nous pas fait voilà quelques semaines à propos de l’état d’urgence sanitaire et voilà quelques mois pendant la crise des « gilets jaunes » ? N’allons-nous pas le faire une nouvelle fois la semaine prochaine, lorsque nous débattrons de la sortie de l’état d’urgence sanitaire ?
Au rebours du bon sens, sénateurs et députés ont été appelés à se pencher sur des scenarii fictifs opposés, relus simultanément par chacune des chambres parlementaires, avec un énième script qui nous réunit aujourd’hui dans cet hémicycle, pour nous attacher sans prétention à compléter des dispositions de la Constitution, socle fondateur de notre République.
À l’heure où nous débattons, notre pays est certes déconfiné, mais en piteux état. De lois nécessaires et attendues, nous n’en manquons pas. Elles sont attendues par nos concitoyens, qui ont entendu le ministre de l’économie et des finances déplorer la suppression de 800 000 emplois d’ici à la fin de l’année et le Président de la République leur annoncer que la crise devrait durer deux ans. Elles sont aussi attendues par le Sénat, qui aurait pu légiférer en urgence sur la définition d’un cadre susceptible de donner l’impulsion à une reprise économique solide et rapide.
Au lieu de cela, nous avons passé des heures sur un texte fictif protéiforme. La commission des lois, sur l’initiative de son président, a dû siffler la mi-temps pour que, à l’issue de nos travaux, soit promulguée une loi, et non une boîte à outils législative de secours.
Le présent projet de loi organique portera donc uniquement sur le cas des sénateurs représentant les Français de l’étranger, en raison de l’impossibilité matérielle d’organiser les élections consulaires dans certains pays sur lesquels déferle actuellement la vague pandémique. En commission, le Gouvernement a pu apporter des solutions sur l’ensemble des points juridiques évoqués dans la motion tendant au renvoi déposée par M. le rapporteur Philippe Bas. Ce texte prend acte du report des élections consulaires pour les Français de l’étranger en repoussant d’un an l’élection de six de leurs sénateurs et en raccourcissant le mandat de ceux-ci de cinq ans, en application de l’article 1er de la loi organique de 1983.
Nous sommes également satisfaits de l’adoption de l’amendement du rapporteur validant l’interprétation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique quant aux obligations déclaratives s’imposant aux parlementaires pendant la crise sanitaire.
En conclusion, le RDSE, opposé à toute forme de politique-fiction, soutiendra la version du texte adoptée en commission des lois, qui constitue une loi concrète, fruit de la procédure parlementaire, dont notre groupe est un défenseur historique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
(Mme Valérie Létard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Olivier Cadic a indiqué qu’il ne prendrait pas part au vote, étant directement concerné par les dispositions du texte. Je me suis alors interrogé : dois-je faire de même ? Après courte réflexion, j’estime que, en tant que sénateurs, nous représentons l’ensemble de la Nation, et non les seuls Français de l’étranger. Le mandat qui nous a été confié a une valeur générale. Par conséquent, en ce qui me concerne, je prendrai part au vote !
Le renouvellement en septembre 2020 de six sénateurs représentant les Français de l’étranger se heurterait à une difficulté spécifique : il y a plus de 190 pays dans le monde, et la situation sanitaire et les législations y sont très variables. Tout ne sera pas stabilisé en septembre prochain. Les sénateurs représentant les Français de l’étranger sont bien conscients de cette réalité.
Le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoyait initialement le report de l’élection de tous les sénateurs de la série 2. Le Président de la République ayant confirmé la tenue du second tour des élections municipales le 28 juin, sauf en Guyane, un tel report général ne se justifiait plus.
Si la France a réussi son déconfinement, il n’en est pas de même partout ailleurs dans le monde. C’est pourquoi le texte adopté en commission mixte paritaire portant report des élections municipales prévoit aussi le report de l’élection des 447 conseillers des Français de l’étranger, qui constituent l’essentiel du collège électoral des sénateurs des Français de l’étranger, au mois de mai 2021. C’est un choix salutaire compte tenu de la situation mondiale. Le corps électoral des sénateurs des Français de l’étranger aura donc bien été, à cette échéance, « rafraîchi », pour reprendre la belle expression de M. le rapporteur.
