compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour un rappel au règlement.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, le sujet que nous allons aborder dans quelques instants avec l’examen de cette proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels est à la fois sensible, urgent et placé sous les feux de l’actualité.
Le Gouvernement reconnaît qu’il faut agir pour mieux protéger les victimes. L’émotion ressentie dans notre pays témoigne de l’attente de nos concitoyens. Des solutions doivent être apportées rapidement, au-delà des clivages politiques.
C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement d’engager la procédure accélérée sur ce texte majeur, comme le lui autorise l’article 45 de la Constitution.
Si la proposition de loi qui sera adoptée par le Sénat aujourd’hui vous semble devoir être améliorée, vous savez que la navette parlementaire permettra les ajustements nécessaires. C’est le principe du bicamérisme.
Nous comptons donc sur le Gouvernement pour accélérer le rythme de la navette parlementaire et inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Nous ne comprendrions pas que, pour des raisons purement politiciennes, vous favorisiez un autre texte qui ne débuterait son parcours que dans quelques semaines.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous prendre cet engagement devant le Sénat ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
3
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la république
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République. Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je remercie nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Corinne Imbert, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Le juge suppléant à la Cour de justice de la République nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.
Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il sera clos dans une demi-heure.
4
Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 158, texte de la commission n° 272, rapport n° 271).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Esther Benbassa et Valérie Boyer applaudissent également.)
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à commencer par saluer la qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur, Marie Mercier.
Ce texte, cosigné par plus de cent sénateurs et sénatrices de tous bords politiques, témoigne une nouvelle fois de la capacité de notre assemblée à se saisir de grands sujets de société.
La proposition de loi que je présente aujourd’hui devant vous est le fruit de longs travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider. Elle découle également de la conviction que notre droit pénal actuel ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels.
Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans. Il y aurait chaque année en France environ 150 000 viols et tentatives de viols sur mineurs, c’est-à-dire 300 à 400 par jour.
Pour ajouter à l’inacceptable, les crimes sexuels sur mineurs présentent une caractéristique spécifique. Dans l’immense majorité des cas, le mis en cause connaissait sa victime. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un ami, un membre de la famille, une personne de confiance.
Nous le savons, ces chiffres effroyables sont au-dessous de la réalité. Ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les jeunes mineurs et condamner les auteurs.
Ce texte n’a pas été élaboré en réaction à la déflagration politique et médiatique provoquée par le livre de Camille Kouchner, La Familia grande. En revanche, ce livre fait écho à la proposition de loi et offre au législateur l’occasion de se positionner de façon claire.
Si notre rôle n’est pas de réagir de manière impulsive aux soubresauts de l’actualité, il est en revanche de notre devoir de prendre en compte et d’accompagner les évolutions profondes de notre société. En effet, les représentations sociétales de ces violences sexuelles ont fluctué au cours du temps et les travaux sur la psychologie des jeunes adolescents et sur la notion de consentement chez l’enfant sont désormais légion.
Dans ce domaine, il faut le reconnaître, notre droit n’a pas évolué à la même vitesse que nos consciences. Au terme des travaux de la délégation, j’ai acquis une conviction, celle qu’un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte.
L’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement apparaît dès lors comme une réponse pertinente pour protéger les jeunes mineurs, en raison de leur particulière vulnérabilité et de leur inclination à se soumettre à l’autorité de l’adulte.
C’était d’ailleurs le sens des annonces faites en 2017 par le Président de la République, qui souhaitait instaurer un seuil d’âge à 15 ans. Le Gouvernement avait cependant fait marche arrière à la suite des réserves émises par le Conseil d’État sur la constitutionnalité de la mesure.
Ces réserves n’empêchent pas, plus de deux ans après la publication de cet avis, de rouvrir le débat sur le seuil d’âge. La création d’une infraction nouvelle de crime sexuel sur mineur de 13 ans balaie les objections soulevées à l’époque, d’une part, parce que celles-ci s’appuyaient principalement sur le choix de l’âge retenu dans le projet de loi – 15 ans –, d’autre part, parce que cette proposition de loi surmonte la difficulté posée par l’introduction d’une présomption irréfragable de contrainte, réputée inconstitutionnelle en droit pénal.
