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Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires économiques a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique portant report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles (projet n° 473, texte de la commission n° 514, rapport n° 513).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Je rappelle que notre séance se déroule dans le strict respect des règles sanitaires.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai tout d’abord sur le paradoxe, déjà évoqué, qu’a constitué pour moi le fait de présenter voilà quelques semaines trois textes en conseil des ministres : un décret fixant la date du second tour des élections municipales au 28 juin et portant convocation des électeurs et deux textes visant à anticiper les conséquences d’une éventuelle annulation de ces mêmes élections.
Depuis, nous y voyons plus clair, mais il avait alors semblé préférable au Gouvernement d’envisager tous les cas de figure et d’anticiper les événements plutôt que de les subir. Je pense que c’est là une méthode prudente et responsable. Nous savons aujourd’hui que le second tour des élections municipales aura bien lieu le 28 juin sur presque tout le territoire national. Dès lors, les élections sénatoriales pourront se tenir à l’échéance initialement prévue. Nous devons faire en sorte qu’elles se déroulent dans de bonnes conditions.
Pour prendre notre décision, nous nous sommes appuyés sur les recommandations du Conseil scientifique. Or ce dernier a été extrêmement clair s’agissant des élections consulaires : il considère que nous ne sommes pas en mesure de les organiser dans de bonnes conditions, l’épidémie n’étant pas maîtrisée partout dans le monde comme elle peut l’être en France.
C’est la raison pour laquelle il nous faut travailler ensemble sur ce projet de loi organique, afin de confirmer, même si ce n’est pas nécessaire d’un point de vue législatif, la tenue des élections sénatoriales en septembre prochain, mais également d’anticiper les conséquences de la situation sanitaire sur l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Nous devons raisonner d’un point de vue sanitaire, mais également en droit. À cet égard, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est sans ambiguïté. Dans une décision du 15 décembre 2005, il a estimé que, pour les élections sénatoriales, le collège électoral devait avoir été « en majeure partie renouvelé ».
Aujourd’hui, le scénario d’un report des élections sénatoriales à l’échelle nationale est écarté, mais, si les élections consulaires ne peuvent avoir lieu comme prévu, il nous faut en tirer les conséquences.
J’évoquerai maintenant le cas particulier de la Guyane, où sept communes devront organiser le second tour de scrutin à une date ultérieure. Sur le fondement des analyses du Conseil scientifique et après consultation des élus locaux, le Gouvernement a décidé d’annuler les opérations électorales du 28 juin dans ce département. Il ne pourra le faire qu’après l’adoption et la promulgation, le plus vite possible, de la loi tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et la prise d’un décret en conseil des ministres dès mercredi prochain.
Enfin, le projet de loi organique comporte des dispositions visant à sécuriser la situation des parlementaires au regard de leurs obligations déclaratives auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP. Ces dispositions sont de bon aloi. Je tiens à saluer le travail effectué conjointement par le Sénat, la Haute Autorité et mon ministère pour les élaborer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent texte est utile et nécessaire pour adapter notre calendrier électoral en tenant compte des conséquences de l’épidémie, dans le respect de nos obligations démocratiques et constitutionnelles.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat très intéressant qui s’ouvre cet après-midi, puisque nous allons parler de la démocratie.
Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le jour même où le Gouvernement décidait de convoquer les électeurs pour le second tour des élections municipales le 28 juin prochain, il adoptait en conseil des ministres deux projets de loi : le premier prévoyait la prolongation du mandat des conseillers municipaux dans les communes où le renouvellement n’avait pas été complet le 15 mars dernier ; le second visait, par voie de conséquence, à différer les élections sénatoriales pour la série renouvelable en septembre 2020.