Pour l’organisation de l’élection des six sénateurs des Français de l’étranger qui devaient normalement être renouvelés en septembre 2020, il existe trois possibilités, qui ont été évoquées à plusieurs reprises et étaient mentionnées explicitement dans le texte de la motion de renvoi à la commission préparée par Philippe Bas ; je n’y reviens pas. Je tiens à saluer la grande flexibilité et la grande créativité dont le Gouvernement et le rapporteur ont su faire preuve.
La solution qui semble recueillir les faveurs d’une majorité d’entre nous est celle du report d’un an de cette élection. Une question se pose légitimement : peut-on scinder le renouvellement des sénateurs d’une même série ? Je n’ai pas d’idée arrêtée à cet égard. Une telle option semble relever du bon sens, mais nous verrons bien ce qu’en diront le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.
Le groupe LaREM soutient le report à septembre 2021 de l’élection des six sénateurs des Français de l’étranger concernés et le raccourcissement de leur mandat d’un an, afin que nous retombions sur nos pieds dans cinq ans. Nos collègues membres de la commission des lois en ont largement débattu. La solution qu’ils ont retenue n’est peut-être pas la plus enthousiasmante, mais c’est sans doute la plus prudente. C’est pourquoi notre groupe soutiendra la position défendue par la commission des lois et le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans revenir sur la genèse de ce projet de loi, déjà amplement exposée, je me concentrerai sur son sujet le plus important, à savoir le cas de nos collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France, dont le collège électoral n’a pu être renouvelé au mois de juin comme il aurait dû l’être.
Pour couper court à tout suspense, je précise d’ores et déjà que la majorité du groupe Les Républicains votera le texte proposé par la commission des lois.
Le sujet est délicat, tout le monde l’aura compris. Tout d’abord, il ne s’agit pas, comme nous le faisons parfois, de transcrire une bonne idée en termes législatifs. Nous débattons d’une question technique qui nous impose de procéder, autant que nous le pouvons, à une analyse du droit constitutionnel. En outre, si les sénateurs représentant les Français établis hors de France existent depuis la IVe République, la situation que nous connaissons aujourd’hui est inédite. Elle ne s’était jamais produite auparavant, et nous ne pouvons donc nous appuyer, dans notre réflexion, sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel. Enfin, de la décision que nous prendrons découleront la constitutionnalité – ou non – de l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et, dès lors, l’éventualité d’une vacance de leur siège, l’enjeu étant, in fine, la complétude – ou non – du Sénat.
Trois solutions ont été évoquées : conserver la date de septembre 2020, mais avec un collège électoral « périmé » ; repousser l’élection jusqu’après le renouvellement du collège électoral, fixé par la commission des lois à septembre 2021 ; enfin, repousser l’élection au prochain renouvellement partiel du Sénat, et donc proroger de trois ans le mandat des six collègues concernés.
Choisir entre ces trois solutions ne relève pas de l’évidence, cela a été rappelé, et les membres de la commission des lois se souviendront certainement de nos débats de la semaine dernière, quand deux de nos collègues, MM. Bas et Richard, dont la qualité de l’analyse juridique est connue et reconnue sur toutes les travées de cette assemblée, ont évoqué assez longuement ces sujets de droit constitutionnel, sans tomber toujours d’accord. En effet, il n’existe pas de certitude en la matière.
Pour autant, même en l’absence de jurisprudence sur ce point précis, des principes d’ores et déjà établis par le Conseil constitutionnel peuvent nous guider. Il s’agit finalement de répondre à une question assez simple : quel choix sera le plus respectueux de la démocratie telle que définie par l’article 3 de la Constitution, à savoir une démocratie où des électeurs se rendent aux urnes pour désigner leurs représentants ?
Deux de ces principes retiennent particulièrement notre attention et permettent, me semble-t-il, de parvenir à la solution retenue par la commission des lois.
Premier principe, il faut s’assurer que la représentativité des électeurs n’est pas « défraîchie », pour reprendre le mot du Conseil constitutionnel. En d’autres termes, le collège électoral doit avoir été élu le plus récemment possible. Ce sera le cas avec la proposition de la commission des lois, puisque l’élection aura lieu peu de mois après le renouvellement du collège électoral.
