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Code de la sécurité intérieure
Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (projet n° 130, texte de la commission n° 209, rapport n° 208).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est un honneur pour moi d’être avec vous pour la nouvelle lecture de ce projet de loi, qui proroge des dispositions majeures du code de la sécurité intérieure. Comme j’ai eu l’occasion de le voir lors de l’examen de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2021, le Parlement est très attentif aux dispositions qui permettent de mieux protéger les Françaises et les Français.
Trois ans après l’adoption de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », les dispositions qui ont été adoptées pour sortir de l’état d’urgence restent pleinement d’actualité. Il s’agissait de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, car la menace reste prégnante et la lutte contre le terrorisme demeure une priorité de l’action du Gouvernement. Pour cela, la loi SILT a mis en place des outils nouveaux, mais adaptés, garantissant un équilibre entre efficacité de l’action antiterroriste et préservation des libertés.
Nous avons collectivement conscience du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue à peser sur notre pays. L’attaque terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, celle de Conflans-Sainte-Honorine et celle de Nice montrent, si cela était nécessaire, que nos efforts ne doivent pas se relâcher et que nous devons continuer d’agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme islamiste.
Depuis 2017, quatorze attaques ont abouti sur le territoire national. Mais il faut aussi dire que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par nos services, dont un encore au début de l’année 2020. Permettez-moi à cette occasion de saluer les services de renseignement, les policiers et les gendarmes, qui accomplissent chaque jour un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs projets meurtriers.
La loi SILT a permis à ces services de continuer à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace et adapté à leur action. Je souhaite cependant insister sur l’usage qui a été fait de ces outils nouveaux. Au 11 décembre 2020, 605 périmètres de protection ont été mis en place et huit lieux de culte ont été fermés. Dans le même temps, 370 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées – parmi elles, 63 sont actives à ce jour – et 397 visites domiciliaires ont été réalisées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée, sous le contrôle du juge.
Conformément à l’article du code de la sécurité intérieure instauré par l’article 5 de la loi SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures. Il a également été rendu destinataire, chaque année, d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’un rapport classifié au niveau « confidentiel défense », qui décrit la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés.
Les mesures dont il vous est proposé de prolonger l’application par le présent projet de loi constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme. Il est important de souligner que ces outils ont été mis en œuvre sous le contrôle attentif du juge, judiciaire et administratif, et, pour certains d’entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, avis que le Gouvernement a toujours suivis. Ils font l’objet d’un échange permanent avec le Parlement, sous la forme d’une information en temps réel et d’une évaluation régulière, que le Gouvernement a strictement respectées.
Ces dispositifs ont démontré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste.
Je crois pour ma part qu’il est important, sur des dispositions aussi fondamentales pour l’équilibre entre les enjeux de libertés et la lutte antiterroriste, de travailler à une constante amélioration de ces textes. Dès lors, pérenniser dès à présent ces dispositions serait passer l’occasion de les adapter pour qu’elles répondent au mieux aux besoins des services, tout en respectant l’équilibre qui a présidé à leur adoption.
Le Gouvernement envisageait par ailleurs, avant l’émergence de la crise sanitaire, de soumettre au Parlement avant l’été un projet de loi permettant d’engager avec vous une discussion approfondie sur chacune de ces mesures. Au-delà du seul bilan de leur mise en œuvre, l’examen de ce texte aurait été l’occasion de débattre, ensemble, des éventuelles adaptations de notre cadre juridique à l’évolution de la menace. Les services de renseignement y étaient prêts. Le ministère de l’intérieur, le ministère des armées et l’ensemble du Gouvernement y étaient prêts. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire y a fait obstacle. Le contexte n’a pas permis aux débats, dans chacune des chambres du Parlement, de se tenir de manière sereine.
À ce contexte épidémique est venu s’ajouter l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre dernier, sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications. Les juridictions nationales tireront toutes les conséquences de cette décision européenne. Il nous faudra pouvoir en éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi.
Les sujets dont nous parlons sont majeurs pour la sécurité des Français. Ils touchent aux libertés fondamentales. Ils méritent d’être discutés avec tous les éclairages nécessaires. Aussi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions en question, il a semblé opportun au Gouvernement de proroger de quelques mois ces dispositifs pour réserver la tenue d’un débat de fond serein. En tout état de cause, la prolongation de l’expérimentation ne nous empêche pas – n’empêche pas nos services – de travailler.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte. Elle se traduit, avec le soutien du Parlement, par une augmentation des moyens mis à la disposition des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes supplémentaires ont été créés depuis l’élection du Président de la République. Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services, que vous avez approuvés au sein de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2021, ont également fait l’objet d’un effort sans précédent. Les crédits alloués à la DGSI ont ainsi pratiquement doublé entre 2015 et aujourd’hui.