Monsieur le ministre, je m’étais étonné de cette méthode. Vous soulignez que votre seule intention était d’anticiper les conséquences d’une éventuelle annulation des élections. Ce que je contestais, c’est non pas cette anticipation, mais l’inscription de ces textes à l’ordre du jour prioritaire du Parlement avant même que la situation ne se soit éclaircie. À mes yeux, c’est, viscéralement, une question de dignité, pour la représentation nationale, que de ne pas délibérer de textes virtuels, hypothétiques, de ne pas légiférer à blanc quand il existe une autre manière de procéder qui serait tout aussi opérationnelle.
Je le dis pour défendre l’ensemble de la représentation nationale, et l’Assemblée nationale plus encore que le Sénat, ce dernier n’ayant pas été amené à trancher des questions qui ne se posaient pas. L’Assemblée nationale, sans doute mue par le respect qu’elle a pour le Gouvernement, a tout de même passé du temps, à la charge du contribuable français, à délibérer de sujets purement hypothétiques. Je trouve que, pour nos institutions, ce n’est pas une bonne manière de procéder.
Tel est le champ de nos divergences, et je vais m’en tenir là. Je n’aurais pas abordé cette question si vous n’aviez pas vous-même, monsieur le ministre, souhaité faire une mise au point à l’occasion de votre propos introductif.
Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoyait initialement le report de l’élection des 178 sénateurs de la deuxième série, qui devait avoir lieu le 20 septembre. Le Gouvernement a renoncé à ce report, mais il s’est aperçu qu’il avait à traiter une autre question, les conseillers consulaires n’ayant pu être élus à la date prévue. Nous avons accepté que leur élection soit reportée au mois de mai 2021. Par conséquent, pour reprendre une expression dont je ne suis pas l’auteur, mais dont les commentaires autorisés du Conseil constitutionnel ont validé l’utilisation, le corps électoral des six sénateurs représentant les Français établis hors de France renouvelables en septembre 2020 n’a pas été « rafraîchi ».
Cette situation pose question du point de vue de la démocratie, car, si nous voulons attendre que ce corps électoral soit « rafraîchi », il nous faut procéder à un acte qui, par lui-même, soulève des critiques d’un point de vue constitutionnel s’il n’est pas circonscrit au traitement du cas de force majeure auquel nous sommes confrontés.
En effet, la question de la prolongation de mandats d’élus, monsieur le ministre, ne saurait être traitée à la légère. Le principe, c’est que la durée des mandats est établie par la loi. On ne peut pas décider de faire une exception à ce principe en prolongeant cette durée sans avoir vérifié au préalable qu’il n’existait pas d’autre solution.
Deux principes s’imposent donc à nous : on ne doit pas prolonger des mandats d’élus, d’une part ; le corps électoral doit avoir été « rafraîchi » avant les élections, d’autre part. Comment arbitrer entre ces deux principes ? J’avoue avoir eu de profondes hésitations. J’étais impatient que le Gouvernement se prononce, ce qu’il a fait dans la nuit de mardi à mercredi dernier, la commission des lois du Sénat se réunissant le mercredi matin… Après réflexion, nous en sommes arrivés à la conclusion que ce serait prendre un risque considérable que de maintenir l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France en septembre 2020 et qu’il convenait donc de prolonger le mandat des actuels représentants des Français de l’étranger.
Qu’arriverait-il en effet si l’élection en septembre 2020 de six sénateurs représentant les Français établis hors de France était annulée au bout de quelques mois de mandat ? Pendant un certain temps, les Français de l’étranger ne seraient plus représentés au Sénat que par six sénateurs, au lieu de douze. Le Parlement devrait alors de nouveau être saisi pour aménager les délais d’organisation de nouvelles élections sénatoriales partielles. Nous nous trouverions dans une assez grande confusion, qui porterait préjudice à la représentation des Français établis hors de France.
À l’inverse, décider, comme nous le demande le Gouvernement, de prolonger d’un an le mandat des sénateurs en place engendrerait à mon sens moins de désordre. Une prolongation d’un an représente le strict minimum : dans la mesure où les conseillers consulaires seront renouvelés en mai 2021, on voit mal à quelle date plus précoce que septembre 2021 pourrait être organisée l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger.