Second principe, l’électeur doit pouvoir exercer son droit de suffrage selon une « périodicité raisonnable », aux termes du Conseil constitutionnel. Est-ce le cas si nous reportons une élection au-delà de l’échéance fixée par les textes légaux ? Vous l’avez compris, le Conseil constitutionnel admet que nous puissions le faire et prolonger un mandat, à condition toutefois que cette prorogation soit exceptionnelle et transitoire et qu’elle réponde à un objectif d’intérêt général. Il me semble que nous nous trouvons exactement dans cette situation en l’occurrence.
En conclusion, je pense que procéder à l’élection une année plus tard que prévu, mais avec un collège électoral renouvelé, est tout à fait conforme à ces deux principes anciens et importants. En tout cas, si cette solution n’offre pas de certitude – aucune n’en offre –, c’est certainement celle qui présente le moins de risques. Nous suivrons donc la position de la commission des lois et voterons le texte qu’elle a élaboré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Mme Jourda vient de le dire : il n’existe pas de certitude absolue, mais un faisceau d’indices sanitaires et juridiques. Je pense en particulier aux décisions du Conseil constitutionnel qui nous ont conduits à retenir cette solution.
Monsieur Yung, il nous semble parfaitement possible d’organiser, pour une même série de sénateurs, des élections à deux dates différentes. Nous ne pensons pas que cela pose de difficultés.
Monsieur Sueur, la distinction que nous faisons entre renouvellement partiel et élection partielle permet de résoudre l’inquiétante question de savoir si le président du Sénat qui sera élu au début de l’automne 2020 devra se soumettre à une nouvelle élection en 2021… Nous pensons qu’il ne sera pas nécessaire de procéder à deux élections du président du Sénat à une année de distance, mais il conviendra bien entendu de le vérifier.
Concernant la situation particulière de la Guyane, nous nous référons à l’esprit de la décision du Conseil constitutionnel évoquant un collège électoral « en majeure partie » renouvelé. Le second tour des élections municipales se tiendra dans seulement sept des vingt-deux communes de ce département. Le collège électoral aura donc été « rafraîchi » à hauteur de 75 % ou de 80 %. Dès lors, nous considérons que l’élection sénatoriale pourra se tenir conformément à la doctrine du Conseil constitutionnel. Toutefois, cette question n’ayant jamais été abordée devant la représentation nationale, ma réponse s’accompagne de toutes les réserves qui conviennent.
En tout état de cause, si nous maintenions l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger par les mêmes grands électeurs, nous nous trouverions dans une situation un peu particulière : ces grands électeurs participeraient à l’élection sénatoriale en 2020 après avoir déjà voté en 2014 et en 2017. On pourrait alors considérer qu’ils risquent d’être un peu « défraîchis »… Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à bien prendre en compte le besoin de renouvellement.
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous devons, me semble-t-il, en rester à la question qui nous est posée, sans chercher à en traiter d’autres : peut-on maintenir l’élection de nos six collègues représentant les Français établis hors de France en septembre 2020 bien que leur collège électoral n’ait pas été renouvelé ?
Dès lors que l’on considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel l’empêche, il faut rechercher une solution permettant de se conformer aux exigences de la démocratie telles que le Conseil constitutionnel les a interprétées, avec bon sens selon moi. La prolongation d’un an du mandat des sénateurs en place est alors la seule solution possible.
Mais que viennent faire la Guyane et l’élection du président du Sénat dans ce débat ?
L’élection du président du Sénat et de l’ensemble des instances de notre assemblée est réglée par l’article 32 de la Constitution ; la désignation de nos représentants à la Cour de justice de la République est réglée par un autre article de la Constitution. Il est prévu que ces désignations ont lieu à la suite des renouvellements partiels du Sénat, qui interviennent tous les trois ans. Quant à l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, il est vrai qu’elle a été rattachée aux renouvellements partiels du Sénat par la loi de 1983, mais ces sénateurs ne sont pas pour autant membres à part entière de l’une ou l’autre des deux séries ; ils y sont simplement rattachés.
S’il faut reporter d’un an l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France, pour un cas de force majeure et afin d’assurer le bon fonctionnement de l’expression du suffrage universel indirect, ce qui est tout de même un objectif essentiel, nous devons considérer que cela n’a pas d’incidence sur le renouvellement des instances du Sénat. D’ailleurs, les collègues dont le mandat va être prolongé, si l’on suit la demande du Gouvernement et l’avis de la commission des lois, seront des sénateurs de plein exercice au mois d’octobre prochain, représentant pleinement les Français de l’étranger et participant de manière pleine et entière à l’élection des instances du Sénat. Ce ne seront pas des demi-sénateurs pendant la prolongation de leur mandat !