En effet, ce texte ne prévoit pas de présomption de contrainte, mais introduit un nouvel interdit dans notre droit, celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans. Il s’agit donc aujourd’hui de poser une limite claire à travers la création d’une nouvelle infraction distincte de celle du crime de viol.
Les critères constitutifs du crime de viol que sont la contrainte, la menace, la violence ou la surprise reviennent à faire porter l’appréciation du juge ou du juré sur le comportement de la victime. Ils conduisent donc fatalement à se poser la question de son consentement. Or la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout simplement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune.
L’élément intentionnel du crime créé dans ce texte résulterait de la pénétration sexuelle, ainsi que de la connaissance de l’âge de la victime par l’auteur des faits. Pour se défendre, l’auteur aura la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle.
Ce nouveau crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle, à l’instar de la peine prévue dans le cas d’un viol avec circonstances aggravantes.
Avec ce texte, c’est non plus le comportement de l’enfant, mais celui de l’adulte, qui est en question. Les tergiversations autour du comportement de l’enfant ne pourront plus dédouaner l’agresseur de sa pleine et entière responsabilité pénale.
L’une des difficultés qu’il nous restait à surmonter était de répondre à la critique relayée par certains sur le déficit de protection qu’occasionnerait la création de cette infraction spécifique pour les victimes mineures ayant entre 13 et 15 ans. Les travaux menés par notre rapporteur Marie Mercier ont permis, dès l’examen du texte en commission, de faire disparaître ces critiques en prévoyant que, pour une victime âgée entre 13 et 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante ».
Mes chers collègues, cette proposition de loi permettra de franchir un cap juridique, mais aussi doctrinal. En l’adoptant, vous permettrez non seulement de renforcer notre arsenal législatif en vue d’une meilleure protection des mineurs, mais surtout d’entériner un virage majeur dans la manière d’appréhender ces agissements.
Un enfant ne sera alors jamais plus considéré comme complice ou complaisant par rapport aux actes sexuels qu’un adulte commet sur lui. Le seul et unique responsable sera son auteur, l’agresseur. Ce changement, qui permettra à la justice de reconnaître pleinement le statut de victime à ces enfants et d’ôter aux enfants devenus adultes le poids d’une culpabilité éprouvée à tort, aura un effet primordial sur la reconstruction future des victimes de cette ignominie.
Monsieur le garde des sceaux, la Haute Assemblée vous propose aujourd’hui une évolution importante de notre droit pénal. Il n’y a pas qu’au Sénat que les choses bougent : vous avez récemment reçu le rapport de notre collègue députée Alexandra Louis : elle plaide, elle aussi, pour la création d’une nouvelle infraction spécifique.
Doit-on y voir les prémices d’une évolution qui pourrait être soutenue par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale ? Si tel est le cas, monsieur le garde des sceaux, nous invitons solennellement le Gouvernement à se saisir du présent texte, qui sera – je l’espère – très largement adopté par le Sénat, et à l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, comme vient de vous le demander Dominique Vérien.
La Haute Assemblée sera particulièrement vigilante sur ce point : il ne faudrait pas que vous reveniez nous voir dans quelques mois avec un nouveau texte, qui proposerait la même chose, mais dont les auteurs seraient différents.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Annick Billon. Le Sénat a malheureusement déjà eu à subir de telles manœuvres depuis le début de cette législature.
Monsieur le garde des sceaux, lorsque j’entends ces derniers jours Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, proposer d’instaurer un seuil d’âge, alors qu’elle s’y était engagée en 2017, mais ne l’avait pas fait en 2018 dans le cadre du projet de loi qu’elle défendait, permettez-moi de sourire, mais c’est un sourire jaune…
Nous avons aujourd’hui la possibilité d’établir un nouveau paradigme et de lever l’ambiguïté persistante autour du consentement de l’enfant. Saisissons-nous de cette chance. Trop d’enfants souffrent de n’avoir pas su, trop d’enfants souffrent de n’avoir pas pu.