Par ailleurs, la loi organique de 1983 validée par le Conseil constitutionnel comporte une disposition qui était, elle aussi, très claire : les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont élus « à chaque renouvellement partiel du Sénat ». Autrement dit, ils se raccrochent à l’une des deux séries de sénateurs. La loi organique ne dit pas, toutefois, qu’ils en sont partie intégrante.
Par conséquent, en tirant les conséquences de l’article 32 de la Constitution, il est permis de considérer que le report d’un an de l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France est sans incidence aucune sur le périmètre du renouvellement partiel du Sénat et les conséquences que la Constitution y attache.
Il est important de le dire, car ce serait un grand désordre pour nos institutions que de devoir renouveler la présidence et les instances du Sénat au bout d’un an. En réalité, il en ira de même qu’en cas d’élections partielles, comme il y en a toujours entre deux renouvellements partiels du Sénat. La notion de renouvellement partiel du Sénat implique simplement que les instances du Sénat sont renouvelées tous les trois ans, tout comme la moitié des sénateurs.
Nous aurons l’occasion de débattre des autres aspects de ce texte lors de l’examen des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Ce projet de loi organique, qui devait initialement concerner l’ensemble des élections sénatoriales et législatives partielles organisées sur le territoire, a vu son périmètre largement circonscrit du fait de l’amélioration de la situation sanitaire, même si de réelles difficultés se posent au regard de la campagne pour les élections municipales.
Cette modification profonde du texte rend cependant caduc l’avis du Conseil d’État du 27 mai dernier. Le législateur se retrouve ainsi amené à jongler entre différents impératifs constitutionnels contradictoires : maintenir en septembre 2020 l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France semble impossible au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 15 décembre 2005 et du report de l’élection des conseillers consulaires au mois de mai prochain.
Je ne fais pas tout à fait la même lecture que notre collègue Évelyne Renaud-Garabedian de la décision du Conseil constitutionnel, aux termes de laquelle « dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, le Sénat doit être élu par un corps électoral qui soit lui-même l’émanation de ces collectivités ; que, par suite, c’est à juste titre que le législateur organique a estimé que le report en mars 2008 des élections locales imposait de reporter également l’élection de la série A des sénateurs afin d’éviter que cette dernière ne soit désignée par un collège en majeure partie composée d’élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal ».
J’en conclus que, si les sénateurs sont élus de la Nation, ils sont rattachés à un territoire de représentation, dont leur collège électoral est l’émanation directe. Enfin, le report du renouvellement du collège électoral fonde le report de l’élection sénatoriale concernée.
Ces éléments nous incitent à suivre le Gouvernement et la commission des lois. Toutefois, je m’interroge sur le cas de la Guyane, mais aussi d’autres départements. En effet, même s’il faut bien souligner que la disposition en cause n’a pas encore été promulguée, il serait théoriquement possible que des seconds tours des élections municipales soient annulés d’ici au 28 juin si de nouveaux foyers épidémiques apparaissaient. Si de telles situations devaient se produire, comme c’est déjà le cas en Guyane, il nous faudrait légiférer de nouveau pour reporter les élections sénatoriales, sauf à créer deux régimes distincts en se fondant sur la seule part des élus « prolongés ».
Si le nombre de scrutins reportés était élevé, on se dirigerait vers la création de fait d’une troisième série. Se poserait aussi fatalement la question des conseillers départementaux élus en 2015, qui n’auraient jamais été appelés aux urnes sénatoriales.
Quelles autres solutions peut-on envisager ?
Prolonger les mandats de nos six collègues représentant les Français de l’étranger rattachés à la seconde série jusqu’en 2023 imposerait de décaler ceux de leurs homologues relevant de la première série jusqu’en 2026, pour satisfaire à la loi organique de 1983, qui prévoit un renouvellement partiel des représentants des Français établis hors de France lors de chaque renouvellement partiel de notre chambre. Il faudrait de surcroît pouvoir justifier d’un motif impérieux d’intérêt général.