Quant à la Guyane, c’est un autre sujet ! Je vous signale, mes chers collègues, que dix-sept des vingt-deux conseils municipaux de Guyane, soit 75 % des conseillers municipaux, ont été renouvelés dès le 15 mars. Par conséquent, la règle que nous rappelait M. Sueur sera très facilement respectée pour la Guyane : la majeure partie du corps électoral pour l’élection des sénateurs de Guyane aura été renouvelée, quoi qu’il arrive, et ce même si le Gouvernement était amené à reporter les seconds tours des élections municipales devant encore se tenir dans ce département. Évidemment, on doit apprécier le renouvellement d’un corps électoral pour chaque circonscription, c’est-à-dire le monde pour les Français établis hors de France et les départements pour les Français résidant dans leur propre pays.
Je fais mien le raisonnement que vous a présenté Mme Jourda. Nous prendrions un risque majeur en maintenant en 2020 le renouvellement de nos six collègues sénateurs des Français de l’étranger. En revanche, nous ne courrons aucun risque en retenant l’autre solution que je vous propose, mes chers collègues.
Madame la présidente, je me vois contraint de solliciter une suspension de séance de quelques minutes pour permettre à la commission des lois de se réunir afin de délibérer sur les amendements déposés sur ce texte, qui nous sont parvenus tardivement.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
M. Philippe Dominati. C’est la deuxième fois en quelques jours que le Sénat a à débattre d’un texte concernant la matière électorale. Or les conditions sanitaires, qui obligent à restreindre le nombre des sénateurs participant à la séance publique, dénaturent nos débats, car nous ne pouvons aborder au fond des sujets extrêmement importants. Je ne suis pas sénateur des Français de l’étranger, mais ce projet de loi organique touche au statut de l’ensemble des sénateurs, dans la mesure où des membres d’une série ne pourront pas être élus en même temps que leurs collègues, ce qui présente un certain nombre d’inconvénients.
Je n’ai pas pu participer à la discussion générale, compte tenu du contingentement en vigueur. Les conditions particulières dans lesquelles nous débattons me semblent totalement anormales, et frisent peut-être même l’inconstitutionnalité. La commission des lois vient de se réunir cinq minutes – en salle des conférences, certes, et non pas à la buvette ! – pour débattre du statut des sénateurs à l’avenir. C’est inacceptable, selon moi, s’agissant d’un projet de loi organique de cette nature, qui vise à modifier les conditions d’élection d’une série de sénateurs. Je sais bien que vous n’êtes pas responsable de cette situation, madame la présidente, mais il serait bon que le bureau du Sénat prenne acte que, à deux reprises, nous n’avons pas pu débattre sereinement d’une loi électorale.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi organique portant report de l’élection de six sénateurs représentant les français établis hors de france et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les français établis hors de france
Article 1er
Par dérogation à l’article 1er de la loi organique n° 83-499 du 17 juin 1983 relative à la représentation au Sénat des Français établis hors de France, le mandat des six sénateurs représentant les Français établis hors de France élus en septembre 2014 est prolongé jusqu’au 30 septembre 2021.
Les six sénateurs représentant les Français établis hors de France élus en septembre 2021 entrent en fonction le 1er octobre 2021. Leur mandat expire à l’ouverture de la session ordinaire de 2026.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais faire observer à M. le ministre qu’il y a quelque incohérence dans son propos s’agissant de ce qu’il appelle pudiquement le « rafraîchissement » du collège électoral.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que, dans six des vingt-deux communes de Guyane, le second tour des élections municipales ne pourra avoir lieu avant l’élection sénatoriale et que, par conséquent, dans ces communes, c’est le corps électoral en place – un corps électoral non « rafraîchi », pour reprendre la terminologie du jour – qui votera.
Selon vous, une telle situation est tout à fait conforme à la décision du Conseil constitutionnel, puisque 25 % seulement, et non pas une « majeure partie », du corps électoral est concerné. Je comprends très bien cela, et je ferai observer que, s’agissant de la série qui doit être renouvelée, si l’on conservait la même date d’élection, comme nous le préconisons, seuls 6 sénateurs sur 174 seraient élus par un collège électoral – à savoir les conseillers consulaires – non « rafraîchi », soit un taux bien inférieur à celui de 25 % évoqué pour la Guyane.