En votant cette proposition de loi, nous portons la voix des enfants et nous pouvons dire simplement : « Non, ceci est un crime ! » (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur la question de la protection des mineurs contre les violences sexuelles dont ils peuvent être victimes de la part d’adultes. Ce débat fait suite aux discussions approfondies que nous avons eues en 2018 lors de l’examen du projet de loi Schiappa.
Notre débat intervient également après que plusieurs travaux de contrôle, auxquels j’ai participé, ont été menés à leur terme, le rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions étant le plus récent.
Annick Billon souhaite cependant franchir une autre étape en introduisant dans le code pénal une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, qui serait constituée en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 13 ans.
À la différence du viol ou de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter. Elle serait punie de vingt ans de réclusion criminelle, soit la même peine que celle qui est prévue en cas de viol sur mineur de 15 ans.
En 2018, le Sénat a déjà débattu de l’opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol, afin d’introduire une présomption de non-consentement au-dessous d’un certain seuil d’âge. À l’époque, la commission des lois n’a pas retenu ces propositions en raison des doutes émis sur leur constitutionnalité, mais aussi du risque que l’introduction d’un nouveau seuil à 13 ans n’affaiblisse la protection due aux jeunes de 13 à 15 ans.
La commission des lois a alors préféré compléter le code pénal par des dispositions immédiatement applicables, qui précisaient le sens des notions de contrainte et de surprise, éléments constitutifs de l’infraction de viol, et ce afin qu’il soit plus facile de les caractériser : celles-ci peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, ou de l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.
Je souligne que la proposition de loi que nous examinons tire les leçons des débats de 2018.
À l’époque, le Gouvernement a envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d’acte de pénétration sexuelle commis sur un mineur de moins de 15 ans. Cette solution n’a pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en droit pénal, n’admet une éventuelle présomption que dans le domaine contraventionnel et à la condition qu’il s’agisse d’une présomption simple.
La proposition de loi contourne cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans.
Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de 13 ans, le délit d’atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de 13 à 15 ans.
Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d’État a par ailleurs estimé que la seule référence à l’âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l’exigence constitutionnelle de l’existence d’un élément intentionnel en matière criminelle. Le fait de retenir un seuil d’âge à 13 ans plutôt qu’à 15 ans réduit cependant ce risque de non-conformité à la Constitution.
Avec un seuil fixé à 13 ans, l’écart d’âge avec un jeune majeur devient plus significatif, ce qui rend beaucoup plus improbable le fait que celui-ci puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l’enfance.
Ces considérations ont conduit la commission à accepter la proposition de loi, celle-ci considérant que le texte pose un interdit plus clair, certes pour les agresseurs potentiels – et c’est très bien –, mais surtout pour les enfants qui doivent savoir que certains actes commis par un adulte ne sont pas autorisés. Il faut le leur dire !
La sauvegarde de l’enfance passe par des interdits. Le mineur, l’enfant devient un acteur : c’est la loi qui interdit d’avoir des rapports sexuels avec un adulte. La loi le protège, la loi dit « non » : c’est cet interdit qui doit s’ancrer dans l’esprit de l’enfant. Dans ce domaine, l’éducation a un rôle majeur à jouer et c’est la société tout entière qui doit s’emparer du sujet de la protection des mineurs pour faire changer les mentalités.
La commission a enrichi le texte, d’abord pour éviter l’écueil qui pourrait résulter de la création d’un nouveau seuil d’âge. Selon moi, l’âge est le clair-obscur de la réalité. Je suis personnellement très soucieuse d’éviter que la fixation d’un seuil d’âge à 13 ans sous-entende qu’un jeune de 13 ans et un jour devienne tout à coup consentant. Cela entraînerait alors un affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de 13 à 15 ans.