Repousser l’élection de nos six collègues représentant les Français établis hors de France rattachés à la seconde série et maintenir une durée de mandat de six ans conduirait de fait à créer une troisième série. Il aurait été plus raisonnable de consulter le Conseil d’État afin de nous éviter de devoir voter en fonction d’hypothèses dont la constitutionnalité n’est pas réellement assurée. On le voit, aucune solution n’est parfaite ou incontestable.
Pour l’heure, notre groupe réserve son vote, même si les éléments présentés par M. Bas nous ont déjà en partie satisfaits.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi organique contenait, dans sa version initiale, des dispositions virtuelles, car fondées sur une situation hypothétique. Partant du postulat que le second tour des élections municipales ne pourrait pas se tenir au mois de juin 2020 en raison de la crise sanitaire, il est prévu de reporter l’élection des 178 sénateurs de la série 2.
Au travers de la version initiale du projet de loi organique, le Gouvernement demandait aux parlementaires de se prononcer sur des éléments fictifs, mais il ne leur propose aucune disposition permettant de trancher des questions qui se posent avec certitude. Je pense à la prolongation du mandat des six sénateurs représentant les Français établis hors de France de la série 2, et donc au report de leur renouvellement, compte tenu de la situation sanitaire prévalant dans le monde. Je me réjouis que le Gouvernement ait procédé à la réécriture de son texte par le biais de plusieurs amendements.
Un avis du Conseil d’État aurait effectivement pu nous apporter un éclairage intéressant sur des points juridiques délicats. Il est dommage qu’il n’ait pas été saisi.
Comme les élections consulaires n’auront pas lieu à l’échéance prévue, trois solutions pouvaient être envisagées pour l’organisation de l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger relevant de la série 2.
La première consiste à ne pas séparer le cas des sénateurs représentant les Français de l’étranger de celui des autres sénateurs renouvelables.
La deuxième solution, très simple, est de prolonger d’un an le mandat de ces six sénateurs représentant les Français de l’étranger, afin de procéder au renouvellement de leur mandat à la date la plus proche possible de l’échéance normale, à savoir septembre 2020.
La troisième solution, qui constitue une variante de la précédente, consisterait à reporter l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger jusqu’au renouvellement partiel suivant du Sénat, soit en septembre 2023.
Le Gouvernement a estimé que les conseillers consulaires ne pourraient pas élire les six sénateurs représentant les Français établis hors de France renouvelables en septembre 2020. Il a donc proposé de prolonger d’un an les mandats de ces six sénateurs et de réduire à due concurrence ceux de leurs successeurs.
Je me félicite que la commission ait retenu cette solution, tout en procédant à un aménagement ; elle a précisé la nouvelle échéance du mandat des six sénateurs renouvelables en septembre 2020 en la fixant à septembre 2021 – ce qui paraît logique –, alors que le Gouvernement prévoyait de renvoyer cette question à un décret. Je le rappelle, l’article 25 de la Constitution dispose que la modification de la durée d’un mandat parlementaire relève exclusivement de la loi organique.
L’élection en 2021 de six sénateurs représentant les Français de l’étranger constituerait ainsi un ajustement non seulement provisoire et mesuré, mais également rigoureusement proportionné aux circonstances exceptionnelles qui le motivent. Ses conséquences juridiques seraient les mêmes que celles d’élections partielles organisées entre deux renouvellements partiels du Sénat pour pourvoir un ou plusieurs sièges vacants.
Soucieux d’éviter le risque contentieux auquel l’élection de sénateurs représentant les Français de l’étranger serait exposée si elle avait lieu au mois de septembre 2020, le groupe Les Indépendants votera en faveur de l’adoption du texte tel que modifié par la commission.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir examiné la semaine passée le projet de loi ordinaire relatif au report des élections consulaires, nous sommes aujourd’hui réunis pour étudier un projet de loi organique traitant du report de l’élection de sénateurs représentant les Français établis hors de France.