La lutte contre le terrorisme exige en effet de nous une mobilisation totale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui de la justice, M. le ministre de l’intérieur et moi-même mènerons un combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d’expression, ou encore la liberté de conscience et la liberté de culte.
C’est pour ces considérations d’efficacité, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que je vous présente aujourd’hui, au nom du Gouvernement, ce projet de loi de prorogation. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de lutte contre le terrorisme, la convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat est habituellement de mise ; il est rare que députés et sénateurs ne parviennent pas à un accord pour doter les services de sécurité des moyens et des outils adéquats pour combattre ce fléau qui continue de frapper tragiquement notre pays de manière régulière. C’est pourquoi je regrette beaucoup que la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 22 octobre dernier pour examiner le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen ne soit pas parvenue à un accord.
Cet échec est d’autant plus regrettable que nous n’avons de divergence de fond, me semble-t-il, ni avec le Gouvernement – les propos de Mme la ministre nous l’ont encore confirmé il y a un instant – ni avec l’Assemblée nationale. Nous nous accordons en effet sur l’utilité des mesures concernées par ce projet de loi, qu’il s’agisse des mesures issues de la loi SILT ou de la disposition de la loi relative au renseignement portant sur la technique de l’algorithme. En revanche, comme vous l’avez relevé, madame la ministre, nous avons une divergence profonde de méthode et de calendrier.
Depuis le début de la navette parlementaire, le Gouvernement et les députés se cantonnent à l’idée de procéder à une prorogation « sèche », c’est-à-dire sans modification, des mesures de la loi SILT, ainsi que de la technique de l’algorithme.
En première lecture, le Sénat a validé cette position pour la technique de l’algorithme, le temps qu’une réforme plus large de la loi relative au renseignement puisse être soumise à notre examen. En revanche, nous avons jugé que la prorogation sèche des dispositions de la loi SILT était non seulement injustifiée, mais également tout à fait inopportune au regard du niveau de la menace terroriste sur notre territoire. C’est pourquoi nous avons considéré comme essentiel, non seulement de pérenniser immédiatement ces mesures, mais aussi de leur apporter plusieurs ajustements afin de les rendre pleinement efficaces.
Il s’agissait, premièrement, d’étendre le champ de la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte, afin d’éviter le déport des discours radicaux vers d’autres lieux bien repérés par nos services secrets ; deuxièmement, de renforcer l’information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une parfaite articulation avec les mesures judiciaires telles que le contrôle judiciaire ; enfin, troisièmement, d’élargir les possibilités de saisie informatique dans le cadre d’une visite domiciliaire, dans les cas où l’occupant des lieux fait obstacle à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.
Les attentats qui ont récemment frappé notre pays ont montré, alors même que nous discutions en première lecture de ce projet de loi, que nous ne devions pas baisser la garde, mais faire preuve de réactivité pour doter nos services de sécurité des outils nécessaires pour assurer réellement la sécurité des Français. C’est la position que nous avons tenue en commission mixte paritaire et que les députés ont catégoriquement refusé de suivre. À quoi sert donc d’expérimenter si l’on ne peut pas, à l’issue de l’expérimentation, pérenniser ?
Nous regrettons que l’Assemblée nationale n’ait pas fondamentalement dévié de sa ligne en nouvelle lecture, alors même que l’actualité aurait dû l’amener à infléchir sa position.
Sur la question de l’algorithme, il est heureux qu’elle se soit ralliée au Sénat, en acceptant de porter la nouvelle échéance de la technique au 31 décembre 2021, plutôt qu’au 31 juillet. C’est une bonne chose, car, avant de réformer la loi Renseignement, il nous faut laisser aux administrations de l’État le temps de tirer les conséquences des récents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, qui risquent de remettre en cause le fonctionnement de plusieurs techniques de renseignement.
Sur le reste du texte, en revanche, un tel ralliement n’a pas eu lieu. Les députés ont rétabli la rédaction issue de leur première lecture sur l’article 1er du projet de loi, pour revenir à une simple prorogation des mesures issues de la loi SILT jusqu’au 31 juillet 2021. Si l’on suit leur position, il faudra un nouveau débat, alors que nous pouvons trancher ce problème, tranquillement, dès maintenant.