C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission a introduit un article additionnel, accepté par Annick Billon, afin d’inscrire dans le code pénal que la contrainte, élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de 15 ans, qui ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Une disposition similaire avait été adoptée par le Sénat en 2018, mais n’avait pas été retenue dans la version définitive de la loi Schiappa.
Concernant le dispositif même de la proposition de loi d’Annick Billon, la commission a apporté deux améliorations plus techniques, qui visent notamment à préciser la définition de la notion de pénétration sexuelle en l’alignant sur celle qui est retenue pour le viol.
La commission a aussi procédé à une coordination avec le code de procédure pénale, afin d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoires prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense par exemple à la possibilité de prononcer une injonction de soins, de sorte que l’auteur des faits soit suivi médicalement.
Par le jeu des renvois, la mesure que nous avons adoptée aura également pour effet d’étendre à la nouvelle infraction la règle de prescription applicable aux autres crimes sur mineurs, soit un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. Il s’agit d’une règle très protectrice, puisque, je vous le rappelle, le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s’écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.
La commission a également introduit un volet préventif dans ce texte en adoptant plusieurs amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer.
Deux articles additionnels concernent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d’un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs.
Afin d’exploiter encore mieux les potentialités de ce fichier, la commission vous propose de compléter la liste des infractions entraînant une inscription au Fijaisv et de prévoir une inscription automatique des auteurs d’infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue.
Par ailleurs, nous avons adopté un amendement qui tend à encourager les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.
Je suis persuadée que l’examen du texte en séance publique permettra de l’enrichir encore davantage. Hier, plusieurs amendements de collègues issus de toutes les travées de cette assemblée ont reçu le soutien de la commission : j’espère qu’ils seront adoptés par notre assemblée.
J’ai en outre déposé un amendement, qui a pour objet d’allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur, prévu par l’article 434-3 du code pénal. Afin que cette infraction devienne plus dissuasive et compte tenu du temps souvent très long qui s’écoule avant la révélation de ces affaires, nous vous proposons de porter ce délai de prescription à dix ans à compter de la majorité de la victime en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.
La commission s’est également prononcée en faveur d’un amendement déposé par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tendant à créer une circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle sur mineur en cas d’inceste. Nous devons avancer sur un sujet qui préoccupe légitimement nos concitoyens, la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ayant lieu, nous le savons, dans le cercle familial.
Enfin, la commission soutient l’adoption de deux amendements complémentaires, qui visent à préciser la définition du viol et celle du nouveau crime sexuel sur mineur, afin de cibler l’ensemble des actes bucco-génitaux. Actuellement, ces actes sont pris en compte lorsque la victime est un garçon, mais pas quand il s’agit d’une petite fille. Cette différence de traitement est difficilement justifiable et mérite d’être corrigée. C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de ces amendements.
Au-delà de ces modifications législatives et de la nécessité d’accorder des moyens accrus à la justice et aux tribunaux, je suis convaincue que c’est la mobilisation de la société tout entière qui permettra de faire reculer les violences sexuelles sur mineurs et l’omerta qui, trop souvent, les entoure. L’actualité nous rappelle qu’aucun milieu social n’est épargné et que les agressions se produisent majoritairement dans le cadre familial.
L’examen de cette proposition de loi constitue une étape supplémentaire dans l’indispensable prise de conscience, qui est la clé d’une lutte efficace contre ces violences inacceptables que sont les crimes contre l’enfance.
« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. » C’est Portalis qui nous le rappelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, y a-t-il dans notre République cause plus noble, cause plus juste et cause plus urgente aujourd’hui que celle d’assurer pleinement, après tant d’années de déni, la protection de nos enfants contre les crimes sexuels ?
Une prise de conscience générale traverse et interroge la société tout entière. Nous devons – c’est notre devoir ! – y répondre tous ensemble.