En préambule, je tiens à indiquer que le groupe Union Centriste déplore lui aussi la méthode et le calendrier retenus pour l’examen de ces deux textes : alors qu’ils ont bien été présentés le même jour en conseil des ministres et qu’ils portent sur des sujets connexes, le Gouvernement n’a pas jugé bon d’en demander l’examen conjoint. C’est dommage, car le travail du législateur aurait été plus efficace, et nos débats moins tronqués.
Au fond, il n’est principalement question, dans ces textes, que du report des élections consulaires et de ses conséquences. Initialement, ces deux projets de loi avaient une portée bien plus large et plus virtuelle. Le Gouvernement souhaitait en effet qu’un certain nombre de modifications législatives soient adoptées « au cas où » le second tour des élections municipales n’aurait pas lieu le 28 juin prochain. Après deux avis du Conseil scientifique et la confirmation du Président de République dimanche soir, nous savons maintenant que, sauf dans certains territoires où existent des foyers épidémiques, ces élections auront bien lieu à la date prévue. Il était nécessaire de toiletter en conséquence le projet de loi organique que nous examinons maintenant.
Toutefois, cette opération n’est pas si simple. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le Gouvernement n’a indiqué ses intentions que très tardivement, à tel point que notre commission des lois n’a pas été en mesure d’analyser la semaine dernière les amendements qu’il avait déposés ; elle a dû se réunir de nouveau hier matin pour adopter son texte.
Reporter d’un an l’élection de l’intégralité des sénateurs de la série 2 ou seulement celle de six sénateurs représentant les Français établis hors de France, ce n’est pas la même chose. Il était nécessaire de bien mesurer les conséquences juridiques d’une telle modification ou, plus précisément, d’en analyser la constitutionnalité.
Devons-nous reporter l’élection de ces six sénateurs, qui devait avoir lieu en septembre prochain ? Telle est donc la question que nous devons trancher aujourd’hui. Comme il n’est jamais anodin de reporter une élection et de proroger un mandat électif, il fallait démontrer que nous ne pouvions pas faire autrement, dans le respect des exigences constitutionnelles.
Ainsi que notre rapporteur l’a brillamment démontré, procéder à l’élection au mois de septembre prochain aurait de manière quasiment certaine exposé les candidats élus à l’annulation du scrutin par le juge constitutionnel. Ce dernier estime en effet depuis 2005 qu’il n’est pas possible, pour des élus dont le mandat a été prorogé – c’est, en l’espèce, le cas des conseillers consulaires –, de désigner durant cette prorogation de nouveaux sénateurs.
Nous soutenons donc les modifications apportées au projet de loi organique par notre commission des lois, qui a choisi de reporter cette élection après les prochaines élections consulaires, en septembre 2021. C’est une solution pragmatique et efficace, qui permettra l’élection des sénateurs concernés dès que leur collège électoral aura été renouvelé. Leur mandat sera limité à cinq ans, afin de ne pas bouleverser durablement le calendrier électoral.
Le texte déroge ainsi de manière exceptionnelle et à titre transitoire à l’article 1er de la loi organique du 17 juin 1983 relative à la représentation au Sénat des Français établis hors de France : les six sénateurs concernés seront élus un an après le renouvellement partiel du Sénat, le reste du calendrier sénatorial demeurant inchangé.
Le groupe Union Centriste soutiendra ce projet de loi organique dans la rédaction issue des travaux de notre commission des lois. Toutefois, étant directement concerné par les dispositions que le Sénat examine aujourd’hui, j’estime ne pas pouvoir prendre part au vote sur ce texte. (Mme Valérie Létard applaudit.)
M. Philippe Bas, rapporteur. La classe !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous devons choisir entre deux solutions dont aucune ne s’impose absolument, toutes deux comportant des inconvénients.