L’argument que vous venez encore d’avancer à l’appui de cette position, madame la ministre, me semble bien fragile : vous souhaitez attendre, et les députés veulent poursuivre leur réflexion, pour que puisse se tenir sur ces sujets un débat démocratique serein que les conditions sanitaires auraient rendu impossible. Dois-je pourtant rappeler que les dispositions dont nous parlons font l’objet d’une évaluation régulière ? Le président de la commission des lois et moi-même, en tant que rapporteur, avons reçu toutes les semaines l’ensemble des arrêtés relatifs à ces dispositions sur notre territoire. Nous avons conduit une mission d’information très importante, qui a procédé à de multiples auditions. Enfin, j’ai produit au nom de la commission des lois deux rapports très clairs, qui concluent évidemment à la nécessité de pérenniser ces mesures.
Il y a donc eu expérimentation et évaluation approfondie. Nous proposons d’en tirer les conclusions évidentes.
J’ajouterai que l’utilité opérationnelle avérée de ces mesures a été reconnue par le Gouvernement ; selon le rapport relatif au bilan de la deuxième année de mise en œuvre de la loi SILT, elles ont « permis de faire face à une menace terroriste demeurant à un niveau particulièrement élevé ». Cela figure noir sur blanc dans les rapports que nous a remis le Gouvernement : avant de remettre le mien, je sollicite le Gouvernement pour qu’il nous remette le sien et que nous puissions vérifier si nous sommes en phase. Or, sur le fond, nous sommes bien en phase, si l’on en croit les conclusions de nos rapports respectifs.
Dès lors, pourquoi reporter le débat et obliger le Parlement à se prononcer de nouveau dans quelques mois, alors que l’ordre du jour des deux assemblées s’annonce particulièrement chargé ?
Vous indiquez par ailleurs, madame la ministre, que votre texte n’affaiblit pas la lutte contre le terrorisme, car les mesures seront maintenues dans l’attente de leur pérennisation. Mais, ce faisant, vous écartez toute possibilité de leur apporter les ajustements que les services de votre ministère eux-mêmes estiment pourtant indispensables pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme.
Vous ne pouvez pas en même temps déclarer vouloir faire une guerre sans merci aux djihadistes et refuser de pérenniser définitivement dans la loi des mesures qui ont fait leurs preuves. Vous ne pouvez pas en même temps refuser notre proposition d’étendre la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte dans lesquels agissent les prêcheurs de haine et défendre, comme s’y emploie le ministre de l’intérieur, une ligne ferme contre les discours séparatistes et lancer une offensive médiatique contre les mosquées où sévissent des discours haineux. Il y a là un manque profond de cohérence de la part du Gouvernement.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la commission des lois a donc souhaité rétablir son texte de première lecture, afin de laisser une nouvelle possibilité au Gouvernement et à l’Assemblée nationale de se rallier à sa position, ce qui crédibiliserait votre discours actuel de fermeté, madame la ministre : les discours ne suffisent pas, il faut que les actes suivent !
J’invite donc le Sénat à nous suivre cet après-midi, conformément à l’esprit de responsabilité dont il a toujours fait preuve face au défi terroriste ; chacun ici sait qu’il a été l’un des acteurs fondamentaux de l’élaboration initiale de la loi SILT. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que nous sommes d’accord sur le fond de ce texte, qui prolonge l’application de quatre mesures de sécurité publique centrées sur la lutte antiterroriste : les périmètres de sécurité, les fermetures de lieux de culte, les visites domiciliaires et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Nous constatons – je rejoins entièrement le propos du rapporteur Marc-Philippe Daubresse – que ces mesures ont été efficaces et qu’elles ont été mises en œuvre sous un contrôle juridictionnel satisfaisant, qu’il s’agisse du juge administratif ou du juge judiciaire.
Cela étant, il subsiste une différence de méthode sur la manière de prolonger leur application. L’Assemblée nationale tient à ce qu’elles soient seulement prorogées – le Gouvernement est du même avis – de manière à permettre un nouveau débat dans le cours de l’année 2021, alors que la majorité sénatoriale souhaite qu’elles soient immédiatement pérennisées avec quelques ajustements – point sur lequel, je pense, il n’y a pas de désaccord. C’est donc évidemment dommageable, mais, comme l’a dit la ministre, il y aura probablement d’ici à l’été un nouveau texte destiné à renforcer le cadre légal des activités de renseignement, lequel devra en particulier établir des normes de fond nouvelles encadrant l’utilisation des algorithmes.