Dans un vaste mouvement de libération de la parole, les victimes de crimes sexuels, notamment d’incestes, sont de plus en plus nombreuses à faire entendre leur voix : la voix de la souffrance trop longtemps enfouie et étouffée, cette voix qui nous demande d’agir pour empêcher que d’autres enfants connaissent à l’avenir le même cauchemar.
Il nous faut bien sûr saluer leur courage, leur apporter notre soutien, leur témoigner notre solidarité, mais il nous faut aussi, à nous, parlementaires et Gouvernement unis dans un même combat, donner une traduction juridique à ce besoin de protection et de reconnaissance.
Le crime doit être clairement nommé, les victimes doivent être pleinement reconnues. Nous en avons tous ici la conviction : ces objectifs partagés ne peuvent être atteints que si nous améliorons nos règles juridiques et la réponse judiciaire.
Les enfants abusés hier sont devenus des adultes que les réseaux sociaux, souvent bien des années après, ont aidés à révéler leur histoire et à dire leurs souffrances. Des voix fortes et puissantes se sont exprimées, mais également avec elles, et souvent grâce à elles, des milliers d’anonymes. Nous le savons, cette libération va se poursuivre.
Les réseaux sociaux ne peuvent cependant pas remplacer le besoin de justice : toute modification de la loi pénale doit être envisagée avec détermination, mais prudence. Les évolutions de la loi pénale doivent prendre en compte les phénomènes sociaux, mais elles doivent aussi s’accompagner d’une réflexion aboutie, notamment en termes de prescription, sans céder à la précipitation qu’appelle une émotion bien légitime.
Vous le savez, notre gouvernement a fait de la protection des enfants une priorité du quinquennat. Nous sommes convaincus que seule une action collective est efficace. C’est pourquoi tous les ministères sont mobilisés dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants promu par Adrien Taquet. Cette mobilisation s’est déjà traduite par l’adoption de la loi du 3 août 2018 qui a renforcé notre droit en matière de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’égard des mineurs.
Même si nous devons aller plus loin, je rappelle les améliorations récentes apportées par le législateur, qui sont autant de références pour nos travaux.
Le délai de prescription a ainsi été étendu de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, un délai courant à compter de la majorité de la victime, afin de laisser à celle-ci davantage de temps pour porter plainte.
Les dispositions interprétatives immédiatement applicables aux procédures en cours, même pour des faits commis avant la réforme, ont clarifié la notion de contrainte : celle-ci peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur. Ainsi, s’agissant du mineur victime âgé de 15 ans ou moins, il est désormais précisé que la contrainte morale ou la surprise sont « caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».
Cette loi a également prévu, si le crime de viol ne peut être établi, que toute pénétration sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur caractérise le délit d’atteinte sexuelle, délit qui, je le rappelle, est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement, voire de dix ans en cas de circonstances aggravantes.
Faut-il aller plus loin ? Sur quels points ? Ce sont les questions qu’il nous faut maintenant trancher.
J’observe d’abord que les apports de la réforme de 2018 sont très récents. Même si un travail d’évaluation de grande qualité a pu être mené par la députée Alexandra Louis, il n’est pas possible aujourd’hui d’évaluer pleinement le bénéfice de ces dispositions.
Pour autant, je rejoins l’auteure de la proposition de loi sur le fait que nous devons collectivement viser l’exigence d’un plus haut niveau de protection des mineurs.
Le texte examiné aujourd’hui retient toute l’attention du Gouvernement, en ce qu’il prévoit principalement de créer un crime punissant de vingt ans d’emprisonnement tout acte de pénétration sexuelle commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.
Je tiens, à cet égard, à saluer l’implication d’Annick Billon, ainsi que celle du groupe Union Centriste, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.
Ainsi, nous pouvons avoir un débat que – vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs – j’estime essentiel, mais qui – je vous l’indique d’emblée – devra à mon avis nourrir des concertations dans les semaines à venir. (Exclamations sur les travées du groupe SER. – Mme Sonia de La Provôté s’exclame également.)