Si la question des sénateurs des Français de l’étranger n’avait pas subsisté, il ne serait rien resté du texte. Comme l’a souligné M. Philippe Bas, nous n’avons pas vocation à délibérer sur des situations hypothétiques.
Après avoir beaucoup travaillé et réfléchi sur le sujet, nous avons retenu une position différente de celle de M. le rapporteur. À nos yeux, le plus simple et le plus logique serait que l’élection des six sénateurs représentant les Français établis hors de France ait lieu au mois de septembre 2020, en même temps que celle de tous les autres sénateurs de la série 2.
En effet, la décision du Conseil constitutionnel du 15 décembre 2005 pose le principe selon lequel les sénateurs ne peuvent pas être élus « par un collège en majeure partie composé d’élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal ». Or si l’on permettait aux conseillers consulaires en place de voter une nouvelle fois pour désigner six sénateurs représentant les Français de l’étranger, ils ne constitueraient nullement la « majeure partie » du collège électoral sénatorial. Ce ne serait donc pas contradictoire avec la lettre ni avec l’esprit de la décision du Conseil constitutionnel du 15 décembre 2005.
Par ailleurs, monsieur le ministre, le choix que vous nous proposez présente des inconvénients.
M. Philippe Bas, rapporteur. Oui, il y en a !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, l’article 32 de la Constitution dispose que le président du Sénat est élu « après chaque renouvellement partiel ». S’il y avait désormais trois renouvellements partiels, ceux des séries 1 et 2 et un troisième qui concernerait la moitié des sénateurs représentant les Français de l’étranger, faudrait-il voter une première fois pour élire le président du Sénat en septembre 2020, puis procéder à une nouvelle élection un an après ? Voilà qui pourrait susciter quelques interrogations chez certains de nos collègues, qui pourront peut-être se reconnaître… (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. Pour vous, cela ne changerait rien !
M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, cela pourrait aussi concerner les vice-présidents, les présidents de commission et, plus généralement, l’ensemble des instances du Sénat. Est-il possible qu’un Sénat incomplet procède à ces élections ?
De même, pour élire nos représentants à la Cour de justice de la République, faudra-t-il voter en 2020, puis en 2021 ? Cela étant, il n’y aura peut-être plus de Cour de justice de la République à cette échéance, mais encore faudrait-il qu’il y ait une réforme constitutionnelle, monsieur le président. (Sourires.) Mais c’est un autre débat…
Nous avons adopté voilà quelques heures en commission mixte paritaire un texte permettant au Gouvernement de reporter les élections municipales, notamment en Guyane. Or si ces élections sont reportées au-delà de la date des élections sénatoriales, comment les deux sénateurs de la Guyane seront-ils désignés ? Il n’est pas possible que les communes concernées par ce report n’aient pas de grands électeurs ; ce serait inconstitutionnel. Si ce sont les conseillers municipaux aujourd’hui en place qui désignent les grands électeurs, l’argumentation de M. le rapporteur ne tient plus : pourquoi changer la date de l’élection de six sénateurs représentant des Français établis hors de France si, en Guyane, un corps électoral non renouvelé peut désigner une nouvelle fois les grands électeurs ? La dernière option, qui est maintenir les élections municipales en Guyane à la date prévue, risque d’être impraticable pour des raisons sanitaires.
Enfin, mes chers collègues, il n’est pas forcément adéquat de différencier les sénateurs représentant les Français de l’étranger des autres, élus dans un territoire : nous sommes toutes et tous des sénateurs représentant la Nation dans son ensemble !
En conclusion, tout en considérant qu’il n’y a pas de solution parfaite – il est d’ailleurs heureux que le Conseil constitutionnel soit nécessairement amené à se prononcer, s’agissant d’une loi organique –, le groupe socialiste et républicain se prononce en faveur du maintien de l’élection des six sénateurs représentant les Français établis hors de France au mois de septembre prochain. C’est la solution qui nous paraît la plus claire, la plus simple et la mieux fondée juridiquement.