Nous avons à poursuivre avec vous, madame la ministre, ainsi qu’avec le garde des sceaux d’ailleurs, un débat sur la manière dont notre droit et nos procédures vont pouvoir développer ce contrôle nécessaire par les algorithmes, en tenant compte de l’arrêt Tele2 de la Cour de justice de l’Union européenne du mois d’octobre dernier, qui s’oppose – les termes ne sont pas sans intérêt – à ce que les États, pour des raisons de sécurité ou de justice, imposent aux opérateurs une obligation généralisée et indifférenciée de conservation des données. Il va donc falloir que, à l’intérieur de ce cadre jurisprudentiel, nous trouvions le moyen de faire fonctionner les algorithmes dont nos services ont besoin.
Il est entendu que ce débat doit se conclure sur l’amélioration et l’extension du cadre légal du renseignement avant la fin de 2021. De toute manière, s’il doit y avoir, comme le préconise la commission, des améliorations en ce qui concerne par exemple l’étendue du pouvoir de fermeture de sites religieux, nous n’aurons pas longtemps à attendre pour constater un accord sur le fond.
Voilà pourquoi nous voterons en faveur du texte du Sénat. Nous considérons qu’il n’est pas profondément contradictoire avec la position du Gouvernement et que, à l’issue de la lecture définitive, nous aurons une situation opérationnelle et satisfaisante sur le plan juridique.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 31 décembre 2020, un certain nombre de dispositions du code de la sécurité intérieure arriveront à échéance, si le législateur n’intervient pas. Dans ces conditions, nous comprenons bien évidemment la nécessité de sécuriser juridiquement des mesures qui pourraient intervenir au-delà de cette date, même si nous regrettons que le Parlement n’ait pas réussi à s’accorder sur les moyens d’y parvenir. Certes, si chacune des positions retenues se justifie, il est nécessaire de mener un débat approfondi sur les mesures de la loi SILT, son objet étant trop sensible pour être traité avec une quelconque forme de légèreté.
C’est dans ce cadre que nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer notre inquiétude et nos réserves s’agissant de la technique des algorithmes. Ce sujet doit être traité avec les précautions qui s’imposent, la seule poursuite d’une expérimentation en la matière peut faire l’objet d’un consensus. Cependant, nous pensons que les dispositifs expérimentaux, tout comme les dispositifs d’exception, ne doivent pas se multiplier au sein de notre législation. La période actuelle nous impose trop souvent d’y recourir, qu’il s’agisse de l’état d’urgence sanitaire et de ses mesures de police administrative ou bien encore du report du calendrier électoral. Certes, il y a des cas où l’urgence de la situation justifie qu’il faille procéder ainsi, mais il y en a d’autres pour lesquels nous donnons le sentiment de fuir nos responsabilités. Le Parlement écrit la loi, et l’essence de celle-ci n’est pas d’être qu’une mesure temporaire.
Si, en 2017, il a été considéré comme nécessaire de sortir de l’état d’urgence, en même temps que de maintenir un certain niveau de sécurité, ce fut par l’application relais d’une nouvelle loi, non plus d’urgence, mais d’exception, dont les dispositions demeuraient, par leur contenu, limitées dans le temps. Nous voilà désormais à l’heure du bilan, et les circonstances nous imposeraient d’attendre encore.
Il va sans dire que les objectifs du projet de loi dont nous discutons sont évidemment fondamentaux et essentiels, puisqu’il y est question des conditions d’exercice de nos libertés fondamentales. Nul ne souhaite discuter comme d’une formalité un texte ayant trait à la mise en place de périmètres de protection, à la fermeture de lieux de culte, à des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ou à des visites domiciliaires et à des saisies.
Nous entendons l’argument consistant à dire qu’il faut un débat et une réflexion, que la crise sanitaire n’a pas permis. Reste qu’il faut aussi entendre l’appel qui est fait, à savoir travailler à pérenniser les dispositifs, les ancrer durablement dans notre droit, voire les écarter s’ils ne convenaient pas, mais, du moins, qu’ils ne soient pas seulement « applicables jusqu’à une date » que l’on repousserait inlassablement.
Un tel mode de fonctionnement ne serait pas satisfaisant. Il l’est d’autant moins que les bilans existent déjà. La mission pluraliste créée à cette fin par la commission des lois, en 2017, a conclu en faveur de la pérennisation des quatre dispositions temporaires, tout comme le Conseil constitutionnel, qui, à l’occasion de deux QPC, a jugé conforme à la Constitution l’essentiel des quatre mesures temporaires que nous évoquons.