Dès lors que l’on accepte un tel raisonnement pour la Guyane, comment le refuser pour les six sénateurs représentant les Français de l’étranger rattachés à la série 2 ? Je tenais à ce que cela fût dit clairement, de manière que chacun puisse percevoir ce qui m’apparaît être une contradiction.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Renaud-Garabedian, Dindar, A.M. Bertrand et Noël, MM. D. Laurent, Sido, Bouchet et Magras, Mmes Berthet, Morhet-Richaud et Imbert, MM. Chatillon, Bonhomme et P. Dominati, Mmes Boulay-Espéronnier et Canayer, MM. Laménie, Lefèvre, Raison, Calvet, Wattebled et Duplomb, Mme Garriaud-Maylam et M. Decool, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L.O. 276 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’élection des sénateurs d’une même série a lieu le même jour. »
La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui est totalement inédit. C’est en effet la première fois que se pose la question suivante : que faire, à l’approche d’un renouvellement sénatorial, lorsque les grands électeurs devant élire une partie des sénateurs d’une série n’auront pas été renouvelés ?
Cette situation est évidemment la conséquence directe de la pandémie mondiale que nous vivons, mais, à l’avenir, une nouvelle pandémie, une guerre ou tout autre événement de grande ampleur pourrait très bien advenir. Par conséquent, ce projet de loi organique ne concerne pas exclusivement les six sénateurs des Français de l’étranger dont il est question aujourd’hui. La réponse que nous apporterons à la question posée marquera un précédent.
Plutôt que d’accepter le report de l’élection de ces six sénateurs à septembre 2021, nous proposons d’inscrire dans la loi que l’élection des sénateurs d’une même série est indissociable. Aujourd’hui, aucune disposition constitutionnelle n’exige le renouvellement préalable des grands électeurs. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2005 concerne une série de sénateurs, et non des cas individuels.
Accepter le « décrochage » de six sénateurs des Français de l’étranger, c’est admettre, pour la première fois, le principe de la réduction de la durée du mandat de certains membres de notre assemblée. C’est aussi créer une inégalité, puisque des sénateurs ne pourront pas briguer la présidence du Sénat, une présidence de commission, une vice-présidence, etc.
Enfin, je rappelle que le Conseil d’État n’a pas pu se prononcer sur le texte dont nous débattons, puisque le Gouvernement a introduit ces dispositions par voie d’amendements déposés en commission. Si le Conseil constitutionnel valide notre proposition en émettant un avis a priori, l’élection en question ne pourra être invalidée sur ce fondement et nous aurons trouvé une solution définitive pour la Guyane et les situations similaires qui se présenteraient à l’avenir.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Bien que je partage nombre des arguments présentés avec beaucoup de précision par notre collègue, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
S’il est vrai que l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France doit avoir lieu en même temps que le renouvellement partiel du Sénat, il ne sert à rien de le réaffirmer, puisque cette règle est déjà posée par la loi organique de 1983. Pourquoi devons-nous y déroger ? Pour un cas de force majeure, dans l’intérêt de la démocratie. En effet, il n’est pas bon que les mêmes grands électeurs désignent deux fois de suite les sénateurs représentant la même population qu’eux. Il y va de l’expression de la souveraineté nationale au sein du Parlement.
Je tiens quand même à préciser que la décision que nous avons à prendre ne consiste pas à supprimer jusqu’en 2021 six sièges de sénateurs représentant les Français établis hors de France ! Les sénateurs dont le mandat serait prolongé par la loi organique seront des sénateurs de plein exercice ; ils participeront à toutes les désignations internes au Sénat et pourront être eux-mêmes candidats à tous les postes qui seront ouverts à l’occasion du renouvellement partiel du Sénat. Je ne vois donc pas de difficulté de ce point de vue.
La solution retenue par la commission est désagréable : qu’une assemblée prolonge le mandat de certains de ses membres est, d’une certaine façon, contradictoire avec l’idée même de la démocratie. Pour nous y résoudre, il faut vraiment qu’existe un impératif majeur et supérieur absolument incontournable. Or cet impératif existe en l’espèce, et je ne vois pas comment nous pourrions le contourner.
Voilà les raisons pour lesquelles la commission a donné un avis défavorable à l’amendement présenté par notre collègue, dont je salue toutefois la qualité des arguments.