Nous ne pourrons pas proroger inlassablement les dispositifs, sauf à renoncer à ce que notre droit bénéficie d’une forme de stabilité. Mais vous comprendrez que la raison s’impose au groupe du RDSE, qui votera donc majoritairement en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour comprendre ce dont nous débattons aujourd’hui en nouvelle lecture, il me semble nécessaire de revenir un instant sur l’origine des principales dispositions que comporte ce projet de loi, sans faire d’erreur sur les dates. Il s’agit des quatre mesures phares de la loi qui, en 2017, a entériné certaines mesures de l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015. Ce sont donc des mesures temporaires, datant d’il y a trois ans, mais instaurées il y a cinq ans déjà.
La commission mixte paritaire sur le texte a échoué, non pas sur le fond de ces mesures, mais sur la forme que doit prendre leur application. Alors que ces dernières doivent prendre fin au 31 décembre prochain, le Gouvernement et l’Assemblée nationale nous proposent de les proroger de six mois. Le Sénat, quant à lui, propose de les entériner immédiatement. Aucune de ces deux positions ne nous convient et ne nous convainc, même si je serais tentée de dire que la prorogation pure et simple reste la solution la moins pire, ou du moins la plus démocratique, en ce qu’elle permettrait un débat de fond sur ces mesures plus que problématiques à notre sens.
En effet, de quoi s’agit-il ? Il est demandé à la représentation nationale de proroger, en procédure accélérée – sans bilans détaillés et exhaustifs de l’efficacité de nos outils législatifs de lutte contre le terrorisme –, des mesures préventives ordonnées sur la base de simples soupçons, restrictives de libertés, décidées par l’autorité administrative et soustraites, pour la plupart, au contrôle judiciaire. Si la loi SILT a transformé les assignations à résidence en mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les perquisitions en visites et saisies, il s’agit bien – ne nous y trompons pas – des mêmes mesures liberticides que celles de l’état d’urgence, qui contournent la justice pénale ordinaire et les protections qui lui sont associées.
Je ne reviendrai pas sur les différents arguments que nous avons développés en première lecture pour vous démontrer l’inefficacité, en plus de leur dangerosité, de ces mesures. Mais je continue de m’étonner de la logique qui prévaut dans cette inflation législative, qui a pourtant fait les preuves de son échec.
Malheureusement, nous venons encore d’essuyer cette année plusieurs attentats terroristes, dont celui qui a été commis à l’encontre de Samuel Paty, le plus terrifiant sans doute, car dirigé contre tout notre modèle éducatif et la liberté d’enseigner ; celui perpétré à la basilique de Notre-Dame de Nice n’en est pas moins atroce. Mes chers collègues, nous pouvons être d’accord sur un point : ces attentats ont eu lieu sous le régime de ces mesures.
En parallèle, de nombreux autres outils se sont accumulés au fil des années, comme Pharos. Hélas, cette plateforme avait repéré et signalé l’assassin de Samuel Paty, plusieurs mois avant qu’il ne commette son crime abject, en vain.
Ces trente dernières années, seize lois ont été adoptées contre le terrorisme, auxquelles s’ajoutent trente-deux lois de lutte contre la délinquance, la plupart s’attaquant davantage à réduire nos libertés, sous couvert de sûreté, qu’à enrayer véritablement le terrorisme. Ainsi, le problème perdure…
Ne s’agirait-il pas à présent de faire le point sur notre stratégie en matière de lutte contre le terrorisme ? Il faudrait repenser, avec la hauteur de vue qui devrait être la nôtre, ce qui nourrit le terrorisme comme les relations commerciales et diplomatiques que Paris entretient avec certains pays complaisants à l’égard de ceux qui nous portent atteinte.
Pour ce qui est de notre territoire national, les services de renseignement doivent être renforcés humainement et pas uniquement sur la base d’outils algorithmiques insensés ou pas. Notre police doit retourner au contact de nos concitoyens, non seulement pour y faire de la prévention, mais aussi pour remonter les informations nécessaires aux services de renseignement.
Quoi qu’il en soit, un débat digne de ce nom doit se tenir sur le sujet, et l’échec des mesures dont il est question aujourd’hui doit être rapidement constaté, pour passer à la suite. Comme en première lecture, nous voterons contre ce projet de loi. (M. Guy Benarroche, Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.